1. Introduction
1. A la suite d’une proposition
de résolution déposée le 25 juin 2010 par M. Meikar et plusieurs
de ses collègues, j’ai été nommé rapporteur le 21 juin 2011.
2. La proposition soulignait le rôle et la longue expérience
du Conseil de l’Europe dans la promotion des plus hautes normes
en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’Etat de droit,
et insistait sur le fait que, ces dernières années, l’élaboration
et le renforcement de telles normes hors de la zone du Conseil de
l’Europe revêtent une importance croissante pour l’Organisation.
3. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ne cherchent pas
toujours à projeter ces valeurs dans leurs relations avec des pays
dont les gouvernements agissent en violation flagrante des principes
fondamentaux de la démocratie et des droits de l’homme. En encourageant
les investissements et les transactions commerciales, en établissant
«des partenariats stratégiques», en autorisant la vente d’armes,
en fermant l’œil sur les dispositions relatives au contrôle des
avoirs étrangers ou bien en s’abstenant de proférer des critiques, ils
soutiennent souvent de manière indirecte des gouvernements non démocratiques
dont ils favorisent ainsi le maintien au pouvoir.
4. Dans le présent rapport, je désire inviter les Etats membres
du Conseil de l’Europe à réfléchir sur la manière d’assurer une
cohérence entre les principes de la démocratie et des droits de
l’homme qu’ils se sont engagés à respecter sur le plan interne et
la conduite de leurs relations avec des pays qui les violent.
5. Tout en admettant le caractère inévitable d’une tension entre
des considérations relatives aux droits de l’homme et à la politique
extérieure (laquelle est inhérente au processus diplomatique), je
souligne la nécessité d’arriver à un juste équilibre entre les deux.
6. J’estime que l’Assemblée parlementaire peut jouer un rôle
crucial en suggérant des manières de réduire les incohérences dans
la poursuite d’une politique extérieure fondée sur les droits de
l’homme, en considérant la démocratie et les droits de l’homme comme
des éléments structurels de la politique extérieure et en réduisant
le danger d’un recours à la force militaire.
7. Il est également crucial de parvenir à un équilibre entre
défense des droits de l’homme, y inclus les droits sociaux, et lutte
contre la pauvreté, dans toutes les stratégies de politique extérieure.
Dans certaines parties du monde, les droits sociaux et économiques
– comme l’accès à l’eau, à la nourriture et à la santé – constituent la
priorité absolue. En outre, les politiques de migration et les droits
des demandeurs d’asile et des réfugiés devraient être considérés
non seulement comme une affaire interne, mais aussi comme un élément
important de la politique extérieure.
8. Je m’attacherai donc à identifier un certain nombre de mesures
concrètes visant à élaborer une approche commune et coordonnée des
Etats membres du Conseil de l’Europe, en veillant particulièrement
à ne pas prêter le flanc aux critiques dénonçant l’existence de
deux poids, deux mesures.
9. La Politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne
et le rôle du nouveau Service européen pour l’action extérieure
(SEAE) dans la promotion des droits de l’homme en politique extérieure
sont également abordés. Je me suis rendu à Bruxelles les 4 et 5 septembre
2012 pour un échange de vues avec des parties prenantes au niveau
de l’Union européenne, y compris le SEAE, des membres du Parlement européen
ainsi que des représentants de la société civile, sur la question
de l’articulation entre politique extérieure et droits de l’homme.
10. Je suis reconnaissant à la Commission nationale consultative
des droits de l’homme (CNCDH) de la République française d’avoir
publié en 2008 un rapport intitulé «Diplomatie et droits de l’homme»
. Une partie des recommandations
formulées dans ce texte demeure pertinente et pourrait être élargie
à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
11. De novembre 2011 à février 2012, la Commission des droits
de l’homme du Sénat italien – dont j’assure la présidence – a mené
une enquête sur les mécanismes de protection des droits de l’homme
aux niveaux national et international. Plusieurs personnalités politiques
et spécialistes du sujet ont été entendus par cette commission et
ont inspiré, par leur contribution, le présent rapport
. Je tiens aussi à remercier tout particulièrement
Mme Laura Mirachian, ambassadeur et représentante
permanente de l’Italie auprès des Nations Unies et d’autres organisations
internationales à Genève, qui a participé à un échange de vues avec la
commission, le 11 septembre 2012 à Helsinki.
2. Politique
extérieure et droits de l’homme: un équilibre délicat entre pragmatisme
et idéalisme
12. On a dit de l’année 2012 qu’elle
marquera la fin de «l’ère du 11 septembre», laquelle a commencé
en septembre 2001 et prendra symboliquement fin avec le retrait
des troupes alliées d’Iraq et d’Afghanistan. Il y a trois ans, la
crise financière a attiré l’attention du grand public sur les marchés
mondiaux. Selon certains commentateurs, des gouvernements – animés
par la crainte d’une rupture de l’équilibre économique international –
sont en train de revoir leurs priorités en politique extérieure
et abandonnent le concept de «guerre mondiale contre la terreur»
au profit d’une approche basée sur la recherche de nouvelles possibilités en
matière politique et économique
.
13. Cette évolution constitue, à mon avis, une occasion unique
de réorienter la stratégie de politique extérieure des Etats membres
du Conseil de l’Europe vers la recherche d’un meilleur équilibre
entre une pratique des relations internationales reposant sur la Realpolitik et le respect des principes
soutenus par les Nations Unies, le Conseil de l’Europe et l’Union
européenne.
14. Il est clair que les Etats sont interdépendants dans le sens
où ils entretiennent des relations diplomatiques influencées par
des stratégies de politique extérieure. Cette interaction touche
différentes questions comme les transactions économiques, les accords
commerciaux, les programmes d’aide et le bien-être des ressortissants
nationaux expatriés, pour n’en citer que quelques-unes.
15. Ces relations peuvent devenir difficiles dès lors qu’un Etat
dénonce la politique intérieure d’un pays spécifique sous l’angle
des droits de l’homme. Chaque gouvernement risque, par conséquent,
de décider d’ignorer le bilan d’Etats tiers en matière de droits
de l’homme pour des raisons stratégiques, telles que la protection
de ses investissements directs à l’étranger ou de ses accords commerciaux.
Il peut s’appuyer, dans ce cas, sur la notion de souveraineté nationale
qui interdit toute critique ou intervention dans d’autres Etats
au prétexte que ceux-ci ne respectent pas les droits de l’homme,
la démocratie et l’Etat de droit à l’intérieur de leurs frontières.
