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Rapport | Doc. 12625 | 01 juin 2011

La demande de statut de Partenaire pour la Démocratie auprès de l’Assemblée parlementaire présentée par le Parlement du Maroc

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Luca VOLONTÈ, Italie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 3672 du 30 avril 2010. 2011 - Troisième partie de session

Résumé

En février 2010, le Parlement du Maroc a fait une demande officielle de statut de «partenaire pour la démocratie» auprès de l’Assemblée parlementaire.

Le rapport offre une vue d’ensemble de la situation institutionnelle et politique du Maroc. Il conclut que la demande du Parlement du Maroc est conforme, à la fois sur la forme et sur le fond, aux exigences définies à l’article 60 du Règlement de l’Assemblée. Par conséquent, il propose d’octroyer le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement du Maroc.

En même temps, le rapport souligne la nécessité pour le Maroc de poursuivre et d’approfondir les réformes en vue de consolider les transformations démocratiques, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme. Il spécifie les critères qui sont d’une importance clé dans ces domaines.

Il propose que l’Assemblée fasse, dans un laps de temps de deux ans, le bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements politiques contractés par le Parlement du Maroc et des réformes institutionnelles et politiques.

A. Projet de résolution 
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			.
Projet de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 31
mai 2011.

(open)
1. En adoptant sa Résolution 1680 (2009) sur la création d’un statut de «Partenaire pour la Démocratie» auprès de l’Assemblée parlementaire, l’Assemblée a décidé de créer un nouveau statut pour la coopération institutionnelle avec les parlements des Etats non membres des régions voisines qui souhaitent bénéficier de l’expérience de l’Assemblée en matière de renforcement de la démocratie et participer au débat politique sur les enjeux communs dépassant les frontières européennes. Un nouvel article 60 du Règlement de l’Assemblée, énonçant les conditions et les modalités d’octroi de ce statut, dont les engagements politiques que le parlement concerné doit officiellement contracter, a pris effet à partir de janvier 2010.
2. Moins de deux mois plus tard, le 22 février 2010, les Présidents des deux Chambres du Parlement du Maroc ont adressé au Président de l’Assemblée une demande officielle d’obtention du statut de Partenaire pour la Démocratie. Le Parlement du Maroc devint ainsi le premier parlement à faire une telle demande.
3. L’Assemblée prend note que, dans leur lettre, conformément aux exigences stipulées par l’article 60.2 du Règlement, les présidents des deux Chambres du Parlement du Maroc ont réaffirmé que le parlement qu’ils représentent partage les mêmes valeurs que le Conseil de l’Europe, à savoir la démocratie pluraliste et paritaire, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et se sont engagés:
3.1. à poursuivre leurs efforts «pour sensibiliser les pouvoirs publics ainsi que les acteurs de la vie politique et la société civile afin de faire avancer la réflexion en cours sur les problématiques de la peine capitale» et à continuer d’«encourager les autorités compétentes à poursuivre le moratoire de fait sur les exécutions de la peine de mort existant depuis 1993». Ils ont l’intention de s’«appuyer sur l’expérience de l’Assemblée, ainsi que sur l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans [leurs] travaux institutionnels et législatifs, en ayant à l’esprit que le Maroc est membre de la Commission de Venise depuis 2007»;
3.2. à «poursuivre [leurs] efforts pour sensibiliser les pouvoirs publics et les acteurs de la vie politique pour créer les conditions favorables à la tenue d’élections libres, justes et transparentes»;
3.3. à «promouvoir la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique et politique»;
3.4. à «encourager les autorités compétentes à adhérer aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe pouvant être signés et ratifiés par des Etats non membres, en particulier ceux traitant des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie, en ayant à l’esprit que le Maroc est – outre sa participation à la Commission de Venise – déjà membre du Centre Nord-Sud, Etat membre de l’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR-OPA), et qu’il est également partie contractante à la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe»;
3.5. à «informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe dans [leur] pays».
4. L’Assemblée estime, par conséquent, que la demande du Parlement du Maroc satisfait aux critères formels énoncés dans son Règlement.
5. En outre, l’Assemblée reconnaît que le Parlement, les forces politiques, les agents d’Etat et publics et la société civile du Maroc partagent largement les objectifs du partenariat pour la démocratie qui vise à renforcer la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le pays.
6. Au moment où les peuples d’un certain nombre de pays arabes et méditerranéens expriment clairement le souhait d’acquérir des droits politiques et sociaux fondamentaux, l’Assemblée estime important que le Maroc, qui a des institutions politiques et des traditions de pluralisme politique bien établies, reste sur la voie d’une évolution démocratique.
