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Résolution 1784 (2011) Version finale
La protection des témoins: pierre angulaire de la justice et de la réconciliation dans les Balkans
1. Près de vingt ans se sont écoulés
depuis le début des conflits en ex-Yougoslavie, conflits marqués
par des violations flagrantes du droit humanitaire international,
et notamment par des crimes contre l’humanité et des génocides.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le Tribunal pénal
international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) afin de poursuivre les
personnes ayant commis de graves violations du droit international humanitaire
sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991.
2. L’Assemblée parlementaire a connaissance du fait que le mandat
du TPIY arrive bientôt à échéance et se félicite que la majorité
des affaires portant sur des crimes de guerre est désormais jugée
par les tribunaux nationaux des Etats concernés.
3. Rappelant sa Résolution
1564 (2007) sur les poursuites engagées pour les crimes
relevant de la compétence du TPIY, l’Assemblée souligne qu’il est
urgent de protéger les témoins, puisque les témoignages – et avec
eux une partie de la vérité – sont perdus à jamais lorsque les témoins
ne sont plus en vie. Les témoins qui se présentent au nom de la
vérité et de la justice doivent pouvoir bénéficier d’une protection
fiable et durable. Sans la protection et le soutien dont ils ont
besoin pour être en situation de témoigner, il ne peut y avoir ni
justice ni réconciliation.
4. L’Assemblée constate avec consternation que, dans la région
de l’ex-Yougoslavie, plusieurs témoins ont été tués et que beaucoup
d’autres ont été victimes d’intimidations, de menaces ou de la révélation
de leur identité par des personnes déterminées à entraver le cours
de la justice et à occulter la vérité. L’Assemblée regrette qu’en
raison de ces menaces un grand nombre de témoins décident finalement
de ne pas déposer par crainte pour leur vie ou pour celle de leur
famille.
5. Pour beaucoup d’entre eux, témoigner est une expérience éprouvante,
qui les oblige à revivre des événements traumatisants. L’Assemblée
s’inquiète du fait que nombre de témoins ne déposent pas faute d’avoir
reçu une assistance adéquate de la part des autorités. Elle a également
conscience que beaucoup de témoins potentiels pensent encore qu’ils
seront perçus comme des traîtres s’ils témoignent dans des affaires de
crimes de guerre.
6. L’Assemblée souligne, en outre, les difficultés spécifiques
rencontrées par les témoins dits «de l’intérieur», en particulier
ceux qui ont servi dans les forces armées ou dans la police, et
insiste sur la nécessité de garantir que les équipes de protection
des témoins soient véritablement impartiales et n’aient pas d’intérêt de
quelque nature que ce soit dans les procès.
7. L’Assemblée est d’avis que les témoins ont le droit d’être
physiquement protégés de manière à pouvoir déposer en toute sécurité
et sans crainte. Elle considère, par ailleurs, qu’ils devraient
bénéficier d’une assistance – y compris juridique et psychologique
– avant, pendant et après le procès. Tout en reconnaissant le travail
accompli à cet égard par certaines organisations non gouvernementales
(ONG), l’Assemblée déplore que l’aide aux témoins soit souvent négligée
dans les Etats concernés et encourage vivement les autorités compétentes
à leur prêter assistance, soit par le biais de programmes gouvernementaux
soit en collaboration avec des personnes qualifiées travaillant
pour des ONG.
8. Au niveau international, l’Assemblée reconnaît le travail
important et pionnier accompli par le TPIY – qui a élaboré des mesures
procédurales et créé des précédents pour la protection des témoins
dans les affaires de crimes de guerre –, et le rôle essentiel de
la division d’aide aux victimes et aux témoins du TPIY. Néanmoins elle
observe avec inquiétude que, en vue de garantir les droits de la
défense, le Règlement de procédure et de preuve du TPIY prévoit
que le procureur est tenu de divulguer aux parties l’identité d’un
témoin anonyme trente jours avant le procès.
9. L’Assemblée considère qu’il ne peut être dans l’intérêt de
la justice de révéler systématiquement à la défense l’identité de
tous les témoins anonymes. Dans le cas où la divulgation de l’identité
d’un témoin expose cette personne à un risque disproportionné, l’Assemblée
considère que le TPIY peut envisager de faire appel à un «avocat
spécial», indépendant de l’accusation et de la défense, conformément
à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
10. Comme elle le déclarait déjà dans sa Résolution 1564 (2007), l’Assemblée
a également la conviction que «[é]tant donné l’engagement à long
terme (et moral) du TPIY vis-à-vis de ses propres témoins, un mécanisme
résiduel devrait aussi être mis en place afin de continuer à assurer
la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal sera échu».
Elle estime que, une fois ce mandat échu, il serait plus économique et
plus efficace de confier le mécanisme résiduel à la Cour pénale
internationale.
