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Rapport | Doc. 12783 | 03 novembre 2011

Ce que l’Europe peut faire pour les enfants de régions ravagées par un désastre naturel et en situation de crise: les exemples d’Haïti et de l’Afghanistan

Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteure : Mme Françoise HOSTALIER, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 3646 du 29 janvier 2010. 2011 - Commission permanente de novembre

Résumé

Les catastrophes naturelles et les crises politiques se produisent fréquemment dans le monde entier. Même s'ils ne sont pas toujours directement concernés, les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient assumer leur responsabilité de fournir une aide humanitaire et de promouvoir la protection des droits humains, en particulier dans les cas où existent des interdépendances sociales, économiques et culturelles. Cette responsabilité entre plus particulièrement en jeu lorsqu'il s'agit d'enfants, dont les droits fondamentaux, l’intégrité physique et le développement sont particulièrement en danger dans des situations d'instabilité et qui devraient donc faire l'objet d'une attention spéciale dans toute politique nationale et internationale en la matière.

Les exemples d'Haïti et de l'Afghanistan montrent comment l'action européenne visant à aider les enfants au lendemain de situations de crise ou de catastrophes naturelles pourrait être améliorée. Au niveau législatif, les Etats membres devraient veiller à ce que leurs législations ne facilitent pas par inadvertance de nouvelles violations des droits humains, par exemple dans le cadre de procédures d'adoption internationale. Les Etats membres devraient également soutenir les réformes pertinentes dans les pays concernés et améliorer l'efficacité de l'aide humanitaire grâce à une action coordonnée respectant pleinement la culture locale. Les pays concernés devraient être soutenus dans la reconstruction de leurs structures de gouvernance, y compris des mécanismes de protection de l'enfance, ce qui nécessite souvent une aide internationale octroyée de manière fiable dans la durée.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 16 septembre
2011.

