1. Introduction
1. La Charte sociale européenne révisée énonce que «la
famille, en tant que cellule fondamentale de la société, a droit
à une protection sociale, juridique et économique appropriée pour
assurer son plein développement» (article 16). Le rapporteur considère
que la famille est un facteur et un moteur puissants de la cohésion
sociale et du développement. La relation entre la famille et la
société est réciproque, autonome et responsabilisante: une famille
forte est un atout essentiel pour une bonne société, et une société
cohésive et adaptée aux familles est indispensable au bien-être
de ces dernières.
2. La Stratégie révisée de cohésion sociale du Conseil de l’Europe
indique que c’est au sein de la famille que la cohésion sociale
s’expérimente et s’apprend pour la première fois, et que, tout en
respectant pleinement l’autonomie de la sphère privée, une stratégie
de cohésion sociale doit donc chercher à soutenir les familles. Le
rapporteur estime donc que les relations et liens familiaux devraient
être considérés comme un domaine relevant aussi de politiques publiques
et que toutes les mesures nécessaires devraient être adoptées pour créer
les conditions nécessaires au bien-être et au développement de la
famille.
3. La famille constitue une relation sociale essentielle, originale
et irremplaçable. Il s’agit d’une ressource fondamentale qui établit
les types indispensables de biens publics et communs, remplit d’innombrables fonctions
sociales et, selon les résultats d’enquêtes européennes récentes,
représente une valeur importante et stable pour les citoyens européens
. La famille offre
à ses membres des soutiens multiples tout au long de son cycle de
vie et plus particulièrement en temps de crise sociale et économique.
4. De par ses propriétés (la structure et la qualité de ses relations)
et de ses pouvoirs (de médiation entre les individus et la société),
la famille et son réseau de parenté sont le premier mécanisme social
capable d’amortir l’impact négatif du ralentissement économique
et social et de la récession, et en particulier de la recrudescence
du chômage, de l’insécurité de l’emploi et financière, du remboursement
des crédits immobiliers, des dettes économiques de la famille et
de la pauvreté.
5. Le rapporteur estime que dans une société complexe et en pleine
mutation, le soutien aux familles et leur protection juridique dans
l’accomplissement de leurs fonctions devraient être tenus à un haut
degré de considération dans les programmes politiques des Etats
membres. La solidarité, la confiance réciproque, la capacité de
donner sans rien attendre en retour, les responsabilités mutuelles,
la capacité à prendre soin d’autrui, c’est-à-dire le «capital social»
de la famille, sont des vertus personnelles développées au départ
au sein de la famille puis transmises à la société.
6. La Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables
des affaires familiales sur le thème des «Politiques publiques en
faveur du désir d’enfant: facteurs sociétaux, économiques et personnels»,
qui a eu lieu les 16 et 17 juin 2009 à Vienne, a permis au rapporteur
de réfléchir aux développements récents et aux principaux défis
des politiques familiales dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.
La commission des questions sociales, de la santé et de la famille
a aussi organisé une audition avec le professeur Linda Hantrais le
11 juin 2009 à Londres afin d’enrichir sa réflexion sur ce sujet.
2. Restructuration de la famille en Europe
7. Le rapporteur a identifié des changements considérables
dans la structure et la vie familiales en Europe. En fait, la famille,
en tant que système vivant, a évolué et s’est constamment adaptée
aux changements sociaux, et nous pouvons observer une nouvelle morphogenèse
et de nouveaux défis pour la famille.
8. Certaines tendances, telles que le déclin et le vieillissement
de la population, des conditions de vie familiale plus diversifiées,
l’impact des nouveaux rôles des femmes et des hommes sur la vie
de famille et une participation accrue des femmes sur le marché
du travail se retrouvent dans tous les pays européens, mais avec
des variations selon – et dans – les pays.
9. Le rapporteur observe que l’ampleur et le rythme des changements
varient considérablement entre – et dans – les pays. La structure
actuelle de la famille inclut une variété de situations dans lesquelles
les enfants sont élevés et protégés (par exemple les familles monoparentales,
les familles recomposées, les familles multiethniques, les unions
hétérosexuelles et homosexuelles, les unions civiles).
