1. Introduction
1. En cette période de crise économique, et plus généralement
dans le contexte de la mondialisation en cours qui peut entraîner
des menaces sur les droits sociaux, il paraît particulièrement important
d’établir l’état des lieux des instruments juridiques concernant
les droits sociaux en Europe et de continuer à assurer leur promotion.
Dans ce contexte, il convient de rappeler que, lors du Sommet de
Varsovie (16 et 17 mai 2005), les chefs d’Etats et de gouvernement
des Etats membres du Conseil de l’Europe ont estimé que la Charte
sociale européenne révisée (STE no 163) devrait être considérée
comme le socle minimal des droits sociaux que tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe doivent garantir à leurs citoyens, en particulier
aux plus vulnérables, et qu’elle est également un instrument de
coordination des politiques sociales.
2. Dans le but d’assurer un suivi continu des engagements concernant
les droits sociaux et de renforcer la promotion de la Charte sociale
européenne en tant qu’outil central des droits sociaux européens,
le présent rapport fait suite aux travaux antérieurs de l’Assemblée
parlementaire en la matière, et notamment à sa
Résolution 1559 (2007) sur la dimension
sociale de l’Europe: mise en œuvre intégrale de la Charte sociale européenne
révisée et évaluation des nouvelles réglementations sur l’emploi
et le salaire minimum, et à sa
Recommandation 1795 (2007) sur le
suivi des engagements concernant les droits sociaux. Le rapporteur s’appuie
sur ces travaux précédents pour réitérer et souligner certains points,
tels que le rôle de l’Assemblée dans les mécanismes de suivi de
la Charte, tout en apportant un regard nouveau sur la Charte et
son évolution future.
3. Le rapporteur considère que la période actuelle est particulièrement
propice pour élargir l’appui des Etats membres à la Charte sociale
européenne, pour renforcer la contribution de l’Assemblée à la promotion des
droits sociaux et aux mécanismes entourant la Charte, et pour donner
davantage de visibilité à l’acquis du Conseil de l’Europe en matière
de droits sociaux. Tout effort entrepris en ce sens en cette période
contribuera à souligner l’importance d’un tel ensemble d’instruments
européens et à les honorer, puisque, dans le cadre des festivités
qui seront organisées à Strasbourg le 18 octobre 2011, deux anniversaires
seront célébrés: le 50e anniversaire de la Charte sociale européenne
et le 15e anniversaire de la Charte sociale européenne révisée.
2. La Charte sociale européenne et les
divers traités qui la complètent: état des lieux
2.1. Textes de base, mécanisme de suivi et importance
de la Charte
4. La Charte sociale européenne est le complément de
la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) en matière
de droits économiques et sociaux fondamentaux. Elle comprend un
ensemble de traités dont les premières pierres constituent la Charte
sociale européenne a été ouverte à la signature en 1961 (STE no
35; entrée en vigueur en 1965) et son Protocole additionnel de 1988
(STE no 128; entré en vigueur en 1992) a élargi les droits garantis
par la Charte. Ces instruments sont complétés par le Protocole de
1991 portant amendement à la Charte (STE no 142), qui entrera en
vigueur après signature de toutes les Parties à la Charte, et par
le Protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant
un système de réclamations collectives (1995, STE no 158; entré
en vigueur en 1998).
5. La Charte sociale européenne révisée de 1996 (STE no 163;
entrée en vigueur en 1999) réunit en un seul instrument les droits
garantis par la Charte de 1961 ainsi que les nouveaux droits et
amendements adoptés par les Parties. Elle se substitue progressivement
au traité initial de 1961. La Charte révisée tient compte de l’évolution
de la société européenne en incluant un certain nombre de droits
nouveaux, tels que le droit à la protection contre la pauvreté et
l’exclusion sociale, au logement, à la protection en cas de licenciement,
et à la protection contre le harcèlement sexuel et moral.