(open)
1. Les catastrophes naturelles et les crises politiques sont des événements qui mettent en danger la vie et les bases existentielles de la population dans le pays où elles se produisent. L’actualité récente prouve que ces situations ne sont pas rares et qu’elles peuvent arriver, d’une manière ou d’une autre, dans divers pays: la famine en Afrique de l’Est, le séisme et le tsunami au Japon en 2011, le séisme en Haïti en 2010, ainsi que les crises politiques récentes et actuelles dans le monde arabe, et la crise continue en Afghanistan depuis de longues années. Pour de nombreuses raisons, les enfants sont les plus touchés par ces crises.
2. Les Etats membres du Conseil de l’Europe sont régulièrement appelés à partager leur savoir-faire face aux situations de crise dans ces territoires lointains, de leur apporter un soutien matériel et, ainsi, d’assumer la responsabilité qui résulte à la fois de leurs engagements internationaux, mais aussi des nombreuses interdépendances économiques et sociales avec ces pays. Les interventions d’assistance se déroulent le plus souvent dans un contexte très complexe avec l’arrivée de nombreuses organisations internationales et européennes, gouvernementales et non gouvernementales, dans des pays qui sont, à ces moments-là le plus souvent démunis ou fortement handicapés dans leurs moyens de gouvernance.
3. L’Assemblée parlementaire est particulièrement préoccupée par la situation des enfants dans le cadre des catastrophes naturelles ou des crises politiques où même la fourniture de services de base (logement, alimentation, santé et hygiène, éducation) n’est plus assurée. De plus, dans ces contextes d’instabilité et d’absence d’Etat de droit, les enfants sont souvent confrontés à de nombreuses atteintes à leur intégrité, telles que la violence physique et sexuelle, l’enlèvement ou l’exploitation sous différentes formes. Les deux exemples étudiés, Haïti et Afghanistan, ont révélé certaines lacunes de l’aide internationale qui, parfois, n’est pas suffisamment ciblée et coordonnée et qui, ainsi, risque d’aggraver la situation des enfants plutôt que de l’améliorer.
4. L’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe à reconnaître que, dans certains domaines, tels que l’adoption internationale, leurs politiques nationales peuvent directement influer sur le sort des enfants des pays en crise. La «demande» de familles européennes pour des jeunes enfants à adopter a été identifiée comme l’un des facteurs encourageant les activités de traite d’enfants dans des pays lointains. Les procédures d’adoption internationale dans les pays d’accueil de ces enfants devraient être adaptées pour assurer une plus grande transparence et pour rigoureusement respecter la Convention de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (Convention de la Haye) qui stipule que «les adoptions internationales [doivent avoir] lieu dans l'intérêt supérieur de l'enfant» et que «chaque Etat devrait prendre, par priorité, des mesures appropriées pour permettre le maintien de l'enfant dans sa famille d'origine». Les mêmes principes doivent être promus dans les pays d’origine concernés par des crises naturelles ou politiques.
5. Par ailleurs, l’Assemblée appelle les Etats membres à prendre conscience du risque de déstabilisation psychique et comportementale des enfants à travers l’alimentation, l’habillement ou le mode de vie importés lors d’interventions d’urgence massives, brutales et éphémères. Bien que celles-ci apportent un secours immédiat nécessaire, elles laissent bien souvent un vide immense et des espoirs déçus si elles restent sans lendemain. Aussi les programmes d’intervention d’urgence doivent-ils être ciblés, respectueux des modes de vie et de la culture des populations et s’inscrire dans une continuité d’actions accompagnant le retour définitif à la normalité.
6. A la lumière de la situation des enfants en Haïti et en Afghanistan, l’Assemblée appelle les Etats membres à prendre les mesures suivantes en vue de soutenir les pays touchés par les conséquences d’une catastrophe naturelle ou d’une crise politique:
6.1. dans toute action législative et humanitaire menée aux niveaux européen et national, reconnaître et promouvoir l’enfance comme un facteur de vulnérabilité particulière, pour s’assurer que l’assistance à des pays tiers aboutit à des réponses adaptées aux besoins réels des enfants, et qu’elle respecte leur culture d’origine ainsi que les règles internationales;
6.2. dans le cadre des mesures législatives nationales:
6.2.1. ratifier, si cela n’a pas été encore fait, la Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, et la mettre en œuvre rigoureusement;
6.2.2. réviser leur législation et procédures nationales relatives à l’adoption internationale, et suspendre l’adoption internationale avec les pays en crise, pour éviter d'encourager la traite d’enfants tant que les mécanismes de protection de l’enfance ne sont pas à nouveau opérationnels;
6.2.3. promouvoir, dans les pays concernés par les crises, la Convention de la Haye ainsi que les recommandations figurant dans le rapport de la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage (notamment s'agissant d'Haïti qui connaît la pratique du «restavek», une forme d’exploitation domestique des enfants);
6.2.4. soutenir, dans les pays touchés par les crises, des réformes législatives, judiciaires et institutionnelles visant à mettre en place des mécanismes efficaces pour la protection des enfants contre tous les risques: enlèvement, trafic, violence physique et sexuelle, placement dans des structures d’accueil illégales ou non surveillées, adoption internationale abusive ou d’autres formes d’exploitation;
6.3. dans le cadre des actions humanitaires qu’ils mènent où qu’ils soutiennent:
6.3.1. promouvoir la mise en place de cahiers des charges pour toute action humanitaire soutenue par des budgets nationaux pour s’assurer que la protection de l’enfance se trouve parmi les priorités, et que les organismes mandatés respectent les droits humains dans leurs interventions;
6.3.2. soutenir les organisations humanitaires et les associations spécialisées de manière continue et fiable, en assurant le respect des promesses financières annoncées et, le moment venu, en se désengageant de manière progressive et concertée avec toutes les parties en cause;
6.3.3. soutenir les acteurs nationaux non seulement dans les réponses les plus urgentes à la crise, mais aussi, à moyen terme, en ce qui concerne le rétablissement des structures de gouvernance, des autorités publiques et de développement économique, des services de base indispensables (y compris l’éducation), des infrastructures principales ainsi que du marché de travail;
6.3.4. prendre en compte les contextes nationaux spécifiques et les défis particuliers se posant dans des situations de crise, tels que les besoins particuliers de la population dans des zones géographiquement reculées ou la nécessité d’aider les partenaires nationaux et locaux pour rétablir, au plus vite, leurs propres capacités de gestion.