7. L’Assemblée se félicite de l’engagement du Maroc à mener des réformes constitutionnelles, institutionnelles, politiques et juridiques approfondies et encourage les autorités nationales à tirer pleinement parti de l’expertise du Conseil de l’Europe et à s’inspirer de ses normes pour mener à bien ces réformes. Elle estime que le statut de Partenaire pour la Démocratie constitue un cadre propice à un engagement plus marqué du Parlement du Maroc en faveur du processus de réformes.
8. Dans ce contexte, l’Assemblée considère que les mesures concrètes ci‑après sont essentielles pour renforcer la démocratie, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales au Maroc:
8.1. organiser des élections libres et équitables;
8.2. mieux sensibiliser et intéresser le public au processus démocratique et assurer un plus fort taux de participation aux élections;
8.3. renforcer le contrôle public des élections par des observateurs indépendants et, en particulier, améliorer les capacités des réseaux nationaux d’observateurs;
8.4. consulter les organisations de la société civile et les associer aux processus législatif et décisionnel;
8.5. garantir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans la vie politique et publique;
8.6. consolider la démocratie locale et régionale;
8.7. supprimer la peine de mort du Code pénal dans la droite ligne du moratoire de fait sur les exécutions instauré depuis 1993;
8.8. lutter contre la corruption;
8.9. mettre en œuvre la réforme de la justice afin de garantir l’indépendance et l’impartialité des juges;
8.10. adhérer aux instruments internationaux pertinents en matière de droits de l’homme et garantir leur application effective; en particulier, coopérer pleinement avec les mécanismes spéciaux des Nations Unies et mettre en œuvre les recommandations découlant de l’Examen périodique universel des Nations Unies;
8.11. améliorer la formation des juges, du personnel pénitentiaire et des forces de l’ordre concernant le respect des standards internationaux en matière de droits de l’homme;
8.12. prévenir la torture et les traitements inhumains ou dégradants à l’encontre des personnes privées de liberté; lutter contre l’impunité des auteurs d’actes de torture et de sévices;
8.13. améliorer les conditions de détention, conformément aux normes et standards des Nations Unies relatifs aux établissements pénitentiaires;
8.14. appliquer pleinement les recommandations de l’Instance équité et réconciliation;
8.15. combattre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination;
8.16. 8.16. garantir le plein respect de la liberté de conscience, de religion et de croyance, y compris le droit de changer de religion;
8.17. promouvoir la liberté d’expression ainsi que l’indépendance et la pluralité des médias; supprimer la censure; établir un nouveau Code de la presse garantissant effectivement la liberté de la presse;
8.18. promouvoir la liberté d’association et de réunion pacifique; garantir la stricte application de la loi sur les associations;
8.19. lutter contre toutes les formes de discrimination (en droit et en fait) à l’égard des femmes; garantir une égalité juridique effective entre les femmes et les hommes y compris en ce qui concerne les mariages interreligieux, combattre toutes les formes de violences fondées sur le sexe; promouvoir l’égalité des chances pour les femmes et les hommes;
8.20. appliquer pleinement puis améliorer le Code de la famille;
9. En outre, l’Assemblée attend du Maroc qu’il continue à rechercher des moyens pacifiques de régler les litiges internationaux, conformément à la Charte des Nations Unies. Dans ce contexte, elle appelle tout particulièrement le Parlement du Maroc à contribuer davantage au règlement de la question du Sahara occidental, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies.
10. Observant que le Parlement du Maroc a réaffirmé sa détermination à assurer le plein respect des engagements politiques énoncés à l’article 60.2 et contractés par les Présidents de ses deux Chambres, comme l’atteste leur lettre conjointe du 22 février 2010, l’Assemblée décide:
10.1. d’accorder le statut de Partenaire pour la Démocratie au Parlement du Maroc à compter de l’adoption de la présente résolution;
10.2. d’inviter le Parlement du Maroc à désigner une délégation de Partenaire pour la Démocratie constituée de six membres titulaires et de six membres suppléants selon les modalités définies à l’article 60.4 du Règlement de l’Assemblée.
11. L’Assemblée estime que l’avancement des réformes est le but principal du partenariat pour la démocratie et doit constituer le critère d’évaluation de son efficacité.
12. Elle décide, en conséquence, de faire, au plus tard deux ans après l’adoption de la présente résolution, le bilan des progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements politiques contractés par le Parlement du Maroc et des réformes dans les domaines mentionnés au paragraphe 8 ci‑dessus.
13. L’Assemblée souligne l’importance d’élections libres et équitables en tant que pierre angulaire d’une démocratie véritable. Elle espère, par conséquent, être invitée à observer des élections législatives au Maroc à partir de 2012.
14. L’Assemblée est convaincue que l’octroi du statut de Partenaire pour la Démocratie au Parlement du Maroc contribuera à renforcer la coopération entre ce pays et le Conseil de l’Europe et à promouvoir l’adhésion du Maroc aux conventions du Conseil de l’Europe. Elle encourage, par conséquent, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, en coordination, le cas échéant, avec l’Union européenne, à mobiliser l’expertise de l’Organisation, dont celle de la Commission de Venise, en vue de contribuer à la pleine application des réformes démocratiques au Maroc, notamment dans le cadre de l’imminente réforme de sa Constitution.