6. Comme la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte
sociale européenne est accompagnée d’un système de contrôle qui
garantit le respect de ces droits par les Etats parties. Le mécanisme
de suivi en vigueur est établi par la Charte de 1961 et renforcé
par le Protocole de 1991 portant amendement à la Charte et par le
Protocole additionnel de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives.
C’est également le Protocole de 1991 qui prévoit les deux organes
principaux liés à la Charte: le Comité d’experts indépendants, ensuite
nommé Comité européen des Droits sociaux (CEDS), et le Comité gouvernemental
de la Charte sociale européenne; leurs rôles spécifiques sont précisés
dans leurs règlements respectifs.
7. Le CEDS a notamment la responsabilité de statuer sur la conformité
des situations nationales avec la Charte sociale européenne, le
Protocole additionnel de 1988 et la Charte sociale européenne révisée,
et d’adopter des «conclusions» – dans le cadre de la procédure des
rapports – et des «décisions» – dans le cadre de la procédure des
réclamations collectives; il est donc un organe quasi judiciaire.
La procédure de contrôle de l’application de la Charte repose sur
les rapports nationaux soumis par les Etats parties et sur la procédure de
réclamations collectives introduite par le Protocole additionnel
de 1995. Les Etats parties soumettent chaque année un rapport sur
la mise en œuvre de la Charte (en droit et en pratique) en ce qui
concerne une partie des dispositions qu’ils ont acceptées de la
Charte. Le CEDS examine les rapports et décide de la conformité
ou non des situations nationales avec la Charte.
8. La fonction du comité gouvernemental, de son côté, est de
préparer les décisions du Comité des Ministres. En particulier,
à la lumière des rapports du CEDS et des Parties, il sélectionne,
de manière motivée, sur la base de considérations de politique sociale
et économique, les situations qui devraient, à son avis, faire l’objet
de recommandations à l’adresse de l'Etat concerné. Il présente au
Comité des Ministres un rapport qui est rendu public. Le Comité
des Ministres pourra ensuite adresser une recommandation à cet Etat,
lui demandant de modifier la situation en droit ou en pratique
.
2.2. Progrès faits par les Etats membres au niveau
des ratifications et de l’application de la Charte ainsi que des
traités y relatifs depuis 2007
9. Un état des lieux très complet des signatures et
ratifications de la Charte sociale européenne révisée a été entrepris
dans le cadre du rapport de la commission des questions sociales,
de la santé et de la famille, menant à la
Recommandation 1795 (2007). Aujourd’hui,
il ne s’agit donc pas de reproduire le même exercice, mais de rappeler
brièvement l’état des signatures et ratifications et de le mettre
à jour à la lumière des changements intervenus depuis 2007.
10. Dans sa
Recommandation
1795 (2007), l’Assemblée note que la Charte sociale européenne
révisée était alors signée par 40 des 46 Etats membres du Conseil
de l’Europe et ratifiée par 23 Etats membres, mais que seuls la
France, les Pays-Bas et le Portugal avaient accepté l’ensemble de
ses dispositions. En 2010, se référant à 47 Etats membres (depuis
l’adhésion du Monténégro en 2007), les chiffres ont été portés à
45 signatures et 30 ratifications, grâce à sept nouvelles ratifications
par la Bosnie-Herzégovine (2008), la Hongrie (2009), le Monténégro
(2010), la Fédération de Russie (2009), la Serbie (2009), la République
slovaque (2009) et la Turquie (2007). Le rapporteur se félicite
de cette évolution vers un nombre de plus en plus conséquent de
pays ayant souscrit aux droits sociaux ancrés dans la Charte sociale
européenne révisée. Malgré ce progrès important, 13 Etats membres
ne restent liés que par la Charte de 1961, dont sept également par
le Protocole additionnel de 1988 destiné à actualiser son contenu
matériel.