16. Lors du Sommet mondial des Nations Unies tenu en 2005, les
chefs d’Etat et de gouvernement ont souscrit à l’unanimité à une
nouvelle norme intitulée «la responsabilité de protéger». En bref,
l’idée est qu’un gouvernement demeure «souverain» tant qu’il protège
sa population. Lorsqu’il n’est pas en mesure de le faire ou, pire,
lorsqu’il perpètre lui-même des violences et de graves violations
des droits de l’homme contre sa population, la responsabilité de
la protection des intéressés peut revenir – dans des circonstances particulières –
à la communauté internationale.
17. La Charte des Nations Unies confère au Conseil de sécurité
de cette organisation (CSNU) la principale responsabilité du maintien
de la paix et de la sécurité internationale, et lui confère une
autorité juridique unique. Toutefois, le CSNU est un organe politique
et ses décisions ne sauraient être séparées des politiques extérieures
ou des intérêts nationaux de ses membres permanents. Il ne peut
fonctionner que lorsque lesdits membres parviennent à identifier
un intérêt commun et décident d’une ligne de conduite en la matière.
Le risque d’une impasse politique est important dès lors que les
intérêts nationaux sont divergents, comme le prouvent les vetos
opposés récemment par la Russie et la Chine aux résolutions du CSNU
sur la Syrie, que j’ai vivement critiqués en ma qualité de rapporteur
de l’Assemblée sur la situation en Syrie
.
18. Essentiellement, le recours à la coercition contre un Etat
souverain – mais, aussi, autoritaire et répressif – demeure controversé,
notamment lorsque les intérêts géostratégiques d’Etats puissants
ne coïncident pas avec les considérations tenant à la protection
des droits de l’homme
.
19. Une résolution du CSNU adoptée le 17 mars 2011 avait autorisé
le recours à «tous les moyens nécessaires» pour protéger les civils
libyens des agissements du colonel Kadhafi. Une guerre contre le
régime libyen menée par l’OTAN s’est terminée par la mort du dictateur
tombé aux mains des rebelles. Toutefois, alors que la guerre traînait
en longueur, d’aucuns ont estimé que la «responsabilité en matière
de protection» se réduisait à un «permis de faire la guerre», lequel
a débouché sur un changement de régime qui n’a pas abouti à l’instauration
de la paix et de la stabilité dans le pays.
20. Antérieurement, la guerre en Iraq ayant suivi l’invasion américaine
de 2003 avait été décrite comme «une intervention contre la tyrannie»
et avait déjà porté un coup au principe de responsabilité en matière
de protection
en
démontrant qu’une intervention armée, même lorsque ces objectifs
déclarés sont bénins, peut déclencher toute une série de conséquences
catastrophiques.
21. Le cas de la Libye est un exemple parfait de la manière dont
les droits de l’homme ont été ignorés pendant une longue période
et n’ont fait leur réapparition que dans le cadre d’une situation
d’urgence. Si nous examinons les relations entre une partie des
Etats membres du Conseil de l’Europe et la Libye par exemple, nous
constatons un certain nombre d’exemples embarrassants tels que la
complicité dont a fait preuve le Royaume-Uni en matière d’extradition
vers la Libye de Kadhafi et l’accueil chaleureux réservé par la
France et l’Italie au dictateur dans leurs capitales respectives
.
22. Les gouvernements entretiennent fréquemment ce type de relations
et contribuent ainsi à soutenir indirectement des gouvernements
non démocratiques souvent décrits comme «des partenaires stratégiques». Les
chefs d’Etat et de gouvernement reçoivent souvent des dirigeants
controversés dans leur capitale, vendent des armes à des pays risquant
de les utiliser contre leurs voisins ou leurs propres populations,
et concluent d’autres types d’arrangements avec des régimes autocratiques.
Les droits de l’homme sont trop souvent gommés de l’ordre du jour
pendant les visites officielles effectuées par des dirigeants non
démocratiques. Il semble que les intérêts nationaux, les droits
de l’homme et les politiques étrangères soient des domaines pouvant
faire l’objet de discussions séparées et non des éléments d’une
stratégie cohérente.
23. Certains analystes de politique étrangère déclarent que la
poursuite, par le gouvernement, d’une politique extérieure prenant
en compte ouvertement les droits de l’homme ne serait ni souhaitable
– dans la mesure où ladite politique est toujours principalement
inspirée par la poursuite d’intérêts nationaux – ni possible sur
le plan concret.
24. En fait, les révolutions arabes semblent avoir contraint les
dirigeants européens à repenser leurs «partenariats stratégiques»
avec le monde arabe fondés sur l’idée pragmatique selon laquelle
la stabilité (justifiant des relations amicales avec des autocrates
dans la région) et les réformes dans les pays arabes sont totalement
antinomiques
.
De plus, la mobilisation massive de la société civile arabe et la
diffusion rapide des informations et des idées ont mis davantage
en relief l’incapacité des outils traditionnels de politique extérieure à
gérer ces événements au moment opportun et de manière efficace.
Comme l’ambassadeur Mirachian l’a souligné lors de notre rencontre
à Helsinki, les individus communiquent entre eux à l’échelle mondiale,
les mouvements s’influencent mutuellement, différentes cultures
interagissent et le dialogue interculturel devient un élément de
la vie quotidienne. Les citoyens de pays du Sud et du Nord, de l’Est
et de l’Ouest, se découvrent des aspirations communes. Il devient
dès lors impossible pour les gouvernements, et même les parlements, d’ignorer
ou de passer outre la volonté des peuples.
25. Comme je l’ai souligné plus haut et même si force est de constater
une tension inévitable entre les considérations relatives aux droits
de l’homme et à la politique extérieure – une situation inhérente
au processus diplomatique lui-même – il convient de trouver un juste
équilibre entre ces deux éléments.
26. Comme l’a souligné également l’ancien ministre italien des
Affaires étrangères, M. Franco Frattini, dans le cadre d’une audition
organisée par la commission des droits de l’homme du Sénat italien
le 15 février 2012, l’un des principaux outils à la disposition
du gouvernement est le recours intelligent à ce qu’il convient d’appeler la
conditionnalité des accords, à la fois aux niveaux bilatéral et
européen. Cette approche repose sur l’idée que l’insertion de clauses
sur les droits de l’homme et la démocratie dans tous les accords
devrait constituer le fondement de l’initiative de la poursuite
d’un dialogue politique avec n’importe quel gouvernement étranger: une
idée qui, au cours des dix dernières années, a imprégné les relations
du Conseil de l’Europe avec ses voisins immédiats.