B. Exposé des motifs, par M. Volontè, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. En juin 2009, l’Assemblée parlementaire a adopté sa Résolution 1680 (2009) sur la création d’un statut de «partenaire pour la démocratie» auprès de l’Assemblée parlementaire 
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Voir le Doc. 11913,
rapporteur: M. Luc Van den Brande., par laquelle elle avait décidé «de créer un nouveau statut pour la coopération institutionnelle avec les parlements des Etats non membres des régions voisines qui souhaitent bénéficier de l’expérience de l’Assemblée en matière de renforcement de la démocratie et participer au débat politique sur les enjeux communs dépassant les frontières européennes» (paragraphe 11).
2. A la suite de l’adoption de la Résolution 1698 (2009) sur la modification de diverses dispositions du Règlement de l’Assemblée parlementaire, un nouvel article 60, énonçant les conditions et les modalités régissant l’octroi du statut de partenaire pour la démocratie, a été inséré dans le Règlement de l’Assemblée. L’article 60 est devenu opérationnel en janvier 2010.
3. En particulier, l’article 60.2 contient les engagements politiques formels que le parlement concerné doit prendre lorsqu’il demande le statut de partenaire pour la démocratie. De plus, l’article 60.1 prévoit la possibilité pour l’Assemblée, si nécessaire, de formuler les conditions spécifiques à remplir avant ou après l’octroi du statut.
4. Le 22 février 2010, les présidents des deux chambres du Parlement du Maroc ont adressé au Président de l’Assemblée une demande officielle du statut de partenaire pour la démocratie. Le Parlement du Maroc est ainsi devenu le premier parlement à faire cette demande.
5. J’ai été désigné rapporteur en juin 2010. Je vois mes fonctions dans cette mission comme suit:
  • vérifier si la demande officielle du Parlement du Maroc contient les engagements formels prévus à l’article 60.2;
  • voir si ces engagements correspondent à la réalité et, par conséquent, si le statut peut être octroyé;
  • évaluer si des conditions spécifiques, à remplir par le Parlement du Maroc avant l’octroi du statut, doivent être énoncées;
  • déterminer les domaines dans lesquels de nouvelles réformes sont le plus nécessaires et devraient être au centre du processus d’examen et de suivi à l’avenir.
6. En mars 2011, j’ai effectué une visite d’information au Maroc et j’ai eu l’occasion de discuter avec divers partenaires de l’évolution politique actuelle dans le pays ainsi que des perspectives d’avenir.
7. Ayant analysé la lettre adressée par les présidents des deux chambres du Parlement du Maroc au Président de l’Assemblée, je suis arrivé à la conclusion que leur demande contenait les engagements politiques nécessaires prévus, et répondait donc aux critères formels énoncés par l’article 60.2.
8. De plus, au cours de ma visite au Maroc, j’ai pu constater que les engagements politiques reflétaient bien la réalité et que l’objectif du partenariat – le renforcement de la démocratie, de l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme – était largement partagé dans les milieux politiques marocains, parmi les agents d’Etat et publics et dans la société civile.
9. Dans le contexte du virage historique vers la démocratie qui touche le sud de la Méditerranée et le Proche-Orient, mis en mouvement par la «révolution du Jasmin» en Tunisie, on peut dire que le Maroc est bien en avance sur tous ses voisins de la Méditerranée en ce qui concerne son niveau de développement démocratique.
10. Alors que d’autres pays de la région font leurs premiers pas vers la démocratie, le Maroc est loin d’en être au point de départ sur cette voie. Il a des institutions politiques bien établies et des traditions de pluralisme politique profondément enracinées, inspirées par les valeurs universelles promues et protégées par le Conseil de l’Europe.
11. En outre, sur sa voie vers ces valeurs, le Maroc a choisi de s’appuyer sur l’expérience de notre Organisation – le Conseil de l’Europe –, qui est internationalement reconnue comme point de référence dans ces domaines.
12. Par conséquent, à mon avis, le Parlement du Maroc mérite de se voir octroyer le statut de partenaire pour la démocratie.
13. Dans le même temps, nous savons tous qu’il n’existe pas de démocratie parfaite. Les Marocains sont conscients que leur pays a besoin de réformes profondes et courageuses dans de nombreux domaines pour répondre aux attentes du peuple. Cela est tout particulièrement le cas aujourd’hui, les populations de nombreux pays de la région ayant clairement exprimé le souhait de jouir de droits fondamentaux politiques et sociaux, et d’être représentées par des institutions transparentes qui assurent l’équité, protègent la dignité et répondent à leurs besoins.
14. Le partenariat pour la démocratie ne doit pas être considéré comme une distinction honorifique, mais comme un outil qui permet de travailler ensemble pour faire avancer les réformes constitutionnelles, politiques, institutionnelles et juridiques dans le pays, et d’évaluer régulièrement les progrès accomplis. L’octroi du statut serait le début, et non la fin, de ce processus. Nos partenaires marocains en sont pleinement conscients.
15. En conséquence, lorsque l’Assemblée décide d’octroyer le statut, il est essentiel de déterminer les domaines où les réformes sont le plus nécessaires et qui devraient être au centre du processus d’examen et de suivi à l’avenir.
16. A mon avis, la fixation d’objectifs clairs pour l’avenir contribuerait à la crédibilité du processus de partenariat pour la démocratie en établissant un mécanisme de responsabilisation. Dans le même temps, ce mécanisme pourrait développer, au sein du Parlement du Maroc, un sens de maîtrise partagée du processus et contribuer à accroître son rôle dans le système politique et institutionnel du Maroc.
17. J’ai bien précisé que le statut de partenaire pour la démocratie ne garantissait pas l’immunité contre les critiques à l’Assemblée. Il doit au contraire servir de base, et créer les conditions nécessaires pour que l’Assemblée jette un regard plus attentif et spécifique sur des domaines où la situation doit être sensiblement améliorée. Il est très probable que le pays sera critiqué, de la même façon que les Etats membres sont souvent critiqués. Les Marocains ne doivent pas en avoir peur. Ces critiques ont pour objectifs d’aider à identifier les lacunes, de remédier aux carences et, finalement, de renforcer la légitimité de l’Etat et de ses institutions vis-à-vis des populations.

