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Avis | Doc. 12793 | 22 novembre 2011

La violence psychologique

Commission des questions sociales, de la santé et de la famille

Rapporteure : Mme Marlene RUPPRECHT, Allemagne, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12255, Renvoi 3687 du 21 juin 2010. Commission saisie du rapport: Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes. Voir Doc. 12787. Avis approuvé par la commission le 18 novembre 2011. 2011 - Commission permanente de novembre

A. Conclusions de la commission

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La commission accueille favorablement l’excellent rapport par Mme Elvira Kovács au nom de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, qui attire opportunément l’attention sur la question souvent négligée de la violence psychologique.

La commission soutient sans réserve le projet de résolution. Elle souhaite toutefois proposer trois amendements afin que soient dûment prises en compte les conséquences préjudiciables que la violence psychologique au sein du foyer entraîne pour les enfants qui en sont témoin.

B. Propositions d’amendements au projet de résolution

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Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, paragraphe 7, après les mots «aux victimes de violence», insérer les mots suivants:

«, y compris les enfants victimes ou témoins de violence domestique,».

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, à la fin du paragraphe 8.1.1, ajouter les mots suivants:

«, et veiller à son application effective par toutes les institutions concernées;».

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, paragraphe 8.1.2, après les mots «appliquer la convention à toutes les victimes de violence domestique», insérer les mots suivants:

«(y compris les enfants victimes ou témoins de violence domestique)».

C. Exposé des motifs par Mme Rupprecht, rapporteure pour avis

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1. Introduction

1. La violence psychologique est une question sensible, même après le tournant qu’a constitué l’ouverture à la signature, en mai 2011, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul, STCE no 210), dont un article est consacré à la violence psychologique. Cette disposition érige en infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, de porter gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne par la contrainte ou les menaces.
2. Malgré cette étape importante, la question de la violence psychologique demeure sensible, essentiellement parce qu’il est extrêmement difficile de prouver «la nature pénale d’un comportement violent qui se produit dans le temps», selon les termes du rapport explicatif de la convention (paragraphe 181) – étant donné que les cicatrices laissées par ce comportement violent sont psychiques et non corporelles 
			(1) 
			Le rapport de Mme Kovács montre
les difficultés rencontrées pour recueillir des données sur les
incidents de violence psychologique. Il se réfère toutefois à l’Enquête
nationale sur les violences envers les femmes en France (2000), d’où
il ressort qu’une femme sur dix est victime de violence psychologique
dans le cadre d’une relation intime..
3. C’est pourquoi je voudrais féliciter la rapporteure de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, Mme Elvira Kovács, qui est parvenue à traiter cette question de façon complète et équilibrée. Je tiens aussi à saluer son courage, car révéler que l’on a soi-même été victime de violence dans une relation passée n’est pas chose facile. En fait, il est souvent difficile de reconnaître que l’on est victime de violence psychologique jusqu’à ce que l’on ait la force de sortir de la relation de maltraitance 
			(2) 
			Les
victimes se sentent (et sont) souvent isolées. Elles ont un sentiment
d’impuissance, une faible estime de soi, souffrent de dépression,
voire nourrissent des pensées suicidaires..

