1. Introduction
1. En 2011, lorsqu’elle s’est vu décerner le prix Nobel
de la paix, Tawakkol Karman, militante yéménite des droits des femmes,
l’a dédié au Printemps arabe. Dans l’imaginaire collectif, elle
est devenue le symbole de milliers de femmes arabes qui s’exprimaient
au grand jour, dans les rues et sur internet, pour appeler à davantage
d’égalité, à un rôle actif dans la vie politique et à un changement
démocratique dans leurs pays.
2. Ces femmes ont été des actrices des mouvements qui ont provoqué
les récents bouleversements politiques dans plusieurs pays de la
rive méridionale de la Méditerranée: au Maroc, elles ont participé
au «Mouvement pour la dignité», qui a entraîné une réforme constitutionnelle;
en Tunisie, elles étaient parmi les blogueurs qui ont contribué
à la chute du régime de Ben Ali; en Libye, elles ont soutenu la
lutte contre la dictature du colonel Kadhafi; en Egypte, elles ont
réclamé la démission du Président Moubarak. Au-delà du sud de la
Méditerranée, encouragées par l’effet domino du Printemps arabe,
des femmes ont lutté pacifiquement pour leurs droits en Arabie Saoudite,
au Bahreïn, en Syrie et au Yémen.
3. Cependant, lorsque les manifestations ont remporté le soutien
grandissant de la population et entraîné des changements politiques,
les femmes ont été mises de côté. A plusieurs occasions, les femmes
participant aux manifestations ont subi des actes d’intimidation
et de violence de la part de groupes d’hommes. En Egypte, au Maroc
et en Tunisie, la représentation des femmes au parlement et au gouvernement
est insignifiante ou bien inférieure aux attentes. En Libye, l’introduction
d’un quota spécial pour les femmes dans la future Assemblée constituante
a été abandonnée; c’est la charia qui est envisagée. D’un point
de vue politique, l’incertitude sur ce que le Printemps arabe réserve
aux femmes est accrue par le succès électoral des partis islamistes
dans toutes les joutes électorales qui se sont livrées dans la région.
4. Un an plus tard, à la lumière de ces évolutions, il est légitime
de se demander si le Printemps arabe va répondre aux demandes des
femmes en matière d’égalité.
2. But, origine, portée et sources du présent
rapport
5. Le présent rapport entend contribuer au débat sur
l’évaluation du Printemps arabe et encourager les femmes à être
des actrices du changement démocratique. Il doit aussi aider le
Conseil de l’Europe à identifier les priorités de son engagement
dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.
6. L’origine du présent rapport est une proposition de recommandation
sur l’égalité des sexes et le statut des femmes dans le voisinage
méridional du Conseil de l’Europe, présentée par Mme Deborah
Bergamini et plusieurs de ses collègues (
Doc. 12652). Bien que la portée
du Printemps arabe soit plus vaste, je conserverai dans ce rapport
la même portée géographique que la proposition originale qui se
limite aux pays de l’Afrique du Nord, car il s’agit des pays avec
lesquels le Conseil de l’Europe en tant qu’organisation a entamé
un dialogue et une coopération plus intenses. J’ai choisi de ne
pas traiter la situation de l’Algérie, ce pays n’ayant pas été fondamentalement
touché par le Printemps arabe et n’ayant pas entrepris un processus
de réforme constitutionnelle. Le présent rapport adopte l’expression
«Printemps arabe», mais il s’agit bien en effet de printemps démocratique
incluant toutes les populations en présence, y compris les Amazighes.
7. Le présent rapport repose sur des recherches ainsi que sur
des informations de première main obtenues lors d’un certain nombre
d’échanges de vues organisés par la commission sur l’égalité et
la non discrimination
et
lors de réunions bilatérales
.
Le rapport exploite aussi des idées et des informations apportées
lors de la Conférence «Les femmes, agentes de changement au sud
de la Méditerranée», organisée par le Centre européen pour l’interdépendance
et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) à Rome (24-25 octobre
2011).
8. Je tiens, à cette occasion, à remercier les autorités marocaines
et tunisiennes pour l’aide et la coopération qui m’ont permis de
mener des visites d’information dans ces pays, respectivement du
15 au 18 février et du 19 au 21 février 2011
.
3. Le succès électoral des partis islamistes et ses
conséquences pour les droits des femmes
9. Au lendemain des manifestations populaires, des élections
se sont tenues au Maroc, en Tunisie et en Egypte, et elles devraient
également avoir lieu en Libye. Un trait commun a marqué ces élections:
le succès éclatant des partis islamistes.
10. Ce succès est particulièrement prononcé en Egypte, où les
forces politiques islamistes représentent 75 % du parlement. Le
Parti de la liberté et de la justice, fondé par l’organisation des
Frères musulmans en avril 2011, a obtenu 47 % des sièges (235 sur
498).
11. La seconde grande force politique est constituée par une alliance
de trois partis salafistes radicaux (
Al-Nour, Parti
de la construction et du développement, parti Authenticité), qui
détient 125 sièges (25 %)
.
En outre, les candidats indépendants d’Al-Nour ont gagné 28 des
168 sièges réservés aux candidats indépendants.
12. En octobre 2011, les électeurs tunisiens ont été appelés aux
urnes pour choisir les membres de l’Assemblée nationale constituante
qui aura à rédiger une nouvelle Constitution
. Le parti islamiste modéré Ennahda
(«Renaissance») a remporté 89 des 217 sièges, suivi du Congrès pour
la République (29 élus), d’inspiration libérale, du nouveau parti
Pétition populaire (26 sièges) et, enfin, du parti de centre-gauche Ettakattol
(21 sièges)
.
A la suite des élections, Ennahda a formé une coalition avec le
Congrès pour la République et Ettakattol.
13. Au Maroc, les récentes élections législatives concernaient
les 395 membres de la Chambre des représentants, chambre basse du
Parlement marocain et seule à être élue au suffrage direct
. Le Parti de la justice et du développement
(PJD), d’inspiration islamiste, a remporté 27 % (107 sur 395) des
sièges disponibles
.
A la suite de ce résultat, Abdelilah Benkirane, secrétaire général
du PJD, a été chargé de former un gouvernement. Faute d’une majorité
absolue, le PJD s’est vu contraint de former une alliance avec le
parti de l’Istiqlal, presque toujours au pouvoir depuis l’indépendance
du pays, et avec d’autres formations ayant une longue histoire sur
la scène politique marocaine.
14. Edifier une démocratie représentative constituera une véritable
gageure pour la Libye, pays où les partis politiques étaient interdits
depuis 1972. L’élection d’une Assemblée constituante devrait avoir
lieu en juin 2012.
15. Les organisations et les mouvements islamistes, sévèrement
persécutés sous le régime kadhafiste, ont participé activement à
l’insurrection. Parmi les organisations islamistes les plus influentes,
citons la branche libyenne des Frères musulmans, qui aurait doublé
ses effectifs depuis février 2011, et le Mouvement islamique libyen
pour le changement (MILC)
.
16. Bien que représentés au Conseil national de transition (CNT),
qui dirige de fait le pays depuis la chute du régime précédent,
de nombreux islamistes reprochent à cette autorité sa nature laïque
adaptée à un public international occidental, au détriment des valeurs
islamistes nationales. Tout porte à croire que, en Libye aussi, les
partis islamistes jouiront d’un soutien politique de la majorité
de la population.
