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Rapport | Doc. 12608 | 06 mai 2011

Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur effet sur l’environnement

Commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales

Rapporteur : M. Jean HUSS, Luxembourg, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11894, Renvoi 3563 du 29 mai 2009. 2011 - Commission permanente de mai

Résumé

Les effets potentiels sur la santé des champs magnétiques de très basse fréquence entourant les lignes et appareils électriques font constamment l’objet de recherches et suscitent de nombreux débats publics. Si les champs électriques et électromagnétiques de certaines bandes de fréquence ont des effets tout à fait bénéfiques, qui sont utilisés en médecine, d’autres fréquences non ionisantes, que ce soient les extrêmement basses fréquences, les lignes électriques ou certaines ondes à haute fréquence utilisées dans le domaine des radars, de la télécommunication et de la téléphonie mobile, semblent avoir des effets biologiques non thermiques potentiels plus ou moins nocifs sur les plantes, les insectes et les animaux ainsi que sur l’organisme humain, même en cas d’exposition à des niveaux inférieurs aux seuils officiels.

Il faut appliquer le principe de précaution et revoir les valeurs seuils actuelles car le fait d’attendre d’avoir des preuves scientifiques et cliniques solides avant d’intervenir peut entraîner des coûts sanitaires et économiques très élevés, comme ce fut le cas dans la passé avec l’amiante, l’essence au plomb et le tabac.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l'unanimité par la commission le 11 avril
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire a souligné à maintes reprises l’importance de l’engagement des Etats en faveur de l’environnement et la santé environnementale telles qu’exposées dans de nombreuses chartes, conventions, déclarations et protocoles depuis la Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain et la Déclaration de Stockholm (Stockholm, 1972). L’Assemblée renvoie à ses travaux antérieurs dans ce domaine, notamment à la Recommandation 1863 (2009) sur l’environnement et la santé, la Recommandation 1947 (2010) sur la pollution sonore et lumineuse et, plus généralement, la Recommandation 1885 (2009) pour l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain et la Recommandation 1430 (1999) relative à l’accès à l’information, à la participation du public au processus décisionnel et à l’accès à la justice en matière d’environnement (mise en œuvre de la Convention d’Aarhus).
2. Les effets potentiels sur la santé des champs magnétiques de très basse fréquence entourant les lignes et appareils électriques font l’objet de recherches et suscitent de nombreux débats publics. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les champs électromagnétiques de toute la gamme des fréquences sont de plus en plus présents et influencent de plus en plus notre environnement, suscitant des inquiétudes et des spéculations croissantes. Tout le monde est aujourd’hui exposé à des degrés divers à des champs électromagnétiques dont les niveaux vont continuer d’augmenter avec les progrès de la technologie.
3. Le téléphone portable est maintenant répandu dans le monde entier. La technologie sans fil repose sur un réseau dense d’antennes fixes ou stations de base qui relaient l’information sous forme de signaux radiofréquence. Il y a plus de 1,4 million de stations de base dans le monde et leur nombre augmente sensiblement avec l’introduction des technologies de troisième génération. D’autres réseaux sans fil permettant l'accès à grande vitesse à l’internet et à d’autres services, comme les réseaux locaux sans fils, sont aussi de plus en plus répandus dans les habitations, les bureaux et de nombreux lieux publics (aéroports, écoles, zones résidentielles et urbaines). Avec le nombre de stations de base et de réseaux locaux sans fil, c'est aussi l'exposition de la population aux radiofréquences qui augmente.
4. Si les champs électriques et électromagnétiques de certaines bandes de fréquence ont des effets tout à fait bénéfiques, qui sont utilisés en médecine, d’autres fréquences non ionisantes, que ce soient les extrêmement basses fréquences, les lignes électriques ou certaines ondes à haute fréquence utilisées dans le domaine des radars, de la télécommunication et de la téléphonie mobile, semblent avoir des effets biologiques non thermiques potentiels plus ou moins nocifs sur les plantes, les insectes et les animaux, ainsi que sur l’organisme humain même en cas d’exposition à des niveaux inférieurs aux seuils officiels.
5. Concernant les normes ou les seuils relatifs aux émissions des champs électromagnétiques de tout type et de toute fréquence, l’Assemblée préconise l’application du principe «ALARA» (as low as reasonably achievable), c’est-à-dire du niveau le plus faible raisonnablement possible, prenant en compte non seulement les effets dit thermiques, mais aussi les effets athermiques ou biologiques des émissions ou rayonnements de champs électromagnétiques. De plus, le principe de précaution devrait s’appliquer lorsque l’évaluation scientifique ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment de certitude. D’autant que, compte tenu de l’exposition croissante des populations – notamment des groupes les plus vulnérables comme les jeunes et les enfants –, le coût économique et humain de l'inaction pourrait être très élevé si les avertissements précoces sont négligés.
6. L’Assemblée regrette l’absence de réaction face aux risques environnementaux et sanitaires connus ou émergents et les retards quasi-systématiques dans l’adoption et l’application de mesures de prévention efficaces en dépit des appels à l’application du principe de précaution et de toutes les recommandations, déclarations et nombreuses avancées réglementaires et législatives. Attendre d’avoir des preuves scientifiques et cliniques solides avant d’intervenir pour prévenir des risques bien connus peut entraîner des coûts sanitaires et économiques très élevés, comme dans les cas de l’amiante, de l’essence au plomb et du tabac.
7. De plus, l’Assemblée constate que le problème des champs ou ondes électromagnétiques et leurs conséquences possibles sur l’environnement et la santé est évidemment comparable à d’autres problèmes actuels, comme celui de l’autorisation de la mise sur le marché des médicaments, des produits chimiques, des pesticides, des métaux lourds ou des organismes génétiquement modifiés. Elle insiste donc sur l’importance cruciale de l’indépendance et de la crédibilité des expertises scientifiques pour obtenir une évaluation transparente et objective des effets nocifs potentiels sur l’environnement et la santé humaine.
8. Compte tenu de ce qui précède, l’Assemblée recommande aux Etats membres du Conseil de l’Europe,
8.1. de manière générale:
8.1.1. de prendre toutes les mesures raisonnables pour réduire l’exposition aux champs électromagnétiques, notamment aux radiofréquences émises par les téléphones portables, et tout particulièrement l’exposition des enfants et des jeunes, pour qui les risques de tumeurs de la tête semblent les plus élevés;
8.1.2. de revoir les fondements scientifiques des normes actuelles d’exposition aux CEM fixées par la commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (International Commission on Non-Ionising Radiation Protection),qui présentent de graves faiblesses, et d’appliquer le principe «ALARA» (as low as reasonably achievable), c’est-à-dire du niveau le plus faible raisonnablement possible, à la fois pour ce qui est des effets thermiques et des effets athermiques ou biologiques des émissions ou rayonnements électromagnétiques;
8.1.3. de mettre en place des campagnes d’information et de sensibilisation aux risques d’effets biologiques potentiellement nocifs à long terme pour l’environnement et la santé humaine, en particulier à destination des enfants, des adolescents et des jeunes en âge de procréer;
8.1.4. de porter une attention particulière aux personnes «électrosensibles» atteintes du syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques et de prendre des mesures spéciales pour les protéger, en créant par exemple des «zones blanches» non couvertes par les réseaux sans fil.
8.1.5. dans le but de réduire les coûts, d’économiser de l’énergie et de protéger l’environnement et la santé humaine, d’accroître les efforts de recherche sur de nouveaux types d’antennes, de téléphones portables et d’appareils de type DECT et d’encourager la recherche et le développement de télécommunications basées sur d’autres technologies tout aussi efficaces, mais qui ont un effet moins nocif sur l'environnement et la santé;
8.2. s’agissant de l’utilisation individuelle du téléphone portable, du téléphone sans fil DECT, du WiFi, du WLAN et WIMAX pour les ordinateurs et autre applications sans fil, par exemple les interphones pour la surveillance des bébés:
8.2.1. de fixer un seuil de prévention pour les niveaux d’exposition à long terme aux micro-ondes en intérieur, conformément au principe de précaution, ne dépassant par 0,6 volt par mètre et de le ramener à moyen terme à 0,2 volt par mètre;
8.2.2. d’appliquer toutes les procédures nécessaires d’évaluation des risques à tous les nouveaux types d’appareil avant d’autoriser leur commercialisation;
8.2.3. d’instaurer un système d’étiquetage clair signalant la présence de micro-ondes ou de champs électromagnétiques et indiquant la puissance d’émission ou le débit d'absorption spécifique (DAS) de l'appareil, ainsi que les risques pour la santé liés à son utilisation;
8.2.4. d’informer sur les risques potentiels pour la santé des téléphones sans fil de type DECT, des interphones pour la surveillance des bébés et d’autres appareils domestiques qui émettent continuellement des ondes pulsées, si l’ensemble des appareils électriques restent en permanence en veille et de recommander l’utilisation de téléphones fixes filaires chez soi ou, à défaut, de modèles qui n'émettent pas des ondes pulsées en continu;
8.3. s’agissant de la protection des enfants:
8.3.1. de concevoir, avec différents ministères (éducation, environnement et santé) des campagnes d’information ciblées destinées aux enseignants, aux parents et aux enfants pour les mettre en garde contre les risques spécifiques d’une utilisation précoce, inconsidérée et prolongée des téléphones portables et autres appareils émettant des micro-ondes;
8.3.2. d’interdire tous les téléphones portables, téléphones DECT et systèmes WiFi ou WLAN dans les salles de classe et les écoles, comme le préconisent certaines autorités régionales, associations médicales et organisations de la société civile;
8.4. s’agissant de la planification des lignes électriques et des stations de base des antennes-relais:
8.4.1. de prendre des mesures d’urbanisme prescrivant une distance de sécurité à respecter entre les lignes à haute tension et autres installations électriques et les habitations;
8.4.2. d’appliquer des normes de sécurité strictes en ce qui concerne l’impact sanitaire des installations électriques dans les nouveaux logements;
8.4.3. d’abaisser les seuils admissibles pour les antennes-relais conformément au principe ALARA et d’installer des systèmes de surveillance globale et continue de toutes les antennes;
8.4.4. de déterminer les lieux d’implantation de toute nouvelle antenne GSM, UMTS, WiFi ou WIMAX non pas en fonction des seuls intérêts des opérateurs, mais en concertation avec les responsables des collectivités territoriales et avec les habitants ou des associations de citoyens concernés;
8.5. s’agissant de l’évaluation des risques et des précautions à prendre:
8.5.1. d’axer davantage l’évaluation des risques sur la prévention;
8.5.2. d'améliorer les critères d’évaluation des risques et la qualité de cette évaluation en créant une échelle standard des risques, en rendant obligatoire l’indication du niveau de risque, en demandant que plusieurs hypothèses de risque soient étudiées et en tenant compte de la compatibilité avec les conditions de la vie réelle;
8.5.3. de tenir compte des scientifiques qui donnent l’alerte les premiers et de les protéger;
8.5.4. de formuler une définition du principe de précaution et du principe ALARA axée sur les droits de l’homme;
8.5.5. d’augmenter le financement public de la recherche indépendante, notamment au moyen de dons d’entreprises et de la taxation des produits qui font l’objet d’études publiques d’évaluation des risques sanitaires;
8.5.6. de créer des commissions indépendantes pour l’attribution de fonds publics;
8.5.7. de rendre obligatoire la transparence des groupes de pression;
8.5.8. de promouvoir des débats pluralistes et contradictoires entre toutes les parties prenantes, y compris la société civile (Convention d’Aarhus).

