1. Introduction
1. L’eau, patrimoine commun de l’humanité et ressource
essentielle à la survie de l’homme, est tout autant nécessaire aux
principaux secteurs de l’activité économique (agriculture, production
industrielle, production d’énergie, transport de personnes et de
biens). Si les trois quarts de la surface du globe sont couverts
par des océans et des mers, l’eau douce ne représente que 2,5 %
de ce volume. L’essentiel se trouve concentré dans les icebergs
et est donc inexploitable en l’état.
2. On estime que 10 % du prélèvement d’eau dans le monde est
destiné à la consommation domestique, 20 % à l’industrie et 70 %
à l’agriculture. La ressource en eau sert également à maintenir
l’équilibre des écosystèmes. Selon les chiffres des Nations Unies,
un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, 2,6 milliards
n’ont pas accès à un assainissement de base et 2,2 millions meurent
chaque année de maladies liées à un manque d’accès à l’eau ou à
une mauvaise qualité de l’eau. La disponibilité d’eau douce par
habitant a chuté dramatiquement, passant de quelque 17 000 m3 par
an au milieu du XXe siècle, à environ 6 000 m3 par an aujourd’hui.
3. Le rapport final du sommet de Johannesbourg de 2002 a fixé
comme objectif de réduire de moitié, à l’horizon 2015, «la proportion
de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable ou qui n’ont pas
les moyens de s’en procurer (…) et la proportion de personnes qui
n’ont pas accès à des services d’assainissement de base».
4. La croissance démographique, les besoins différenciés mais
croissants des pays en développement et des pays industrialisés,
et les aléas climatiques, qu’il s’agisse de sécheresses récurrentes
et de pénuries chroniques ou d’inondations dévastatrices, exacerbent
le caractère vital de l’eau qui devient ainsi un enjeu économique
majeur et un enjeu politique national ou international générateur
de situations conflictuelles entre Etats.
5. Les tensions entre les pays qui separtagent
le bassin d’un fleuve pourraient ainsi compromettre le développement
durable et renforcer la pauvreté, inciter les flux migratoires et
l’instabilité sociale et engendrer des conflits alors que le besoin
mutuel de partager la ressource en eau devrait aider à forger une
coopération pacifique entre les différentes communautés.
2. Le changement climatique
6. Le réchauffement climatique a des répercussions évidentes
sur l’eau, engendrant des précipitations variables, des inondations,
des périodes de sécheresse, la fonte des glaciers et l’augmentation
du niveau de la mer.
7. Les scientifiques estiment que l’augmentation d’un degré de
la température moyenne entraînera une hausse de 1 % des précipitations,
puisque l’air chaud absorbe plus d’humidité. Le volume mondial total
ne changerait pas mais le cycle de l’eau serait accéléré, affectant
la majorité de l’agriculture mondiale qui dépend du volume et de
la saison des précipitations.
8. Au cours des dernières années, la température dans le monde
a augmenté chaque année de 0,74°C en moyenne. Cette hausse a été
plus marquée dans les latitudes nord. Cette augmentation a entraîné,
entre autres, la diminution de la superficie de la calotte polaire
et de la couverture de neige et de glace sur les montagnes dans
les deux hémisphères, et une augmentation significative des précipitations,
que ce soit dans l’est de l’Amérique du Nord et du Sud, dans le
nord de l’Europe et dans le nord et le centre de l’Asie.
9. Ces phénomènes ont également eu des répercussions importantes
sur l’agriculture et sur la gestion de la forêt, et ont entraîné
l’apparition de nouvelles maladies à la suite de la présence d’allergènes
dans l’environnement. Certaines espèces animales sont ainsi menacées
d’extinction.
10. Toutefois, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
du climat (GIEC) insiste sur le fait que ces changements peuvent
très difficilement être imputables à une évolution naturelle du
climat. Tout en l’énonçant avec prudence, le GIEC établit un lien
clair entre le réchauffement climatique et l’activité humaine.