17. Le succès des partis islamistes en Egypte, au Maroc, en Tunisie
et, dans un proche avenir, probablement en Libye, représente un
changement politique majeur dans toute la région: avant le Printemps arabe,
certains de ces partis étaient soit interdits ou inexistants. De
fait, les régimes précédents se présentaient souvent comme le principal
rempart contre l’islamisme, et d’aucuns iront même jusqu’à affirmer
que c’est avant tout cette raison qui leur a valu un soutien de
l’Occident
.
18. Les partis islamistes ayant obtenu les meilleurs résultats
électoraux se présentent comme des forces modérées; leurs chefs
ont manifesté la volonté de ne pas remettre en question les progrès
accomplis en matière d’égalité des sexes sous les régimes et gouvernements
précédents.
19. En Tunisie, par exemple, le programme électoral d’Ennahda
a explicitement prôné la protection de la liberté des femmes et
l’égalité des chances pour les femmes et les hommes en matière d’emploi
et de responsabilités administratives et politiques. La lutte contre
toute forme de discrimination et de violence à l’égard des femmes
figurait aussi parmi les objectifs. Les représentants du parti que
j’ai rencontrés lors de la visite ont assuré que les droits des
femmes seraient protégés. Au Maroc, le PJD a souligné à plusieurs
reprises que les droits civils et les droits des femmes ne seraient
pas restreints. En Egypte, les principes de liberté, d’égalité des
citoyens et d’égalité des chances pour les femmes et les hommes
figurent au programme électoral du mouvement des Frères musulmans,
de même que l’interdiction de toute discrimination fondée sur «la
religion, le sexe ou la couleur».
20. Ces déclarations sont un premier pas rassurant. Cependant,
l’orientation réelle que ces partis et ces mouvements donneront
à leurs politiques dans la pratique n’est pas encore suffisamment
prévisible, du fait de leur histoire parfois brève et de leur absence
de responsabilités gouvernementales par le passé. De plus, la situation
peut considérablement varier selon que les partis sont au sein d’une
coalition avec d’autres ou qu’ils se trouvent en compétition avec
des partis plus radicaux pour obtenir le soutien de l’électorat
islamiste, mais aussi en fonction des traits spécifiques à chaque
pays.
21. Afin d’établir de véritables démocraties, ne pas remettre
en question les acquis dans le domaine de l’égalité des sexes ne
suffit pas: il faut aussi faire plus de progrès.
22. Les jeunes gouvernements de la région devraient déployer un
effort global et systématique pour garantir un double objectif:
d’une part, que les lois et les politiques soient alignées sur les
normes internationales des droits humains en matière d’égalité des
sexes et, d’autre part, que les femmes bénéficient des mêmes chances que
les hommes de participer à tous les aspects de la société et de
jouir de leurs droits humains. En faisant ainsi, ces pays devraient
pouvoir compter sur le soutien et l’assistance du Conseil de l’Europe
dans un esprit de dialogue et de respect mutuel.
23. Le dialogue avec les partis islamistes qui ont remporté les
élections est un impératif. En effet, en tant que représentants
politiques issus de processus électoraux reconnus respectueux des
normes internationales, ces partis jouissent d’une pleine légitimité
démocratique.
24. Le succès islamiste confronte l’Europe à un double défi: comprendre
la réalité d’autres pays tout en évitant une approche euro-centriste,
et ne pas céder à une tentation de relativisme culturel.
25. Beaucoup, y compris l’Assemblée, estiment que la séparation
entre Etat et religion est une condition pour la réalisation de
l’égalité des sexes
.
Il n’est pas difficile d’imaginer, cependant, que des suggestions pour
améliorer le statut des femmes en introduisant le principe de laïcité
ne mèneraient à rien, car – à l’exception de la Tunisie – ce concept
est étranger à la culture politique de ces pays et serait perçu
comme un modèle imposé, sans compter que l’électorat ne s’y intéresse
peut-être pas
.
26. Le Conseil de l’Europe devrait plutôt aider les Etats de la
région à promouvoir l’égalité des sexes et à améliorer le statut
des femmes dans un contexte où la séparation entre l’Etat et la
religion est «floue» au sens où la loi religieuse est soit la source
principale de la loi, soit la modèle fortement. En faisant ainsi,
le Conseil de l’Europe devrait réaffirmer l’universalité et l’indivisibilité
des droits humains, ce qui ne peut pas être interprété différemment
selon la culture, la religion ou le contexte social.
4. La diminution de la représentation politique des
femmes
27. Les élections du Printemps arabe ont eu pour résultat
une discordance entre la contribution des femmes au processus de
transition et leur représentation en politique.
28. En Egypte, seulement 2,2 % des sièges du nouveau parlement
sont occupés par des femmes: neuf d’entre elles ont été élues, tandis
que deux ont été nommées par le Conseil suprême des forces armées (CSFA)
. La
loi électorale sur laquelle était fondée l’élection n’a prévu aucun
quota spécial pour les femmes. La seule «action positive» pour promouvoir
la représentation politique des femmes a été l’obligation d’inscrire au
moins une femme sur toutes les listes électorales
.
29. La représentation des femmes s’est dégradée par rapport au
parlement précédent: aux élections législatives de 2005, seules
cinq femmes avaient été élues; mais, par la suite, une nouvelle
législation avait permis de réserver 64 sièges supplémentaires pour
les femmes, ce qui amenait leur représentation à 12 %
.
30. En Libye, en novembre 2011, le CNT a mis en place un gouvernement
intérimaire, composé de 29 ministres dont deux femmes: Mme Fatima
Hamroush, ministre de la Santé, et Mme Mabrouka
Jibril, ministre des Affaires sociales. A la fin de janvier 2012,
une commission spéciale chargée de préparer les élections de la
future Assemblée constituante a adopté une loi électorale. Le quota
de 10 % des sièges initialement réservés aux femmes a disparu du
texte final. Toutefois, il semble que les femmes doivent être représentées à
50 % sur les listes de candidats des partis politiques
.
31. Au Maroc, depuis les élections de novembre 2011, les femmes
occupent 67 sièges à la Chambre des représentants: 60 d’entre elles
ont été élues sur la base d’un quota réservé aux femmes
,
sept autres dans des circonscriptions locales. Bien qu’il s’agisse
d’une progression de la représentation globale des femmes à la chambre
basse, passant de 12,3 à 16,7 %, cette proportion demeure excessivement
faible, plaçant le Maroc au 72e rang
dans le monde pour ce qui est de la représentation parlementaire
des femmes
.
32. La maigre représentation des femmes touche aussi le gouvernement,
lequel ne compte qu’une seule femme – Mme Bassima
Hakkaoui (PJD), ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille
et du Développement social –, soit un recul considérable si l’on
considère que le gouvernement précédent comptait sept femmes ministres.
33. La présence d’une seule femme dans le gouvernement a suscité
les protestations d’un certain nombre de femmes parlementaires
.
Egalement sous la pression de groupes de la société civile, le Premier
ministre s’est engagé à compenser ce déséquilibre en nommant davantage
de femmes à de hautes fonctions décisionnaires au sein de l’administration
.
34. A la suite des élections législatives en Tunisie, seuls 59
des 217 sièges du parlement sont occupés par des femmes. Là encore,
ce chiffre (27 %) représente une baisse du pourcentage de femmes
par rapport au pouvoir législatif précédent (30 %). Quant au gouvernement,
sur 41 membres (30 ministres et 11 secrétaires d’Etat), il ne compte
que deux femmes ministres (Mme Sihem
Badi, ministre des Femmes et des Affaires familiales, et Mme Mémia
El Benna, ministre de l’Environnement) et une femme secrétaire d’Etat
(Mme Chahida Ben Fraj Bouraoui, secrétaire
d’Etat au Logement).