B. Exposé des motifs, par M. Huss, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les champs électromagnétiques, qu’ils soient émis par les lignes à haute tension, les appareils domestiques, les antennes relais, les téléphones mobiles ou autres dispositifs à micro-ondes, font de plus en plus partie de notre environnement techno-industriel.
2. L’expérience consistant à vivre ou à travailler dans des champs électromagnétiques artificiels d’extrême basse fréquence et de hautes fréquences superposés aux champs électromagnétiques naturels de l’environnement est évidemment, en termes d’évolution, encore relativement neuve pour l’être humain, la faune et la flore. Elle ne remonte qu’à une cinquantaine d’années à partir du moment où l’exposition intensive, industrielle et domestique a commencé avec les radars, les ondes de radio et de télévision, et les champs électromagnétiques générés par les lignes à haute tension et les appareils électroménagers.
3. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les nouvelles technologies de la téléphonie et de la communication mobile sans fil ont pris un essor de plus en plus rapide au niveau européen et même mondial, avec des applications de plus en plus diversifiées et sophistiquées: téléphone mobile, téléphone sans fil, WiFi, WLAN (réseau local sans fil), etc.
4. Le terme «champs électromagnétiques» comprend la totalité des champs émis par des sources naturelles et anthropiques. On distingue les champs statiques et les champs alternatifs. Pour ces derniers, on différencie essentiellement les champs d’extrêmes basses fréquences (ELF), l’électricité domestique par exemple, et les champs d’hyperfréquences (HF) avec, entre autres, les téléphones portables. Les champs électriques sont mesurés en volt/mètre (v/m), alors que les champs magnétiques sont mesurés aux niveaux d’exposition courante en microteslas (µt). Comme des courants électriques très faibles font partie de la physiologie humaine, par exemple au niveau de la communication intercellulaire, il est légitime de s’interroger sur les perturbations que peuvent engendrer les expositions artificielles actuelles sur l’environnement humain et sur leurs conséquences éventuelles sur la santé.
5. Il y a lieu de constater avec satisfaction que les innovations technologiques induites par l’électrification et des nouveaux procédés de radio-télécommunication sont apparus et ont contribué très largement à l’essor économique et au bien-être matériel des populations des pays industrialisés. Ainsi, par exemple, les appareils électroménagers ont largement permis d’alléger la vie quotidienne de millions de ménages et ont de ce fait joué un rôle non négligeable dans les mouvements d’émancipation de la femme.

2. Historique du débat

6. Pourtant, force est de constater que dès le début de l’introduction de certaines de ces nouvelles technologies, des problèmes environnementaux ou sanitaires sont apparus et ont été discutés dans certains pays aussi bien au niveau scientifique qu’au niveau des professionnels de la santé et de la médecine du travail. Ainsi, par exemple, dès les années 1930, les ondes des radars furent associées à certains «syndromes de maladies de micro-ondes» auprès des opérateurs et techniciens en contact intense et prolongé avec ces ondes. L’ancienne URSS et les pays de l’Est avaient adopté des valeurs préventives très basses destinées à protéger la santé des opérateurs.
7. Aux Etats-Unis et en l’Europe de l’Ouest, la discussion des effets sanitaires nocifs potentiels de champs électromagnétiques s’est focalisée, au cours des années 1970 et 1980, essentiellement sur la problématique des lignes à haute ou très haute tension et de la protection sur le lieu du travail (travail devant ordinateurs, dans les aciéries électriques, etc.). Concernant les risques des lignes à haute tension, une étude épidémiologique américaine (Wertheimer et Leeper) de 1979 avait montré une relation entre la proximité des lignes à haute tension et la leucémie de l’enfant, relation d’ailleurs confirmée en 2001 par le Centre international de la recherche sur le cancer (CIRC), qui classait ces champs comme «cancérigènes possibles chez l’homme» (catégorie 2B). Et, parallèlement, dès le début des années 1980, une autre problématique liée aux champs électromagnétiques et à la pollution chimique fut évoquée lors de conférences internationales: les nuisances résultant des écrans d’ordinateurs dans les bureaux, les effets sur la santé se manifestant par des maux de tête, de la fatigue, des problèmes oculaires et cutanés. Concernant l’aspect électromagnétique de ces effets, des normes préventives sévères (normes TCO) avaient été proposées dès le début des années 1990 par la Confédération suédoise des employés, et adoptées ensuite plus largement.
8. Les années 1990 ont vu l’essor de la téléphonie mobile et son expansion rapide dans les pays industrialisés d’abord, mais de plus en plus aussi dans les pays en voie de développement d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
9. La téléphonie mobile et les applications de plus en plus sophistiquées de la télécommunication sans fil se sont intégrées non seulement dans les milieux professionnels, mais ont envahi littéralement toute notre sphère privée. Même les très jeunes enfants sont actuellement concernés à la maison, à l’école, dans les moyens de transport, etc.

3. Inquiétudes grandissantes en Europe

10. Pourtant, depuis une bonne dizaine d’années, une inquiétude de plus en plus forte des populations européennes a commencé à se manifester face aux risques sanitaires potentiels de la téléphonie mobile et face à un déficit d’information fiable sur ces questions. Ainsi, selon une étude récente de l’Eurobaromètre (Commission européenne), 48 % des Européens se disent préoccupés ou très préoccupés par les risques potentiels sur la santé que représente la téléphonie mobile. L’hypothèse d’un risque est partagée respectivement par 76 % des Européens concernant les antennes relais et 73 % pour les effets potentiels du téléphone portable.
11. Cette inquiétude face aux champs ou ondes électromagnétiques a conduit à la création et à l’essor d’une multitude d’initiatives citoyennes dans de nombreux pays. Ces initiatives sont dirigées la plupart du temps contre l’implantation de stations d’antennes relais à proximité surtout d’écoles, de crèches, d’hôpitaux ou d’autres institutions hébergeant des enfants ou des personnes sensibles, s'en prenant de plus en plus aussi à d’autres aspects de la télécommunication sans fil comme le WiFi dans les écoles par exemple.
12. Le commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales a organisé deux auditions avec des experts les 17 septembre 2010 et 25 février 2011.
13. Lors de la première audition d’experts, M. Ralph Baden du Service de la médecine du travail du ministère de la Santé du Grand-Duché de Luxembourg a évoqué de manière générale la problématique des champs et ondes électromagnétiques de très basse fréquence et de haute fréquence, et les valeurs seuils respectives en vigueur. Il a relevé les différentes sources de ces champs électromagnétiques extérieures aux habitations: antennes relais, lignes à haute tension, stations radio, télévision, radars, etc., mais a insisté surtout, sur la base des résultats des mesures, sur les sources de ces champs à l’intérieur des habitations ou des bâtiments publics en montrant par des exemples concrets comment réduire de manière simple et pratique l’exposition à ces champs électromagnétiques «indoor» et faire disparaître par la même occasion certains troubles de la santé: maux de tête, insomnies, toux, états dépressifs, etc.