11. Les émissions de gaz à effet de serre sont la principale manifestation
de la croissance industrielle. Le GIEC souligne qu’elles ont augmenté
de 70 % entre 1970 et 2004 et, si rien n’est fait pour la ralentir,
cette augmentation passera de 25 % à 90 % entre 2000 et 2030. Selon
certains scénarios, la température pourrait augmenter de 0,2°C au
cours des vingt prochaines années.
12. Le changement climatique entraîne non seulement sécheresses
et inondations mais engendreaussi indirectement
des modifications du débit des cours d’eau, et a un impact important
sur l’augmentation des concentrations des substances polluantes
et toxiques dans l’eau et du stress hydrique. A titre d’exemple,
la surface du lac Tchad est passée de 25 000 km2 à moins de 3 000
km2, puisqu’il a perdu 90 % de ses ressources en eau sous les effets
conjugués du changement climatique, de la construction de barrages
et des pressions démographiques. L’assèchement de ce lac, qui assure
la subsistance de 30 millions de personnes, fait craindre l’apparition
de conflits autour des ressources entre les différents acteurs,
voire entre les Etats.
13. En modifiant les flux migratoires des populations menacées
par les catastrophes écologiques et en rendant encore plus difficile
l’accès à l’eau potable dans certaines régions, le changement climatique
risque de multiplier les tensions dans les relations internationales
et d’être à l’origine de nombreux conflits, voire de guerres.
3. Eau, pauvreté et migration
14. La distribution des richesses dans le monde est inégale.
Le seul fait de vivre dans une certaine région du monde peut conduire
à une lutte perpétuelle pour l’eau, pour la nourriture et pour le
logement.
15. La ressource en eau est vitale pour l’homme mais également
pour le développement économique et pour le maintien des écosystèmes.
L’on constate, malheureusement, que des milliards d’êtres humains manquent
d’eau et de services sanitaires, conséquence, le plus souvent, d’une
mauvaise maîtrise des ressources et d’investissements inadéquats
si bien que les hommes vivent moins longtemps en bonne santédans les pays du Sud.
16. Le changement climatique contribue également à aggraver le
problème de la malnutrition dans les régions les plus arides du
globe, ce qui engendre des millions de réfugiés climatiques et compromet
le développement des pays concernés. La désertification progresse
et menace la subsistance de près d’un milliard de personnes à travers
le monde. Selon les chiffres de la Convention des Nations Unies
contre
la désertification (UNCDD), près de 12 millions d’hectares de terres
arables (soit l’équivalent de la surface du Bénin) permettant de
nourrir 6 millions de personnes disparaissent chaque année avec
l’érosion des sols et la désertification. Ce phénomène concerne
aujourd’hui 25 % des terres immergées, 40 % de la population mondiale
et 50 % du bétail. En 2010, plus de 8 millions de personnes se sont
trouvées dans un état de malnutrition chronique au Niger à cause
de la sécheresse. La convention pointe également le fait que, «avec le
changement climatique, près de la moitié de la population vivra
dans des régions avec de grands besoins en eau en 2030».
17. La dégradation de l’environnement fait également fuir les
touristes, entraînant une baisse importante des recettes dans les
pays pauvres.
18. Pauvreté et dégradation de l’environnement sont ainsi entrées
dans un cercle vicieux. Les problèmes environnementaux aggravent
la pauvreté, l’absence d’une autre solution pousse les pauvres à
prélever dans la nature de quoi survivre, souvent de façon illégale,
par braconnage. Les tensions croissantes qui pèsentsur les ressources environnementales
génèrent des conflits dont les pauvres sont les premières victimes.
19. Les migrants environnementaux se retrouvent le plus souvent
concentrés dans des zones très réduites et peu adaptées. Dans certains
cas, les maigres ressources disponibles sont rapidement épuisées,
ce qui ne fait qu’aggraver la situation de ces personnes.
20. A titre d’exemple, dans les régions excentrées des hauts plateaux
fertiles de l’Ethiopie, l’on trouve un camp situé en dehors de l’ancienne
ville musulmane de Harar, le long d’une rivière desséchée, où vivent
5 000 Somaliens de différentes ethnies qui ont dû quitter la région
de l’Ogaden à cause des conflits internes pour l’eau.