2. Informations générales sur le Maroc

18. Le royaume du Maroc (communément dénommé le «Maroc») est situé dans le nord-ouest de l’Afrique. Avec une population de près de 33 millions d’habitants, il est l’un des pays les plus peuplés du sud de la Méditerranée. Il fait partie de la région du Maghreb, à côté de la Tunisie, de l’Algérie, de la Mauritanie et de la Libye, pays avec lesquels il partage des liens culturels, historiques et linguistiques. Il administre également la région contestée du Sahara occidental.
19. Le Maroc est une monarchie constitutionnelle de jure avec un parlement élu. Le roi du Maroc jouit de vastes pouvoirs exécutifs et joue un rôle politique clé dans le pays. Il est également le Commandeur des croyants. Depuis que Mohammed VI a accédé au trône en 1999, le pays s’est engagé dans un processus de réforme visant à édifier une société moderne et démocratique.
20. Le pouvoir exécutif est exercé par le gouvernement. Le pouvoir législatif est détenu à la fois par le gouvernement et les deux chambres du parlement, la Chambre des représentants (chambre basse), et la Chambre des conseillers (chambre haute). Le système bicaméral a été introduit par une réforme constitutionnelle en 1996.
21. La Chambre des représentants compte 325 membres élus pour un mandat de cinq ans, 295 élus dans des circonscriptions plurinominales et 30 élues sur les listes nationales composées uniquement de femmes.
22. La Chambre des conseillers compte 270 membres élus pour un mandat de neuf ans, élus par les conseils locaux (162 sièges), les chambres professionnelles (91 sièges) et les salariés (27 sièges).
23. Bien que limités, les pouvoirs du Parlement marocain ont été consolidés par les révisions constitutionnelles de 1992 et 1996. Ils s’étendent aux questions budgétaires, à l’approbation des projets de loi, à l’interrogation des ministres, et à l’établissement de commissions ad hoc chargées d’enquêter sur les actions du gouvernement. La Chambre des représentants peut dissoudre le gouvernement par une motion de censure.
24. Le Maroc dispose d’un système multipartite depuis l’indépendance en 1956. Il a une expérience multiple – plutôt unique dans la région – d’alternance démocratique du pouvoir issu d’élections pluralistes. Environ 20 partis sont actuellement représentés au parlement.
25. Les dernières élections à la Chambre des représentants ont eu lieu en 2007 et les prochaines élections se dérouleront en 2012. Les élections sont largement considérées comme essentiellement libres et équitables.
26. Le bilan des droits de l’homme au Maroc s’est considérablement amélioré après la répression des «années de plomb» sous le règne du roi Hassan II (1961-1999), mais on enregistre encore des plaintes pour abus de pouvoir. Récemment, il a été fait état de mauvais traitements infligés à des manifestants pacifiques par la police dans la ville de Casablanca (13 mars 2011), qui ont fait des dizaines de blessés.
27. La liberté de la presse est relativement bonne par rapport à la plupart des pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, bien que de nombreux journalistes passent pour pratiquer l’autocensure. Toutefois, il existe certaines limitations: la remise en cause de la légitimité de la monarchie est un sujet tabou, le débat sur l’islam politique est sévèrement limité et il est illégal de remettre en cause l’«intégrité territoriale» du royaume, à savoir l’annexion du Sahara occidental.
28. La répression gouvernementale contre les dissidents politiques a fortement diminué depuis le milieu des années 1990. Les décennies précédentes, décrites comme les «années de plomb», connurent des violations systématiques et graves des droits de l’homme dont des disparitions «forcées», des assassinats d’opposants au gouvernement et des internements au secret dans des camps comme Tazmamart, qui étaient monnaie courante.
29. Pour examiner les abus commis durant cette période, Mohammed VI a mis en place une Instance équité et réconciliation (IER) chargée de recueillir les déclarations des victimes et de leurs proches, d’enquêter sur les crimes commis, de réhabiliter les victimes et de donner des compensations financières en cas d’exactions commises par l’Etat. Selon les estimations de l’IER, 528 personnes ont été tuées sous le règne de Hassan II dans le cadre d’exécutions judiciaires et extrajudiciaires.
30. L’IER a présenté son rapport final au roi en décembre 2005. L’ancien président de l’IER, M. Driss Benzekri, a eu un échange de vues avec la commission des questions politiques en janvier 2006. Le travail de l’IER a été salué sur le plan international comme un exemple pour le monde arabe. Cependant, il faut encore mettre en œuvre la plupart des recommandations formulées par l’IER visant à empêcher que ces crimes ne puissent se reproduire.
31. Il existe également des allégations persistantes de violence contre les manifestants sahraouis partisans de l’indépendance ou du Front Polisario au Sahara occidental, que le Maroc considère comme ses provinces du Sud. Le Maroc a aussi été accusé de détenir des prisonniers de conscience indépendantistes sahraouis.
