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Rapport | Doc. 13107 | 23 janvier 2013

Développements récents au Mali et en Algérie et menace pour la sécurité et les droits de l'homme dans la région méditerranéenne

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Karin S. WOLDSETH, Norvège, GDE

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3930 du 21 janvier 2013. 2013 - Première partie de session

Résumé

La dégradation de la situation relative à la sécurité et aux droits de l’homme au Mali au cours de ces derniers mois, et le risque bien réel de voir se constituer au Sahel un régime fondé sur le terrorisme, la prise d’otages et le trafic de drogues et d’armes représentent clairement une menace grave pour la stabilité de la région méditerranéenne, de toute l’Europe et de l’ensemble de la communauté internationale. La récente intervention militaire française au Mali vise à stopper cette évolution. Néanmoins, pour y parvenir, il est nécessaire que la communauté internationale renforce son engagement et sa solidarité.

Le rapport condamne la récente attaque terroriste du complexe gazier algérien à In Amenas et déplore la mort de dizaines d’otages, notamment des ressortissants d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe. Cette tragédie nous rappelle la nécessité d’une réponse internationale efficace au fléau du terrorisme. Le rapport appelle les Etats membres et observateurs à utiliser pleinement les instruments juridiques du Conseil de l’Europe dans la lutte contre le terrorisme et la suppression de ses sources de financement.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 janvier
2013.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par la situation relative à la sécurité et aux droits de l’homme au Mali et la récente crise en Algérie, pays situé dans le voisinage immédiat du Conseil de l’Europe où, le 16 janvier 2013, des centaines de ressortissants algériens et étrangers ont été pris en otage par des groupes terroristes islamistes radicaux.
2. L’Assemblée note que la récente intervention militaire française au Mali, en réponse à une demande spécifique du Gouvernement du Mali, approuvée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, vise à stopper les groupes armés islamistes liés à Al-Qaida qui avançaient rapidement vers la capitale en commettant de graves violations des droits de l’homme, et qui menaçaient la stabilité de toute la région et de l’ensemble du continent africain. Ces groupes, équipés d’armes lourdes provenant en partie de la guerre en Libye, ont progressivement pris le contrôle du nord du Mali suite aux combats qui ont opposé, dans cette région, des troupes gouvernementales maliennes à des rebelles touaregs en janvier 2012, et au coup d’Etat militaire qui s’est produit dans la capitale en mars 2012, rendant la situation politique encore plus instable.
3. L’Assemblée note que la population touareg, traditionnellement nomade, aspire à l’indépendance depuis des décennies dans le nord du Mali. Cependant, leur nouvelle rébellion de janvier 2012 peut être considérée comme un effet domino de la guerre qui a récemment eu lieu en Libye, car les Touaregs, installés en Libye ou recrutés comme mercenaires par Kadhafi, sont retournés au Mali après la défaite de celui-ci, armés et formés militairement. A cet égard, l’Assemblée appelle les autorités libyennes à redoubler d’efforts pour rassembler les armes restant de la guerre de 2011, qui sont une menace pour la sécurité de toute la région.
4. L’Assemblée se félicite du fait que les rebelles touaregs aient récemment renoncé à leurs aspirations d’indépendance en échange d’une autonomie politique au sein du Mali, en déclarant qu’ils seraient prêts à aider leurs anciens opposants dans la lutte contre les terroristes.
5. Par ailleurs, l’Assemblée est préoccupée par le fait que les cellules terroristes qui ont infiltré le Mali au cours de ces derniers mois viennent apparemment du monde entier.
6. L’Assemblée demande l’application rapide de la Résolution 2085 sur le Mali adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en décembre 2012, qui prévoit le déploiement d’une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine en coordination avec d’autres partenaires, notamment une mission de formation de l’Union européenne limitée dans le temps.
7. Il est nécessaire que d’autres Etats européens et africains, l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique renforcent leur engagement et leur solidarité à l’égard des forces maliennes et françaises sur le terrain afin de mettre un terme à la mise en place d’un régime fondé sur le terrorisme, la prise d’otages et le trafic de drogues et d’armes au Sahel – avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir pour la région méditerranéenne, l’Europe dans son ensemble et la communauté internationale – et de restaurer l’ordre constitutionnel et l’intégrité territoriale du Mali.
