1. Introduction
1.1. Contexte
1. Le succès et les caractéristiques spécifiques du
système de la Convention européenne des droits de l’homme («la Convention»),
tels qu’établi par le Conseil de l’Europe, tiennent à n’en pas douter
à la nature contraignante des arrêts de la Cour européenne des droits
de l’homme («la Cour») et au rôle du Comité des Ministres en matière
de surveillance de la pleine exécution de ces arrêts par les Etats.
Ce mécanisme, qui assure la mise en œuvre des droits de l’homme
par les Etats parties, n’existe nulle part ailleurs dans le monde. Cela
étant dit, le processus d’exécution peut être juridiquement et parfois
politiquement complexe. Plusieurs institutions internes, aux compétences
juridiques variables, peuvent avoir un rôle à jouer, si bien que
les pressions politiques ou d’autres intérêts constituent souvent
des obstacles qui doivent être surmontés pour une exécution rapide
et effective des arrêts de la Cour. C’est pourquoi, étant donné
leur position politique unique, les parlements nationaux et l’Assemblée
parlementaire devraient compléter le travail du Comité des Ministres pour
assurer l’exécution rapide et complète des arrêts de la Cour.
2. L’expérience indique que, par ses rapports, ses recommandations,
ses résolutions et la tenue de débats, l’Assemblée a fait preuve
d’efficacité dans ce rôle. Le présent rapport, qui est le septième
de la série, conduira à l’adoption par l’Assemblée de la septième
résolution et de la sixième recommandation sur le sujet depuis 2000;
en dix ans, un certain nombre de questions complexes et difficiles
ont été résolues avec l’assistance de l’Assemblée, des parlements
nationaux intéressés et de leurs délégations
.
3. Alors que le septième rapport était en cours de rédaction,
l’importante conférence d’Interlaken a eu lieu en février 2010
. Elaborée dans le souci de réduire
l’arriéré d’affaires portées devant la Cour, la Déclaration d’Interlaken
a notamment préconisé l’adoption par les Etats membres d’autres
mesures pour améliorer l’exécution des arrêts de la Cour au niveau
national et surtout pour faire en sorte que les Etats s’y conforment pleinement
et rapidement
. De cette manière,
la Conférence d’Interlaken a officiellement fixé comme priorité l’exécution
des arrêts de la Cour au niveau national, ce qui a donné fort opportunément
du poids au message urgent que j’adresse dans le présent rapport.
1.2. Mandat du rapporteur
4. J’ai été chargé en tant que rapporteur de m’intéresser
aux cas particulièrement problématiques de retards d’exécution ou
de non-exécution d’arrêts de la Cour
. Ce faisant, j’ai examiné
trois grands problèmes: d’abord, pour que la Cour européenne des
droits de l’homme continue son œuvre extraordinaire de protection des
droits de l’homme en Europe, en particulier en traitant de sérieuses
violations des droits les plus fondamentaux, il est essentiel de
supprimer, par l’exécution pleine et effective de ses arrêts, l’arriéré
d’affaires et le flot d’affaires répétitives auxquels elle est confrontée.
Il est véritablement capital que les Etats membres qui ont des problèmes
systémiques donnant lieu à des requêtes répétitives remédient aux
causes profondes de la violation. Ensuite, l’accent doit être mis
sur le fait que des violations très graves des droits de l’homme sont
devenues répétitives dans un certain nombre d’Etats membres; cette
situation est inacceptable. Enfin, pour faciliter l’exécution rapide
des arrêts, j’ai continué de souligner l’importance de «structures
de suivi» efficaces au niveau des parlements nationaux afin de promouvoir
la mise en place d’une procédure efficace de surveillance parlementaire
de l’exécution des arrêts de la Cour au niveau interne.
5. Etant donné la note introductive
et
le rapport de suivi
que
j’ai présentés à la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme en juin 2008 et en septembre 2009 respectivement, la
méthode de sélection des arrêts examinés dans ce septième rapport
a été quelque peu affinée depuis le travail remarquable réalisé par
M. Erik Jurgens, mon illustre prédécesseur. J’ai poursuivi l’excellente
pratique de visites dans les pays, mais c’est désormais dans les
trois domaines ci-dessus, je crois, que mon mandat peut apporter
une valeur ajoutée significative au système de surveillance existant,
dont le Comité des Ministres est le premier responsable. En conséquence,
les Etats membres dont il est question dans le présent rapport sont
avant tout ceux qui peuvent être rangés dans l’une des deux rubriques
suivantes (ou dans les deux):
- arrêts
qui soulèvent des problèmes d’exécution essentiels relevés, par
exemple, dans une résolution intérimaire du Comité des Ministres;
et
- arrêts concernant des violations d’une nature si grave
que je suis contraint de traiter la question de leur exécution .
2. Aperçu
des Etats qui sont confrontés à de graves problèmes liés à l’exécution
2.1. Remarques préliminaires
6. Le Portugal et le Royaume-Uni ont été identifiés
dans mon rapport de suivi comme des Etats ayant des difficultés
considérables dans la mise en œuvre des arrêts de la Cour; vu le
progrès accompli au Portugal ainsi que la nécessité de faire une
distinction entre les préoccupations spécifiques que j’ai relevées
à l’égard du Royaume-Uni, et les autres Etats ayant des problèmes
plus graves, j’ai décidé de traiter les deux pays séparément dans
ce rapport.
2.1.1. Portugal
7. En réaction aux arrêts de la Cour constatant des
violations de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention en raison
de la durée excessive de procédures judiciaires
, les autorités portugaises ont
adopté un certain nombre de mesures législatives et administratives
destinées à réduire la durée de la procédure
.
De fait, dans sa dernière résolution intérimaire en date sur le
sujet (CM/ResDH(2010)34), le Comité des Ministres a noté des progrès
significatifs; les statistiques fournies par les autorités portugaises
révèlent un recul de la durée moyenne des procédures devant des
juridictions de degré supérieur
et des mesures ont été adoptées
pour améliorer l’efficacité du système judiciaire dans son ensemble.
Cela dit, il reste à harmoniser la jurisprudence des tribunaux internes
concernant une voie de recours effectif en cas de durée excessive
de la procédure.
8. Bien que certaines questions restent un sujet de préoccupation
, les efforts déployés par les
autorités portugaises doivent être véritablement salués et sont
à considérer comme un exemple de bonnes pratiques dans ce domaine.
2.1.2. Royaume-Uni
9. Dans la mesure où de sérieux problèmes liés à l’exécution
subsistent au Royaume-Uni, il aurait été malencontreux de retirer
ce pays de la présente partie. J’ai néanmoins placé le Royaume-Uni
à part face aux neuf autres Etats énumérés ci-dessous, car ce pays
ne figure pas sur la liste des Etats où se rencontrent les pires
problèmes liés aux droits de l’homme (voir l’annexe 1). Cela étant
dit, les sujets de préoccupation au Royaume-Uni sont actuellement
les suivants:
- les droits de
vote des détenus ( Hirst (no 2) c. Royaume-Uni
– Grande Chambre);
- la conservation de profils ADN et de données biométriques
( S. et Marper c. Royaume-Uni –
Grande Chambre).
2.1.2.1. Droits de vote
des détenus
10. La question du droit de vote des détenus ressort
de l’affaire
Hirst (no 2) c. Royaume-Uni et le fait que cet arrêt
n’ait pas été exécuté avant les récentes élections générales du
6 mai 2010 au Royaume-Uni a conduit en pratique à une violation
du droit de milliers de détenus, si bien qu’il y a un risque d’afflux
de requêtes devant la Cour.
11. Dans l’affaire Hirst, la Cour a jugé que la restriction automatique
et indifférenciée du droit de vote des détenus condamnés était contraire
à l’article 3 du Protocole no 1. L’interdiction, imposée par le Representation of the People Act de
1983, n’a pas tenu compte de la durée de la peine, de la nature
de l’infraction pénale ou des circonstances individuelles des détenus.
12. Le plan d’action soumis par les autorités du Royaume-Uni en
2006 a été le point de départ d’un processus de consultation en
deux étapes, dont la première a conduit à proposer une admission
partielle au suffrage en fonction de la durée de la peine; la seconde,
publiée en avril 2009, a conclu que c’était là la solution, car
celle-ci permettrait d’autoriser 11 à 45 % de la population pénitentiaire
à voter. Associer le droit de vote à la durée de la peine, c’est
lier la nature du crime au droit de vote; toutefois, la Commission
mixte sur les droits de l’homme du Parlement britannique
(Joint Committee on Human Rights –
JCHR
) s’est émue en soulignant que
cela ne constituait pas une option appropriée, car elle conduirait
à d’autres recours
.
Des informations sur l’avancement de la situation devaient être
communiquées en septembre 2010
.
13. L’arrêt reste pourtant à exécuter, si bien que des milliers
de détenus sont toujours privés de leur droit de vote en dépit des
pressions du Comité des Ministres, qui a prévu le risque de requêtes
répétitives devant la Cour dans cette affaire (Résolution intérimaire
CM/ResDH(2009)160). Inévitablement, d’autres requêtes ont été communiquées
au Gouvernement du Royaume-Uni sur cette question
. Néanmoins,
le nouveau Gouvernement du Royaume-Uni a confirmé récemment qu’il
allait mettre en œuvre l’arrêt Hirst (no 2) et les délibérations
ministérielles ont commencé à ce sujet
. Un progrès à cet égard est donc
impératif, étant donné que le Comité des Ministres, lors de sa réunion
de septembre 2010, a regretté une fois de plus l’absence d’informations
matérielles et concrètes sur le moindre progrès et a exhorté les
autorités du Royaume-Uni à donner sans plus de délai la priorité
à l’exécution de cet arrêt
.
2.1.2.2. Conservation de
profils ADN et de données biométriques
14. Cette question importante au Royaume-Uni a fait l’objet
d’un arrêt de la Grande Chambre dans l’affaire
S. et Marper c. Royaume-Uni . La conservation pour
une durée indéterminée de profils ADN et d’empreintes digitales
provenant de personnes suspectées d’une infraction pénale qui, en
fin de compte, ont été acquittées ou qui ne sont jamais passées
en jugement, a été considérée comme contraire à l’article 8 de la
Convention. De plus, le cadre législatif ne prévoyait pas de contrôle
indépendant de la conservation.
15. Le Royaume-Uni a d’abord proposé un projet de réforme législative
qui a fait l’objet d’un contrôle approfondi du Comité des Ministres.
16. Depuis, des progrès encourageants ont été constatés dans le
manifeste
du nouveau Gouvernement du
Royaume-Uni, qui comprenait la promesse d’une nouvelle approche
pour appliquer dans le reste du Royaume-Uni le cadre législatif
écossais, considéré dans l’arrêt comme conforme à la Convention
. Cependant, le Royaume-Uni
n’a toujours pas présenté en détail la façon dont le dispositif
écossais sera transposé en Angleterre, au pays de Galles et en Irlande
du Nord, et la date à laquelle il le sera. Pour le moment, le dispositif
considéré comme inacceptable par la Cour dans son arrêt continue
d’être appliqué; il a une incidence considérable sur l’ensemble
des personnes en Angleterre, au pays de Galles et en Irlande du Nord
qui sont inquiétées par la police ou par le système judiciaire.
2.1.2.3. Observations complémentaires
2.1.2.3.1.Coordination intragouvernementale
17. En réponse aux recommandations de la Commission mixte
sur les droits de l’homme du parlement (JCHR)
,
le ministre de la Justice coordonne
désormais les ministères compétents, responsables de l’exécution
des arrêts, et transmet des informations au ministère des Affaires
étrangères et du Commonwealth
(Foreign
Office), qui représente le Royaume-Uni devant le Comité
des Ministres
.
Chaque ministère qui exécute un arrêt doit désormais compléter un
formulaire fourni par le ministère de la Justice, qui «sert à communiquer
toutes les informations nécessaires pour assurer le suivi efficace
du processus d’exécution à la fois au ministère de la Justice et
au
Foreign Office»
.
2.1.2.3.2.Nouveau problème:
exécution a minima
18. Ces dernières années, un certain nombre d’affaires
où le Royaume-Uni était l’Etat défendeur ont fait date dans la jurisprudence
de la Cour, ainsi:
Al-Saadoon c. Royaume-Uni (article
3),
Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (article 8),
S. et Marper c. Royaume-Uni (article
8), et
A. et autres c. Royaume-Uni (article
5). La plupart de ces arrêts sont aussi des décisions de la Grande
Chambre. Le processus d’exécution de certains d’entre eux (lorsqu’il
a été entamé) est devenu quelque peu politisé au niveau national
et la JCHR a depuis recensé ce qu’elle perçoit comme une nouvelle
pratique «d’exécution
a minima»;
le Royaume-Uni prend des mesures, mais celles-ci sont loin d’être
suffisantes. La commission mixte a estimé que c’est là un problème
, car il accroît
la possibilité d’affaires répétitives parce qu’il ne met pas fin
à un problème de fond, d’où d’autres actions en justice
.
2.2. Aperçu
2.2.1. Bulgarie
19. En Bulgarie, les problèmes liés à l’exécution des
arrêts de la Cour appartiennent, en évidence, à trois grandes catégories:
- décès et mauvais traitements
de personnes placées sous la responsabilité de fonctionnaires des
forces de l’ordre et absence d’enquête effective à cet égard;
- violations du droit au respect de la vie familiale en
raison d’expulsions/d’ordonnances de quitter le territoire;
- durée excessive de procédures judiciaires et absence de
recours effectif.
20. Au cours de ma visite en Bulgarie en mai 2009, j’ai souligné
la nécessité de donner un effet concret aux «Grandes orientations»
du ministère bulgare de la Justice afin de surmonter de graves problèmes
concernant l’exécution d’arrêts de la Cour. On m’a assuré dans plusieurs
ministères que cela serait fait
. Malheureusement, les autorités
bulgares n’ont toujours pas fourni d’informations sur l’avancement
de la mise en œuvre de ces «Grandes orientations».
2.2.1.1. Décès et mauvais
traitements de personnes placées sous la responsabilité de fonctionnaires
des forces de l’ordre et absence d’enquête effective à cet égard
21. L’affaire
Velikova c.
Bulgarie et
plusieurs affaires analogues
concernent avant tout des décès
ou mauvais traitements de personnes placées sous la responsabilité
de fonctionnaires des forces de l’ordre. Toutes ces affaires portent
aussi sur l’absence d’enquête effective sur les décès ou sur les
allégations des requérants selon lesquelles ils ont subi des mauvais
traitements alors qu’ils étaient aux mains des forces de l’ordre.
22. Les autorités bulgares ont adopté un certain nombre de mesures
dans ce domaine
.
En ce qui concerne les décès et les mauvais traitements, des mesures
destinées à améliorer la formation professionnelle des fonctionnaires
de police ont été adoptées. Une formation obligatoire sur les droits
de l’homme fait désormais partie de la formation de la police et,
en 2000, une commission spécialisée sur les droits de l’homme a
été créée au sein de la Direction de la police nationale. De plus,
en 2002, un nouveau formulaire de déclaration a été mis en place.
Il doit être signé par l’ensemble des personnes détenues et comprendre
des renseignements sur leurs droits fondamentaux. Enfin, un Code
de déontologie de la police, tenant compte de la Recommandation
no R(2001)10 du Comité des Ministres et rédigé en collaboration
avec le Conseil de l’Europe, a été adopté en 2003.
23. En ce qui concerne l’absence d’enquête effective dans ces
affaires, les modifications législatives adoptées en 2001 prévoient
un contrôle judiciaire de la décision du parquet de clore la procédure
pénale et permettent aux tribunaux de renvoyer les dossiers au procureur
en l’enjoignant de réaliser certaines mesures d’investigation
. Ces dernières années (2005-2009),
des sanctions disciplinaires ont été prises à l’encontre de fonctionnaires
de police par le ministre de l’Intérieur
. Cependant,
en dépit de ces sanctions et des mesures de sensibilisation précitées,
la police commet toujours des abus
.
24. Dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)107, le Comité
des Ministres a noté qu’il restait à prendre certaines mesures générales,
en particulier pour améliorer la formation des fonctionnaires de
police, notamment en y incorporant des questions liées aux droits
de l’homme, renforcer les garanties procédurales au cours de la
détention provisoire et garantir l’indépendance des investigations
portant sur les allégations de mauvais traitements de personnes
aux mains de la police. Le Comité des Ministres a invité le Gouvernement bulgare
à adopter rapidement l’ensemble des mesures en suspens et à l’informer
régulièrement de l’effet des nouvelles mesures. Des informations
sont toujours attendues sur ces questions.
2.2.1.2. Violations du droit
au respect de la vie familiale en raison d’expulsions/d’ordonnances
de quitter le territoire
25. L’affaire
Al-Nashif et
autres c. Bulgarie et
quatre autres affaires similaires
concernent des violations du droit au respect
de la vie familiale des requérants étant donné qu’ils ont été expulsés
ou qu’ils ont reçu l’ordre de quitter le territoire conformément
à un régime légal qui ne prévoyait pas de garanties suffisantes contre
une application arbitraire (violations de l’article 8). Les affaires
du groupe Al-Nashif et autres et Bashir et autres portent aussi
sur le fait que le droit applicable ne permettait pas aux requérants
de contester la légalité de leur détention alors qu’ils étaient
en instance d’expulsion ou de refoulement (violations de l’article 5, paragraphe
4).