21. Très souvent les femmes et les enfants sont attaqués lorsqu’ils
cherchent de l’eau ou lorsqu’ils font boire leurs bêtes dans les
sources ou les points d’eau, ce qui les oblige à abandonner leur
maison et à trouver refuge dans les églises ou les écoles.
4. L’eau: un nouvel enjeu
22. Il y a 4 500 ans s’est déroulée en Mésopotamie la
dernière guerre de l’eau. De nos jours, alors que la demande en
eau atteint les limites disponibles, les conflits internes continuent
à se développer. Selon certains experts, plus de 50 pays sur cinq
continents vont bientôt s’engager dans des conflits pour l’eau,
à moins que l’on ne prenne rapidement des décisions sur le partage
des rivières et des fleuves transfrontaliers.
23. Ces conflits résultent très souvent de deux facteurs. Le premier
est celui du changement rapide ou important dans le milieu physique
d’un bassin (construction d’un barrage, détournement d’une rivière)
ou dans son milieu politique (morcellement d’une nation) et le second,
celui d’une mauvaise gestion de la part des institutions existantes,
en l’absence, notamment, de tout traité définissant les responsabilités
et les droits de chaque nation.
24. Pourtant, si les mesures sont prises de manière adéquate,
un barrage peut contribuer au développement en permettant notamment
de réguler l’approvisionnement en eau, de limiter les inondations, d’améliorer
la navigation et surtout de produire de l’électricité. Il existe
ainsi aujourd’hui près de 45 000 grands barrages dans le monde,
selon la Commission mondiale des barrages (CMD). En dix ans, la
production hydroélectrique, qui ne dégage pas de gaz à effet de
serre et ne produit pas de déchets toxiques, a progressé de près
de 20 %. Trois freins existent cependant au développement de cette
production: les barrages sont accusés de perturber l’équilibre écologique
en amont et en aval, de provoquer des déplacements massifs de population
et d’empêcher la reproduction de certains poissons. Au niveau international,
considérer l’eau comme une énergie renouvelable ne va pas sans poser
certains problèmes.
25. Selon les chiffres des Nations Unies, il existe 263 bassins
internationaux (fleuves, lacs ou nappes souterraines) partagés par
deux pays ou plus. Ces bassins représentent 60 % des réserves mondiales
en eau et 40 % de la population mondiale vit à proximité. Dans un
contexte de pénurie, des infrastructures en amont d’un cours d’eau
international peuvent avoir un impact sur la qualité de l’eau ou
sur sa disponibilité pour les Etats voisins, ce qui peut provoquer,
à terme, des tensions et des conflits.
26. Pour certains experts, le danger réside ainsi moins dans la
pénurie d’eau que dans la tentation pour un pays de contrôler une
voie d’eau internationale. La Turquie, par exemple, finance le projet
d’Anatolie du Sud-Est (projet GAP) qui prévoit la construction de
22 barrages et 19 centrales hydroélectriques sur le Tigre et l’Euphrate,
qui ont fourni environ 22 % de la consommation turque en 2010. La
construction de ces barrages permet à la Turquie de contrôler l’écoulement
en aval de l’eau vers la Syrie et l’Irak, accentuant la dépendance de
ces pays à l’égard du château d’eau turc. Les relations entre la
Turquie, d’une part, et la Syrie et l’Irak, d’autre part, se sont
considérablement dégradées depuis le lancement du projet. Au niveau
écologique, les scientifiques constatent déjà une forte salinisation
des terres en aval, ce qui modifiera profondément l’écosystème de
la région.
27. Le manque d’eau entraîne incontestablement des actes de violence
et des conflits pouvant menacer la stabilité politique et sociale
d’un Etat. Les conflits civils d’aujourd’hui dépassent les frontières
et sont à l’origine des guerres internationales de demain.
28. Ces altercations interétatiques autour de l’eau entraînent
des tensions régionales, freinent le développement économique et
risquent de provoquer des conflits plus importants.
