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Recommandation 1961 (2011) Version finale
Le surendettement des Etats: un danger pour la démocratie et les droits de l’homme
1. Il ne peut y avoir de bonne gouvernance
sans une saine gouvernance économique. Dans leur souci de rapprocher
les nations européennes, plusieurs Etats ont défini les règles du
Pacte de stabilité et de croissance, et misé sur le projet de l’euro.
Néanmoins, la précédente décennie, en particulier ces dernières
années, a révélé une inquiétante incapacité de nombreux gouvernements
européens à appliquer des politiques réglementaires prudentes et
des politiques de gestion de la dette publique appropriées. Un dangereux
cercle vicieux de surendettement et d’importants déficits budgétaires,
conjugués à une croissance économique anémique, menacent aujourd’hui
les fondements mêmes des structures européennes et la qualité de
vie des citoyens européens.
2. La grande entreprise européenne est née de tragédies humaines
et les crises lui ont permis d’évoluer. Les problèmes que rencontrent
aujourd’hui les Etats qui forment le noyau dur de l’intégration
européenne devraient leur donner l’élan pour agir de manière plus
concertée en termes de gouvernance politique et économique. Il est
absolument nécessaire de réparer le système économique qui n’a pas
su prendre la juste mesure des risques et agir de manière responsable
dans les années de prospérité. Certes, trop de pouvoir a été donné
aux marchés financiers mondiaux et au secteur privé, mais l’Etat
demeure le principal régulateur et garant de la primauté du droit
qui sous-tend la démocratie, les droits fondamentaux et le bon fonctionnement de
l’économie de marché.
3. L’Assemblée parlementaire craint que le «court-termisme» des
décisions politiques nationales ait érodé la confiance du public
dans les institutions de l’Etat, qu’il ait alimenté des spéculations
sur la viabilité du modèle européen de protection sociale et qu’il
ait suscité des tensions entre les secteurs public et privé. Les
services financiers ont étendu excessivement leur emprise au détriment
d’autres secteurs économiques, ce qui a engendré des déséquilibres
macroéconomiques et des bulles financières. Si le renflouement de
certaines banques se justifiait par la nécessité de préserver la
stabilité économique, reste que, dans l’ensemble, il n’est pas équitable
de transférer la charge des pertes du secteur privé sur les Etats
et, au final, sur tous leurs contribuables. Il faut remédier à cette
distorsion du marché et à ce dysfonctionnement de la gouvernance,
afin de prévenir des crises similaires à l’avenir.
4. L’Assemblée se félicite qu’une interdépendance économique
internationale accrue ait conduit à resserrer la coopération multilatérale,
par le biais du G20, pour améliorer la régulation du secteur financier, renforcer
la surveillance des agences de notation et endiguer la fraude fiscale.
Elle prend note de la création du Fonds européen de stabilité financière,
en mai 2010, en tant que mesure temporaire, et du Comité européen du
risque systémique, opérationnel depuis janvier 2011, ainsi que de
trois autorités de surveillance financière au niveau européen pour
les secteurs de la banque, de l’assurance et de la Bourse. Les pouvoirs
de supervision de ces autorités devraient contribuer à détecter
et à corriger les déséquilibres macroéconomiques dès leur apparition
et permettre de mieux structurer les activités des agences de notation
enregistrées dans l’Union européenne.
5. En outre, l’Assemblée prend note de l’intention de la Commission
européenne de proposer, dès l’été 2011, un cadre législatif complet
permettant de gérer les banques en difficulté (trop grandes, complexes
et interdépendantes pour qu’on les laisse faire faillite) et de
les restructurer ou de résoudre leurs problèmes sans faire peser
la charge sur les contribuables. De même, l’Assemblée estime que
les possibilités envisagées pour une restructuration partielle du
surendettement public ne devraient pas être un tabou et qu’il convient d’envisager
des mécanismes d’encadrement pour une bonne restructuration.
6. La crise a, en partie, été provoquée par une déréglementation
financière, combinée à des garanties d’Etat au secteur financier.
Cette association amène maintenant à nationaliser les dettes privées:
les pouvoirs publics payent les frais à la place des actionnaires
et des détenteurs d’obligations des établissements financiers. A
l’avenir, il conviendrait que les garanties soient toujours assorties
d’une réglementation stricte permettant de gérer les risques qu’elles
engendrent pour les pouvoirs publics. S’ils actionnent ces garanties, les
dirigeants des établissements financiers devraient en payer le prix,
accepter une baisse de leur salaire et ne pas toucher de primes.
En effet, sans intervention du secteur public, leurs établissements
auraient pu faire faillite. Ces mesures devraient rester en vigueur
tant que les établissements bénéficient du soutien des pouvoirs
publics.
7. L’Assemblée est consciente du fait que certains Etats membres
du Conseil de l’Europe ont usé de pratiques douteuses pour minimiser
l’importance de leur déficit public à court terme. Ces pratiques, généralement
peu transparentes, peuvent avoir des conséquences graves sur l’endettement
public futur et à long terme des Etats. En particulier, les produits
dérivés peuvent servir à gérer la dette publique, mais aussi, s’ils
sont utilisés à mauvais escient, à mieux la dissimuler.Etant donné que les emprunteurs
souverains divulguent extrêmement rarement leurs activités liées
aux produits dérivés, la surveillance exercée par les «actionnaires
de l’Etat» (c’est-à-dire les contribuables) ne peut être, au mieux,
que faible.Ce manque de communication
permet aux gouvernements de s’exonérer davantage de leurs responsabilités
en matière de dette publique et limite la transparence des statistiques
nationales.
