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Recommandation 1934 (2010) Version finale
Sévices sur des enfants placés en établissement: garantir la protection pleine et entière des victimes
1. L’Assemblée parlementaire se préoccupe
vivement de l’ampleur des sévices sexuels, physiques et moraux subis
au cours des décennies passées par des enfants et des adolescents
des Etats membres du Conseil de l’Europe. Des problèmes d’abus persistent
dans divers établissements, y compris des établissements d’enseignement
public et privé, des foyers d’enfants, des établissements de redressement pour
jeunes délinquants, des associations de loisirs et autres. L’Assemblée
est, en outre, préoccupée par le manque de détermination parfois
observé dans les mesures prises en cas de délits contre des mineurs,
qui figurent parmi les membres les plus vulnérables de la société.
2. L’Assemblée est convaincue que toutes les autorités et institutions
doivent procéder à un examen critique des actions menées dans le
passé et prendre des mesures plus radicales dans le futur pour rendre pleinement
justice aux victimes de sévices passés, apporter une assistance
aux enfants concernés par des délits récents et des procédures judiciaires
en cours, et protéger les enfants contre des abus futurs. Aucune autorité
ou institution ne devrait être exempte d’un examen critique, étant
donné que toutes les institutions sans exception sont assujetties
à la même législation nationale, en particulier dans le domaine
du droit pénal. Les Etats devront dorénavant prendre des actions
plus fermes au niveau national pour renforcer la législation concernant
les abus sur les enfants et l’appliquer aux différents cadres institutionnels.
3. L’article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux
droits de l’enfant fait obligation à toutes les Parties contractantes
de prendre «toutes les mesures législatives, administratives, sociales
et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme
de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales,
d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation,
y compris la violence sexuelle», et précise que ces mesures devraient
comprendre «des procédures efficaces pour l’établissement de programmes
sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux
à qui il est confié». Au niveau du Conseil de l’Europe, la Convention
sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus
sexuels (STCE no 201, Convention de Lanzarote),
qui est entrée en vigueur le 1er juillet
2010, contient des dispositions claires et exhaustives concernant
les abus sexuels sur des enfants. La convention énonce clairement
que chaque Partie contractante prend les mesures législatives ou
autres pour ériger en infraction pénale les comportements intentionnels
d’abus sexuels commis sur des enfants par des personnes «abusant
d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence
sur l’enfant». L’Assemblée rappelle, en outre, aux Etats membres
la Recommandation Rec(2005)5 du Comité des Ministres relative aux
droits des enfants vivant en institution, qui reconnaît aux enfants
«le droit au respect de la dignité humaine et à l’intégrité corporelle,
et en particulier à des conditions de vie humaines et non dégradantes,
et à une éducation sans violence, y compris la protection contre
les punitions corporelles et toute forme d’abus». L’Assemblée souligne l’importance
de renforcer la promotion, la signature, la ratification et la mise
en œuvre de ces instruments pour accroître leur impact sur la situation
des enfants.