35. Les résultats médiocres en ce qui concerne la représentation
politique des femmes sont également décevants au regard de l’histoire
de la Tunisie où, des années durant, les femmes ont bénéficié d’un
statut particulièrement avancé comparativement à d’autres pays de
la région. Cette déception est d’autant plus criante si l’on considère
que les règles établies en avril 2011 par la commission électorale
tunisienne étaient particulièrement progressistes, obligeant les
partis politiques à utiliser le «zipping», c’est-à-dire l’alternance
de candidats femmes et hommes sur leurs listes électorales
.
36. Malgré ces garde-fous, la dispersion des votes sur la myriade
de listes (110) a fortement affecté les chances électorales des
femmes car, souvent, seuls ont été élus le premier ou les deux premiers
candidats de la liste. Or, seules 7 % des listes avaient une femme
comme première candidate.
37. L’expérience des élections du Printemps arabe montre que,
pour assurer une représentation significative des femmes au parlement,
il est nécessaire d’introduire des mesures positives dans les lois électorales
– par exemple, un quota de sièges réservé pour les femmes ou, mieux
encore, l’obligation faite aux partis politiques d’alterner les
candidats femmes et hommes (système du «zipping») – comme condition
de validité des listes.
38. Pour ce faire, les nouveaux gouvernements devront surmonter
leur réticence quant aux quotas et autres mesures positives visant
à promouvoir la représentation politique des femmes – autant d’initiatives
d’ailleurs souvent considérées comme un legs des anciens régimes,
alors lancées pour donner une apparence de modernité
.
39. Il a beau être crucial d’effectuer un bond en avant, pour
autant, les lois électorales ne peuvent faire vraiment progresser
les choses qu’à condition de s’accompagner d’une évolution des mentalités.
Le taux de réussite des femmes en politique dépend d’abord et avant
tout de la volonté des partis politiques de les proposer pour des
postes de direction.
40. En la matière, la Tunisie est un pays d’avant-garde: une femme
est à la tête du Parti démocrate progressiste (PDP), quatre femmes
siègent au bureau politique du Parti des verts pour le progrès,
trois femmes à celui du Mouvement des démocrates socialistes et,
enfin, une femme au bureau politique du Parti de l’unité populaire
. Au Maroc, la récente élection d’une femme
comme secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) constitue
un signe important, même s’il s’agit d’un cas isolé
. Plusieurs
partis comptent des femmes dans leurs bureaux politiques.
41. Une dernière remarque à propos du Maroc: selon la loi électorale
utilisée lors du scrutin de novembre 2011, certains sièges étaient
réservés pour les femmes et d’autres pour les hommes de moins de
40 ans. Bien que cette mesure soit une évolution positive puisqu’elle
favorise la participation politique des jeunes, je ne peux m’empêcher
de la critiquer en ce sens qu’elle opère une discrimination contre
les jeunes femmes. Si cette disposition est conservée pour la prochaine
élection, j’espère qu’elle sera révisée afin d’assurer aux jeunes femmes
la possibilité d’en bénéficier.
5. Médias sociaux et participation politique des
femmes
42. Le Printemps arabe n’aurait pas été le même sans
les nombreuses blogueuses qui ont recouru aux médias sociaux pour
exprimer leurs points de vue, pour diffuser des informations sur
les événements et pour orchestrer des actions de protestation. Grâce
à l’accessibilité de l’internet, les femmes jouissant d’un niveau d’éducation
adéquat ont réussi à surmonter les barrières sociétales et culturelles
et à s’engager dans un militantisme politique. Parfois, elles ont
agi de leur propre chef, parfois elles faisaient partie de groupes
de la société civile et d’organisations non gouvernementales de
femmes, foyers de rassemblement fort propices durant les soulèvements.
43. Parmi les exemples les plus connus d’initiatives innovantes
de médias sociaux lancées par des femmes, je citerai la campagne
«Women2Drive»
,
en Arabie Saoudite, et «HarassMap», en Egypte
,
initiative visant à mettre un terme à l’acceptabilité sociale du
harcèlement sexuel à l’encontre des femmes. Actuellement, le groupe
de la société civile «Women4Libya» organise une pétition en ligne,
recueillant des signatures sur internet pour demander une plus grande
représentation des femmes libyennes au CNT et dans les futures institutions
gouvernementales
.
44. Le militantisme politique des femmes par le biais de réseaux
sociaux est une évolution positive à préserver et à encourager.
Toutefois, gardons-nous de le surestimer: dans le monde arabe, seul
un tiers des utilisateurs de médias sociaux se compose de femmes,
chiffre bien inférieur à la moyenne mondiale de 50 % de femmes et
50 % d’hommes
;
sans oublier que, si la participation virtuelle peut être un premier
pas vers l’autonomisation des femmes, «il ne se traduira pas nécessairement
dans la vie réelle par une participation aux arènes politiques,
civiques et publiques dominantes»
.
45. Aussi faut-il coopérer étroitement avec les autorités, la
société civile et les organisations non gouvernementales pour trouver
des mécanismes adéquats permettant de promouvoir une participation
active des femmes et leur représentation dans de réels organes politiques,
mais aussi se garder de voir dans le militantisme en ligne un substitut
à d’autres formes plus institutionnelles d’engagement.
46. Les blogueuses (en groupes et/ou individuelles) devraient
être encouragées à poursuivre leur engagement actif via les médias
sociaux, ce moyen apparaissant comme une nouvelle manière d’exercer
un contrôle démocratique sur les autorités et de sonner l’alarme
s’il y a lieu.
47. Enfin, n’oublions pas qu’un grand nombre de femmes en dehors
des centres urbains non seulement ne peuvent accéder à internet
mais, parfois, manquent d’un niveau d’éducation nécessaire
.
Les efforts pour apporter à ces femmes les instruments de base indispensables
à leur autonomisation – alphabétisation et éducation – doivent être
déployés sans relâche.
6. Réforme constitutionnelle: une fenêtre d’opportunités
pour les droits des femmes
48. Dans les années à venir, les Assemblées constituantes
d’Egypte, de Libye et de Tunisie entreprendront la rédaction de
nouvelles Constitutions. Quant au Maroc, qui a approuvé une nouvelle
Constitution par voie de référendum populaire, il devra adopter
une abondante législation pour mettre les dispositions de la nouvelle Constitution
en pratique, effort qui pourrait demander cinq années de travail.
49. Le processus de réforme constitutionnelle offre une possibilité
unique d’inscrire le principe d’égalité des sexes à la base du système
législatif et, ainsi, de créer les conditions légales nécessaires
à l’amélioration du statut des femmes. Plusieurs mesures peuvent
être prises à cette fin:
- intégrer
le principe d’égalité des sexes dans la Constitution et assurer
qu’il est reflété par la législation;
- inclure dans la Constitution la possibilité d’introduire
des actions et des politiques positives afin de promouvoir l’égalité
entre les femmes et les hommes;
- établir la primauté des traités des droits humains internationaux
auxquels les Etats sont parties sur la législation nationale.
50. Ces différentes mesures ne s’excluent pas mutuellement. Au
contraire, introduites ensemble, elles offriraient la meilleure
garantie d’un cadre solide pour l’égalité des sexes.
