1. Introduction
1. Le 23 juin 2008, la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme a été saisie pour rapport sur le thème
«La peine de mort dans les Etats membres et observateurs du Conseil
de l’Europe – Une violation inadmissible des droits de l’homme»
. Le 29 septembre 2008, la
commission a été saisie pour rapport sur le sujet connexe «Respect
de la décision de la Cour internationale de justice dans l’affaire
Avena»
. Lors de sa réunion du 10
novembre 2008, la commission m’a désignée comme rapporteur pour
ces deux thèmes. Le 29 janvier 2009, la commission a décidé de traiter
les deux sujets ensemble dans le cadre du présent rapport. Dans
un souci de synthèse, le titre du rapport ne fait pas expressément
référence à l’affaire Avena
(même
si, en effet, ce dernier sujet fait partie intégrante du rapport).
2. Du 24 au 26 février 2010, j’ai assisté, avec une sous-commission
ad hoc constituée à cette fin
, au 4e Congrès
mondial pour l’abolition de la peine de mort à Genève, où j’ai prononcé
un discours
en
plénière et tenu des réunions d’information à l’intention de parlementaires
et d’experts, en particulier originaires des Etats-Unis d’Amérique,
du Japon et du Bélarus. J’ai rencontré l’ambassadeur Rafael Valle
Garagorri, qui venait d’être désigné par le Premier ministre espagnol
à la tête d’une nouvelle initiative diplomatique ayant pour objectif
l’abolition. La Commission internationale contre la peine de mort
a pour objectif de promouvoir l’abolition de la peine de mort partout
dans le monde. Elle est composée d’un président, Federico Mayor Zaragoza,
ancien directeur général de l’UNESCO, et d’un maximum de 10 commissaires,
personnalités de stature internationale, à l’autorité morale et
à l’expertise reconnue en matière de droits de l’homme.
3. Lors de la réunion de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme du 26 avril 2010, j’ai été autorisée à
écrire une lettre à la secrétaire d’Etat des Etats-Unis d’Amérique
concernant la mise en œuvre de l’arrêt Avena de la Cour internationale
de justice (CIJ), conjointement avec le président de la commission,
M. Christos Pourgourides (en annexe).
4. Pendant toute la durée de mon mandat, je suis intervenue en
tant que rapporteur sur l’abolition de la peine de mort dans des
Etats observateurs afin de m’élever contre les menaces d’exécution
dans les Etats observateurs du Conseil de l’Europe et au Bélarus,
et contre les exécutions partout dans le monde qui menacent des
Européens
.
5. L’Assemblée parlementaire s’est toujours consacrée à la cause
abolitionniste, invitant à plusieurs reprises les Etats membres
du Conseil de l’Europe à signer et à ratifier – en plus du Protocole
no 6 qui prévoit l’abolition de la peine de mort en temps de paix
– le Protocole no 13 à la Convention
européenne des droits de l’homme
,
qui oblige les signataires à abolir la peine de mort en toutes circonstances.
Elle continue à exercer des pressions sur les Etats observateurs
du Conseil de l’Europe, en particulier les Etats-Unis et le Japon,
pour qu’ils abolissent la peine capitale
.
L’Assemblée a également décidé qu’elle ne réactivera le statut d’invité
spécial pour le Parlement du Bélarus qu’à la condition qu’il introduise
au préalable un moratoire sur les exécutions
.
6. Le Conseil de l’Europe a de plus en plus fondé ses arguments
contre la peine capitale sur la Convention européenne des droits
de l’homme (CEDH), qui énonce le droit à la vie et l’interdiction
des traitements cruels, inhumains et dégradants
. Comme nous le verrons
, la Cour européenne des droits de
l’homme en est presque venue à conclure que la reconnaissance explicite
de la peine de mort à l’article 2 de la CEDH est désormais obsolète.
Mettant en avant l’obligation positive de l’Etat de protéger la
vie et soulignant les conditions inhumaines régnant dans les couloirs
de la mort, qui sont physiquement et psychologiquement équivalentes
à de la torture, ainsi que les méthodes tout aussi inhumaines et
dégradantes d’exécution en usage dans les pays non abolitionnistes,
le Conseil de l’Europe a enregistré quelques progrès au cours de
la dernière décennie sur la voie de l’abolition en Europe et au
niveau mondial, et en particulier dans ses Etats observateurs et
ceux qui souhaitent devenir membre du Conseil
.
Toutefois, il reste encore beaucoup à faire
. Les Etats-Unis d’Amérique,
le Japon et le Bélarus en particulier demeurent des exemples frappants d’Etats
qui continuent à imposer la peine capitale.
7. Le présent rapport entend passer en revue les évolutions dans
ces Etats depuis la dernière fois que l’Assemblée a fait le point
sur la situation de la peine de mort, en mettant l’accent sur les
Etats observateurs – les Etats-Unis d’Amérique et le Japon. Il rappellera
aussi brièvement pourquoi les Etats non abolitionnistes pourraient
tirer parti de l’abolition. Mais pour commencer, j’aimerais faire
le point sur la situation en Europe.
2. Evolutions
en Europe: une reconnaissance croissante de la peine de mort en
tant que violation des droits de l’homme
2.1. La jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme
8. La jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme a évolué de telle manière que l’on peut parler d’un consensus
croissant en Europe affirmant que la peine de mort constitue une
violation des droits de l’homme.