11. Au niveau national, l’Assemblée reconnaît que les pays concernés
ont adopté des lois et des réglementations sur la protection des
témoins, et que beaucoup de témoins ont été protégés dans la région
à la suite de ces mesures.
12. Toutefois, l’Assemblée note avec inquiétude qu’en pratique
le niveau de protection des témoins varie considérablement dans
la région comme à l’intérieur des pays concernés et que – sans doute
pour des raisons financières – les programmes d’assistance et de
protection des témoins semblent moins utilisés que ne le requiert
la sécurité des témoins. Trop souvent, le système existant dispose
de capacités limitées et souffre d’un manque de confiance de la
population, de l’absence d’un cadre juridique approprié, d’un manque
de financement suffisant, d’aménagements et d’équipements techniques
insuffisants, ainsi que d’un manque de coordination et de coopération
entre les acteurs concernés.
13. L’Assemblée note avec satisfaction qu’une coopération accrue
entre les Etats concernés a permis aux témoins d’être protégés lorsqu’ils
se déplacent d’un pays à l’autre et que le recours aux dispositifs
de vidéoconférence a permis à des témoins de déposer sans avoir
à se rendre dans le pays où l’affaire est jugée, et de se mettre
ainsi en danger.
14. L’Assemblée se félicite de la contribution de la communauté
internationale au financement et à la formation sur la protection
des témoins dispensée dans les pays concernés. Elle reconnaît en
particulier le rôle important joué par l’Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) dans la région, notamment le
travail de suivi qu’elle a accompli dans les procès relatifs aux
crimes de guerre et en ce qui concerne la formation et la sensibilisation
à la protection des témoins dans les tribunaux nationaux. Elle encourage
l’OSCE à poursuivre cette tâche importante.
15. L’Assemblée reconnaît en outre le travail accompli en Croatie
par le Programme des Nations Unies pour le développement, qui a
élaboré des programmes d’assistance aux témoins pour les aider et
les conseiller dans quatre tribunaux tests. Elle se félicite que
les autorités croates aient pris le relais, mais regrette que la majorité
des tribunaux de la région n’aient pas institutionnalisé ce genre
de programmes. Elle encourage les autorités des pays concernés à
étendre ces programmes à tous les tribunaux ayant à connaître de
crimes graves.
16. En conséquence, l’Assemblée invite:
16.1. les autorités compétentes des Etats et des territoires
concernés:
16.1.1. à mettre pleinement
en œuvre les Recommandations du Comité des Ministres, no R (97) 13
sur l’intimidation des témoins et les droits de la défense, et Rec(2005)9
relative à la protection des témoins et des collaborateurs de justice;
16.1.2. à modifier leur législation interne, s’il y a lieu, de
manière à ce que, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins
puisse être gardée secrète, même pour la défense, conformément à
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.1.3. à accroître les moyens alloués aux programmes de protection
des témoins, à doter les tribunaux des aménagements et des équipements
techniques nécessaires, et à créer une autorité autonome, distincte
de la police et des organes d’instruction, pour superviser les programmes
et allouer les financements nécessaires;
16.1.4. à prendre des mesures pour garantir que tous les juges,
procureurs, agents de police et autres personnels en contact avec
les témoins dans des affaires portant sur des crimes graves bénéficient
d’une formation complète à la protection des témoins et aux mesures
disponibles pour ce faire;
16.1.5. à encourager l’institution judiciaire et les procureurs
à enquêter rapidement et efficacement sur toutes les allégations
d’intimidation et de menaces à l’encontre de témoins, et à faire
en sorte que les personnes qui mettent en danger les témoins soient
sanctionnées;
16.1.6. à faire le nécessaire pour garantir que les témoins soient
informés des mesures de protection et de soutien dont ils peuvent
bénéficier avant, pendant et après le procès;
16.1.7. à élaborer et à financer des programmes d’assistance aux
témoins, en s’appuyant sur le modèle mis en œuvre en Croatie par
le Programme des Nations Unies pour le développement, dans tous
les tribunaux recevant des témoins dans des affaires de crimes graves;
16.1.8. à veiller à ce que des mesures d’assistance soient disponibles
dès le début de la phase d’enquête, y compris des mesures de protection
tenant compte du genre de la victime, pour les victimes de crimes
de guerre comportant de la violence sexuelle. Il faudrait, par exemple,
créer des sections d’assistance aux témoins employant des travailleurs
sociaux et des psychologues, notamment dans les bureaux des procureurs
spécialisés – lorsqu’ils existent – et dans les services de police
chargés d’enquêter sur les crimes au regard du droit international;
16.1.9. à définir des règles et des critères en ce qui concerne
le rôle des ONG ou des centres médico-sociaux auprès des témoins,
