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Résolution 1562 (2007)

Détentions secrètes et transferts illégaux de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe : second rapport

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 27 juin 2007 (23e séance) (voir Doc. 11302, rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, rapporteur: M. Marty). Texte adopté par l’Assemblée le 27 juin 2007 (23e séance).

1. L’Assemblée parlementaire rappelle sa Résolution 1507 (2006) et sa Recommandation 1754 (2006), relatives aux allégations de détentions secrètes et de transferts interétatiques illégaux de détenus concernant des Etats membres du Conseil de l’Europe, et se réfère au rapport du 12 juin 2006 
			(1) 
			Doc. 10957. qui révélait l’existence d’une «toile d’araignée» de transferts illégaux de détenus tissée par la Central Intelligence Agency (CIA) dans laquelle ont été impliqués des Etats membres du Conseil de l’Europe, et qui exprimait des soupçons quant à l’existence de lieux de détention secrets en Pologne et en Roumanie.
2. Elle considère désormais comme établie avec un haut degré de probabilité l’existence, pendant plusieurs années, de tels centres de détention secrets tenus par la CIA dans ces deux pays, sans pour autant exclure que des détentions secrètes par la CIA aient pu également exister dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe.
3. L’analyse des données concernant des mouvements de certains avions obtenues de différentes sources, notamment celles des autorités de contrôle aérien international, complétée par de nombreux témoignages crédibles et concordants, a permis d’identifier les lieux concernés.
4. Ces lieux de détention secrets faisaient partie du programme HVD (High-Value Terrorist Detainee/détenus terroristes de grande importance) évoqué publiquement par le Président des Etats-Unis le 6 septembre 2006.
5. L’analyse de ce programme, fondée sur des informations obtenues de nombreuses sources des deux côtés de l’Atlantique, montre que les détenus considérés comme particulièrement sensibles – dont certains mentionnés par le Président des Etats-Unis – ont été détenus en Pologne. Pour des raisons logistiques et de sécurité, des détenus considérés comme moins importants ont été incarcérés en Roumanie.
6. Le programme HVD a été mis en place par la CIA avec la coopération de partenaires européens officiels, appartenant à des services gouvernementaux, et a été tenu secret pendant de longues années grâce à un strict respect des règles de confidentialité fixées dans le cadre de l’OTAN. La mise en œuvre de ce programme a donné lieu à de nombreuses et graves violations des droits de l’homme.
7. Les détenus ont été soumis à des traitements inhumains et dégradants, parfois pendant une longue période. Certaines méthodes d’interrogatoire «renforcées» utilisées correspondent à la définition de la torture et des traitements inhumains et dégradants de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5) et de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En outre, la détention secrète en tant que telle viole de nombreux engagements internationaux souscrits aussi bien par les Etats-Unis que par les Etats membres du Conseil de l’Europe concernés.
8. L’Assemblée note que les concepts de secret d’Etat ou de sécurité nationale invoqués sous différentes formes et avec différentes conséquences par de nombreux gouvernements (Allemagne, Italie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Pologne, Roumanie, Fédération de Russie dans le Caucase du Nord, Etats-Unis) rendent plus difficile l’aboutissement des procédures judiciaires et/ou parlementaires visant à établir les responsabilités en ce qui concerne la réhabilitation et le dédommagement des victimes présumées des violations. Dans plusieurs pays (Allemagne, Italie, Etats-Unis), des questions juridiques concernant les limites du secret d’Etat et de l’immunité de l’exécutif sont toujours pendantes devant les plus hautes juridictions nationales.
9. Les informations ainsi que les preuves relatives à la responsabilité civile, pénale ou politique des représentants de l’Etat concernant des violations graves des droits de l’homme ne doivent pas être considérées comme dignes de protection en tant que secrets d’Etat. Lorsqu’il n’est pas possible de séparer de tels cas des véritables secrets d’Etat légitimes, il est nécessaire de mettre en place des procédures appropriées assurant que les responsables rendent compte de leurs actions tout en préservant le secret d’Etat.