4. Les effets sur l’environnement: plantes, insectes, animaux

14. Lors de cette même audition d’experts, le Dr Ulrich Warnke de l’Institut de la biologie technique et de la bionique de Sarrebruck a décrit les effets biologiques de certaines fréquences micro-ondes sur les plantes. Selon les fréquences, l’intensité, la modulation des fréquences et la durée d’exposition, des études scientifiques montrent des réactions de stress et des atteintes à l’expression des gènes. Ainsi, par exemple, des études récentes du laboratoire de biologie cellulaire de l’université de Clermont-Ferrand (2007) montrent clairement les effets des micro-ondes de la téléphonie mobile sur les gènes des plantes, et notamment sur les plants de tomates.
15. D’autres études scientifiques internationales montrent des réactions de stress comparables avec certains types de haricots, mais aussi avec des arbres à feuilles ou des conifères exposés à des fréquences diverses (antennes relais, fréquence TETRA).
16. Le Dr Warnke a mis en évidence le sens magnétique naturel inné de certains animaux ou insectes leur servant d’orientation dans le temps et l’espace, et organisant les fonctions internes de leur organisme en montrant ensuite comment les champs ou ondes artificiels extrêmement faibles peuvent influencer négativement ce sens de l’orientation, de la navigation et de la communication de certains animaux ou insectes: oiseaux migrateurs, pigeons, certaines sortes de poissons (requins, baleines, raies) ou certains insectes (fourmis, papillons et surtout les abeilles). Les troubles induits par les ondes électromagnétiques artificielles seraient-ils une des causes majeures – en dehors des problèmes d’exposition chimique – des phénomènes répétitifs de baleines échouant sur les plages ou de la mort ou de la disparition de colonies d’abeilles (colony collapse disorder) observée au cours des années passées?
17. Les études scientifiques très nombreuses citées lors de cette audition d’experts devraient sans doute inciter les responsables politiques à réfléchir et à agir en conséquence. Un dernier aspect évoqué lors de cette audition d’experts était consacré aux effets potentiellement pathogènes observés auprès des animaux d’élevage – veaux, vaches, chevaux, oies, etc. –, après l’installation à proximité d’antennes relais de téléphonie mobile: malformations inexplicables de veaux nouveau-nés, cataractes, problèmes de fertilité.
18. Face aux inquiétudes et aux oppositions se développant rapidement dans beaucoup d'Etats membres du Conseil de l’Europe, les dirigeants des sociétés de distribution d’électricité et les opérateurs de téléphonie mobile réagissent en réfutant tout effet négatif sur la santé humaine de leurs activités industrielles et commerciales. Lors de l'audition tenue à Paris le 25 février 2011, les représentants officiels d'opérateurs de téléphonie mobile français et européens ont ardemment défendu l’argumentaire selon lequel les valeurs seuils officielles en vigueur dans la plupart des pays du monde suffisaient pour protéger la santé humaine des effets thermiques des portables et que d’éventuels effets biologiques, s’ils pouvaient être démontrés, n’auraient aucun effet négatif sur la santé de l’homme.
19. Pour souligner cet argumentaire, ces experts ont évoqué l’évaluation scientifique effectuée par des associations telle que l’ICNIRP (International Committee on Non-Ionisation Radiation Protection) ou par des organisations officielles: Organisation mondiale de la santé, Commission européenne et plusieurs agences nationales de protection. En fait, ces organisations ou organes internationaux, européens ou nationaux semblent à l’évidence avoir repris les valeurs seuils et recommandations préconisées par l’ICNIRP dès la création de cette association privée située près de Munich, au début des années 1990.
20. Pourtant, lors de cette même audition, des dirigeants d’associations de citoyens et des représentants des ONG comme «Robin des toits» ont insisté largement sur de nombreux risques et effets biologiques nocifs et des problèmes de santé liés, selon eux, à des champs ou ondes électromagnétiques de la téléphonie mobile, des antennes relais, des lignes à haute tension et d’autres sources électromagnétiques artificielles, et cela même à des intensités très basses largement inférieures aux valeurs seuils officiellement en vigueur.
21. Le représentant délégué de l’Agence européenne de l’environnement de Copenhague, instance consultative officielle de l’Union européenne, a insisté sur l’importance du principe de précaution inscrit dans les traités européens et en a déduit la nécessité de mesures préventives efficientes afin de protéger la santé humaine et d’éviter ainsi des affaires ou scandales sanitaires douloureux tels que les crises liées à l’amiante, au tabac, au plomb, aux PCB (polychlorobiphényles) et autres. Il a analysé de façon convaincante les méthodes scientifiques d’évaluation en vigueur et les différents niveaux de preuve pour conclure, sur la base du rapport scientifique «Bioinitiative» et d’autres études plus récentes de l’Institut Ramazzini de Bologne, que les indices ou niveaux de preuve étaient suffisantes actuellement pour appeler les gouvernements et les instances internationales à agir.
22. Enfin, un autre expert, spécialiste en médecine clinique et en oncologie a confirmé, sur la base des résultats d’analyses biologiques et cliniques de quelques centaines de patients français se disant «électrosensibles», qu’un syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques (SICEM) existe effectivement et qu’il ne s’agit pas de simulateurs ou de malades psychiatriques.

5. Effets biologiques des champs électromagnétiques en médecine

23. Il est établi depuis le début du XXe siècle que les champs électromagnétiques fonctionnant dans diverses fréquences peuvent avoir un effet utile et bénéfique en médecine clinique, que ce soit au niveau diagnostique ou thérapeutique.
24. En effet, les évolutions scientifiques depuis la seconde guerre mondiale nous ont fait comprendre que l’organisme humain ne fonctionnait pas uniquement sur la base de réactions cellulaires biologiques ou biochimiques, mais que l’homme était aussi un être électromagnétique. Il est en effet bien connu que les cellules nerveuses communiquent entre elles par des impulsions électriques. Les signaux électriques les plus puissants détectés sur l’homme sont ceux qui proviennent des activités nerveuses et musculaires. Ainsi, par exemple, le cœur étant le groupe musculaire le plus important de l’organisme, le diagnostic médical du fonctionnement cardiaque se fait par enregistrement des signaux électriques provenant du cœur (électrocardiogramme – ECG). A un niveau diagnostique toujours, l’électro-encéphalographie (EEG) permet une surveillance non envahissante de l’activité électrique du cerveau. C’est dans les domaines cliniques des maladies cérébrales, dans la surveillance du sommeil ou dans la confirmation de la mort clinique que l’EEG a trouvé ses applications.

