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Recommandation 1774 (2006)
Présence turque en Europe: travailleurs migrants et nouveaux citoyens européens
1. Les migrations continues de travailleurs
turcs à destination de l’Europe ont commencé avec le premier accord
bilatéral signé entre l’Allemagne et la Turquie, en 1961. A l’époque,
il s’agissait de travailleurs contractuels, conformément à des accords
passés entre la Turquie et les pays d’accueil, venant principalement de
zones rurales de la Turquie. D’autres pays industriels d’Europe
ont depuis attiré ces travailleurs (à savoir l’Autriche, la Belgique,
la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse).
2. Les migrations turques vers l’Europe occidentale se sont poursuivies
au cours des années 1970, du fait du regroupement familial ou de
l’asile politique. La période plus récente, de 1989 à 2006, a été
caractérisée par un déclin du nombre de cas de regroupement familial,
qui ont fait place à des mariages contractés par des immigré(e)s
dit(e)s «de la deuxième génération» et avec des personnes de nationalité
turque. La diminution actuelle des mouvements d’émigration en provenance
de Turquie est due également à une baisse considérable du nombre
de demandeurs d’asile et à la recherche de nouvelles opportunités
économiques dans la région de la Communauté d’Etats indépendants
et au Proche-Orient.
3. Le nombre d’immigrés turcs vivant dans les principaux pays
d’accueil européens reste stable ou en décroissance légère mais
constante (en Allemagne, par exemple), ou encore décline rapidement
à la suite de l’acquisition de la citoyenneté (en Belgique). De
nouveaux pays d’immigration sont apparus, notamment l’Italie, l’Espagne
et la Finlande. Au total, environ 3 millions d’immigrés turcs vivent
aujourd’hui en Europe et approximativement 1,2 million d’entre eux
ont acquis la nationalité du pays hôte.
4. Le niveau d’intégration des résidents turcs des première,
deuxième et même troisième générations a fait l’objet de vifs débats
politiques et même de controverses dans un certain nombre d’Etats
membres. Jusqu’à la moitié des années 1980, la Turquie ainsi que
les pays d’accueil ont toujours considéré qu’il s’agissait de travailleurs
«hôtes» (Gastarbeiter), qui
allaient rentrer un jour ou l’autre en Turquie. Cette idée fort
répandue a dès le départ faussé le débat sur l’intégration et, de
ce fait, les pays d’accueil ne se sont pas investis dans une politique
d’intégration.
5. L’Assemblée parlementaire considère que l’identité sociale
et culturelle forte des immigrés turcs et des ressortissants européens
d’ascendance turque ne devrait pas être perçue comme un obstacle
à une pleine intégration. Le rôle des immigrés turcs dans le développement
des liens culturels et économiques avec la Turquie représente une
chance et non une menace pour la poursuite de l’intégration européenne.
6. Les liens multiples et substantiels des immigrés turcs et
des ressortissants européens d’ascendance turque avec leur pays
d’origine ne se caractérisent pas seulement par le dynamisme économique
et la richesse culturelle, mais aussi par la transmission des valeurs
européennes, qui contribue à l’évolution positive de la démocratie
turque et au respect de la primauté du droit et des droits de l’homme.
La perspective de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne
en est un excellent exemple. La proportion élevée d’affaires concernant
la Turquie portées devant la Cour européenne des Droits de l’Homme
en est un exemple frappant, avec des requérants de plus en plus
conscients de leurs droits en vertu de la Convention et prêts à
les défendre.
7. Il va de soi que l’intégration est un processus à deux sens,
qui exige une estime mutuelle et des efforts soutenus aussi bien
de la part de la société d’accueil que de la population immigrée
et de ses descendants, afin de parvenir à une vie en commun sans
tensions. Si les autorités et la population du pays d’accueil doivent contribuer
à la réception des immigrés et à leur intégration économique, sociale
et culturelle, en les protégeant de toutes formes de discrimination,
la population immigrée, soutenue par les autorités du pays d’accueil,
doit elle aussi tout mettre en œuvre pour se conformer aux coutumes
de la société hôte – en apprenant sa langue, en observant ses habitudes
et ses codes, et en se conformant à la loi et aux réglementations.
8. Il y aurait lieu de s’employer à corriger de nombreuses inégalités
de traitement, souvent associées au travail occasionnel, au travail
au noir, à l’éducation et à la formation professionnelle, aux prestations
liées à la retraite et à la sécurité sociale, au regroupement familial,
aux retours, aux envois de fonds, à la libre circulation et à la
question de la pluralité de nationalités.
9. L’Assemblée rappelle, par conséquent, les principes et droits
fondamentaux énoncés dans les instruments du Conseil de l’Europe
– qui ont été adoptés en vue de garantir le développement économique
et social tout en permettant d’exercer et de maintenir les droits
de l’homme et les libertés fondamentales, sans aucune discrimination
fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la religion et
les opinions politiques. Il est notamment fait référence, à cet
égard, à la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5)
et à ses protocoles, à la Charte sociale européenne révisée (STE
no 163), à la Convention européenne relative au
statut juridique du travailleur migrant (STE no 93),
à la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique
au niveau local (STE no 144), au Code
européen de sécurité sociale (STE no 48)
et à la Convention européenne d’assistance sociale et médicale (STE
no 14). On peut citer également la Convention internationale
des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille, ratifiée par la Turquie.
10. L’Assemblée est préoccupée par le fait que les politiques
et pratiques nationales concernant les travailleurs migrants et
leur famille, y compris les immigrés venant de Turquie, répondent
de moins en moins aux normes juridiques internationales.