8. L’Assemblée condamne l’attaque terroriste du complexe gazier algérien à In Amenas en janvier 2013 et déplore la mort de dizaines d’otages, notamment des ressortissants d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe. Cette tragédie rappelle à la communauté internationale les menaces que pose en permanence le fléau du terrorisme, et la nécessité de les contrer en apportant une réponse internationale efficace, notamment en supprimant les sources du financement des groupes terroristes.
9. L’Assemblée rappelle que le Conseil de l’Europe a élaboré un ensemble complet d’instruments juridiques pouvant être utilisés dans la lutte contre le terrorisme et son financement, en particulier la Convention européenne révisée pour la répression du terrorisme (STE n° 90 telle que révisée par STE n° 190), la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196), la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), ainsi que les Lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme et les Lignes directrices sur les victimes d’actes terroristes. Elle appelle les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe à utiliser pleinement ces instruments lorsqu’ils coordonnent leurs actions contre le terrorisme.
10. L’Assemblée condamne fermement les violations continues et choquantes des droits de l’homme commises par les rebelles islamistes radicaux dans le nord du Mali, notamment les exécutions extrajudiciaires, les tortures, les viols, les amputations, les détentions arbitraires, les disparitions forcées et le recrutement d’enfants soldats. Elle note que des violations des droits de l’homme ont aussi été commises dans des régions contrôlées par le gouvernement et demande instamment à l’armée malienne et à ses alliés de s’abstenir de toutes représailles violentes lorsqu’ils commenceront à reprendre le contrôle du nord du pays.
11. Elle note qu’un rapport récemment publié par le Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) souligne que les femmes et les jeunes filles ont en particulier subi des traitements dégradants dans le nord, notamment des harcèlements, des abus et des violences sexuelles commis par des rebelles islamistes radicaux, souvent en présence des membres de la famille, parce qu’elles étaient accusées de ne pas être voilées ou habillées correctement.
12. L’Assemblée se félicite de la décision récente du Procureur de la Cour pénale internationale d’ouvrir officiellement une enquête sur les crimes présumés commis sur le territoire du Mali – notamment les meurtres, les viols et les tortures –, en particulier dans le nord du pays, après être parvenue à la conclusion que certains de ces actes de brutalité et de destruction pourraient constituer des crimes de guerre. Au terme d’une enquête approfondie et impartiale, les auteurs devront être traduits en justice et tenus pour responsables des crimes qu’ils ont commis.
13. L’Assemblée est également préoccupée par les conséquences humanitaires du conflit au Mali: des centaines de milliers de civils ont fui le Mali et se sont réfugiés dans les pays voisins ou ont été déplacés sur le territoire malien en 2012. D’autres déplacements ont eu lieu en janvier 2013. L’Assemblée appelle les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe à apporter un soutien concret aux opérations de secours déployées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Mali et dans les pays voisins.
14. Notant que le conflit s’est intensifié après un coup d’Etat militaire et l’effondrement des institutions démocratiques, l’Assemblée se joint au Conseil de sécurité des Nations Unies pour appeler les autorités provisoires du Mali à finaliser la feuille de route de transition, dans le cadre d’un dialogue politique ouvert, afin de restaurer l’ordre constitutionnel et l’unité nationale du pays, notamment en organisant des élections législatives et présidentielle pacifiques, crédibles et sans exclusive, dès que cela est réalisable sur le plan technique. L’Assemblée estime que seul un processus de réconciliation permettra de fournir, à terme, les réponses non seulement aux enjeux actuels que représentent la sécurité, la crise humanitaire et les droits de l’homme, mais aussi aux problèmes de longue date qui ne sont toujours pas résolus dans la région.
15. Enfin, l’Assemblée note que les attaques terroristes au Mali et en Algérie font partie d’une vague de terrorisme islamique plus vaste, dans le Sahel, qui s’étend jusqu’au Nigéria, avec les atrocités commises par Boko Haram dans le nord du Nigeria. Bien que les caractéristiques en soient différentes, les motivations profondes sont les mêmes dans toute la région. Les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que les Etats dont les parlements bénéficient du statut de partenaire pour la démocratie, si sollicités, devraient être prêts à venir en aide aux pays de la région afin de combattre ce fléau.