10. Malgré les profondes disparités entre pays, le rapporteur
estime qu’il est néanmoins possible de prévoir pour l’Europe certaines
caractéristiques générales de la structuration et restructuration
des familles, comme suit:
10.1. le
nombre total de foyers augmentera probablement ultérieurement, en
raison de la hausse de celui des foyers à une seule personne, du
déclin des naissances et des processus de rupture familiale. On
assistera éventuellement en parallèle à une augmentation du nombre
de belles-familles, de remariages et de nouvelles formes de famille;
10.2. les familles nucléaires et hétérosexuelles resteront probablement
les principales formes de connexion de la parentalité et de la conjugalité,
à travers probablement des nouvelles formes d’organisation, mais
d’autres modèles de vie familiale, publiquement reconnus et socialement
acceptés, verront également le jour;
10.3. les liens familiaux seront plus fluides et la composition
de la famille changera certainement plus souvent au cours de la
vie. En résumé, la grande majorité des Européens vivront plus ou
moins dans un contexte familial;
10.4. la culture de modèles familiaux égalitaires et de juste
répartition des tâches sera ultérieurement réévaluée et donnera
naissance à de nouveaux rôles des femmes et des hommes;
10.5. les interactions parents-enfants et les activités éducatives
feront l’objet d’une attention grandissante et, dans les familles
les plus jeunes, les parents s’efforceront de passer davantage de temps
avec leurs enfants;
10.6. le profil démographique de l’Europe sera marqué par le
vieillissement de la population; les liens intergénérationnels resteront
importants et les grands-parents joueront un rôle clé en matière d’éducation
informelle et de soutien aux familles dont les deux parents travaillent;
10.7. le possible changement de l’équilibre entre immigration
et émigration aura un impact important sur chaque question liée
à la vie familiale ainsi que d’énormes implications en termes de
services publics et de rôle de la famille au sein de la société;
10.8. sur un plan général, les revenus des familles pourraient
progresser avec l’augmentation de celles comptant deux personnes
sources de revenus. Néanmoins, elles ne bénéficieront pas toutes
de la même manière de cette augmentation, en particulier pour les
familles les plus vulnérables, par exemple les couples au chômage,
les familles monoparentales, celles comptant une seule personne
source de revenus, les familles dont l’un des membres est handicapé
ou dépendant, ou celles avec plus de deux enfants;
10.9. les services, notamment sanitaires et sociaux, seront
d’une importance grandissante. Pour répondre à la hausse de la demande,
il sera indispensable de mettre en réseau les organisations publiques,
privées et civiles, et de développer la coopération entre elles;
10.10. les services sociaux passeront d’une culture d’assistance
à une culture de subsidiarité et d’épanouissement personnel; la
gestion des relations sociales ou des individus en tant que personnes en
relation avec d’autres sera le nouveau centre d’attention des services
sanitaires et sociaux, soutenant ainsi le «lien social» qui permet
de renforcer les sociétés cohésives.
11. D’après le rapporteur, il est manifestement accordé une importance
accrue, en tant que nouveau sujet de réflexion scientifique et politique,
à la qualité des relations familiales, conjugales et parentales,
à leur «capital social» interne, dont l’impact sur les résultats
sera plus fort que la simple structure juridique de la famille.
12. Ce capital social familial peut être soutenu, facilité et
promu par une politique sociale directe et indirecte proposée par
l’appareil d’Etat, mais aussi par le secteur privé à but lucratif,
les organisations sans but lucratif de la société civile et les
associations familiales.
3. Voies nationales différentes et émergence de nouveaux
modèles de politiques familiales
13. De nombreux chercheurs ont tenté de modéliser les
«politiques familiales» européennes. A l’heure actuelle, tous s’accordent
à dire qu’il est difficile de définir de manière simple ce domaine
d’analyse. Le rapporteur est d’avis qu’il existe deux processus
politiques interconnectés et potentiellement contradictoires: a. la différenciation permanente
des trajectoires politiques nationales; et b. la
nécessité d’un nouveau modèle politique européen, fondé sur la perspective
de relier les responsabilités personnelles et familiales, les droits individuels
et familiaux et la subjectivité personnelle et familiale. Dans cette
section, le rapporteur s’attachera plus particulièrement au premier
point.