B. Exposé des motifs, par Mme Hostalier, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. L’essentiel de ce rapport porte sur la situation en Haïti un an après le terrible séisme du 12 janvier 2010. Le peuple haïtien et notamment les enfants ont plus que jamais besoin du soutien de l’Europe puisqu’ils subissent toujours les conséquences durables de la plus grande catastrophe qu’ait connu le pays depuis des siècles. C’est quelques jours après le séisme en Haïti que j’ai suggéré à l’Assemblée parlementaire de se pencher sur le thème de ce rapport considérant que l’évaluation de la manière dont l’Europe, ainsi que les Etats membres et les organisations non gouvernementales européennes, intervenaient pour venir en aide au peuple haïtien pouvait servir d’exemple à suivre ou à améliorer si une situation comparable venait à se reproduire. L’exemple de l’Afghanistan a été ajouté à un stade plus avancé du rapport, afin d’aborder aussi la situation d’un pays en crise depuis des décennies. Même si le contexte de conflit, voire même de guerre, rend la situation différente, le sort des enfants est tout aussi dramatique et les préconisations en ce qui concerne les interventions présentent de nombreuses similitudes. Aussi la situation spécifique des enfants dans ce pays ne sera-t-elle illustrée que par quelques informations sélectionnées (voir paragraphes 21 et 22).
2. Selon un rapport présenté par l’UNICEF en janvier 2011 
			(2) 
			UNICEF, «Les Enfants
d’Haïti. Un an après – Des secours à la reconstruction: un long
parcours», Genève, janvier 2011, <a href='http://www.unicef.org/'>www.unicef.org</a>. , 220 000 personnes ont trouvé la mort dans le séisme en Haïti et d’innombrables familles ont été brisées, 750 000 enfants étant directement touchés. En janvier 2011, plus de 600 000 personnes, dont 230 000 enfants, n’avaient toujours pas de foyer et vivaient dans des camps où la santé, l’éducation et la protection ne pouvaient pas être pleinement assurées, et où beaucoup de personnes ne bénéficiaient pas de l'accès à l’eau potable et aux installations sanitaires et d’hygiène les plus basiques. De plus, vers la fin 2010 et jusqu’en 2011, leur situation s’était encore aggravée par l’émergence du choléra en octobre 2010, par l’ouragan Thomas en novembre 2010, et par les troubles politiques liés à l'élection présidentielle en mars 2011.
3. Le séisme en Haïti a produit une situation très complexe: une catastrophe naturelle a frappé et affaibli un pays qui se trouvait déjà dans la misère et qui a dû affronter d’autres crises aussitôt après. Assister un tel pays représente un défi particulier pour la communauté internationale, non seulement en ce qui concerne les interventions d’urgence, mais aussi pour aider le pays à se relever et à développer de nouvelles infrastructures, activités économiques et perspectives. Un an après la catastrophe naturelle survenue en Haïti, il était donc important de prendre acte des succès et des lacunes de l’action internationale en faveur du peuple haïtien, et notamment des enfants.
4. Les catastrophes naturelles et les crises politiques sont des événements qui mettent en danger la vie et les bases existentielles de la population dans le pays où elles se produisent. Les deux arrivent très régulièrement comme nous pouvons le voir non seulement en Haïti, mais aussi en Afrique de l’Est, dans le monde arabe, au Japon et depuis bien plus longtemps en Afghanistan, pour n’en citer que quelques exemples. Même si certains de ces pays sont des territoires lointains, les Etats membres du Conseil de l’Europe sont appelés à les soutenir. Ils doivent partager leur savoir-faire face aux situations de crise, apporter un soutien matériel et assumer la responsabilité qui résulte des nombreuses interdépendances économiques et sociales avec les pays concernés.
5. A travers ce rapport, des lignes d’actions à suivre par les Etats membres du Conseil de l’Europe seront proposées en vue d’aider le mieux possible les enfants d’Haïti ou d’Afghanistan, mais aussi à l’avenir tous les enfants de pays qui pourraient être frappés par des catastrophes naturelles ou des situations de crise. Les propositions faites sont basées sur des avis d’experts recueillis lors d’une audition organisée par la commission des questions sociales, de la santé et de la famille le 23 mars 2011 à Paris, et à laquelle ont participé des représentants de l’Organisation des Nations Unies, de l’UNICEF ainsi que des associations humanitaires Médecins du monde et Action contre la faim 
			(3) 
			Pour le procès-verbal
de l'audition, voir le document AS/Soc (2011) PV 2 add 2 (qui a
été déclassifié). Participants à l’audition: M. Michel Forst, rapporteur
spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme
en Haïti; M. Pierre Poupard, coordinateur d’urgences senior (Senior Emergency Coordinator), UNICEF;
Mme Isabelle Moussard-Carlsen, responsable géographique en charge
de la mission en Haïti, Action contre la faim; M. Pierre Salignon,
directeur général action humanitaire, Médecins du monde France.
Toute information pour laquelle aucune source n’est précisée, a
été fournie par l’un de ces experts.. Leurs contributions orales ont été exploitées pour ce rapport, et je les remercie vivement d’avoir partagé leur grande expertise avec notre commission. Les divers documents écrits qu’ils ont également fournis, tel le rapport sur la situation des droits de l’homme à Haïti soumis à l’Assemblée générale des Nations Unies en juin 2011, ont permis d’enrichir l’état des lieux. Enfin, ce rapport inclut des informations que j’ai recueillies personnellement lors de mes deux missions en Haïti et en Afghanistan, entreprises à mes propres frais en avril et juillet 2011 respectivement, et pendant lesquelles j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux experts et familles touchées. Toutes les recommandations faites dans le présent rapport se basent donc sur des informations recueillies sur le terrain.