B. Exposé des motifs, par Mme Woldseth, rapporteure

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1. Introduction

1. Au cours de la période de session d’octobre 2012 de l’Assemblée, le conflit au Mali et les problèmes graves qui en découlent pour les droits de l’homme et la sécurité dans le Sahel et les régions nord-africaines ont été examinés par la commission des questions politiques et de la démocratie, sur proposition notamment de la délégation de partenaire pour la démocratie marocaine. Celle-ci a insisté sur la gravité de la situation et les conséquences qu’elle pourrait avoir pour toute la région méditerranéenne, ainsi que sur la nécessité d’une participation plus active de la communauté internationale.
2. Suite à ce débat et comme convenu par la commission, le Président de la Commission, M. Pietro Marcenaro, a fait une déclaration dans laquelle il condamnait «les violations choquantes des droits de l’homme, notamment les exécutions extrajudiciaires, les flagellations, les amputations et les lapidations à mort» infligées à des personnes accusées de crimes, en dehors de tout cadre juridique, par des groupes islamistes radicaux armés qui sévissaient dans le nord du Mali, profitant apparemment de la déstabilisation causée par des événements survenus récemment dans la région, en particulier la guerre en Libye. Evoquant des témoignages faisant état non seulement de châtiments corporels horribles mais aussi de violences sexuelles contre des femmes et du recours à des enfants soldats, il a exhorté «tous les groupes présents dans la région à mettre fin à ces pratiques barbares qui sont inacceptables au XXIe siècle». Il a également attiré l’attention sur le fait que la situation au Mali constituait une menace réelle pour la stabilité de la région, y compris les pays du Maghreb. Il s’est félicité des efforts déployés par le gouvernement provisoire d’union nationale au Mali pour préserver l’intégrité territoriale et organiser des élections démocratiques et libres dans les plus brefs délais.
3. Certains membres de la commission s’étaient alors demandé si l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe était compétente pour débattre du conflit au Mali, notant que notre action devrait avoir certaines limites géographiques.
4. Aujourd’hui, la dégradation de la situation relative à la sécurité et aux droits de l’homme, les menaces croissantes pour la stabilité de tout le continent africain et de la région méditerranéenne que représente le risque bien réel de voir un régime fondé sur le trafic de drogues et le terrorisme s’établir dans le Sahel et les régions nord-africaines – risque qui a poussé la France à intervenir militairement –, ainsi que la propagation de la crise en Algérie, pays situé dans le voisinage immédiat du Conseil de l’Europe où des centaines de ressortissants algériens et étrangers ont été pris en otage par des groupes terroristes islamistes radicaux, ne laissent plus aucun doute, je pense, sur la pertinence et l’importance de ce débat pour notre Assemblée.
5. La mort de dizaines d’otages en Algérie la semaine dernière, notamment des ressortissants d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, est une tragédie qui rappelle à la communauté internationale les menaces que pose en permanence le fléau du terrorisme, ainsi que la nécessité de les contrer en apportant une réponse internationale efficace, notamment en supprimant les sources de financement des groupes terroristes.
6. Là encore, le Conseil de l’Europe a élaboré un ensemble complet d’instruments juridiques pouvant être utilisés dans la lutte contre le terrorisme et son financement, ce qui illustre une fois de plus la pertinence de notre Organisation dans ce domaine.

