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Résolution 1655 (2009)

Migrations et déplacements induits par les facteurs environnementaux: un défi pour le XXIe siècle

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 30 janvier 2009 (9e séance) (voir Doc. 11785, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et de la population, rapporteur: Mme Acketoft; et Doc. 11814, avis de la commission de l’environnement, de l’agriculture et des questions territoriales, rapporteur: M. Ivanov). Texte adopté par l’Assemblée le 30 janvier 2009 (9e séance). Voir également la Recommandation 1862 (2009).

1. Les migrations – à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières – sont l’une des plus anciennes stratégies pour faire face à la dégradation des conditions environnementales. L’augmentation de l’intensité et de l’échelle géographique des changements environnementaux provoquée ou exacerbée par le changement climatique et par l’activité humaine a toutefois conduit de nombreux experts des milieux universitaires et de la communauté internationale à qualifier les migrations induites par des causes environnementales de phénomène d’un genre nouveau et de nouveau défi pour le XXIe siècle.
2. L’Assemblée parlementaire considère que les catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement seront des facteurs de plus en plus déterminants de mobilité humaine; elles auront des incidences sur un plan humanitaire et sur la sécurité des personnes qu’il importe d’analyser sans plus tarder.
3. Elle note avec préoccupation les estimations drastiques prévoyant des flux migratoires ingérables provoqués par les problèmes environnementaux. A ce jour, plus de 30 millions de personnes sont déjà déplacées à travers le monde en raison de l’accroissement de la désertification, de la sécheresse, de la montée du niveau des mers, des accidents industriels, des grands projets d’infrastructures et d’épisodes climatiques extrêmes, et ce chiffre est en forte hausse. Il est inquiétant d’observer que le nombre de personnes concernées est déjà supérieur à celui des personnes contraintes de quitter leur foyer à cause de conflits armés et de persécutions.
4. Les personnes les plus menacées sont celles qui vivent dans les pays les moins développés, dont la capacité de prévention, d’adaptation et de réduction des effets du changement climatique est très faible, y compris celles qui résident dans des zones côtières basses et dans des zones extrêmement surpeuplées. L’Europe n’est pas à l’abri des conséquences du changement climatique ni des migrations induites par des facteurs environnementaux.
5. Les migrations pour raisons environnementales découlent rarement d’une seule cause. Les liens de cause à effet sont de plus en plus complexes et multifactoriels. Un nombre croissant de personnes fuient pour de multiples raisons: discrimination et atteintes aux droits de l’homme, dégradation de l’environnement, rivalité pour des ressources rares et difficultés économiques dues aux dysfonctionnements de l’Etat. Certaines partent volontairement, d’autres parce qu’elles n’ont pas d’autre choix; d’autres encore peuvent prendre la décision de partir avant que la situation ne leur laisse pas d’autre choix. Les divers effets et l’ensemble complexe de facteurs influents brouillent les notions traditionnelles de migration et de déplacement, créant ainsi la confusion parmi les communautés universitaires et internationales sur la question de savoir s’il faut parler de «migration» ou de «déplacement» dans le cas de personnes qui fuient des catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement.
6. L’environnement interagit doublement avec les migrations: des changements environnementaux soudains ou progressifs à la suite d’une catastrophe peuvent entraîner des déplacements de population à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières; de plus, les «migrations environnementales» massives ont une incidence sur l’environnement dans les zones d’origine, de transit et de destination, notamment lorsque d’importantes concentrations de population sont contraintes d’aller chercher refuge dans des régions fragiles sur le plan écologique. L’Assemblée estime qu’il est urgent de mieux faire comprendre l’effet direct des migrations sur l’environnement des zones concernées.
7. En outre, les migrations peuvent entraîner une diversification positive et proactive, et former une stratégie de développement adoptée par des foyers, des individus, parfois même par des communautés entières, pour améliorer leur qualité de vie et diminuer les risques et la vulnérabilité. Les migrations massives peuvent néanmoins avoir des impacts négatifs, notamment l’intensification de la crise humanitaire et l’urbanisation rapide qui s’accompagne de l’extension des quartiers de taudis et de la stagnation du développement.