2. La situation des enfants en Haïti et en Afghanistan, et les besoins d’action

2.1. Les dangers menaçant les enfants d’Haïti

6. Déjà avant le séisme, Haïti a connu des problèmes particuliers quant aux droits et à la protection des enfants: taux de mortalité materno-infantile élevé, inégalité d’accès aux soins de santé, vulnérabilité des enfants due à une malnutrition chronique, agressions et violences sexuelles et existence de réseaux organisés de traite des êtres humains et à l’exploitation domestique, ainsi que 50 000 enfants placés en institution. Le séisme a aggravé cette situation et révélé la «crise silencieuse» de ce pays qui se trouve parmi les plus pauvres de la planète, qui était moins que beaucoup d’autres préparé à une telle catastrophe et qui a toujours eu des mécanismes de protection de l’enfance particulièrement faibles.
7. Dans les situations de crise, quelle que soit leur origine, les enfants sont toujours les membres les plus vulnérables des sociétés concernées, notamment quand ils sont séparés de leur famille et de leur environnement habituel. En Haïti, les enfants ont de ce fait été fortement exposés à la violence qui règne dans les rues ou les camps provisoires et à des activités criminelles qui existaient déjà auparavant, mais qui ont été aggravées par le désordre public provoqué par le séisme. En raison du grand nombre d’enfants isolés, voire orphelins, et du fait des déplacements massifs de population au sein du pays, les risques d’enlèvement pour trafic et exploitation, d’adoption illégale ou de violence à l’égard des enfants ont persisté très longtemps après la catastrophe et semblent toujours présents. A cet égard, les services des Nations Unies sont toujours préoccupés par des allégations de trafic d’enfants à la frontière avec la République Dominicaine.
8. L’un des plus grands problèmes concernant la prise en charge des enfants en Haïti demeure celui du grand nombre de structures d’accueil illégales ou non déclarées. Souvent, les enfants y sont placés par leur propre famille dans une intention louable de meilleure prise en charge, mais ils courent ensuite le risque d’être exploités à des fins commerciales ou de trafic. Une autre spécificité haïtienne portant gravement atteinte aux droits de l’enfant est celle des «restaveks» («reste avec» en créole). Cette pratique consiste généralement à placer des enfants de familles pauvres des zones rurales dans des familles citadines plus aisées dans l’espoir d’assurer à l’enfant une vie plus décente. Cependant, en réalité, les enfants sont souvent exploités pour un travail domestique très dur, ils ne sont pas scolarisés et subissent violence physique ou sexuelle, isolement et sous-alimentation. Selon des estimations de l’UNICEF, 173 000 enfants haïtiens étaient concernés en 2007, ce qui représentait plus de 8 % des enfants de 5 à 17 ans du pays. Pour éviter ce sort aux enfants, il est indispensable d’aider l’Etat haïtien à mettre en place un véritable recensement de la population, le principe de l’école obligatoire et un contrôle plus efficace des structures de placement avec des règles strictes ne laissant aucune marge à la corruption.
9. Au niveau de l’adoption internationale, il faut éviter que les enfants d’Haïti soient emmenés hors de leur pays sans que les familles d’accueil étrangères passent par une procédure légale complète et transparente. L’adoption internationale n’est pas un geste humanitaire et, comme stipulé par la Convention de La Haye, elle ne doit être envisagée qu’en dernier ressort lorsque toutes les alternatives à l’intérieur du pays ont été épuisées, et après constat par les autorités compétentes de l’absence de parents ou de tuteur. Dans le cas d'Haïti, il appartient notamment aux autorités haïtiennes, avec le soutien de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) de mettre en place des mécanismes fermes à cet égard.