4. Concernant les cas d’abus sur des enfants qui ont été récemment
révélés et continuent de l’être, et les normes en vigueur en matière
d’abus sexuels, physiques et moraux commis sur des enfants, l’Assemblée recommande
au Comité des Ministres de demander aux Etats membres de prendre
les mesures suivantes:
4.1. garantir
une protection législative, et en particulier:
4.1.1. adopter
une législation interdisant expressément toute forme de violence
à l’encontre de l’enfant: violences, atteintes, sévices physiques
ou mentaux (y compris la violence sexuelle), l’abandon ou la négligence,
les mauvais traitements ou l’exploitation, y compris dans les établissements
de prise en charge d’enfants, les établissements d’enseignement
publics et privés, les établissements de redressement et les associations
de loisirs, afin d’ériger en infraction pénale tout mauvais traitement
infligé intentionnellement à un enfant par une personne abusant
d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence
sur celui-ci;
4.1.2. prévoir des poursuites d’office pour les maltraitances
commises sur des enfants dans un cadre quelconque;
4.1.3. mettre en place un système de «graduation des peines»
pour les cas d’abus sur des enfants en fonction de la gravité du
délit;
4.1.4. veiller à ce que les délais de prescription en matière
civile et pénale pour les délits de maltraitance d’enfants soient
cohérents et adaptés à la gravité des délits, et que, en tout état
de cause, ils ne prennent pas effet avant que la victime ait atteint
l’âge de la majorité;
4.1.5. définir ou réviser les droits et devoirs du personnel
éducatif;
4.1.6. définir et réviser les exigences minimales en matière
d’habilitation aux établissements de prise en charge d’enfants (tels
que les foyers d’enfants, les établissements d’enseignement publics
et privés, les garderies, etc.) et en matière de conditions à remplir
par leurs directions;
4.1.7. rendre obligatoires les certificats d’habilitation de
la police pour tout le personnel professionnel et bénévole travaillant
étroitement avec les enfants (qui devraient également prendre en
compte les délits mineurs commis);
4.1.8. qualifier d’illégales et exclure certaines pratiques utilisées
pour punir les mineurs dans les établissements, qui sont contraires
à leur dignité et à leurs droits;
4.2. identifier les éventuelles lacunes structurelles dans
tous les types d’établissement et adapter les systèmes administratifs
existants, en cas de nécessité, par les mesures suivantes:
4.2.1. analyser les facteurs favorisant les sévices sur les enfants
placés dans les divers établissements et prendre des mesures spécifiques
pour y répondre;
4.2.2. sur la base des connaissances qui seront acquises, développer
et assurer le suivi de l’application des directives internes en
matière de prévention des abus sur des enfants qui doivent être
respectées par tous les établissements sans aucune exception et
s’appliquer à eux;
4.2.3. renforcer les règles et modalités de contrôle externe
des différentes institutions, en particulier veiller à ce que la
gestion et le contrôle des établissements ne soient jamais confiés
à la même autorité, et donner aux organes chargés du contrôle des
structures et des mandats clairs et précis;
4.2.4. élaborer des programmes spécifiques d’enseignement et
de formation continue destinés à tous les professionnels et bénévoles
travaillant avec des enfants et des adolescents, pour leur permettre
d’identifier des abus potentiels et de réagir de façon adéquate
aux situations d’abus; ces programmes et formations devraient également
concerner la police, les procureurs et les juges chargés du traitement
des cas de maltraitance d’enfants;
4.2.5. faire en sorte que le personnel et les enfants connaissent
bien le règlement intérieur de leur établissement (et leurs droits
respectifs);
4.2.6. mettre en place des organes neutres, indépendants et respectueux
des enfants auxquels ces derniers peuvent s’adresser en toute sécurité
et qu’ils peuvent consulter en toute confidentialité chaque fois
qu’ils se sentent menacés, subissent des sévices ou sont témoins d’abus
dans leurs établissements;
4.3. appliquer un large éventail de mesures politiques pour
soutenir et accompagner les mesures législatives et administratives,
notamment:
4.3.1. lancer des procédures et des enquêtes
au niveau national sur les délits passés, y compris pour les analyser
et les documenter de façon exhaustive, afin de rendre pleinement justice
aux victimes, notamment en envisageant certaines formes d’indemnisation
et en permettant un accès facile et non bureaucratique des victimes
à des aides thérapeutiques;
4.3.2. mettre en place, dans le cadre des procédures juridiques
et des mesures de suivi pertinentes des services sociaux, des mécanismes