9. Dans son arrêt de 1989 dans l’affaire
Soering
c. Royaume-Uni, la Cour a estimé qu’extrader le requérant,
accusé de meurtre, vers un pays (les Etats-Unis d’Amérique) où il
risquait d’être exécuté ne constituait pas une violation de l’article
2 (Droit à la vie), en raison de la référence explicite à la peine
de mort en tant qu’exception au droit à la vie énoncée à l’article
2, paragraphe 1, deuxième phrase. Cependant, la Cour a estimé que
les conditions dans les couloirs de la mort aux Etats-Unis étaient
équivalentes à un traitement cruel, inhumain et dégradant:
«[Eu égard] à la très longue période
à passer dans le “couloir de la mort” dans des conditions aussi extrêmes,
avec l’angoisse omniprésente et croissante de l’exécution de la
peine capitale, et à la situation personnelle du requérant, en particulier
son âge et son état mental à l’époque de l’infraction, une extradition
vers les Etats-Unis exposerait l’intéressé à un risque réel de traitement
dépassant le seuil fixé par l’article 3.»
10. Seize ans plus tard, dans l’affaire
Öcalan
c. Turquie, la Cour semblait prête à traiter la question
de la peine de mort comme violant l’article 2, malgré la référence
explicite à ce châtiment dans cet article, compte tenu de l’évolution
du consensus contre la peine capitale en Europe. L’arrêt de chambre
renvoyait à l’affaire Soering, considérant que le temps était peut-être
venu de reconnaître que la pratique des Etats avait changé eu égard
à la peine de mort au point de rendre la référence à l’article 2
obsolète. Une fois saisie, la Grande Chambre de la Cour a éludé
la question. Rappelant le «nombre élevé d’Etats qui n’ont pas signé
ou ratifié le Protocole no 13 relatif à l’abolition de la peine
de mort en toutes circonstances», la Cour ne pouvait pas encore «constater
que les Etats contractants ont une pratique établie de considérer
l’exécution de la peine de mort comme un traitement inhumain et
dégradant contraire à l’article 3 de la Convention, compte tenu
du fait que cette dernière disposition n’admet aucune dérogation,
même en temps de guerre». La Grande Chambre a jugé inutile «de parvenir
à une conclusion définitive sur ces points puisque, (…) il serait
contraire à la Convention, même si l’article 2 de celle-ci devait
être interprété comme autorisant toujours la peine de mort, d’exécuter
une telle peine à l’issue d’un procès inéquitable»
. Ainsi, étant donné que M. Öcalan, selon
la Cour, «n’a pas été jugé par un tribunal indépendant et impartial
(en raison de la présence d’un juge militaire parmi les magistrats de
la Cour de sûreté de l’Etat), que les médias ont exercé sur les
juges une influence défavorable pour lui et que ses avocats n’ont
pas eu un accès suffisant au dossier du procès pour assurer convenablement
sa défense», la Cour a conclu à une violation fondée sur un traitement
inhumain à la suite d’un procès inéquitable plutôt que de considérer
que la peine de mort constituait en soi une violation de l’article
2
.
11. En 2010, la Cour a fait un autre pas en avant sur la question
de la peine de mort et de l’article 2, dans l’affaire
Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni.
Evaluant les progrès enregistrés en matière de ratification et la
jurisprudence eu égard à la peine de mort depuis l’arrêt Soering,
la Cour a conclu que:
«le droit
découlant de l’article 1er du Protocole no 13 de ne pas être condamné
à la peine de mort, qui n’admet aucune dérogation et s’applique
en toutes circonstances, compte, avec les droits énoncés aux articles
2 et 3, comme un droit fondamental, consacrant l’une des valeurs
fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil
de l’Europe. Il faut donc en interpréter les dispositions de manière étroite.
(…)
[Le fait que] tous les Etats membres sauf deux ont maintenant
signé le Protocole no 13 et [que] tous les Etats signataires sauf
trois l’ont ratifié (...) [plus] la pratique cohérente des Etats
de respecter le moratoire sur la peine capitale montrent clairement
que l’article 2 a été amendé de façon à interdire la peine de mort
en toutes circonstances.»
12. Ainsi, pour la première fois, la Cour s’est fondée sur l’article
2 de la CEDH, nonobstant sa formulation, pour justifier le devoir
de ne pas expulser ou extrader une personne qui court le risque
grave d’être condamnée à mort par le pays d’accueil. La Cour a estimé
que le consensus européen contre la peine de mort avait atteint un
point de maturité suffisant pour passer outre «l’exception de la
peine de mort» explicite à l’article 2 de la CEDH (Droit à la vie).
2.2. Evolutions dans
la Fédération de Russie
13. S’agissant de la Fédération de Russie, la ratification
du Protocole no 6, et donc l’abolition de la peine de mort en droit
– conformément à l’engagement spécifique pris par la Russie avant
d’adhérer au Conseil de l’Europe –, est toujours en attente. Mais
la Douma d’Etat a prolongé le moratoire sur la peine de mort en novembre
2006 jusqu’à 2010, et à la fin de l’année 2009 la Cour constitutionnelle
russe l’a encore une fois prolongé «jusqu’à la ratification du Protocole
no 6 à la Convention européenne des droits de l’homme», interdisant
ainsi dans les faits les exécutions en temps de paix
.
2.3. Bélarus: le «trou
noir» dans une Europe dans l’ensemble abolitionniste
14. La situation au Bélarus est très bien décrite par
le témoignage d’Oleg Alkaev, directeur de la maison d’arrêt (SIZO)
no 1 de Minsk de décembre 1996 à mai 2001, s’adressant à Amnesty
International en janvier 2009
:
«Le détenu a les yeux bandés et
ses mains sont attachées dans le dos, et il est emmené dans une
autre pièce. On lui dit qu’on va le tenir afin qu’il ne s’assoie
pas n’importe où. On l’oblige à se mettre à genoux, et en une seconde,
il est abattu. Je ne me souviens pas de cas où le détenu se soit
débattu ou ait lutté. Leur volonté est anéantie. Ils sont au bord
de la folie. Ils savent qu’ils vont mourir mais ne savent pas combien
de temps il leur reste, ça pourrait être cinq minutes ou bien quinze,
mais ils pensent qu’ils ont encore le temps et se contentent de
ça.»