2. Evénements récents au Mali

7. Le conflit qui a éclaté dans le nord du Mali en janvier 2012 vient du fait que le peuple touareg, qui est un peuple nomade traditionnel vivant dans la région saharienne du nord du Mali, ainsi que dans le sud de l’Algérie et le nord du Niger, aspire depuis longtemps à l’indépendance. Ces aspirations ont déclenché une première rébellion touareg en 1962, à la fin du régime colonial français, et d’autres rébellions qui ont eu lieu au début des années 1990 et en 2007.
8. En 2011, pendant la guerre civile libyenne, de nombreux Touaregs se sont installés en Libye ou ont été recrutés comme mercenaires au service de Kadhafi. Après la défaite de celui-ci, les combattants touaregs sont revenus dans le nord du Mali lourdement armés et formés militairement. Ils ont alors commencé à lutter contre le gouvernement malien en exigeant l’indépendance de l’«Azawad» (terme utilisé pour désigner un territoire englobant les régions maliennes de Tombouctou, de Kidal, de Gao et une partie de la région de Mopti). Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), dominé par les Touaregs, s’est d’abord allié au groupe islamiste Ansar Dine avant de déclencher une rébellion dans le nord du pays en 2012.
9. L’utilisation d’armes lourdes provenant de la guerre en Libye a apparemment surpris les responsables maliens et les observateurs étrangers.
10. A la fin de mars 2012, mécontents de la manière dont le Président Touré contrait la rébellion dans le nord du Mali et de la médiocrité des équipements fournis à l’armée, un groupe de jeunes soldats dirigés par le capitaine Amadou Sanogo a pris le contrôle du palais présidentiel, déclaré la dissolution du gouvernement et suspendu la constitution du pays. Sanogo s’est autoproclamé Président du Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDR), et annoncé qu’il exercerait le pouvoir par intérim jusqu’à la désignation d’un nouveau gouvernement démocratiquement élu.
11. Le coup d’Etat a été unanimement condamné par la communauté internationale, notamment le Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Union africaine et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et le Mali a fait l’objet de sanctions. Ce coup d’Etat a aggravé l’instabilité politique, démoralisé l’armée malienne et appauvri encore davantage la population.
12. Un accord a été finalement conclu le 6 avril 2012 entre la junte et les négociateurs de la CEDEAO, prévoyant la démission de Sanogo et Touré, la levée des sanctions, l’amnistie des mutins, et le transfert du pouvoir à M. Diouncounda Traoré, Président de l’Assemblée nationale malienne. Suite à cette inauguration, le Président Traoré s’est engagé à mener une «guerre impitoyable et totale» contre les rebelles touaregs jusqu’à leur retrait des villes du nord du Mali.
13. Cependant, profitant de la situation chaotique sur le plan politique, aggravée par la pauvreté croissante et la pénurie alimentaire résultant des sanctions, les groupes rebelles ont entre-temps pris le contrôle des principales villes du nord, notamment Tombouctou.
14. Le 6 avril 2012, les rebelles du MNLA ont proclamé leur indépendance par rapport au Mali et annoncé la sécession d’un nouvel Etat, l’«Azawad». La proclamation d’indépendance a été considérée comme non valable par l’Union africaine et l’Union européenne, qui l’ont rejetée.
15. Peu de temps après, le MNLA a été marginalisé par des groupes islamistes radicaux associés à Al Qaida, qui voulaient imposer une application stricte de la loi de la charia (loi islamique).
16. Incapable de concilier sa vision d’un nouvel Etat indépendant avec celle des islamistes radicaux, le MNLA a renoncé à ses exigences de sécession et commencé à lutter contre ses anciens alliés, Ansar Dine et d’autres groupes islamistes radicaux, notamment le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), un groupe lié à Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI).
17. Au cours de la deuxième moitié de 2012, des groupes d’islamistes radicaux liés à Al Qaida ont progressivement pris le contrôle des principales villes du nord du Mali, commettant des violations choquantes des droits de l’homme, notamment contre la population locale.
18. En décembre 2012, le MNLA, désormais déplacé, a engagé des pourparlers de paix avec le Gouvernement malien et renoncé à l’indépendance de l’Azawad en échange d’une autonomie au sein du Mali. Il s’est également déclaré prêt à aider ses anciens adversaires dans leur lutte contre les islamistes. Le MNLA n’est fortement implanté que dans les régions rurales et désertiques proches des frontières avec la Mauritanie, l’Algérie et le Niger, car il a été chassé de la plus grande partie du territoire qu’il revendique, par des groupes islamistes.