14. Chaque structure et culture nationales de politiques familiales
mettent en exergue une question essentielle, soutenant ainsi une
certaine idée ou vision de la famille. Quelques exemples sont cités
ci-dessous
.
14.1. En
Suède (et plus généralement, dans les pays nordiques), la politique
familiale a été initiée au début du XXe siècle à une période où
les réformes sociales étaient préconisées en vue de construire une
nouvelle société fondée sur la solidarité sociale et la perspective
d’un foyer du peuple (folkhemmet). Au
début des années 1970, la politique familiale suédoise a fortement
mis en avant un modèle familial à deux personnes sources de revenus/de
soins, visant à renforcer par là même l’égalité des genres. Différents
programmes sociaux coexistent et se complètent mutuellement, tels
que les services de garde d’enfants subventionnés, les congés parentaux
généreux et la législation sur l’égalité de l’emploi. L’orientation
politique est axée sur les droits individuels et l’égalité des genres.
La famille «en soi» est rarement un objectif direct et spécifique
en politique.
14.2. En France, les politiques familiales visent plusieurs
objectifs, par exemple: encourager les parents (et surtout les mères
de famille) à entrer et rester sur le marché du travail rémunéré;
s’attaquer aux inégalités sociales; maintenir un taux de fécondité
élevé; abaisser le taux de pauvreté (des enfants). Plusieurs mesures
politiques continuent d’y contribuer, dont un système préscolaire
bien établi de longue date (école maternelle). Le pays semble bénéficier
d’un large soutien culturel pour les dépenses publiques en faveur
des enfants et des familles nombreuses. La politique est axée sur
«la famille», perçue comme un bien social, mais la tendance à l’individualisme
connaît aussi un développement rapide.
14.3. Début 2007, le Gouvernement russe a engagé une nouvelle
réforme nationale pour relancer le taux de fécondité et améliorer
le bien-être des familles avec enfants. Le «capital maternité» a
pour objectif d’encourager les naissances. A compter de 2010 seulement,
les femmes pourront profiter de nouvelles opportunités telles que
l’achat d’un logement, la couverture des coûts d’éducation, l’amélioration
de l’épargne retraite. Cette réforme de la politique familiale comprend
l’introduction de bons municipaux pour les structures de garde d’enfants
et les établissements préscolaires, un «bonus égalité» visant à
encourager les pères à prendre un congé parental et une allocation
pour garde d’enfants.
14.4. Le débat relatif à l’orientation que pourrait ou devrait
prendre la politique familiale allemande a été largement dominé
à partir de la fin des années 1990 par la question de savoir comment
encourager les jeunes couples à procréer et comment réduire les
coûts de la grossesse pour les mères. La perte de compétitivité
de l’économie allemande a favorisé l’émergence d’un discours associant
nouvelle politique familiale et croissance économique, taux de fécondité
plus élevé et plus grande prospérité. En résumé, l’orientation politique
est fondamentalement axée sur les relations familiales, avec un
fort accent placé sur la subsidiarité et le rôle des organisations
de la société civile.
14.5. La lutte contre la pauvreté des enfants a été au cœur
des récentes politiques familiales du Royaume-Uni. Pour y parvenir,
le principal levier utilisé par le gouvernement a été d’amener plus
de parents à travailler. Les parents isolés, type de famille le
plus exposé au risque de pauvreté, constituent à cet égard une cible
privilégiée. Le Royaume-Uni a par ailleurs accordé une haute priorité
à la parentalité dans son ordre du jour relatif à l’exclusion sociale
et à la justice pénale, et considère à l’évidence que la promotion
de la bonne parentalité était un outil essentiel pour renforcer
la cohésion sociale. Pour augmenter les taux d’emploi, diverses
mesures ont été prises en vue de faciliter la conciliation entre
parentalité et emploi rémunéré. En résumé, plutôt que de mettre
en place une politique familiale explicite, le pays dispose de toute
une gamme de mesures politiques visant certains aspects significatifs
du bien-être individuel et de la famille, ainsi que le contrôle
social.