10. Selon l’association Médecins du monde, qui est un organisme autorisé et habilité pour l’adoption, l’adoption internationale en Haïti a déjà connu des mécanismes «prédateurs» avant la crise étant donné que la «demande» pour des enfants à adopter a toujours largement dépassé «l’offre». Surtout la recherche de jeunes enfants a toujours alimenté les circuits de corruption, encore plus après le séisme. Ainsi, plus de 2 000 cas d’adoption traités de façon accélérée avaient été constatés au 31 mai 2010, et des milliers de tentatives de sorties via la République dominicaine ont pu être empêchées. Certains pays européens, comme la France, ont décidé d’arrêter les adoptions vers leur territoire (sauf pour des dossiers traités juridiquement avant le séisme), malgré la pression forte des familles adoptantes. Des évolutions législatives en la matière visant à mieux protéger les enfants sont attendues en Haïti, mais ne pourront pas avancer tant que l’Etat ne reviendra pas à un fonctionnement normal.
11. Un des grands problèmes auxquels les enfants d’Haïti sont également confrontés est celui de l’accès à l’éducation. Selon l’UNESCO, seulement un enfant sur cinq avait accès à l’école publique avant le séisme du 12 janvier 2010. Un large segment de la population était ainsi privé d’éducation parce que les parents ne possédaient pas les ressources financières nécessaires pour payer l’inscription. Entre-temps, l’UNESCO s’est engagée à épauler le ministère haïtien de l’Education nationale et de la Formation professionnelle pour la mise en œuvre du plan recommandé par le Pacte national pour l’éducation. Haïti veut entre autres offrir à tous les enfants de 6 à 12 ans un enseignement gratuit et de qualité à compter de 2015 
			(4) 
			UNESCO, «L’envoyée
spéciale de l’UNESCO pour Haïti, Michaëlle Jean, fait un appel urgent
pour la refondation du système d’éducation», communiqué de presse,
14 février 2011, <a href='http://www.unesco.org/'>www.unesco.org</a>. . Des efforts similaires sont fournis par l’UNICEF qui espérait reconstruire 200 écoles semi-permanentes à travers le pays d'ici à la fin de juin 2011 
			(5) 
			UNICEF, «L'UNICEF soutient
la reconstruction d'écoles en Haïti», article de Benjamin Steinlechner,
Port-au-Prince, Haïti, 8 avril 2011, <a href='http://www.unicef.org/'>www.unicef.org</a>. . Selon l’UNICEF, le rôle de l’éducation ne doit d’ailleurs pas être sous-estimé: après une crise, l’accès à l’école devrait être rétabli le plus rapidement possible pour autant d’enfants que possible afin de leur procurer un sens de la normalité et d’appartenance à une communauté qui les rassure.
12. Dans les situations de crise, telle que celle d'Haïti, les enfants sont souvent exposés à une série de dangers qui commence par la perte ou la séparation prolongée de l’adulte de référence et se poursuit par des atteintes physiques et psychiques comme la malnutrition, l’accès limité aux soins et à l’éducation, et l’exposition à diverses formes de violences. Il est évident que plus l’enfant est jeune lorsqu’il est soumis à ces conditions et plus les conséquences sont dramatiques. Par ailleurs, un «paradoxe» peut être observé en Haïti: alors que l’enfant est souvent considéré comme «roi» à travers les propos officiels, la réalité est différente, et force est de constater que l’enfant est non seulement très mal protégé mais est parfois utilisé comme une ressource à travers différents trafics. Beaucoup d’enfants ont déjà été victimes d’exploitation avant le séisme de janvier 2010. La complexité d’une situation de crise telle qu’en Haïti rend les enfants encore plus vulnérables qu’en temps «normal».