11. Le rapporteur considère qu’un large soutien des droits sociaux
européens est assuré par le fait que la plupart des Etats membres
sont parties à l’un des deux instruments principaux – la Charte
sociale européenne de 1961 ou la Charte sociale européenne révisée.
Seulement quatre Etats – le Liechtenstein, Monaco, Saint-Marin et
la Suisse – n’ont ratifé ni l’un ni l’autre de ces traités principaux.
Il souhaite néanmoins insister sur la nécessité de poursuivre les
progrès en la matière: seule la Charte révisée répond aux grandes
questions sociales qui se posent en Europe actuellement (égalité
des sexes, conciliation de la vie professionnelle et familiale,
vieillissement de la population, pauvreté et exclusion); elle devrait
en conséquence être le principal document de référence pour tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe.
12. La plupart des Etats membres ayant signé récemment la Charte
révisée, alors que la ratification de la Charte de 1961 reste possible,
ont bien perçu le fait qu’il s’agit de l’instrument le plus adapté
à la situation sociale actuelle en Europe. Par une ratification
la plus large possible de la Charte révisée, les Etats membres devraient,
enfin, reconnaître et afficher ouvertement que les droits sociaux
sont une composante importante des droits de l’homme – qui constituent
l’un des piliers principaux du Conseil de l’Europe et de son action.
Lors d’un échange récent avec le Comité européen des Droits sociaux,
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland,
a souligné la nature indivisible des droits de l’homme et la complémentarité
de la Charte sociale et de la Convention européenne des droits de
l’homme.
13. Un suivi régulier de la Charte sociale doit également porter
sur le Protocole d’amendement de 1991 (dit «Protocole de Turin»)
ainsi que sur le Protocole additionnel de 1995. Le rapporteur rappelle
que, dans le Protocole de Turin, il avait été décidé que les membres
du Comité européen des Droits sociaux seraient soumis aux mêmes
règles d’élection que les juges de la Cour européenne des droits
de l’homme. L’article 3 du Protocole d’amendement stipule que le
nouveau paragraphe 25 de la Charte doit se lire comme suit: «Le Comité
d’experts indépendants sera composé d’au moins neuf membres élus
par l’Assemblée parlementaire à la majorité des voix exprimées sur
une liste d’experts de la plus haute intégrité et d’une compétence reconnue
dans les matières sociales nationales et internationales (…).» Alors
que la plupart des Etats parties à la Charte de 1961 ou à la Charte
révisée sont déjà liés par le Protocole de Turin, il manque toujours
la ratification par quatre Etats pour son entrée en vigueur (Danemark,
Allemagne, Luxembourg, Royaume-Uni).
14. Le rapporteur regrette que, malgré les efforts déployés par
différents organes du Conseil de l’Europe y compris l’Assemblée
elle-même, ces quatre Etats ne semblent pas être prêts à ratifier
le protocole dans un futur proche, et qu’à l’heure actuelle aucune
autre mesure concrète n’ait été prise pour mettre en place le mécanisme
de suivi prévu par la Charte.
15. Le Protocole additionnel de 1995, quant à lui, reconnaît le
droit de faire des réclamations aux organisations internationales
et nationales d’employeurs et de travailleurs, ainsi qu’à certaines
organisations non gouvernementales (ONG) dotées du statut consultatif
auprès du Conseil de l’Europe. A ce jour, seulement 14 Etats ont
accepté la procédure des réclamations collectives stipulée par ce
protocole (dont deux par une déclaration selon l’article D, paragraphe
2, de la Charte révisée, et 12 par ratification du protocole), et
seule la Finlande a reconnu ce droit aux ONG nationales, alors que
ce sont les ONG qui sont les plus actives dans la défense des droits
consacrés dans la Charte. Le rapporteur considère que les efforts
pour remédier à ces situations devraient également être poursuivis.