à garantir un financement adapté pour pérenniser les services qu’ils
rendent et leur expertise, et à suivre leurs activités afin de s’assurer
que le service rendu reste conforme à ces règles et à ces critères;
16.1.10. à poursuivre et à renforcer leur coopération dans les
poursuites engagées contre les auteurs de crimes de guerre;
16.2. les autorités de Bosnie-Herzégovine:
16.2.1. à mettre en œuvre sans délai
les propositions formulées dans la Stratégie nationale sur les crimes
de guerre;
16.2.2. à adopter des mesures législatives qui permettent à l’Agence
d’investigation et de protection de l’Etat de mettre en place des
programmes de protection des témoins dans tous les tribunaux du
pays, et à veiller à ce que l’agence dispose de ressources suffisantes,
à la fois financières et humaines, pour assister les témoins pendant
la phase d’enquête ainsi que pendant et après le procès. Une législation
similaire devrait être adoptée et des ressources adéquates devraient
être fournies afin d’assurer une protection des témoins dans les
procès pénaux devant les tribunaux dans toutes les entités;
16.2.3. à veiller à l’harmonisation de la jurisprudence, à envisager
de créer une cour suprême ou de doter une juridiction existante
des pouvoirs d’une cour suprême, pour garantir la sécurité juridique
en unifiant l’interprétation de la règle de droit;
16.3. les autorités de Croatie:
16.3.1. lorsque les témoins pourraient courir des risques, à recourir
à l’un des quatre tribunaux principaux dotés de compétences spéciales
en vue de connaître des crimes de guerre ou de la criminalité organisée;
16.3.2. à étendre les programmes d’assistance aux témoins établis
par le Programme des Nations Unies pour le développement à tous
les tribunaux ayant à connaître de crimes graves en Croatie;
16.4. les autorités du Monténégro à mener une enquête approfondie
sur toutes les intimidations, menaces et attaques dont les témoins
font l’objet, et à les protéger avant, pendant et après leur déposition
dans les affaires de crimes graves;
16.5. les autorités de Serbie:
16.5.1. à créer et à mettre en œuvre une procédure organisant
le fonctionnement de l’unité de protection des témoins, en veillant
à ce que celle-ci soit mise en place dans le respect des normes
professionnelles, avec du personnel doté des qualifications et de
la formation nécessaires, de manière à garantir le fonctionnement
impartial de l’unité, libre de toute ingérence politique ou autre,
à allouer les ressources nécessaires à son bon fonctionnement et
à adapter la législation pour que tous les tribunaux ayant à connaître
de crimes graves, autres que la chambre spéciale chargée des crimes
de guerre, puissent avoir recours à cette unité et à l’unité de
soutien aux victimes et aux témoins;
16.5.2. à envisager le transfert de l’unité de protection des
témoins sous l’autorité du ministère de la Justice afin d’éviter
tout conflit d’intérêts entre les membres de cette unité et les
témoins qu’ils sont censés protéger;
16.6. les autorités du Kosovo :
16.6.1. à s’attaquer sérieusement aux
problèmes rencontrés par les témoins, vu les situations critiques
auxquelles ils sont confrontés et qui se sont soldées par l’assassinat
de plusieurs d’entre eux;
16.6.2. à adopter des mesures législatives qui prévoient la protection
des témoins qui déposent dans des affaires de crimes de guerre et
autres crimes graves pendant les phases d’enquête, de jugement et
après le procès, y compris la création et le fonctionnement d’unités
de protection et d’assistance aux témoins, et à les mettre pleinement
en œuvre;
16.7. l’Union européenne à continuer à faire de la protection
effective des témoins un critère essentiel pour la mise en œuvre
d’un partenariat avec les pays concernés, et à fournir davantage
d’effectifs à l’unité de protection des témoins de l’EULEX;
16.8. tous les Etats membres:
16.8.1. à accepter et à organiser la réinstallation sur leurs
territoires de témoins menacés, en particulier ceux originaires
du Kosovo;
16.8.2. à envisager de financer les dispositifs destinés à la
protection des témoins ainsi que la formation appropriée du personnel
chargé de mener à bien cette tâche, et à examiner la possibilité
de prendre à leur charge une partie des dépenses courantes générées
par les témoins réinstallés dans leur pays;
16.9. la communauté internationale à continuer de se charger
du financement, de l’expertise et de la formation en matière de
protection et d’assistance aux témoins dans la région;
16.10. le TPIY:
16.10.1. à examiner
la possibilité de modifier le Règlement de procédure et de preuve,
de manière à ce que, dans les cas extrêmes, l’identité des témoins
puisse être gardée secrète, même pour la défense, conformément à
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
16.10.2. à mettre en place un mécanisme résiduel afin de continuer
à assurer la protection des témoins lorsque le mandat du tribunal
sera échu, par exemple en confiant cette mission à la Cour pénale
internationale.