26. Des progrès ont été enregistrés au sujet de violations du
droit au respect de la vie familiale des requérants. A l’époque
des circonstances de l’affaire Al-Nashif et autres, le droit bulgare
ne prévoyait pas de contrôle judiciaire de la légalité de la détention
d’étrangers visés par une mesure d’expulsion pour des motifs de
sécurité nationale, ni de la décision d’expulsion elle-même
.
Depuis l’arrêt Al-Nashif et autres, la Cour administrative suprême
de Bulgarie indique aux tribunaux compétents par une pratique bien
établie qu’ils doivent appliquer la Convention telle qu’elle est
interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme et examiner
les recours contre l’expulsion pour des motifs de sécurité nationale
.
27. Par ailleurs, des progrès ont été accomplis par voie législative.
En 2007, un projet de loi portant modification de la loi sur les
étrangers a été adopté. La nouvelle loi institue un contrôle juridictionnel
assuré par la Cour administrative suprême pour les expulsions, les
révocations de permis de séjour et les interdictions d’entrée sur
le territoire ordonnées pour des motifs de sécurité nationale. Bien
que ce soit là un progrès, il convient de noter que la nouvelle
loi exclut l’effet suspensif d’un appel contre ces mesures si celles-ci
sont fondées sur des motifs de sécurité nationale. Des informations
sont attendues sur l’effectivité pratique du contrôle juridictionnel.
28. Enfin, les autorités bulgares ont indiqué que la légalité
de la détention avant refoulement peut être contrôlée par les organes
et tribunaux administratifs compétents conformément aux dispositions
du Code de procédure administrative. Dans ces circonstances, des
informations complémentaires sont demandées sur la pratique actuelle
de la surveillance juridictionnelle de la détention avant refoulement.
2.2.1.3. Durée excessive
de procédures judiciaires et absence de recours effectif à cet égard
30. Les autorités bulgares ont adopté un certain nombre de réformes
destinées à accélérer la procédure judiciaire. Un nouveau Code de
procédure pénale est entré en vigueur en avril 2006 dans le cadre
de la réforme globale de la justice pénale en Bulgarie. Point marquant,
le code fait obligation aux tribunaux et aux autorités responsables
de l’investigation d’examiner les affaires pénales dans un délai
raisonnable. De plus, des séminaires et d’autres activités de formation
sur la Convention et la jurisprudence de la Cour sont organisés
régulièrement par l’Institut national de la justice. Les autorités
bulgares ont déclaré que les statistiques fournies au sujet de la
durée moyenne des procédures pénales indiquent un fonctionnement
stable du système de justice pénale à cet égard. Cependant, il convient
de noter que ces chiffres ne concernent que les procédures devant
les tribunaux de première instance et non les procédures pénales
dans leur ensemble. Des informations complémentaires sur les autres
mesures prises pour réduire la durée de la procédure pénale et d’autres
statistiques globales n’ont pas encore été communiquées au Comité
des Ministres.
31. En ce qui concerne les procédures civiles, le nouveau Code
de procédure civile de 2007 permet à une partie de contester la
durée de la procédure devant la juridiction de degré supérieur à
celle qui examine l’affaire sur le fond. Si la juridiction de degré
supérieur constate que la procédure a souffert de retards injustifiés,
elle peut fixer à la juridiction de degré inférieur un délai pour
prendre les mesures nécessaires. En ce qui concerne la procédure
pénale, le défendeur pouvait, avant la modification du Code de procédure
pénale, en mai 2010, demander que son affaire soit soumise à une
juridiction compétente dès lors qu’il s’était écoulé un délai d’un à
deux ans (selon la gravité des chefs d’accusation) depuis le début
de l’investigation préliminaire. La juridiction compétente pouvait
alors ordonner au procureur de mettre fin dans les deux mois à l’investigation
préliminaire ou sinon de clore la procédure
. Cependant, les
dispositions qui prévoyaient cette voie de recours ont été abrogées
(en mai 2010). Depuis, des informations sont attendues des autorités
sur la mise en place d’un recours effectif concernant la procédure
pénale. Les autorités bulgares envisagent aussi d’instaurer une
voie de recours analogue pour la procédure pénale qui précède la
phase de procès. Des informations sont également attendues à cet
égard.
2.2.2. Grèce
32. Deux grands domaines ont été relevés ces dernières
années en Grèce en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme:
- la durée excessive de la procédure et l’absence de recours
effectif;
- le recours à la force létale et à des mauvais traitements
par des membres des forces de l’ordre et l’absence d’enquête effective
sur ces abus.
33. Au cours de ma visite en Grèce, les 18 et 19 janvier 2010,
j’ai invité les parlementaires grecs à contrôler l’exécution des
arrêts de la Cour au sein du parlement et on m’a assuré qu’il en
serait ainsi
. Malheureusement, les autorités
grecques doivent toujours fournir des informations sur les progrès
éventuels dans ce domaine.
2.2.2.1. Durée excessive
de la procédure et absence de recours effectif
34. Dans l’affaire
Manios
c. Grèce et plusieurs
autres affaires similaires
, la Cour a
constaté des violations de l’article 6, paragraphe 1, en raison
de la durée excessive de la procédure devant des juridictions administratives,
civiles et pénales. Beaucoup de ces affaires concernent aussi l’absence
de recours interne effectif prévu par l’article 13 de la Convention
européenne des droits de l’homme.
35. C’est au sujet des juridictions administratives, et en particulier
du Conseil d’Etat, que la durée excessive de procédures suscite
les préoccupations les plus graves. Les autorités grecques ont réagi
positivement en adoptant la loi no 3659/2008, intitulée «Amélioration
et accélération de la procédure devant les juridictions administratives
et autres dispositions», qui est maintenant en vigueur. Ce texte
fait avant tout en sorte que les affaires qui soulèvent des questions
juridiques et les affaires répétitives soient entendues à titre
prioritaire dans un délai strict. De plus, la loi no 3772-2009 concernant
l’accélération de la procédure devant le Conseil d’Etat est récemment
entrée en vigueur.
36. Les autorités grecques espèrent que ces réformes réduiront
d’un an au moins la durée de la procédure devant les juridictions
administratives. Ces mesures adoptées sont des événements récents.
Il est donc impossible de tenter d’évaluer leur efficacité à l’heure
actuelle. C’est pourquoi il faudrait que les autorités grecques
fournissent des informations complémentaires sur la mise en œuvre
de ces réformes et sur l’état de la situation pour ce qui est de
la procédure devant les juridictions civiles et pénales.
37. Les insuffisances précitées sont aggravées par l’absence de
recours interne effectif, qu’il soit de nature compensatoire ou
préventive.
38. Un projet de loi intitulé «Indemnisation des parties en litige
en raison de la durée excessive de la procédure judiciaire», qui
prévoyait une voie de recours interne en indemnisation en cas de
durée excessive de la procédure, devait être soumis au Parlement
au cours de la session de l’été 2008. Malheureusement, il semble
que la procédure d’adoption de la loi n’ait pas progressé ces derniers
temps. Cette question devrait être abordée d’urgence par les autorités
grecques. La crise financière actuelle ne devrait pas les empêcher
de trouver les solutions à long terme requises.
2.2.2.2. Recours à la force
létale et à des mauvais traitements par des membres des forces de l’ordre
et absence d’enquête effective sur ces abus
39. L’affaire
Makaratzis c.
Grèce et d’autres
affaires similaires
concernent des violations de la Convention
qui découlent d’actions de fonctionnaires des forces de l’ordre
(violations matérielles et procédurales des articles 2 et 3). Elles
ont fait ressortir en particulier de graves insuffisances du cadre
législatif et administratif applicable à l’usage des armes à feu
et aux enquêtes portant sur les allégations de mauvais traitements
et de décès causés par la police
.
2.2.2.2.1.Absence de cadre législatif
et administratif approprié concernant l’usage des armes à feu et
les mauvais traitements subis par des personnes placées sous la
responsabilité de la police
40. Des mesures significatives ont été prises par les
autorités grecques pour mettre en place un cadre législatif efficace
applicable à l’usage de la force et des armes à feu par la police.
Une nouvelle loi concernant l’usage des armes à feu par la police
est entrée en vigueur en 2003. Elle définit les conditions précises
et strictes de l’usage des armes à feu par les fonctionnaires de
police et souligne que les armes à feu ne doivent servir qu’en dernier
ressort. De plus, le Code de conduite des fonctionnaires de police
de 2004 comporte des grands principes sur le bon comportement que
la police doit avoir face à la population conformément au droit international
relatif aux droits de l’homme. Toutefois, les événements qui se
sont produits en novembre 2006 à Thessalonique et en décembre 2009
à Athènes semblent montrer que la mise en pratique de ces mesures reste
insuffisante. Les autorités grecques devraient donc s’attacher davantage
à mettre pleinement en œuvre les textes précités.
2.2.2.2.2.Absence d’enquête
effective
41. L’adoption d’un nouveau Code disciplinaire en septembre
2008 constitue un progrès considérable en matière d’ouverture d’une
enquête effective en cas d’allégations selon lesquelles la police
aurait abusé de la force. Le nouveau code élargit surtout le champ
des actes qui sont considérés comme des infractions disciplinaires.
Il impose des sanctions plus lourdes en cas de torture et prévoit
l’examen obligatoire des plaintes portant sur des infractions disciplinaires
concernant des civils. De plus, des circulaires ont été diffusées
à l’ensemble des commissariats conformément aux conclusions de la
Cour dans l’arrêt Bekos et Koutropoulos: les fonctionnaires chargés
de l’enquête doivent vérifier si des motifs racistes ont joué un
rôle dans les affaires de recours disproportionné à des armes ou
de mauvais traitements.
42. Depuis 2005, une formation plus approfondie sur les questions
liées aux droits de l’homme a été offerte aux fonctionnaires de
police en service et nouvellement nommés. Un élément particulièrement
positif de ces développements est la création d’une commission chargée
d’élaborer des propositions concernant l’organisation et le contenu
de la formation sur les droits de l’homme destinée à la police.
En effet, on considère que les propositions de la commission aideront
les fonctionnaires à incorporer les principes relatifs aux droits de
l’homme dans la façon dont ils envisagent l’arrestation et l’interrogation
des suspects.
43. Les autorités grecques se sont engagées à créer dès que possible
une commission de trois membres indépendants pour évaluer l’opportunité
d’entamer de nouvelles enquêtes administratives à la suite d’un
arrêt de la Cour. Cette dernière n’a toujours pas été mise en place.
La question devrait être considérée comme prioritaire.
2.2.2.3. Observations complémentaires
2.2.2.3.1.Coordination intragouvernementale
44. Ainsi que je l’ai souligné lors de ma visite en Grèce
, les autorités grecques devraient
davantage s’efforcer de coordonner plus efficacement les différents
organes de l’Etat qui sont responsables de l’exécution des arrêts
de la Cour conformément aux exigences de la Recommandation CM/Rec(2008) 2
du Comité des Ministres sur des moyens efficaces à mettre en œuvre
au niveau interne pour l’exécution rapide des arrêts de la Cour
européenne de droits de l’homme.
2.2.2.3.2.Nouveaux problèmes
45. De nouveaux arrêts ont révélé d’autres problèmes
importants et/ou structurels en Grèce concernant par exemple les
conditions de détention des étrangers, les procédures d’asile
et la liberté d’association
. La mise en œuvre de ces arrêts
pourrait demander davantage d’attention à l’avenir. La déclaration
du Premier ministre devant l’Assemblée le 26 janvier 2010 – «nous
devrions exécuter toutes les décisions prises par le Conseil de
l’Europe et la Cour» – est prometteuse
.
2.2.3. Italie
46. En Italie, des questions anciennes concernant la
durée excessive de procédures judiciaires et l’absence de recours
effectif restent de loin les problèmes les plus urgents liés à l’exécution
des arrêts de la Cour. Cela étant dit, des faits récents, comme
l’expulsion de ressortissants étrangers en violation de mesures
provisoires indiquées par la Cour (violation des articles 3 et 34),
méritent d’être suivis avec beaucoup d’attention.
47. Au cours de ma visite en Italie en novembre 2009, j’ai invité
les membres de la Chambre des députés et du Sénat à œuvrer de concert
pour adopter l’ensemble des mesures nécessaires afin d’accélérer
la procédure civile et pénale
. Des informations sont attendues
sur les dernières mesures prises pour traiter ce grave problème.
Si aucune information n’est communiquée, j’inviterai le président
de la délégation parlementaire italienne à venir devant la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme afin d’expliquer
cette inactivité et les mesures futures envisagées. Par ailleurs,
étant donné la lenteur avec laquelle l’Italie se conforme aux arrêts
de la Cour, nous pourrions envisager d’inviter, le moment venu,
les ministres de la Justice et des Questions économiques à expliquer
devant la commission pourquoi l’Italie, qui est une démocratie avancée
et un membre fondateur du Conseil de l’Europe, n’est pas en mesure
de mettre de l’ordre chez elle depuis de longues années (n’est pas
disposée à le faire?), mettant ainsi en péril l’existence de notre système
unique de contrôle des droits de l’homme.
2.2.3.1. Durée excessive
de la procédure judiciaire et absence de recours effectif
2.2.3.1.1.Durée excessive de
la procédure judiciaire
48. L’affaire
Ceteroni c.
Italie et
plusieurs affaires similaires
révèlent un problème systémique
ou structurel sérieux concernant la durée excessive de procédures
judiciaires en Italie. Cette question est depuis longtemps l’un
des problèmes les plus délicats auxquels la Cour est confrontée.
Elle a fait l’objet de plusieurs résolutions finales et intérimaires
du Comité des Ministres
.
Dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)2, le Comité des Ministres
s’est félicité des progrès enregistrés dans ce domaine, mais il
a invité les autorités italiennes à «prendre des mesures interdisciplinaires»
pour élaborer une nouvelle stratégie efficace afin de remédier aux
retards considérables que connaît le système judiciaire italien.
49. Dans sa dernière résolution intérimaire (CM/ResDH(2009)42),
le Comité des Ministres a reconnu que des progrès avaient été faits
dans ce domaine. Un certain nombre de réformes législatives ont
notamment été adoptées pour accélérer les procédures civile et pénale.
En particulier, un projet de loi soumis au parlement est destiné
à accélérer le traitement des affaires civiles par le biais d’une
large réforme de la procédure civile. Il vise à réduire le nombre
de procès, à accélérer ceux qui sont en cours et à développer le
recours aux modes de règlement alternatifs des litiges. En dépit
de ces développements, la durée excessive des procédures pénales
et civiles reste toujours très problématique. Voilà pourquoi la
Résolution intérimaire CM/ResDH(2009)42 invite les autorités italiennes
à poursuivre leurs efforts pour accélérer la procédure civile et
à adopter des mesures ad hoc afin de réduire l’arriéré d’affaires
civiles et pénales en donnant la priorité à celles qui sont les
plus anciennes et à celles qui requièrent une «diligence particulière».
50. En ce qui concerne la procédure administrative, les mesures
législatives adoptées par les autorités italiennes ont eu un effet
mesuré sur la durée de ce type de procédures. Bien qu’il convienne
de saluer les évolutions de cette nature, il faut garder à l’esprit
le fait que la principale question relative aux affaires administratives
est l’arriéré des juridictions compétentes. Les autorités italiennes
ont adopté des mesures visant à réduire cet arriéré
. Elles
devraient intensifier leur action dans ce domaine.
51. En ce qui concerne les procédures de faillite
,
les autorités italiennes ont adopté d’importantes réformes législatives
destinées à accélérer la procédure et à simplifier diverses étapes
procédurales
. Les statistiques communiquées par les
autorités italiennes donnent à penser que, à la suite du lancement
des réformes, les demandes de mise en faillite et les déclarations
de faillite ont reculé de 40 % environ. Naturellement, cette évolution
est une bonne chose. Toutefois, les dernières en date des statistiques communiquées
montrent que la durée
des procédures de faillite est restée stable en 2007, soit neuf
ans environ. De plus, la durée des affaires pendantes avant l’entrée
en vigueur de la réforme, auxquelles celle-ci ne s’applique pas,
reste excessivement longue.
52. Plus généralement, les autorités italiennes ont adopté des
mesures destinées à améliorer l’organisation structurelle du système
judiciaire
. Certaines juridictions
ont considérablement réduit leur arriéré d’affaires et ont accéléré
les procédures par des améliorations de l’organisation et de la
gestion du travail
.
Le 19 mars 2009, le Comité des Ministres a invité les autorités
italiennes à assurer un partage de bonnes pratiques entre les tribunaux
et à adopter des mesures complémentaires pour renforcer l’efficacité
du système judiciaire.
2.2.3.1.2.Absence de recours
effectif
53. L’affaire
MostacciuoloGuiseppe c. Italie et plusieurs affaires similaires
portent sur l’insuffisance de la voie
de recours interne en cas de durée excessive de la procédure judiciaire
. Dans toutes ces affaires, la Cour
a jugé que le recours interne était ineffectif en raison d’un certain
nombre de facteurs: le montant de l’indemnisation octroyée par la
juridiction interne était bien inférieur au montant de la satisfaction
équitable accordée par la Cour dans des affaires semblables; certains
frais et droits obligatoires réduisaient le montant de l’indemnisation;
et le paiement de l’indemnisation faisait l’objet de retards inacceptables,
qui nécessitaient souvent le déclenchement d’une procédure d’exécution.
54. Les autorités italiennes ont fait des progrès pour assurer
une indemnisation suffisante. La Cour de cassation, réunie en formation
plénière
(in Sezioni Unite), a
souligné que les cours d’appel devaient se conformer à la jurisprudence
de la Cour lorsqu’elles appliquent la loi Pinto
.