10. L’éventail du domaine réservé de l’exécutif, soustrait au contrôle parlementaire et judiciaire au titre du secret d’Etat et de la sécurité nationale sur la base d’une législation ou jurisprudence datant des pires périodes de la guerre froide, doit être revu pour tenir compte des principes de la démocratie et de la prééminence du droit.
11. L’Assemblée s’inquiète également des menaces pour la liberté d’action des gouvernements européens résultant de leur implication, secrète, dans les activités illégales de la CIA. Le travail de vérité, déjà indispensable pour des raisons de principe, constitue aussi le meilleur moyen de rétablir la coopération vitale entre les services secrets pour la prévention et la répression du terrorisme sur une base saine et durable.
12. Seuls la Bosnie-Herzégovine et le Canada, Etat observateur auprès du Conseil de l’Europe, ont reconnu pleinement leurs responsabilités concernant des transferts illégaux de détenus.
13. La délégation parlementaire de la Roumanie a fait preuve d’une volonté ferme de coopération avec l’Assemblée, mais elle s’est heurtée elle-même à la réticence des autorités gouvernementales à faire toute la lumière sur les agissements de la CIA sur le territoire roumain.
14. En Italie, le procès contre les ravisseurs d’Abou Omar se heurte à des considérations de secret d’Etat. L’Assemblée s’inquiète vivement des poursuites engagées récemment contre les procureurs milanais eux-mêmes pour violation de secret d’Etat. Elle considère de telles poursuites comme des entraves intolérables à l’indépendance de la justice.
15. En Allemagne, le travail de la commission d’enquête du Bundestag se poursuit de manière vigoureuse. Mais la justice, engagée dans la poursuite des ravisseurs de Khaled El-Masri, se heurte toujours au manque de coopération des autorités américaines et macédoniennes. Khaled El-Masri attend toujours la réhabilitation et le dédommagement qui lui sont dus, à l’instar de Maher Arar, victime d’une affaire semblable au Canada.
16. L’Assemblée réaffirme solennellement sa position selon laquelle le terrorisme doit et peut être combattu par des moyens qui respectent les droits de l’homme et la prééminence du droit. Cette position de principe, fondée sur les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe, est aussi celle qui assure le mieux l’efficacité du combat contre le terrorisme à long terme.
17. L’Assemblée regrette que l’OTAN n’ait pas accepté de coopérer avec le rapporteur et demande aux parlements et aux gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe qui sont aussi membres de l’OTAN de faire toute la lumière sur l’ampleur de la pratique des vols secrets de la CIA et des détentions secrètes en Europe.
18. L’Assemblée appelle donc:
18.1. les gouvernements de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe:
18.1.1. à s’engager sans réserve à ne plus jouer à l’avenir aucun rôle dans l’autorisation du transport via leur territoire de personnes actuellement encore détenues à Guantánamo ni dans la détention de telles personnes pour quelque durée que ce soit;
18.1.2. à mettre à la disposition de leur parlement national, si celui-ci juge bon de procéder à une enquête, toutes les informations pertinentes qu’ils détiennent, y compris les témoignages relatifs au rôle joué par l’Etat concerné dans la pratique des restitutions extraordinaires ou dans l’incarcération de détenus dans des centres secrets situés sur leur territoire;
18.2. les gouvernements de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui n’ont pas répondu à la demande du rapporteur et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe à expliquer en détail les raisons de leur manque de coopération;
18.3. les parlements et les autorités judiciaires de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe:
18.3.1. à faire toute la lumière, en réduisant à un minimum raisonnable les entraves à la transparence fondées sur les concepts du secret d’Etat et de la sécurité nationale, sur les abus des services secrets sur leur territoire en matière de détentions secrètes et de transferts illégaux de détenus;
18.3.2. à assurer que les victimes de telles pratiques illégales soient réhabilitées et dédommagées dignement;
18.4. l’OTAN à rendre publics les éléments supplémentaires de son autorisation du 4 octobre 2001 qui sont jusqu’à présent restés secrets;
18.5. les médias à jouer pleinement leur rôle de défenseurs de la transparence, de la recherche de la vérité, de la tolérance ainsi que des droits et de la dignité de l’homme;
18.6. les autorités compétentes de tous les Etats membres à mettre en œuvre les autres propositions contenues dans sa Résolution 1507 (2006).
19. Finalement, l’Assemblée réaffirme l’importance de mettre en place, en son sein, un véritable mécanisme européen d’enquête parlementaire.