et des structures adaptés aux enfants pour les victimes d’abus sexuels,
afin d’éviter à ces dernières une victimisation secondaire;
4.3.3. entreprendre des recherches approfondies sur la question
pour comprendre pleinement l’ampleur, la nature et les causes des
problèmes rencontrés dans le passé, et en tirer des leçons pour
déterminer les actions futures requises;
4.3.4. formuler, mettre en œuvre et superviser des stratégies
globales visant à prévenir les abus de toutes sortes sur les enfants,
à associer toutes les parties concernées, c’est-à-dire les pouvoirs
publics, les organisations privées et religieuses qui gèrent des
établissements, les organisations non gouvernementales, les familles
et surtout les enfants et les adolescents eux-mêmes, et prendre
les mesures suivantes:
4.3.4.1. développer des outils pratiques
tels que des plans d’action nationaux, des lignes directrices et
des codes de conduite à l’intention des établissements et des professionnels
travaillant avec et pour des enfants;
4.3.4.2. sensibiliser à l’importance d’offrir aux enfants des environnements
familiaux ou de type familial où ils se sentent aimés, soutenus
et en confiance, qui les renforcent et qui leur permettent d’identifier
la violence ou tout acte non voulu d’ordre sexuel ou physique comme
quelque chose de mal;
4.3.4.3. développer une offre exhaustive de services pour les enfants,
notamment des mécanismes de conseil, de plainte et de signalement,
et des services de soutien à même d’aider les victimes à trouver
une protection, à se rétablir, à se réinsérer et à obtenir réparation;
4.3.4.4. formuler des stratégies pour la participation des enfants
et des jeunes, afin de les consulter sur leurs besoins;
4.3.4.5. faire en sorte que la prévention puisse également s’exercer
au niveau des délinquants potentiels avant qu’ils ne commettent
des abus sur des enfants, notamment en formant des professionnels
compétents (personnel médical, psychologues et enseignants) pour
les identifier et prendre des mesures appropriées;
4.3.5. d’une manière générale, sensibiliser le public aux sévices
que subissent les enfants dans le cadre institutionnel, y compris
par le biais de campagnes publiques d’information.
5. L’Assemblée recommande, en outre, au Comité des Ministres:
5.1. d’inviter les Etats membres
qui ne l’ont pas encore fait à signer et à ratifier la Convention
du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation
et les abus sexuels (Convention de Lanzarote), et à la mettre en
œuvre par des mesures de suivi engagées au niveau national;
5.2. d’inviter les gouvernements et les parlements nationaux,
et toutes les autres organisations publiques ou privées concernées,
à se joindre, à apporter leur soutien et à contribuer à la Campagne
du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des
enfants, campagne qui sera lancée les 29 et 30 novembre 2010 à Rome;
5.3. de charger les organes intergouvernementaux compétents
du Conseil de l’Europe, notamment ceux ayant un lien avec le programme
«Construire une Europe pour et avec les enfants» et sa stratégie 2009-2011,
de prendre en compte les objectifs de la campagne dans leurs activités,
concernant en particulier la promotion de la lutte contre les sévices
sur les enfants placés en établissement conformément à l’approche
large présentée au paragraphe 4 ci-dessus;
5.4. d’inviter toutes les organisations internationales, notamment
l’Union européenne, les agences de l’Organisation des Nations Unies
et l’Union interparlementaire, à soutenir la Campagne du Conseil
de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard des enfants.
6. L’Assemblée invite toutes les parties prenantes concernées
d’une manière ou d’une autre par les sévices sur des enfants placés
en établissement à coopérer et à procéder rapidement à une révision
des situations législatives, structurelles et politiques actuelles,
et à renforcer leur action pour lutter contre les sévices sur les
enfants placés en établissement, ainsi que contre toutes autres
catégories d’abus que subissent les enfants.
7. L’Assemblée décide de développer la dimension parlementaire
de la Campagne du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle
à l’égard des enfants en vue d’y associer les parlements nationaux
et de promouvoir la signature, la ratification et la mise en œuvre
de la Convention de Lanzarote.
8. Enfin, l’Assemblée invite le Comité des Ministres à lui présenter,
après consultation du gouvernement de chacun des Etats membres et
d’ici à janvier 2013, un rapport sur les mesures mises en œuvre
et les résultats obtenus à ce stade de la campagne dans chaque pays
et pour chacun des points soulevés dans la présente recommandation.
L’Assemblée invite également tous les Etats observateurs à lui soumettre
un rapport de la même manière.