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Recommandation 1961 (2011) Version finale

Le surendettement des Etats: un danger pour la démocratie et les droits de l’homme

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l'Assemblée le 11 avril 2011 (11e séance) (voir Doc. 12556, rapport de la commission des questions économiques et du développement, rapporteur: M. Omtzigt; Doc. 12571, avis de la commission des questions sociales, de la santé et de la famille, rapporteur: M. Hunko; et Doc. 12572, avis de la commission de l'environnement, de l'agriculture et des questions territoriales, rapporteur: M. Meale). Texte adopté par l'Assemblée le 11 avril 2011 (11e séance).

1. Il ne peut y avoir de bonne gouvernance sans une saine gouvernance économique. Dans leur souci de rapprocher les nations européennes, plusieurs Etats ont défini les règles du Pacte de stabilité et de croissance, et misé sur le projet de l’euro. Néanmoins, la précédente décennie, en particulier ces dernières années, a révélé une inquiétante incapacité de nombreux gouvernements européens à appliquer des politiques réglementaires prudentes et des politiques de gestion de la dette publique appropriées. Un dangereux cercle vicieux de surendettement et d’importants déficits budgétaires, conjugués à une croissance économique anémique, menacent aujourd’hui les fondements mêmes des structures européennes et la qualité de vie des citoyens européens.
2. La grande entreprise européenne est née de tragédies humaines et les crises lui ont permis d’évoluer. Les problèmes que rencontrent aujourd’hui les Etats qui forment le noyau dur de l’intégration européenne devraient leur donner l’élan pour agir de manière plus concertée en termes de gouvernance politique et économique. Il est absolument nécessaire de réparer le système économique qui n’a pas su prendre la juste mesure des risques et agir de manière responsable dans les années de prospérité. Certes, trop de pouvoir a été donné aux marchés financiers mondiaux et au secteur privé, mais l’Etat demeure le principal régulateur et garant de la primauté du droit qui sous-tend la démocratie, les droits fondamentaux et le bon fonctionnement de l’économie de marché.
3. L’Assemblée parlementaire craint que le «court-termisme» des décisions politiques nationales ait érodé la confiance du public dans les institutions de l’Etat, qu’il ait alimenté des spéculations sur la viabilité du modèle européen de protection sociale et qu’il ait suscité des tensions entre les secteurs public et privé. Les services financiers ont étendu excessivement leur emprise au détriment d’autres secteurs économiques, ce qui a engendré des déséquilibres macroéconomiques et des bulles financières. Si le renflouement de certaines banques se justifiait par la nécessité de préserver la stabilité économique, reste que, dans l’ensemble, il n’est pas équitable de transférer la charge des pertes du secteur privé sur les Etats et, au final, sur tous leurs contribuables. Il faut remédier à cette distorsion du marché et à ce dysfonctionnement de la gouvernance, afin de prévenir des crises similaires à l’avenir.
4. L’Assemblée se félicite qu’une interdépendance économique internationale accrue ait conduit à resserrer la coopération multilatérale, par le biais du G20, pour améliorer la régulation du secteur financier, renforcer la surveillance des agences de notation et endiguer la fraude fiscale. Elle prend note de la création du Fonds européen de stabilité financière, en mai 2010, en tant que mesure temporaire, et du Comité européen du risque systémique, opérationnel depuis janvier 2011, ainsi que de trois autorités de surveillance financière au niveau européen pour les secteurs de la banque, de l’assurance et de la Bourse. Les pouvoirs de supervision de ces autorités devraient contribuer à détecter et à corriger les déséquilibres macroéconomiques dès leur apparition et permettre de mieux structurer les activités des agences de notation enregistrées dans l’Union européenne.
5. En outre, l’Assemblée prend note de l’intention de la Commission européenne de proposer, dès l’été 2011, un cadre législatif complet permettant de gérer les banques en difficulté (trop grandes, complexes et interdépendantes pour qu’on les laisse faire faillite) et de les restructurer ou de résoudre leurs problèmes sans faire peser la charge sur les contribuables. De même, l’Assemblée estime que les possibilités envisagées pour une restructuration partielle du surendettement public ne devraient pas être un tabou et qu’il convient d’envisager des mécanismes d’encadrement pour une bonne restructuration.
6. La crise a, en partie, été provoquée par une déréglementation financière, combinée à des garanties d’Etat au secteur financier. Cette association amène maintenant à nationaliser les dettes privées: les pouvoirs publics payent les frais à la place des actionnaires et des détenteurs d’obligations des établissements financiers. A l’avenir, il conviendrait que les garanties soient toujours assorties d’une réglementation stricte permettant de gérer les risques qu’elles engendrent pour les pouvoirs publics. S’ils actionnent ces garanties, les dirigeants des établissements financiers devraient en payer le prix, accepter une baisse de leur salaire et ne pas toucher de primes. En effet, sans intervention du secteur public, leurs établissements auraient pu faire faillite. Ces mesures devraient rester en vigueur tant que les établissements bénéficient du soutien des pouvoirs publics.