15. J’aimerais rappeler qu’Oleg Alkaev est aussi un témoin clé
en ce qui concerne l’utilisation présumée du pistolet d’exécution
officiel dans une série d’exécutions extrajudiciaires qui ont fait
l’objet d’un rapport important de Christos Pourgourides sur les
disparitions de personnalités éminentes au Bélarus
.
16. Le Bélarus aspire à devenir membre du Conseil de l’Europe.
Le maintien de la peine de mort dans le pays en violation à la fois
du droit à la vie et de l’interdiction des traitements cruels, inhumains
et dégradants constitue un obstacle majeur à la levée de la suspension
du statut d’invité spécial et à l’adhésion.
17. En février 2008, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
de l’époque, Terry Davis, condamnait les exécutions de Syarhey Marozaw,
Valery Harbaty et Ihar Danchenka. «Je suis révolté par la volonté
persistante des autorités du Bélarus d’isoler leur pays du reste
de l’Europe», notait Terry Davis. «Par ces condamnations à mort,
elles semblent fières de défier les valeurs humaines communes aux
autres pays européens.» En avril 2008, le rapporteur de l’Assemblée
sur la situation au Bélarus exhortait ce pays à abolir la peine
capitale, dans une lettre ouverte aux présidents des deux chambres
du Parlement du Bélarus, qui a été publiée dans les médias officiels.
En juin 2009, l’Assemblée a voté en faveur d’une invitation de son
Bureau à lever la suspension du statut d’invité spécial du Parlement
du Bélarus à la condition – qui a été introduite par un amendement
à la résolution à mon initiative – que le Bélarus déclare d’abord
un moratoire sur l’imposition de la peine capitale
. Mais peu de temps après, deux
autres exécutions ont eu lieu, celles d’Andreï Jouk et de Vassili
Iouzeptchouk
.
Alors que les cas de ces deux hommes étaient en cours d’examen par
le Comité des droits de l’homme des Nations Unies, le Bélarus a
procédé à leurs exécutions «dans le secret le plus total»
. Dans
sa Résolution 1727 (2010), l’Assemblée a par conséquent décidé de
suspendre ses contacts à haut niveau avec les autorités du Bélarus.
18. Lors du 4e Congrès mondial sur l’abolition de la peine de
mort, qui s’est tenu à Genève en février 2010, j’ai rencontré de
hauts responsables du Bélarus, dont Mikalai Samaseika, président
du groupe de travail sur la peine de mort récemment mis en place
par le Parlement du Bélarus
.
Comme l’a justement dit le Président de l’Assemblée, Mevlüt Çavuşoğlu,
en février dernier, la création même de ce groupe de travail est
un pas dans la bonne direction et l’Assemblée est prête à aider
le groupe de travail à lancer un débat public éclairé en vue de
créer les conditions de l’abolition
. J’aimerais rappeler dans
ce contexte que la Cour suprême du Bélarus avait déjà conclu en
mars 2004 que la peine de mort, en vertu de la Constitution du Bélarus,
n’était qu’une mesure temporaire et qu’un moratoire sur les exécutions
pouvait être déclaré à tout moment par le Président ou par le parlement
.
Il est grand temps que cette initiative soit enfin prise. Le temps
des «signaux» contradictoires, de souffler le chaud et le froid,
est définitivement révolu.
2.4. Abolition en toutes
circonstances: Protocole no 13
19. Outre les situations dans la Fédération de Russie
et au Bélarus décrites ci-dessus, certains autres problèmes doivent
encore être résolus en Europe. La Lettonie a maintenu la peine de
mort dans ses textes pour certains crimes dans des circonstances
exceptionnelles
.
La Russie et l’Azerbaïdjan n’ont pas signé, et l’Arménie, la Lettonie
et la Pologne ont signé mais pas ratifié le Protocole no 13 relatif
à l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances
.
Ainsi, des améliorations sont encore possibles concernant l’abolition
de la peine de mort en toutes circonstances à l’échelle européenne.
20. Pour ce qui est de l’abolition au niveau mondial, la Coalition
mondiale contre la peine de mort
a
lancé en 2009 une campagne en vue de la ratification du Deuxième
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, qui est le seul traité universel
interdisant les exécutions et prévoyant l’abolition totale de la
peine de mort. Parmi les pays cibles figurent l’Arménie, la Lettonie
et la Pologne, qui sont les seuls Etats membres du Conseil de l’Europe
ayant aboli la peine de mort et n’ayant toujours pas ratifié le
Deuxième Protocole facultatif
.
3. Evolutions aux
Etats-Unis d’Amérique
3.1. De lents progrès
vers l’abolition
21. Depuis 2006, date à laquelle l’Assemblée a adopté
sa dernière recommandation concernant l’abolition de la peine de
mort dans les Etats membres et observateurs
, certains progrès ont
été enregistrés aux Etats-Unis, quoique lents. Au cours des trois
dernières années, trois Etats ont aboli la peine capitale
,
la récente crise financière a rendu des pans entiers de la société
américaine et des dirigeants des différents Etats plus ouverts aux
arguments économiques en faveur de l’abolition
,
et la Cour suprême a fait preuve de sa volonté de considérer à nouveau
la question de la constitutionnalité des exécutions
.