6. Emploi thérapeutique de courants électriques ou d’ondes électromagnétiques

25. Sans entrer dans les détails, le rapporteur voudrait attirer l’attention sur le fait que certains courants électriques ou ondes électromagnétiques utilisés dans certaines fréquences peuvent avoir un effet absolument bénéfique en matière médicale. Quelques exemples permettent d’illustrer cet effet thérapeutique bénéfique d’électrothérapies: effets cliniques de courants électriques continus (électrolyse), effets cliniques d’impulsions électriques extérieures sur le muscle cardiaque (défibrillateur, pacemaker), effets cliniques de microcourants provoqués par des champs magnétiques pulsés pour améliorer la guérison de réparations tissulaires et de fractures osseuses, pour ne citer que les plus connues de ces applications en bandes de fréquence non ionisantes.
26. Si donc, dans certaines bandes de fréquence, les champs électriques et électromagnétiques ont des effets biologiquement absolument bénéfiques, d’autres fréquences non ionisantes, que ce soient les extrêmes basses fréquences, les lignes électriques ou certaines ondes à haute fréquence utilisées dans le domaine du radar, de la télécommunication et de la téléphonie mobile, semblent quant à elles potentiellement avoir des effets biologiques plus ou moins nocifs sur les plantes, les insectes et les animaux ainsi que sur l’organisme humain, même lorsqu'ils sont exposés en-dessous des valeurs seuils officielles.

7. Progrès technologique et croissance économique aux dépens de la protection de l’environnement et de la santé

27. On se doit de constater que la problématique des champs ou ondes électromagnétiques et ses conséquences possibles sur l’environnement et la santé est comparable à celle d’autres problèmes actuels, notamment celui de l’autorisation de la mise sur le marché des produits chimiques, des pesticides, des métaux lourds, des OGM, pour ne citer que les plus connus. Une des causes de l’inquiétude des populations et de leur méfiance vis-à-vis de la communication par les agences de sécurité officielles et par les gouvernements réside certainement dans le fait que, par le passé, un certain nombre d’affaires ou de scandales sanitaires comme celui de l’amiante, du sang contaminé, des PCB ou dioxines, du plomb, du tabagisme et récemment encore celui de la grippe H1N1 ont pu avoir lieu malgré le travail ou même avec la complicité d’agences nationales ou internationales dites de sécurité environnementale ou sanitaire.
28. C’est d’ailleurs dans ce contexte que la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales travaille actuellement sur la question des conflits d’intérêts et de la nécessité urgente d’une véritable indépendance des scientifiques engagés dans les agences officielles ayant comme mission d’évaluer les risques des produits avant leur autorisation de mise sur le marché.
29. Le rapporteur souligne dans ce contexte qu’il est pour le moins très curieux de constater que les valeurs seuils officielles en vigueur pour limiter l’impact sanitaire de champs électromagnétiques de très basse fréquence et des ondes de haute fréquence avaient été formulées et proposées aux institutions politiques internationales (OMS, Commission européenne, gouvernements) par l’ICNIRP, ONG à origine et à structure peu transparente, soupçonnée d’ailleurs de liens assez proches avec les industries dont l’essor dépend des recommandations de valeurs seuils maximales pour les différentes fréquences des champs électromagnétiques.
30. La simple reprise et l’adoption des recommandations de sécurité préconisées par l’ICNIRP par la plupart des gouvernements et par les agences de sécurité semble s’être faite essentiellement pour deux raisons:
  • pour ne pas entraver l’essor de ces nouvelles technologies promettant la croissance économique, le progrès technologique et la création d’emplois;
  • mais également parce que les décideurs politiques restent malheureusement peu impliqués dans les questions d’évaluation des risques technologiques sur l’environnement et la santé.
31. Concernant les résultats souvent non concluants ou même contradictoires de recherches et d’études scientifiques sur les risques éventuels de produits, de médicaments ou comme ici de champs électromagnétiques, un certain nombre d’études comparatives semblent d’ailleurs indiquer une relation assez forte entre l’origine des financements, privés ou publics, et les résultats de l’évaluation des risques, situation évidemment inacceptable puisque révélatrice de conflits d’intérêts mettant en cause l’intégrité, l’indépendance et l’objectivité de la recherche scientifique.
32. Ainsi, par exemple, dans le domaine de l’évaluation du risque induit par les radiofréquences des téléphones portables sur la santé, des chercheurs suisses de l’université de Berne ont présenté en 2006 les résultats d’une analyse systématique de l’ensemble des résultats des recherches effectuées et ont conclu à une forte corrélation entre le mode de financement des recherches et les résultats obtenus: 33 % des études financées par les industriels concluent à l’existence d’effets sur notre organisme de l’exposition aux radiofréquences de la téléphonie mobile. Ce chiffre s’élève à plus de 80 % lorsque les études sont financées par des fonds publics.
33. Il faut donc, dans ce domaine comme dans d’autres, plaider pour une véritable indépendance des agences d’expertise et en faveur d’une expertise indépendante, pluridisciplinaire et contradictoire. Il ne doit plus être possible que des donneurs d’alerte soient discriminés et que des scientifiques critiques mais reconnus soient exclus dans le choix des experts siégeant dans les comités d’expertise ou que leurs recherches ne reçoivent plus de moyens financiers.

8. Les forces et les arguments en présence: la querelle autour des incidences d’effets biologiques et autour des valeurs seuils