3. Intervention militaire étrangère

19. Pour donner suite aux demandes des autorités provisoires maliennes et de la CEDEAO de déploiement d’une force militaire étrangère, la Résolution 2071 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée à l’unanimité le 12 octobre 2012, a approuvé, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le déploiement d’une force internationale sous conduite africaine pour aider l’armée du Mali à combattre les militants islamistes. Cette résolution, qui autorisait la planification des forces et prévoyait la fourniture de ressources des Nations Unies à cet effet, ne permettait pas que des forces soient déployées sur le terrain.
20. La Résolution 2085 du Conseil de sécurité, adoptée deux mois plus tard, le 20 décembre 2012, autorisait le déploiement d’une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) pour une durée initiale d’une année, en coordination avec d’autres partenaires, notamment une mission de formation conduite par l’Union européenne. Il apparaissait clairement cependant que tant la MISMA que la mission conduite par l’Union européenne ne pourraient pas être mises sur pied en quelques jours.
21. Le 10 janvier 2013, des forces islamistes radicales s’emparaient de la ville stratégique de Konna, située à 600 kilomètres de la capitale. Près de 1 200 combattants islamistes se sont rapprochés ensuite de Mopti, une ville de garnison militaire malienne.
22. Les groupes armés d’islamistes radicaux liés à Al Qaida progressant rapidement vers la capitale, il est devenu clair que l’existence même du Mali était menacée et que la stabilité de tout le continent africain et de la région méditerranéenne était menacée par l’établissement d’un régime fondé sur le trafic de drogues et le terrorisme au Sahel. Cette menace a poussé les autorités françaises à intervenir militairement au Mali.
23. Le 11 janvier 2013, les militaires français lançaient l’«Opération Serval» au Mali, comprenant des frappes aériennes et le déploiement de près de 2 000 soldats français sur le terrain. Selon les autorités françaises, le nombre de soldats déployés au Mali sera bientôt de 2 500.
24. Le Conseil de sécurité des Nations Unies et de nombreux Etats membres des Nations Unies ont approuvé l’intervention française, qui a été accueillie avec enthousiasme et soulagement par les autorités maliennes. La France espère néanmoins que les pays africains en prendront la direction.
25. Le Royaume-Uni fournit deux avions cargos C17 de la Royal Air Force pour aider les forces françaises. La Belgique, le Canada et le Danemark envoient également des avions de transport. Le Gouvernement espagnol a approuvé l’envoi d’un avion de transport au Mali à des fins de logistique et de formation, et le Gouvernement allemand a autorisé l’envoi de deux avions de transport Transall C-160 pour acheminer des troupes africaines à Bamako, la capitale du Mali. De même, le Gouvernement italien a promis un soutien logistique fondé sur le transport aérien. L’Union européenne a déclaré qu’elle avait intensifié ses préparatifs en vue d’envoyer des troupes pour une mission de formation au Mali.
26. En outre, des troupes venant du Tchad, du Nigéria, du Togo et du Bénin sont arrivées au Mali. Le nombre total de soldats africains qui devraient arriver au Mali inclut 2 000 soldats du Tchad, 1 200 soldats du Nigéria et 650 soldats du Bénin. Le Sénégal, le Burkina Faso, le Niger et le Togo devraient envoyer 500 soldats chacun, et le Ghana et la Guinée devraient également envoyer des troupes.
27. Près de 100 instructeurs américains ont été déployés au Niger, au Nigéria, au Burkina Faso, au Sénégal, au Togo et au Ghana pour examiner les besoins de formation, d’équipements et de déploiement de ces pays afin de les préparer à intervenir au Mali. Les Etats-Unis fournissent également un soutien en matière de communications.
28. Il est nécessaire que d’autres Etats européens et africains, l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique renforcent leur participation et leur solidarité à l’égard des forces maliennes et françaises sur le terrain afin de mettre un terme à la constitution d’un régime fondé sur le trafic de drogues et le terrorisme au Sahel et dans la région nord-africaine – avec toutes les conséquences que cela pourrait avoir pour la région méditerranéenne, l’Europe voisine et l’ensemble de la communauté internationale – et de rétablir l’ordre constitutionnel et l’intégrité territoriale du Mali.