16. Le dispositif de la Charte sociale – vue globale:
Traité
|
Substance
|
Nombre de ratifications
|
Charte sociale européenne de 1961 (STE no 35)
|
Droits sociaux fondamentaux
|
43 Etats membres
|
Protocole additionnel de 1988
(STE
no 128)
|
Elargissement des droits couverts par la Charte
|
13 Etats membres
|
Protocole d’amendement de 1991 (STE no 142) («Protocole
de Turin»)
|
Définition des mécanismes de suivi de la Charte
(et autres dispositions)
|
23 Etats membres
|
Protocole additionnel de 1995
(STE
no 158)
|
Introduction des réclamations collectives
|
12 Etats membres
|
Charte sociale européenne révisée de 1996 (STE
no 163)
|
Introduction de nouveaux droits par rapport aux
traités précédents
|
30 Etats membres
|
2.3. Obstacles restants à l’entrée en vigueur et à
la mise en œuvre de tous les instruments
17. Dans sa réponse à la
Recommandation 1795 (2007) de l’Assemblée,
le Comité des Ministres confirme qu’il subsiste des zones où il
serait possible d’augmenter le nombre de ratifications relatives
aux instruments sociaux existants. Il s’agirait notamment: 1. du
Protocole d’amendement de 1991 («Protocole de Turin»), mis en œuvre
dans sa quasi-totalité par décision des Délégués des Ministres,
mais pour lequel quatre ratifications manquent encore pour qu’il
entre formellement en vigueur; 2. de la procédure de réclamations
collectives qui n’est actuellement acceptée que par 14 Etats; et
3. de l’acceptation du droit des ONG nationales de présenter des
réclamations. A cet égard, le Comité des Ministres invite les Etats
membres à ratifier les différents instruments, mais rappelle en
même temps, notamment en ce qui concerne l’élection des membres
du Comité européen des Droits sociaux, qu’il appartient aux Etats
membres d’examiner la question au préalable.
18. Le rapporteur considère que les démarches entreprises jusqu’à
ce jour en faveur de la promotion des différents instruments en
matière de droits sociaux manquent de cohérence, à la fois au niveau
du Conseil de l’Europe et de ses organes principaux, notamment le
Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire, et au niveau
national. Il regrette que, malgré le fait qu’une majorité des Etats
membres aient exprimé leurs préférences au sujet des mécanismes
s’appliquant à la Charte sociale européenne révisée, tous les Etats membres
ne soient pas encore clairement unis autour des mêmes instruments
en faveur des droits sociaux. Il déplore que l’Assemblée, qui assure
le suivi régulier de la Charte sociale européenne et de ses différents textes,
soit ainsi obligée de relever les mêmes lacunes d’un exercice à
l’autre sans qu’un réel progrès soit fait depuis de nombreuses années.
19. Le rapporteur comprend que le Comité des Ministres soit tenu
de respecter la volonté de certains Etats membres de s’abstenir
de certaines ratifications, mais rappelle qu’il est également habilité
à proposer et à prendre d’autres mesures pour s’assurer de l’application
à part entière des instruments contraignants du Conseil de l’Europe,
telles que des décisions unanimes du Comité des Ministres sur des
aspects de l’un ou l’autre instrument. En ce qui concerne le Protocole
de Turin plus particulièrement, le Comité des Ministres pourrait
ainsi proposer que le mécanisme de suivi de la Charte sociale prévoyant
l’élection de neuf membres du Comité européen des Droits sociaux
par l’Assemblée soit pleinement mis en œuvre par le biais d’une décision
unanime de son organe, permettant ainsi aux Etats membres réticents
de ne pas adhérer à d’autres dispositions de ce protocole.