34. Il semble évident que les sociétés d’électricité, de téléphonie mobile ou de télécommunication considèrent en premier lieu les paramètres économiques et financiers, et donc les bénéfices et les parts de marché. Dans ce contexte, il est compréhensible que des réglementations, des valeurs seuils plus sévères freinant à première vue leurs affaires ne sont pas bien vues et sont combattues avec force. En témoignent les propos agacés et parfois émotionnels d’un représentant de la téléphonie mobile française lors de l’audition d’expertise contradictoire avec notre commission.
35. Les représentants de la téléphonie mobile maintiennent depuis des années le même paradigme et le même argumentaire, et ils s’appuient en cela sur les propos rassurants développés par la plupart des agences et institutions internationales. Ainsi, par exemple, les valeurs seuils de 100 microteslas pour les champs électromagnétiques à basse ou très basse fréquence et les 41/42 volt/mètre pour les très hautes fréquences de la téléphonie mobile à 900 mégahertz (MHz) seraient adéquats pour protéger le public des effets thermiques. A des niveaux très élevés, les champs des radiofréquences sont évidemment susceptibles de provoquer des effets thermiques nocifs sur l’organisme humain, estimation d’ailleurs partagée par tout le monde.
36. Reste bien sûr la question très controversée de l’existence et des conséquences non thermiques ou athermiques et donc biologiques sur l’environnement et l’organisme humain. Les représentants des opérateurs nient en bloc l’existence d’effets biologiques nocifs à long terme des champs électromagnétiques en-dessous des valeurs seuils en vigueur. Pour illustrer le caractère et la portée de ces valeurs seuils, citons par exemple l’article 5.1 de la Directive 2004/40/EC du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à des normes minimales pour protéger les travailleurs: «(…) Toutefois, la présente directive ne traite pas des effets à long terme, y compris les effets cancérigènes qui pourraient se produire en raison d'une exposition à des champs électriques, magnétiques et électromagnétiques variant dans le temps, à propos desquels il n'existe pas de données scientifiques probantes qui permettent d'établir un lien de causalité (…)» («Introduction», paragraphe 4).
37. La protection des travailleurs n’est donc valable que pour éviter des effets thermiques et dans le court terme!
38. Concernant des effets biologiques potentiellement nocifs, les opérateurs, les agences et les réglementations officielles n’en tiennent aucun compte et, pour justifier cette attitude, ils renvoient à l’argumentaire suivant: d’abord le fait de constater un effet biologique ne signifierait pas que celui-ci présenterait nécessairement un caractère pathologique menaçant pour l’organisme humain. De plus, il n’y aurait pas de preuve scientifique définitivement concluante d’une relation de cause à effet entre champs électromagnétiques et radiofréquences, et des incidences pathologiques à long terme de leurs effets non ou athermiques. Et pour souligner ces propos, ils s’appuient sur des publications scientifiques nombreuses qui ne montreraient aucun effet biologique significatif.
39. Les arguments des opérateurs peuvent schématiquement être résumés de la façon suivante:
  • les valeurs seuils préconisées par l’ICNIRP sont des valeurs qui assurent la sécurité sanitaire;
  • les enfants utilisant le portable ne sont pas plus sensibles que les adultes;
  • il n’existe pas d’effets biologiques significatifs en dehors des effets thermiques;
  • et s’il y avait des effets biologiques éventuellement nocifs, il n’y aurait pas de mécanisme d’action scientifiquement acceptable pour expliquer de tels effets.

9. Les études scientifiques et les arguments développés par les associations et ONG, par des regroupements de scientifiques, par l’Agence européenne de l’environnement et par le Parlement européen