51. Le Maroc montre l’exemple en matière de réforme constitutionnelle.
La nouvelle Constitution consacre l’égalité des sexes dans son article 19:
«L’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés
à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental,
énoncés dans le présent titre et dans les autres dispositions de
la Constitution, ainsi que dans les conventions et pactes internationaux
dûment ratifiés par le Royaume et ce, dans le respect des dispositions
de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. L’Etat
marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et
les femmes. Il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité
et la lutte contre toutes formes de discrimination.»
52. La nouvelle disposition peut être saluée comme un progrès
décisif. Dans quelle mesure le gouvernement jugera-t-il bon et prioritaire
de la mettre en œuvre? La question est à présent d’une importance cruciale;
car il ne s’agit pas seulement de mettre en place l’Autorité pour
la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination, ainsi
que l’exige la Constitution, mais bien aussi d’établir un cadre
législatif complet pour éradiquer la discrimination à l’encontre
des femmes et pour promouvoir l’égalité des sexes, notamment en allouant
les fonds nécessaires à cette tâche.
53. La volonté politique de considérer l’amélioration du statut
des femmes comme une priorité est l’élément clé, car l’égalité des
sexes compte parmi les nombreux autres domaines où des réformes
juridiques et politiques s’imposeront pour pleinement appliquer
la Charte constitutionnelle. A cet égard, un certain nombre d’interlocuteurs
marocains ont indiqué que le Plan national sur la démocratie et
les droits de l’homme, présenté à l’ancien Premier ministre en 2011,
était un document particulièrement progressiste et qu’ils espéraient
le voir suivi
.
54. La nouvelle Constitution marocaine reconnaît la primauté du
droit international sur la législation nationale dans son préambule,
qui déclare que le royaume du Maroc s’engage à: «Accorder aux conventions internationales
dûment ratifiées par lui, dans le cadre des dispositions de la Constitution
et des lois du Royaume, dans le respect de son identité nationale
immuable, et dès la publication de ces conventions, la primauté
sur le droit interne du pays, et harmoniser en conséquence les dispositions
pertinentes de sa législation nationale».
55. De même, les autres pays de la région doivent être encouragés
à introduire une disposition semblable, de préférence dans la partie
de la Constitution consacrée aux sources du droit.
56. Il est un point qui suscite souvent des craintes: l’inclusion
de la charia comme source de droit dans la Constitution, ou comme
principale source de droit. Ainsi, l’annonce du CNT Libyen déclarant
que la future Constitution nationale serait fondée sur la charia
a été reçue avec inquiétude dans certains milieux
.
57. Avant le Printemps arabe, la charia était explicitement considérée
comme principale source de droit par les Constitutions d’Egypte
et de Libye; elle n’était pas expressément mentionnée dans les Constitutions
du Maroc et de la Tunisie, même si elle transparaissait dans une
grande partie de la législation, notamment en matière de droit familial
et successoral.
58. Il me semble que l’Assemblée, tout en restant vigilante, devrait
éviter de tirer des conclusions hâtives sans prendre en compte les
spécificités de chaque contexte national. Il ne serait guère approprié
et constructif pour l’Assemblée de suggérer que des représentants
démocratiquement élus (ou futurs élus), choisis sur la base d’un
programme islamiste dans des pays qui ne sont pas membres du Conseil
de l’Europe et où l’Islam est la religion d’Etat et la religion
de la majorité de la population, ne devraient pas inclure la charia
parmi les sources de droit.
59. Au contraire, si le Conseil de l’Europe et son Assemblée souhaitent
donner une contribution tangible au renforcement des droits des
femmes dans cette région voisine, ils devraient avoir une approche
constructive: ils devraient promouvoir la connaissance et la compréhension
des valeurs de droits humains auprès de la population de ces pays,
soutenir les groupes de la société civile favorables aux droits
des femmes et aider les autorités à assurer la conformité de la
législation avec les normes fondamentales internationales des droits humains,
indifféremment du contexte religieux et de l’influence de la religion
sur les sources de droit.
7. Secteurs clés de réforme législative
7.1. Pleine applicabilité de la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
60. L’Egypte, la Libye, le Maroc et la Tunisie ont tous
signé et ratifié la Convention des Nations Unies sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (la
«CEDEF»). Toutefois, seules la Libye et la Tunisie sont Parties
au Protocole facultatif, lequel reconnaît la compétence du Comité
sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes pour
recevoir des plaintes individuelles ou collectives. En 2006, le
Maroc a déclaré qu’il ratifierait le Protocole facultatif mais cette
déclaration n’a pas été suivie d’effet
.
61. Ces dernières années, les pays d’Afrique du Nord, en particulier
l’Egypte et le Maroc, se sont efforcés de lever des réserves à d’importants
articles. Notamment, le Maroc a retiré les réserves aux articles
9.2 et 16 en avril 2011. Toutefois, à ce jour, certaines réserves
demeurent, notamment:
- à l’article 2
sur les mesures politiques à entreprendre pour éliminer la discrimination
(Libye, Maroc);
- à l’article 9.2 sur l’égalité entre les femmes et les
hommes concernant la transmission de la nationalité aux enfants
(Tunisie);
- à l’article 15.4 sur l’égalité de droits en ce qui concerne
la législation relative au droit des personnes à circuler librement
et à choisir leur résidence et leur domicile (Maroc, Tunisie);
- à divers paragraphes de l’article 16 sur le mariage et
la vie de famille (Egypte, Libye, Tunisie);
- à l’article 29.1 sur l’arbitrage des différends entre
deux ou plusieurs Etats parties concernant l’interprétation ou l’application
de la convention (Maroc, Tunisie).
62. Le processus actuel de réforme constitutionnelle doit être
une occasion de supprimer les obstacles juridiques à la levée de
telles réserves.
63. Le Maroc pourrait, par conséquent, apporter un suivi concret
à la déclaration prononcée par le roi en avril 2010 lors du 60e anniversaire
de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en levant toutes
les réserves à la CEDEF et, ce qui serait souhaitable, en ratifiant
le Protocole facultatif
.
64. La Tunisie semble avoir déjà largement progressé dans ce domaine:
à la suite de la pression exercée par des groupes de la société
civile
et
de la visite de Mme Michèle Bachelet,
directrice exécutive de l’ONU Femmes, le gouvernement a accepté
un décret visant à lever les réserves sur certains articles
.
Cependant, l’Assemblée constituante n’étant pas une assemblée parlementaire
dotée de pleins pouvoirs législatifs, le décret devra attendre la
formation d’un nouveau parlement pour être ratifié.
65. L’acceptation de lever toutes les réserves à la CEDEF est,
d’un point de vue politique, un signe particulièrement important:
le Maroc et la Tunisie seraient les premiers pays arabes à le faire.
Cette dynamique ne doit pas retomber et les engagements politiques
doivent se traduire en actions dès que possible.
66. A noter également que, lors de la ratification, la Tunisie
a fait une déclaration générale annonçant que, dans la mise en œuvre
de la convention, il n’était pas question d’adopter de mesures contrevenant
à la Constitution du pays
.
Comme le soulignent des groupes de la société civile, les autorités
doivent envisager de retirer cette déclaration générale, qui crée
une certaine ambiguïté quant à la volonté politique de la Tunisie d’appliquer
la convention dans son intégralité et qui soulève des questions
quant à la primauté de la religion sur les droits humains
.
67. Le retrait des réserves à la CEDEF impliquerait aussi que
le Maroc et la Tunisie s’engagent dans un processus de réforme législative,
afin d’intégrer pleinement leurs obligations internationales dans
le droit interne. Cela s’applique en particulier dans les domaines
du droit de la famille, de la polygamie et du droit successoral.
