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Résolution 1433 (2005)

Légalité de la détention de personnes par les États-Unis à Guantánamo Bay

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 26 avril 2005 (10e séance) (voir Doc. 10497, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur : M. McNamara). Texte adopté par l’Assemblée le 26 avril 2005 (10e séance).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle et réaffirme son indignation et son dégoût face aux attaques terroristes perpétrées aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, dont l’atrocité ne s’est pas estompée au fil du temps. Elle partage la détermination des Etats-Unis à combattre le terrorisme international et convient pleinement de l’importance de détecter et de prévenir les actes terroristes, de poursuivre en justice et de condamner les terroristes, et de protéger les vies humaines.
2. Si l’Assemblée apporte son soutien plein et entier aux Etats-Unis dans leurs efforts de lutte contre le terrorisme, cela doit être à la condition que toutes les mesures prises respectent pleinement les droits de l’homme et l’Etat de droit. Le respect des droits de l’homme internationaux et du droit international humanitaire ne constitue pas une faiblesse dans la lutte contre le terrorisme, mais une arme, garantissant aux actions le soutien international le plus large et prévenant des situations susceptibles de susciter une sympathie mal placée pour les terroristes ou pour leurs causes.
3. Les Etats-Unis ont longtemps été un phare de la démocratie et un champion des droits de l’homme de par le monde et leur influence positive à cet égard sur le développement européen depuis la seconde guerre mondiale est grandement appréciée. Néanmoins, l’Assemblée estime que le Gouvernement américain a trahi ses propres principes les plus élevés dans l’ardeur avec laquelle il a tenté de mener la «guerre contre la terreur». C’est avec Guantánamo Bay que ces erreurs se sont peut-être avérées les plus manifestes.
4. A aucun moment les détentions à Guantánamo Bay n’ont relevé d’un quelconque «trou noir juridique». Le droit international relatif aux droits de l’homme a toujours été totalement applicable à l’ensemble des détenus. Pour ceux qui ont été arrêtés lors du conflit international armé en Afghanistan, la protection de certains droits a pu être renforcée par les dispositions du droit international humanitaire (DIH) pour la durée de ce conflit. Toutefois, depuis la fin de ce conflit armé international, les normes internationales relatives aux droits de l’homme se sont appliquées tout à fait normalement.
5. L’Assemblée salue et soutient les travaux du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et des divers mécanismes de protection des droits de l’homme des Nations Unies, ainsi que ceux des diverses organisations non gouvernementales, notamment Human Rights First, Center for Constitutional Rights et Amnesty International, dans leur lutte pour améliorer les conditions de détention à Guantánamo Bay et garantir le respect des droits des prisonniers. Elle remercie également la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) pour son avis sur la nécessité éventuelle d’un développement des Conventions de Genève, rédigé en réponse à la demande de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assemblée.
6. L’Assemblée retient les témoignages de M. Jamal Al Harith, ancien détenu, ainsi que ceux des avocats représentant les personnes anciennement ou actuellement détenues et des experts internationaux, entendus lors de l’audition que la commission des questions juridiques et des droits de l’homme a tenue à Paris le 17 décembre 2004.
7. Sur la base d’une analyse approfondie des éléments juridiques et factuels produits par ces sources et d’autres sources fiables, l’Assemblée conclut que les circonstances entourant la détention de personnes à Guantánamo Bay par les Etats-Unis présentent des illégalités et ne se conforment pas au principe de l’Etat de droit, pour les motifs suivants :
de nombreux détenus, si ce n’est tous, ont été soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui ont été le résultat direct d’une politique officielle autorisée aux plus hauts niveaux du gouvernement ;
de nombreux détenus ont été soumis à des mauvais traitements qui équivalent à de la torture, pratiqués systématiquement, et avec la complicité du Gouvernement des Etats-Unis, en toute connaissance de cause ;
les droits des personnes détenues en liaison avec le conflit armé international mené auparavant par les Etats-Unis en Afghanistan d’être considérées par présomption comme prisonniers de guerre (PG), et de voir leur statut déterminé de manière indépendante par un tribunal compétent, n’ont pas été respectés ;
de nombreuses violations des droits des détenus à la liberté et à la sûreté de la personne ont été commises, sous diverses formes, rendant ainsi leur détention arbitraire ;
de nombreuses violations du droit des détenus à un procès équitable ont été commises, sous diverses formes, ce qui constitue un déni de justice flagrant ;
les Etats-Unis ont fait usage de la pratique illégale de la détention secrète ;
en pratiquant la «restitution», c’est-à-dire le transfert de personnes vers d’autres pays, en dehors de toute procédure judiciaire, aux fins d’interrogatoire ou de détention, les Etats-Unis ont autorisé que les détenus soient soumis, dans d’autres pays, à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’interdiction de non-refoulement ;
les propositions des Etats-Unis de renvoi ou de transfert de détenus dans d’autres pays, même lorsqu’elles s’accompagnent «d’assurances diplomatiques» concernant le traitement futur des personnes détenues, risquent de violer l’interdiction de non-refoulement.