3. Les normes du
Conseil de l’Europe à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe
3.1. Réaffirmation
du caractère universel des droits de l’homme
27. Il est clair que le but de
la diplomatie et de la politique extérieure est de préserver l’intérêt
national. Cette recherche peut se traduire par des initiatives en
matière de défense nationale, d’influence politique, de coopération
économique, de rayonnement culturel et, principalement, de contribution
à la paix et à la sécurité internationale.
28. Le respect des principes de démocratie et de droits de l’homme
doit également constituer un élément essentiel de la politique extérieure
afin d’atteindre les objectifs mentionnés plus haut. En fait, tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe ont signé et ratifié plusieurs
instruments internationaux de protection des droits de l’homme et
se sont engagés à protéger lesdits droits en modifiant leur législation.
Il est de notre devoir, en qualité de parlementaires, d’appeler
nos gouvernements à respecter les obligations et les engagements
qu’ils ont souscrits au niveau des Nations Unies, du Conseil de
l’Europe et de l’Union européenne.
29. Toutefois, il convient de préciser que, même au sein des démocraties
du Conseil de l’Europe, l’écart est souvent important entre la proclamation
des droits de l’homme et des principes démocratiques d’une part
et leur mise en œuvre effective d’autre part. La propre crise que
subit l’Europe au niveau des droits de l’homme – avec des gouvernements
piétinant les droits fondamentaux en réaction à des attaques terroristes;
des élections entachées par des fraudes massives ou des conditions
discriminatoires; l’essor de mouvements extrémistes et xénophobes;
les attaques contre les migrants, les Roms et d’autres minorités;
ainsi que l’hostilité à l’égard des musulmans – nuit sérieusement
à la crédibilité de la politique extérieure des gouvernements censée
favoriser la protection des droits de l’homme
.
30. Un consensus s’est dégagé au sein de notre commission concernant
la nécessité d’appeler les Etats membres du Conseil de l’Europe
d’abord et avant tout à mieux mettre en œuvre les valeurs et les
normes de cette Organisation à l’intérieur de leurs propres frontières.
Le Conseil de l’Europe se doit de fixer des règles équitables pour
tous ses membres et d’éviter toute action pouvant prêter le flanc
à l’accusation de double langage.
31. Derrière cet engagement repose la certitude que les droits
de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit sont des valeurs universelles.
L’ineffectivité des droits de l’homme constitue véritablement une
menace récurrente pour l’universalité de ces normes et des instruments
internationaux afférents. Dans un rapport d’information adopté le
15 novembre 2011, la commission des questions politiques et de la
démocratie a réaffirmé le caractère universel des droits de l’homme
et souligné que «[l]e Conseil de l’Europe demeure le principal défenseur
de l’universalité des droits de l’homme en Europe et devrait continuer
à promouvoir les droits de l’homme dans le cadre du dialogue interculturel
au sein des Etats membres et avec les pays voisins»
.
3.2. Partenariats
pour la démocratie
32. Ces dernières années, nous
avons également assisté à l’élaboration et à la consolidation de
normes du Conseil de l’Europe hors du territoire des membres de
cette Organisation, dans le cadre de l’émergence de nouvelles formes
de partenariat. Le Conseil de l’Europe a très récemment lancé – avec
les pays voisins du sud de la Méditerranée, du Proche-Orient et
de l’Asie centrale – une politique de dialogue fondée sur le respect des
droits de l’homme universels.
33. En 2009 déjà, dans un rapport de l’Assemblée sur la création
d’un statut de «partenaire pour la démocratie» auprès de l’Assemblée
,
le rapporteur, M. van den Brande, avait relevé que, compte tenu
de la situation et de la position du Comité des Ministres, le temps
n’était pas encore venu pour le Conseil de l’Europe de poursuivre
une politique nouvelle et ambitieuse de voisinage. Le rapport soulignait
que les activités menées au niveau intergouvernemental dans le contexte
des divers mécanismes de coopération avec des partenaires n’étant
pas membres de l’Organisation contribuaient déjà utilement à la
promotion des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe au-delà
des frontières des Etats membres. L’auteur faisait également valoir
l’existence, au niveau parlementaire, de possibilités d’intensification
de la coopération avec les parlements de certains voisins.
34. Dans sa Résolution 1680 (2009), l’Assemblée a créé un nouveau
statut dit «partenariat pour la démocratie» visant à renforcer la
coopération institutionnelle avec les parlements d’Etats non membres
des régions voisines désirant bénéficier d’un soutien dans leur
transition démocratique et participer au débat politique sur des
défis communs.
35. Les parlements intéressés peuvent aujourd’hui devenir des
«partenaires pour la démocratie» dès lors qu’ils s’engagent à observer
les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe comme la démocratie
pluraliste, l’Etat de droit, ainsi que le respect des droits de
l’homme et des libertés fondamentales
. Selon la Résolution 1680
(2009), les parlements nationaux de l’ensemble des pays du sud de
la Méditerranée et du Proche-Orient participant à l’initiative dite
«Union pour la Méditerranée – Processus de Barcelone» (y compris
le Conseil législatif palestinien) et des pays d’Asie centrale membres
de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
(Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan),
peuvent solliciter le statut de partenaire pour la démocratie auprès
de l’Assemblée.
36. L’Assemblée a accordé le nouveau statut au Parlement du Maroc
en
juin 2011 et au Conseil national palestinien
en
octobre 2011, à la demande de ces instances, après vérification
du respect des conditions énoncées. L’Assemblée a identifié un certain
nombre de repères revêtant une importance cruciale et invité les délégations
à participer à ses travaux. Elle a, par conséquent, encouragé l’Organisation
à mobiliser ses compétences pour contribuer à la mise en œuvre intégrale
des réformes démocratiques dans ces régions. Cette initiative devrait
concourir à intensifier la coopération et à promouvoir l’adhésion
aux conventions du Conseil de l’Europe. L’Assemblée examine actuellement
les progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements politiques
souscrits par les nouveaux partenaires.
37. L’Assemblée avait également établi au préalable des contacts
de travail avec les Parlements algérien et tunisien, lesquels se
sont intensifiés avec la Tunisie à l’occasion du Printemps arabe
de 2011
. Elle
a également multiplié les contacts avec les forces politiques en
Egypte. Le 27 octobre 2011, l’Assemblée a reçu une demande officielle
de partenariat pour la démocratie du Parlement de la République
kirghize, qui est en cours d’examen.