29. Il faut rappeler que la Cour internationale de justice a un
rôle important à jouer, même si elle ne peut imposer des décisions
à des parties qui n’ont pas sollicité son arbitrage. Elle est dotée
d’un arsenal pour œuvrer à la résolution des différends mondiaux,
selon des critères d’appréciation bien définis (article 38 de son Statut).
30. Il faut souligner que les experts en matière de sécurité internationale
ont souvent ignoré ou sous-estimé le lien réel et complexe entre
l’eau et la sécurité.
31. A la fin des années 1980, le Pacific Institute a créé un projet
visant à récolter et à regrouper les événements en relation avec
l’eau et les conflits.
32. Les événements récents au Proche-Orient et au Moyen-Orient,
dans les Balkans, au Timor-Oriental et dans d’autres régions ont
contribué à ajouter de nouvelles données, comme on le verra un peu
plus loin.
33. C’est ainsi que l’eau est devenue un outil militaire et politique
mais malheureusement aussi une arme pour les terroristes.
34. Si la sécurité internationale et les politiques internationales
et régionales évoluent en permanence, un facteur reste cependant
constant, à savoir que l’eau est indispensable à la vie, et les
moyens mis en place pour répondre aux besoins et à la demande en
eau dépendent pour la plupart du temps des décideurs politiques.
35. Le stress hydrique interne a également des incidences sur
les alliances politiques internationales et vient s’ajouter à celles
de la crise humanitaire. Les pays s’adaptent normalement au stress
hydrique en important la plus grande partie de leur nourriture,
ce qui leur permet d’allouer une plus grande part de leur eau potable
aux villes et au secteur industriel.
36. Selon les experts, dans les quinze prochaines années, de plus
en plus de personnes vivront dans des pays en situation de stress
hydrique et de plus en plus de pays vont rejoindre les rangs d’importateurs
de nourriture, ce qui entraînera une augmentation du prix du blé
et, pour les pays pauvres, des famines importantes et un besoin
accru d’aide humanitaire.
37. Même si la privatisation totale, c’est-à-dire la cession complète
(y compris le transfert d’actifs) est plutôt l’exception que la
norme, le phénomène de privatisation peut également avoir des répercussions
en termes d’augmentation des coûts et de réduction des subventions.
En Bolivie, par exemple, à la suite de la privatisation du système
hydraulique à Cochabamba, les dépenses en eau ont atteint des sommets,
avec des factures d’eau pour certains habitants égales à un quart,
voire plus, de leur revenu, ce qui a entraîné des violences civiles.
38. L’eau représente désormais la troisième industrie mondiale
après le pétrole et l’électricité, mais son caractère vital et sa
raréfaction vont en faire, à court terme, la première source potentielle
de profits.
39. A l’Assemblée générale des Nations Unies, le Venezuela a dénoncé
la privatisation de l’eau comme facteur de conflit. Le développement
du secteur privé porterait un risque d’affrontements communautaires.
La marchandisation d’un bien comme l’eau pose en effet le risque
que les intérêts économiques continuent à primer sur des problèmes
d’ordre environnemental. L’intensité du débat entre partisans et
détracteurs de la participation du secteur privé a peut-être occulté
le succès rencontré par ce mode de gestion. Des rapports de la Banque
mondiale (rapport Gassner) et de l’OCDE montrent des gains de productivité
et une meilleure connexion des habitations aux services d’eau et
d’assainissement. Néanmoins, si certains Etats décident de s’en
remettre à des multinationales pour la gestion de leurs ressources
en eau, il revient aux gouvernements d’attribuer aux entreprises
privées des contrats d’affermage limités (dans le temps par exemple),
en complément d’un cadre réglementaire strict et de mécanismes de
plainte et de responsabilisation. Le rapport de l’experte indépendante
au Conseil des droits de l’homme (29 juin 2010) rappelle que «les
Etats ont le devoir d’imposer une réglementation et une surveillance
aux acteurs qu’ils associent à la fourniture de services (…). Quand
bien même l’Etat ne fournit pas directement les services, son rôle
demeure incontournable et critique».