4. Crise des otages et morts tragiques en Algérie

29. Le 16 janvier 2013, un groupe de terroristes armés d’armes lourdes a attaqué un autobus transportant des travailleurs algériens et étrangers du site gazier de Tigantourine au terrain d’aviation proche d’In Amenas, tuant deux personnes et en blessant six. Les terroristes ont ensuite attaqué le complexe gazier, où ils ont pris en otages plus de 100 travailleurs étrangers et environ 700 travailleurs algériens.
30. Un terroriste algérien très connu, qui dirige un groupe qui s’est récemment séparé d’Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a déclaré qu’il avait organisé l’attaque en représailles à l’intervention française au Mali et à la décision de l’Algérie d’autoriser les Français à utiliser son espace aérien au cours de leur intervention.
31. Cela étant, les analystes estiment qu’une prise d’otages d’une telle ampleur exige une préparation minutieuse qui n’est guère compatible avec le laps de temps très court qui s’est écoulé entre l’intervention française au Mali et l’attaque, et que celle-ci a très probablement été préparée de longue date.
32. Peu après leur prise de contrôle du complexe gazier, les terroristes ont été cernés par l’armée et les forces spéciales algériennes.
33. Le 17 janvier 2013, l’armée algérienne a attaqué un convoi de véhicules formé par les terroristes qui essayaient d’emmener les otages dans un lieu plus sûr. Plusieurs otages et la plupart des terroristes auraient été tués, certains auraient survécu.
34. Selon les médias algériens, le 19 janvier, les terroristes survivants auraient commencé à exécuter des otages (on parle de sept exécutions), ce qui a déclenché l’assaut des forces algériennes.
35. Le 21 janvier, le Premier ministre algérien a annoncé que 38 otages avaient été tués, dont 37 ressortissants étrangers de huit nationalités différentes et un Algérien. Parmi ceux dont la mort a été confirmée figurent un Français, un Américain, trois Britanniques et sept Japonais. Cinq employés de la société Norwegian Statoil sont encore portés disparus. Parmi eux se trouve le beau-père du ministre norvégien du développement international, Heikki Holmas.
36. Au moment de la rédaction du présent rapport, près de 20 otages étaient encore manquants. Selon des sources algériennes, 685 travailleurs algériens et 107 travailleurs étrangers ont été libérés.
37. Malgré les appels des gouvernements étrangers dont les ressortissants figuraient parmi les otages, il semble que les forces algériennes aient agi sans avoir consulté ou informé préalablement les gouvernements étrangers concernés, peut-être à cause de l’urgence de la situation. Cependant, de nombreux analystes considèrent qu’en ripostant ainsi, l’Algérie voulait marquer son indépendance, défendre le prestige de son armée et montrer comment elle combat le terrorisme islamique.
38. Pour mieux comprendre les événements de la semaine dernière, il est important de rappeler la guerre que l’armée algérienne et les forces spéciales ont menée contre les groupes islamistes dans les années 1990, guerre déclenchée par le Front islamique du salut (FIS), qui avait presque remporté les élections générales. Cette «sale guerre» avait obligé les islamistes à faire mouvement du nord vers le sud, puis à traverser la frontière en direction du nord du Mali, où ils ont utilisé le problème touareg, qui dure depuis longtemps, à leurs propres fins. Dans cette région, ils ont vécu de prises d’otages et de trafic de drogues. Les Algériens représenteraient une majorité écrasante de la direction des groupes djihadistes actifs dans le nord du Mali.
39. La mort tragique de tant de personnes en Algérie la semaine dernière rappelle à la communauté internationale les menaces que pose en permanence le fléau du terrorisme, et la nécessité de les contrer en apportant une réponse internationale efficace, notamment en supprimant les sources de financement des groupes terroristes.
40. A cet égard, je tiens à rappeler que le Conseil de l’Europe a élaboré un ensemble complet d’instruments juridiques pouvant être utilisés dans la lutte contre le terrorisme et son financement, en particulier la Convention européenne révisée pour la répression du terrorisme (STE n° 90 telle que révisée par STE n° 190), la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE n° 196), la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme (STCE n° 198), ainsi que les Lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme.
41. Les Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe doivent utiliser pleinement ces instruments lorsqu’ils coordonnent leurs actions contre le terrorisme et s’efforcent d’apporter une réponse ferme et efficace aux menaces actuelles.