La jurisprudence postérieure à ces décisions montre que la Cour
de cassation a tenu compte de la jurisprudence de la Cour pour ce
qui est du montant de l’indemnisation à octroyer dans les affaires
introduites en vertu de la loi Pinto
. Par ailleurs, les autorités italiennes
ont supprimé tous les frais de justice dans les procédures liées
à la loi Pinto
.
Ces faits nouveaux sont une bonne chose. Toutefois, la situation
actuelle doit être évaluée sur la base des informations, à fournir
par les autorités italiennes, concernant la pratique récente des
cours d’appel et de statistiques récentes sur la jurisprudence liée
à la loi Pinto.
55. Les retards de versement de l’indemnisation sont un problème
urgent qui doit être traité sans délai par les autorités italiennes.
Depuis 2007, plus de 500 requêtes concernant uniquement les retards
de versement de l’indemnisation en vertu de la loi Pinto ont été
communiquées au Gouvernement italien. Dans sa Résolution intérimaire
CM/ResDH(2009)42, le Comité des Ministres a invité les autorités
italiennes à modifier la loi Pinto «pour mettre en place un système
de financement permettant de régler les problèmes de retard de paiement des
indemnités accordées, de simplifier la procédure et d’étendre la
portée de la voie de recours de manière à y inclure des injonctions
permettant d’accélérer la procédure». La loi Pinto a été modifiée
par la suite par un projet de loi soumis au Parlement italien en
mars 2009 afin d’accélérer les procédures de cette nature. Des informations
sur l’état d’avancement de ce texte sont toujours attendues.
2.2.3.2. Un sujet de préoccupation
spécifique: l’expulsion de ressortissants étrangers
56. Il convient de suivre les récents arrêts de la Cour
contre l’Italie relatifs à des violations éventuelles et effectives
de l’article 3 – et des violations effectives de l’article 34 –
en raison de l’expulsion de ressortissants étrangers lorsqu’il y
a un risque réel que le requérant soit soumis à des mauvais traitements
dans le pays d’accueil. L’affaire
Saadi
c. Italie et
neuf affaires similaires
concernent le risque que les requérants
soient soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants
en Tunisie si des ordonnances d’expulsion prises à leur encontre
étaient exécutées. La Cour a jugé que, s’ils étaient expulsés en
Tunisie, les requérants couraient le risque réel d’être soumis à
un traitement contraire à l’article 3.
57. L’arrêt
Ben Khemais c. Italie concerne le constat d’une
violation des articles 3 et 34 à la suite de l’expulsion du requérant
vers la Tunisie. Dans cette affaire, les autorités italiennes ont
procédé à l’expulsion en dépit d’une mesure provisoire indiquée
par la Cour en vertu de l’article 39 de son Règlement selon laquelle l’expulsion
devait être ajournée jusqu’à ce que la Cour ait examiné l’affaire.
Malheureusement, les autorités italiennes ont continué, à trois
reprises depuis le prononcé de l’arrêt, d’expulser des requérants
en violation de mesures provisoires indiquées par la Cour
.
58. Dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2010)83
,
le Comité des Ministres a rappelé que l’article 34 de la Convention
obligeait les Etats à se conformer aux mesures provisoires indiquées
conformément à l’article 39 du Règlement de la Cour et il a souligné
«l’importance fondamentale» de le faire. Le défaut de se conformer
aux mesures provisoires dans ce contexte constitue un sérieux obstacle
au droit de pétition individuelle du requérant et porte gravement
atteinte à l’efficacité du système de protection établi par la Convention.
La jurisprudence récente sur la question où les tribunaux ont fait
référence à l’arrêt Saadi, à la nature absolue de l’article 3 et
au caractère contraignant des mesures provisoires ainsi que la circulaire adressée
le 27 mai 2010 à tout le système judiciaire par le ministère de
la Justice constituent une évolution positive vers la pleine exécution
de l’arrêt Ben Khemais. Toutefois, il est essentiel que les autorités
italiennes continuent de prendre des mesures d’urgence pour faire
en sorte que les mesures provisoires indiquées par la Cour soient
prises en considération afin de prévenir toute future violation
de cette sorte.
2.2.3.3. Remarques complémentaires
59. En Italie, la pratique appelée «expropriation indirecte»
donne aussi lieu à des problèmes
.
Dans l’arrêt
Belvedere Alberghiera SRL
c. Italie et plusieurs affaires similaires
, la
Cour a constaté des violations de l’article 1er du Protocole no 1
en raison du recours à cette pratique. Les autorités italiennes
ont adopté des mesures législatives pour régler le problème
et les
juridictions compétentes ont interprété la nouvelle législation
conformément à la Convention
.
Bien qu’il ait salué ces progrès dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH(2007)3,
le Comité des Ministres attend maintenant des informations pour
savoir si la pratique des expropriations indirectes a diminué ou
a cessé, ainsi que des informations sur l’effet dissuasif de la
loi no 296-2006 qui permet de déduire du budget de l’administration
responsable le coût de l’indemnisation de l’occupation illégale
d’un terrain. Gardant ces points à l’esprit, il a exhorté les autorités
italiennes à poursuivre leurs efforts pour donner directement effet
aux arrêts de la Cour en assurant leur exécution dans tout le système
judiciaire italien et il a encouragé les autorités italiennes à
prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la pratique
des «expropriations indirectes».
2.2.4. Moldova
60. Les principales questions concernant la Moldova peuvent
se résumer ainsi:
- non-exécution
de décisions de justice internes;
- détention provision illégale;
- mauvais traitements infligés par la police;
- mauvaises conditions de détention en maison d’arrêt et
en prison.
61. Ma visite en Moldova, les 3 et 4 mai 2010, a donné lieu à
des discussions avec plusieurs hauts responsables
. Elle a montré que les autorités
avaient la volonté politique de remédier aux principaux sujets de
préoccupation, mais qu’il y avait encore beaucoup de chemin à parcourir.
Le parlement doit jouer davantage son rôle pour veiller à ce que
des solutions soient trouvées. J’invite le ministre de la Justice
et le président de la délégation parlementaire moldove à venir devant
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
et à expliquer ce qui a été fait pour renforcer la participation
du parlement au processus d’exécution, et ce qui est prévu à l’avenir.
2.2.4.1. Non-exécution de
décisions de justice internes
62. Si l’on en juge par le nombre de requêtes pendantes
devant la Cour, la non-exécution de décisions judiciaires définitives
a été le principal problème pour la Moldova. Le groupe d’affaires
relatives à «la non-exécution de décisions concernant des logements
sociaux» représente 50 % environ de l’ensemble des requêtes portant
sur la non-exécution de décisions et reflète le défaut des autorités
locales de se conformer à des décisions judiciaires définitives
accordant aux requérants un droit au logement ou une indemnité pour réparer
le rejet de ce droit. Face à cette situation, la Cour a rendu, le
6 avril 2010, un «arrêt pilote» dans l’affaire
Olaru et autres c. Moldova .
63. Il semblerait que ce problème particulier ne se pose plus
depuis que les privilèges liés aux logements sociaux ont été supprimés
immédiatement après l’arrêt pilote. Les questions restantes seront
aussi résolues par l’instauration d’une voie de recours interne
pour les cas de non-exécution de décisions de justice internes. Bien
que les autorités de Moldova semblent être attachées à exécuter
l’arrêt pilote
et que des projets de loi soient
en préparation, les difficultés politiques que connaît le pays ont
conduit récemment à la dissolution du parlement. Le processus d’adoption
des projets de lois s’est donc interrompu jusqu’à ce que le nouveau parlement
soit élu, le 28 novembre 2010. La réforme, qui devait être adoptée
rapidement, est donc ajournée. Bien que ce soit là des circonstances
imprévues, il convient de noter que le premier délai fixé par la
Cour pour cette voie de recours est passé et que le second est proche
de l’échéance.
2.2.4.2. Détention provisoire
illégale
64. Un autre groupe d’affaires important concerne diverses
violations de l’article 5 de la Convention pour ce qui est de l’arrestation
et de la détention provisoire. Un certain nombre de modifications
législatives ont été apportées au Code de procédure pénale pour
combler les lacunes révélées par les arrêts de la Cour. Les modifications
ont été complétées par diverses mesures prises par la Cour suprême
de justice et par le bureau du procureur général. Cependant, il
semblerait bien que le problème soit toujours lié à la mentalité
des juges et des procureurs.
65. Ces questions ont été abordées lors de la table ronde organisée
par le Service du Conseil de l’Europe chargé de l’exécution des
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme les 9 et 10 décembre
2009 à Varsovie
. Les Etats participants ont été
invités à soumettre au Comité des Ministres un plan d’action sur l’exécution
des arrêts pertinents de la Cour. Les autorités de Moldova doivent
toujours fournir ce plan.
2.2.4.3. Mauvais traitements
infligés par la police
66. Dans un certain nombre d’arrêts, la Cour a constaté
des violations de l’article 3 de la Convention en raison de mauvais
traitements subis par les requérants placés en garde à vue et de
l’absence d’enquête effective à cet égard
.
67. Depuis les événements décrits dans les arrêts, les autorités
de Moldova ont adopté un certain nombre de mesures, notamment en
réponse aux préoccupations exprimées par le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT). Le Code pénal a été modifié et, en 2006, un
Code de déontologie de la police a été approuvé par le gouvernement.
Toutefois, il semble que la plupart des recommandations du CPT n’aient
pas été mises en œuvre
. Aucune stratégie claire n’a été élaborée
par les autorités pour ce faire; la question mérite une attention
urgente.
68. De plus, l’efficacité des mesures adoptées pour renforcer
la responsabilité des fonctionnaires de police en cas de mauvais
traitements reste problématique: il semble bien qu’il existe une
certaine impunité en cas de mauvais traitements causés par des services
de maintien de l’ordre
. Un plan d’action est attendu
pour l’exécution de cet arrêt.
2.2.4.4. Mauvaises conditions
de détention
69. Un autre groupe d’affaires porte sur les mauvaises
conditions de détention provisoire des requérants en raison notamment
de l’absence d’exercice à l’extérieur, du manque de nourriture,
de la présence d’insectes parasites, du manque d’accès à la lumière
du jour ou à l’électricité, de l’exposition à la fumée de cigarette,
etc.
et
de l’absence de recours effectif à cet égard
. Un certain nombre d’affaires soulèvent
aussi la question essentielle de l’accès des détenus à des soins
médicaux satisfaisants
.
70. L’essentiel du cadre juridique applicable au système pénitentiaire,
y compris les conditions de détention, a été modifié par le nouveau
Code d’exécution des peines, entré en vigueur le 1er juillet 2005
et par d’autres textes de loi récents. Toutefois, il reste beaucoup
à faire. Le CPT a notamment encouragé les autorités de Moldova à
poursuivre leur action dans cette direction
.
71. En ce qui concerne l’existence de «recours effectifs», une
Commission des plaintes, organisme indépendant chargé d’examiner
les plaintes des détenus, a été créée. De plus, dans une décision
du 19 juin 2000, la Cour suprême de justice a précisé que, lorsque
le cadre juridique interne ne prévoit pas de droit à un recours
effectif contre un droit consacré par la Convention, la juridiction
compétente doit appliquer directement les dispositions de la Convention,
que ce soit dans des procédures civiles ou pénales. Cependant, aucun
exemple concret de jurisprudence interne ni de fonctionnement de
la Commission des plaintes n’a été porté à l’attention du rapporteur.
2.2.4.5. Sujets de préoccupation
particuliers
72. L’affaire Cebotari suscite des préoccupations particulières.
En l’espèce, la Cour a constaté une violation de l’article 18 combiné
à l’article 5 en raison du recours à des poursuites pénales pour
dissuader le requérant de poursuivre la procédure engagée devant
elle. La Cour a aussi établi que les autorités moldoves avaient empêché
le requérant de signer le dossier de requête qui devait être envoyé
à la Cour.
73. Cette affaire doit être examinée avec l’affaire
Oferta Plus S.R.L. c. Moldova . Dans cette dernière affaire, la
Cour a établi des violations du droit de la société requérante à
une audition équitable et au respect de ses biens en raison de la
non-exécution pendant trois ans d’une décision de justice définitive
rendue en sa faveur en 1999, suivie par l’extension injustifiée
du délai reconnu à la partie adverse pour interjeter appel et la cassation
viciée de la décision définitive en violation du principe de sécurité
juridique. Elle a aussi établi une violation du droit de pétition
individuelle de la société requérante. De plus, alors que la question
de la satisfaction équitable était pendante devant la Cour européenne
des droits de l’homme, la Cour suprême de justice, tout en révoquant
l’annulation de la décision de 1999, a ordonné – en 2007 – de ne
jamais exécuter cette décision. Dans son arrêt au titre de l’article 41
(satisfaction équitable) rendu le 12 février 2008, la Cour européenne
des droits de l’homme s’est dite profondément préoccupée de voir
que, en dépit de sa jurisprudence abondante et de ses conclusions
dans l’arrêt au principal, la Cour suprême de justice avait adopté
une solution qui, une fois encore, ne respectait pas la finalité
de la décision de 1999.
74. Dans une autre affaire, la Cour a établi une violation du
droit de pétition individuelle du requérant en raison de menaces
du procureur général contre l’avocat de celui-ci parce qu’il s’était
plaint auprès d’organisations internationales
. Cette situation est manifestement
inacceptable et suppose une réaction énergique des autorités. Des
informations sont attendues à cet égard.
2.2.5. Pologne
75. En Pologne, les difficultés liées à l’exécution des
arrêts de la Cour apparaissent surtout dans deux domaines:
- la durée excessive de la procédure
et l’absence de recours effectif;
- la durée excessive de la détention provisoire.
2.2.5.1. Durée excessive
de la procédure et absence de recours effectif
76. Dans les affaires
Podbielski
c. Pologne ,
Kudla
c. Pologne ,
Fuchs c. Pologne et plusieurs affaires similaires
,
la Cour a constaté des violations de l’article 6, paragraphe 1,
en raison de la durée excessive de la procédure devant des juridictions
civiles, pénales et/ou administratives. Beaucoup de ces affaires concernent
également l’absence de recours interne effectif, en dépit de ce
qu’exige l’article 13 de la Convention. Les affaires du groupe Fuchs
portent aussi sur la durée excessive de procédures devant des organes
administratifs.
77. Les autorités polonaises ont adopté un certain nombre de réformes
visant à réduire la durée de la procédure devant les juridictions
civiles, pénales et administratives afin de traiter les graves problèmes
qui existaient dans ce domaine
. Ces réformes comprennent
surtout des modifications législatives, l’instauration de mesures
administratives et structurelles pour améliorer les capacités et
l’efficacité du système judiciaire, une augmentation des crédits
budgétaires affectés aux tribunaux de droit commun, la rénovation
et l’augmentation du nombre des locaux et le développement de l’informatisation
des tribunaux
.
78. Les statistiques les plus récentes sur la durée excessive
de la procédure fournies par les autorités polonaises donnent à
penser qu’il subsiste des problèmes considérables. Les chiffres
communiqués, qui portent sur l’ensemble de l’année 2008, indiquent
une augmentation des nouvelles affaires civiles engagées et de l’arriéré
des tribunaux. De même, les statistiques concernant les affaires
pénales révèlent que la durée moyenne des procédures pénales a augmenté
en 2008. Etant donné que les dernières statistiques en date remontent
à 2008, il serait impératif que les autorités polonaises communiquent
des données à jour sur la question. De plus, il conviendrait de
réfléchir et de prendre des mesures en vue d’une réforme destinée
à accélérer la procédure devant les organes administratifs.
79. A la suite de l’arrêt
Kudla c.
Pologne, le Parlement polonais a adopté en 2004 une loi
sur les plaintes pour une durée excessive de la procédure judiciaire,
qui autorise les parties en litige à demander l’accélération de
la procédure et à réclamer des dommages pour le préjudice causé
par la durée excessive de celle-ci. En 2005, la Cour a déclaré que
deux affaires polonaises
étaient irrecevables parce que les
requérants ne s’étaient pas prévalus de la loi de 2004, alors que
celle-ci aurait mis à leur disposition un recours effectif. Cela dit,
les décisions ultérieures de la Cour ont fait ressortir des difficultés
considérables dans l’application de la loi de 2004
.
Des modifications de cette dernière, entrées en vigueur en mai 2009,
visent à introduire un recours effectif contre la durée excessive
de l’enquête et prévoient que les tribunaux doivent obligatoirement accorder
des dommages forfaitaires si la plainte est justifiée.
80. Ces faits nouveaux montrent que des progrès ont été accomplis
dans ce domaine et sont une bonne chose. Pour que leur efficacité
puisse être évaluée, il faudrait que les autorités polonaises fournissent
des statistiques récentes sur la mise en œuvre de ces mesures.
2.2.5.2. Durée excessive
de la détention provisoire
81. L’affaire
Trzaska c. Pologne et
plusieurs affaires similaires
concernent la durée excessive de
la détention provisoire des requérants dans la mesure où les motifs
avancés par les juridictions internes pour justifier la détention
ne pouvaient être considérés comme «pertinents et suffisants» selon
la jurisprudence de la Cour.
82. Des mesures législatives qui restreignent les conditions auxquelles
la détention provisoire peut être ordonnée ont été instaurées lors
de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale en septembre 1998.
A la suite des arrêts de la Cour constitutionnelle polonaise de
juillet 2006, des modifications complémentaires ont été adoptées
pour limiter davantage les motifs pour lesquels une détention provisoire prolongée
peut être ordonnée
.