14.6. Dans le sud de l’Europe, le niveau de pauvreté est plus
élevé et les taux de fécondité et d’activité des femmes sont généralement
plus faibles. Ces pays sont caractérisés par un «manque» de politiques pour
la famille. Le volume de prestations en espèces pour les familles
est par ailleurs très faible. Le congé parental peut être relativement
long, mais il s’agit d’un congé peu ou pas rémunéré. Le Portugal se
distingue du reste du groupe dans la mesure où il a mis en place
un congé parental légèrement plus court, des prestations en espèces
davantage ciblées vers les familles à bas revenus et un taux d’inscription
bien plus élevé des enfants de moins de 3 ans dans le système formel
de garde d’enfants.
15. D’après de nombreuses études entreprises sur les politiques
familiales, aucun effet politique manifeste ne peut être attribué
au régime de protection sociale ou à des mesures particulières en
matière de politique familiale. Le rapporteur estime que, pour qu’une
politique puisse efficacement satisfaire des objectifs sociaux, elle
se doit d’élargir les choix en matière de vie familiale, eux-mêmes
soumis à des influences nombreuses et variées telles que l’organisation
sociale nationale, un environnement économique plus large, l’accès
au marché du travail, aux rémunérations et opportunités ou développement
de carrière, l’organisation sociale et celle du temps pour soi,
y compris la flexibilité du travail, les normes culturelles et sociétales
dominantes concernant l’emploi des mères de jeunes enfants, les
modes de vie familiaux, la proximité géographique et la disponibilité
des proches, les perceptions des avantages matériels, sociaux et
psychologiques du travail, les coûts d’opportunité économiques et
sociaux directs de la parentalité, surtout pour les femmes, les
préférences en matière de mode de vie, les attitudes et les systèmes
de valeurs personnels.
16. Les difficultés à observer les effets causaux des politiques
sur la vie de famille et à élaborer un programme européen unique
de politique familiale ne sont que la face émergée de l’iceberg.
La «face cachée» résulte des effets invisibles ou flous des politiques
familiales actuelles sur le mode de vie et la population.
17. Le rapporteur est conscient d’un nombre de problèmes qui découlent
des politiques familiales globales et qui, de manière latente, déconstruisent
les relations familiales et rendent difficile de faire de la famille
l’axe unique des politiques, à savoir:
17.1. l’incohérence et les contradictions grandissantes dans
les objectifs politiques: les gouvernements sont confrontés à des
dilemmes politiques qui alimentent le débat sur la légitimité et l’efficacité
de l’intervention de l’Etat dans les domaines qui touchent à la
vie privée des familles. A titre d’exemple, les mesures visant à
inciter davantage de femmes à participer à la vie active peuvent concurrencer
celles qui cherchent à infléchir la courbe de natalité et à encourager
la maternité;
17.2. les politiques en faveur de la flexibilité du temps de
travail et les systèmes de congés risquent néanmoins de perpétuer
l’inégalité des genres et d’être fondées sur une vision simpliste
de la «féminité» et de la «masculinité». A titre d’exemple, l’accent
est souvent porté sur la volonté de travailler à temps plein, à
condition que la société propose un nombre suffisant de services
de garde d’enfants, malgré les signes manifestes d’un désir de rester
à la maison auprès des enfants, surtout s’ils sont très jeunes.
Les parents recourent généralement à plusieurs modes de garde formelle
et informelle, surtout s’ils sont à la fois en charge de leurs enfants
et de leurs propres parents;
17.3. la montée d’un
«workfare» (système
d’allocation sous condition de travail) favorable aux mères: bien
qu’elle soit présentée comme «adaptée aux familles», la politique
relative à la garde d’enfants (incluant les services de garde, les
congés parentaux, etc.) pourrait plus justement être qualifiée «d’adaptée
au travail», le principal objectif étant de rendre les mères de
famille disponibles afin qu’elles puissent travailler et participer
ainsi à la lutte contre le déficit budgétaire de la protection sociale
et la pénurie de main-d’œuvre. Ces politiques ont pour autre conséquence
imprévue le manque de reconnaissance du statut du travail d’assistance
et de l’équilibre entre les soins formels et informels
;
17.4. individualisme et «genderisme» (ou comportement de genre):
au lieu de prendre en compte la famille comme un lien social et
d’en faire une cible à part entière, certains des dispositifs politiques
sont davantage axés sur les individus sans relation ni lien, et
sortis de leur contexte réel. Ils sont définis dans le cadre des
rôles contemporains des femmes et des hommes et ne sont pas en mesure
de les transcender
.