32. La liberté de religion est en général une réalité, avec quelques limitations. Bien que l’islam soit la religion d’Etat officielle, les Marocains peuvent pratiquer d’autres religions. Néanmoins, il est illégal pour les musulmans de renoncer à l’islam. Par conséquent, des restrictions existent envers le prosélytisme chrétien et l’Etat limite aussi les activités politiques sous l’égide de l’Islam. Il existe encore une communauté juive marocaine, bien que la plupart des Juifs aient émigré en Israël pendant les années qui ont suivi la création de cet Etat en 1948. En revanche, selon mes contacts, il n’existe pas de communauté chrétienne locale.
33. En 2005, le Parlement du Maroc a pris des mesures pour améliorer la situation des femmes et des enfants, et a adopté une nouvelle loi sur la famille ( Mudawanat al Asra – Code de la famille), considérée comme très progressiste par rapport aux normes régionales. En ce qui concerne la participation politique des femmes, en plus de leur participation sur des listes électorales mixtes, les femmes ont une liste aux élections législatives qui leur garantit au moins 10% des sièges. Parallèlement, un observatoire national destiné à combattre la violence contre les femmes a été créé.
34. Bien que la peine capitale ne soit pas encore abolie en droit au Maroc, le pays a mis en place un moratoire de fait sur la peine capitale depuis 1993. Entre 1956 et 1993, 198 personnes ont été condamnées à mort, si on laisse de côté la question des exécutions extrajudiciaires (voir ci-dessus). Une seule exécution a eu lieu depuis 1982, en 1993.

3. Le Maroc et le Conseil de l’Europe

35. Le Maroc est considéré comme le plus proche voisin de l’Europe dans la région méditerranéenne – dans tous les sens du mot. Géographiquement, seuls les 14 kilomètres du détroit de Gibraltar séparent le Maroc du sol européen.
36. Historiquement, le destin des Européens et des Marocains a été étroitement lié depuis des siècles. Culturellement, l’influence et l’enrichissement mutuels ont été importants.
37. Enfin et surtout, sur le plan politique également, le Maroc a été proche de la tradition politique et des pratiques que la plupart des Européens partagent et auxquels ils accordent une grande valeur en tant que principes fondamentaux. L’ambition du Maroc est de servir d’exemple de transition démocratique et de partager son expérience avec d’autres pays.
38. Comme les changements démocratiques touchent maintenant la région méditerranéenne, les Marocains soulignent que leur pays a fait ce choix il y a de nombreuses années et qu’il a essayé de le promouvoir au niveau régional, parfois au prix fort et sans aucune reconnaissance des Européens.
39. Récemment, toutefois, cette position de leader du Maroc dans le domaine de la réforme politique a été reconnue par l’Union européenne. Le Maroc est le seul pays à bénéficier, depuis 2007, du «statut avancé» avec l’Union européenne, qui prévoit un partenariat politique avancé.
40. Le Maroc est aussi le chef de file, parmi les pays de la Méditerranée, en ce qui concerne la coopération avec le Conseil de l’Europe. Il est Etat membre de l’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs (EUR-OPA) (depuis 1995) et participe à la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) (depuis 2007).
41. Le Maroc a été le premier pays non européen à adhérer au Centre Nord-Sud (depuis 2009) et à l’Accord partiel élargi sur le sport (depuis 2010).
42. Le Maroc jouit également du statut d’observateur à la Pharmacopée européenne (depuis 1997). En 2010, le Maroc a été invité à adhérer au Groupe Pompidou (Accord partiel en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite des stupéfiants).
43. En ce qui concerne les conventions du Conseil de l’Europe, le Maroc est partie uniquement à la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe (STE no 104) (depuis 2001).
44. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a invité le Maroc à adhérer à plusieurs conventions, à savoir:
  • la Convention européenne dans le domaine de l’information sur le droit étranger (STE no 62) et son Protocole additionnel (extension du système d’entraide internationale au domaine pénal et de la procédure pénale) (STE no 97);
  • l’Arrangement européen sur l’échange des programmes au moyen de films de télévision (STE no 27);
  • l’Arrangement européen pour la protection des émissions de télévision (STE no 34);
  • l’Accord européen pour la répression des émissions de radiodiffusion effectuées par des stations hors des territoires nationaux (STE no 53);
  • la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (STE no 66).
45. Le Conseil de l’Europe doit faire progresser la coopération, en fonction des demandes spécifiques des autorités marocaines. L’accent devrait être mis sur certaines conventions clés ouvertes aux Etats non européens non membres du Conseil de l’Europe, dans les domaines de la lutte contre la corruption, la cybercriminalité, la traite des êtres humains, l’exploitation sexuelle des enfants, le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent.
46. Considérant qu’un système de justice efficient et indépendant est une condition préalable pour combattre avec efficacité la criminalité organisée, le Conseil de l’Europe doit aussi encourager la coopération dans le domaine de la réforme judiciaire.
47. Je continuerai à développer des domaines prioritaires pour la coopération future entre le Conseil de l’Europe et le Maroc dans les chapitres suivants.