22. Les chiffres viennent étayer la tendance abolitionniste dans
la société américaine. Bien que le taux d’exécutions ait augmenté
précipitamment depuis que la Cour suprême a rétabli la peine de
mort en 1976
, leur nombre
est resté stable ces dernières années, s’établissant autour de 45
par an. Si les chiffres recensant le nombre de personnes mises à
mort sur une base annuelle ne sont guère encourageants (42 en 2007
,
37 en 2008
et
52 en 2009
), le nombre de condamnations à mort
prononcées ces trois dernières années est plus révélateur des tendances
actuelles. Les condamnations à mort sont en baisse: le total de
106 condamnations à mort qui, selon le Centre américain d’information
sur la peine de mort, ont été prononcées sur tout le territoire
des Etats-Unis pour 2009, représenterait la septième année consécutive
de baisse et le total annuel le plus bas depuis la reprise des exécutions
en 1977
. En outre, ces trois dernières
années, des lois sur l’abolition de la peine de mort ont été adoptées
dans les Etats de New York, du New Jersey et du Nouveau-Mexique,
ramenant le nombre des Etats abolitionnistes à 15, plus le District
de Columbia en tant que 16e juridiction (non étatique) abolitionniste.
Si l’abolition
de jure de
la peine de mort dans ces Etats peut être considérée comme une simple
formalité, puisque les trois Etats avaient à des degrés divers observé
un moratoire depuis 1976 (New York et New Jersey le respectant strictement,
et le Nouveau-Mexique de manière plus libre)
,
l’abrogation de fait de la peine capitale dans ces Etats a fait
la une des journaux à travers tous les Etats-Unis et ouvert la voie
à un débat concernant la moralité, l’efficacité et la faisabilité
économique de ce châtiment.
23. La question des coûts du système de la peine capitale a permis
au mouvement abolitionniste de faire de réels progrès, compte tenu
des économies déprimées des Etats et de la diminution des fonds
disponibles pour les programmes sociaux et de maintien de l’ordre.
Comme au Nouveau-Mexique, où les considérations économiques ont
été décisives pour l’abolition de la peine de mort décidée par le
gouverneur Bill Richardson, de nombreux gouverneurs et citoyens
d’Etats historiquement favorables à la peine capitale mais en manque de
fonds réexaminent leurs options. Dans les Etats du Colorado, du
Kansas, du Maryland, du Montana, du New Hampshire, du Nebraska,
en plus de celui du Nouveau-Mexique, la crise économique et ses répercussions
sur les budgets publics ont ouvert des débats sur l’abolition de
la peine capitale comme moyen de réduire les coûts. Dans ces Etats,
les électeurs préféreront peut-être utiliser les sommes d’argent actuellement
investies dans les batailles juridiques face aux appels contre les
condamnations à mort pour des programmes sociaux qui amélioreront
les écoles ou stimuleront le développement pendant la récession.
Une attention particulière a été portée sur le fait que l’argent
dépensé pour maintenir les détenus dans les couloirs de la mort
pourrait être mieux utilisé au Maryland, où des études ont estimé
que le coût d’une
seule exécution s’élevait
à la somme astronomique de 37 millions de dollars
.
Curieusement, dans d’autres Etats comme le Texas et la Californie
– où il y a, respectivement, le plus grand nombre d’exécutions par
an et le plus grand nombre de détenus dans les couloirs de la mort
–,
l’argument économique en faveur de l’abolition n’a guère été entendu
. D’un point de vue financier, la Californie
est l’Etat qui bénéficierait le plus de l’abolition. Le coût annuel
du système de la peine capitale en Californie est évalué à 137 millions
de dollars des Etats-Unis. L’abrogation de la peine de mort et son
remplacement par la réclusion à perpétuité permettraient d’économiser près
de 92 %, soit 125,5 millions de dollars par an
.
Ces fonds pourraient être investis dans des ressources supplémentaires
pour la police afin de faire monter le taux lamentable d’élucidation
des crimes violents en Californie, qui est très en deçà de la barre
des 50 %
.
24. La Cour suprême des Etats-Unis laisse aussi deviner des failles
dans sa carapace anti-abolition. Après l’invalidation temporaire
par la Cour de la peine capitale dans l’affaire
Furman c. Géorgie en 1972, elle
n’a pas souhaité réexaminer la question de la constitutionnalité
de la peine de mort jusqu’en 2007. A cette époque, dans les trois
semaines qui ont suivi la décision dans l’affaire
Baze c. Rees d’envisager un recours
fondé sur le huitième amendement («Peines cruelles ou inhabituelles»)
contre l’exécution par injection létale
,
la Cour est intervenue pour stopper trois autres exécutions pour
des motifs liés au huitième amendement
. Bien que la Cour ait finalement
conclu dans l’affaire Baze que les injections létales ne constituaient
pas une violation du huitième amendement, il est encourageant de
considérer qu’elle a fait preuve d’une certaine tendance, au cours
de la dernière décennie, à être plus critique vis-à-vis de la peine
de mort, au moins dans certains cas. La Cour a par exemple proscrit
l’exécution d’un détenu retardé mental en 2002 dans l’affaire
Atkins c. Virginie ainsi
que l’application de la peine de mort à des délinquants mineurs
en 2005 dans l’affaire
Roper c. Simmons ,
et son examen de la légalité des injections létales a eu pour effet
d’instaurer un moratoire provisoire sur les exécutions dans toute
la nation.
25. Un autre signe de progrès sur la voie de l’abolition provient
d’un autre organe juridique puissant, l’American Law Institute (ALI).
Chargé de formuler des synthèses
(restatements) et
des modèles de codes de droit, l’ALI est capable de façonner sa
propre version de la législation. Les
restatements et
codes de l’institut sont cités comme des sources persuasives dans
presque toutes les juridictions et domaines de droit aux Etats-Unis,
et plutôt que de simplement «réitérer» le droit jurisprudentiel
en vigueur, ces publications sont par nature novatrices et tournées
vers l’avenir. Cet organe a voté en octobre 2009 pour le retrait
de l’article 210.6 de son modèle de Code pénal, recommandant que
celui-ci n’inclue plus la peine de mort, «au vu des obstacles actuels insurmontables
d’ordre structurel et institutionnel empêchant la mise en œuvre
d’un système minimal approprié dans la gestion de la peine capitale»
.