38. Dans sa Résolution 1831 (2011) sur la coopération entre le
Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes dans le monde
arabe, adoptée le 4 octobre 2011, l’Assemblée appelait instamment
au partage de l’expérience du Conseil de l’Europe en matière de
démocratie avec les pays arabes et à l’engagement rapide d’une réflexion
avec toutes les parties concernées sur l’opportunité de convoquer
un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties d’Europe
et du sud de la Méditerranée pour débattre de la coopération entre
le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes des pays arabes
situés dans le voisinage de l’Europe.
3.3. Politique du
Conseil de l’Europe à l’égard de son voisinage
39. Dans le domaine de sa politique
à l’égard des Etats situés dans le voisinage immédiat de la zone
du Conseil de l’Europe, le Comité des Ministres – lors de sa 121e réunion
tenue à Istanbul le 11 mai 2011 – a approuvé la proposition du Secrétaire
Général de s’ouvrir aux pays d’Afrique du Nord, du Proche-Orient
et d’Asie centrale, et de les inciter à participer aux programmes
de coopération et d’assistance visant à leur intégration progressive
dans l’espace juridique européen, par le biais de l’adhésion aux
conventions et accords partiels pertinents du Conseil de l’Europe.
40. Le 16 mai 2012, le Secrétaire Général a publié un rapport
faisant état de progrès concrets et importants dans le domaine de
la mise en œuvre de la politique du Conseil de l’Europe à l’égard
des régions voisines
.
41. Les objectifs de cette politique sont: de faciliter la transition
politique démocratique; d’aider à la promotion de la bonne gouvernance
sur la base des normes et mécanismes pertinents du Conseil de l’Europe; ainsi
que de renforcer et d’élargir l’action régionale de l’Organisation
dans la lutte contre les menaces transfrontières et mondiales. Le
Printemps arabe et les efforts de la communauté internationale visant
à soutenir la transition démocratique ont souligné encore plus l’importance
d’une telle initiative.
42. Les instruments de coopération incluent la communication d’avis
et de conseils, l’observation des élections, la coopération parlementaire,
la participation aux structures et activités pertinentes du Conseil
de l’Europe, ainsi que l’adhésion aux conventions pertinentes de
l’Organisation dans le domaine de la bonne gouvernance et de l’Etat
de droit. Cette coopération sera en fait régie par la demande. Un
cadre de coopération a été élaboré, notamment sous la forme de «dialogues
de coopération avec le voisinage» (avec les autorités du Maroc,
de la Tunisie, de la Jordanie, d’Israël, de l’Autorité nationale
palestinienne, du Kazakhstan, du Kirghizstan et du Tadjikistan)
et de «priorités de coopération de voisinage» (conclues jusqu’à
présent avec le Maroc et la Tunisie, et bientôt avec la Jordanie
et le Kazakhstan).
43. L’Union européenne a financé une bonne partie de cette initiative
ainsi que le soutien politique et logistique correspondant, notamment
par l’intermédiaire de ses délégations. Le 17 janvier 2012, le Secrétaire Général
M. Jagland et le Commissaire européen à l’élargissement et à la
politique de voisinage, Štefan Füle, ont signé un programme commun
de 4,8 millions d’euros visant à renforcer la réforme démocratique
dans les pays du sud de la Méditerranée. Le programme commun sera
lancé dans un premier temps au Maroc et en Tunisie
,
et sera étendu à d’autres pays.
44. Les principes et les normes pertinents du Conseil de l’Europe
feront l’objet d’une surveillance étroite. Le Secrétaire Général
a également reconnu l’importance des repères spécifiques et des
procédures de suivi définis par l’Assemblée dans le cadre du partenariat
pour la démocratie.
45. Les objectifs ultimes de cette politique pourraient être la
création éventuelle d’un statut formel de voisin du Conseil de l’Europe
appelé – sur proposition du Secrétaire Général – «membre coopérant»
ou «partenaire coopérant», lequel s’appuierait sur celui de partenaire
pour la démocratie élaboré par l’Assemblée au niveau parlementaire
.
46. Toutefois, comme l’a également souligné Laurent Dominati,
représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe
et président du Groupe de rapporteurs sur les relations extérieures,
au cours d’un échange de vues organisé par la commission le 28 juin
2012, les critères d’octroi du statut proposé n’ont pas encore été
totalement clarifiés par les Délégués des Ministres.
47. De l’avis d’un représentant d’Amnesty International que j’ai
rencontré à Bruxelles, l’attention accrue que le Conseil de l’Europe
porte aux pays voisins ne doit pas nuire à ses efforts visant à
garantir un plus grand respect des droits de l’homme dans ses Etats
membres, eu égard également à la politique de croissance zéro que
connaît actuellement l’Organisation et au processus de réforme en
cours.
48. Les Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas défini
de politique extérieure commune au sens propre du terme. Toutefois,
l’ensemble des 47 pays concernés a accepté que leur politique à
l’égard de leurs voisins immédiats, notamment en réaction aux récentes
révolutions dans le monde arabe, doit s’inspirer des normes et mécanismes
pertinents de l’Organisation.
49. Même s’il est compréhensible, voire inévitable, que la géopolitique
et les intérêts économiques affectent fortement la conduite des
relations extérieures, j’estime essentiel que la promotion de la
démocratie et des droits de l’homme occupe une place importante
dans les relations multilatérales et bilatérales des Etats concernés,
de manière à garantir une plus grande cohérence avec l’action des
gouvernements à l’intérieur et à l’extérieur de la zone du Conseil
de l’Europe.
4. La stratégie
de promotion des droits de l’homme et la politique extérieure de
l’Union européenne
50. Depuis 2004, les Etats membres
de l’Union européenne ont élaboré une Politique européenne de voisinage
(PEV) afin de se doter d’une approche cohérente garantissant l’engagement
de toute l’Union en faveur de l’approfondissement des relations
avec ses 16 voisins les plus immédiats, ainsi que de la construction
d’un engagement mutuel en faveur de valeurs communes: démocratie
et droits de l’homme, Etat de droit, bonne gouvernance, acceptation
des principes de l’économie de marché et développement durable.
51. La PEV a en outre été étoffée par des initiatives de coopération
multilatérales et régionales telles que le Partenariat oriental
(lancé en 2009), l’Union pour la Méditerranée (connue précédemment
sous l’appellation de Processus de Barcelone et relancée à Paris
en juillet 2008) et la Synergie de la mer Noire (lancée en 2008).
52. Concernant une politique étrangère et de sécurité commune
(PESC) pour les 27 Etats membres de l’Union européenne, le Traité
de Lisbonne – entré en vigueur en décembre 2009 – a mis fin au «système
des piliers» au sein duquel ladite PESC se fondait sur une méthode
purement intergouvernementale requérant l’unanimité au sein des
Etats membres lors des votes au Conseil des ministres et limitant
l’influence des autres institutions.