7.2. Droit de la famille
68. Au Maroc, des progrès remarquables en faveur des
femmes ont été réalisés dans le domaine du droit de la famille en
2004 avec l’adoption du nouveau Code de la famille. Ce code affirme
notamment le droit de la femme marocaine à se marier librement,
sans avoir besoin de l’autorisation de son père. L’obligation pour l’épouse
d’obéir à son mari a été supprimée; la loi place la famille sous
la responsabilité conjointe des époux. Hommes et femmes sont sur
un pied d’égalité en ce qui concerne l’âge légal du mariage, qui
est maintenant de 18 ans, alors qu’il était précédemment de 15 ans
pour les femmes et de 18 ans pour les hommes.
69. Le code de 2004 a également réformé le divorce. Le droit unilatéral
des hommes à divorcer a été limité et deux nouvelles formes de divorce,
fondées respectivement sur le consentement mutuel et sur l’existence
de différences insurmontables, ont été introduites. L’un ou l’autre
des conjoints peut initier la procédure dans les deux cas. Une discrimination
subsiste dans la mesure où les femmes musulmanes ne sont pas autorisées
à épouser un homme non musulman. «Cela constitue une discrimination
à l’égard des femmes, car aucune disposition semblable ne s’applique
aux hommes, une violation du droit fondamental au mariage et également une
restriction à la liberté de religion»
.
70. Bien que la réforme de 2004 ait représenté un tournant au
point de vue juridique, il reste beaucoup à faire pour améliorer
la mise en œuvre de la législation, en dispensant des formations
aux membres de la magistrature et en assurant l’application cohérente
de la loi dans l’ensemble du pays, y compris dans les régions rurales
.
71. La Constitution tunisienne de 1956 énonce à l’article 6 le
principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. L’égalité
entre les sexes, bien que généralement considérée comme un élément
de ce principe général, n’est pas explicitement mentionnée. Le Code
du statut personnel, introduit après l’accession de la Tunisie à l’indépendance
(1957), reconnaît une série de droits aux femmes, tels que le droit
au mariage, le droit à gérer leurs propres biens, le droit au divorce,
et interdit la polygamie.
72. Le droit tunisien est généralement assez avancé en ce qui
concerne l’égalité entre les sexes et les droits des femmes. Néanmoins,
un certain nombre de dispositions du droit de la famille se traduisent
directement ou indirectement par des discriminations à l’égard des
femmes. Bien que, comme au Maroc, l’obligation pour l’épouse d’obéir
à son mari ait été supprimée en 1993, en Tunisie le mari est toujours
le seul chef de famille et celui qui décide du lieu d’habitation
de la famille. Si l’épouse quitte le lieu d’habitation commun sans autorisation
– par exemple parce qu’elle est soumise à des violences conjugales
–, l’épouse risque de devoir faire face à un divorce dont elle aura
à supporter le coût financier. Par ailleurs, le mari est libre de
décider de modifier le lieu d’habitation de la famille sans demander
l’avis de son épouse, que cela soit ou non dans l’intérêt des enfants.
En outre, en Tunisie, la notion d’autorité paternelle – plutôt que
celle d’autorité parentale – continue à s’appliquer, la mère ne
participant que sous certains aspects à l’exercice de cette autorité.
7.3. Polygamie
73. Le seul pays de la région à avoir aboli la polygamie
est la Tunisie, dès 1956.
74. Au Maroc, le Code de la famille de 2004 ne l’a pas abolie
mais a introduit un grand nombre de conditions restrictives, telles
que l’approbation d’un juge, l’autorisation de la première épouse
et l’obligation pour l’époux de posséder des ressources financières
suffisantes pour subvenir aux besoins de toutes les familles. D’un point
de vue statistique, la polygamie concerne un nombre de familles
très restreint et elle est en régression (quelque 864 hommes ont
pris une seconde épouse dans le cadre d’un mariage polygame en 2007,
contre 904 en 2004)
.
75. En Egypte, la polygamie est soumise à des conditions moins
strictes et est beaucoup plus répandue. L’homme dispose d’un an
pour informer son épouse qu’il a contracté un second mariage. A
défaut, la première épouse est en droit de demander le divorce.
76. En Libye, la polygamie est autorisée au motif de la capacité
physique et financière avec autorisation judiciaire préalable, ainsi
qu’avec l’autorisation écrite de l’épouse
.
77. Au Maroc, plusieurs interlocuteurs ont souligné l’impossibilité
d’abolir la polygamie, du fait que cette tradition est rigoureusement
liée au droit religieux et qu’une telle mesure ne serait pas comprise
par la société. Certes, je comprends parfaitement qu’il s’agit là
d’une question particulièrement sensible, mais j’aimerais rappeler
que, outre la Tunisie, pays musulman où l’islam est la religion
d’Etat, la Turquie a également aboli la polygamie.
78. Enfin, je suis obligée de souligner que la polygamie existe
en violation des normes internationales sur les droits humains.
Comme le déclare le Comité CEDEF, «la polygamie est contraire à
l’égalité des sexes et peut avoir de si graves conséquences affectives
et financières pour la femme et les personnes à sa charge qu’il
faudrait décourager et même interdire cette forme de mariage. Il
est inquiétant de constater que certains Etats parties, dont la
Constitution garantit pourtant l’égalité des droits des deux sexes,
autorisent la polygamie, soit par conviction, soit pour respecter
la tradition, portant ainsi atteinte aux droits constitutionnels
des femmes et en infraction à la disposition 5 (a) de la Convention»
.
7.4. Droits de succession
79. Le droit successoral établit une discrimination systématique
à l’égard des femmes dans tous les pays de la région: aux termes
du droit islamique, la part d’une femme est égale à la moitié de
celle d’un homme. Certains interprètes musulmans insistent sur le
fait que cette règle n’implique «aucun jugement de valeur» à l’égard
des femmes en tant qu’êtres humains, mais découle du fait que les
femmes et les hommes ont des rôles différents à l’intérieur d’un
foyer et n’ont pas les mêmes besoins financiers, puisque la responsabilité
du soutien de la famille repose sur les hommes
.
80. Quel que soit le ratio imposé par de telles règles et même
si, dans la réalité, elles sont fréquemment contournées par des
donations aux femmes, l’inégalité des droits successoraux prévus
par la législation est contraire au principe de non-discrimination
énoncé dans la CEDEF et représente un obstacle effectif ou potentiel
à l’autonomisation et à l’émancipation des femmes.
8. Violence à l’égard des femmes
81. On pense que l’incidence de la violence à l’égard
des femmes est considérable dans la région, mais il est difficile
de l’évaluer en termes quantitatifs à cause d’une sous-déclaration
endémique et de l’absence de collecte systématique de données en
ce domaine. La principale forme de violence à l’égard des femmes
est la violence domestique
. Selon des sources fiables,
les mutilations génitales féminines ne sont pas pratiquées au Maroc
et en Tunisie, contrairement à l’Egypte et à la Libye
.
Les mutilations génitales féminines ne devraient pas être considérées
comme une question sanitaire, mais comme une violation grave des
droits des femmes et des enfants. L’existence de la négligence des
filles a fait l’objet de rapports dans tous les pays de la région
.
82. En dépit d’indications concordantes des organisations non
gouvernementales et de la société civile faisant état de la pratique
de crimes dits «d’honneur»
,
il n’y a pas de preuve ou d’information fiable à cet égard; les
autorités marocaines et tunisiennes nient que ces crimes aient lieu
et je n’ai pas connaissance de cas judiciaires pertinents. En général,
les prétendus crimes d’honneur ont lieu au sein de communautés où
les concepts d’honneur et de honte sont liés strictement aux comportements
attendus de la part des familles et des individus, notamment ceux
des femmes. J’estime donc que ces crimes se produisent dans les
pays concernés par ce rapport, même s’ils ne sont pas traités par
les tribunaux, parce qu’ils ne sont pas signalés aux autorités ou,
dans certains cas, sont présentés comme des accidents ou des suicides.