26. Le Conseil de l’American Law Institute, dans son rapport à
ses membres, déclarait qu’«à moins d’être certains de pouvoir recommander
des procédures répondant aux plus importantes des préoccupations, l’institut
ne devrait pas continuer à jouer un rôle de légitimation de la peine
capitale, intentionnellement ou non, en maintenant l’article dans
le modèle de Code pénal»
.
Selon le Centre d’information sur la peine de mort, «par cette initiative,
l’American Law Institute se retire de toute tentative visant à créer
un système de peine de mort acceptable parce que le système s’est
révélé inutilisable»
.
27. Du point de vue de l’opinion publique, cependant, les récentes
évolutions laissent moins d’espoir. Un sondage Gallup d’octobre
2009 révèle qu’au niveau fédéral, 65 % des citoyens soutiennent
encore la peine de mort pour une personne condamnée pour meurtre
.
Ce chiffre ne révèle aucune tendance à la baisse au cours de la
décennie écoulée, tournant autour de 64 à 70 %. En réalité, 80 %
des Américains estiment que la peine de mort n’est pas assez souvent
prononcée ou qu’elle l’est à la bonne fréquence, bien que la plupart
des Américains pensent qu’au moins une personne innocente a été
exécutée aux Etats-Unis au cours des cinq dernières années
.
Quoique les législateurs et responsables politiques américains invoquent
l’important soutien en faveur de la peine capitale comme étant un
obstacle à son abolition, il est important de noter que la peine
de mort jouissait d’un soutien populaire au moment de son abolition
dans tous les Etats abolitionnistes actuels
.
3.2. Echec persistant
dans l’exécution de l’arrêt Avena (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique)
de la Cour internationale de justice
3.2.1. Obligations conventionnelles
des Etats-Unis
28. Ratifiée par plus de 170 pays, la Convention de Vienne
sur les relations consulaires de 1963 réglemente la création et
le fonctionnement des consulats au niveau mondial. L’article 36
de cette convention réglemente la communication consulaire et les
contacts avec les ressortissants étrangers. Lorsque des étrangers
sont appréhendés, arrêtés ou placés en détention, les autorités
doivent les informer sans délai de leur droit de communiquer avec
le consulat et de prévenir le consulat de leur arrestation. A la
demande du ressortissant étranger, le consulat doit alors être informé
sans délai. L’article 36 confère aussi le droit aux consulats de communiquer
avec leurs ressortissants détenus, de leur rendre visite et de leur
proposer de l’aide, y compris le droit de pourvoir à leur représentation
en justice. L’article exige ensuite que les lois et règlements locaux doivent
permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles les droits
sont accordés aux étrangers retenus et à leurs représentants consulaires.
Un accès en temps opportun à l’assistance consulaire est d’une importance
cruciale lorsque des individus risquent d’être jugés dans le cadre
d’un système juridique étranger souvent peu familier.
29. Les droits et obligations découlant de l’article 36 sont réciproques
par nature. Comme l’a déclaré la secrétaire d’Etat Madeleine Albright
en 1998
, la
capacité des consulats américains à fournir une telle assistance
dépend fortement de la mesure dans laquelle les gouvernements étrangers
honorent leurs obligations de notification consulaire vis-à-vis
des Etats-Unis. Par ailleurs, les Etats-Unis doivent être prêts
à accorder à d’autres pays le même respect scrupuleux des exigences
de notification consulaire que celui auquel ils s’attendent pour
eux-mêmes et leurs ressortissants à l’étranger de la part de ces
pays.
30. Les Etats-Unis ont ratifié la Convention de Vienne sur les
relations consulaires sans réserves en 1969, mais le respect des
obligations énoncées à l’article 36 a longtemps été défaillant –
même dans les cas où des ressortissants étrangers risquaient la
peine capitale s’ils étaient reconnus coupables.
31. En 1969, les Etats-Unis ont également ratifié sans condition
le protocole de signature facultative à cette convention concernant
le règlement obligatoire des différends, selon lequel les différends
concernant l’interprétation ou l’application de l’article 36 relèvent
de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice.
En vertu de l’article 59 du statut de la CIJ, ses décisions dans
de tels cas sont obligatoires pour les parties en litige; en vertu
de l’article 94 (1) de la Charte des Nations Unies, chaque membre
des Nations Unies s’engage à se conformer à la décision de la CIJ
dans tout litige auquel il est partie. Les Etats-Unis ont en fait été
le premier pays à saisir la justice en vertu du Protocole facultatif
à la Convention de Vienne, en réaction à l’enlèvement du personnel
diplomatique et consulaire américain en Iran en 1979.
3.2.2. L’affaire Avena
de la Cour internationale de justice
32. En janvier 2003, le Mexique a saisi la CIJ au nom
d’un groupe de ressortissants mexicains qui avaient été condamnés
à mort sans avoir été informés de leurs droits consulaires. Le Mexique
demandait à la Cour d’examiner si ses ressortissants mexicains avaient
le droit à des voies de recours légales pour violation de l’article
36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. Les
Etats-Unis ont participé pleinement à l’affaire, qui a été intitulée
«Avena et autres ressortissants mexicains».
33. Dans cette procédure, le Mexique cherchait à s’assurer que
chacun de ses ressortissants reçoive la protection auquel il avait
droit en vertu du droit interne et du droit international.
34. La CIJ a rendu son jugement le 31 mars 2004. Elle a constaté
des violations de l’article 36 dans 51 des 52 cas examinés. La Cour
a estimé que les tribunaux américains devaient «réexaminer et réviser»
les condamnations et les peines prononcées afin de déterminer dans
chaque cas si la violation de l’article 36 portait atteinte aux
droits de l’accusé.
3.2.3. L’affaire Medellín
de la Cour suprême des Etats-Unis et la position de l’administration
Bush
35. En 2004, dans l’affaire
Medellín
c. Dretke, la Cour suprême des Etats-Unis a accepté d’examiner
si l’arrêt Avena devait être exécuté par les tribunaux nationaux.