40. Des études scientifiques et médicales sérieuses mettant en évidence des effets biologiques à caractère pathologique existent depuis les années 1930 concernant les radiofréquences et micro-ondes des installations radar. Elle rend aussi attentif au fait que des effets nocifs de l’exposition prolongée à des champs électromagnétiques à basse ou très basse fréquence de lignes de transport électrique ou d’écrans d’ordinateurs ont pu être observés dès la fin des années 1970, et le CIRC de l’OMS (Centre international de la recherche contre le cancer) avait classé ces champs comme «cancérigènes possibles» chez l’homme (catégorie 2B) en 2001.
41. Le rapporteur rappelle les effets biologiques positifs avérés de certaines applications médicales (électrothérapies) de champs électromagnétiques et de micro-ondes de très faible intensité. Si de tels effets bénéfiques existent dans certaines bandes de fréquences, des effets biologiques nocifs pour l’organisme humain devraient être pour le moins tout autant du domaine du plausible ou du possible.
42. Les études scientifiques relatives aux effets négatifs de certaines fréquences de micro-ondes sur des plantes, des insectes et sur des animaux sauvages ou d’élevage, effets inquiétants à plus d’un degré, et les études scientifiques révélant des effets biologiques à caractère potentiellement pathogène pour l’organisme humain sont elles aussi importantes et ne peuvent pas être écartées d’un simple revers de main.
43. Ces études sont extrêmement nombreuses: le rapport «Bioinitiative» de 2007 en a analysé plus de 2 000 et une monographie importante de l’Institut Ramazzini, l’Institut national pour l’étude et le contrôle du cancer et des maladies environnementales de Bologne en Italie, publiée en 2010, en a ajouté d’autres.
44. Un nombre appréciable de scientifiques et de chercheurs de haut niveau se sont regroupés dans un comité international spécifique dénommé ICEMS, International Commission for Electromagnetic Safety, afin de mener des recherches indépendantes et de préconiser l’application du principe de précaution en la matière. Des scientifiques ont publié des résolutions instructives en 2006 (Benevento Resolution) et en 2008 (Venice Resolution), appelant à l’adoption de nouveaux standards et de normes de sécurité beaucoup plus sévères.
45. Les études scientifiques relevant des effets athermiques ou biologiques des champs ou ondes électromagnétiques sur les cellules, sur le système nerveux, sur la génétique, etc., figurent essentiellement dans trois catégories: effets biologiques influençant le métabolisme, le sommeil, le profil de l’électrocardiogramme, effets observés dans l’expérimentation animale ou dans des cultures de cellules (in vitro) ou effets issus d’études épidémiologiques concernant l’utilisation prolongée du téléphone portable ou le fait d’habiter à proximité de lignes à haute tension ou de stations de base des antennes relais.
46. Le terme «effet biologique» est employé pour désigner un changement d’ordre physiologique, biochimique ou comportemental induit dans un tissu ou une cellule en réponse à une stimulation extérieure. Tout effet biologique ne représente pas nécessairement une menace grave pour la santé; il peut simplement manifester la réponse normale de la cellule, du tissu ou de l’organisme à cette stimulation.
47. Un effet biologique médical ou pathologique est en revanche un effet qui peut mettre en danger le fonctionnement normal de l’organisme en provoquant des symptômes ou pathologies plus ou moins graves. Or, justement, un nombre grandissant d’études scientifiques menées par des équipes de chercheurs universitaires de haut niveau démontrent l’existence d’effets biologiques potentiellement ou certainement pathologiques.
48. Le rapporteur constate qu’il n’est pas possible dans le cadre de ce rapport d’analyser et de résumer les résultats de toutes ces études. Une synthèse du plus grand nombre de ces études (environ 2 000) a été formulée dans le rapport dit «Bio-initiative», rapport rédigé par 14 scientifiques de renommée internationale qui concluait, concernant la téléphonie mobile et d’autres radiofréquences, à des taux anormalement élevés de tumeurs du cerveau et de neurinomes de l’acoustique, à des effets sur le système nerveux et le fonctionnement cérébral, à des effets sur les gènes, sur les protéines de stress cellulaire et sur le système immunitaire. Dans ce contexte, il a été observé par exemple que l’exposition aux radiofréquences peut induire des réactions inflammatoires et allergiques, et modifier la fonction immunitaire à des niveaux largement inférieurs aux normes d’exposition du public.
49. Concernant les aspects spécifiques de ces effets, comme la génotoxicité des ondes, un grand programme de recherche (programme REFLEX) financé par la Commission européenne et impliquant 12 équipes de recherche européennes, avait été lancé. Les résultats furent rendus publics en décembre 2004. Les conclusions du rapport étaient inquiétantes à plus d’un titre puisque les résultats démontraient des effets génotoxiques des ondes de la téléphonie mobile et notamment un nombre plus important de cassures de chromosomes, de ruptures de molécules ADN dans différents types de cellules humaines et animales en culture. Par ailleurs, la synthèse de protéines de stress était très augmentée et l’expression des gènes était modifiée dans divers types de cellules.
50. Concernant l’étude Interphone, enquête épidémiologique la plus importante réalisée sur les utilisateurs du portable et leurs risques de gliomes, de méningiomes, de neurinomes de l’acoustique et de tumeurs de la glande parotide après l’utilisation prolongée de leur téléphone mobile, les premiers résultats partiels publiés le 18 mai 2010 par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) plus de dix ans après le lancement de cette étude traduisent un désaccord profond entre les différentes équipes de chercheurs (16 équipes de 13 pays) quant à l’interprétation de ces résultats. La coordinatrice de cette étude, Mme Elisabeth Cardis, a résumé de la façon suivante une sorte de compromis: «L’étude ne met pas en évidence un risque accru, mais on ne peut pas conclure qu’il n’y ait pas de risque car il y a suffisamment de résultats qui suggèrent un risque possible.» Effectivement, certains résultats montrent que l’utilisation durable et intensive du portable accroît très significativement les risques de gliome (40 % et même 96 % lorsqu’on regarde l’usage ipsilatéral, c’est-à-dire lorsque le gliome est apparu du côté de la tête où était utilisé le téléphone) et le risques de méningiome (15 %, 45 % pour un usage ipsilatéral).
51. Le rapporteur est d’avis qu’une des faiblesses principales de cette étude épidémiologique consiste dans le fait que la période d’utilisation du portable analysée, jusqu’au début des années 2000, est probablement trop courte, moins de dix ans, pour arriver à des résultats totalement concluants vu le temps de latence et de développement de tumeurs cérébrales. En effet, les rayonnements ionisants (radioactivité) sont reconnus comme une cause de cancer du cerveau, mais les cas induits par la radioactivité apparaissent rarement avant dix ou vingt ans d’exposition.
52. L’étude Interphone réalisée uniquement sur des adultes soulève pourtant des interrogations sérieuses: comme les plus gros utilisateurs sont actuellement les jeunes, adolescents ou même les enfants chez qui l’absorption des rayonnements est encore plus importante et plus problématique, que se passera-t-il avec ces jeunes ou les enfants après quinze ou vingt ans d’utilisation intensive?