18. Compte tenu de ces risques, le rapporteur est aussi profondément
préoccupé par la crise économique actuelle qui a à l’évidence créé
un environnement social généralement défavorable pour la plupart
des familles en Europe. Il estime qu’il est pertinent d’analyser
comment les responsables politiques ont répondu à la diminution
des ressources destinées au financement des mesures de politique
familiale dans le passé.
4. L’impact de la crise sur les familles: réactions
politiques et leçons du passé
19. Les crises économiques mondiales frappent les budgets
de bon nombre des gouvernements. A ce jour, il n’existe pas encore
de recherche ou d’étude sur l’impact réel de la crise actuelle sur
les familles en Europe, mais le rapporteur estime qu’il n’est pas
difficile d’en prédire certaines conséquences.
20. En temps de crises, la plupart des gouvernements ont procédé
à des coupes franches dans les dépenses sociales afin de limiter
les déficits budgétaires. Parmi les stratégies mises en œuvre dans
le passé par beaucoup d’Etats figurent l’introduction d’un ciblage
des bénéficiaires en lieu et place des anciennes prestations familiales
universelles et une stratégie plus subtile de réduction des allocations
en omettant d’indexer les prestations familiales en espèces. C’est
pourquoi les niveaux d’inflation élevés durant plusieurs années
ont généralement engendré une érosion progressive du pouvoir d’achat
et de la valeur réelle des prestations pour enfant.
21. Parmi les autres stratégies mises en œuvre figurent: une perte
de droits ou peut-être l’allongement d’un droit à congé (par exemple
le congé parental) mais sans rémunération et/ou sans garantie de
retrouver l’emploi précédent; une diminution des compensations de
salaire; l’abolition de certaines prestations ou d’anciennes subventions
pour des biens consommés plus particulièrement par les enfants et
les familles.
22. Certains gouvernements ont introduit des prestations compensatoires
ou un plafond de revenu ouvrant droit aux prestations. Ils sont
passés d’un système universel de prestations pour enfant (redistribution horizontale)
à un système plus ciblé de prestations indexées sur le revenu (redistribution
verticale). De telles évolutions reflètent bien la pression exercée
sur les budgets des gouvernements, la nécessité de réformer leurs
systèmes de protection sociale et la volonté de plus en plus marquée
de lutter contre la paupérisation
.
23. En parallèle, d’autres mesures ou prestations ont également
été mises en place: les prestations pour familles nombreuses en
sont un exemple, avec l’extension de la couverture à des catégories
additionnelles de citoyens/résidents. Il en va ainsi de l’octroi
de l’allocation de maternité de type assurance à des mères non assurées;
des allocations de grossesse pour les étudiantes non assurées; du
droit à un congé parental pour les étudiants à plein-temps; des
allocations parentales pour toutes les mères non assurées; les prestations pour
enfant, longtemps intégrées aux prestations sociales, sont progressivement
étendues aux familles sans véritable emploi, en raison de l’érosion
de la couverture liée à l’augmentation du chômage; la flexibilité
accrue de certains mécanismes de congé ou l’introduction de types
additionnels de congés.
24. Le rapporteur observe que, même en période de difficultés
socio-économiques graves, si les gouvernements suppriment ou réduisent
certaines prestations, ils en introduisent de nouvelles ou en augmentent
d’autres et ils peuvent réaménager les systèmes de services et la
gouvernance entre prestataires publics, privés et sociaux. Cela
montre clairement les différents objectifs poursuivis par les responsables politiques
au travers des mesures de politique familiale.
5. La famille en tant que capital social et de cohésion:
l’importance de la qualité des relations pour ses membres et pour
la société
25. Compte tenu de la nouvelle situation économique et
des effets paradoxaux des politiques familiales générales sur une
grande partie de la population, le rapporteur appelle à concevoir
une vision différente de la famille et des politiques sociales requises
en temps de crise. Pour ce faire, il souhaite attirer l’attention
sur la valeur ajoutée des relations familiales.