8. C’est pourquoi l’Assemblée souligne l’importance de la transparence
dans une démocratie et dans l’économie de marché. Sans transparence,
la démocratie demeure incomplète, car seule une population dûment
informée peut voter de manière éclairée et, par là même, exercer
ses droits politiques en toute connaissance de cause. Dans cette
perspective, l’Assemblée rappelle la valeur des médias comme gardiens de
la démocratie, puisqu’ils permettent aux citoyens de réagir à des
dérives potentielles du pouvoir politique ou à des malversations
économiques. Comme la gestion des finances publiques exige une transparence irréprochable
et que le principe du consentement à l’impôt est considéré comme
l’un des garants de la démocratie, les gouvernements doivent faire
la preuve de leurs bonnes intentions et assurer la totale transparence
des comptes de l’Etat pour assurer une démocratie solide.
9. A cet égard, il est extrêmement préoccupant que les Etats
membres aient été forcés de garantir entre eux leur dette souveraine,
comme cela a été le cas par exemple pour l’Islande et la Grèce.
La dette, jusque-là étatique, est de ce fait devenue interétatique.
Cela n’est acceptable que dans des circonstances réellement exceptionnelles
et devrait constituer une mesure d’urgence tout à fait temporaire.
En effet, la dette et les garanties interétatiques augmentent le
risque systémique en Europe, car la défaillance d’un Etat peut entraîner une
réaction en chaîne de restructuration de la dette, de budgets de
crise, d’augmentation de l’offre de monnaie et de grandes souffrances
pour les citoyens européens.
10. Le risque des garanties souveraines et autres ne devrait pas
être noyé dans les comptes, car ces garanties peuvent réellement
mettre à mal les finances publiques. La crise irlandaise comme la
crise islandaise ont été la conséquence directe de garanties insoutenables.
Ces garanties devraient donc être signalées totalement et spécifiquement
aux parlements des Etats membres. Les pays qui garantissent de la
dette souveraine et autre devraient publier ces garanties d’une
manière cohérente sur le plan international. Cela concerne également
les systèmes de garantie de dépôts et les prêts et garanties accordés
au secteur financier. La comptabilisation de certains éléments en
hors-bilan a été l’un des problèmes qui ont fini par déclencher
la crise; il faudrait ainsi éviter de recourir à ce type de pratique
dans les comptes publics. Par conséquent, l’Assemblée invite l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) et Eurostat
à élaborer, au plus tard six mois après l’adoption de cette recommandation,
des lignes directrices méthodologiques destinées aux Etats sur une
publication plus transparente des garanties souveraines.
11. L’influence des marchés financiers sur la gouvernance de l’Etat,
sur l’intérêt public, sur la conduite publique des politiques économiques
et sur les institutions démocratiques européennes est inquiétante. L’Assemblée
estime qu’il est nécessaire de poursuivre les discussions sur ce
point au sein du Conseil de l’Europe, notamment par le biais du
Forum pour l’avenir de la démocratie, et dans les parlements nationaux des
Etats membres. Elle souligne la nécessité de renforcer l’interaction
et les échanges d’informations entre les parlements nationaux, les
gouvernements et les institutions de Bretton Woods, en particulier
lorsque ces dernières sont appelées à l’aide.
12. L’Assemblée regrette que les Etats aient, dans les faits,
nationalisé une partie de la dette privée. L’article 1 du Protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 9) interdit explicitement l’expropriation de la propriété privée.
Il devrait également interdire l’expropriation de la dette privée,
afin que les contribuables ne soient pas contraints de payer le
prix des échecs des établissements du secteur privé.
13. L’Assemblée recommande que le Comité des Ministres demande
aux gouvernements des Etats membres:
13.1. d’assurer toute la transparence et la responsabilité en
matière de garanties souveraines, et de préparer des mesures pour
une réduction graduelle de ces garanties;
13.2. de contenir l’érosion du niveau de vie et des droits socio-économiques
des citoyens en s’efforçant de répartir les effets des mesures d’austérité
équitablement dans la population et d’épargner aux groupes vulnérables
le poids des ajustements;
13.3. de faire preuve de réalisme dans l’élaboration de stratégies
progressives visant à stabiliser puis à réduire la dette publique,
ce en consolidant de manière permanente les budgets et, en parallèle,
en mettant en place des réformes structurelles, en incitant fortement
les secteurs de croissance à se développer, en améliorant l’administration
fiscale et en renforçant la corrélation entre le niveau des prestations
sociales et les revenus de l’Etat;
13.4. de se montrer plus vigilants sur l’intégrité des économistes,
dont les conseils aux décideurs sont tout aussi indispensables que,
parfois, discutables – voire manipulateurs. L’Assemblée est convaincue qu’il
est possible de renforcer l’éthique et la responsabilité de cette
profession, par exemple en chargeant des organes compétents d’élaborer
un code d’éthique mondial ou, tout au moins, européen, incluant
des mesures disciplinaires.