2. Les enfants, victimes secondaires de la violence domestique: la contribution de la Convention d’Istanbul

4. La violence psychologique, qui est le plus souvent exercée par des hommes à l’encontre de femmes avec lesquelles ils ont une relation intime, touche non seulement les femmes en tant que victimes, mais aussi les enfants qui sont témoins de cette violence 
			(3) 
			Behind Closed Doors, The Impact of Domestic
Violence on Children, UNICEF, 2006. . Si l’on entend par violence psychologique des mots ou des actes de l'agresseur qui mettent la victime en situation de soumission, il est évident que, dans un tel foyer, les enfants ne peuvent se sentir soignés et protégés. L’Assemblée parlementaire a déjà traité l’an dernier de la question plus large des «enfants témoins de violence domestique», en s’appuyant sur un rapport établi pour la commission des questions sociales, de la santé de la famille par Mme Carina Ohlsson (Suède, SOC) 
			(4) 
			Doc. 12111 de l’Assemblée., qui a donné lieu à l’adoption de la Résolution 1714 (2010) et de la Recommandation 1905 (2010).
5. Dans ces textes, l’Assemblée a réaffirmé que les situations d’enfants témoins de violence domestique ainsi que les dangers spécifiques auxquels ils sont exposés sont trop souvent négligés lorsqu’il est question des politiques y afférentes. Elle considérait par conséquent que le renforcement d’une action spécifique en faveur de ces enfants est nécessaire à tous les niveaux politiques et qu’il doit prendre en compte différents aspects de l’impact spécifique de la violence domestique sur les filles et les garçons. Elle invitait donc le Comité des Ministres à charger le Comité ad hoc pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (CAHVIO), qui élaborait à l’époque la Convention d’Istanbul, de prendre en considération la question des enfants témoins de violence domestique, en accordant aux enfants concernés, dans des articles spécifiques de la future convention, un véritable statut de «victimes secondaires».
6. Ces recommandations ont effectivement été prises en compte, ce dont on ne peut que se réjouir. La Convention d’Istanbul reconnaît dans son préambule «que les enfants sont des victimes de la violence domestique, y compris en tant que témoins de violence au sein de la famille». Parmi les dispositions importantes dans ce domaine, citons également les suivantes:

Article 22 – Services de soutien spécialisés

2 Les Parties fournissent ou aménagent des services de soutien spécialisés pour toutes les femmes victimes de violence et leurs enfants.

Article 26 – Protection et soutien des enfants témoins

1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que, dans l’offre des services de protection et de soutien aux victimes, les droits et les besoins des enfants témoins de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente convention soient dûment pris en compte.

2. Les mesures prises conformément au présent article incluent les conseils psychosociaux adaptés à l’âge des enfants témoins de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente convention et tiennent dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Article 31 – Garde, droit de visite et sécurité

1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que, lors de la détermination des droits de garde et de visite concernant les enfants, les incidents de violence couverts par le champ d’application de la présente convention soient pris en compte.

Article 46 – Circonstances aggravantes

Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires afin que les circonstances suivantes, pour autant qu’elles ne relèvent pas déjà des éléments constitutifs de l’infraction, puissent, conformément aux dispositions pertinentes de leur droit interne, être prises en compte en tant que circonstances aggravantes lors de la détermination des peines relatives aux infractions établies conformément à la présente convention: (…)

d. l’infraction a été commise à l’encontre ou en présence d’un enfant;

Article 56 – Mesures de protection

Un enfant victime et témoin de violence à l’égard des femmes et de violence domestique doit, le cas échéant, se voir accorder des mesures de protection spécifiques prenant en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.