40. La participation du secteur privé doit être encadrée. Le rapport
de 2008 du Conseil des droits de l’homme présente un cadre stratégique
qui repose sur trois principes: le devoir de protection de l’Etat
contre les violations des droits de l’homme commises par des tiers,
la responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme
et la nécessité d’un accès à des voies de recours effectives et
à des mécanismes d’examen des violations alléguées des droits de
l’homme.
41. Aux Etats-Unis, l’ancienne administration républicaine avait
refusé d’interdire le composant chimique nocif désormais proscrit
en Europe, l’atrazine, que l’on retrouve, entre autres, dans l’eau
du robinet. Quant à Nestlé et d’autres vendeurs d’eau en bouteille,
ils se livrent à une compétition effrénée pour capter ce marché de
plus en plus lucratif, quitte à saccager sources et rivières.
5. Les différentes causes de la pénurie et de l’accroissement
des besoins en eau
42. L’internationalisation des finances et du commerce
a des répercussions sur des phénomènes mondiaux, y compris sur la
demande et la consommation de ressources naturelles. La mondialisation
a entraîné une augmentation de la demande en eau en raison notamment
de l’expansion et de l’accélération de l’industrialisation.
43. A cela s’ajoute le problème de la quantité limitée de l’eau.
Bien que le stock global en eau soit suffisant pour répondre à la
demande actuelle, sa consommation va en augmentant, si bien que
l’on va ressentir un manque dans les prochaines années. Il y a trois
raisons principales à l’amenuisement de la ressource en eau douce:
l’irrigation, le gaspillage et la pollution.
44. L’irrigation est un problème majeur car cette pratique représente
près de 70 % des ressources mondiales en eau renouvelable. L’irrigation
touche directement à l’emploi de centaines de millions d’agriculteurs
pour qui la récolte est la source principale de revenu. Il est donc
nécessaire d’investir dans des systèmes d’irrigation plus performants.
Nombre d’entre eux, tels que l’irrigation gravitaire par aspersion
ou encore au goutte-à-goutte, se sont révélés efficaces pour contrôler
l’arrosage des champs. Les pays en développement constituant la
majorité des pays agricoles, il convient de soutenir et de favoriser
des transferts de technologie. A titre d’exemple, l’Algérie, le
Maroc et la Tunisie se trouvent sous le seuil de «pénurie absolue»
défini par les Nations Unies. Le secteur agricole absorbe environ
80 % de l’eau du Maghreb et la moitié y est perdue par évaporation
dans les barrages et les canalisations à ciel ouvert, ou à cause
de techniques d’irrigation peu performantes. Il faut également considérer
le choix des cultures: la décision du Maroc d’opter pour une agriculture
d’exportation très consommatrice en énergie, comme les tomates,
apparaît aux yeux de beaucoup comme un non-sens écologique, alors
que de nombreuses espèces de céréales demandent moins d’eau.
45. Pour réduire le gaspillage des ressources en eau, il est nécessaire
de moderniser les réseaux d’adduction, en particulier dans les pays
en développement où les infrastructures sont souvent vétustes. Dans les
pays riches, l’urbanisation croissante et l’utilisation d’appareils
consommant beaucoup d’eau, les lave-vaisselle par exemple, entraînent
une diminution rapide de la quantité d’eau disponible.
46. La pollution est une conséquence de cette urbanisation croissante
et de l’industrialisation, en raison notamment des rejets et des
émissions des usines et des moyens de transport. Ces rejets augmentent
la teneur des cours d’eau en substances toxiques. La mauvaise gestion
de l’irrigation peut également entraîner une infiltration de la
terre par des produits chimiques (pesticides, nitrates, etc.) et
une salinisation des sols.
47. En outre, la population mondiale devrait atteindre environ
9,3 milliards d’habitants en 2050, population qui aura besoin de
se nourrir, de se loger, de se vêtir et qui utilisera de l’énergie.
Malheureusement, plusieurs pays à taux de croissance démographique
très élevés sont localisés dans des zones où la disponibilité en
eau est insuffisante. Le manque d’eau s’est déjà fait ressentir
dans une partie de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine.
