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Résolution 1403 (2004)

La situation des droits de l’homme en République tchétchène

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 7 octobre 2004 (30e séance) (voir Doc. 10283, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Bindig). Texte adopté par l’Assemblée le 7 octobre 2004 (30e séance).

1. L’Assemblée parlementaire souligne que la protection des droits de l’homme est le but premier du Conseil de l’Europe et, de ce fait, condamne solennellement tous les actes criminels constituant de graves violations des droits de l’homme commis par tous les protagonistes du conflit en République tchétchène.
2. Cela vaut particulièrement pour la récente recrudescence d’actes terroristes méprisables, marquée par l’explosion en vol de deux avions de ligne le 24 août 2004, l’attaque-suicide à la bombe à l’entrée de la station de métro Rizhskaya de Moscou le 31 août 2004 et, enfin, la prise en otages de centaines d’enfants innocents et de membres de leur famille à Beslan, qui s’est terminée dans un bain de sang le 3 septembre 2004. De telles attaques contre des civils innocents ne trouvent aucune excuse.
3. L’Assemblée condamne également, sans équivoque, toutes les autres tueries commises par des groupes armés illégaux, dont l’assassinat du Président de la République tchétchène, Akhmad Kadyrov, le 9 mai 2004, qui a entraîné d’autres pertes, les nombreuses victimes des attaques concertées menées par des combattants armés en Ingouchie, en République tchétchène et au Daguestan le 22 juin 2004, ainsi que l’assaut de grande envergure lancé à Grozny le 20 août 2004. La mort d’innocents tout comme l’assassinat «ciblé» de personnes considérées par les terroristes comme des responsables impunis de crimes sont totalement inacceptables. Le conflit en République tchétchène doit être réglé par la négociation et les criminels de tous les bords doivent être punis comme il convient selon des procédures judiciaires appropriées.
4. De même, l’Assemblée condamne fermement les innombrables violations des droits de l’homme telles que les meurtres, les disparitions forcées, les actes de torture, les prises d’otages, les viols et les détentions arbitraires, perpétrés par les membres des différentes forces de l’ordre fédérales et tchétchènes prorusses au cours de leurs opérations «spéciales» ou «ciblées» en République tchétchène et, de plus en plus, dans les régions voisines.
5. Les événements récents démontrent que la situation en matière de droits de l’homme en République tchétchène est loin d’être normalisée. Si la reconstruction de quelques infrastructures sociales et la promesse du versement d’indemnités aux personnes dont les maisons ont été détruites sont des facteurs positifs, un véritable développement économique ne peut s’appuyer que sur la confiance entre le gouvernement et le peuple. L’Assemblée continue de croire qu’il ne peut y avoir de paix et de règlement politique durable en République tchétchène que si toutes les parties cessent de commettre les violations des droits de l’homme susmentionnées, que si sont déférés devant la justice au moins les auteurs des violations les plus graves des droits de l’homme, y compris bien entendu des actes terroristes, et que s’il est assuré que de telles violations n’auront plus lieu à l’avenir.
6. La situation dramatique des droits de l’homme en République tchétchène, décrite dans les textes adoptés par l’Assemblée en avril 2003, ne s’est malheureusement guère améliorée depuis. Le nombre d’«opérations spéciales» ou de «coups de filet» menés par les forces de sécurité a baissé de manière significative, notamment depuis la fin de l’année 2003. Cependant, les détentions arbitraires, souvent suivies de «disparition», torture ou passage à tabac des détenus, le vol ou la destruction des biens par les forces de sécurité (tchétchènes et fédérales) ou par certains groupes rebelles, sont toujours pratiqués à grande échelle, en particulier en regard du petit nombre d’habitants en République tchétchène et des pertes déjà subies au cours des années passées. Une nouvelle tendance effrayante a vu le jour: la prise en otages, accompagnée de menaces de torture et de mort, de proches des personnes suspectées d’être des terroristes, afin de forcer ces derniers à se rendre. De telles méthodes sont des actes criminels totalement inacceptables qui doivent être éradiqués par les autorités fédérales et tchétchènes.
7. Le référendum constitutionnel de mars 2003 et les élections présidentielles tchétchènes d’octobre 2003 et d’août 2004 ont engendré de nouveaux types de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), qui concernent à présent également le droit à des élections libres (article 3 du Protocole no 1 à la CEDH) et à la liberté d’expression (article 10 de la CEDH).
8. Le climat d’impunité relevé par l’Assemblée dans sa Résolution 1323 (2003) et sa Recommandation 1600 (2003) semble faire tache d’huile en Ingouchie, où un certain nombre d’abus perpétrés en 2003 et au début de 2004 sont des réminiscences de ceux intervenus en République tchétchène, et qui sont restés largement impunis. Le conflit dans le Caucase du Nord paraît se propager telle une épidémie, menaçant la primauté du droit dans l’ensemble de la Fédération de Russie.
9. En ce qui concerne l’élucidation des crimes décrits dans le rapport étayant la Résolution 1323 et la Recommandation 1600, seuls quelques progrès minimes ont été réalisés, alors que les actions menées par les procureurs fédéraux et tchétchènes dans le cadre des nouveaux crimes commis dans l’intervalle n’ont pas connu plus de succès.
10. Concernant 2003 et le début de 2004, des informations détaillées ont été demandées aux autorités russes sur les activités en matière de poursuites. Les réponses reçues de sources officielles, quoique incomplètes et en partie contradictoires, montrent que les organes nationaux d’application de la loi n’ont que très peu progressé dans la poursuite des auteurs de violations des droits de l’homme.