26. La famille est une institution sociale essentielle pour le
bien-être de ses membres mais également pour des raisons sociétales,
économiques, politiques, civiques, culturelles et d’autres raisons
publiques.
27. Selon le rapporteur, l’élément déterminant dans une famille
est la qualité des relations entre ses membres et entre ces derniers
et la société. La façon dont les membres de la famille se conduisent
les uns envers les autres, avec ou sans esprit de générosité, confiance,
réciprocité, entraide, altruisme, égalité, génère ce que l’on peut
appeler la «subjectivité familiale» et influence considérablement
l’exercice par la famille de ses fonctions sociales.
28. Quatre types de fonctions remplies par la famille, et qui
intéressent autant ses membres que la société, peuvent être identifiés:
28.1. les fonctions à caractère économique
et instrumental: la création de main-d’œuvre, l’emploi, l’entrepreneuriat
et par voie de conséquence la croissance et le développement économique,
c’est-à-dire la création d’un capital économique;
28.2. les fonctions éducatives et d’habilitation: les soins
apportés aux enfants, personnes âgées et nouveau-nés, la surveillance
et l’éducation des enfants, la prise en charge et l’assistance des
personnes âgées, l’aide apportée aux membres de la famille pour
leur permettre d’exploiter leurs potentialités dans la vie, la préparation
des jeunes à une entrée positive dans la société, c’est-à-dire la
génération et régénération du capital humain;
28.3. les fonctions de cohésion et d’intégration: le développement
de la communauté, la création de liens sociaux forts, entre et par-delà
les diverses communautés, le soutien intergénérationnel et informel aux
cercles parentaux et familiaux, la création et la transmission du
capital social, l’intégration sociale. Ce capital social est lié
au renforcement de nombreux acquis sociaux, tels que les bons résultats scolaires
des enfants, la réduction du taux de criminalité, la réduction des
problèmes de voisinage, l’acquisition des vertus civiques, la participation
à la vie publique, la généralisation de la confiance, etc.;
28.4. les fonctions culturelles et d’expression: génération
et régénération du capital culturel et des biens identitaires, comme
le partage des risques entre les partenaires et les enfants, la
formation de la personnalité, les relations d’affection, le sens
de l’appartenance, la gestion du stress, une vie saine, la plénitude
affective, etc.
29. D’innombrables recherches, mettant particulièrement l’accent
sur les relations légalement reconnues, démontrent l’importance
des liens familiaux. En voilà quelques exemples
:
29.1. les
couples stables ont généralement des revenus plus élevés, sont moins
confrontés au risque de pauvreté et accumulent plus de richesses.
Ils sont plus heureux, moins sujets à la dépression et au suicide
et vivent plus longtemps;
29.2. le revenu, la situation professionnelle, ou l’éducation
des partenaires masculins accélèrent la transition vers le mariage.
La faiblesse des revenus semble être l’une des causes majeures du
choix de la cohabitation à long terme plutôt que du mariage;
29.3. les personnes divorcées jouissent d’un bien-être physique
et affectif moindre comparativement aux personnes mariées; la séparation
des parents est associée à une série de conséquences néfastes pour
les enfants durant l’enfance, l’adolescence et même l’âge adulte;
29.4. la baisse des revenus après une séparation est généralement
plus importante pour les femmes que pour les hommes; cependant,
les hommes subissent également des effets négatifs dans le domaine de
l’emploi. La stabilité au plan économique, affectif et physique
contribue aussi à la qualité de la relation avant et après la séparation;
29.5. l’effet positif sur le risque de divorce du travail des
femmes et de l’indépendance financière qu’il leur offre n’est pas
significatif pour les femmes qui adoptent une attitude égalitaire
face aux rôles considérés comme appropriés pour les hommes et pour
les femmes, laissant entrevoir que pour les femmes le travail peut
avoir aussi un effet bénéfique sur la qualité de la relation. La
plupart des études concluent que le travail des mères n’a qu’un
effet négatif faible, voire nul, sur le développement des enfants,
et qu’il est largement compensé par les répercussions positives
sur la situation matérielle de la famille;
29.6. les sentiments d’inégalité dans la répartition des tâches
domestiques nuisent à la satisfaction que tirent les femmes de leur
relation et à leur bien-être;
29.7. des journées de travail trop longues et le surmenage peuvent
concourir à la dégradation de la qualité de la relation et de la
parentalité pour les femmes comme pour les hommes;
29.8. les enfants dont les parents anticipent les besoins tissent
des liens plus solides; des liens solides renforcent la probabilité
d’une interaction positive avec les pairs et de bons résultats comportementaux durant
le préscolaire et les premières années d’école;
29.9. le temps consacré par les parents à des activités stimulantes
centrées sur les enfants est généralement associé à de meilleurs
résultats comportementaux et cognitifs pour ces derniers. La qualité
des relations entre la mère et le père a des effets positifs sur
la chaleur des relations parents-enfants;
29.10. le mode d’interaction des parents avec leurs enfants (le
style de parentalité) et la qualité de leurs relations semblent
avoir plus d’importance pour l’épanouissement des enfants que la
réduction de ces moments partagés du fait de l’activité professionnelle
des femmes;
29.11. à quelques exceptions près, le comportement à l’adolescence,
et le niveau éducatif scolaire et la situation professionnelle ultérieurs
sont étroitement liés aux relations nouées durant la petite enfance.