Toutefois, avant que la Cour n’entende une argumentation orale dans
cette affaire, le Président a adressé un mémorandum au ministre
de la Justice des Etats-Unis déclarant:
«J’ai décidé, conformément à l’autorité qui m’est investie
en tant que Président par la Constitution et les lois des Etats-Unis
d’Amérique, que les Etats-Unis s’acquitteront de leurs obligations
internationales découlant de l’arrêt Avena et qu’il sera demandé
aux tribunaux de l’Etat de donner effet à ladite décision, conformément
aux principes généraux de courtoisie, dans les cas des 51 ressortissants
mexicains traités dans cette décision.»
36. Dans un mémoire déposé auprès de la Cour suprême, l’avocat
général des Etats-Unis expliquait que le respect de l’arrêt Avena
«sert à protéger les intérêts des ressortissants américains à l’étranger,
fait la promotion de la bonne conduite des relations étrangères
et souligne l’engagement des Etats-Unis au sein de la communauté
internationale en faveur de l’Etat de droit».
37. La Cour suprême a décidé de ne pas statuer sur le fond de
l’affaire et a estimé au lieu de cela que la requête en habeas corpus au niveau de l’Etat
déposée par M. Medellín, fondée sur l’arrêt Avena et le mémorandum
présidentiel, devait d’abord être examinée par les tribunaux texans.
38. Une fois que les tribunaux texans eurent conclu que ni la
décision Avena ni le mémorandum présidentiel n’avaient qualité d’une
loi fédérale obligatoire ayant vocation à se substituer à la procédure
de l’Etat concernant l’introduction de nouvelles requêtes en habeas corpus, la Cour suprême des
Etats-Unis a de nouveau accepté d’examiner le cas de M. Medellín.
39. Dans leur mémoire à la Cour suprême, toutes les parties –
y compris le Texas – sont convenues que le respect de la décision
Avena était une obligation internationale contraignante; le seul
litige entre les parties concernait les moyens appropriés de garantir
son exécution en droit interne.
40. La Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Medellín c. Texas le 25 mars 2008.
La Cour a estimé que la décision Avena n’était pas directement applicable
en droit interne en l’absence d’une législation d’application et
que le Président n’avait pas le pouvoir d’exécuter unilatéralement
cette décision.
41. Si les opinions de la majorité, concordantes et dissidentes,
différaient largement dans leurs approches des questions juridiques
présentées, il y a eu l’unanimité pour dire que le respect de la
décision Avena est une obligation juridique internationale des Etats-Unis
et que le Congrès est compétent pour la mettre en œuvre. La Cour
a également reconnu à l’unanimité qu’il importait de garantir le
respect de la décision Avena.
3.2.4. Conclusion: une
législation est de toute urgence nécessaire pour garantir le respect
de la décision Avena
42. Il est urgent d’adopter une législation pour garantir
le respect de l’arrêt Avena. Cela a été rappelé dans une lettre
adressée au secrétaire d’Etat et au ministre de la Justice le 15
octobre 2009 par un groupe de sénateurs américains. La réponse du
ministère de la Justice en date du 1er avril 2010 reconnaît que
la législation serait la façon «optimale» de mettre en œuvre la
décision Avena, mais le secrétaire d’Etat doit encore réagir à la
lettre des sénateurs. Dans l’intervalle, le Texas semble avoir l’intention
de procéder à l’exécution d’un autre ressortissant mexicain couvert
par la décision Avena.
43. A la suite d’une discussion sur ce thème au sein de la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme le 26 avril 2010,
j’ai donc écrit une lettre (en annexe), avec le président de la
commission, au secrétaire d’Etat américain exhortant le ministère
américain des Affaires étrangères (Department of State) de recommander
au Congrès l’adoption d’une législation visant à mettre les Etats-Unis
d’Amérique en conformité avec la décision Avena, conformément à
la récente reconnaissance par le ministre adjoint de la Justice
que cette législation serait une façon optimale de donner effet
à ce jugement en droit interne.
44. Etant fortement attachés à l’Etat de droit, une valeur généralement
partagée par les Etats-Unis d’Amérique, nous avons fait clairement
connaître notre trouble profond car les Etats-Unis n’ont jusqu’à
ce jour pas mis en œuvre ce jugement, qui a été prononcé il y a
déjà six ans. Cela risque de créer un dangereux précédent que certains
gouvernements pourront invoquer, au détriment des citoyens de tous
nos pays. A ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse à cette lettre.
4. Evolution au Japon:
déception malgré la présence temporaire de ministres de la Justice abolitionnistes
au sein du gouvernement
45. La situation au Japon est complexe. Les changements
dans le système politique et judiciaire donnent une image ambiguë,
tandis que les conditions dans les couloirs de la mort ne montrent
guère de signes d’amélioration; le soutien de l’opinion publique
en faveur de la peine de mort s’est en réalité accru, atteignant un
pic jamais égalé juste au moment où la possibilité de l’abolition
pointait à l’horizon.
46. D’un point de vue politique, l’étincelle d’espoir qu’avait
fait naître la nomination par le Premier ministre Yukio Hatoyama
de l’abolitionniste Keiko Chiba comme ministre de la Justice semble
s’être éteinte. Entre septembre 2009, moment de sa nomination, et
le 2 juin 2010, date à laquelle l’administration de Hatoyama a pris
fin à la suite de la démission du Premier ministre, le Japon a maintenu
un moratoire de fait sur la peine de mort
.