3. Le cas particulier des enfants en tant que victimes secondaires de la violence psychologique

7. Dans son rapport de 2010, Mme Ohlsson mentionnait une étude statistique selon laquelle tous les enfants séjournant dans des foyers d’accueil pour femmes victimes de violence domestique avaient été témoins de cruauté mentale à l’égard de leur mère 
			(5) 
			Christensen
E., «Bornekar. En undersogelse af omsmorgsst I relation till borne
og unge I familier med hustrumishadling», Nordisk
psykologis monografiserie, no 31, vol. 42, Akademisk
Forlag, 1990, cité dans le rapport de la commission des questions
sociales, de la santé et de la famille, «Les enfants témoins de
violence domestique», Doc. 12111,
paragraphe 5.. Les enfants témoins de violence psychologique sont trop souvent les victimes oubliées de cette maltraitance. Le traumatisme et les effets préjudiciables causés par cette expérience peuvent être considérables, même si cette forme de violence suscite moins d’intérêt. Vu la gravité des répercussions de la violence psychologique, nous devrions saisir cette occasion pour attirer l’attention sur les souffrances des enfants en tant que victimes secondaires de cette violence, afin que leurs droits ne soient plus lésés ni leur intérêt supérieur négligé.
8. Les enfants exposés à la violence psychologique subissent bien plus de stress affectif et sont beaucoup plus tourmentés que les enfants qui grandissent dans un milieu familial aimant et sécurisant. Il sentent que leurs parents entretiennent une relation dysfonctionnelle – une relation d’inégalité, car l’auteur de violence psychologique est en situation d’autorité et de domination par rapport à la victime. Les enfants ressentent en direct la peur et le traumatisme affectif éprouvés par la victime principale (généralement leur mère). Un tel environnement est malsain pour le développement de l’enfant.
9. Le fait d’être témoin de violence psychologique peut avoir des effets préjudiciables sur le développement de l’enfant, tels que des troubles de la croissance cognitive et sensorielle. Chez ces enfants, on observe souvent des changements comportementaux (énurésie nocturne, troubles du sommeil, irritabilité); plus tard dans la vie de l’enfant, ces problèmes peuvent s’intensifier jusqu’à la dépression, aux pensées suicidaires et à l’automutilation. Le développement social de l’enfant peut aussi être perturbé: il perd la capacité de ressentir de l’empathie pour autrui et se sent socialement isolé, car il est incapable de distinguer ce qui est ou non acceptable. Enfin, l’enfant témoin de cette violence peut avoir des difficultés à se concentrer et à fixer son attention, ce qui se répercute sur son éducation 
			(6) 
			Behind
Closed Doors, The Impact of Domestic Violence on Children,
UNICEF, 2006, paragraphe 7. .
10. A long terme, le meilleur indicateur pour évaluer le risque qu’un enfant prenne part à une forme ou une autre de violence domestique une fois adulte, que ce soit en tant qu’auteur ou en tant que victime, est le fait qu’il ait eu une expérience directe de violence domestique étant jeune. Ainsi, le fait pour un enfant d’être témoin de violence psychologique à la maison, en plus d’engendrer des obstacles qui entravent son développement, peut enclencher un cercle vicieux de reproduction de la violence.
11. Au-delà des effets directs de la violence psychologique, le problème est d’autant plus grave que ce comportement intolérable n’est pas reconnu à la maison et que rien n’est fait pour y remédier. Si la vie continue comme si de rien n’était alors que les violences se répètent, la victime de violence psychologique abaisse le niveau de ce qui est acceptable. L’enfant apprend que l’on ne peut en parler et que cela doit rester un secret de famille. Lorsque, en grandissant, il commence à comprendre que ce comportement n’est pas normal dans une famille, il ressent de la honte et a encore moins de chances de s’épancher, même auprès d’une personne en qui il peut avoir confiance.
12. Ce milieu anxiogène est à l'opposé de ce dont un enfant a réellement besoin, à savoir un environnement sécurisant, auprès d’adultes qui l’aiment, prennent soin de lui et le soutiennent (et ont des comportements analogues l’un envers l’autre). Les enfants victimes secondaires de violence psychologique doivent apprendre que la violence sous toutes ses formes est absolument condamnable et savoir qu’il existe des dynamiques familiales différentes, plus saines et plus heureuses. Il est également impératif qu’ils comprennent qu’ils ne sont pas responsables de cette violence.

4. Conclusion et recommandation

13. La violence psychologique est une grave atteinte aux droits humains qui touche non seulement la victime principale mais aussi les enfants qui en sont témoins. Ces enfants ont besoin et sont dignes de recevoir une aide (spécialisée), un soutien et une protection. Il nous incombe de faire en sorte qu’ils en bénéficient.
14. Je soutiens sans réserve le projet de résolution présenté par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes, car je suis convaincue que son élément central (la recommandation de signer et ratifier dans les meilleurs délais la Convention d’Istanbul) permettra dans une large mesure de réaliser cet objectif si les Etats membres lui donnent suite rapidement. Je voudrais toutefois proposer trois amendements afin que les conséquences préjudiciables que la violence psychologique au sein du foyer entraîne pour les enfants qui en sont témoins soient dûment prises en compte.