30. En bref, le rapporteur estime que la qualité des relations
internes à la famille réduit la nécessité de recourir à des interventions
des services publics et sociaux. En ce sens, les liens relationnels
primaires (internes à la famille) sont liés fortement aux liens
relationnels publics ou communs. Dans une étude récente, le sociologue
américain Paul R. Amato a souligné que les changements dans la structure
familiale ont eu un coût substantiel pour la société américaine.
A titre d’exemple, le déclin du nombre de couples mariés au cours de
la seconde moitié du XXe siècle a contribué de manière significative
à la paupérisation des enfants aux Etats-Unis durant les années
1970-1980. Les grossesses des adolescentes, en particulier, ont
coûté aux contribuables 7,3 milliards de dollars des Etats-Unis
en 2004.
31. Ces coûts sont liés à l’augmentation des dépenses fiscales
pour les programmes de lutte contre la pauvreté, de justice pénale
et de nutrition scolaire, et aux niveaux d’imposition plus bas des
contribuables dont la productivité à l’âge adulte a été compromise
pour avoir grandi dans la pauvreté à la suite d’une rupture familiale.
A l’évidence, les naissances hors mariage, les divorces, et les
problèmes conjugaux coûtent fort cher à la société américaine. En
résumé, l’évolution de la structure familiale et maritale des Américains
depuis les années 1960 a entraîné une baisse du niveau moyen de
bien-être des enfants et de beaucoup d’adultes, a accentué la pauvreté
des enfants et fait peser une charge financière lourde sur la société
.
32. Cette évolution est encore renforcée à l’heure actuelle par
la crise économique, car le chômage accroît la probabilité de crise
conjugale et de séparation des couples. C’est pourquoi aussi, en
Europe, les politiques publiques ont de plus en plus pour objectif
de consolider les familles et d’augmenter le pourcentage d’enfants élevés
dans des familles biparentales solides.
6. Conclusions
33. Le rapporteur partage pleinement les analyses de
la Task force de haut niveau
sur la cohésion sociale au XXIe siècle du Conseil de l’Europe, selon
lesquelles les politiques ne peuvent plus tenir pour acquise l’existence
de la famille. Tous les Etats d’Europe devraient faire de la politique
familiale une priorité essentielle associant les revenus, les services
de garde d’enfants, l’égalité des sexes, l’éducation, les services
culturels et sociaux, la solidarité intergénérationnelle, l’emploi,
la mise à disposition d’infrastructures et l’urbanisme.
34. Le soutien et les actions des gouvernements, à l’instar d’autres
formes d’intervention, sont subsidiaires aux familles. Les gouvernements
et autres acteurs politiques ont la responsabilité de servir et
d’aider les familles à nouer des relations solides et fortes, à
exploiter pleinement leur potentiel, à créer des opportunités égales,
à assurer leur prospérité, c’est-à-dire soutenir et renforcer leur
statut particulier et la génération de capital social familial.
Les programmes d’intervention familiale doivent être proportionnés
aux capacités des familles et les aider à endosser leurs responsabilités.