11. L’Assemblée est indignée par les crimes graves commis envers des personnes ayant déposé une requête devant la Cour européenne des Droits de l’Homme ou leurs proches et par le fait qu’ils n’ont pas encore été élucidés. De tels actes sont totalement inacceptables; ils découragent les victimes de porter plainte devant la Cour, pièce maîtresse du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention européenne des Droits de l’Homme.
12. Les mesures préventives recommandées par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, notamment en ce qui concerne les modalités des «opérations spéciales» et les «coups de filet» menés par les forces de sécurité, en particulier l’identification effective de tous les participants à ces opérations et la poursuite rapide et ferme de toute violation des règles, n’ont pas encore été mises en œuvre.
13. Par voie de conséquence, les conclusions tirées par l’Assemblée dans la Résolution 1323 et la Recommandation 1600 restent d’actualité: un climat d’impunité prévaut en République tchétchène parce que les autorités tchétchènes et fédérales chargées de l’application de la loi n’ont toujours pas la volonté ou la capacité de demander des comptes à la grande majorité des auteurs de violations graves des droits de l’homme.
14. C’est pourquoi l’Assemblée, réitérant ses exhortations des paragraphes 9 et 10 de la Résolution 1323:
14.1. demande instamment au Gouvernement de la Fédération de Russie de prendre des mesures supplémentaires pour éliminer le climat d’impunité qui prévaut en République tchétchène:
a. en engageant des enquêtes approfondies et des actions en justice pour toutes les violations des droits de l’homme, quelle que soit l’identité de leurs auteurs;
b. en mettant en œuvre les recommandations du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe;
c. en lançant un message clair, émanant du plus haut niveau politique, à tous les membres des forces de sécurité et des forces de l’ordre, leur enjoignant de respecter en toutes circonstances les droits de l’homme dans l’accomplissement de leur tâche;
d. en accordant une réparation, y compris une indemnisation, aux victimes de violations des droits de l’homme;
e. en autorisant un suivi systématique, par des organisations nationales et internationales des droits de l’homme, des violations des droits de l’homme et des mesures prises par les autorités compétentes pour poursuivre et punir leurs auteurs;
f. en collaborant pleinement, avec tous les mécanismes du Conseil de l’Europe, en particulier avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT);
g. en prenant des mesures efficaces pour empêcher toutes représailles contre les personnes qui auraient saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme, en veillant à ce que toutes les allégations concernant de telles infractions fassent l’objet d’une enquête prompte, approfondie et indépendante, et à ce que toutes les personnes dont la responsabilité aura été établie soient traduites en justice;
h. et en facilitant l’accès à la région aux médias d’information nationaux et internationaux;
14.2. demande instamment au Gouvernement de la Fédération de Russie de veiller à ce que les mesures de lutte contre le terrorisme prises ou prévues soient conformes aux normes en matière de droits de l’homme et au droit humanitaire, notamment à la Convention européenne des Droits de l’Homme, aux Conventions de Genève et aux Lignes directrices du Conseil de l’Europe sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme;
14.3. invite instamment la Douma d’Etat russe à mettre en place, de toute urgence, une commission d’enquête parlementaire chargée des investigations sur les allégations de violations commises par diverses branches de l’exécutif, notamment les différentes autorités chargées de l’application de la loi en République tchétchène et dans les régions voisines telles que l’Ingouchie, y compris les dysfonctionnements apparents du bureau du procureur militaire en charge de la région;
14.4. invite instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe:
a. à user de toutes les occasions, dans les relations bilatérales ou multilatérales avec la Fédération de Russie, pour rappeler la nécessité de respecter les droits de l’homme, y compris dans la lutte contre le terrorisme et le séparatisme;
b. à continuer d’appliquer la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, en accordant l’asile politique aux demandeurs originaires de la République tchétchène, rappelant que les défenseurs locaux des droits de l’homme, les avocats et les proches des personnes suspectées d’être des combattants de l’indépendance figurent au rang des personnes les plus exposées aux risques de disparition, de torture et autres violations graves des droits de l’homme;
14.5. soutient la recommandation faite par le CPT, dans sa déclaration publique du 10 juillet 2003, de rappeler aux membres des forces fédérales et des forces de l’ordre en République tchétchène, par voie d’une déclaration officielle émanant du plus haut niveau politique, qu’ils doivent respecter les droits des personnes qu’ils détiennent et que les mauvais traitements infligés à ces personnes seront sévèrement sanctionnés. Elle invite également les autorités russes à autoriser sans délai la publication de tous les rapports de visite des experts du CPT dans la région du Caucase du Nord;
14.6. se félicite de la tendance positive vers l’instauration d’ombudsmans régionaux en Fédération de Russie et de l’initiative prise par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et l’ombudsman aux droits de l’homme de la Fédération de Russie, visant à promouvoir la mise en place d’un ombudsman régional pour la République tchétchène.
15. L’Assemblée décide de demeurer saisie de cette question.