53. Dans un effort visant à garantir une coordination et une cohérence
accrues dans la zone de l’Union européenne, le Traité de Lisbonne
a créé le poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires
étrangères et la politique de sécurité en fusionnant les postes
de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique
de sécurité et de Commissaire européen aux relations extérieures
et à la politique de voisinage. La baronne Catherine Ashton a été
la première personne nommée à ce nouveau poste en décembre 2009.
54. Le haut représentant est chargé du SEAE. Créé également par
le Traité de Lisbonne, ledit service fonctionne comme un service
ou corps diplomatique commun à l’Union européenne et est chargé
de maintenir des relations diplomatiques avec la quasi-totalité
des pays du monde par le biais d’un réseau de 136 délégations de
l’Union européenne, lesquelles assument des fonctions analogues
à celles d’une ambassade.
55. L’Union européenne, elle aussi, a placé les droits de l’homme
au cœur de sa politique d’élargissement, laquelle est régie par
les critères de Copenhague qui prévoient notamment la stabilité
des institutions garantissant la démocratie, l’Etat de droit et
les droits de l’homme, ainsi que le respect et la protection des minorités.
56. Parmi l’arsenal servant à promouvoir les droits de l’homme
et la démocratisation figurent les lignes directrices en matière
de droits de l’homme, les «démarches» et autres déclarations, les
décisions du Conseil et le dialogue structuré sur les droits de
l’homme, ainsi que des consultations avec plus de 30 pays non membres
de l’Union européenne. Des lignes directrices spécifiques ont été
publiées afin de permettre une action commune rapide, notamment
dans les domaines: de l’abolition de la peine de mort; de la lutte
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants; de l’aide aux enfants dans les conflits armés et
aux défenseurs des droits de l’homme; de la protection des droits
de l’enfant; de la lutte contre la violence et toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes et des jeunes filles; ainsi
que de la promotion du respect du droit international humanitaire
.
57. Une «clause sur les droits de l’homme» est systématiquement
incluse dans la quasi-totalité des accords conclus entre l’Union
européenne et des pays tiers depuis le milieu des années 1990. En
cas de violation des droits de l’homme et des principes démocratiques,
l’Union européenne peut prendre certaines mesures telles que l’imposition
de restrictions ciblées allant du refus d’accorder un visa aux dignitaires
du régime (comme elle l’a déjà fait récemment contre le Bélarus)
au gel des avoirs détenus dans l’Union et à la suspension de l’accord. Toutefois,
elle privilégie l’action positive en faveur des droits de l’homme
(sous forme d’un dialogue ou d’efforts de persuasion) par rapport
aux sanctions.
58. Ces politiques sont complétées par des activités financées
par l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme
(IEDDH) – qui privilégie nettement la promotion de la démocratie
et le soutien des défenseurs des droits de l’homme – ainsi que par
d’autres programmes découlant de l’Instrument de coopération au
développement et couvrant l’ensemble de l’aide extérieure de l’Union
européenne au monde entier en matière de développement et de coopération
sous les angles économique, financier, technique et humanitaire
.
59. La promotion des droits de l’homme figure également parmi
les objectifs explicites de la politique commerciale de l’Union
européenne. Toutefois, nombre de pays en développement et d’organisations
non gouvernementales (ONG) doutent de l’efficacité et de la crédibilité
de l’approche de l’Union en la matière. La principale critique vise
le fait que cette politique est orientée de manière à servir presque
exclusivement les intérêts économiques de l’Europe.
60. Les droits de l’homme sont également systématiquement abordés
dans le cadre du dialogue politique de l’Union européenne avec des
pays tiers et des consultations approfondies sont en cours avec
les pays et régions suivants:
- relations
Union européenne-Russie (des consultations sur les droits de l’homme
se tiennent régulièrement deux fois par an);
- pays relevant de la Politique européenne de voisinage
(l’Union européenne a établi des sous-commissions des droits de
l’homme et de la démocratie avec plusieurs pays et inclut un chapitre consacré
aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales dans chaque
rapport PEV par pays);
- dialogue Union européenne-Chine sur les droits de l’homme
(depuis 1995, ce dialogue se tient tous les six mois et il est complété
par des séminaires à caractère juridique sur les droits de l’homme);
- stratégie Union européenne-Afrique (lancée en 2007 pour
renforcer le partenariat politique et améliorer la coopération,
y compris sous l’angle de la promotion de la gouvernance démocratique
et des droits de l’homme);
- dialogue Union européenne-Etats ACP (Afrique, Caraïbes,
Pacifique) (dans le contexte de l’accord de Cotonou);
- dialogue Union européenne-Iran (établi en 2002 dans le
cadre de l’engagement de la négociation d’un accord de commerce
et de coopération et interrompu, en 2006, à l’initiative de l’Iran
à la suite du coparrainage par l’Union européenne de la résolution
adoptée contre ce pays par l’Assemblée générale des Nations Unies);
- dialogue entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique,
le Canada, le Japon et d’autres pays (sur la base de vues globalement
convergentes et sous la forme de réunions semestrielles d’experts
en marge de réunions importantes des Nations Unies consacrées aux
droits de l’homme).
61. Toutefois, lors de ma récente visite à Bruxelles, plusieurs
de mes interlocuteurs du Parlement européen ainsi que des représentants
de la société civile m’ont affirmé que ces dialogues sur les droits
de l’homme n’étaient pas efficaces et ne produisaient aucun résultat
tangible. Il est regrettable que le Parlement européen n’y soit
pas associé. Rappelons-nous que pas moins de 20 pays non membres
de l’Union européenne ont souscrit à des engagements en matière
de droits de l’homme auprès du Conseil de l’Europe, par le biais
du système des conventions, lesquelles sont des instruments juridiquement
contraignants. Un certain nombre de mécanismes de suivi existent
déjà et ont produit des résultats concrets et tangibles. Ils ont
déjà contribué de façon conséquente aux dialogues sur les droits
de l’homme au sein des consultations régulières entre le Conseil
de l’Europe et l’Union européenne. Des efforts supplémentaires sont
nécessaires pour garantir le plein respect de ces engagements dans
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Alliée aux ressources
et à l’influence politique de l’Union européenne, l’infrastructure
juridique du Conseil de l’Europe peut créer un espace commun de
protection des droits de l’homme à l’échelle du continent.