4. Exigences réglementaires pour le statut de partenaire pour la démocratie: situation actuelle

48. Comme cela est mentionné ci-dessus, ma tâche principale en tant que rapporteur est d’évaluer si le Parlement du Maroc remplit les critères pour la qualification de statut de partenaire pour la démocratie.
49. Je rappelle que, conformément à l’article 60.2, toute demande formelle de statut de partenaire pour la démocratie doit contenir les engagements politiques suivants:
  • une référence explicite à l’aspiration dudit parlement à faire siennes les valeurs du Conseil de l’Europe, que sont la démocratie pluraliste et paritaire, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
  • un engagement à agir pour abolir la peine capitale et à encourager les autorités compétentes à introduire un moratoire sur les exécutions;
  • une déclaration relative à l’intention du parlement de s’appuyer sur l’expérience de l’Assemblée ainsi que sur l’expertise de la Commission de Venise dans ses travaux institutionnels et législatifs;
  • un engagement à organiser des élections libres et équitables conformes aux standards internationaux en la matière;
  • un engagement à encourager la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique et politique;
  • un engagement à encourager les autorités compétentes à adhérer aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe pouvant être signés et ratifiés par des Etats non membres, en particulier ceux traitant des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie;
  • une obligation d’informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe.
50. Dans leur lettre commune du 22 février 2010 (voir l’annexe), les présidents des deux chambres du Parlement du Maroc ont clairement contracté ces engagements politiques, comme l’exige l’article 60.2.
51. En particulier, en ce qui concerne les valeurs fondamentales, il est indiqué ce qui suit:
«Cette demande se fonde sur le partage, par le Parlement que nous représentons, des valeurs du Conseil de l’Europe: la démocratie pluraliste et paritaire, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.»
52. Durant ma visite au Maroc, cette déclaration a été confirmée à plusieurs reprises et de façon convaincante par les présidents des deux chambres, ainsi que par tous les membres du parlement que j’ai rencontrés.
53. S’agissant de la peine de mort, il est écrit dans cette lettre ce qui suit:
«Nous poursuivons nos efforts pour sensibiliser les pouvoirs publics ainsi que les acteurs de la vie politique et la société civile afin de faire avancer la réflexion en cours sur les problématiques de la peine capitale, et continuerons à encourager les autorités compétentes à poursuivre le moratoire de fait sur les exécutions de la peine de mort existant depuis 1993.»
54. Dans tous mes contacts avec des interlocuteurs marocains, j’ai fermement souligné la position de principe de l’Assemblée, et du Conseil de l’Europe dans son ensemble, sur l’abolition de la peine de mort. J’ai également appelé les partenaires marocains à trouver les moyens d’officialiser le moratoire de fait avant que la peine de mort ne soit abolie en droit.
55. J’ai pu constater l’existence d’un véritable débat sur la question, tant au parlement que dans la société. J’ai entendu des arguments tant en faveur de l’abolition – y compris dans le cadre de la révision en cours du Code pénal – qu’en faveur de son maintien dans la loi. Il y a lieu de souligner que les partisans de cette dernière option, les représentants du Parti de la justice et du développement (parti d’opposition islamique), ne préconisent pas la mise en œuvre effective de la peine de mort, mais son maintien dans la législation sur la base des valeurs de l’Islam. Ils ne s’opposent pas au moratoire sur la peine de mort.
56. Mon impression est que, même si une grande partie de l’establishment politique soutient l’abolition, il n’est pas encore prêt à prendre des mesures décisives dans ce sens, estimant qu’il faut encore du temps pour préparer l’opinion publique. Le débat public et politique sur cette question devrait donc être élargi. Les discussions entre le Parlement marocain et l’Assemblée devraient, à mon avis, y contribuer.
57. En ce qui concerne les faits, la dernière exécution a eu lieu il y a 18 ans, en 1993, et la précédente en 1982 (laissant de côté la question des exécutions extrajudiciaires susmentionnée). La peine de mort étant inscrite dans les textes, les tribunaux marocains continuent de prononcer des condamnations à la peine de mort. Cependant, le roi a systématiquement refusé d’exécuter ces peines, qui ont été commuées en emprisonnement à vie.
58. Concernant la mise à profit de l’expérience du Conseil de l’Europe, la demande contient la déclaration ci-après:
«Nous confirmons notre intention de nous appuyer sur l’expérience de l’Assemblée, ainsi que sur l’expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans nos travaux institutionnels et législatifs, en ayant à l’esprit que le Maroc est membre de la Commission de Venise depuis 2007.»
59. J’ai discuté, à la fois au Parlement et avec les représentants du pouvoir exécutif, des domaines des travaux législatifs dans lesquels une telle expérience et la contribution de la Commission de Venise seraient utiles. Au niveau parlementaire, j’ai senti un intérêt réel des Marocains à tirer pleinement parti des possibilités qu’offre cette coopération.
60. Cela est d’autant plus important si l’on tient compte de la déclaration faite par le roi Mohammed VI le 9 mars 2011, annonçant une future réforme constitutionnelle dans le pays. La nomination de M. Abdeltif Menouni, membre de la Commission de Venise, et de M. Abdelaziz Lamghari, son suppléant, respectivement comme président et membre de la commission ad hoc chargée de préparer la réforme constitutionnelle, crée des conditions favorables à une coopération entre les deux organes. La partie marocaine devrait être encouragée à tirer pleinement parti du potentiel de l’expérience accumulée par la Commission de Venise.
61. En outre, la Commission de Venise, grâce à son expertise juridique internationalement reconnue, pourrait apporter une contribution précieuse à la finalisation des projets en cours, par exemple dans le cadre de la réforme du système judiciaire.
62. J’ai également souligné que l’élaboration de lois et la signature de conventions internationales ne constituaient qu’une première étape et que la mise en œuvre effective de ces textes était capitale. Le parlement devrait jouer un rôle plus actif pour s’assurer que les actes juridiques sont effectivement mis en œuvre. Un examen périodique, par notre Assemblée, de la mise en œuvre des réformes pourrait devenir un outil essentiel dans la réalisation du programme de réformes.
63. S’agissant des élections, le Parlement marocain s’est engagé à:
«poursuivre [ses] efforts pour sensibiliser les pouvoirs publics et les acteurs de la vie politique pour créer les conditions favorables à la tenue d’élections libres, équitables et transparentes.»
64. Dans ce contexte, j’ai souligné l’importance que l’Assemblée porte à la tenue d’élections libres et équitables comme élément capital de la démocratie. J’ai aussi mentionné l’expérience de l’Assemblée et son intérêt pour l’observation des élections dans les Etats membres, les Etats observateurs et les Etats partenaires, et j’ai également demandé la possibilité d’inviter l’Assemblée à observer les élections législatives à partir de 2012.
65. En ce qui concerne l’égalité femmes-hommes en politique, le parlement s’est engagé à:
«encourager la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique et politique.»
66. J’ai pu constater une prise de conscience de la dimension «genre» au niveau des partis et dans les administrations publiques. Comme cela est mentionné ci-dessus, les femmes occupent au moins 10% des sièges au parlement grâce à une liste nationale composée uniquement de femmes. En outre, de nombreux partis ont récemment accru le nombre de femmes sur leurs listes électorales et promu des femmes à des postes clés aux niveaux national, régional et local. De toute évidence, ces efforts doivent se poursuivre. A ce jour, les femmes détiennent 10,5% des sièges à la chambre basse du parlement, mais seulement 2,2% à la chambre haute.
67. Concernant les conventions du Conseil de l’Europe, le Parlement marocain a pris l’engagement:
«d’encourager les autorités compétentes à adhérer aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe pouvant être signés et ratifiés par des Etats non membres, en particulier ceux traitant des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie…»
68. Je me suis réjoui de l’intérêt que les autorités marocaines ont récemment manifesté à ce que le Maroc devienne partie à un certain nombre de conventions du Conseil de l’Europe, et ai rappelé la visite prévue d’une délégation de hauts fonctionnaires du Conseil de l’Europe pour discuter de mesures concrètes afin que le Maroc participe davantage aux conventions de notre Organisation. Cette visite s’est finalement déroulée du 28 au 30 mars 2011.
69. J’ai souligné, en outre, le rôle des parlements pour ce qui est de la conclusion et de la mise en œuvre des traités internationaux et j’ai encouragé le Parlement du Maroc à participer activement à suivre et à accélérer ce processus. J’ai aussi mentionné la nécessité de renforcer les capacités pour mettre dûment en œuvre les conventions et ai encouragé une «coopération triangulaire» plus étroite (Conseil de l’Europe – Union européenne – Maroc) sur la question.
70. Enfin, concernant la responsabilité de rendre compte, le Parlement marocain a pris l’engagement suivant: «(…) informer régulièrement l’Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l’Europe dans notre pays.»
71. Dans ce contexte, j’ai rappelé l’importance d’un contrôle parlementaire périodique des progrès réalisés dans la mise en œuvre des réformes dans les domaines où une amélioration de la situation s’impose. Manifestement, notre Assemblée serait très intéressée par les progrès réalisés dans les domaines liés à la démocratie, au respect des droits de l’homme et à l’Etat de droit.