8. Par conséquent, l’Assemblée demande instamment au Gouvernement américain de faire respecter les principes de la prééminence du droit et des droits de l’homme, en mettant fin à ces situations et, en particulier :
de cesser sur-le-champ tout mauvais traitement des détenus à Guantánamo Bay ;
d’enquêter, de poursuivre en justice et de sanctionner tout cas de mauvais traitement illégal des détenus, quel que soit le statut ou la fonction de la personne responsable ;
d’autoriser tous les détenus à solliciter l’examen de la légalité de leur détention par un tribunal régulièrement constitué, compétent pour ordonner leur libération si la détention n’est pas légale ;
de libérer sur-le-champ tous les détenus pour lesquels il n’existe pas de preuve suffisante justifiant leur inculpation pénale ;
d’inculper les personnes soupçonnées d’infractions pénales et de les traduire en justice sans plus attendre devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, qui offre toutes les garanties procédurales requises par le droit international, tout en excluant l’imposition de la peine de mort contre eux ;
de respecter ses obligations découlant du droit international et de la Constitution des Etats-Unis d’exclure toute déclaration dont il a été établi qu’elle a été obtenue par la torture ou par des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de mauvais traitements pour établir qu’une déclaration a été faite ;
de cesser sur-le-champ la pratique des détentions secrètes et de garantir le respect plein et entier des droits de tous les détenus actuellement mis au secret, en particulier l’interdiction de la torture et de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant, ainsi que les droits à ce que leurs proches soient informés de leur détention, à la reconnaissance de sa personnalité juridique, au contrôle juridictionnel de la légalité de leur détention, et à être libéré ou jugé à bref délai ;
de permettre l’accès de tous les détenus aux membres de leur famille, à leurs représentants légaux, aux représentants consulaires et aux membres des organisations internationales humanitaires et des droits de l’homme ;
de cesser la pratique de «restitution», qui viole l’interdiction de non-refoulement ;
de ne pas renvoyer ou transférer les détenus en se fondant sur des «assurances diplomatiques» de pays connus pour recourir systématiquement à la torture et dans tous les cas si l’absence de risque de mauvais traitement n’est pas fermement établie ;
de se conformer pleinement et rapidement aux recommandations du CICR, et d’éviter toute action susceptible de nuire à ses activités, à sa réputation ou à son statut.
9. L’Assemblée invite de surcroît le Gouvernement américain à garantir que la «guerre contre la terreur» est menée à tous les égards conformément au droit international, notamment aux droits de l’homme internationaux et au droit international humanitaire.
10. De plus, l’Assemblée invite instamment les Etats membres du Conseil de l’Europe :
à renforcer leurs efforts diplomatiques pour protéger les droits et garantir la libération de tous leurs citoyens, ressortissants ou anciens résidents, actuellement détenus à Guantánamo Bay, qu’ils y soient légalement obligés ou pas ;
en ce qui concerne leurs citoyens, ressortissants ou anciens résidents, qui ont été renvoyés dans leur pays ou transférés depuis leur détention à Guantánamo Bay ;
a. à traiter ces personnes conformément aux dispositions habituelles du droit pénal, en respectant la présomption favorable à une remise en liberté immédiate dès leur arrivée ;
b. à fournir à ces personnes le soutien et l’assistance nécessaires, notamment une aide juridique pour les actions en justice concernant leur détention à Guantánamo Bay ;
c. à protéger contre tout préjugé ou discrimination ces personnes et à assurer leur bien-être physique et mental durant le processus de réintégration ;
d. à veiller à ce que ces personnes ne subissent pas de préjudice à leurs droits ou intérêts consécutivement à leur détention illégale à Guantánamo Bay, notamment en ce qui concerne leur statut d’immigration ;
à ne pas permettre à leurs autorités de participer ou d’assister à l’interrogatoire des détenus à Guantánamo Bay ;
à respecter leurs obligations découlant du droit international d’exclure toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ou par des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de mauvais traitements, pour établir qu’une déclaration a été faite ;
à refuser d’accéder aux demandes formulées par les Etats-Unis d’extradition de personnes suspectées de terrorisme et susceptibles d’être détenues à Guantánamo Bay ;
à refuser d’accéder aux demandes d’entraide judiciaire des Etats-Unis concernant des détenus de Guantánamo Bay, sauf à présenter des éléments de preuve à décharge, ou à moins que ce ne soit à propos d’un procès devant un tribunal régulièrement constitué ;
à veiller à ce que leurs territoire et installations ne soient pas utilisés pour pratiquer la détention secrète ou la restitution, en violation éventuelle des principes des droits de l’homme internationaux ;
à respecter la nature erga omnes des droits de l’homme, en prenant toutes les mesures utiles pour convaincre les autorités américaines de respecter pleinement les droits de tous les détenus de Guantánamo Bay issus du droit international.
11. Enfin, l’Assemblée décide de poursuivre l’examen de la situation dans le cadre d’un dialogue bilatéral avec le Congrès américain.