83. De plus, les autorités polonaises ont pris des mesures pour
sensibiliser davantage les magistrats aux arrêts de la Cour dans
ce domaine. Le ministère de la Justice a pris contact avec l’ensemble
des présidents de cours d’appel et leur a diffusé une analyse de
la jurisprudence de la Cour concernant les conditions auxquelles
doivent répondre les motifs justifiant le placement d’un particulier
en détention provisoire.
84. Les statistiques fournies par les autorités polonaises sont
encourageantes dans la mesure où les données pour 2008 montrent
une tendance au recul du nombre de détentions prolongées. Toutefois,
le nombre d’arrêts de la Cour constatant des violations de l’article 5, paragraphe
3, a augmenté. En fait, dans l’arrêt
Kauczor
c. Pologne prononcé en février 2009, la Cour
a affirmé que, bien qu’il convienne de saluer les efforts déployés
par les autorités polonaises, «le nombre d’affaires élevé» a montré
que la durée excessive de la détention provisoire faisait ressortir
un problème structurel persistant en Pologne
. De plus, il convient de poursuivre la réflexion
et d’envisager des mesures au sujet de la réforme destinée à accélérer
les procédures devant les organes administratifs.
85. Bien que des progrès aient été enregistrés, certaines questions
doivent encore être abordées. Les autorités polonaises devraient
garder cela à l’esprit et poursuivre leur action en adoptant d’autres
mesures à long terme afin de remédier aux problèmes.
2.2.5.3. Questions restantes/nouveaux
problèmes
86. Le groupe d’affaires Kaprykowski et Orchowski/Norbert
Sikorski concerne les mauvaises conditions de détention, en particulier
la surpopulation et l’absence de traitement médical satisfaisant
de détenus nécessitant des soins spéciaux en raison de leur état
de santé. La Cour a insisté sur la nature structurelle du problème: environ
160 affaires concernant des faits analogues étaient pendantes devant
elle au moment des arrêts Orchowski et Norbert Sikorski (22 octobre
2009). Elle a exhorté les autorités polonaises à prendre les mesures législatives
et administratives nécessaires pour assurer des conditions de détention
appropriées. Elle a reconnu que, pour régler le problème de la surpopulation
carcérale, il faudrait peut-être mobiliser des ressources financières
importantes et a conclu que si l’Etat n’était pas en mesure de faire
en sorte que l’état de ses prisons soit conforme aux exigences de
l’article 3 il devait abandonner sa politique pénale stricte ou mettre
en place un système de peines alternatives. La Cour a aussi encouragé
la Pologne à mettre en place un système efficace de traitement des
plaintes adressées aux autorités qui surveillent les lieux de détention.
87. Les autorités ont entamé des réformes législatives. En particulier,
une modification du Code d’exécution des peines est en cours d’adoption.
Elle est destinée à permettre l’exécution de l’arrêt de la Cour constitutionnelle
qui a jugé contraire à la Constitution la disposition en vertu de
laquelle il est possible d’imposer aux détenus des conditions où
l’espace vital par personne est inférieur à 3 m2. Parallèlement,
la commission centrale des prisons s’efforce de rationaliser le
système de soins de santé des personnes privées de liberté. Toutefois,
il reste à soumettre les résultats matériels des réformes au Comité
des Ministres, qui a suivi de près la question et qui a vivement
encouragé les autorités à poursuivre leur action afin de remédier
au problème structurel révélé par ces arrêts.
88. Dans l’affaire Bączkowski et autres c. Pologne
, la Cour a établi une violation
du droit à la liberté de réunion en raison de refus qui «n’étaient
pas prévus par la loi» de tenir des manifestations contre des discriminations
visant des minorités. En 2005, le maire de Varsovie avait exprimé,
dans une interview à un journal national, un avis personnel tranché
sur la liberté de réunion et la «propagande concernant l’homosexualité».
Il avait déclaré qu’il refuserait d’autoriser les manifestations.
La Cour a pris note de l’absence de recours effectif contre ces
refus et leur caractère discriminatoire.
89. Cet arrêt sensible doit toujours être exécuté. En particulier,
aucun recours effectif contre le refus des autorités locales d’autoriser
la tenue de manifestations n’a été mis en place jusqu’ici.
90. Le groupe d’affaires Matyjek
concerne l’iniquité de la procédure
de
lustration: les requérants,
des députés, des avocats et des juges, avaient été reconnus coupables
d’avoir collaboré avec les services secrets communistes, puis d’avoir
menti dans leur déclaration sur le sujet. La Cour a critiqué en
particulier le fait que l’accès aux dossiers classés «confidentiels»
soit restreint. Elle a jugé que les requérants ne disposaient pas d’un
recours effectif pour contester le cadre légal qui définissait les
caractéristiques de la procédure de
lustration.
91. A ce jour, les autorités polonaises n’ont pris aucune mesure
pour remédier à ces violations. Elles n’ont pas fait savoir, en
particulier, si les restrictions à l’accès aux dossiers s’appliquent
toujours aux personnes qui sont dans la situation des requérants.
L’exécution de ces arrêts devient d’autant plus urgente que des
affaires similaires sont pendantes devant la Cour.
2.2.6. Roumanie
92. En Roumanie, les problèmes concernant l’exécution
des arrêts de la Cour se rencontrent dans quatre grands domaines:
- le défaut de restituer ou d’indemniser
des biens nationalisés;
- la durée excessive de la procédure judiciaire et l’absence
de recours effectif;
- la non-exécution de décisions de justice internes;
- les mauvaises conditions de détention.
93. Au cours de ma visite de mai 2010 en Roumanie, j’ai exhorté
le parlement à poursuivre ses efforts pour améliorer le suivi de
l’exécution des arrêts de la Cour et l’on m’a assuré que ce serait
fait
. A cet égard, il convient de relever
qu’en 2007 la Chambre des députés roumaine a créé une sous-commission
de sa commission des questions juridiques et des droits de l’homme
et l’a spécifiquement chargée de superviser l’exécution des arrêts
de la Cour. Cette décision marque un réel progrès dans ce domaine
et fait de la Roumanie l’un des quelques Etats parties à avoir créé
un tel organe. J’espère que je recevrai des informations sur le
travail de la nouvelle sous-commission, d’autant plus qu’elle est
présidée par un membre de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme de notre Assemblée.
2.2.6.1. Défaut de restituer
ou d’indemniser des biens nationalisés
94. Les affaires
Străin et
autres c. Roumanie ,Viasu
c. Roumanie et
plusieurs affaires similaires
concernent le défaut de restituer
ou d’indemniser des biens nationalisés (violations de l’article 1er
du Protocole no 1). Les questions soulevées dans ces affaires révèlent
un problème systémique en Roumanie; en effet, étant donné le nombre
de requêtes dans ce domaine, la Cour a recouru à la procédure de
l’arrêt pilote pour deux affaires soulevant les mêmes questions
.
95. Dans l’affaire Viasu c. Roumanie, la
Cour a fait observer que ce problème structurel provient d’une législation
et de pratiques administratives déficientes en Roumanie. De plus,
elle a souligné que les autorités roumaines devaient veiller, par
des mesures juridiques et administratives appropriées, à l’exécution
effective et rapide du droit à la restitution ou à l’indemnisation
conformément aux principes prévus par l’article 1er du Protocole
no 1 et à la jurisprudence qu’elle avait établie.
96. Les autorités roumaines ont adopté des mesures positives dans
ce domaine afin d’améliorer le mécanisme d’indemnisation. L’Ordonnance
gouvernementale no 81-2007 vise à rendre plus efficace le traitement
des recours en indemnisation dans ces affaires et à l’accélérer.
Elle prévoit que les requérants bénéficieront de titres d’indemnisation
revêtant la forme soit de parts du Fonds immobilier, soit d’indemnités pécuniaires.
Les autorités roumaines prennent maintenant des mesures pour évaluer
le fonds et l’introduire en Bourse.
97. En février 2010, elles ont soumis au Comité des Ministres,
à sa demande, un plan d’action sur les mesures prises ou envisagées
pour améliorer encore le mécanisme actuel de restitution. Bien que
ce soit là une bonne chose, les autorités roumaines devraient présenter
un bilan d’action global sur les mesures prises à ce jour, en particulier
des statistiques relatives à l’état d’avancement actuel du processus
d’indemnisation pour permettre d’évaluer pleinement la situation
et la pertinence des mesures proposées. J’ai mis l’accent sur ce
point lors de ma visite en Roumanie, surtout en ce qui concerne
la nécessité d’évaluer le montant spécifique des créances immobilières.
2.2.6.2. Durée excessive
de la procédure judiciaire et absence de recours effectif
98. Les affaires
Nicolau c.
Roumanie ,Stoianova
et Nedelcu c. Roumanie et plusieurs affaires
similaires
concernent la durée excessive de
la procédure devant les juridictions civiles et pénales; certaines
affaires portent aussi sur l’absence de recours interne effectif.
99. S’agissant de la procédure pénale, la plupart des affaires
ont été traitées en moins de six mois selon les chiffres collectés
par le Conseil supérieur de la magistrature; il a fallu plus d’un
an uniquement pour seulement 3 % d’entre elles. Par ailleurs, les
inspecteurs du Conseil supérieur de la magistrature surveillent
depuis 2005 le respect par les tribunaux des délais recommandés
pour les procès pénaux et, si nécessaire, des sanctions disciplinaires
sont prises. Enfin, le ministère de la Justice a adopté un nouveau
Code de procédure pénale comprenant une série de mesures qui devraient
contribuer à l’accélération de la procédure. Ce code devrait entrer
en vigueur en 2011.
100. En ce qui concerne la procédure civile, les informations communiquées
par les autorités roumaines donnent à penser que, en vertu de projets
de modifications législatives, il ne sera plus possible d’ajourner
des audiences parce qu’il n’a pas été possible de le notifier formellement
aux parties, s’il est clair que celles-ci ont déjà pleinement connaissance
des dates en question, puisqu’elles étaient présentes aux audiences antérieures.
Des informations sur l’effet des mesures qui ont déjà été prises
sont attendues, outre des renseignements sur l’avancement des mesures
proposées pour remédier à la durée excessive de la procédure.
101. Selon les informations communiquées par les autorités roumaines
en décembre 2008, une procédure permettant aux parties de contester
la durée excessive sera instaurée par le nouveau Code de procédure civile.
Par ailleurs, les autorités roumaines ont organisé en avril 2006,
en collaboration avec la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise), une conférence sur les recours
éventuels concernant la durée excessive de procédures. Les autorités,
qui ont tenu compte des conclusions d’une étude publiée par la Commission
de Venise, ont l’intention d’envisager l’adoption de solutions éventuelles
au problème. Des informations sur l’évolution de la situation dans
ce domaine sont toujours attendues.
2.2.6.3. Non-exécution de
décisions de justice internes
102. La non-exécution de décisions de justice définitives
imposant des obligations aux pouvoirs publics
reste un sujet de préoccupation.
Actuellement, le Comité des Ministres est saisi de plus d’une centaine d’affaires
concernant cette question.
103. Bien que les autorités roumaines aient fourni des informations
sur l’existence d’une législation destinée à inciter les pouvoirs
publics à se conformer aux décisions de justice internes
,
les autorités doivent toujours communiquer des renseignements sur
les effets pratiques de ces mesures. Par ailleurs, il faudrait toujours qu’elles
fassent savoir si, selon elles, les violations établies par la Cour
dans ces affaires révèlent un problème structurel et si elles envisagent
de prendre aujourd’hui ou à l’avenir des mesures afin de garantir
l’exécution sans délai des décisions de justice internes définitives.
2.2.6.4. Mauvaises conditions
de détention
104. Les affaires
Bragadireanu
c. Roumanie et
Petrea c. Roumanie concernent le traitement
inhumain et dégradant subis par les requérants lors de leur détention.
Cette conclusion était due en particulier à la surpopulation carcérale
et au manque d’équipements nécessaires pour suivre l’état de santé
de l’un des requérants (violations de l’article 3). Dans l’affaire
Bragadireanu, la Cour s’est référée
aux conclusions du CPT selon lequel, quand ils étaient combinés,
des facteurs comme la surpopulation, le manque d’activité et l’accès insuffisant
à des installations sanitaires «pouvaient être extrêmement néfastes
aux détenus»
. En conséquence,
les autorités roumaines sont invitées à fournir des informations
sur les mesures prises ou envisagées pour éviter de futures violations
résultant de mauvaises conditions de détention.
2.2.6.5. Sujet de préoccupation
spécifique: Rotaru c. Roumanie
105. L’affaire
Rotaru c. Roumanie concerne une violation du
droit au respect de la vie privée du requérant en raison de l’absence
de garanties juridiques suffisantes contre la façon abusive avec
laquelle les services de renseignements roumains collectent, conservent
et traitent les informations. Elle porte aussi sur une violation
du droit du requérant à un recours effectif.
106. Dans sa Résolution intérimaire ResDH(2005)57, le Comité des
Ministres a bien pris note de progrès réalisés dans ce domaine,
mais il a souligné que les autorités n’avaient toujours pas remédié
à plusieurs carences relevées par la Cour, en particulier la procédure
à suivre pour avoir accès aux archives des services de renseignements
roumains, l’absence de réglementation concernant la durée pendant
laquelle des informations pouvaient être conservées, et l’impossibilité
de contester la conservation d’informations. Les autorités roumaines
ont été invitées à adopter rapidement les réformes législatives
nécessaires pour remédier aux carences relevées par la Cour.
107. Bien qu’il convienne de saluer les informations fournies sur
la réforme législative, une dizaine d’années sont maintenant passées
depuis l’arrêt de la Cour. Dans ces conditions, il serait essentiel
que les autorités roumaines mettent en œuvre cette réforme législative
sans plus de délai.
2.2.7. Fédération de Russie
108. Sur les 126 200 affaires pendantes devant la Cour,
35 400 ont trait à la Fédération de Russie (28,1 %)
. Sur les 737 affaires concernant
la Fédération de Russie pendantes devant le Comité des Ministres,
92 % sont des affaires «clones». La plupart de ces affaires ont
trait aux problèmes systémiques suivants:
- non-exécution de décisions de justice internes;
- violation du principe de sécurité juridique en raison
de l’annulation de décisions judiciaires définitives par la «procédure
de contrôle en vue de la révision»;
- conditions inacceptables de la détention provisoire, en
particulier dans les maisons d’arrêt;
- durée excessive de la détention provisoire et absence
de raisons pertinentes et suffisantes pour la justifier;
- torture et mauvais traitements en garde à vue et absence
d’enquête interne effective à ce sujet.
109. L’action des forces de sécurité en République tchétchène demeure
aussi l’un des principaux problèmes auxquels le Conseil de l’Europe
se heurte, comme l’a expliqué notre collègue, M. Dick Marty, dans
son rapport sur les recours juridiques face aux violations des droits
de l’homme dans le Caucase du Nord
. Dans sa recommandation du 22 juin 2010,
l’Assemblée a notamment invité le Comité des Ministres à prêter
la plus haute attention à l’évolution de la situation des droits
de l’homme dans le Caucase du Nord
.
110. La plupart des problèmes dans la Fédération de Russie (à l’exception
importante des abus commis par les forces de sécurité en République
tchétchène – voir ci-dessous) ont essentiellement trait aux constatations faites
par la Cour en 2002 et 2003
.
Cette situation peu satisfaisante est illustrée par la non-exécution
de décisions judiciaires internes. Dans son premier arrêt rendu
dans l’affaire
Burdov c. Russie en
2002, la Cour a constaté une violation de la Convention au motif
de la non-exécution d’une décision judiciaire interne accordant
des prestations sociales à une victime de Tchernobyl. En janvier 2009,
face à l’afflux constant de requêtes analogues, la Cour a dû réagir
à cette situation en rendant un arrêt pilote dans l’affaire du même M. Burdov,
sept ans après le premier.
111. Cela dit, il faut reconnaître qu’un grand nombre de réformes
ont été adoptées ou sont en cours; dans la réalité toutefois, ces
réformes ne semblent pas encore produire l’effet désiré, comme le
montre le nombre de requêtes pendantes devant la Cour.
2.2.7.1. Non-exécution de
décisions de justice internes
112. La non-exécution ou l’exécution tardive de décisions
de justice internes rendues contre l’Etat et des entités publiques
a été l’un des principaux problèmes systémiques relevés à Strasbourg
(plus de 40 % des requêtes recevables). Les autorités russes ont
reconnu ce problème et prennent actuellement des mesures pour trouver
des solutions adaptées
.
Cela étant, comme le Comité des Ministres l’a reconnu dans une résolution
intérimaire
,
le problème est loin d’être réglé.
113. Face à cette situation et comme cela est expliqué ci-dessus,
la Cour a adopté un arrêt pilote dans l’affaire
Burdov c. Russie (no 2) . Un
délai de six mois a été accordé aux autorités russes pour qu’elles instaurent
une voie de recours interne en cas de non-exécution des décisions
judiciaires internes et une année leur a été accordée pour régler
toutes les requêtes analogues pendantes devant la Cour.
114. Le recours a été introduit le 4 mai 2010. Bien que cette réforme
ait été adoptée en dehors des délais fixés par la Cour
,
elle représente une mesure positive
.
Dans ces conditions, on ne peut qu’espérer que les autres problèmes
à l’origine de la non-exécution de décisions de justice internes
seront au bout du compte réglés par les autorités russes avec le
même succès
.