2.4. Evolution future de la Charte sociale européenne
révisée: prise en compte des défis actuels
20. En dehors des lacunes qui continuent à exister au
niveau des signatures et des ratifications, ainsi qu’au niveau de
la mise en œuvre intégrale des dispositions relatives au mécanisme
de suivi, le rapporteur est convaincu qu’à l’avenir, et afin de
rester un instrument de référence européen, la Charte doit continuer
à évoluer. Ainsi que cela a déjà été proposé par l’Assemblée dans
sa
Résolution 1559 (2007),
la Charte sociale européenne devrait davantage prendre en compte
la libéralisation croissante des marchés (notamment la libre circulation
des travailleurs et des services, ainsi que la liberté d’établissement)
et encadrer ces processus. Des évolutions bien plus récentes devraient
amener les organes compétents à examiner la prise en compte d’autres
thématiques encore, telles que le droit à la santé, y compris à
un environnement sain, par exemple – thème régulièrement débattu
au sein de l’Assemblée. Le suivi de la mise en œuvre devrait être
renforcé concernant d’autres droits, comme les droits des personnes
handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale et à la participation
à la vie de la communauté.
21. Comme cela a déjà été suggéré, ,, , les développements observés
à l’échelle mondiale devraient être davantage pris en compte dans
les débats qui entourent les instruments relatifs aux droits sociaux.
Le rapporteur réitère l’idée que les Etats membres devraient considérer
avec plus d'attention les défis de la mondialisation, renforcer
le débat européen à ce sujet et porter ce débat au niveau mondial
afin de donner une véritable impulsion sociale à la mondialisation.
Il est convaincu que, dans ce genre de débat, la Charte sociale européenne
pourra devenir le document de référence.
22. Au-delà des défis cités ci-dessus, le rapporteur rappelle
que l’Assemblée a également déjà proposé une évolution de la Charte
vers un instrument de référence pour des réclamations individuelles.
Selon sa
Recommandation
1354 (1998) relative à l’avenir de la Charte sociale
européenne et sa
Recommandation
1415 (1999) sur un protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme relatif aux droits sociaux fondamentaux,
cela pourrait se faire en apportant des modifications aux deux instruments
en question. Le rapporteur souhaiterait inviter tous les Etats membres
à garder à l’esprit la possibilité d’une telle évolution ambitieuse
des mécanismes entourant la Charte sociale européenne dans les années
à venir, mais serait déjà pleinement satisfait si des progrès pouvaient
être faits au regard des autres lacunes relevées dans le présent rapport.
3. Le rôle de l’Assemblée parlementaire par rapport
au suivi des engagements concernant les droits sociaux
23. Dans le contexte actuel de mondialisation croissante
et de crise économique que nos sociétés affrontent, le rapporteur
est clairement partisan d’un rôle plus important de l’Assemblée
pour ce qui concerne la promotion, le suivi et l’évolution future
de la Charte sociale dans son ensemble. Une telle évolution du rôle de
l’Assemblée est clairement soutenue par une majorité des Etats membres.
24. Un rôle fort pour les parlements nationaux, représentés par
l’Assemblée, a d’abord été reconnu par les Etats membres ayant ratifié
le Protocole de Turin (23 Etats), donnant ainsi leur accord pour
une implication directe de l’Assemblée dans l’élection des 15 membres
du Comité européen des Droits sociaux, aujourd’hui tous élus par
le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Ainsi, le Protocole
de Turin stipule (article 3), faisant référence au nouvel article
25 de la Charte sociale: «Le Comité d’experts indépendants sera
composé d’au moins neuf membres élus par l’Assemblée à la majorité
des voix exprimées sur une liste d’experts de la plus haute intégrité
et d’une compétence reconnue dans les matières sociales nationales
et internationales, qui seront proposés par les Parties contractantes.»
Cette fonction de l’Assemblée, formellement prévue dans le mécanisme
de suivi de la Charte sociale devrait, enfin, être mise en œuvre
dans les meilleurs délais possibles afin d’asseoir le contrôle de
cet instrument central en matière de droits sociaux sur des bases
plus démocratiques et ainsi renforcer sa légitimité.