62. Dans le cadre de son action visant à promouvoir les droits
de l’homme, l’Union européenne tient compte des instruments internationaux
primordiaux et encourage les autres pays à signer, ratifier et mettre
en œuvre les principaux traités des Nations Unies ou à respecter
les engagements envers le Conseil de l’Europe et l’OSCE. L’Union
européenne joue également un rôle actif dans plusieurs enceintes
multilatérales – telles que le Conseil des droits de l’homme des
Nations Unies et la Troisième Commission de l’Assemblée générale
des Nations Unies – où elle présente des projets de résolution et
fait des déclarations.
63. Depuis 1983, le Parlement européen publie un Rapport annuel
sur les droits de l’homme dans le monde et la politique de l’Union
européenne en la matière, tandis que la Commission européenne fournit
des réponses écrites détaillées aux questions des membres de ce
parlement. Ce dernier a d’ailleurs récemment critiqué l’Union européenne
et ses Etats membres pour avoir négligé parfois les droits de l’homme
et appelé de ses vœux une approche plus systématique reposant sur
des indices et des repères.
64. Dans une communication conjointe au Parlement européen et
au Conseil de l’Union européenne concernant «Les droits de l’homme
et démocratie au cœur de l’action extérieure de l’Union européenne
– vers une approche plus efficace», la haute représentante a déclaré
que «[l]a protection et la promotion des droits de l’homme est un
fil rouge qui parcourt l’action de l’Union européenne tant sur son
territoire qu’à l’extérieur»
. Prenant la parole devant le
Parlement européen le 12 juin 2012, elle a évoqué sa détermination
à placer les droits de l’homme au cœur de la politique extérieure
de l’Union européenne.
65. Le Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne,
tenu le 25 juin 2012, a adopté un Cadre stratégique et Plan d’action
de l’Union européenne sur les droits de l’homme et la démocratie
couvant une période allant jusqu’au 31 décembre 2014. Dans un éditorial
publié sur le site web du Conseil européen des relations extérieures,
le 9 juillet 2012, Catherine Ashton a écrit ceci: «Nous ne parviendrons
à rien tant que nous ne parlerons des droits que lorsque quelqu’un
veut bien nous écouter et que nous garderons le silence dans tous
les autres cas; et nous ne saurions oublier les droits de l’homme
pour la simple raison que nous parlons à des gouvernements de relations
commerciales ou d’approvisionnement énergétique. L’éthique est indivisible»
(traduction non officielle)
.
66. Le plan prévoit également la nomination d’un Représentant
spécial de l’Union européenne (RSUE) pour les droits de l’homme
dont la tâche consistera à traduire cet engagement en faveur des
droits de l’homme en des actes concrets de politique extérieure,
à aider l’Union européenne «à acquérir une plus grande visibilité
et à contribuer à promouvoir les droits de l’homme dans toute la
gamme des politiques extérieures de l’UE» (traduction non officielle)
.
116 délégations de l’Union européenne ont déjà nommé un point de
contact pour les droits de l’homme dans le cadre d’un réseau plus
large.
67. Le 28 juin 2012, l’Assemblée, en réaction à cette annonce,
a décidé de tenir un débat d’actualité sur les institutions européennes
et les droits de l’homme en Europe à l’initiative de Mme Anne
Brasseur. Pendant le débat, cette dernière a déploré que le communiqué
de presse de l’Union européenne annonçant la décision de nommer
un RSUE pour les droits de l’homme mentionne la volonté de travailler
avec le Parlement européen, la Commission européenne et des partenaires
internationaux sur des sujets relevant des droits de l’homme, sans
mentionner spécifiquement le Conseil de l’Europe.
68. Elle a souligné que cette action est contraire à l’esprit
du protocole d’accord passé en 2007 entre l’Union européenne et
le Conseil de l’Europe, lequel répartissait les responsabilités
de manière très claire. Cet accord reposait sur un rapport de 2006,
rédigé par Jean-Claude Juncker et intitulé «Conseil de l’Europe
– Union européenne: une seule ambition pour le continent européen».
69. Mme Brasseur soulignait le danger
de chevauchements et de double emploi en faisant valoir qu’une possibilité
supplémentaire de faire entendre la voix des 27 Etats membres de
l’Union européenne – à l’exclusion des 20 autres Etats européens
ayant adhéré au Conseil de l’Europe, mais pas à l’Union européenne –
risquait de générer un double langage et de semer la confusion.
En période de restrictions budgétaires, elle posait la question
de l’opportunité de la création de nouveaux postes. Un certain nombre
de parlementaires ayant participé à ce débat partageaient cette
préoccupation.
70. Bien que le Cadre stratégique et Plan d’action de l’Union
européenne sur les droits de l’homme et la démocratie déclare que
l’Union «continuera de contribuer au travail précieux effectué par
le Conseil de l’Europe et l’OSCE», ce document ne mentionne pas
notamment le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
qui travaille déjà pourtant pour les 47 Etats membres du Conseil
de l’Europe, dont tous les Etats membres de l’Union européenne.
71. Le 25 juillet 2012, le Conseil de l’Union européenne a nommé
M. Stavros Lambrinidis Représentant spécial de l’Union européenne
(RSUE) pour les droits de l’homme. M. Lambrinidis est entré en fonction
le 1er septembre pour un mandat initial
allant jusqu’au 30 juin 2014. Comme je l’ai déjà publiquement souligné pendant
le débat du mois de juin, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
devrait adopter des mesures immédiates afin de discuter de cette
question avec la haute représentante, de manière à jeter les bases
d’une coopération avec le RSUE pour les droits de l’homme. Ces contacts
devraient devenir réguliers dans le cadre des dialogues interinstitutionnels
entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. De nombreuses
années de réforme ont été nécessaires pour permettre au Conseil
de l’Europe de se concentrer sur son activité principale. A supposer
qu’aucun accord satisfaisant ne puisse être conclu avec l’Union
européenne, tout ce travail aura été accompli en vain.
72. La commission des affaires étrangères du Parlement européen
a tenu, le 3 septembre 2012, une audition du RSUE nouvellement nommé,
M. Lambrinidis, qui a souligné, dans ses remarques préliminaires, que
son principal objectif était d’améliorer l’efficacité et la mise
en œuvre de la politique de droits de l’homme de l’Union européenne.