2.2. Les facteurs aggravant la situation ou augmentant sa complexité

13. Tout d’abord, la faible capacité du Gouvernement haïtien et des autorités locales à répondre aux conséquences du séisme a aggravé la situation. La plupart des ministères avaient été détruits, beaucoup de fonctionnaires étaient morts ou dans l’incapacité de travailler et, dans le «chaos» général, les services sociaux de base ne pouvaient plus atteindre les populations en milieu rural. Cela a contribué à aggraver considérablement la pauvreté chronique et largement répandue parmi elles et réduit la base économique vitale (alors confinée à la capitale). La coordination de situations d’urgence doit par ailleurs se faire dans un contexte de neutralité et d’impartialité maximales, et tenter de traiter toutes les populations qui ont besoin d’aide, chose parfois rendue difficile par le renouvellement trop fréquent du personnel humanitaire sur le terrain qui se contente de reprendre ce que les autres ont laissé.
14. Le modèle de gestion de crises par «modules thématiques» sous l’égide des Nations Unies (thematic cluster approach, exemples: nutrition; santé; eau, assainissement et hygiène; éducation; etc.) s’est montré efficace de manière générale. Cependant, il a été difficile de réaliser clairement les objectifs prévus au niveau de ces «modules» du fait de la multiplicité des enjeux et de leur interaction – enjeux humanitaires mais aussi économiques et géopolitiques – et en raison de la compétition entre les institutions, du nombre d’acteurs humanitaires impliqués, et de la variété de ces acteurs (Etats, privés, militaires, ONG, etc.). De plus, la complexité de la situation a été aggravée par le fait que des coopérations bilatérales se sont ajoutées au soutien multinational. Enfin, faute de cadre institutionnel fiable, l’efficacité de l’intervention humanitaire a pâti de la corruption et d’autres activités criminelles.
15. L’émergence du choléra au deuxième semestre 2010 a également contribué à aggraver la situation humanitaire. Cependant, grâce à l’intervention rapide des organisations internationales, la maladie a pu être contrôlée assez rapidement. Au début 2011, l’épidémie de choléra avait entamé une phase de déclin, mais elle ne semble pas avoir été complètement éradiquée selon l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS).
16. En ce qui concerne les enfants, en particulier, on observe souvent un phénomène de «baby boom» postcatastrophe neuf à dix mois après un choc violent qui a provoqué la mort de nombreux enfants. Selon certaines associations humanitaires, cela a également été le cas en Haïti. En plus des situations matérielles déjà décrites, l’état psychologique de beaucoup de mères ne leur permet pas de bien s’occuper de leurs enfants ni d’accéder aux consultations ou au soutien qui leur sont offerts, laissant les enfants dans une situation encore plus vulnérable.
17. Face à des situations de crise, une grande difficulté réside dans l’organisation de l’aide humanitaire dans la durée. Un an après le séisme, un très grand nombre de personnes vivaient toujours dans des conditions précaires, sous des bâches ou dans des tentes. Après les réponses d’urgence visant à assurer les besoins primaires de la population s’impose l’immense défi de la reconstruction des zones sinistrées. Cependant, tant que les acteurs de terrain ne sauront pas où logeront à terme les personnes déplacées, il leur sera impossible de déployer les interventions visant à soutenir la relance et le développement du pays. Dès février 2010, le nombre des personnes déplacées au sein du pays était estimé à 467 000 dont la majorité sur la province de l’Artibonite. Face à cette situation, une bonne coordination entre les acteurs humanitaires internationaux et avec les autorités nationales et locales était d’autant plus importante. De même, la reconstruction de Port-au-Prince nécessite de mettre en place une véritable politique urbaine se basant sur des données cadastrales fiables.
18. Une autre difficulté dans le cas d’Haïti est le déblocage réel des fonds internationaux mis à disposition. Le 31 mars 2010 à New York, plus de 50 pays et organisations multilatérales ont promis d’apporter une aide de 9,8 milliards de dollars pour la reconstruction d'Haïti à moyen et long terme. Un an après le séisme, des projets de reconstruction équivalant à une dépense de 3,1 milliards de dollars seulement avaient été décidés dans le cadre de la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti et seule la moitié de cette somme a été effectivement déboursée.

2.3. Les leçons à retenir

19. En Haïti, l’UNICEF et d’autres organisations spécialisées, telles que Médecins du monde et Action contre la faim qui ont été consultées pour le présent rapport, ont accompli un excellent travail de documentation, d’identification d’enfants isolés, de regroupement familial, d’hébergement, de fourniture de soins et de protection. De son côté, l’UNICEF a contribué à des activités dans quatre domaines: eau, hygiène et assainissement; éducation; protection des enfants; santé et nutrition. Ainsi, plus de 720 000 enfants ont pu être soutenus pour leur réinsertion à l’école; sur 5 144 enfants séparés, 1 363 ont pu être réunifiés avec leurs familles tandis que d’autres étaient placés dans des centres supervisés, et 1,9 million d’enfants ont pu bénéficier de vaccins contre six maladies. Les interventions que l’UNICEF a entreprises jusqu’en janvier 2011 ont été estimées à 350 millions de dollars (mais avec un financement assuré seulement à 85 %).
20. Dans le cadre d’une telle mobilisation de la communauté internationale face à des situations de crise, les rapports d’experts permettent de dégager les grandes lignes des défis qu’il faut affronter:
  • des mécanismes de gouvernance permettant de donner des réponses humanitaires cohérentes et efficaces;
  • des actions décentralisées permettant d’atteindre les plus pauvres et les plus vulnérables (enfants et mères) dans les zones reculées;
  • la plus grande flexibilité des organisations internationales (UNICEF et autres) pour adapter rapidement les interventions à des contextes nouveaux;
  • un rétablissement rapide des capacités nationales de gestion;
  • la conviction des partenaires nationaux qu’il ne s’agit pas d’établir un «règne» des ONG internationales mais d’apporter un réel soutien dans un esprit de confiance, avec l’implication des autorités nationales en tant que «leader» ou au moins partie prenante dans l’ensemble des actions;
  • le rétablissement de la confiance et du dialogue au sein des «communautés» qui représentent des ressources énormes mais qui, dans un cas comme celui d’Haïti, doivent d’abord être rétablis après avoir été affaiblis par trente ans de dictature;
  • l’implication du secteur privé.