2.2.7.2.Violation du principe
de sécurité juridique en raison de l’annulation de décisions judiciaires
définitives par l’intermédiaire de la procédure de contrôle en vue
de révision
115. La procédure de contrôle en vue de révision
(nadzor), en application du Code
de procédure civile, est un problème structurel endémique qui constitue
une violation de l’article 6, paragraphe 1, comme la Cour l’a déclaré
dans l’affaire
Ryabykh c. Russie ,
et
a été à l’origine de très nombreuses affaires «clones». Dans l’affaire
Ryabykh, l’arrêt rendu en 2003 n’a
toujours pas été exécuté sept ans plus tard
.
116. Il est capital de réformer cette procédure pour deux raisons:
garantir la légitimité et la crédibilité de l’ensemble du système
judiciaire russe et réduire le flux de requêtes devant la Cour en
prévoyant une voie de recours que les citoyens russes doivent épuiser
avant de pouvoir saisir la Cour (actuellement les citoyens russes
peuvent saisir la Cour après le deuxième niveau de juridiction).
Dans ce contexte, il convient de noter que le contrôle en vue de
révision prévu par le Code de procédure commerciale a été jugé conforme
à la Convention par la Cour
, ce qui peut expliquer le très faible
nombre de requêtes concernant des juridictions commerciales.
117. Quant à l’annulation de décisions judiciaires définitives
par la procédure de nadzor, les
autorités russes semblent conscientes de l’importance de ce problème.
Depuis l’arrêt Ryabykh, elles ont déjà mis en œuvre deux réformes
en vue de rendre cette procédure conforme aux exigences de la Convention.
La Cour a jugé ces réformes insuffisantes pour régler le problème
dans l’affaire Martynets c. Russie. Une
troisième réforme, qui vise à mettre en place des juridictions d’appel
dans le système des juridictions russes de droit commun et donc
à limiter le recours à la procédure de contrôle en vue de révision,
est actuellement pendante devant le parlement. On ne verra pas les
résultats de cette réforme à court terme – 2012 est la date prévue
–, mais, étant donné les enjeux à la fois pour les citoyens russes
et pour le mécanisme conventionnel, je me dois d’appeler les autorités
russes à faire de cette réforme une priorité politique absolue et
à prendre les mesures globales appropriées pour que cette réforme
permette au bout du compte de mettre cette procédure en conformité
avec les exigences de la Convention.
2.2.7.3.Mauvaises conditions
et durée excessive de la détention provisoire
118. L’affaire
Kalashnikov
c. Russie a fait apparaître un problème systémique
dans les maisons d’arrêt lié à un manque cruel d’espace et à une
combinaison d’autres facteurs (dont l’absence d’un «coin toilette»
privé, des problèmes de ventilation, le manque d’accès à la lumière
naturelle et l’absence d’installations sanitaires de base). De nouveau,
huit ans se sont écoulés depuis cet arrêt accablant et aucun progrès
significatif n’a été enregistré
.
119. Les statistiques communiquées par les autorités russes sur
les conditions matérielles de la détention à la suite de la rénovation
des maisons d’arrêt ou de la construction de nouveaux centres sont
trompeuses. L’espace moyen par détenu est passé à 4,85 m2, mais
ce chiffre montre, par définition, que de très nombreux détenus
vivent dans des conditions jugées inacceptables par le CPT
.
En 2008, le pourcentage de prévenus vivant dans des conditions «satisfaisantes»
n’était que de 54 % (10 % de moins que le pourcentage prévu par les
autorités russes) et, en raison des coupes budgétaires de 2009,
le programme fédéral de réforme du système pénitentiaire était au
point mort.
120. En tout état de cause, se contenter de construire davantage
de maisons d’arrêt ne permet pas de résoudre le problème fondamental
qui réside dans la condamnation inutile à la détention provisoire,
d’où une surpopulation carcérale. Ce problème systémique est notamment
dû au non-respect des délais fixés par le droit interne, à l’incapacité
de tenir compte des circonstances particulières des affaires, à
l’incapacité d’avoir recours à d’autres mesures préventives et au
défaut de respect du contrôle juridictionnel pour contester la légalité
de la détention provisoire. Malgré les progrès invoqués par les
autorités russes, la baisse du nombre de détenus entre janvier 2007
(144 550) et janvier 2010 (124 611) a été minime, et en 2009 il
a été donné suite à 187 793 demandes de placement en détention provisoire
sur 208 416. Les conditions ne sauraient s’améliorer lorsque la
surpopulation carcérale est telle et aucune issue ne semble en vue.
121. La Cour suprême a recensé plusieurs domaines critiques essentiels
et proposé des solutions. Par exemple, des procédures disciplinaires
contre les juges
.
Cela étant, les taux élevés de condamnation à des placements en
détention provisoire ne relèvent pas exclusivement de la responsabilité
des juges. Il appartient aux juges de rendre des décisions sur la
base des éléments de preuve dont ils disposent et il semble que
très souvent l’approche formelle d’une enquête soit inappropriée,
dans la mesure où d’autres mesures préventives ne sont pas prises
en considération
.
2.2.7.4.Mauvais traitements
en garde à vue et absence d’enquête effective à ce sujet
122. L’affaire Mikheyev, dans
laquelle la Cour s’est prononcée en janvier 2006, illustre le problème. M. Mikheyev
a été accusé à tort d’homicide (sa victime présumée s’est révélée
par la suite être en vie et bien portante) et a été torturé pendant
sa garde à vue pour qu’il passe aux aveux. Des décharges électriques
lui ont notamment été infligées au moyen d’électrodes fixées aux
lobes de ses oreilles. Ayant survécu à cette torture, pour échapper
à ses bourreaux, il s’est jeté de la fenêtre du deuxième étage du
poste de police et s’est cassé la colonne vertébrale; il est resté
paraplégique. Depuis cette date, la Cour a rendu 16 autres arrêts
dans lesquels elle a constaté des violations de l’article 3 de la
Convention au motif de mauvais traitements infligés aux requérants
placés en garde à vue et de l’absence d’enquête effective à cet
égard.
123. Les autorités russes procèdent actuellement à une réforme
globale du ministère de l’Intérieur, en partie – d’après moi – à
la suite des décisions de la Cour. Dans ce contexte, un nouveau
projet de loi «sur la police» a été élaboré
. Des discussions
portent actuellement sur la mise en place d’un registre unique des personnes
détenues par la police.
124. Reste à savoir dans quelle mesure cette réforme permettra
de donner suite aux constatations de la Cour. Il semblerait à première
vue que la réforme ne porte pas sur les questions importantes, comme
les garanties en garde à vue (notification de la garde à vue à un
tiers, droit à un avocat, droit à un médecin). De plus, les rapports
du CPT, qui pourraient aussi être utiles aux autorités russes, demeurent
confidentiels.
125. Pour ce qui est des mesures de caractère individuel, à l’exception
de l’affaire Mikheyev dans laquelle deux policiers ayant torturé
le requérant ont été condamnés à une peine de prison de quatre ans,
on ne dispose d’aucune information permettant de savoir si, dans
d’autres affaires analogues, les responsables ont été traduits en
justice. L’affaire Mikheyev met aussi en évidence l’absence, dans
la législation pénale russe, de moyens appropriés pour lutter contre
l’impunité. Par exemple, la torture n’est apparemment pas érigée
en infraction pénale. De même, une peine d’emprisonnement de quatre
ans semble être une sanction relativement clémente dans le cas d’une
infraction ayant entraîné l’invalidité permanente de la personne.
Pour finir, il semblerait que la seule conclusion que les autorités
russes aient dégagée à ce jour dans l’affaire Mikheyev soit la suivante:
le 15 décembre 2008, le procureur de la région de Nijni Novgorod
a déposé une action récursoire à l’encontre des fonctionnaires de
police pour que ceux-ci remboursent la somme que la Fédération de
Russie avait versée à M. Mikheyev à la suite de la constatation
d’une violation par la Cour. Les juridictions internes ont accédé
à cette demande.
2.2.7.5.Action des forces de
sécurité en République tchétchène
126. Depuis 2007, la Cour a constaté des violations des
articles 2, 3, 5, 6 et 8 ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1
dans le contexte d’actions menées par les forces de sécurité russes
en République tchétchène entre 1999 et 2003
. Dans son rapport,
le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme, M. Dick Marty, indique que la situation en République tchétchène,
qui se caractérise par des disparitions forcées (près de 60 %),
des actes de torture, des détentions secrètes, des exécutions extrajudiciaires
et des mauvais traitements, ainsi que la destruction de maisons
d’habitation, «constitue à l’heure actuelle la situation la plus
sérieuse et la plus délicate d’un point de vue de la protection
des droits de l’homme et de l’affirmation de l’Etat de droit de
toute la zone géographique couverte par le Conseil de l’Europe»
. Ces arrêts n’ont guère eu d’effet
sur la Fédération de Russie dans la mesure où les plaintes continuent d’affluer.
Près de 100 requêtes concernant le Caucase du Nord (essentiellement
la République tchétchène) ont été déposées en 2009. Cette situation
est tout simplement scandaleuse!
127. Des faits nouveaux, m’a-t-on dit lors de ma visite à Moscou
en février 2010, se sont produits: il existe un cadre réglementaire
pour les enquêtes internes, y compris une unité d’investigation
spéciale créée en avril 2009 pour enquêter sur les infractions particulièrement
graves ayant donné lieu à la saisine de la Cour
. Le procureur joue aussi un plus
grand «rôle de surveillance» en mettant l’accent sur la transposition
de dispositions conventionnelles dans le droit interne russe
,
et la procédure semble davantage orientée vers les victimes en termes
d’accès à la procédure
. Cela étant, les effets de ces
mesures sur les investigations en cours ne sont pas clairs pour
moi; une seule affaire a été élucidée à ce jour. Je constate malheureusement que
les autorités russes n’ont pas, pour citer de nouveau le rapport
de M. Marty, donné suite à «plus de 150 arrêts qui constatent de
gravissimes violations des droits fondamentaux dans la même région,
sans qu’on intervienne véritablement sur les causes qui conduisent
à ce résultat»
.
2.2.8. Turquie
128. En ce qui concerne la Turquie, 1 232 affaires environ
sont pendantes devant le Comité des Ministres, ce qui représente
15 % de la charge de travail du Comité
. Ces affaires
portent sur de nombreuses questions
,
dont les plus anciennes sont les suivantes:
- l’impossibilité de rouvrir une procédure;
- l’emprisonnement à répétition pour objection de conscience;
- les atteintes à la liberté d’expression;
- la durée excessive de la détention provisoire;
- les actions des forces de sécurité;
- les questions concernant Chypre.
129. Je n’ai pas encore été en mesure de me rendre en Turquie.
Malgré la décision prise par la commission juridique le 29 janvier 2009
m’autorisant à me rendre dans ce pays, je n’ai pas reçu d’invitation
de la délégation parlementaire turque, malgré des demandes répétées
depuis septembre 2009. C’est, pour autant que je sache, la première
fois qu’une telle situation se produit. Mon prédécesseur, M. Erik
Jurgens, n’a jamais été confronté à un tel refus de coopérer (voir
à ce sujet son 6e rapport
) et je me dois
de porter ce comportement inacceptable à l’attention de l’Assemblée.
2.2.8.1. Impossibilité de
rouvrir une procédure
130. Le groupe d’affaires
Hulki
Günes c. Turquie , dans lesquelles les requérants
ont été condamnés sur la base de déclarations faites sous la contrainte
et en l’absence d’un avocat, en violation des articles 3 et 6, paragraphes
1 et 3.
c, concerne le caractère
inéquitable de procédures pénales. La réouverture des procédures
a été demandée par la Cour, mais la législation adoptée qui porte
modification des dispositions du Code de procédure pénale ne prévoit
la réouverture des procédures que pour les arrêts rendus avant le 4 février 2003
et pour les affaires dans lesquelles la Cour a été saisie après
cette date; en conséquence, les affaires pendantes à l’époque ne
tombent pas sous le coup de la modification.
131. D’importantes pressions ont été exercées sur les autorités
turques ces sept dernières années, notamment par le Comité des Ministres:
deux lettres du Président du Comité des Ministres
,
trois résolutions intérimaires
, et une
décision de septembre 2008
visant à
examiner l’affaire à chaque réunion régulière du Comité jusqu’à
ce que les autorités turques donnent des informations sur les mesures
qu’elles envisagent pour régler le problème. Des informations ont
en fin de compte été données au sujet d’un projet de loi permettant
la réouverture de procédures dans les affaires des requérants. Ce
projet a été soumis au parlement pour adoption mais aucune information
nouvelle n’a été donnée sur son état d’avancement
. J’invite instamment le président
de la délégation turque auprès de l’Assemblée parlementaire ainsi
que le Président (turc) de l’Assemblée à veiller à ce que la priorité
soit donnée à ce projet.
2.2.8.2. Emprisonnement
à répétition pour objection de conscience au service militaire
132. Le problème de l’emprisonnement répété pour objection
de conscience, contraire à l’article 3, tient à la possibilité,
prévue par la législation, de poursuivre de manière répétée le requérant
tout au long de sa vie. Si quelques affaires ont été portées devant
la Cour, cela n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’une violation
grave de la Convention. Dans l’affaire
Ülke
c. Turquie , le requérant a été condamné à
plusieurs reprises pendant un certain nombre d’années pour avoir
refusé de porter l’uniforme pour des motifs de conscience, ce qui
lui a valu au total 701 jours de prison. Aujourd’hui, il se cache
par crainte de nouvelles poursuites; il n’a pas d’adresse officielle
et a été contraint de rompre tout contact avec les autorités administratives.
Comme la Cour l’a déclaré, cette vie équivaut «quasiment à une mort
civile»
.
133. Les mesures de caractère individuel et les mesures de caractère
général sont en l’espèce étroitement liées. Malgré une résolution
intérimaire adoptée en octobre 2007
et
une autre en mars 2009
, aucune information n’a été
communiquée en réponse à l’arrêt de la Cour au sujet des mesures
de caractère individuel. En mars 2010, les autorités turques ont
indiqué au Comité des Ministres qu’elles donneraient des informations concrètes
sur les amendements à la législation.
2.2.8.3. Liberté d’expression
134. Le groupe d’affaires
Inçal
c. Turquie concerne
des atteintes injustifiées à l’article 10 de la Convention en relation
avec les condamnations prononcées contre les requérants pour publication
d’articles et d’ouvrages. Le problème, qui date de 1998, n’est toujours
pas réglé 12 ans après. Sous l’angle des mesures de caractère individuel,
les autorités turques ont indiqué qu’elles prendraient des mesures
pour effacer les condamnations de plusieurs requérants condamnés
en application de l’article 8 de la loi antiterrorisme no 3713 à
la suite de l’abrogation de cette dernière
.
135. Des mesures de caractère général ont été prises pour régler
le problème. A titre d’exemples, citons un certain nombre d’amendements
constitutionnels sur la liberté d’expression, une série de lois
visant à abroger et à amender les dispositions critiquables de la
loi antiterrorisme et des initiatives de formation et de sensibilisation
des juges et des procureurs pour encourager l’application des normes
de la Convention, avec des exemples pratiques de juridictions internes
.
136. Ces amendements législatifs ne suppriment néanmoins pas la
cause du problème et reprennent le même contenu contraire à la Convention,
mais en des termes différents. De plus, les exemples de pratique des
tribunaux donnés par les autorités turques ne représentent pas des
éléments de preuve concluants du respect des dispositions de la
Convention, en particulier s’agissant de l’amendement de 2004 de
l’article 90 de la Constitution qui prévoit l’application directe
de la Convention dans le droit interne. Il est essentiel que la Convention
et la jurisprudence de la Cour apparaissent dans la législation
nationale turque et se reflètent dans son application. Sur ce point,
il faut préciser que le Comité des Ministres attend des informations
depuis septembre 2008.
2.2.8.4. Durée excessive
de la détention provisoire
137. Le principal groupe d’affaires dans lesquelles la
durée excessive de la détention provisoire a représenté un problème
majeur est
Halise Demirel c. Turquie . La Cour a rendu un
arrêt quasi pilote dans l’affaire
Cahit Demirel
c. Turquie qui révèle les
«problèmes
répandus et systémiques découlant du dysfonctionnement du système
turc de justice pénale et de l’état de la législation turque pertinente»
. Les
tribunaux internes n’ont pas donné de raison pertinente ni suffisante
pour justifier leur décision d’étendre la détention, ce qui est contraire
à l’article 5, paragraphe 3, de la Convention, et les tribunaux
ont tendance à utiliser un vocabulaire stéréotypé qui ne tient pas
compte de la situation de la personne. Qui plus est, il n’existe
pas de recours effectif pour contester la légalité de la détention
provisoire et aucune réparation ne peut être obtenue, d’où une violation
des paragraphes 4 et 5, respectivement, de l’article 5.
138. Des mesures positives ont été prises par les autorités turques
moyennant des amendements à la législation, par exemple au Code
de procédure pénale (loi no 5271) entré en vigueur le 1er juin 2005.
Des garanties sont prévues pour que les raisons de la détention
soient données, que la poursuite de la détention provisoire soit
réexaminée tous les trente jours, que la durée maximale de la détention
provisoire ne soit pas supérieure à deux années pour les crimes
relevant de la Cour d’assises
et pour qu’il
existe un droit à réparation. Les autorités ont aussi donné des
informations sur les modalités d’application de ces dispositions par
les tribunaux internes.