25. En ratifiant la Charte sociale européenne révisée, une majorité
claire des Etats membres (30) a également souscrit à l’idée de continuer
à faire évoluer la Charte et de s’assurer qu’elle reste un instrument moderne
et vivant. Toute évolution future de la Charte sociale, par exemple
par le biais de l’introduction de nouveaux droits, nécessite forcément
la contribution substantielle des parlements nationaux. L’Assemblée devrait
donc systématiquement développer sa fonction de lieu d’incitation
à la réflexion et d’animation de débats sur les droits sociaux.
26. Les débats de l’Assemblée devraient notamment se fonder sur
des rapports substantiels concernant le respect des droits sociaux
dans les Etats membres et pourraient aborder le thème sous différents
angles: par exemple, analyser la mise en œuvre des normes européennes
dans les législations nationales et dans les politiques nationales
visant à appliquer le droit européen ou national pertinent (échange
de bonnes pratiques), ou alors examiner le suivi de réclamations
collectives précises et leur réception par le Comité des Ministres
et les Etats membres. En proposant de tels débats d’actualité sur
les droits sociaux et en faisant en sorte, ensuite, qu’un compte
rendu rigoureux soit transmis aux parlements et aux gouvernements
nationaux, l’Assemblée continuerait de son côté à promouvoir la
ratification et la mise en œuvre de la Charte sociale au niveau européen.
Elle aurait ainsi, par ailleurs, la possibilité d’avoir un impact
réel sur l’évolution future des droits sociaux et sur l’élargissement
de l’acquis du Conseil de l’Europe à de nouveaux droits, tel le
droit à la santé – sujet régulièrement abordé par l’Assemblée depuis
quelques années –, ou bien d’autres droits qui attendent d’être
pris en considération. En abordant les droits sociaux à partir d’une
telle perspective politique plutôt que juridique, l’Assemblée se
distinguerait clairement des mécanismes de suivi juridique déjà
appliqués par le CEDS et le Comité des Ministres, et les compléterait.
27. De tels débats substantiels sur les droits sociaux européens
devraient, par ailleurs, se tenir en étroite coopération avec les
organes compétents du Conseil de l’Europe, le CEDS et le comité
gouvernemental, dont les représentants ont indiqué à plusieurs reprises
qu’ils étaient prêts à un échange avec l’Assemblée, propos qu’ils
ont aussitôt mis en pratique: rien qu’en 2010, un vice-président
du CEDS a tenu un échange de vues avec la commission des questions
sociales, de la santé et de la famille, et la présidente de cette
même commission a été invitée à intervenir devant les membres du
CEDS, un organe qui se réunit à huis clos normalement. Au-delà des
organes du Conseil de l’Europe, la coopération devrait aussi être
renforcée avec d’autres organisations internationales ou européennes,
telles que le Parlement européen qui aborde régulièrement les droits
sociaux dans le cadre de son «Dialogue social européen».
28. De manière très concrète et en ce qui concerne l’organisation
des débats au sein de l’Assemblée, les rapports réguliers sur les
droits sociaux devraient idéalement venir compléter les débats bisannuels
sur la situation des droits de l’homme préparés par la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, sans trop se
chevaucher avec eux – à l’instar des rapports présentés par la commission
de suivi –, mais plutôt en apportant un regard politique complémentaire.
Une telle démarche pourrait également contribuer à ce que les droits
sociaux soient perçus à leur juste valeur parmi les droits fondamentaux
défendus par le Conseil de l’Europe.
29. Le rapporteur souhaite rappeler que, trop souvent, les droits
économiques et sociaux sont encore considérés comme des «ambitions»
plutôt que des droits de l’homme bien qu’ils soient inclus dans
la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et qu’ils
fassent partie de nombreux traités internationaux largement acceptés
relatifs aux droits de l’homme. Cette confusion initiale explique
en partie pourquoi, au Conseil de l’Europe, deux traités distincts
ont été adoptés: la Convention européenne des droits de l’homme
pour les droits civils et politiques et la Charte sociale européenne
pour les droits sociaux et économiques. Toutefois, l’interdépendance
entre ces droits a été reconnue par leurs organes de contrôle respectifs,
et l’Assemblée, de son côté, ne devrait laisser passer aucune occasion
de bien insister sur cette indivisibilité des droits de l’homme.