Il a évoqué un certain nombre de domaines thématiques sur lesquels
il projetait de mettre l’accent, tels que les politiques antiterroristes,
la lutte contre l’impunité, la garantie de procès équitables, le
renforcement de la démocratie, la protection des défenseurs des
droits de l’homme et la promotion des droits de l’enfant. Interrogé
sur la coopération avec le Conseil de l’Europe, il a souligné qu’il
n’y avait pas de place pour une méfiance interinstitutionnelle entre
cette organisation et l’Union européenne, et indiqué qu’il s’était entretenu
avec le Commissaire Muižnieks pour organiser une visite à Strasbourg
et y rencontrer les partenaires du Conseil de l’Europe. Je souhaiterais
aussi pouvoir rencontrer M. Lambrinidis dans les prochaines semaines
pour évoquer avec lui les principaux éléments de mon rapport.
73. Dans le cadre du suivi du débat d’actualité, le Bureau de
l’Assemblée a décidé de renvoyer une proposition de résolution sur
les institutions européennes et les droits de l’homme en Europe
à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
pour rapport. Une proposition de résolution sur «Le mémorandum d’accord
entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne: évaluation cinq
ans après» a également été adressée à la commission des questions
politiques et de la démocratie pour rapport.
74. Je n’entrerai donc pas davantage dans les détails concernant
les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.
Qu’il me soit simplement permis d’observer qu’après l’entrée en
vigueur du traité de Lisbonne le partenariat renforcé entre le Conseil
de l’Europe et l’Union européenne est censé déboucher sur un espace
commun de protection des droits de l’homme sur l’ensemble du continent,
par le biais de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention
européenne des droits de l’homme ainsi qu’à d’autres conventions
et mécanismes de suivi essentiels de l’Organisation. En tant que
future Partie à la Convention, l’Union européenne aura aussi plus
de poids pour appeler les Etats membres du Conseil de l’Europe à
exécuter les arrêts de la Cour et mettre en œuvre les recommandations
d’autres organes de l’Organisation. Je me réfère ici à l’excellent
travail accompli par ma collègue Mme Kerstin
Lundgren qui a minutieusement analysé cette question dans son rapport
consacré à l’impact du Traité de Lisbonne sur le Conseil de l’Europe.
75. En particulier, je désire rappeler l’appel lancé par l’Assemblée
à l’Union européenne afin que celle-ci recoure davantage aux évaluations
comparatives, ainsi qu’aux fonctions consultatives et au savoir-faire,
du Conseil de l’Europe dans le cadre de son élargissement et de
sa politique de voisinage
.
J’estime que cette approche devrait également s’appliquer à la stratégie
de l’Union européenne en matière de politique extérieure.
76. La création récente du SEAE représente en fait une occasion
unique d’améliorer la qualité de la politique extérieure et de renforcer
les partenariats entre le Conseil de l’Europe et ledit service par
le biais également du réseau des délégations de l’Union européenne.
Le SEAE pourrait également sensiblement accroître l’efficacité des
efforts déployés par la communauté internationale pour promouvoir
et protéger les droits de l’homme dans le monde.
77. Le 23 mars 2012, le SEAE a organisé une formation intitulée
«Droits de l’homme, démocratie, Etat de droit. Le Conseil de l’Europe:
un partenaire essentiel» dans le cadre d’un cycle spécialisé sur
les droits de l’homme, proposé au personnel de ce service affecté
aux relations extérieures, à la fois à Bruxelles et dans les délégations.
Cette formation a été suivie d’autres réunions qui constituent une
bonne pratique et devraient être complétées par des échanges réguliers
au plus haut niveau politique ainsi qu’entre les services compétents des
deux organisations, de manière à tirer parti de l’expérience du
Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme d’une part et
des capacités de diffusion des délégations de l’Union européenne
d’autre part.
78. Enfin, il est primordial de veiller à ce que les ministères
des Affaires étrangères de l’ensemble des Etats membres de l’Union
européenne établissent des unités de coordination et de dialogue
avec le SEAE, de manière à élaborer une approche commune à la fois
aux niveaux national et communautaire, ainsi qu’à définir des normes
opérationnelles de protection des droits de l’homme à l’intention
de leurs ambassades et de toutes les délégations de l’Union.
5. Propositions
en vue de l’intégration d’une stratégie des droits de l’homme dans
la politique extérieure des Etats membres du Conseil de l’Europe
79. Nous assistons à une introduction
lente, mais régulière, de règles et d’institutions en matière de gouvernance
mondiale. La prudence est de mise pour garantir une redéfinition
sans anicroche des relations entre Etats, compte tenu de l’érosion
importante de la notion de souveraineté nationale dans plusieurs domaines
d’action politique essentiels.
80. Affirmer que le seul modèle qui fonctionne en politique extérieure
est celui découlant d’un pragmatisme brutal contredit le fait que
les droits de l’homme sont des éléments à part entière du droit
international et constituent des engagements juridiquement contraignants
souscrits par les gouvernements dans le cadre du système des Nations
Unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.
81. Cependant, même les chefs d’Etat et les ministres des Affaires
étrangères les plus enthousiastes se laissent fréquemment gagner
par le découragement dès lors que leurs programmes en matière de
promotion des droits de l’homme se heurtent aux dures réalités.
82. L’approche la plus efficace est la prévention. Les gouvernements
s’intéressent trop souvent aux droits de l’homme lorsqu’il est trop
tard et qu’une guerre ou des bombardements apparaissent comme la
seule solution. J’ai été personnellement en faveur de l’intervention
militaire en Libye parce que je l’estimais nécessaire à l’époque.
Pourtant, j’estime que lorsque la politique néglige trop longtemps
les droits de l’homme en se focalisant uniquement sur les intérêts
économiques dans les relations extérieures, une situation critique au
regard desdits droits risque d’apparaître et «une intervention humanitaire»
pourra moralement s’imposer avec toute la complexité qu’une telle
opération suppose, même si cela est toujours mieux que rien. L’Europe ne
peut pas se permettre un autre Srebrenica.
83. Il est donc crucial de cesser de recourir à la guerre afin
de protéger les droits de l’homme, et de créer, au contraire, un
lien positif entre respect des droits de l’homme, de la démocratie
et de l’Etat de droit, d’une part, et la paix, d’autre part.
84. La promotion systématique et structurelle des droits de l’homme
devrait faire partie intégrante de toute stratégie de politique
extérieure, que ce soit au niveau national, européen ou international.
Il est pragmatique d’affirmer que les pays dans lesquels les conflits
politiques sont réglés dans le plein respect des droits de l’homme
et de l’Etat de droit sont moins enclins à régler leurs différends
par la violence. Pour reprendre les paroles de Bernard Kouchner,
l’ancien ministre français des Affaires étrangères: «Un monde meilleur,
dans lequel les droits de l’homme sont observés et protégés, est
un monde plus sûr. Or la recherche de la sécurité n’est-elle pas
la motivation principale de toute politique extérieure?»