8. Il est fondamental de noter que la migration environnementale induite par le changement climatique est un processus mondial et non une crise locale. Par conséquent, en plus des pouvoirs locaux et nationaux, la communauté internationale a la responsabilité d’intervenir en amont. Elle doit prendre des mesures appropriées de prévention, d’adaptation et de réduction des risques pour limiter la vulnérabilité des pays «sensibles» aux impacts des catastrophes environnementales et pour gérer l’évolution des processus environnementaux.
9. Causés par un manque de ressources associé à une mauvaise gestion publique et à une piètre gouvernance, les flux migratoires de grande ampleur peuvent conduire à des situations instables et conflictuelles. De telles situations peuvent à leur tour provoquer des flux plus importants de réfugiés et des déplacements internes de population, et, plus généralement, nuire à la stabilité politique mondiale et à la sécurité humaine. L’Assemblée estime que, pour éviter des scénarios aussi négatifs, l’Europe doit être en première ligne pour faire face au problème croissant et partagé des migrations et des déplacements environnementaux.
10. Les groupes vulnérables tels que les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées et les populations indigènes des pays pauvres sont exposés à des risques cumulés et exigent une attention spéciale. Les personnes âgées quittent leur milieu de vie habituel et elles ont peu de possibilités d’adaptation. Les enfants sont privés de leur milieu ethnoculturel et, souvent, de la libre communication dans leur langue maternelle, ce qui est un élément important dans leur formation et leur perception du monde. L’Assemblée observe notamment que, en raison des rôles et des activités traditionnellement assignés aux femmes dans de nombreuses sociétés, les femmes sont plus vulnérables que les hommes aux effets du changement climatique. Elle souligne l’importance de reconnaître les impacts du changement climatique liés au sexe dès les premiers stades de l’élaboration des politiques.
11. On s’attend à ce que la majorité des mouvements migratoires provoqués par le changement climatique et la dégradation de l’environnement se produisent à l’intérieur des pays, bien que les mouvements transfrontaliers soient plus fréquents. L’Assemblée maintient que toutes les personnes affectées ont besoin d’une protection appropriée en matière de droits de l’homme, sociaux et économiques, qu’elles quittent leur pays ou non. De plus, cette protection devrait prévoir le soutien effectif de la communauté internationale, si le soutien national est insuffisant ou inexistant.
12. L’Assemblée s’inquiète de l’absence de consensus au sein de la communauté internationale en matière de terminologie juridique internationale applicable à la mobilité humaine liée à la dégradation et aux catastrophes écologiques. La variété de termes employés de façon interchangeable de nos jours entrave les progrès nécessaires sur la reconnaissance et sur la protection juridique des personnes déplacées et des «migrants environnementaux».
13. Ce qui pose problème, c’est que la notion de «migration» e terme qui n’a pas non plus de définition universelle a est interprétée de multiples façons. Les organisations humanitaires plaident en faveur du maintien d’une distinction entre la migration transfrontalière et les déplacements internes, ainsi qu’entre les mouvements volontaires et forcés, par crainte d’une éventuelle confusion entre les catégories existantes qu’elles sont chargées de protéger. Elles soutiennent que la définition de «personnes déplacées à l’intérieur d’un pays», telle qu’énoncée dans les Principes directeurs de 1998 des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, inclut déjà les personnes ou groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints de fuir ou de quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel à la suite de catastrophes naturelles ou causées par l’homme, ou pour les éviter.
14. De leur côté, diverses agences qui se concentrent sur des questions plus larges de population et de développement préfèrent parler de «migration environnementale» comme d’un concept global qui inclut toutes les personnes qui ont été poussées à migrer principalement pour des raisons environnementales. Elles maintiennent que la migration inclut tant les mouvements de population internationaux et nationaux, volontaires et forcés, que tous les mouvements intermédiaires.
15. L’Assemblée salue les efforts récemment déployés par l’informel Comité permanent inter-agences des Nations Unies en vue d’établir une terminologie et des notions communes. De son point de vue, il est nécessaire de couvrir l’ensemble des catégories de mobilité humaine pour des raisons environnementales, quelles que soient la durée ou les possibilités de retour, tout en faisant respecter les normes de protection universelles prescrites par les cadres normatifs et le droit international.