11. Eu égard à ce qui précède, l’Assemblée parlementaire recommande
au Comité des Ministres:
11.1. de
renforcer les mécanismes du Conseil de l’Europe pour le suivi d’instruments
juridiques, en particulier des dispositions relatives aux droits
des migrants, telles que l’article 19 de la Charte sociale européenne
révisée;
11.2. d’introduire des sanctions plus efficaces en cas d’inobservation;
11.3. d’appeler les Etats membres:
11.3.1. à signer,
à ratifier et à mettre en œuvre, selon le cas, les instruments juridiques pertinents
du Conseil de l’Europe, à savoir la Convention européenne des Droits
de l’Homme et ses protocoles, la Charte sociale européenne révisée,
la Convention européenne relative au statut juridique du travailleur
migrant, la Convention sur la participation des étrangers à la vie publique
au niveau local, le Code européen de sécurité sociale et la Convention
européenne d’assistance sociale et médicale;
11.3.2. à impliquer les associations de migrants dans le processus
de suivi et à éliminer, lorsqu’il y a lieu, les obstacles à cette
participation;
11.3.3. plus spécifiquement:
11.3.3.1. à appliquer des politiques
volontaristes pour combattre la discrimination et l’intolérance;
11.3.3.2. à faciliter, aux travailleurs migrants, l’accès à l’information
ainsi que l’accès à leurs droits en pratique;
11.3.4. en ce qui concerne la délivrance de permis de travail
et de permis de résidence:
11.3.4.1. à fixer des délais limites
raisonnables de délivrance de ces permis, ne dépassant pas six mois;
11.3.4.2. à limiter les droits afférents au permis de travail et
de résidence à des coûts administratifs n’excédant pas les droits
perçus pour la délivrance de passeports aux nationaux;
11.3.4.3. à garantir que soit octroyé automatiquement un statut
de résident aux enfants de titulaires de permis de travail ou de
résidence;
11.3.4.4. à cesser d’ordonner la reconduite immédiate à la frontière,
à l’expiration du permis de travail ou de résidence;
11.3.4.5. à garantir que soit délivré automatiquement un permis
de résidence aux immigrés ayant séjourné légalement de manière continue
dans le pays depuis plus de cinq ans;
11.3.5. en matière de sécurité sociale et d’assurance-maladie:
11.3.5.1. à garantir aux résidents des droits égaux à ceux des nationaux;
11.3.5.2. en cas de retour volontaire, à garantir des droits égaux
à ceux des nationaux concernant les transferts de prestations de
sécurité sociale et d’assurance-maladie;
11.3.6. dans le domaine de l’éducation:
11.3.6.1. en coopération
avec le pays d’origine, à promouvoir l’éducation dans la langue
maternelle parallèlement à l’éducation ordinaire;
11.3.6.2. à éviter la ségrégation des enfants d’immigrés dans des
établissements spéciaux;
11.3.6.3. à offrir aux enfants d’immigrés des possibilités égales
en matière d’éducation et de carrière, en évitant de les cantonner
dans des secteurs de l’économie à faibles qualifications et bas
salaires;
11.3.6.4. à organiser à l’intention des travailleurs immigrés et
de leur famille, particulièrement au niveau local, l’apprentissage,
gratuit dans la mesure du possible, de la langue du pays d’accueil,
au moyen de cours sur mesure, pratiques et axés sur les principaux
centres d’intérêt de leur vie, ainsi que l’initiation aux règles
de droit, aux valeurs démocratiques fondamentales, incluant l’égalité
entre les hommes et les femmes, adaptée aux besoins spécifiques
des femmes immigrées, et à assurer l’évaluation de l’efficacité
de ces dispositifs;
11.3.6.5. à élaborer des formations spécifiques pour les instituteurs
sur le thème «comment vivre dans une société multiculturelle/comment
vivre la diversité?» et à prévoir dans l’enseignement primaire des
cours pour les enfants (aussi bien les enfants d’origine immigrée
que les enfants autochtones) sur le même thème;
11.3.7. dans l’emploi, aussi bien dans le secteur public que dans
le secteur privé:
11.3.7.1. à éliminer les obstacles à l’égalité
dans l’accès à l’emploi et dans l’avancement professionnel;
11.3.7.2. à prendre des mesures pour combattre la discrimination
et l’exclusion au travail, en particulier par le biais de l’instauration
par les employeurs de plans de diversité (qui pourraient contenir
la désignation d’un manager responsable de questions telles que
la diversité, les candidatures anonymes et les quotas), ainsi que
par le biais d’un investissement plus actif des syndicats dans la
défense des droits des travailleurs immigrés;
11.3.7.3. à prendre des mesures pour développer l’accès des travailleurs
immigrés, en particulier des travailleurs indépendants, à la formation
professionnelle;
11.3.8. en matière d’intégration:
11.3.8.1. à élaborer des
politiques encourageant la participation active des immigrés à la
vie sociale, culturelle, économique et politique du pays d’accueil;
11.3.8.2. à éliminer les obstacles au droit d’association des immigrés
afin de protéger leurs droits sociaux, économiques et politiques,
en vue d’une participation active au sein des associations, des
syndicats et des partis politiques, et aux élections;
11.3.8.3. à permettre la double nationalité, qui doit être considérée
comme un moyen d’élever le niveau d’intégration tout en préservant
la diversité culturelle et les liens avec le pays d’origine;
11.3.8.4. à prendre des mesures encourageant le respect des diverses
cultures et religions, en tant que facteur essentiel de la stabilité
et de la paix sociales.