83. Dernier élément et non des moindres, lors du récent conflit
en Libye, des centaines de femmes et de filles ont été victimes
du viol utilisé comme arme de guerre; les auteurs de ces crimes
demeurent impunis et les autorités n’ont apporté aucune aide aux
victimes
.
84. Au Maroc, ces dernières années, la question de la violence
à l’égard des femmes a gagné en visibilité grâce aussi au travail
d’un certain nombre d’organisations non gouvernementales très actives
et à l’attention accrue apportée par le gouvernement à ce problème.
D’après une enquête du Haut Commissariat au Plan, 62,8 % des femmes
adultes marocaines ont subi une forme ou une autre de violence sexiste
en 2010
.
85. La législation incrimine différentes formes de violences à
l’égard des femmes, y compris le viol conjugal, mais il n’existe
pas de cadre juridique global permettant de prévenir et de poursuivre
sur le plan pénal la violence à l’égard des femmes.
86. Les autorités marocaines ont engagé des efforts importants
en matière de visibilité et de sensibilisation: la première campagne
nationale contre la violence sexiste a été lancée par le Gouvernement
marocain en 1998 et plusieurs autres ont suivi depuis. En 2006,
dans le cadre de la stratégie nationale contre la violence sexiste
a été créé un Observatoire national de la violence à l’égard des
femmes à l’intérieur duquel plusieurs ministères (santé, justice,
développement) et administrations publiques coopèrent avec la société
civile.
87. En dépit de l’attitude progressiste de la Tunisie dans le
domaine des droits des femmes, le bilan dans le domaine de la lutte
contre la violence à l’égard des femmes demeure aussi mitigé. Parmi
les mesures positives introduites en Tunisie, on peut citer l’adoption
d’une stratégie nationale en 2007, l’inclusion dans la législation
d’une disposition protégeant l’intégrité physique des femmes, l’incrimination
de plusieurs formes de violence à l’égard des femmes, l’abolition
de la disposition permettant de faire de l’adultère un motif d’amnistie du
mari ayant tué sa femme et l’adoption de mesures de protection des
femmes victimes de la violence, notamment la mise en place d’un
fonds public pour apporter une aide financière temporaire aux femmes mariées
qui quittent un mari violent.
88. Cependant, de graves insuffisances subsistent dans le cadre
juridique en vigueur ainsi que dans le fonctionnement du système
d’application des lois: la violence domestique est généralement
considérée comme une affaire privée et la police refuse le plus
souvent d’intervenir. En cas de retrait d’une plainte par une femme
– ce qui se produit souvent à la suite de pressions familiales –,
la police ou les tribunaux ne sont pas obligés de poursuivre l’examen
de l’affaire. Le viol conjugal n’est pas incriminé. Le viol d’une
mineure n’est pas considéré comme un crime si l’auteur du viol épouse
la victime
.
89. Je suis persuadée que, compte tenu de l’expertise remarquable
du Conseil de l’Europe dans le domaine de la violence à l’égard
des femmes, il est possible de renforcer le dialogue et la coopération
avec les pays de la région dans ce domaine particulier, en leur
apportant une expertise légale pour passer en revue la législation,
ainsi que des outils destinés à sensibiliser l’ensemble de la population.
9. Accès à la justice
90. Le système judiciaire le plus sophistiqué ne peut
remplir sa fonction si ses bénéficiaires n’y ont pas accès. Malheureusement,
de nombreux obstacles systémiques restreignent toujours l’accès
des femmes à la justice dans la région. Le manque de connaissance
de leurs droits et du fonctionnement du système judiciaire ainsi
que l’existence de certains obstacles sociaux et pratiques, tels
que le coût de l’assistance juridique et des transports, empêchent
les femmes de déclarer les infractions dont elles sont victimes
.
91. Cela est vrai en particulier des actes de violence sexuelle
ou domestique: les femmes ont peur de signaler de tels actes aux
autorités par crainte d’être stigmatisées au sein de leur famille
et leur communauté
. Dans
une enquête sur les tribunaux de la famille au Maroc, 69 % des femmes
victimes de violence domestique ont déclaré préférer résoudre le
problème à l’intérieur de la famille
. L’impunité très fréquente des auteurs d’infractions,
la victimisation secondaire et le faible taux de condamnation sont
aussi des éléments qui dissuadent les femmes de chercher à obtenir
justice.
92. Je voudrais encourager les efforts en faveur d’une réforme
générale des systèmes judiciaires, conformément aux dispositions
de l’article 2 de la CEDEF demandant aux Etats «[d’]instaurer une
protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité
avec les hommes et [de] garantir, par le truchement des tribunaux
nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection
effective des femmes contre tout acte discriminatoire».
93. Pour que la justice réponde aux besoins des femmes, il est
nécessaire que les juges, les avocats et les policiers reçoivent
une formation aux questions concernant la violence sexiste, et qu’ils
soient aussi mieux sensibilisés aux droits des femmes. Le Conseil
de l’Europe pourrait, à mon avis, jouer également un rôle en ce
domaine.
94. Enfin, je voudrais indiquer que l’accès effectif des femmes
à la justice sera l’un des éléments essentiels qui détermineront
le succès ou l’échec du Printemps arabe. Pour que le système judiciaire
transitionnel soit efficace, l’inclusion et la participation des
femmes seront nécessaires, ainsi que la poursuite des actes de violence
subis par des femmes au cours de manifestations pacifiques ou dans
des situations de conflit armé, quel que soit le camp politique
des auteurs de ces actes.
10. La participation du Conseil de l’Europe
95. Le Conseil de l’Europe élabore une politique à l’égard
de son voisinage immédiat en réponse aux événements qui se déroulent
sur la rive sud de la Méditerranée, en vue de faciliter la transition
démocratique et de promouvoir la bonne gouvernance. Les premiers
plans d’action («Priorités de la coopération de voisinage») pour
la mise en œuvre de la nouvelle politique viseront le Maroc et la
Tunisie et devraient être approuvés au printemps 2012. En outre,
le Programme Union européenne–Conseil de l’Europe pour le renforcement
des réformes démocratiques dans le voisinage méridional a été signé
par le Commissaire européen à l’élargissement et à la politique
européenne de voisinage, M. Štefan Füle, et par le Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe en janvier 2012. Certains programmes inclus
dans les plans d’action avec le Maroc et la Tunisie seront soutenus
par l’Union européenne à travers ce programme. Des contacts ont
été pris avec d’autres bailleurs de fonds qui pourraient contribuer
à la mise en œuvre des programmes compris dans les plans d’action.
96. Conformément à la politique du Conseil de l’Europe envers
les régions voisines, la coopération avec les pays concernés sera
fondée sur la demande, ce qui est conforme aux souhaits exprimés
par les personnes avec lesquelles j’ai pu m’entretenir pendant mes
visites d’information au Maroc et en Tunisie. Les priorités de la
coopération de voisinage ont d’ailleurs été établies en consultation
directe avec les pays concernés au cours d’un certain nombre de
réunions et de missions.
97. Les plans d’action s’appuieront sur les liens de coopération
que le Conseil de l’Europe a déjà établis avec le Maroc et la Tunisie
dans un large éventail de domaines
.