139. Les mesures législatives prises doivent être considérées comme
un progrès, mais les informations communiquées sur leurs modalités
d’application ne sont pas concluantes et d’autres éléments de preuve
sont nécessaires pour garantir que des raisons pertinentes et suffisantes
justifient la détention. De fait, des informations concernant une
décision de la Cour de cassation de décembre 2009 sur la responsabilité
pénale des juges qui ne communiquent pas ces raisons ont été reçues
et sont actuellement examinées par le Comité des Ministres. Quoi
qu’il en soit, les amendements apportés à la législation pour exécuter
une décision ne devraient pas présenter un risque de violations
futures. De plus, il convient de noter qu’aucune information n’est
donnée par les autorités turques sur la mise en place d’une voie
de recours effective pour contester la légalité de la détention
provisoire, ce qui doit désormais être envisagé avec toute la célérité
requise par le président de la délégation parlementaire turque.
2.2.8.5. Actions des forces
de sécurité
140. Les actions antiterroristes des forces de sécurité
dans les années 1990 ont donné lieu à un afflux d’affaires devant
la Cour qui a constaté des violations au titre de plusieurs articles,
dont les articles 2, 3, 5, 8 et 13 ainsi que de l’article 1 du Protocole
no 1
. Dans sa résolution intérimaire de
2008, le Comité des Ministres a de nouveau recensé
les
problèmes structurels à l’origine de ces violations, notamment: l’inefficacité
des garanties procédurales relatives à la garde à vue, l’attitude
et la formation des forces de sécurité, l’établissement de la responsabilité
pénale au niveau national et les insuffisances pour garantir aux victimes
des réparations suffisantes
.
141. A la lumière de la résolution intérimaire du Comité des Ministres
de 2005
,
les autorités turques ont progressé sur la voie du règlement des
problèmes structurels: un cadre législatif permet aujourd’hui d’avoir
des garanties procédurales relatives à la garde à vue; les droits
de l’homme sont inscrits au programme de formation initiale des
forces de sécurité; la législation a été modifiée pour donner directement
effet à la Convention dans le droit interne turc régissant l’usage
de la force par le personnel de sécurité et une série de recours
effectifs a été mise en place pour compléter la «loi sur l’indemnisation»
du 27 juillet 2004, qui prévoit la possibilité d’accorder des réparations
financières pour les préjudices matériels subis en relation avec
des activités et des opérations terroristes menées entre juillet 1987
et décembre 2006.
142. Cela dit, la série des insuffisances que présentent toujours
les enquêtes sur les abus des forces de l’ordre continue de poser
un problème non négligeable. Le groupe d’affaires
Bati c. Turquie met en évidence le
fait que, malgré les nombreuses années qui se sont écoulées, l’impunité
continue de régner faute d’enquête efficace. L’absence d’indépendance
des autorités d’enquête, l’impossibilité pour les requérants d’avoir
accès aux dossiers ou d’entendre des témoins ou des responsables
accusés et l’incapacité de suspendre les responsables malgré les
procédures dont ils font l’objet ne sont que quelques-unes des insuffisances contraires
au volet procédural des articles 2 et 3. Sous l’angle des mesures
de caractère individuel, des informations pour savoir si les enquêtes
seront rouvertes sont attendues. Sous l’angle des mesures de caractère
général, les articles 94 et 95 du nouveau Code pénal prévoient des
peines plus longues pour les abus susmentionnés et le ministère
de la Justice a pris des mesures pour garantir le transfèrement
en toute sécurité des détenus, mais rien n’a été fait pour s’attaquer
à la cause profonde du problème et des améliorations notables s’imposent.
143. Il convient aussi de noter que les actions des forces de sécurité
lorsqu’elles dispersent des manifestations pacifiques ne laissent
pas d’être préoccupantes. L’affaire
Oya
Ataman c. Turquie portait
sur l’usage excessif de la force en violation de l’article 11 de
la Convention – liberté de réunion –, et le groupe d’affaires qui
s’y rattache mettait en évidence des violations des articles 3 et
13. Quelques amendements ont été apportés au cadre juridique applicable
à l’usage de la force par la police dans ce domaine, le plus significatif portant
sur l’usage progressif et proportionné d’armes à feu. Le Comité
des Ministres attend cependant des informations sur les modalités
d’application pratique de ces amendements depuis avril 2008.
2.2.8.6. Points préoccupants
spécifiques
144. L’affaire interétatique
Chypre
c. Turquie porte
sur la situation qui existe dans la partie nord de Chypre depuis
l’occupation de cette région par la Turquie en 1974 (acte qualifié
par euphémisme d’«organisation d’opérations militaires») et la division
durable de la République de Chypre ainsi que l’occupation militaire
de 40 % du territoire national du pays. Actuellement, le Comité
des Ministres suit de près les questions relatives aux personnes
disparues et aux droits de propriété des Chypriotes grecs déplacés.
145. Pour ce qui est de la question des personnes disparues, des
mesures supplémentaires s’imposent pour que des enquêtes effectives
portent sur le sort de ces personnes. Cela dit, les autorités turques
n’ont pas, à ce jour, répondu à la demande d’informations du Comité
des Ministres qui souhaite connaître les mesures concrètes envisagées
dans le prolongement des travaux du Comité sur les personnes disparues
à Chypre en vue des enquêtes effectives exigées par l’arrêt
.
146. En ce qui concerne les droits de propriété des Chypriotes
grecs déplacés, le Comité des Ministres examine actuellement les
conséquences de la décision de la Grande Chambre de la Cour rendue
le 5 mars 2010 sur la recevabilité de la requête
Demopoulos c. Turquie et
sept autres affaires. La Cour a conclu dans cette décision que la
loi 67-2005 de décembre 2005, d’après laquelle toutes les personnes physiques
et morales revendiquant des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers
peuvent saisir la commission des biens immobiliers, «offre un cadre
accessible et effectif pour le redressement d’allégations d’atteintes
au droit au respect de biens appartenant à des Chypriotes grecs».
147. Dans l’affaire
Xenides-Arestis
c. Turquie ,
le Comité des Ministres a déjà adopté
deux résolutions intérimaires dans lesquelles il invite instamment
les autorités turques à verser la satisfaction équitable octroyée par
la Cour en 2006. Le fait que ce versement n’ait toujours pas été
effectué est inacceptable.
2.2.8.7. Observations supplémentaires
148. Dans les domaines de préoccupation susmentionnés,
le Comité des Ministres attend des informations de la part des autorités
turques depuis un certain nombre d’années. En conséquence, la nécessité
d’une structure au sein du Parlement turc qui joue un rôle important
dans le contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour ne saurait
être exagérée.
2.2.9. Ukraine
149. L’Ukraine se heurte à un certain nombre de problèmes
graves, structurels pour certains, qui apparaissent dans la jurisprudence
de la Cour. Sur les 126 200 affaires pendantes devant la Cour, 10 200 concernent
l’Ukraine (8,1 %)
. Les problèmes à l’origine de la
majorité de ces affaires sont les suivants:
- non-exécution de décisions de justice internes;
- durée des procédures civiles et pénales;
- questions concernant la détention provisoire;
- procès inéquitable faute notamment d’impartialité et d’indépendance
des juges.
150. Malgré les initiatives prises pour régler ces problèmes, plusieurs
raisons, dont l’absence de volonté politique, de stratégie coordonnée
entre les organes de l’Etat et de ressources financières, ont fait
obstacle à l’exécution des arrêts de la Cour dans ces domaines.
151. Il est capital de donner la priorité aux problèmes susmentionnés;
l’élaboration de projets de lois visant à régler les problèmes structurels
mis en évidence par la Cour, en veillant à vérifier la compatibilité
de ces projets avec les normes fixées par la Convention, faciliterait
l’exécution rapide et effective des arrêts de la Cour.
152. Lorsque je me suis rendu en Ukraine en juin 2009
, un mémorandum d’accord
relatif
au contrôle régulier de l’exécution des arrêts de la Cour a été
signé. Des informations sur la manière dont les dispositions de
ce mémorandum ont été appliquées sont attendues. Si ces informations
ne sont pas communiquées dans un avenir prévisible, je propose d’inviter
le chef de la Commission parlementaire ukrainienne sur le système judiciaire,
M. Kivalov, à intervenir devant la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme et à expliquer les raisons d’une telle
inactivité.
2.2.9.1. Non-exécution de
décisions de justice internes
153. La non-exécution de décisions de justice internes
est le principal problème structurel qui se pose par rapport à l’Ukraine.
Ce problème n’est pas nouveau: le premier arrêt de la Cour remonte
à 2004
et
le nombre de requêtes similaires continue d’augmenter; plus de 50 %
de l’ensemble des décisions concernant l’Ukraine sous la surveillance
du Comité des Ministres sont relatives au problème de la non-exécution
de décisions de justice internes et le Greffe de la Cour a indiqué
qu’environ 1 400 requêtes pendantes devant la Cour portent sur le
problème de la non-exécution
154. En octobre 2009, la Cour a rendu un arrêt pilote sur la question
–
Yuriy Nikolayevich Ivanov c. Ukraine –,
dans lequel elle conclut que les autorités ukrainiennes se sont
montrées extrêmement réticentes à régler ce problème structurel
.
155. La Cour a souligné qu’une réforme législative et réglementaire
devait être menée sans retard pour rendre le système judiciaire
du pays conforme à la Convention et pour que le pays remplisse les
obligations qui sont les siennes en application de l’article 46
de la Convention
.
156. De plus, la Cour a précisé qu’une voie de recours effective
devait être mise en place avant le 15 janvier 2011 pour garantir
une réparation adéquate et suffisante en cas de non-exécution de
décisions de justice internes ou de retards dans l’exécution
. Si cette mesure n’est pas prise, les personnes
victimes de violations continueront d’avoir le statut de victimes
et pourront saisir la Cour.
157. Malgré un certain nombre d’initiatives signalées au Comité
des Ministres et l’arrêt pilote de la Cour, aucun résultat concret
et visible n’a été enregistré depuis 2004 pour régler les problèmes
à l’origine des violations répétitives de la Convention.
158. En fait, on pourrait considérer que ce problème, qui me consterne,
ne semble pas être une priorité pour les autorités malgré le libellé
clair de l’arrêt pilote de la Cour. Cette situation suscite des
préoccupations particulières que le Comité des Ministres a également
exprimées récemment, puisqu’«aucune information matérielle et concrète
n’a été fournie sur l’élaboration d’une stratégie globale destinée
à assurer le respect de l’arrêt et des délais qu’il comprend»
. C’est peut-être de nouveau une
raison pour l’Assemblée et sa commission des questions juridiques
et des droits de l’homme d’adopter une attitude plus «énergique»
pour obtenir des explications des autorités ukrainiennes ainsi que
de nos collègues parlementaires.
2.2.9.2. Durée des procédures
civiles et pénales
159. La durée excessive des procédures civiles et pénales
est un problème qui s’explique ainsi: les tribunaux ne prennent
pas de mesures pour garantir la présence des demandeurs, des défendeurs
et des témoins aux audiences; de trop nombreux renvois devant des
experts et nouveaux procès sont ordonnés; il existe aussi un problème
général d’intervalles longs et d’ajournements. L’inactivité des
enquêteurs et les défaillances au niveau des enquêtes préliminaires
dans les affaires pénales, avec comme conséquence la demande ultérieure d’enquêtes
supplémentaires par les tribunaux, figurent aussi parmi les principales
raisons des retards observés dans les procédures judiciaires internes
en violation de l’article 6, paragraphe 1. Cette situation est aggravée
par l’absence de recours interne effectif
.
160. Un projet de loi a été présenté en 2005 pour pouvoir saisir
le tribunal administratif en cas de procédure excessivement longue,
mais aucune information n’a été donnée sur son état d’avancement,
ce qui – il faut le noter – fait douter de la volonté politique
de mener une réforme.
2.2.9.3. Questions relatives
à la détention provisoire
2.2.9.3.1.Conditions de la détention
provisoire
161. Les mauvaises conditions de détention dans les maisons
d’arrêt et les établissements pénitentiaires ukrainiens sont un
problème structurel relevé par la Cour. Il s’agit essentiellement
de surpopulation, de mauvaises conditions d’hygiène et de soins
médicaux inadaptés
. On constate aussi l’absence
de recours effectif pour pouvoir se plaindre et obtenir réparation,
en violation de l’article 13.
162. Des mesures ont été prises pour garantir aux détenus un espace
de vie plus grand. En particulier, la loi portant «modification
du Code d’exécution des peines», entrée en vigueur le 16 février 2010,
prévoit notamment un espace de vie de 4 m2 par détenu, mais la disposition
fixant l’espace de vie des détenus n’entrera pas en vigueur avant
janvier 2012.
163. Dans l’intervalle, un programme national a été mis en place
pour la période 2006-2010 afin de remettre en état les centres de
détention existants et d’en construire de nouveaux. Cette initiative
ne réglera toutefois pas le problème, car la législation fixant
l’espace de vie moyen à 2,5 m2 (en détention provisoire) n’a pas
été modifiée
.
164. Aucune information sur la réforme législative et réglementaire
n’a été donnée à ce sujet et, de nouveau, une voie de recours effective
n’a pas encore été mise en place alors que la Cour a jugé cette
mesure essentielle pour offrir une réparation aux victimes.
2.2.9.3.2.Illégalité et durée
excessive de la détention
165. Le groupe d’affaires
Doronin
c. Ukraine représente des violations de l’article 5
de la Convention pour illégalité et durée excessive de la détention
provisoire découlant de la détention sans décision judiciaire à
cet effet et/ou de l’application rétroactive de décisions relatives
à la détention, de l’incapacité de justifier la détention et d’en
fixer les délais, de l’incapacité d’envisager des mesures préventives
autres que la détention provisoire et de l’absence de contrôle de
la légalité de la détention.
166. Des mesures ont été prises pour modifier le Code de procédure
pénale existant, notamment pour veiller à ce que le temps nécessaire
au détenu pour qu’il se familiarise avec le dossier soit pris en
considération dans le calcul de la durée de la détention.
167. Lors de la table ronde consacrée à la «détention provisoire:
mesures de caractère général pour se conformer aux arrêts de la
Cour européenne», organisée par le Service de l’exécution des arrêts
de la Cour européenne des droits de l’homme du Conseil de l’Europe
les 9 et 10 décembre 2009 à Varsovie, les autorités ukrainiennes
ont fait savoir qu’elles envisageaient de procéder à une réforme
complète de leur système de justice pénale. Il a en particulier
été noté que le nouveau Code de procédure pénale devant être élaboré traiterait
de l’ensemble des problèmes en suspens énumérés ci-dessus
. Pour le moment, les autorités
n’ont donné aucune information nouvelle sur cette réforme même si
l’adoption d’un tel code demeure l’un des engagements que les autorités
ukrainiennes n’ont pas honoré
.
2.2.9.4. Mauvais traitements
infligés par la police et garanties procédurales
168. Un nombre sans cesse croissant d’affaires porte sur
les mauvais traitements infligés en garde à vue et l’absence d’enquêtes
efficaces à ce sujet
. En janvier 2005, plusieurs
amendements ont été apportés à la loi «sur la milice», renforçant
les garanties offertes aux personnes détenues par la police. Un
certain nombre de mesures ont été prises pour renforcer la formation
aux droits de l’homme, dont l’étude des dispositions de la Convention
et de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 3, dans le
programme des établissements de formation relevant du ministère
de l’Intérieur et dans celui de l’Académie nationale de la Prokuratura
d’Ukraine
.
169. Cela étant, le nombre sans cesse croissant de requêtes similaires
pendantes devant la Cour et les visites du CPT en Ukraine
montrent que, malgré les mesures
prises par les autorités, les mauvais traitements physiques délibérément
infligés par des policiers à des détenus demeurent très répandus
en Ukraine, en particulier pendant le premier interrogatoire au
commissariat afin d’obtenir des aveux sur les infractions non élucidées.
La suppression de cette pratique exige des mesures complètes à tous
les niveaux. Le Comité des Ministres a donc invité les autorités
ukrainiennes à élaborer un plan d’action sur des mesures globales
de lutte contre les abus commis en garde à vue et à garantir une
enquête effective sur les allégations de mauvais traitements. Ce
plan d’action est toujours attendu.
2.2.9.5. Absence d’indépendance
et d’impartialité des juges
170. Le droit à un procès équitable (article 6 de la Convention)
est un motif d’inquiétude en Ukraine. Il pose de nombreux problèmes
dont le plus complexe a trait à l’absence d’indépendance et d’impartialité
des juges
, sans oublier l’insuffisance des
garanties législatives et financières contre les pressions extérieures, l’absence
de critères et de procédures pour les promotions, la question de
la responsabilité disciplinaire et celle des limites à fixer aux
pouvoirs discrétionnaires des juges
.
171. Une nouvelle loi sur le système judiciaire et le statut des
juges en Ukraine a été adoptée par le Parlement ukrainien le 7 juillet 2010
. Reste à voir quels
effets elle aura.
2.2.9.6. Domaines spécifiques
de préoccupation
172. Il convient de mentionner l’affaire
Gongadze c. Ukraine . La
Cour a estimé que, bien que M. Gongadze, journaliste, ait fait part
au procureur général de la menace apparente qui pesait sur sa vie,
les autorités n’avaient pas pris les mesures nécessaires à la protection
de sa vie en violation de l’article 2 de la Convention. L’enquête
sur son décès a aussi emporté violation de l’article 2 sous son
volet procédural en raison de retards et de lacunes et de l’attitude
des enquêteurs envers la famille, contraire à l’article 3. De plus, l’absence
d’enquête effective pendant plus de quatre ans et l’impossibilité
de demander réparation étaient contraires à l’article 13. Cette
affaire est sensible du point de vue politique, car plusieurs fonctionnaires
de l’Etat, ainsi que l’ancien Président, sont impliqués.