De nombreux Etats disposent ainsi de moins de 1 700 m3 /habitant/an
d’eau douce, et sont donc en situation de stress hydrique. Une vingtaine
d’Etats se trouvent quant à eux sous le seuil de 1 000 m3/habitant/an
et sont donc en situation de pénurie (en particulier en Afrique
et au Moyen-Orient). Cela pourrait aboutir à une compétitivité accrue
dans les années à venir, menant à terme à des conflits.
48. Ces querelles ont souvent lieu dans des pays pauvres et divisés
qui ne possèdent qu’une ou deux sources de richesse. Dans ces pays,
celui qui exerce le contrôle sur l’eau est susceptible de devenir
très riche, alors que tous les autres habitants sont destinés à
vivre dans la pauvreté. Dans les pays développés, la ressource en
eau est contrôlée par le gouvernement et est distribuée de façon
raisonnable entre les habitants. Dans les pays sous-développés,
ce sont les groupes d’intérêt ou les chefs de bande qui se battent
pour ces sources de richesse. On constate que les tensions sont
favorisées lorsque, aux problèmes de gestion de l’eau, s’ajoutent
les différences ethniques et/ou religieuses, qui entraînent des
affrontements intercommunautaires.
6. Quelques exemples frappants
6.1. Le Proche-Orient
49. A l’époque des fusées et des missiles à longue portée,
la volonté d’Israël de continuer à occuper, depuis la guerre des
Six-Jours en 1967, les hauteurs du Golan en territoire syrien à
l’est du lac de Tibériade, n’a pas ou plus grand-chose à voir avec
une stratégie militaire de protection ou de dissuasion. Il s’agit
tout simplement de s’assurer le contrôle d’un véritable «château
d’eau» de 1 150 km2, qui fournit chaque année à peu près 500 millions
de mètres cubes selon les Nations Unies dont l’essentiel serait
canalisé vers le désert du Néguev; environ 70 % des eaux qui affluent
vers le lac sont pompés et acheminés vers Israël. Cette occupation
du Golan a aussi pour conséquence d’écarter la frontière syrienne
des rives du lac et donc de l’eau. Cette réserve est vitale pour
la région et, directement ou indirectement, les Israéliens, les
Palestiniens et les Jordaniens y puisent.
50. C’est ainsi que très souvent derrière les affrontements se
profilent ainsi des microguerres, importantes mais ignorées, pour
la maîtrise d’un approvisionnement qui conditionne le développement
de l’agriculture et donc la vie dans cette région.
51. Les Accords d’Oslo de 1995 n’avaient pas réussi à trancher
la question de la répartition de l’eau en temps de paix, alors que,
après le Liban, quatre pays – Israël, la Jordanie, la Syrie et les
Territoires palestiniens – dépendent du bassin du Jourdain.
52. Le partage des eaux du Jourdain, comme de celles de ses affluents,
sert de toile de fond, de prétexte, d’explication à de nombreux
affrontements, notamment en ce qui concerne la colonisation dans
les territoires occupés, alors que l’article 12 des Accords d’Oslo
précisait que les problèmes d’eau, comme les questions de bruit,
d’assainissement, de protection de la faune et de la flore ainsi
que des espèces migratrices, devaient être réglés en dehors des
discussions et des affrontements politiques.
53. Il est clair que ce genre d’affrontement n’existerait pas
si cette région disposait d’eau en quantité importante et si les
pluies n’étaient pas aussi irrégulières. Les craintes liées aux
ressources en eau sont telles que les Israéliens accusent régulièrement
les Palestiniens d’empoisonner ou de colmater des sources et que l’Autorité
palestinienne accuse parfois Israël d’avoir maintenu pendant des
années une occupation du Liban-Sud pour mettre en place un détournement
souterrain du fleuve côtier Litani, qui prend sa source dans la
plaine (libanaise) de la Bekaa et change brusquement de direction
vers l’ouest et la mer à quelques kilomètres de la frontière nord
d’Israël, ou encore de pomper clandestinement de l’eau un peu partout.
54. Il s’agit là de véritables guerres de l’eau qui se révèlent
intenses et vitales pour les populations.
55. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a attiré
l’attention de l’opinion publique sur la situation critique de l’accès
à l’eau pour les habitants de la bande de Gaza où une grande partie
de la population n’a pas d’accès direct à l’eau potable et doit
compter sur l’eau achetée à des fournisseurs privés.
56. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires
(OCHA) des Nations Unies, à la suite de l’assaut militaire israélien
dans le cadre de l’opération «Plomb durci», 150 000 habitants de
Gaza sont toujours affectés par l’insuffisance de l’approvisionnement
en eau, dont 50 000 restent sans eau, pendant que les autres reçoivent
de l’eau une fois tous les cinq ou six jours.
57. La municipalité de Gaza a été forcée de pomper et de rejeter
des tonnes d’eaux usées directement dans la mer pour éviter de polluer
et de contaminer les eaux souterraines et l’eau potable.
6.2. Le Caucase
58. La plus grande rivière du Caucase est l’Araxe. Elle
coule à la frontière de la Turquie, de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan
et de l’Iran pour se jeter dans la Koura. Elle constitue ainsi une
source d’eau potable pour un grand nombre d’Etats mais des millions
de tonnes d’eaux usées et de déchets industriels la polluent. En
outre, il est prévu que, d’ici à dix ans, l’on manquera sévèrement
d’eau dans cette région. Ces tensions autour de l’eau sont encore
exacerbées par les mauvaises relations émanant d’autres conflits
dans la région.
6.3. La Chine
59. En 2000, des milliers d’agriculteurs chinois ont
affronté la police au sujet d’un plan gouvernemental visant à récupérer
l’écoulement d’eau d’un réservoir local pour les villes, les industries
et d’autres utilisations. Les agriculteurs se servaient depuis longtemps
de l’eau du fleuve Jaune et une sécheresse avait rendu l’approvisionnement
en eau encore plus critique qu’habituellement.
60. Les altercations sont nées dans les pays en aval du bassin
fluvial, où il ne reste presque plus d’eau. L’aval du fleuve Jaune
a connu des périodes de sécheresse complète, qui se rallongent de
plus en plus depuis quelques années.
61. La rivière Salween prend son élan dans le sud de la Chine
puis coule à Myanmar (Birmanie) et en Thaïlande. Chacune de ces
nations planifie la construction de barrages et de projets de développement
le long du Salween, et aucun de ces projets n’est compatible. De
plus, la Chine a démontré peu d’intérêt pour la question du partage
des eaux. Elle était un des trois pays qui ont voté contre une convention
des Nations Unies de 1997 qui établissait des directives et des
principes sur l’utilisation des rivières internationales.
7. Vers une culture de la responsabilité pour préserver
la paix
62. Alors que la population mondiale a plus que triplé
depuis le début du XXe siècle, l’utilisation des ressources en eau
douce a été multipliée par six. Dans les cinquante années à venir,
la population mondiale aura encore augmenté de 40 % à 50 %. Avec
la croissance de la population, conjuguée à l’industrialisation
et à l’urbanisation, les besoins en eau seront considérables et
les répercussions sur l’environnement, multiples.
63. La situation est d’autant plus dramatique que la hausse de
la consommation d’eau pour les besoins humains n’entraîne pas seulement
une baisse de la quantité d’eau disponible pour le développement
industriel et agricole, mais constitue également une grave menace
pour les écosystèmes aquatiques et leurs espèces. De ce fait, les
écosystèmes ne parviennent plus à maintenir l’équilibre de notre
environnement.
64. La question se pose alors de savoir s’il y a assez d’eau pour
éviter que ne s’ajoute à toutes les raisons de faire la guerre celle
du manque d’eau.
65. L’eau douce est une ressource limitée et vulnérable mais vitale
pour l’homme. Or, un habitant de la planète sur six continue de
ne pas avoir accès à l’eau, alors que pratiquement une personne
sur deux vit sans système d’évacuation des eaux usées.
66. Le réchauffement climatique augmentera l’évaporation et réduira
sérieusement les précipitations, jusqu’à 20 % au Proche-Orient et
en Afrique du Nord et la ration d’eau disponible par personne aura
sans doute diminué de moitié dans ces régions d’ici au milieu du
siècle.