2.4. Un deuxième exemple: l’Afghanistan

21. La situation des enfants en Afghanistan est aussi dramatique que celle en Haïti selon les indicateurs principaux: avec 45 % de la population en dessous de l’âge de 15 ans, la mortalité infantile est de plus de 15 % et un enfant sur quatre n’atteint pas l’âge de 5 ans. Alors que les droits de l’enfant ont été totalement bafoués durant la période au pouvoir des talibans (jusqu’à 2001), la situation des enfants reste instable en 2011 et se dégrade au même rythme que la société se paupérise, même dans les grandes villes. Bien que l’Afghanistan ait ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), la plupart des droits propres aux enfants ne sont pas respectés, un état de fait encore aggravé dans les zones exposées au conflit où des enfants sont souvent enrôlés de force pour participer aux combats. Ainsi, des problèmes pour les enfants persistent notamment en matière de sécurité, d’accès à l’éducation et à la formation professionnelle, de santé (aussi à travers celle des mères) ainsi que de pauvreté et de conditions de vie générales. Parmi les risques spécifiques menaçant les enfants d’Afghanistan, dont bon nombre sont livrés à eux-mêmes à un jeune âge, se trouvent ceux liés à la vie dans la rue, aux accidents domestiques, mais aussi des atteintes ciblées à leur intégrité telles que les abus sexuels envers les garçons et le mariage forcé, qui peut souvent être qualifié de viol domestique, pour les filles. L’accès à l’éducation reste difficile, notamment pour les filles, même si des efforts énormes ont permis de scolariser environ 7 millions d’enfants à la rentrée 2011 (en laissant jusqu’à 4,5 millions d'enfants non scolarisés).
22. Les réponses internationales données à ces problématiques rencontrent des difficultés similaires, mais plus importantes encore, qu’en Haïti. Malgré la bonne volonté politique à la fois du Gouvernement afghan mais aussi de toutes les structures intervenant dans le pays, l’assistance internationale manque de cohérence et de transparence. Notamment le manque de lisibilité et de coordination d’une politique européenne est très préoccupant: certains pays ayant des relations privilégiées avec l’Afghanistan depuis de nombreuses années (tels que l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni ou la Turquie), mènent leurs propres actions, alors que pratiquement tous les pays du continent européen sont intervenus dans la coalition militaire et les actions de reconstruction. Une coordination entre différents acteurs s’impose également: certaines agences telles que l’UNICEF ont l’expertise, mais manquent souvent de moyens d’intervention, alors que d’autres structures étatiques ou non gouvernementales peuvent avoir les ressources, mais n’ont pas l’expertise et ne coordonnent pas leurs actions, ce qui les rend inefficaces par moments. De plus, depuis 2006 et en raison de problèmes de sécurité, beaucoup d’ONG se sont désengagées d’Afghanistan.