30. A cet égard, le rapporteur rappelle également que la Cour
européenne des droits de l’homme a déclaré très tôt dans sa jurisprudence
qu’il n’y avait pas de cloison étanche entre la sphère des droits
sociaux et le domaine de la Convention. Le Comité européen des Droits
sociaux a affirmé que la Charte sociale complète la Convention européenne
des droits de l’homme et que les droits garantis par la Charte ne
constituent pas une fin en soi mais viennent en complément des droits
de la Convention. Cette approche pourrait également être adoptée
par l’Assemblée et reflétée dans ses propres débats afin d’assurer
une cohérence entre ces derniers et les autres travaux du Conseil
de l’Europe. Enfin, et du point de vue de l’indivisibilité des droits
de l’homme et des droits sociaux, le rapporteur reste convaincu
qu’il est illogique que les normes du Conseil de l’Europe relatives
aux droits sociaux ne soient pas ratifiées par tous les Etats membres
à l’instar de la Convention européenne des droits de l’homme
. Le présent rapport devrait, une nouvelle
fois, être l’occasion de transmettre cette idée essentielle à toutes
les parties concernées par la Charte sociale: le Comité des Ministres
et ses organes, les Etats membres, les parlements nationaux et les
experts en matière de droits sociaux.
4. Conclusions
31. En conclusion, le rapporteur considère que, comme
elle l’avait déjà entrepris dans le cadre de la
Recommandation 1795 (2007),
l’Assemblée devrait encore une fois encourager les Etats parties
à la Charte sociale européenne à faire en sorte que cet instrument
devienne un véritable cadre de référence pour la politique sociale
européenne et puisse ainsi également contribuer au développement
des législations et des politiques sociales au niveau national.
Le rapporteur se félicite de l’état d’avancement des signatures
et des ratifications en 2010, qui a enregistré un net progrès depuis
le dernier rapport de l’Assemblée en 2007, mais considère que les
Parties à la Charte sociale européenne révisée devraient davantage
renforcer leurs efforts pour respecter au niveau national les dispositions
qu’elles ont acceptées.
32. S’agissant des mécanismes entourant la Charte sociale européenne,
l’Assemblée devrait rappeler au Comité des Ministres de prendre
les mesures nécessaires pour que des membres du Comité européen
des Droits sociaux soient élus par l’Assemblée dans le prochain
renouvellement partiel du comité, tout en demandant aux parlements
nationaux de soutenir cette démarche au sein de leurs gouvernements
respectifs. Outre sa propre implication dans les mécanismes de décision,
l’Assemblée devrait à nouveau réclamer la reconnaissance de tous
les droits inscrits dans la Charte par les Etats membres, tel que
le droit pour les ONG nationales de présenter des réclamations collectives.
33. Au-delà des questions plus formelles relatives à la ratification
et la mise en œuvre des divers instruments, l’Assemblée devrait
elle-même faire des démarches lui permettant de renforcer son rôle
en tant que tribune d’incitation à la réflexion et d’animation de
débats autour des droits sociaux. Dans ce contexte, le rapporteur
souligne l’importance d’un dialogue renforcé à différents niveaux,
à la fois au sein du Conseil de l’Europe – avec le Comité européen
des Droits sociaux et le comité gouvernemental – et, en ce qui concerne les
partenaires externes, avec l’Organisation internationale du travail
et les organes de l’Union européenne (Parlement européen, etc.),
notamment. Cela pourrait également servir à accroître la visibilité
de la Charte sociale européenne et à renforcer le rôle et l’impact
du Conseil de l’Europe en matière de droits sociaux.