53. Le rapporteur aimerait insister sur un autre aspect des risques potentiels: si l’attention se focalise actuellement sur les rayonnements du portable et que le rapporteur fait appel en faveur d’une utilisation aussi prudente que possible de cet appareil, notamment par les enfants et les adolescents, force est de constater qu’il y a depuis quelques années bien d’autres sources de champs électromagnétiques et de radiofréquences.
54. Nous sommes actuellement exposés à l’extérieur ou à l’intérieur des bureaux et habitations à tout un cocktail de fréquences électromagnétiques qui s’ajoutent aux pollutions chimiques de l’air que nous respirons ou accumulées dans la chaîne alimentaire. A l’extérieur ou à l’intérieur nous retrouvons les champs électromagnétiques ou les radiofréquences des lignes de distribution électriques (à proximité) et des stations de base des antennes relais GSM, UMTS, WiFi ou, par exemple, des stations radio ou radar. Dans les bureaux ou les domiciles privés s’y ajoutent très souvent les rayonnements de téléphones sans fil (DECT), de babyphones et d’autres appareils de technologie sans fil.
55. Par ailleurs, les industriels recherchent une nouvelle expansion des infrastructures de la téléphonie mobile destinée à accueillir les dispositifs de la «quatrième génération» 4G qui fournira un système mobile à large bande sécurisée et complet pour les modems sans fil des ordinateurs portables, des téléphones mobiles dits «intelligents» et autres appareils mobiles et de soutien à l’accès internet haut débit mobile, aux services de jeux, etc.
56. En Israël, les ministères concernés (Environnement, Santé, Communication) s’appuyant sur l’application du principe de précaution, s’opposent à l’introduction de ces nouvelles infrastructures, arguant que les effets des irradiations devraient être vérifiés avant d’autoriser de nouveaux systèmes.
57. Une question qui émeut fortement les populations européennes est celle de l’emplacement des stations de base et des antennes relais. Parallèlement à certaines études locales ou régionales, surtout suisses et allemandes, décrivant la survenue de problèmes sanitaires auprès d’animaux d’élevage après l’installation d’antennes relais de téléphonie mobile proche de certaines fermes: problèmes inexplicables de fertilité, de malformations, de cataractes, etc., certaines études épidémiologiques locales ou régionales, effectuées par des groupes de scientifiques et de médecins ont réussi à montrer aussi certains symptômes de maladie chez des habitants vivant dans des quartiers ou villages à proximité d’antennes relais installées depuis quelques mois ou années. Ces études locales ont été effectuées en France, en Allemagne, en Suisse, en Autriche, etc.
58. Selon ces études épidémiologiques et partiellement aussi cliniques, les symptômes sont apparus ou ont augmenté quelque temps après la mise en fonction d’antennes relais où le renforcement des rayonnements émis par l’augmentation du nombre ou de l’intensité des antennes, et ont occasionné des troubles du sommeil, des maux de tête, des problèmes de tension artérielle, des vertiges, des problèmes cutanés et des allergies. Comme le caractère scientifique de telles études locales est régulièrement mis en question par les opérateurs et très souvent aussi par les organes de sécurité et de régulation, une étude toute récente publiée au début de l’année 2011 dans une publication médicale allemande (Umwelt. Medizin. Gesellschaft, 1/2011) est pourtant intéressante et révélatrice, même si le nombre de participants à cette étude (60 personnes) reste assez petit. Les personnes concernées de la localité de Rimbach en Bavière furent analysées avant la mise en service d’une nouvelle station de base d’antennes relais en janvier 2004, ensuite après la mise en service en juillet 2004, en janvier 2005 et en juillet 2005. Dans cette étude comme dans des études épidémiologiques analogues, les symptômes augmentés ou aggravés après la mise en service étaient des troubles du sommeil, des maux de tête, des allergies, des vertiges et des problèmes de concentration.
59. Des médecins et scientifiques ont pu mesurer et constater des changements significatifs dans les concentrations urinaires de certaines hormones de stress ou autres. Ont pu être constatées une augmentation significative de l’adrénaline et de la noradrénaline pendant plusieurs mois et une baisse significative de la dopamine et de la phényléthylamine (PEA), changements signalant une situation de stress chronique induisant selon les auteurs de l’étude les augmentations de symptômes signalés plus haut. Les auteurs mettent en relation des niveaux PEA abaissés avec des troubles de l’attention et de l’hyperactivité des enfants, troubles ayant augmenté massivement en Allemagne au courant des années 1990-2004.
60. Le rapporteur insiste dans ce contexte aussi sur le fait que certaines personnes peuvent être plus sensibles aux rayonnements ou ondes électromagnétiques que d’autres. Les recherches effectuées par exemple par le professeur Dominique Belpomme, président de ARTAC (Association de recherche thérapeutique anticancer) sur plus de 200 personnes se disant «électrosensibles» ont pu, résultats d’analyses cliniques et biologiques à l’appui, prouver l’existence d’un tel syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques dans l’ensemble du spectre des fréquences. Selon ces résultats, ce n’est pas seulement la proximité par rapport aux sources d’émissions électromagnétiques qui joue un rôle, mais aussi la durée d’exposition et souvent une exposition coexistante à des produits chimiques ou à des métaux (lourds) présents dans l’organisme humain. Dans le même ordre d’idées, la Suède a accordé aux personnes qui souffrent d’hypersensibilité électromagnétique le statut de personnes à capacité réduite de manière à ce qu’elles bénéficient d’une protection appropriée.
61. Dans le contexte des risques avérés ou potentiels des champs électromagnétiques, il convient de prendre note également du fait que, d’après un rapport de la société Lloyd, les compagnies d’assurance tendaient à exclure la couverture des risques liés aux champs électromagnétiques des polices de responsabilité civile au même titre par exemple que les organismes génétiquement modifiés ou l’amiante, fait peu rassurant par rapport à des risques potentiels émanant de ces champs électromagnétiques.
62. Enfin, le rapporteur se pose la question de savoir s’il ne serait pas opportun et innovant d’essayer de développer de nouvelles techniques de communication sans fil tout aussi performantes, mais plus économes en matière de consommation d’énergie et surtout moins problématiques d’un point de vue environnemental et sanitaire que la communication sans fil actuelle à base de micro-ondes. De tels systèmes, des technologies de communication optiques ou optoélectroniques utilisant la lumière visible et l’infrarouge, seraient en développement aux Etats-Unis et au Japon et pourraient remplacer en grande partie les technologies actuelles. Si de tels changements de systèmes de transmission et de communication s’avéraient réalistes, il s’agirait dans ce cas d’innovations technologiques et économiques qu’il ne faudrait pas manquer ou bloquer.