3. Actions requises de la part de la communauté internationale

23. A la lumière des situations étudiées pour le présent rapport, il devient évident que, pour une protection efficace des enfants dans le cadre de situations de crise, les actions suivantes s’imposent:
  • la reconnaissance de l’enfance comme un facteur de vulnérabilité particulière afin d’assurer des réponses adaptées et différenciées selon les tranches d’âge: moins de 5 ans, âge scolaire, préadolescents, adolescents;
  • la garantie de l’accès à une alimentation adaptée et à une eau de qualité, de conditions d’hygiène et d’assainissement correctes, de la prise en charge en matière de santé et de santé mentale, de la protection contre différentes formes d’abus et de violence, ainsi que d’une scolarisation continue;
  • la mise en place de services particuliers pour les femmes qui viennent d’accoucher et qui allaitent tels que proposés par l’association Action contre la faim (distribution de lait artificiel et de compléments alimentaires hautement protéinés, tentes spéciales pour les mamans et les bébés, etc.).
24. Selon les experts auditionnés dans le cadre du présent rapport, l’action internationale future en Haïti et dans d’autres régions concernées par des crises devrait viser à mieux protéger les enfants par le biais des mesures suivantes:
  • au niveau des normes internationales, la ratification de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale et la mise en œuvre rigoureuse des recommandations figurant dans le rapport de la rapporteure spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage;
  • un soutien dans le cadre de réformes législatives et judiciaires visant la mise en place de mécanismes efficaces pour lutter contre tous les risques auxquels les enfants sont exposés déjà en temps «normal», mais plus encore en situation de crise: enlèvement, trafic, violence et violence sexuelle, placement dans des structures d’accueil illégales ou non surveillées, adoption internationale abusive ainsi que la pratique haïtienne du «restavek»;
  • un soutien stable à l’UNICEF et d’autres organisations spécialisées dans leur intervention, entre autres en assurant le respect des promesses financières annoncées.
25. De manière générale, et indépendamment de la situation spécifique des enfants, les principes suivants devraient être respectés afin d’assurer la plus grande efficacité de l’aide apportée à moyen terme:
  • un soutien des acteurs nationaux non seulement dans les réponses les plus urgentes à la crise, mais aussi en ce qui concerne le rétablissement des services de base indispensables, la restauration des infrastructures principales et la création de solutions génératrices de revenus ainsi que le renforcement de l’Etat haïtien et la sortie de l’instabilité politique chronique;
  • la garantie d’interventions de haute qualité et pérennes, suivies d’un désengagement de manière progressive;
  • le respect des droits de l’homme dans les interventions des organisations internationales elles-mêmes afin de garantir leur crédibilité à long terme.

4. Conclusions et recommandations

26. L’action future requise des Etats membres du Conseil de l’Europe concerne seulement dans une moindre mesure des activités législatives. Elle est surtout d’ordre politique et doit viser une plus forte coordination internationale face à des catastrophes naturelles et des situations de crise politique. C’est seulement par des actions cohérentes et ciblées de la communauté internationale qu’un soutien efficace peut être apporté aux enfants dans les situations de crise. Les exemples d’Haïti et de l’Afghanistan, et notamment les informations recueillies lors de l’audition d’experts et des missions entreprises par moi-même en tant que rapporteure, soutiennent cet argument.
27. Face aux situations de crise, les enfants sont confrontés à de nombreux dangers. Dans des pays comme Haïti, les lois et les mécanismes destinés à assurer leur protection pleine et entière manquent souvent. Dans une telle situation, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent d’abord intervenir d’urgence tout en appliquant leurs propres standards élevés en matière de démocratie et de droits de la personne humaine dans le cadre de l’aide immédiate fournie. Cela concerne, par exemple, les règles à respecter en matière d’adoption internationale, de transparence des flux financiers ou de surveillance des actions du personnel humanitaire. A moyen terme, l’Europe a également la responsabilité d’apporter son soutien au renforcement de l’Etat de droit et de la législation dans les pays concernés.
28. Concernant des domaines particuliers, les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent également être appelés à renforcer leurs propres législation ou mécanismes légaux, par exemple dans le domaine des adoptions internationales: à défaut de procédures sécurisées sur place, certains pays européens, comme l’Allemagne, l’Autriche ou la France, ont suspendu l’accueil d’enfants d’Haïti par la voie de l’adoption internationale pendant un certain temps.
29. Les deux exemples, Haïti et Afghanistan, montrent encore une fois que les standards les plus élevés en matière de protection de l’enfance sont loin d’être respectés dans tous les pays. Il appartient aussi aux Etats membres du Conseil de l’Europe de les promouvoir partout où ils en ont la possibilité, tout en respectant le contexte social et culturel d’un pays donné.
30. De manière générale, la protection des enfants contre les menaces à leur intégrité (enlèvement, trafic, violences physiques et sexuelles, exploitation pour travail domestique, etc.) doit être une priorité de l’action nationale et internationale. Les besoins spécifiques des enfants et leur droit à une protection particulière ne doivent pas être «oubliés» dans la multitude d’autres problèmes à aborder en même temps mais être au contraire une constante permanente de chaque action humanitaire entreprise.