35. Il est prouvé que les politiques en faveur de la famille qui
sont menées de manière cohérente et sur une longue période ont des
effets positifs sur les décisions individuelles d’avoir des enfants
et sont un moyen de faire face aux problèmes démographiques que
connaît l’Europe. Il appartient aux décideurs politiques de reconnaître
et de promouvoir les droits de la famille dans tous les compartiments
de la politique, reconnaître les droits fondamentaux des parents
d’éduquer leurs enfants, promouvoir la participation active des
parents et des associations familiales dans la formulation, l’organisation,
la mise en œuvre et l’évaluation des politiques familiales.
36. Le rapporteur estime que les gouvernements sont plus efficaces
lorsqu’ils travaillent en partenariat avec les autres acteurs du
système politique de la société providence: les entreprises, les
organisations de la société civile, les familles. La politique familiale
est un secteur comportant une multiplicité d’acteurs, dans lequel
les autorités locales, les organisations non gouvernementales, la
société civile et les familles elles-mêmes ont un rôle essentiel
à jouer.
***
Commission chargée du rapport: commission
des questions sociales, de la santé et de la famille
Renvois en commission:Doc. 11782, Renvoi
3521 du 26 janvier 2009
Projets de résolution et de recommandation adoptés
à l’unanimité par la commission le 11 décembre 2009
Membres de la commission:
Mme Christine McCafferty (Présidente),
M. Denis Jacquat (1er Vice-Président), Mme
Liliane Maury Pasquier (2e Vice-Présidente), Mme Fátima Aburto Baselga, M. Francis Agius,
M. Farkhad Akhmedov, M. Milos Aligrudić, Mme Karin Andersen, Mme
Magdalina Anikashvili, M. Konstantinos Aivaliotis, Mme
Sirpa Asko-Seljavaara, M. Lokman Ayva,
M. Mario Barbi, M. Andris Bērzinš, M. Roland Blum, Mme Olena Bondarenko,
Mme Monika Brüning, Mme Boženna Bukiewicz, Mme Karmela Caparin,
M. Igor Chernyshenko (remplaçant:M. Parfenov), M. Desislav Chukolov, M. Agustín Conde Bajén, M. Imre Czinege, M. Karl Donabauer, Mme
Emelina Fernández Soriano (remplaçante: Mme Blanca Fernández-Capel Baños), Mme Daniela
Filipiová, M. Ilija Filipović, M. Paul Flynn, Mme Pernille Frahm,
Mme Doris Frommelt, M. Marco Gatti, M. Ljubo Germič, M. Luc Goutry,
M. Neven Gosović, Mme Claude Greff, Mme Dzhema Grozdanova, M. Michael Hancock, Mme Olha Herasym’yuk,
M. Ali Huseynov, M. Fazail İbrahimli, M. Birkir Jón Jónsson, Mme
Marietta Karamanli, M. Włodzimierz
Karpiński, M. Michail Katrinis,
M. András Kelemen, M. Peter Kelly, Baroness Knight of Collingtree,
M. Haluk Koç, M. Oleg Lebedev,
M. Paul Lempens, M. Bernard Marquet,
M. Patrick Moriau, M. Félix Müri, Mme Christine Muttonen, Mme Carina Ohlsson, M. Peter Omtzigt, Mme Lajla Pernaska, M. Zoran
Petreski, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin, M. Cezar Florin Preda, Mme Vjerica Radeta,
Mme Maria Pilar Riba Font, M. Walter Riester, M. Nicolae Robu, M.
Ricardo Rodrigues, Mme Maria de Belém Roseira, Mme Marlene Rupprecht
(remplaçant: M. Wolfgang Wodarg),
M. Indrek Saar, M. Maurizio Saia, M. Fidias Sarikas,
M. Ellert Schram, Mme Anna Sobecka, Mme Michaela Šojdrová, M. Marc Spautz, Mme
Arūnė Stirblytė, M. Oreste Tofani, M. Mihai Tudose, M. Alexander
Ulrich, M. Mustafa Ünal,
M. Milan Urbáni, M. Luca Volontè,
M. Victor Yanukovych, M. Vladimir Zhidkikh
N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission: M.
Mezei, Mme Lambrecht, Mme Arzilli