5. Nécessité de poursuivre les réformes

72. Comme je l’ai montré au chapitre précédent, le Parlement du Maroc satisfait, à mon sens, aux critères requis pour bénéficier du statut de partenaire pour la démocratie auprès de notre Assemblée. Cela ne signifie pas que le Maroc a atteint la perfection dans la construction de la démocratie et de l’Etat de droit. Au contraire, il reste encore beaucoup à faire.
73. Je rappelle que, dans le passé, l’Assemblée a souvent relevé un important déficit démocratique dans le sud de la Méditerranée et souligné qu’une stabilité et une prospérité durables ne sont pas possibles sans démocratie et sans Etat de droit.
74. Notre expérience européenne nous a appris que la démocratie n’est jamais parfaite et qu’elle ne peut être considérée comme un acquis définitif. La démocratie est un processus qui doit constamment s’adapter aux nouvelles réalités et être à même de relever de nouveaux défis. La force d’une vraie démocratie se mesure à sa capacité à mettre en œuvre des réformes pour répondre à l’évolution des besoins des citoyens.
75. Le Maroc a lancé une série de réformes au milieu des années 1990 et dans les années 2000, afin d’édifier un Etat moderne et démocratique. Néanmoins, selon de nombreux analystes, le rythme s’est ralenti et les réformes ont besoin d’un nouvel élan politique.
76. Dans le cadre de mes contacts, j’ai pu constater que les membres de la classe politique, les hauts représentants de l’Etat et les personnalités publiques au Maroc partageaient le sentiment que des efforts supplémentaires étaient nécessaires pour accélérer les réformes et continuer à progresser vers davantage de démocratie, une meilleure protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales et un Etat de droit consolidé.
77. En outre, les militants de la société civile et certaines franges de la population sont très demandeurs de nouvelles réformes, comme l’ont montré des manifestations massives le 20 février 2011 et ultérieurement.
78. Certains développements récents pourraient être considérés comme un pas dans cette direction. Par exemple, les mécanismes de protection des droits de l’homme ont été améliorés avec la création du Conseil national des droits de l’homme, qui remplace l’ancien Conseil consultatif des droits de l’homme, et la réforme de l’institution du médiateur (anciennement Divan Al Madhalim).
79. Le Maroc mène une politique de régionalisation qui vise à améliorer la gouvernance et la démocratie à l’échelle régionale.
80. Un nouvel organe consultatif, le Conseil économique et social, a récemment été mis en place afin de mettre à disposition une filière supplémentaire pour mieux représenter et concilier les intérêts des différents groupes de la société.
81. En ce qui concerne la primauté du droit, une vaste réforme du système judiciaire est en préparation depuis plusieurs années. J’ai été informé qu’un ensemble de plus de 20 projets de loi, dont certains concernent le statut des juges, les compétences du ministère de la Justice ainsi que les codes de procédure civile et pénale, est actuellement examiné par le gouvernement.
82. Le 9 mars 2011, le roi Mohammed VI a pris une nouvelle initiative importante dans le cadre du processus de réforme. Il a lancé la préparation d’une vaste révision de la Constitution destinée à consolider l’Etat de droit et les institutions démocratiques et à mieux protéger les droits individuels et collectifs. La réforme devrait notamment mettre en œuvre les recommandations formulées par l’IER, consolider la séparation des pouvoirs, y compris en garantissant l’indépendance des juges, et renforcer le rôle du parlement et des partis politiques.
83. J’estime que ces développements, particulièrement prometteurs, créent les conditions d’une coopération fructueuse entre le Maroc et le Conseil de l’Europe. Notre Organisation, forte de son expérience en matière de transition démocratique, est bien placée pour apporter ses compétences et ses conseils dans l’élaboration et la mise en œuvre de réformes constitutionnelles et législatives. Nos collègues marocains devraient être incités à utiliser pleinement ces atouts dont dispose le Conseil de l’Europe.
84. Comme je l’ai dit auparavant, le statut de partenaire pour la démocratie ne doit pas être considéré comme un titre honorifique accordé une fois pour toutes. Cet outil devrait encourager les réformes visant à améliorer le bilan démocratique. Je pense qu’il serait extrêmement opportun d’octroyer ce statut au Parlement du Maroc, pays qui s’est engagé dans un processus de consolidation de ses institutions démocratiques et de son cadre constitutionnel et législatif.
85. Parallèlement, il serait utile d’identifier les domaines dans lesquels nos partenaires marocains devraient poursuivre leurs efforts pour améliorer la situation et se rapprocher des standards internationaux.
86. En particulier, la réforme constitutionnelle annoncée par le roi est la pierre angulaire d’une plus grande démocratisation. La Commission de Venise est un partenaire naturel du Maroc (qui fait partie de ses pays membres) dans ce processus. Le parlement devrait encourager et faciliter la coopération entre la commission ad hoc sur la réforme constitutionnelle et la Commission de Venise.
87. La réforme judiciaire en cours est un élément essentiel pour renforcer l’Etat de droit. Elle nécessite un soutien politique fort, notamment de la part du parlement, qui devrait suivre ce processus.
88. On peut citer d’autres domaines où des avancées sont indispensables, par exemple la lutte contre la corruption, la liberté des médias, la liberté d’association, la mise en œuvre du Code de la famille et la protection des droits des femmes et des enfants.
89. Il faudrait assurer un suivi régulier de la situation dans ces domaines (par exemple tous les six mois) grâce à des échanges de vues avec les partenaires marocains au niveau de la commission des questions politiques. Notre commission devrait désigner un rapporteur chargé de suivre les développements au Maroc, notamment en effectuant des visites d’information dans le pays. L’Assemblée devrait par ailleurs évaluer les progrès réalisés dans ces domaines dans un nouveau rapport qui serait élaboré après un certain délai (par exemple deux ans). Cela permettrait de mettre l’accent sur la finalité du partenariat, d’introduire un certain degré d’obligation de rendre compte du parlement partenaire, et de contribuer à développer le rôle et les responsabilités de ce dernier dans le processus politique national.
90. Plus précisément, nous pourrions tenir compte des éléments suivants lorsque nous évaluerons les progrès réalisés par le Maroc en vue d’atteindre les objectifs du partenariat, à savoir:
  • organiser des élections libres et équitables;
  • mieux sensibiliser et intéresser le public au processus démocratique et assurer un plus fort taux de participation aux élections;
  • renforcer le contrôle public des élections par des observateurs indépendants et, en particulier, améliorer les capacités des réseaux nationaux d’observateurs;
  • consulter les organisations de la société civile et les associer aux processus législatif et décisionnel;
  • garantir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans la vie politique et publique;
  • consolider la démocratie locale et régionale;
  • lutter contre la corruption;
  • mettre en œuvre la réforme de la justice afin de garantir l’indépendance et l’impartialité des juges;
  • adhérer aux instruments internationaux voulus en matière de droits de l’homme et garantir leur application effective; en particulier, coopérer pleinement avec les mécanismes spéciaux des Nations Unies et mettre en œuvre les recommandations découlant de l’Examen périodique universel des Nations Unies;
  • améliorer la formation des juges, du personnel pénitentiaire et des forces de l’ordre concernant le respect des normes internationales en matière de droits de l’homme;
  • prévenir la torture et les traitements inhumains ou dégradants sur des personnes privées de liberté; lutter contre l’impunité des auteurs d’actes de torture et de sévices;
  • améliorer les conditions de détention, conformément aux normes et aux standards des Nations Unies relatifs aux établissements pénitentiaires;
  • appliquer pleinement les recommandations de l’Instance équité et réconciliation (IER);
  • combattre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination;
  • garantir le plein respect de la liberté de religion et de conviction;
  • promouvoir la liberté d’expression ainsi que l’indépendance et la pluralité des médias; supprimer la censure; établir un nouveau code de la presse garantissant effectivement la liberté de la presse;
  • promouvoir la liberté d’association et de réunion pacifique; garantir la stricte application de la loi sur les associations;
  • lutter contre toutes les formes de discrimination (en droit et en fait) à l’égard des femmes; garantir une égalité juridique effective entre les femmes et les hommes en ce qui concerne les mariages interreligieux, combattre toutes les formes de violences fondées sur le sexe; promouvoir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes;
  • appliquer pleinement puis améliorer au fur et à mesure le Code de la famille;
  • promouvoir le dialogue public afin de supprimer la peine de mort du Code pénal et, dans l’intervalle, assurer le respect du moratoire de fait sur les exécutions instauré depuis 1993.
91. Naturellement, il faudrait que l’évaluation de la mise en œuvre du partenariat porte aussi sur les progrès réalisés dans les domaines cités à l’article 60.2 qui n’auraient pas été mentionnés ci-dessus.
92. En outre, une fois que l’Assemblée aura octroyé le statut de partenaire pour la démocratie au Parlement du Maroc, elle aura une base statutaire pour suivre de plus près les différents aspects de la situation dans ce pays, en élaborant au besoin des rapports spécifiques.
93. A ce stade, je vois déjà une question qui intéressera particulièrement nos collègues de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes: contrairement aux hommes marocains, qui peuvent épouser des femmes de toutes confessions, les femmes marocaines ne peuvent épouser que des musulmans, sinon le mariage n’est pas reconnu par la loi.