10. Conclusions

63. Toute la lumière n’a pas encore été faite sur les effets potentiellement nocifs des champs électromagnétiques sur l’environnement et la santé humaine, et un certain nombre d’incertitudes scientifiques continuent d’exister en la matière. De plus, des inquiétudes ou peurs de grandes parties de la population persistent concernant les risques sanitaires des ondes et aussi des revendications exprimées par des scientifiques de haut niveau, par des regroupements de médecins et par les associations de citoyens concernés, nombreuses dans beaucoup d’Etats membres du Conseil de l’Europe.
64. Le principe de précaution et le droit à un environnement sain, particulièrement en faveur des enfants et des générations futures, doivent être des facteurs clés de tout développement économique, technologique et social de la société. Dans ce sens, l’Assemblée parlementaire a déjà décidé à plusieurs reprises (voir la Recommandation 1863 (2009) «Environnement et santé: pour une meilleure prévention des risques sanitaires liés à l’environnement» et la Recommandation 1959 (2011) «Les politiques de prévention en matière de santé dans les Etats membres du Conseil de l’Europe») que des mesures préventives cohérentes et efficaces doivent être prises en vue de protéger l’environnement et la santé humaine.
65. Grâce à l’analyse des études scientifiques disponibles à ce jour, grâce aussi aux auditions d’experts organisées dans le cadre de la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales, on dispose d’assez d’indices de preuves d’effets potentiellement nocifs des champs électromagnétiques sur la faune, la flore et la santé humaine pour réagir et pour prévenir des risques environnementaux et sanitaires potentiellement graves.
66. Cela était d’ailleurs déjà le cas en 1999 et en 2009 quand le Parlement européen avait voté à une majorité écrasante des résolutions soutenant le principe de précaution et des actions préventives efficientes vis-à-vis des effets nocifs des champs électromagnétiques, notamment par l’abaissement conséquent des seuils d’exposition des travailleurs et du grand public selon le principe ALARA, par le rétablissement d’une véritable indépendance de la recherche en la matière et par une politique d’information et de transparence améliorée envers les populations inquiètes (voir la Résolution du Parlement européen du 2 avril 2009 sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques, 2008/2211 INI).
67. Finalement, l’Assemblée pourrait s’associer aux analyses et avertissements lancés d’abord en septembre 2007, puis en septembre 2009 par l’Agence européenne de l’environnement (AEE), relatifs aux risques sanitaires des champs électromagnétiques, de la téléphonie mobile et des téléphones portables en particulier. Selon l’AEE, les indices ou niveaux de preuves scientifiques d’effets biologiques nocifs sont suffisants pour invoquer l’application du principe de précaution et de mesures préventives efficaces et urgentes.