173. Bien que les assassins de M. Gongadze aient été condamnés
en 2008, l’enquête visant à identifier les personnes qui avaient
commandité et organisé ce crime s’était caractérisée par des retards
inexplicables. Cette situation a été dénoncée par l’Assemblée
. Le Comité des Ministres a déjà
adopté deux résolutions intérimaires dans lesquelles il invite instamment
les autorités ukrainiennes à intensifier leurs efforts pour conduire
à son terme l’enquête en cours
. Il semble
que, depuis lors, plusieurs faits nouveaux se soient produits dans
le cadre de l’enquête
. Cela étant,
aucun résultat concret ou visible n’a été obtenu. Les autorités
ukrainiennes doivent maintenant rapidement mettre fin à l’enquête,
ce qui semble particulièrement important dans le contexte de la
disparition en août 2010 d’un autre journaliste.
2.2.9.7. Observations supplémentaires
174. Les problèmes mis au jour par les arrêts de la Cour
sont vastes et complexes par nature. Leur règlement peut parfois
aller au-delà de l’exécution d’une décision particulière, ce qui
ne peut être obtenu que par la mise en place d’une stratégie globale
coordonnée au plus haut niveau politique. Tout retard dans la mise
en place d’une telle stratégie devrait faire l’objet d’un contrôle
étroit du parlement qui devrait disposer de moyens appropriés pour
obliger le gouvernement à résoudre ces problèmes en priorité.
3. Problèmes d’exécution
dans d’autres Etats
3.1. Remarques préliminaires
175. Si, compte tenu du précédent rapport de suivi, il
convient d’évaluer la situation actuelle dans les Etats ci-dessus,
on ne saurait passer sous silence le fait que plusieurs autres Etats
sont confrontés à des problèmes d’exécution, dont l’Albanie, l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie et la Serbie. Il
se peut que je doive me rendre dans certains de ces pays lorsque
je préparerai le 8e rapport sur ce sujet.
3.2. Problèmes d’exécution
3.2.1. Albanie
176. Ces dernières années, la Cour a rendu un certain
nombre d’arrêts contre l’Albanie au sujet du problème systémique
de la non-exécution de décisions de justice internes définitives,
concernant en particulier le droit des requérants à l’indemnisation
(pécuniaire ou en nature) du fait de la nationalisation de biens
immobiliers durant le régime communiste. Dans son raisonnement,
la Cour a estimé que l’Etat défendeur devait supprimer tous les
obstacles à l’octroi d’une indemnité en application de la loi sur
la propriété en veillant à ce que les mesures législatives, administratives
et budgétaires nécessaires soient prises. Ces mesures devraient
être prises d’urgence
.
Parmi les autres insuffisances relevées par la Cour figuraient l’inefficacité
des huissiers de justice et l’absence de recours effectif. Les autorités
albanaises ont été invitées par le Comité des Ministres
à prendre les mesures de réparation nécessaires
pour éviter des violations similaires. A cette fin, un mémorandum
relevant les problèmes qui demeurent
et privilégiant un certain nombre de solutions pour régler de façon
globale le problème a été établi pour aider le Comité des Ministres
à superviser l’exécution des arrêts par l’Albanie. En outre, puisque
les problèmes persistaient, l’Albanie a été choisie pour être l’un
des pays bénéficiaires (en sus de l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine,
la Moldova, la Serbie et l’Ukraine) du projet intitulé «Lever les
obstacles à l’exécution des décisions judiciaires internes/assurer
une mise en œuvre effective des décisions judiciaires internes»
financé par le Fonds fiduciaire «droits de l’homme»
.
3.2.2. Arménie
177. Deux problèmes importants en Arménie portent sur
les conditions de détention dans les prisons
et sur
la liberté d’expression. En ce qui concerne cette dernière, aucun
progrès véritable n’a été enregistré dans l’exécution de l’arrêt
dans l’affaire
Meltex Ltd et Mesrop Movsesyan
c. Arménie . L’Assemblée juge particulièrement
préoccupant que, dans sa dernière décision concernant cette affaire
(1092e réunion droits de l’homme, septembre 2010), le Comité des
Ministres ait dû rappeler que les Etats défendeurs ont l’obligation
de communiquer, en temps voulu, des informations sur les développements
relatifs à l’exécution des arrêts de la Cour. Compte tenu de cette
obligation, les autorités arméniennes ont été invitées à donner
au Comité des Ministres un aperçu global du cadre législatif et
réglementaire qui confirme l’obligation non ambiguë de la Commission
nationale de télévision et de radio de motiver ses décisions d’octroyer
ou non, ou de révoquer, une licence de radiodiffusion, dans le cadre
des compétitions ou des demandes de radiodiffusion ainsi que des informations
sur la mise en œuvre concrète de ce cadre pour les appels d’offres
en cours.
3.2.3. Azerbaïdjan
178. Les problèmes que l’Azerbaïdjan rencontre concernent
les traitements dégradants en détention, les mauvais traitements
infligés par la police, la liberté d’expression et la non-exécution
des décisions de justice internes. Dans l’affaire
Hummatov c. Azerbaïdjan , la
Cour a estimé que les soins médicaux dispensés au requérant, qui
était atteint de tuberculose, avaient été inadéquats, ce qui constituait
une violation de l’article 3, et que l’absence de recours effectif
emportait violation de l’article 13. Le ministère de la Justice
a ordonné la démolition de la prison en question et mis en place
un programme avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR)
pour éradiquer la tuberculose dans les centres de détention. Les
mauvais traitements infligés par la police et l’absence d’enquêtes
efficaces par la suite ont aussi été considérés comme des problèmes
et des informations sur la mise en place d’un contrôle indépendant
de l’usage de la force fait par la police sont attendues
.
La liberté d’expression est un thème majeur, d’autant que la diffamation
est érigée en infraction pénale et qu’il ne semble pas exister de
volonté politique pour impulser un changement
. Au sujet de la non-exécution de
décisions de justice internes, les affaires
Mirzayev
c. Azerbaïdjan , concernant des personnes déplacées
dans leur propre pays, et
Humbatov c.
Azerbaïdjan n’ont
malheureusement pas été suivies d’informations sur la manière dont
les autorités entendent faire face au problème.
3.2.4. Bosnie-Herzégovine
179. La Bosnie-Herzégovine rencontre des problèmes particuliers
au niveau de la non-exécution des décisions de justice internes
et de la violation des droits électoraux. En ce qui concerne le
premier problème, un document d’information du Comité des Ministres
a été établi. Il met
en évidence les progrès accomplis à la lumière des arrêts de la
Cour, notamment dans les groupes d’affaires
Karanović
c. Bosnie-Herzégovine et
Jeličić c. Bosnie-Herzégovine , cette dernière affaire
portant sur d’«anciens»
dépôts
en République socialiste fédérative de Yougoslavie. Il convient
aussi de noter que la Bosnie-Herzégovine bénéficie du projet intitulé
«lever les obstacles à l’exécution des décisions judiciaires internes/assurer
une mise en œuvre effective des décisions judiciaires internes»
financé par le Fonds fiduciaire «droits de l’homme».
180. Dans le deuxième cas, la Cour a affirmé dans
Sejdic et Finci c. Bosnie-Herzégovine que
la procédure d’élection à la Chambre des peuples et à la présidence
était discriminatoire en ce sens qu’elle empêchait des personnes
d’origine juive et rom de se présenter. Il est capital que la Constitution
de la Bosnie-Herzégovine, qui n’autorise que les «peuples constituants»
à se présenter, soit modifiée pour supprimer cette discrimination. Dans
sa
Résolution 1725 (2010), l’Assemblée a déjà constaté avec inquiétude l’absence
de modifications constitutionnelles, faisant observer que «les élections
législatives d’octobre 2010 risquent fort de se dérouler, elles
aussi, selon des modalités contraires à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5) et à ses protocoles additionnels,
ainsi qu’à l’arrêt de la Cour»
. Dans sa réponse à la
Recommandation 1914 (2010), le Comité des Ministres déplore que la réforme constitutionnelle
requise n’ait pas été en place à temps pour être appliquée avant
les élections d’octobre et réaffirme de nouveau que le Conseil de
l’Europe, par l’intermédiaire de la Commission de Venise et du Service
de l’exécution des arrêts de la Cour, «était prêt à offrir l’aide
et le soutien nécessaires pour mener à bien la réforme constitutionnelle»
.
3.2.5. Géorgie
181. En Géorgie, les principaux problèmes rencontrés sont
dus à l’absence de nouvelles enquêtes sur les mauvais traitements
infligés par la police et aux traitements médicaux inadéquats dispensés
en prison. En ce qui concerne les premiers, le groupe d’affaires
Davtyan c. Géorgie montre que la simple
ouverture d’une enquête ne signifie pas que l’enquête est effective;
les critères fixés par la Cour doivent être respectés
. Parmi les exemples d’insuffisances
observées au niveau des enquêtes, citons l’absence d’expertise médicale indépendante,
la non-audition de toutes les parties concernées et le manque de
promptitude pour ouvrir l’affaire. Le Comité des Ministres a souligné
qu’une telle violation constitue une violation constante, d’où la nécessité
de mener de nouvelles enquêtes effectives. Malheureusement, le Comité
des Ministres n’a pas reçu d’informations sur la manière dont les
autorités géorgiennes entendent dans la pratique mener à bien de nouvelles
enquêtes.
182. En ce qui concerne les traitements médicaux inadéquats dispensés
en prison, l’affaire
Ghavtadze c. Géorgie concerne la violation de
l’article 3, dans la mesure où les autorités n’ont pas dispensé
au requérant les soins adéquats pour soigner son hépatite virale C
et sa tuberculose. La prison a depuis lors été démolie, mais le
problème des traitements médicaux inadéquats dispensés en prison
demeure à l’étude tant qu’une solution durable n’aura pas été trouvée.
3.2.6. Serbie
183. La Serbie fait face à des problèmes de non-exécution
de décisions internes, de longueur excessive des procédures et d’absence
de recours effectif. Pour ce qui est de la non-exécution
, la Serbie est un
pays bénéficiaire du Fonds fiduciaire «droits de l’homme» et a reconnu
l’ampleur du problème révélé par l’affaire
SociétéEVT c. Serbie . Les
préoccupations liées à la durée excessive des procédures apparaissent
dans le groupe d’affaires
Jevremovic
c. Serbie mais l’arrêt rendu par la Cour dans
l’affaire
Vincic c. Serbie , dans lequel le recours
introduit a été jugé effectif, est encourageant.
4. Questions soulevant
fréquemment des problèmes d’exécution
4.1. Remarques préliminaires
184. Comme suite à la Conférence d’Interlaken de février
2010, la réduction du nombre d’affaires pendantes devant la Cour
est une priorité absolue du Conseil de l’Europe s’il veut survivre
. Il a été souligné que les Etats
membres doivent exécuter les arrêts de la Cour et qu’une exécution
pleine, effective et rapide des arrêts définitifs de la Cour est
indispensable. La Déclaration d’Interlaken appelle aussi à améliorer
l’efficacité du système de surveillance de l’exécution des arrêts
de la Cour, en particulier en donnant une priorité et une visibilité
accrues également aux affaires révélant d’importants problèmes structurels
et en accordant une attention particulière à la nécessité de garantir
des recours internes effectifs. En conséquence, le Comité des Ministres
a déjà, semble-t-il, pris des mesures pour renforcer la surveillance
de l’exécution
.
Il est toutefois essentiel que les divers organes du Conseil de
l’Europe coordonnent leur rôle par rapport au processus d’Interlaken
et je suis convaincu que l’Assemblée parlementaire peut jouer un
rôle clé en s’appuyant sur son mandat pour encourager les Etats
à aborder les questions des droits de l’homme au niveau interne.
185. Il ressort clairement de ce rapport que le grand nombre d’affaires
en attente de jugement devant la Cour, qui s’élève actuellement
d’après les estimations à 138 200
, peut être sensiblement réduit
si les Etats parties s’attaquent aux causes profondes de plusieurs
préoccupations essentielles. Pour que la Cour puisse traiter efficacement
la plupart des affaires graves concernant des droits de la Convention
auxquels il ne peut être dérogé, pour lesquels elle doit établir
un ordre de priorité, il faut supprimer les cas donnant lieu à des
violations systémiques et répétitives. Il ne fait pas de doute que
les principaux problèmes à cet égard sont les suivants:
i. durée excessive des procédures
judiciaires; et
ii. non-exécution de décisions de justice internes.
Cela
étant, je ne peux passer sous silence le fait que les préoccupations
ci-après, même si elles ne sont pas aussi nombreuses que celles
évoquées ci-dessus, représentent de nombreuses violations graves
et répétitives dans des Etats membres donnés:
4.2. Durée excessive
des procédures judiciaires
186. Depuis les critiques que j’ai formulées l’été dernier
dans mon rapport de suivi sur la durée excessive des procédures
judiciaires, la situation s’est aggravée
. Ce
problème est endémique et doit tout simplement être réglé. Il ressort
des chiffres actuels que, sur les 8 689 affaires pendantes devant
le Comité des Ministres, 4 422 portent sur la durée excessive des
procédures judiciaires
. Comme je l’indique
dans le présent rapport, l’Italie, la Grèce et la Pologne ont de
graves problèmes systémiques à cet égard et représentent à elles
seules plus de 30 % (2 904) des affaires relatives à une durée excessive
des procédures judiciaires qui sont pendantes devant le Comité des
Ministres
.
187. L’attention a constamment été attirée sur l’Italie dans cette
série de rapports, et ce dès 2005 avec mon prédécesseur, M. Erik
Jurgens
. Actuellement,
sur les 2 493 affaires pendantes devant le Comité des Ministres
au titre de l’Italie (28 % environ de l’ensemble des affaires)
, 2 289 concernent la durée excessive des
procédures judiciaires
. De nouvelles mesures propres à
exécuter les arrêts de la Cour dans ce domaine permettraient en
conséquence de clore 90 % environ des affaires concernant l’Italie.
On ne saurait trop souligner l’importance de telles mesures à la
suite de la Conférence d’Interlaken pour ce qui est des requêtes
répétitives.
4.3. Non-exécution de
décisions de justice internes
188. Dans mon rapport de suivi, j’ai souligné l’importance
d’exécuter les décisions internes définitives au sens de l’article 6
de la Convention
,
ce qui apparaît de nouveau dans le présent rapport. La non-exécution
des décisions de justice internes est un problème systémique largement
répandu dans les pays et pas simplement dans ceux évoqués dans le
présent rapport; 925 affaires sont pendantes devant le Comité des
Ministres à ce sujet (10 % de l’ensemble des affaires pendantes)
. Toutefois, la situation est endémique
en Fédération de Russie et en Ukraine qui, ensemble, représentent
plus de 70 % (663) des affaires pendantes devant le Comité des Ministres
. En fait, ce problème particulier
touche plus de 60 % des affaires dont le Comité des Ministres est
saisi au titre de l’Ukraine
.
189. Tentant de contrer cette tendance, la Cour a rendu des arrêts
pilotes concernant ces Etats dans
Burdov c.
Fédération de Russie (no 2) et
Yuri Nikolayevich c. Ukraine . La
solution adoptée à la lumière de Burdov (no 2) a été saluée par
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et est considérée comme
une «mesure positive», «fruit d’une intense coopération entre les
autorités russes et le Comité des Ministres»
. J’invite instamment mes collègues
parlementaires dans ces pays à informer notre commission des initiatives
qu’ils ont prises pour encourager les autorités de leur pays respectif
à agir. En fait, je propose que la commission «oblige» désormais
mes collègues parlementaires (présidents des délégations parlementaires
et/ou membres de la commission) à donner des informations précises
sur ce sujet à intervalles réguliers. Des mesures importantes et
urgentes s’imposent.
4.4. Décès ou mauvais
traitements de personnes placées sous la responsabilité des forces
de l’ordre et absence d’enquête effective à ce sujet
190. Les articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction
de la torture, des traitements inhumains ou dégradants) énoncent
les droits les plus fondamentaux garantis par la Convention. Les
obligations d’un Etat au regard des articles 2 et 3, combinées au
devoir général incombant à l’Etat en vertu de l’article 1 de reconnaître
«à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés
définis [dans] la (…) Convention, exigent aussi la conduite d’une
enquête effective sur les circonstances dans lesquelles une personne
est décédée ou a été maltraitée
.
En l’absence d’enquête effective, un climat d’impunité règne.
191. Si les affaires donnant lieu à des violations de ces droits
ne sont pas aussi nombreuses que celles concernant la durée excessive
des procédures judiciaires ou la non-exécution de décisions de justice
internes, il demeure inacceptable que ces droits auxquels il ne
peut être dérogé continuent de faire l’objet de violations répétitives;
par exemple, les opérations des forces de sécurité, notamment en
Turquie et en Fédération de Russie, ont entraîné des violations
chroniques de ces droits. Notre collègue, M. Dick Marty, a déclaré
que les actes des forces de sécurité russes dans la région du Caucase du Nord
entre 1999 et 2003 «constitue[nt] à l’heure actuelle la situation
la plus sérieuse et la plus délicate d’un point de vue de la protection
des droits de l’homme et de l’affirmation de l’Etat de droit dans
toute la zone géographique couverte par le Conseil de l’Europe»
. Il ressort des travaux de recherche
de M. Marty que, depuis 2007, pas moins de 150 arrêts ont été rendus
par la Cour et 235 affaires sont pendantes. Les nouvelles requêtes
sont toujours aussi nombreuses, la Cour en a reçu 100 ne serait-ce
que pour 2009
. Cette situation est simplement
intolérable.