Keiko Chiba est restée ministre de la Justice sous le nouveau Premier
ministre Naoto Kan, mais la double exécution de deux personnes le
28 juillet 2010
en
la présence de la ministre a mis une fin brutale à ce moratoire
de fait. Par ailleurs, malgré la position abolitionniste de la ministre
Chiba, il y aurait toujours 107 personnes dans les couloirs de la
mort au Japon
. Les
espoirs des abolitionnistes du monde entier qui croyaient que la
ministre Chiba pourrait réformer le système pénal japonais et réussirait
à abolir la peine capitale ont donc été déçus jusqu’à maintenant,
même si la ministre, après les exécutions auxquelles elle a assisté,
a annoncé la création d’un groupe de travail chargé de revoir la
question de la peine de mort et souligné le besoin d’un débat approfondi
à ce sujet. Si l’on en croit l’histoire, il est peu probable que
l’abolition de ce châtiment puisse résulter du bref mandat politique
d’un seul ministre de la Justice abolitionniste. Entre 1989 et 1993,
par exemple, quatre ministres successifs avaient refusé d’autoriser
les exécutions, mais en vain. Leurs mandats ont été suivis par une
période particulièrement cruelle sous l’ancien ministre de la Justice
Kunio Hatoyama (baptisé «la Faucheuse» par les opposants à la peine
de mort parce qu’il avait signé 13 ordres d’exécution en moins d’un
an, autorisant ainsi davantage d’exécutions au Japon qu’au cours
de n’importe quelle année écoulée depuis 1975
)
et ses deux successeurs, Okiharu Yasuoka et Eisuke Mori,
qui ont inversé la tendance dans
le pays.
47. Ces dernières années, le soutien de l’opinion publique à la
peine capitale au Japon s’est même accru, atteignant 85,6 %, soit
un saut de quatre points depuis 2004
.
En outre, l’atmosphère de secret qui entoure le processus d’exécution
au Japon continue de masquer la vérité, les citoyens japonais demeurant
dans l’ensemble peu informés des conditions régnant dans les couloirs
de la mort et du processus judiciaire. Comme cela a été le cas depuis
de nombreuses années, les informations sur les couloirs de la mort
se limitent au fait que les condamnés n’ont pas le droit de parler
à quiconque en dehors de leur famille proche et de leurs avocats.
Même la communication avec les autres détenus ou avec les surveillants
est interdite. Hormis le fait d’être soumis à l’isolement, les condamnés
à mort sont contraints de rester assis sans bouger et sont observés par
des caméras vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ils ne sont informés
de la date de leur exécution que le jour même, et leurs familles
n’en sont informées qu’après coup
.
Amnesty International est à l’origine d’un travail de recherche
important sur la santé mentale des détenus des couloirs de la mort
.
48. Les Japonais ne sont dans l’ensemble pas informés du système
des exécutions dans leur propre pays. Ce manque de transparence
est particulièrement troublant, d’autant que dans le nouveau système
– établi en 2008 – des juges non professionnels peuvent condamner
à mort une personne reconnue coupable. Ces jurys de «juges citoyens»
se composent de six non-juristes et de trois juges professionnels
. On espère cependant que cette nouvelle évolution
du système judiciaire donnera à l’opinion publique japonaise un
aperçu de la complexité du système pénal et que les «juges citoyens»
exigeront davantage de transparence afin d’être capables de prendre
véritablement des décisions en toute connaissance de cause.
5. Bref rappel des
principaux motifs en faveur de l’abolition
5.1. Irréversibilité
de la peine de mort
49. En tant qu’êtres humains faillibles, nous ne saurions
prétendre être capables de mettre en place un système pénal exempt
d’erreurs. Compte tenu de la probabilité de reconnaître coupable
et de condamner un innocent, il est inacceptable d’imposer une sanction
qui soit permanente et irréversible. Un système qui condamne et
emprisonne un individu à tort peut prendre des mesures, si peu adéquates
soient-elles, pour réparer l’erreur, mais dès lors qu’un Etat a
exécuté une personne innocente, il n’y a aucun moyen de réparer le
tort causé. Les chiffres provenant du système américain prouvent
que de telles erreurs sont commises à tour de bras: 139 individus
dans les couloirs de la mort ont été reconnus innocents et disculpés
depuis 1973
,
dans la plupart des cas sur la base d’une erreur de témoins oculaires,
de négligence, voire de conduite fautive intentionnelle de la police
et des autorités chargées des poursuites, d’avocats de la défense
incompétents, d’erreurs scientifiques, de témoignages d’indicateurs
peu fiables et de faux aveux
.
50. Il existe encore d’autres marges d’erreur dans l’application
pratique de l’arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis dans l’affaire Atkins c. Virginie, qui a estimé
qu’aucune personne retardée mentale ne devait être soumise à la
peine capitale. Malgré la décision Atkins et en violation du huitième
amendement relatif à l’interdiction des peines cruelles ou inhabituelles,
il existe des preuves que de nombreux Etats continuent d’exécuter
des individus atteints de maladies mentales en raison d’écarts entre
les normes des différents Etats quant à la définition du retard
mental aux fins d’une exécution «justifiable».
5.2. Application arbitraire
et partiale de la peine de mort
51. De nombreuses études, concernant notamment les Etats-Unis,
montrent que la peine de mort est appliquée de manière partiale
en fonction de l’appartenance raciale ou sociale des auteurs de
crimes ou des victimes
et de leur sexe
.
52. Harry Blackmun, juge auprès de la Cour suprême des Etats-Unis,
a constaté que l’expérience de la peine de mort avait échoué. Après
deux décennies de lutte pour mettre en place un système judiciaire appliquant
la peine capitale qui serait cohérent, juste et exempt d’erreurs,
Blackmun a déclaré qu’il «n’apporterait pas de petites retouches
à la machinerie de la mort»
. Des
facteurs arbitraires, comme la race de l’accusé et de la victime,
le choix opportun des représentants légaux des accusés, la juridiction
devant laquelle l’accusé est condamné, la question de savoir si
le gouverneur de cette juridiction est en phase de réélection, sont
très étroitement liés à l’imposition de la peine capitale. Plus
particulièrement, la race est un facteur déterminant essentiel quant
à savoir si la peine de mort va être prononcée. Un rapport du General Accounting
Office a conclu que «dans 82 % des études [revues], il a été constaté
que la race (...) exerçait une influence sur la probabilité d’être
accusé d’un meurtre puni de la peine capitale ou d’être condamné
à mort»
, en
particulier lorsque les condamnés noirs présentent des traits du
visage typiquement «noirs»
.