7. L’Assemblée est consciente du fait que certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont usé de pratiques douteuses pour minimiser l’importance de leur déficit public à court terme. Ces pratiques, généralement peu transparentes, peuvent avoir des conséquences graves sur l’endettement public futur et à long terme des Etats. En particulier, les produits dérivés peuvent servir à gérer la dette publique, mais aussi, s’ils sont utilisés à mauvais escient, à mieux la dissimuler.Etant donné que les emprunteurs souverains divulguent extrêmement rarement leurs activités liées aux produits dérivés, la surveillance exercée par les «actionnaires de l’Etat» (c’est-à-dire les contribuables) ne peut être, au mieux, que faible.Ce manque de communication permet aux gouvernements de s’exonérer davantage de leurs responsabilités en matière de dette publique et limite la transparence des statistiques nationales.
8. C’est pourquoi l’Assemblée souligne l’importance de la transparence dans une démocratie et dans l’économie de marché. Sans transparence, la démocratie demeure incomplète, car seule une population dûment informée peut voter de manière éclairée et, par là même, exercer ses droits politiques en toute connaissance de cause. Dans cette perspective, l’Assemblée rappelle la valeur des médias comme gardiens de la démocratie, puisqu’ils permettent aux citoyens de réagir à des dérives potentielles du pouvoir politique ou à des malversations économiques. Comme la gestion des finances publiques exige une transparence irréprochable et que le principe du consentement à l’impôt est considéré comme l’un des garants de la démocratie, les gouvernements doivent faire la preuve de leurs bonnes intentions et assurer la totale transparence des comptes de l’Etat pour assurer une démocratie solide.
9. A cet égard, il est extrêmement préoccupant que les Etats membres aient été forcés de garantir entre eux leur dette souveraine, comme cela a été le cas par exemple pour l’Islande et la Grèce. La dette, jusque-là étatique, est de ce fait devenue interétatique. Cela n’est acceptable que dans des circonstances réellement exceptionnelles et devrait constituer une mesure d’urgence tout à fait temporaire. En effet, la dette et les garanties interétatiques augmentent le risque systémique en Europe, car la défaillance d’un Etat peut entraîner une réaction en chaîne de restructuration de la dette, de budgets de crise, d’augmentation de l’offre de monnaie et de grandes souffrances pour les citoyens européens.
10. Le risque des garanties souveraines et autres ne devrait pas être noyé dans les comptes, car ces garanties peuvent réellement mettre à mal les finances publiques. La crise irlandaise comme la crise islandaise ont été la conséquence directe de garanties insoutenables. Ces garanties devraient donc être signalées totalement et spécifiquement aux parlements des Etats membres. Les pays qui garantissent de la dette souveraine et autre devraient publier ces garanties d’une manière cohérente sur le plan international. Cela concerne également les systèmes de garantie de dépôts et les prêts et garanties accordés au secteur financier. La comptabilisation de certains éléments en hors-bilan a été l’un des problèmes qui ont fini par déclencher la crise; il faudrait ainsi éviter de recourir à ce type de pratique dans les comptes publics. Par conséquent, l’Assemblée invite l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Eurostat à élaborer, au plus tard six mois après l’adoption de cette recommandation, des lignes directrices méthodologiques destinées aux Etats sur une publication plus transparente des garanties souveraines.
11. L’influence des marchés financiers sur la gouvernance de l’Etat, sur l’intérêt public, sur la conduite publique des politiques économiques et sur les institutions démocratiques européennes est inquiétante. L’Assemblée estime qu’il est nécessaire de poursuivre les discussions sur ce point au sein du Conseil de l’Europe, notamment par le biais du Forum pour l’avenir de la démocratie, et dans les parlements nationaux des Etats membres. Elle souligne la nécessité de renforcer l’interaction et les échanges d’informations entre les parlements nationaux, les gouvernements et les institutions de Bretton Woods, en particulier lorsque ces dernières sont appelées à l’aide.
12. L’Assemblée regrette que les Etats aient, dans les faits, nationalisé une partie de la dette privée. L’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9) interdit explicitement l’expropriation de la propriété privée. Il devrait également interdire l’expropriation de la dette privée, afin que les contribuables ne soient pas contraints de payer le prix des échecs des établissements du secteur privé.
13. L’Assemblée recommande que le Comité des Ministres demande aux gouvernements des Etats membres:
13.1. d’assurer toute la transparence et la responsabilité en matière de garanties souveraines, et de préparer des mesures pour une réduction graduelle de ces garanties;
13.2. de contenir l’érosion du niveau de vie et des droits socio-économiques des citoyens en s’efforçant de répartir les effets des mesures d’austérité équitablement dans la population et d’épargner aux groupes vulnérables le poids des ajustements;
13.3. de faire preuve de réalisme dans l’élaboration de stratégies progressives visant à stabiliser puis à réduire la dette publique, ce en consolidant de manière permanente les budgets et, en parallèle, en mettant en place des réformes structurelles, en incitant fortement les secteurs de croissance à se développer, en améliorant l’administration fiscale et en renforçant la corrélation entre le niveau des prestations sociales et les revenus de l’Etat;
13.4. de se montrer plus vigilants sur l’intégrité des économistes, dont les conseils aux décideurs sont tout aussi indispensables que, parfois, discutables – voire manipulateurs. L’Assemblée est convaincue qu’il est possible de renforcer l’éthique et la responsabilité de cette profession, par exemple en chargeant des organes compétents d’élaborer un code d’éthique mondial ou, tout au moins, européen, incluant des mesures disciplinaires.