L’égalité entre les sexes occupe une place prééminente dans les
priorités de coopération avec le Maroc et la Tunisie au titre du
Pilier 1 (Droits humains), dont les objectifs comprennent la promotion
des droits des femmes, la participation des femmes à la vie politique
et à la vie publique, ainsi que la lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique. Les activités de coopération
au titre du Pilier 2 (Etat de droit), en particulier celles qui
visent à renforcer l’indépendance, l’efficacité et la qualité de
la justice, sont aussi très pertinentes parce qu’elles auront un
impact direct sur l’application du droit de la famille et l’accès
des femmes à la justice.
98. Les activités concernant la liberté d’expression ainsi que
l’indépendance et la pluralité des médias pourraient aussi contribuer
à l’amélioration de la situation des femmes, l’image de ces dernières
véhiculée par les médias ayant des incidences sur leur statut effectif
au sein de la société
. Des activités
de coopération sont également envisagées dans le domaine de la lutte
contre la traite des êtres humains. Le Maroc et la Tunisie sont
tous deux concernés en tant que pays d’origine, de destination et
de transit des victimes de la traite. Dans les deux pays, le cadre
juridique a besoin d’être renforcé et les aspects institutionnels
et de ressources humaines du système d’application de la loi demandent
à être développés.
99. Le Maroc et la Tunisie devraient, me semble-t-il, à une étape
ultérieure, chercher à adhérer à la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique (STCE n° 210).
Avant même que cela soit possible, comme cela est proposé dans les plans
d’action, un certain nombre d’activités de coopération pourraient
être organisées dans ce domaine, en particulier dans le domaine
de la sensibilisation, de l’échange de bonnes pratiques, de la formation
du personnel chargé de l’application de la loi et de l’étude de
la convention.
100. Sous l’angle intergouvernemental des activités du Conseil
de l’Europe, la Commission de Venise et le Centre Nord-Sud sont,
à mon avis, les deux structures les mieux placées pour renforcer
la coopération avec le Maroc et la Tunisie dans le domaine de l’égalité
entre les sexes et du statut des femmes.
101. En tant que membres à part entière de la Commission de Venise,
le Maroc et la Tunisie ont directement accès à son expertise. La
Commission de Venise peut apporter conseils et assistance à la Tunisie,
qui prépare actuellement un projet de Constitution. Elle pourrait
en outre aider la Tunisie et le Maroc à élaborer divers textes de
loi en vue de l’application des Constitutions de ces pays, par exemple
les lois sur le fonctionnement des pouvoirs de l’Etat, les lois
électorales ainsi que les règlements intérieurs des organes électifs.
En menant à bien cette tâche, la Commission de Venise devrait veiller
à la conformité de la législation nationale avec les instruments
internationaux et à la prise en compte effective des considérations
relatives à l’égalité entre les sexes.
102. Le Centre Nord-Sud est un outil de dialogue structuré avec
les pays du sud de la Méditerranée. Menant des activités de coopération
et de dialogue interculturel depuis sa création en 1989, le Centre
a vu son importance confirmée et renforcée par les événements du
Printemps arabe et a contribué à la définition des priorités du
Conseil de l’Europe pour le Maroc et la Tunisie pendant la période
2012-2014. En mai 2011, une nouvelle résolution statutaire a réaffirmé
son rôle d’interface entre le Conseil de l’Europe et les pays voisins
de la région intéressés à coopérer avec l’Organisation.
103. Le Centre a suivi avec beaucoup d’attention les évènements
du Printemps arabe tout au long de l’année 2011. La conférence de
Rome sur «Les femmes agentes de changement au sud de la Méditerranée», organisée
conjointement par le Centre Nord-Sud et le Parlement italien en
octobre 2011, a rassemblé des représentants de gouvernements, d’organisations
internationales, de parlements et de la société civile, ainsi que
des journalistes et des experts, pour discuter à la fois du rôle
des femmes en tant qu’actrices du changement politique, économique
et personnel et du rôle des médias comme instruments de promotion
du rôle des femmes. Dans le document final de la conférence, les
participants ont décidé la création d’un réseau de femmes pour la
gouvernance démocratique, afin de contribuer au renforcement des
capacités de promotion de la participation des femmes à la vie politique
au niveau à la fois national et local, ainsi que l’organisation d’une
manifestation annuelle de suivi de la conférence. Les conclusions
de la conférence jettent les bases d’une série d’activités pour
la période 2012-2014 sous l’intitulé «Le processus nord-sud pour
le renforcement du rôle des femmes».
104. Le Maroc est le premier Etat non européen à avoir adhéré au
Centre Nord-Sud, en 2009, et il serait souhaitable que d’autres
pays de la région suivent son exemple et réfléchissent à la possibilité
d’adhérer à l’accord partiel correspondant.
105. A présent, le Centre Nord-Sud est un acteur clé pour le développement
de cette coopération. J’espère que la décision de l’Allemagne de
se retirer de cet accord partiel ne va pas affecter sa capacité
opérationnelle et que le Centre continuera à recevoir un niveau
de financement adéquat pour ses activités.
11. Renforcer les relations parlementaires
106. L’Assemblée a décidé de créer le statut de partenaire
pour la démocratie en 2009
.
Deux ans plus tard, avec le Printemps arabe, ce statut est devenu
particulièrement pertinent car il offre un cadre de coopération structurée
avec les parlements des Etats non membres des régions voisines qui
souhaitent bénéficier de l’expérience de l’Assemblée en matière
de développement de la démocratie et participer au débat politique
sur les enjeux communs qui transcendent les frontières européennes.
Le statut de partenaire pour la démocratie a été accordé au parlement
du Maroc en juin 2011.
107. L’égalité entre les sexes fait partie des éléments essentiels
pris en compte dans la procédure en vue de l’obtention du statut
de partenaire pour la démocratie. La demande d’obtention de ce statut
doit mentionner explicitement la volonté du parlement candidat d’adhérer
aux valeurs du Conseil de l’Europe, à savoir la démocratie pluraliste
et fondée sur la parité entre les sexes, la prééminence du droit
et le respect des droits humains et des libertés fondamentales.
Elle doit aussi inclure l’engagement de favoriser une participation équilibrée
des femmes et des hommes à la vie publique et à la vie politique.
En outre, les délégations parlementaires jouissant du statut de
partenaire pour la démocratie doivent, pour autant que le nombre
de leurs membres le permet, être composées de façon à assurer une
représentation équitable des partis ou groupes politiques du parlement
concerné et inclure un pourcentage de membres du sexe sous‑représenté
au moins équivalent à celui qui existe au sein de ce parlement et,
dans tous les cas, un représentant de chaque sexe.
108. Le statut de partenaire pour la démocratie ne devrait pas
être un titre purement formel mais un outil concret permettant une
coopération plus étroite. Les délégations de partenaires pour la
démocratie devraient avoir la possibilité de participer pleinement
aux travaux de l’Assemblée, de confronter des idées, d’échanger des
points de vue et des exemples de bonnes pratiques, et d’organiser
des initiatives et des manifestations conjointes. Elles devraient
en fait être encouragées à mettre en avant des propositions spécifiques
de déclarations et d’actions communes.