16. L’Assemblée note que, tandis qu’il existe une vaste gamme d’instruments juridiques internationaux, nationaux et régionaux bien établis, les conventions et les normes en matière de protection des droits des personnes contraintes au déplacement par la guerre et les persécutions, et dans une certaine mesure par les catastrophes naturelles ou les conflits relatifs aux ressources, le cadre de protection existant comporte toujours une multitude de lacunes. Les personnes que l’on estime contraintes de migrer à cause d’une dégradation progressive de l’environnement pâtissent particulièrement des vides juridiques en matière de protection normative et opérationnelle, aux niveaux national et international. Qui plus est, pour les habitants des petits Etats insulaires qui risquent d’être submergés, les mesures de protection font cruellement défaut dans les traités sur l’apatridie existants.
17. L’Assemblée estime que ces lacunes devraient faire l’objet d’une analyse approfondie et met l’accent sur la nécessité de reconnaître les instruments de protection existants (par exemple pour les personnes déplacées pour des raisons environnementales conformément aux principes directeurs). Elle constate, par ailleurs, qu’aucun cadre juridique ni politique n’est défini pour couvrir l’ensemble des catégories de migrations environnementales au sens large du terme. Elle en appelle donc aux organisations internationales actives dans ce domaine pour qu’elles envisagent l’élaboration d’un cadre spécifique pour la reconnaissance et la protection des migrants environnementaux, dans une convention séparée et/ou comme composante de traités environnementaux multilatéraux.
18. L’Assemblée encourage également les agences respectives des Nations Unies à envisager d’étendre les principes directeurs, aux personnes déplacées à cause d’une dégradation progressive de l’environnement, et à établir en parallèle une synthèse similaire, sous forme de principes, de la législation internationale existante sur les déplacements à l’étranger.
19. Dans ce contexte, notamment en référence à sa Recommandation 1631 (2003) sur les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays en Europe, l’Assemblée fait part de son soutien constant à l’action humanitaire et aux cadres normatifs développés depuis une dizaine d’années pour protéger les personnes auxquelles s’appliquent les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays. Dix ans après l’adoption de l’unique texte de référence pour assister et protéger ces personnes, il semble opportun de se demander si le moment est venu d’améliorer son impact non seulement en s’assurant que ses principes sont prévus par les législations nationales, mais aussi en élaborant un instrument contraignant, comme le fait actuellement l’Union africaine.
20. L’Assemblée s’inquiète toujours du fait que pas une seule organisation internationale ne se focalise aujourd’hui explicitement sur ces problèmes ni sur la protection des personnes ayant dû ou devant quitter leur lieu de résidence habituel principalement ou exclusivement pour des raisons environnementales. Elle reconnaît le rôle moteur que doivent jouer les agences des Nations Unies, en particulier le Haut-Commissariat pour les réfugiés (par exemple dans le dispositif de protection humanitaire), dans l’assistance humanitaire et la protection des personnes qui fuient des catastrophes environnementales.
21. En plus de l’action humanitaire, l’Assemblée encourage la mise en place d’une structure de coordination effective qui rassemblerait les divers organismes internationaux et acteurs concernés. A cette fin, elle invite à la création d’une commission de coordination pour les migrations environnementales chargée de coordonner les travaux des organisations internationales sur les différents aspects du problème des migrations environnementales, notamment la réduction des risques, l’intervention humanitaire, l’adaptation et le développement.
22. L’Assemblée regrette que les migrations et les déplacements provoqués par des catastrophes naturelles ne soient pas intégrés dans les statistiques relatives aux catastrophes. En l’absence d’une organisation globale responsable de la collecte ou de la compilation des statistiques sur les déplacements non liés à des conflits, elle exhorte la communauté humanitaire internationale et tous les pays victimes de catastrophes naturelles à inclure – dans la mesure du possible – les migrants déplacés à l’intérieur et à l’extérieur des frontières dans les statistiques relatives aux catastrophes.
23. Les politiques d’adaptation axées sur la protection de la santé et des moyens de subsistance des populations des pays en voie de développement sont essentielles pour faire face aux conséquences inévitables du changement climatique. Il importe d’accélérer et de soutenir ces politiques par le biais de l’aide internationale au développement.