67. Deux cent soixante bassins-versants fluviaux, partagés par
deux ou plusieurs pays, ont été répertoriés. En l’absence d’accords
ou de traités, on risque de voir surgir des tensions transfrontalières.
Les grands projets qui ne sont pas accompagnés de programmes régionaux
de coopération peuvent être à l’origine de conflits.
68. En raison des pressions exercées sur la mer d’Aral, la moitié
de sa superficie a disparu, soit deux tiers de son volume d’eau;
36 000 km2 de fonds marins sont désormais recouverts de sel.
69. Cette brusque raréfaction d’un élément au rôle central dans
la vie humaine provoquera des tensions et exacerbera les conflits
dans le monde entier, alimentant un cercle vicieux. Par exemple,
dans les pays en développement, on peut craindre que la raréfaction
de l’or bleu ne provoque une dégradation des conditions d’exploitation
agricole et une diminution du niveau de vie des paysans. Ces derniers
seront alors tentés de quitter leur région natale pour rejoindre
des villes où, faute de moyens, les pouvoirs publics ne pourront
assurer la construction des infrastructures nécessaires. Cela pourrait
générer du mécontentement et donc un recours à la violence comme
exutoire au désespoir de ces populations déplacées. Il ne faut donc
pas négliger le rôle du manque d’eau dans la dégradation du tissu
social.
70. Il devient par conséquent nécessaire et urgent de prendre
des mesures visant à mettre à la disposition des Etats des quantités
d’eau suffisantes, et de veiller à ce que l’eau présente toutes
les qualités d’hygiène et de salubrité.
71. Le 28 juillet 2010, les Nations Unies ont proclamé l’accès
à l’eau et à l’assainissement pour répondre aux besoins humains
de base comme étant un droit de l’homme fondamental (à l’initiative
de la Bolivie) (Résolution A/RES/64/292). Le 30 septembre 2010,
le Conseil des droits de l’homme a déclaré, à son tour, que «le
droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement découle
du droit à un niveau de vie suffisant et qu’il est indissociable
du droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible
d’être atteint, ainsi que du droit à la vie et à la dignité». Il
a réaffirmé que «c’est aux Etats qu’incombe au premier chef la responsabilité de
garantir le plein exercice de tous les droits de l’homme» (A/HRC/RES/15/9).
C’est pourquoi l’Etat doit faire en sorte de veiller à fournir l’eau
gratuitement, ou du moins à ce qu’elle soit fournie à un prix abordable
pour les plus défavorisés. L’eau en tant que bien de luxe pour les
piscines ou pour laver les voitures doit, au contraire, être considérée
comme un bien économique privé et mis à disposition selon les règles
du marché.
72. Une bonne gestion des ressources en eau doit être considérée
comme un facteur de paix, indispensable pour éviter que la pénurie
de cette ressource vitale ne devienne un enjeu géostratégique capable
de déclencher des conflits armés. Dans ce contexte, le rôle des
collectivités territoriales est très important et les décideurs
doivent essayer d’investir dans un bon système d’assainissement
des eaux et veiller à fournir un tel système à la population.
73. Bien que des renseignements fiables soient souvent difficiles
à obtenir, une base de données contenant des informations météorologiques,
hydrauliques et socio-économiques reste la clé pour une gestion
efficace à long terme. Des tensions entre les Etats peuvent apparaître
lorsque les données ne sont pas partagées de façon adéquate ou sont
détournées pour bloquer les plans de développement. Des disparités
dans la capacité à gérer et à partager les données peuvent également
entraver la coopération.
8. Conclusions et recommandations
74. Il est clair qu’il faudra prévoir à l’avenir une
gestion intelligente des ressources en eau, en gardant à l’esprit
que l’eau a toujours créé un lien entre les peuples et les a rapprochés.
Mais cela dépend en grande partie de la bonne volonté des gouvernements.
75. Compte tenu de ce qui précède, il apparaît urgent que les
Etats reconnaissent que l’accès à l’eau est un droit fondamental
de l’homme.