109. L’égalité entre les femmes et les hommes et le statut des
femmes devraient être au cœur des activités, afin d’assurer au statut
de partenaire pour la démocratie un caractère opérationnel. La décision
permettant aux parlements ayant obtenu ce statut de désigner un
membre pour participer au Réseau parlementaire pour le droit des
femmes de vivre sans violence est un exemple d’engagement dans une
campagne parlementaire
. Des activités additionnelles devraient
être envisagées, par exemple dans des domaines comme celui de la représentation
des femmes dans la vie politique et de leur participation à la vie
publique, de la prévention et de la lutte contre la traite des êtres
humains, ou encore de la situation des femmes dans les régions rurales.
110. Enfin, il conviendrait d’examiner la possibilité pour d’autres
pays de la région de demander à obtenir le statut de partenaire
pour la démocratie. Cette possibilité concerne en premier lieu la
Tunisie, pays relativement avancé dans le domaine de l’égalité entre
les sexes et avec lequel des liens de coopération ont déjà été établis.
12. Conclusions et recommandations
111. L’espace d’un printemps a suffi pour changer la couleur
politique des gouvernements de l’Egypte, de la Libye, du Maroc et
de la Tunisie. Construire des démocraties solides, reposant sur
une participation équilibrée des femmes et des hommes et la reconnaissance
du fait que les femmes et les hommes ont une dignité égale et doivent
jouir à égalité des droits humains, demandera plus de temps. L’évolution
des mentalités et le développement des conditions sociales et culturelles
propices à une pleine autonomisation des femmes s’inscriront sans
doute dans un processus plus long encore.
112. Un an après le début des soulèvements et des manifestations,
aucun changement positif concret ne s’est encore produit dans la
vie des femmes sur le terrain: en Libye, les droits des femmes ne
figurent pas parmi les priorités de l’agenda du Conseil national
de transition et les femmes ne sont pas représentées de façon adéquate
au sein de cet organe; en Egypte, la situation des femmes semble
se détériorer, si l’on en juge par l’impunité des actes de harcèlement
commis à l’encontre de manifestantes, la représentation négligeable des
femmes au sein de l’Assemblée constituante et l’absence de propositions
spécifiques des forces politiques qui ont remporté les élections
sur les moyens d’améliorer la protection des droits des femmes;
au Maroc et en Tunisie, les femmes sont encore moins nombreuses,
respectivement au sein du gouvernement et du parlement, qu’avant
le Printemps arabe.
113. Néanmoins, on ne peut nier que, dans tous ces pays, une fenêtre
d’opportunités demeure ouverte pour les femmes: alors que vont être
posées de nouvelles bases constitutionnelles et législatives, le
moment est venu d’assurer que l’égalité entre les femmes et les
hommes constitue effectivement l’une des pierres angulaires des
nouveaux systèmes juridiques.
114. En outre, si le Printemps arabe n’a pas encore fleuri pour
les femmes, il est certain qu’il a répandu de bonnes semences au
Maroc et en Tunisie. Au Maroc, la nouvelle Constitution consacre
le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, rend possible
l’introduction de mesures positives pour promouvoir l’égalité entre
les sexes et reconnaît la primauté des instruments internationaux
des droits humains sur le droit national. Elle offre donc une excellente
base constitutionnelle au développement d’un système légal protégeant
les droits des femmes.
115. D’autre part, le Maroc et, de façon encore plus claire, la
Tunisie ont exprimé la volonté de retirer toutes leurs réserves
à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
à l’égard des femmes (CEDEF) et de réexaminer en conséquence leur
législation nationale. Il s’agirait là d’un pas en avant sans précédent
parmi les pays arabes, qui ouvrirait la voie à une mise en conformité
des dispositions du droit interne relatives au mariage, au statut
personnel et aux droits successoraux avec les normes internationales
des droits humains.
116. Bien que les résultats électoraux de 2011 soient décevants
du point de vue de la représentation des femmes, le Maroc et la
Tunisie ont tous deux manifesté la volonté politique d’adopter des
mesures positives visant à renforcer la représentation des femmes
au parlement. La loi électorale appliquée en Tunisie pour l’élection
de l’Assemblée constituante est très avancée au regard non seulement
des normes régionales mais aussi des normes européennes.
117. Ces premiers pas positifs au Maroc et en Tunisie devraient
servir de modèle à d’autres pays de la région et être suivis par
de nouvelles initiatives dans les mois qui viennent. La réforme
constitutionnelle n’est que le début d’un processus devant conduire
au développement de démocraties reposant sur l’égalité entre les femmes
et les hommes. Pour parvenir à des changements concrets, cette réforme
devra être suivie par:
- l’adoption
de lois de mise en œuvre prenant en compte la dimension du genre;
- la décision délibérée de donner la priorité à l’égalité
entre les sexes parmi les nombreux domaines du droit et des politiques
qui nécessitent un examen et une mise en œuvre;
- la participation active des femmes aux institutions et
à l’administration à tous les niveaux et dans tous les domaines;
- l’introduction de mesures positives pour promouvoir la
représentation et la participation des femmes;
- le renforcement de la connaissance et de la mise en œuvre
de la législation;
- l’amélioration de l’accès des femmes à la justice, à l’alphabétisation
et à l’éducation, en particulier dans les zones rurales;
- le développement de la collecte des données, du cadre
juridique et des mesures de sensibilisation dans le domaine de la
violence à l’égard des femmes;
- le renforcement du dialogue avec la société civile et
les organisations de femmes.
118. Il convient aussi de garder présent à l’esprit le fait que,
malgré l’introduction de mesures juridiques et politiques, certaines
idées d’origine sociale et certaines valeurs traditionnelles communes
aux hommes et aux femmes empêchent les individus d’intégrer pleinement
le principe de l’égalité dans leur comportement personnel et créent
des obstacles invisibles à l’autonomisation des femmes. C’est là
une raison supplémentaire pour les forces politiques qui se sont
engagées à promouvoir les droits des femmes de donner l’exemple
en nommant des femmes à des postes dirigeants. Cela incitera les
femmes à se mettre en avant dans d’autres domaines et contribuera
à faire évoluer les mentalités.
119. Les pays de la rive sud de la Méditerranée ne pourront jamais
adhérer au Conseil de l’Europe puisqu’ils ne répondent pas au critère
essentiel qu’est l’appartenance à l’Europe. Néanmoins, le Conseil
de l’Europe a intérêt à contribuer, aussi dans son voisinage, au
développement d’une zone de stabilité politique partageant les mêmes
valeurs et un engagement identique en faveur de la démocratie, des
droits humains et de l’Etat de droit. C’est pourquoi il devrait
mettre son expertise à la disposition de ces pays, en premier lieu
le Maroc et la Tunisie, au moyen d’actions et de programmes spécifiques
prenant en compte les caractéristiques nationales et le degré d’avancement
des droits des femmes, tout en cherchant à établir des contacts
avec d’autres pays de la région. De même, des formes structurées
de partenariat – comme le statut de partenaire pour la démocratie
auprès de l’Assemblée – ne peuvent que favoriser le resserrement
des liens de coopération.
120. Le Conseil de l’Europe peut contribuer au succès du Printemps
arabe si les Etats de la rive sud de la Méditerranée souhaitent
faire appel à l’expertise, à l’expérience et aux instruments qui
sont les siens. Les relations entre le Conseil de l’Europe et ces
Etats doivent être fondées sur le respect mutuel et la prise en compte
des différences culturelles et religieuses. Cependant, il doit être
clair d’emblée que le Conseil de l’Europe soutient des valeurs universelles
et défend le caractère universel et indivisible des droits humains, dont
les droits des femmes sont partie intégrante. La prise en compte
des différences culturelles et religieuses ne peut en aucun cas
se transformer en relativisme culturel et religieux. Les droits
des femmes ne sont pas négociables.