24. A la lumière de ce qui précède, l’Assemblée invite les Etats membres:
24.1. à favoriser l’adoption d’une définition claire et concrète, qui couvre toutes les formes de mouvements, volontaires ou forcés, et inclut l’ensemble des catégories de mobilité humaine pour des raisons environnementales, applicable par les institutions nationales et par les organisations humanitaires chargées d’aider et d’apporter une protection effective aux personnes concernées; une telle définition devrait être conforme aux normes internationales et régionales, et reconnaître les droits et les besoins de protection différents des personnes touchées;
24.2. à prendre des mesures appropriées pour réduire la vulnérabilité des pays en voie de développement aux effets des catastrophes environnementales et à poursuivre l’évolution des processus environnementaux;
24.3. à entreprendre une étude d’ensemble, y compris la collecte de données brutes, et à élaborer des politiques pour évaluer l’interaction complexe entre changements environnementaux, migrations, déplacements et conflits;
24.4. à contribuer, par une participation active aux travaux des organisations internationales concernées, à l’examen des vides juridiques et d’autres mécanismes de protection en vue de l’élaboration éventuelle d’une nouvelle convention internationale garantissant la protection des personnes déplacées en raison d’une dégradation environnementale et de catastrophes naturelles ou causées par l’homme, lorsque leur retour est impossible;
24.5. à anticiper les travaux au niveau international par l’élaboration d’une législation nationale qui reconnaîtrait les migrants environnementaux et leurs besoins en matière de protection non seulement par le principe de non-refoulement en fonction des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), mais aussi par une protection subsidiaire, par exemple par l’octroi d’un statut de résidence temporaire pour des motifs humanitaires ou d’un statut permanent en cas d’impossibilité de retour;
24.6. à promouvoir une recherche pluridisciplinaire dans des domaines tels que la science du climat, la géographie, les migrations, le développement et l’énergie, les catastrophes, l’environnement, la cohésion sociale et la santé, afin d’améliorer la compréhension et la reconnaissance des liens qui existent entre déplacements de population et facteurs environnementaux;
24.7. à promouvoir la cohérence aux niveaux national et international entre les politiques des migrations, du développement et humanitaires, et les politiques d’adaptation aux changements climatiques, notamment en soutenant l’inclusion des conséquences des changements climatiques sur les migrations et les déplacements à l’accord de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour la succession du Protocole de Kyoto;
24.8. à intégrer une perspective de genre dans l’élaboration des politiques nationales et internationales, et des cadres de protection sur les migrations environnementales.
25. L’Assemblée demande en outre à l’Union européenne de tenir compte des points ci-dessus lors de l’élaboration de sa stratégie globale en matière d’immigration. Cette stratégie est nécessaire aux niveaux européen, régional, national et local. Elle devrait améliorer l’anticipation et la gestion des risques, et la politique d’intervention lors de catastrophes, offrir une protection adéquate aux victimes de perturbations climatiques et environnementales, et fournir des instruments d’indemnisation et de réinstallation. Elle devrait aussi favoriser la prise de conscience des populations et des autorités concernées.
26. En particulier, l’Assemblée encourage l’Union européenne à faire usage de la procédure de révision que prévoit le Plan d’action en matière d’asile afin de mieux traiter l’écart qui existe en matière de protection en ce qui concerne les déplacements pour des raisons environnementales à l’extérieur des frontières. Il convient d’étudier plus attentivement la législation et la jurisprudence finlandaises et suédoises pour voir si elles pourraient servir d’exemples de bonne pratique, voire de modèle, pour un nouvel alinéa, reconnaissant ainsi explicitement les personnes déplacées pour des raisons environnementales à l’extérieur des frontières en Europe.
27. L’Assemblée demande également à l’Union européenne de mettre en place un système approprié de financement, au niveau européen, en vue de soutenir des stratégies de prévention et d’adaptation, des projets de développement et de gestion des migrations ainsi qu’une réaction humanitaire renforcée.
28. L’Assemblée est convaincue que le moment est venu de faire face à la dangereuse dégradation de l’environnement, notamment aux changements climatiques. L’action doit être prompte et coordonnée: les responsables politiques, la communauté scientifique, la société civile et d’autres acteurs – aux niveaux national et international – doivent chercher des solutions communes pour les personnes contraintes d’émigrer ou qui risquent de l’être, à la recherche d’une existence sûre et durable.