Et le ministre britannique des
Affaires étrangères, William Hague, d’ajouter plus récemment que
«des institutions solides et l’Etat de droit sont les seules garanties
à long terme des libertés et nous savons tous que parvenir à ce
résultat requiert de longs efforts et une vigilance de tous les
instants»
.
85. Comme l’a également souligné l’ambassadeur Mirachian, afin
de prévenir le risque de nouveaux conflits, il est capital de renforcer
le multilatéralisme de manière à garantir une approche plus inclusive.
Il faut pour cela abolir la séparation traditionnelle entre les
groupes régionaux, aujourd’hui historiquement obsolète, et adopter
une approche transrégionale englobant plusieurs continents et diverses
cultures au nom de l’universalité des droits de l’homme; il faut
aussi rechercher des plates-formes communes pour prendre des décisions
auxquelles le plus de pays possible seront associés.
86. Cela suppose par ailleurs de prendre dûment en considération,
dans toute stratégie de politique étrangère, les droits économiques,
sociaux et culturels, au lieu de se focaliser uniquement sur les
droits politiques et civiques. Les conflits naissent d’un déficit
en matière de libertés fondamentales et de représentation politique
adéquate, mais aussi d’un accès insuffisant aux ressources matérielles
et d’un manque de liberté culturelle, religieuse et spirituelle.
87. En outre, les politiques migratoires sont un exemple – d’une
grande actualité – du fossé qui existe entre les politiques nationales
et le respect des normes internationales. Des millions de personnes
dans le monde émigrent dans l’espoir d’une vie meilleure. Ces migrations
constituent un problème majeur pour les gouvernements européens,
en particulier en ces temps de crise économique, mais elles doivent
être dûment prises en compte dans toutes les stratégies de politique
étrangère.
88. Dans un système démocratique fonctionnant normalement, l’action
des gouvernements en matière de mise en œuvre de leurs engagements
sous l’angle des droits de l’homme au moment où ils formulent et appliquent
une politique extérieure peut être contrôlée par le parlement, notamment
par le biais de questions, de motions ou d’enquêtes parlementaires
.
89. Le point de vue extérieur des médias, des ONG et des défenseurs
des droits de l’homme, même s’il est plus difficilement mesurable,
n’en conserve pas moins une importance cruciale. Nous devons donner
la parole et apporter notre soutien à ces mouvements dans le monde
entier, parce qu’ils protègent les libertés et promeuvent la démocratie.
Il est en effet impossible d’exporter la démocratie, laquelle doit
se nourrir de l’intérieur grâce à des mouvements de défense des
droits de l’homme et d’opposition et à l’action de la société civile:
toutes initiatives que la diplomatie peut aider, mais pas générer,
à la place de ces acteurs.
90. Il conviendrait également de ne pas sous-estimer le rôle de
la diplomatie parlementaire. Comme souligné dans un rapport de 2010
rédigé par mon collègue M. João Bosca Mota Amaral, et intitulé «Promouvoir la
diplomatie parlementaire»
, des contacts permanents
avec des parlements à l’étranger non seulement aident les parlementaires
à partager leurs expériences, mais favorisent aussi la compréhension
des élites politiques dans les pays concernés et contribuent à promouvoir
le pluralisme politique, l’Etat de droit et les normes de parlementarisme
démocratique.
91. Les gouvernements eux-mêmes procèdent rarement de manière
structurelle et systématique à l’évaluation de la façon dont leur
stratégie de politique étrangère et la gestion de leurs relations
extérieures peuvent efficacement contribuer à prévenir ou à corriger
des violations des droits de l’homme.
92. Les ministères des Affaires étrangères peuvent jouer un rôle
essentiel en lançant des initiatives visant spécifiquement à élaborer
des normes communes en matière de protection des droits de l’homme
et à garantir l’adoption d’une approche conjointe dans la zone du
Conseil de l’Europe. Par exemple, ils pourraient demander à leurs
ambassades de procéder à des évaluations périodiques et créer sur
leur site web une section consacrée spécifiquement à la situation
des droits de l’homme dans le pays hôte. Cette consigne devrait s’appliquer
à toutes les ambassades, quel que soit le pays où elles sont installées
et pas uniquement aux ambassades travaillant dans un pays où les
violations des droits de l’homme constituent un risque important. En
outre, les ministères des Affaires étrangères pourraient organiser
des sessions consacrées spécifiquement aux droits de l’homme à l’intention
des ambassadeurs, lors d’une réunion annuelle dans leurs capitales.
93. Il convient de souligner que les Etats membres du Conseil
de l’Europe ont l’obligation spécifique de veiller à ce qu’eux-mêmes,
mais aussi les autres Etats membres, respectent les normes et les recommandations
de l’Organisation et en particulier les arrêts de la Cour. Hélas,
certains d’entre eux continuent de refuser d’exécuter ces arrêts
et de remédier aux violations systémiques des droits de l’homme constatées
par la Cour. Dans sa Résolution 1787 (2011), basée sur un rapport
de M. Christos Pourgourides, l’Assemblée a noté l’existence de problèmes
structurels majeurs dans neuf Etats membres: la Bulgarie, la Grèce,
l’Italie, la République de Moldova, la Pologne, la Roumanie, la
Fédération de Russie, la Turquie et l’Ukraine. Il est par conséquent
d’une importance capitale que les Etats membres du Conseil de l’Europe traitent
aussi cette question par le biais de leur politique étrangère et
dans leurs relations bilatérales et multilatérales.
94. Les recommandations contenues dans le projet de résolution
visent à nourrir la réflexion des Etats membres du Conseil de l’Europe
au moment de la mise en œuvre de leurs objectifs en matière de droits
de l’homme et de la formulation de leurs stratégies de politique
extérieure, aux niveaux bilatéral et multilatéral. Ces activités
impliquent la participation active des chefs d’Etat, ministres,
ambassadeurs, cabinets ministériels et ambassades.
95. Dans le prolongement de la résolution qui – je l’espère –
sera adoptée lors de la partie de session d’octobre 2012, je souhaiterais
convoquer une réunion des présidents des commissions des affaires étrangères
et des droits de l’homme des 47 parlements nationaux et du Parlement
européen, ainsi que des représentants du Service européen pour l’action
extérieure, pour discuter des moyens de mettre en œuvre les recommandations
susmentionnées dans l’esprit de la réforme de l’Assemblée.