Un autre facteur essentiel, la qualité des représentants légaux,
dépasse souvent totalement le contrôle des accusés, puisque la quasi-totalité
des condamnés à mort n’ont pas les moyens de se payer un défenseur
et doivent être défendus par des avocats commis d’office. L’examen
de 461 cas impliquant la peine capitale par le quotidien
The Dallas Morning News a révélé
que près d’un condamné à mort sur quatre avait été représenté lors
du procès ou en appel par des avocats commis d’office qui avaient
fait l’objet de sanctions disciplinaires pour faute professionnelle
à un moment donné dans leur carrière
. Dans
l’Etat de Washington, un cinquième des 84 personnes ayant été exécutées
au cours des vingt dernières années avaient été représentées par
des avocats qui avaient été ou ont été ultérieurement radiés de
l’ordre des avocats, suspendus d’exercice ou arrêtés. Au total,
le taux de radiation de l’ordre des avocats pour cet Etat est inférieur
à 1 %
.
Une société démocratique dévouée aux droits de l’homme ne saurait
autoriser que des facteurs totalement arbitraires décident de la
vie ou de la mort d’un homme entre les mains d’un Etat.
5.3. Inefficacité de
la peine de mort
53. Les partisans de la peine de mort mentionnent deux
principales raisons en faveur de l’imposition de la peine capitale:
l’effet dissuasif et celui de rétribution. Cependant, les données
statistiques montrent qu’aucun de ces objectifs n’est atteint lorsqu’un
Etat met à mort des individus
.
La grande majorité des criminologues s’accorde à dire que la peine
de mort n’a aucun effet dissuasif par rapport à ceux déjà obtenus
par la réclusion de longue durée, et plus particulièrement par un
taux élevé d’élucidation des infractions
.
Les homicides commis par l’Etat ne jouent pas non plus le rôle d’une
justice rétributive. La durée prolongée des procédures d’appels
dans les couloirs de la mort peut rouvrir de vieilles blessures
pour les familles des victimes sans apporter de conclusion satisfaisante
.
Une mort supplémentaire, loin de remédier à la mort de victimes innocentes,
ne fait que créer davantage de souffrances, en particulier pour
la famille de la personne exécutée et ses proches. En outre, lorsque
la peine de mort risque d’être ou doit
être prononcée pour des crimes particuliers,
des individus coupables peuvent parfois être acquittés et libérés
si des jurés anti-peine de mort renoncent à formuler un verdict
de culpabilité s’il existe un risque que ce verdict aboutisse à
une condamnation à mort pour l’accusé
. Ainsi, la peine capitale
peut conduire à des niveaux inappropriés de sanctions aux deux extrêmes.
5.4. Coût
54. Le coût de maintenir un détenu dans les couloirs
de la mort est extrêmement élevé. Aux Etats-Unis, où la Constitution
exige un processus judiciaire long et complexe dans les cas susceptibles
d’aboutir à une condamnation à mort, les sommes que dépense l’Etat
dans les batailles juridiques pour les appels concernant les condamnations
à mort pourraient être mieux utilisées à d’autres fins, et en particulier
pour améliorer la dissuasion en augmentant le taux d’élucidation
des crimes graves
.
5.5. Obligations et
opinion internationales
55. Tandis que 139 pays ont aboli la peine de mort en
droit ou en fait, le maintien de la peine capitale aux Etats-Unis
et au Japon les place en compagnie d’Etats tels que la Chine, l’Arabie
saoudite, la Corée du Nord, la Somalie et l’Iran, qui appliquent
toujours la peine de mort à grande échelle
.
56. Par ailleurs, le maintien de la peine de mort aux Etats-Unis
et au Japon est contraire selon moi à leurs obligations en tant
qu’Etats observateurs du Conseil de l’Europe. En vertu de la Résolution
statutaire (93) 26 relative au statut d’observateur, un Etat souhaitant
devenir un Etat observateur du Conseil de l’Europe doit être prêt
à accepter les principes de la démocratie et de la prééminence du
droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous
sa juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés
fondamentales
.
Comme nous l’avons vu ci-dessus, l’imposition de la peine de mort
a été reconnue en Europe comme étant contraire à ces idéaux, bafouant
l’article 2 de la CEDH, le droit à la vie, ainsi que l’article 3,
l’interdiction de traitements inhumains et dégradants. Alors que
deux Etats ayant le statut d’observateurs – le Canada et le Mexique
– ont aboli la peine de mort, le Japon et les Etats-Unis continuent
de l’appliquer. L’Assemblée a donc estimé que le Japon et les Etats-Unis
violaient leurs obligations au titre de la Résolution statutaire
(93) 26
.
57. Compte tenu du consensus international qui s’intensifie contre
la peine capitale, au moins parmi les pays ayant une forte tradition
de respect des droits de l’homme, l’imposition de la peine de mort
entre de plus en plus en conflit avec les obligations légales internationales.
Ainsi, en exécutant José Ernesto Medellín à la suite du jugement
dans l’affaire
Medellín c. Texas ,
les Etats-Unis n’ont pas tenu compte de l’arrêt de la Cour internationale
de justice dans l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c. Etats-Unis d’Amérique) et
se sont ainsi retrouvés dans la position de violer la Charte des
Nations Unies et la Convention de Vienne
.