192. L’impunité en cas de décès ou de mauvais traitements infligés
par les forces de sécurité nationales est aussi un problème en Grèce,
en Moldova et en Bulgarie, même s’il ne se limite pas à ces Etats
. L’importance de supprimer
l’impunité ne saurait être exagérée et la bonne exécution des arrêts
de la Cour a été considérée par notre ancienne collègue, Mme Däubler-Gmelin,
comme la clé du succès
.
4.5. Illégalité et durée
excessive de la détention provisoire
193. L’illégalité et la longueur excessive de la détention
provisoire sont un autre problème que révèlent de nombreuses affaires
dans des Etats donnés et qu’il faut combattre. Ce problème est général
en Moldova, en Fédération de Russie, en Turquie et en Ukraine. Le
caractère répétitif de cette violation de l’article 5 de la Convention
fait apparaître un problème de pratique inappropriée, voire mauvaise,
des juges et des procureurs qui est inhérent au système judiciaire
de ces Etats. Les dispositions de la Convention ne sont guère connues et
appliquées lorsque la détention provisoire est décidée à titre de
mesure préventive et il est fait usage d’un «raisonnement stéréotypé»
qui
est contraire à l’article 5, paragraphe 3, de la Convention. La
détention prolongée en raison de ces insuffisances est inacceptable.
De nouveau, nous devons, en notre qualité de parlementaires à l’Assemblée
et de députés dans nos pays, prendre les mesures nécessaires pour
obliger les pouvoirs publics à corriger cette situation.
5. Nécessité de renforcer
la participation des parlements
5.1. Remarques préliminaires
194. Bien que la surveillance de l’exécution des arrêts
de la Cour incombe au premier chef au Comité des Ministres en application
de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention, le rôle essentiel
des parlements nationaux dans ce domaine ne saurait être négligé.
Les députés, en tant que représentants élus démocratiquement, sont
particulièrement bien placés pour passer au crible les actes des
gouvernements de manière à garantir l’exécution rapide et effective
des arrêts de la Cour.
195. La participation des parlements nationaux est depuis longtemps
considérée comme un instrument essentiel de l’exécution des arrêts
de la Cour
.
De fait, l’Assemblée parlementaire et son Président ont appelé les
Etats membres à créer des mécanismes nationaux de contrôle parlementaire
ou à renforcer les mécanismes existants
; récemment, dans une résolution
sur le processus d’Interlaken, l’Assemblée a réaffirmé la nécessité
d’un contrôle parlementaire accru de l’exécution des arrêts de la
Cour
. De plus, mon prédécesseur, M. Erik Jurgens,
a souligné la nécessité de mettre en place des «mécanismes spécifiques garantissant
un contrôle parlementaire régulier de la mise en œuvre des décisions
de la Cour»
tandis que, dans
mon rapport de suivi, je répète que les parlements nationaux devraient
exercer un «rôle de premier plan» dans la surveillance de l’exécution
des arrêts de la Cour
.
196. Il ressort d’un rapport comparatif récent que les Etats parties
à la Convention pouvant arguer de bons résultats en matière d’exécution
se caractérisent souvent par la participation active des acteurs
parlementaires au processus d’exécution
. De même, les organes du Conseil
de l’Europe ont reconnu que l’exécution des arrêts de la Cour est
sensiblement améliorée par une participation plus forte des parlements
nationaux
. Malgré ces observations et les
appels répétés en faveur d’une surveillance accrue des parlements
dans ce domaine, actuellement, très peu d’Etats s’engagent activement
dans ce processus
.
5.2. Rôle essentiel
des parlements nationaux
197. Dans l’ensemble, le contrôle parlementaire de l’exécution
des arrêts de la Cour devrait prendre deux grandes formes: les parlements
devraient d’abord exercer une surveillance pour veiller à ce que
les autorités compétentes adoptent des mesures propres à exécuter
un arrêt défavorable de la Cour et ils devraient ensuite examiner
de près la teneur réelle des mesures proposées
.
En particulier, les mécanismes qui existent au Royaume-Uni et aux
Pays-Bas devraient être considérés comme des exemples de bonne pratique.
198. Le Royaume-Uni est un excellent exemple pour ce qui est du
contrôle parlementaire de l’exécution des arrêts de la Cour. Il
est l’un des rares pays à avoir un organe parlementaire spécial
ayant pour mandat précis de vérifier et de surveiller la compatibilité
de la législation et de la pratique nationales avec la Convention.
La Commission mixte sur les droits de l’homme (Joint
Committee on Human Rights), souvent désignée par son acronyme
anglais, JCHR, produit un rapport annuel analysant la réaction du
gouvernement aux arrêts défavorables rendus par la Cour; ce rapport
ne se contente pas de résumer les mesures prises par le gouvernement
en réaction à un arrêt, mais résulte d’un dialogue continu entre
la JCHR et les autorités nationales. Le rapport de surveillance
évalue l’adéquation des mesures adoptées et, lorsque ces mesures
sont jugées insuffisantes, des pressions sont exercées sur le gouvernement
pour qu’il prenne rapidement des mesures efficaces.
199. Un aspect essentiel du contrôle parlementaire de l’exécution
des arrêts de la Cour est la vérification par le parlement de la
conformité des projets de loi avec la Convention. La vérification,
par le parlement, des projets de loi à la suite d’une constatation
défavorable de la Cour est particulièrement importante si l’on veut
éviter des violations similaires dans l’avenir. Malgré l’intérêt
évident de ce processus, une évaluation menée par le secrétariat
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée a montré qu’«il existe très peu de mécanismes parlementaires
spécialement destinés à vérifier le respect des exigences de la Convention
européenne des droits de l’homme dans le cadre de la rédaction [de
projets de loi]»
.
200. De nouveau, le Royaume-Uni offre un mécanisme type de contrôle
parlementaire de projets de loi. Le ministre responsable d’un projet
de loi doit faire une déclaration devant le parlement avant la deuxième
lecture du texte. Il doit confirmer soit que les dispositions du
projet sont, à son avis, compatibles avec la Convention, soit que
cette compatibilité ne saurait être garantie mais que le gouvernement
a néanmoins l’intention de poursuivre la procédure d’adoption
. Lorsqu’un projet
de loi soulève des problèmes liés aux droits de l’homme, la JCHR
procède à un contrôle législatif de conformité du texte incriminé
avec les normes internationales de protection des droits de l’homme;
les observations de la commission, présentées sous forme de rapport,
contribuent ensuite au débat parlementaire à un stade ultérieur
du processus législatif
.
201. Outre l’effet direct que le contrôle parlementaire a sur l’exécution
des arrêts de la Cour, les effets que la participation des parlements
a sur le discours relatif aux droits de l’homme au niveau national
sont très utiles. En effet, la JCHR a réussi à promouvoir une culture
politique des droits de l’homme au Royaume-Uni; ses rapports ont
permis de sensibiliser le parlement aux normes relatives aux droits
de l’homme et ont créé une attente, celle de voir le gouvernement
être tenu pleinement responsable de ses actes, justifiant toutes
les mesures prises dans la perspective de la Convention.
202. En dehors du Royaume-Uni, le système en place aux Pays-Bas
est un exemple de bonne pratique. Le ministre néerlandais des Affaires
étrangères, également au nom du ministre de la Justice, présente
un rapport annuel au parlement concernant les arrêts rendus par
la Cour contre les Pays-Bas. A la suite d’une demande du Sénat de
2006, le rapport donne désormais des informations sur les mesures
adoptées pour exécuter les arrêts défavorables de la Cour. Il comprend
aussi des arrêts contre d’autres Etats parties qui pourraient avoir un
effet direct ou indirect sur le système juridique néerlandais
.
203. Si le Royaume-Uni et les Pays-Bas disposent de deux des systèmes
de contrôle parlementaire les plus perfectionnés, les mécanismes
en place dans d’autres Etats membres sont encourageants. D’après
les informations communiquées par le secrétariat du Parlement allemand,
outre l’obligation pour le gouvernement de rédiger un rapport annuel
sur l’exécution des arrêts de la Cour qui est examiné par trois
commissions parlementaires, cette année pour la première fois, un
rapport portera sur les arrêts pris contre d’autres Etats qui pourraient
avoir une incidence sur le système juridique allemand.
204. Des progrès sont aussi observés en Ukraine. Lorsque je me
suis rendu dans ce pays, j’ai signé le 9 juillet 2009 avec M. Kivalov,
président de la Commission de la justice du parlement, un mémorandum
d’accord sur l’état de l’exécution par l’Ukraine des arrêts définitifs
de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans le cadre de cet
accord, la Commission de la justice et l’une ou l’autre de ses sous-commissions
sont invitées à procéder à un contrôle de l’exécution des arrêts
de la Cour concernant l’Ukraine ainsi que de toute autre jurisprudence
pertinente de la Cour. M. Kivalov a précisé que la nouvelle sous-commission
sur l’application des normes internationales va entreprendre sous
peu un examen approfondi de l’état de non-exécution des arrêts de
la Cour en Ukraine.
205. Par ailleurs, en Finlande, la commission sur le droit constitutionnel
du Parlement finlandais fait des déclarations sur la constitutionnalité
des propositions législatives portées à son attention ainsi que
sur leur rapport avec les traités internationaux relatifs aux droits
de l’homme, la Convention étant le principal document international
par rapport auquel les actes législatifs sont jugés.
206. Pour finir, en Roumanie, en 2007, la Chambre des députés a
créé une sous-commission au sein de sa commission des questions
juridiques et des droits de l’homme qu’elle a expressément chargée
de contrôler l’exécution des arrêts de la Cour. Lors d’une réunion
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée tenue en novembre 2009, M. Tudor Panţiru, président
élu de la nouvelle sous-commission roumaine et ancien juge de la
Cour européenne des droits de l’homme, a indiqué que, même si la sous-commission
n’avait pas encore commencé à travailler, il entendait faire avancer
les choses
.
207. Pour conclure, lorsque je me suis rendu dans les différents
pays pour préparer le présent rapport, j’ai instamment invité mes
collègues parlementaires à mettre en place, au sein de leurs parlements
nationaux respectifs, des procédures spécifiques pour contrôler
régulièrement l’exécution des arrêts de la Cour. Ma demande a suscité
des réactions très positives; les parlementaires m’ont assuré que
ce sujet serait traité en priorité. C’est avec beaucoup d’intérêt
que j’attends maintenant de voir la suite qui sera réservée aux assurances
que m’ont données la Fédération de Russie, l’Italie et la Grèce.
La question devrait aussi être suivie de près par la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme dans le contexte
de la lutte contre les insuffisances structurelles dans les Etats
parties qui sont les «contrevenants les plus chroniques»
.
6. Conclusions
208. Le processus d’Interlaken est lancé. Des mesures
doivent être prises de toute urgence pour réduire le nombre d’affaires
actuellement pendantes devant la Cour et, même si le Protocole no 14
à la Convention aura sans nul doute des effets positifs, la responsabilité
première en la matière incombe aux Etats parties à la Convention.
Les problèmes systémiques qui existent de longue date dans certains
Etats continuent de donner lieu à de nombreuses requêtes «clones»
devant la Cour, ce qui menace l’efficacité du système européen de protection
des droits de l’homme. De fait, le présent rapport a montré en particulier
que le problème de la durée excessive des procédures judiciaires
ne cesse de s’aggraver: il ressort des chiffres actuels que les
affaires à ce sujet représentent près de la moitié de l’ensemble
des affaires pendantes devant le Comité des Ministres; il est regrettable
que près d’un tiers des affaires relatives à la durée excessive
de la procédure judiciaire concerne l’Italie.
209. Compte tenu de ce qui précède, il est essentiel que les Etats
parties remplissent leur obligation au titre de l’article 46 de
la Convention, c’est-à-dire qu’ils garantissent l’exécution pleine
et entière et rapide des arrêts de la Cour. Les parlements nationaux
peuvent, à cet égard, avoir un rôle essentiel à jouer car ils peuvent, souvent
avec plus d’efficacité que le Comité des Ministres, exercer des
pressions sur les gouvernements pour assurer l’exécution effective
d’un arrêt défavorable. Le présent rapport a fait apparaître les
mécanismes qui existent au Royaume-Uni et aux Pays-Bas comme des
exemples de «bonne pratique» dans le contrôle parlementaire de l’exécution
des arrêts de la Cour; des développements positifs ont aussi été
observés récemment dans d’autres pays comme la Finlande, l’Allemagne
et la Roumanie. Cela étant, malgré ce qui précède, trop peu d’Etats
s’engagent à fond dans ce processus, situation à laquelle doivent
en priorité faire face les parlementaires nationaux. D’où l’importance,
à cet égard, de la décision prise par notre commission le 5 octobre 2010
de proposer à l’Assemblée que le débat de 2011 sur l’état des droits
de l’homme en Europe soit axé sur «les parlements nationaux – garants
des droits de l’homme en Europe».
210. Parallèlement aux problèmes systémiques à l’origine de nombreuses
requêtes répétitives, il convient d’être très attentif à l’évolution
inquiétante observée dans certains Etats. A titre d’exemple particulièrement préoccupant,
je citerai le non-respect des mesures provisoires prévues à l’article 39
du Règlement de la Cour (lié à l’obligation des Etats de ne pas
compromettre l’effectivité du droit de requête individuelle
). A cet égard, la décision de l’Italie
d’expulser des requérants, contrairement aux mesures prévues à l’article 39,
vers un pays où il existe un risque réel de mauvais traitements
est tout simplement inacceptable. Malgré les assurances que les
autorités italiennes ont données au Comité des Ministres, selon
lesquelles elles allaient mettre un terme à cette tendance
, un autre
requérant, M. Mannai, a été expulsé le 1er mai 2010 en violation d’une
mesure provisoire indiquée par la Cour
. La République slovaque a récemment
pris des mesures analogues en extradant Mustapha Labsi vers l’Algérie,
passant outre une mesure provisoire ordonnée par la Cour
. L’Assemblée a souligné l’importance
d’une coopération pleine et entière de tous les Etats parties avec
la Cour «à toutes les étapes de la procédure et même avant que la
procédure ait formellement commencé»
. En fait, un mépris aussi absolu
des mesures provisoires menace gravement le droit de requête individuelle
et l’effectivité du système conventionnel dans son ensemble. Les
parlementaires, au niveau de l’Assemblée comme au niveau national,
doivent privilégier les initiatives visant à mettre un terme à un
comportement aussi déshonorant.
211. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, je me suis
rendu dans sept Etats parties pour savoir dans quelle mesure les
arrêts de la Cour étaient exécutés et apprécier l’étendue du contrôle
parlementaire dans ces pays mais aussi dans plusieurs autres. Il
apparaît clairement que la situation relative à l’exécution des
arrêts de la Cour est actuellement loin d’être satisfaisante. Comme
mon collègue M. Holger Haibach l’a souligné à juste titre dans une
récente proposition de résolution intitulée «Assurer la viabilité
de la Cour de Strasbourg»: «Afin de veiller à remédier rapidement
et correctement aux insuffisances structurelles, l’Assemblée parlementaire
devrait elle-même entreprendre un suivi de l’exécution des arrêts
de la Cour de Strasbourg et inviter vivement les parlements nationaux
à s’y employer également de manière régulière et rigoureuse.»
En outre, il est tout
simplement inacceptable, pour des Etats appartenant à une organisation européenne
qui se pose en «conscience de l’Europe», de ne pas prendre des mesures
immédiates et rigoureuses à la suite de décès ou de mauvais traitements
infligés par des forces de l’ordre; l’importance de supprimer l’impunité
ne saurait être surestimée, et ce, pas uniquement dans la région
du Caucase du Nord de la Fédération de Russie, même si ce problème
y est le plus virulent, comme M. Dick Marty l’a montré dans son rapport
. La non-exécution des arrêts de
la Cour en pareil cas met gravement en péril le système de protection
établi par la Convention. C’est pourquoi je compte sur mes collègues
pour qu’il soit remédié à cette situation peu satisfaisante.
212. Deux dernières observations importantes: l’Assemblée, en sa
qualité d’organe statutaire du Conseil de l’Europe (et constituée
des parlementaires que nous sommes) ne devrait pas accepter docilement
le principe selon lequel le Comité des Ministres est «exclusivement
compétent» sur ce sujet. Lorsque les arrêts de la Cour ne sont pas
exécutés pleinement et rapidement, nous avons aussi, en notre qualité
de parlementaires, le devoir de contribuer à la surveillance de
l’exécution des arrêts de la Cour. La crédibilité et la viabilité
de notre système européen des droits de l’homme ne sauraient reposer
uniquement sur l’organe exécutif du Conseil de l’Europe (dans les
faits, les représentants diplomatiques des gouvernements). A cela
s’ajoute l’idée, que j’ai avancée dès août 2009, selon laquelle
l’Assemblée devrait envisager dans l’avenir de suspendre les droits
de vote des délégations des pays dont les parlements n’exercent
pas sérieusement un contrôle sur l’exécutif dans les affaires de
non-exécution des arrêts rendus par la Cour européenne des droits
de l’homme
.