6. La question du Sahara occidental

94. A la suite de la demande déposée par le Parlement du Maroc pour obtenir le statut de partenaire pour la démocratie, plusieurs collègues ont déjà soulevé la question du Sahara occidental et d’autres souhaiteront peut-être le faire.
95. Je pense que cette question, en soi, n’entre pas dans le cadre du présent rapport et ne devrait pas constituer un obstacle ni conditionner la décision de l’Assemblée au sujet du statut.
96. La question du Sahara occidental est traitée dans le cadre des Nations Unies, conformément aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. La dernière en date, la Résolution 1979 adoptée le 27 avril 2011, demande aux parties «de poursuivre les négociations sous les auspices du Secrétaire général, sans conditions préalables et de bonne foi, en tenant compte des efforts faits depuis 2006 et des faits nouveaux survenus depuis, en vue de parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui pourvoie à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental dans le contexte d’arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies».
97. Le Conseil de l’Europe n’a aucune compétence spécifique en la matière, mais soutient clairement les efforts des Nations Unies, comme l’indique la Résolution 1408 (2004) sur la situation au Sahara occidental, adoptée par l’Assemblée. En même temps, j’ai noté que notre collègue, Mme Maury Pasquier, a déposé récemment une proposition de résolution sur une contribution parlementaire à la résolution du conflit du Sahara occidental 
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Voir le Doc. 12603.. Je l’ai également signée. Je pense que cette motion, si elle est renvoyée à notre commission, constituera un cadre approprié pour traiter de cette question.
98. Il est clair que les droits de l’homme occupent une place importante dans la question du Sahara occidental (droits des réfugiés et des personnes déplacées, conditions de détention, droits politiques, situation humanitaire, etc.) et l’Assemblée devrait se sentir concernée par cette problématique. L’octroi du statut de partenaire pour la démocratie au Parlement du Maroc aura pour effet de renforcer, et non de réduire, la capacité de l’Assemblée à suivre ces aspects plus attentivement et sur une base institutionnelle plus solide, au besoin dans le cadre de rapports spécifiques.

7. Conclusions et propositions

99. A mon sens, le Parlement du Maroc satisfait aux critères énoncés à l’article 60 du Règlement de l’Assemblée et devrait se voir accorder le statut de partenaire pour la démocratie.
100. En même temps, les réformes engagées dans ce pays ont besoin d’un nouvel élan politique, auquel le Parlement du Maroc devrait contribuer plus activement. L’octroi du statut devrait être considéré comme un geste encourageant le Parlement à jouer un rôle plus important dans le processus de réforme.
101. Le projet de résolution contenant un avis favorable sur la demande de statut de partenaire pour la démocratie présentée par le Parlement du Maroc comporte une liste de domaines prioritaires dans lesquels davantage de progrès sont attendus.
102. L’Assemblée devrait examiner, au plus tard dans deux ans, les progrès réalisés par le Parlement du Maroc en vue de mettre en œuvre les objectifs du partenariat, en accordant une attention particulière aux domaines prioritaires indiqués dans la résolution. Dans l’intervalle, la commission des questions politiques devrait suivre les développements au Maroc à la fois par un dialogue régulier avec la délégation marocaine du partenariat pour la démocratie auprès de l’Assemblée et par des visites d’information effectuées par un rapporteur.
103. Le Parlement du Maroc obtiendrait le statut de partenaire pour la démocratie dès l’adoption de la résolution par l’Assemblée.
104. Conformément à l’article 60.3, et compte tenu de l’importance de la population et de la diversité politique du Maroc, le Parlement marocain devrait se voir allouer six sièges de représentants et six sièges de suppléants. Par ailleurs, en application de l’article 60.4, la délégation du partenariat pour la démocratie doit être composée de façon à assurer une représentation équitable des partis ou groupes politiques présents au parlement, et des deux chambres du parlement. Elle doit comprendre un pourcentage de membres du sexe sous-représenté au moins égal à celui que compte le parlement, et en tout état de cause un représentant de chaque sexe.

Annexe – Lettre

(open)

Rabat, 22 February 2010

S.E. Monsieur Mevlüt Çavusoglu

Président de l'Assemblée parlementairedu Conseil de l'Europe

Monsieur le Président,

Nous avons l'honneur de vous faire part, par la présente, de la décision du Parlement du Royaume du Maroc de demander officiellement le statut de partenaire pour la démocratie auprès de l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe.

Cette demande se fonde sur le partage, par te Parlement que nous représentons, des valeurs du Conseil de l'Europe: la démocratie pluraliste et paritaire, l'Etat de droit et le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Nous poursuivons nos efforts pour sensibiliser les pouvoirs publics ainsi que les acteurs de la vie politique et la société civile afin de faire avancer la réflexion en cours sur les problématiques de la peine capitale, et continuerons à encourager les autorités compétentes à poursuivre le moratoire de fait sur les exécutions de la peine de mort existant depuis 1993. Nous confirmons notre intention de nous appuyer sur l'expérience de l'Assemblée, ainsi que sur l'expertise de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans nos travaux institutionnels et législatifs, en ayant à l'esprit que le Maroc est membre de la Commission de Venise depuis 2007.

Nous confirmons également notre engagement:

  • à poursuivre nos efforts pour sensibiliser les pouvoirs publics et les acteurs de la vie politique pour créer les conditions favorables à la tenue d'élections libres, équitables et transparentes ;
  • à encourager la participation équilibrée des femmes et des hommes à la vie publique et politique ;
  • à encourager les autorités compétentes à adhérer aux conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l'Europe pouvant être signés et ratifiés par des Etats non membres, en particulier ceux traitant des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la démocratie, en ayant à l'esprit que le Maroc est - outre à sa participation à la Commission de Venise - déjà membre du Centre Nord-Sud ainsi que du Groupe de Coopération en matière de Prévention, de Protection et d'Organisation des Secours Contre les Risques Naturels et Technologiques Majeurs, et qu'il est également partie contractante à la Convention relative à la Conservation de la Vie Sauvage et du Milieu Naturel de l'Europe.
Enfin, nous nous engageons, conformément à l'article 61.2 de votre règlement, à informer régulièrement votre Assemblée des progrès accomplis dans la mise en œuvre des principes du Conseil de l'Europe dans notre pays.

Nous vous prions. Monsieur le Président, de bien vouloir agréer l'assurance de notre haute considération.

Mr Mustapha MANSOURI - Président de la Chambre de Représentants

Mr Mohammed CHEIKHBIADILKAH - Président de la Chambre des Conseillers