5. Violations graves des droits de l’homme et préoccupations humanitaires

42. Le 18 janvier 2013, le Bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme a publié un rapport dénonçant des violations graves des droits de l’homme, notamment des exécutions extrajudiciaires, des viols et des tortures, qui ont caractérisé le conflit qui a sévi dans le nord du Mali tout au long de 2012. Le rapport, préparé par une mission déployée au Mali et dans les pays voisins en novembre 2012, décrit en détail la manière dont les violations des droits de l’homme ont été commises depuis janvier 2012, lorsque les combats entre les forces gouvernementales et les rebelles touaregs ont éclaté dans le nord du pays, et la prise de contrôle ultérieure de cette région par les islamistes radicaux.
43. Le rapport montre que la situation actuelle des droits de l’homme est liée à des problèmes qui ne sont pas résolus depuis longtemps, et que les violations de ces droits ont été commises dans le nord ainsi que dans la région qui est contrôlée par le gouvernement. Il signale également que les tensions ethniques croissantes pourraient avoir des conséquences alarmantes sur ce pays d’Afrique du Nord.
44. Les membres du MNLA auraient utilisé des étudiants comme boucliers humains pour obliger les forces militaires à se rendre, et ils auraient exécuté ensuite 94 des 153 soldats capturés. Plusieurs soldats touaregs ont été également victimes de représailles menées par des membres de l’armée malienne dans le nord, qui auraient tué neuf soldats à Tombouctou en février 2012.
45. Le rapport souligne que les femmes, en particulier, ont subi des traitements dégradants infligés par des groupes d’islamistes radicaux qui appliquent une forme extrême de la charia (loi islamique). Ces femmes ont été victimes de harcèlements, d’abus et de violences sexuelles parce qu’elles étaient voilées ou vêtues de façon incorrecte ou qu’elles conduisaient une moto. Selon le rapport et le porte-parole du HCR, Rupert Colville, le viol des femmes et des jeunes filles, parfois commis en présence de membres de la famille et souvent, apparemment, pour des motifs ethniques, a été utilisé à maintes reprises dans le nord afin d’intimider les populations et de briser toute forme de résistance, dans une culture où le viol est tabou et où les personnes qui en sont victimes sont frappées d’exclusion sociale. Des mineures de 12 à 13 ans auraient été mariées de force à des islamistes radicaux et abusées sexuellement.
46. Le rapport fait état d’autres violations des droits de l’homme, notamment les amputations, les détentions arbitraires, la torture, les disparitions forcées et le recrutement d’enfants soldats.
47. La mission du HCDH a également insisté sur la présence croissante de milices d’autodéfense et a jugé alarmantes les tensions ethniques croissantes observées au Mali, qui pourraient également déclencher des représailles contre les communautés touareg et arabe, qui sont considérées comme liées aux groupes armés.
48. Un rapport publié en mai 2012 par Amnesty International indiquait que la situation des droits de l’homme résultant du conflit était la pire qu’ait connu le Mali depuis 1960. Le rapport citait des exemples de viols collectifs, d’exécutions extrajudiciaires et d’utilisation d’enfants soldats tant par les Touaregs que par les groupes islamistes.
49. Citons ne serait-ce que deux exemples de violations choquantes des droits de l’homme commises par des groupes d’islamistes radicaux dans le nord du Mali: le 29 juillet 2012, un couple a été lapidé à mort à Aguelhok car ses enfants étaient nés hors mariage, et le 9 août, des militants islamistes ont tranché la main d’un voleur présumé dans la ville d’Ansongo, malgré la foule qui demandait aux militants de le gracier.
50. En outre, pendant le conflit, des islamistes radicaux ont endommagé et détruit un certain nombre de lieux historiques, en particulier un site de Tombouctou figurant sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, parce qu’ils les considéraient comme lieux d’idolâtrie. A la fin de juin 2012, des islamistes radicaux ont dégradé plusieurs sites de Tombouctou avec des pioches et des pelles.
51. Je ne peux que condamner fermement les violations continues et choquantes des droits de l’homme commises par les rebelles islamistes radicaux dans le nord du Mali. Notant que des violations des droits de l’homme ont aussi été commises dans des régions contrôlées par le gouvernement, y compris des exécutions sommaires, nous devrions également demander instamment à l’armée malienne et à ses alliés de s’abstenir de toutes représailles lorsqu’ils commenceront à reprendre le contrôle du nord du pays.
52. J’approuve également la décision récente du Procureur de la Cour pénale internationale d’ouvrir officiellement une enquête sur les crimes présumés commis sur le territoire du Mali – notamment les meurtres, les viols et les tortures – en particulier dans le nord du pays. Le Procureur est parvenu à la conclusion que certains de ces actes de brutalité et de destruction peuvent constituer des crimes de guerre. Au terme d’une enquête approfondie et impartiale, les auteurs doivent être traduits en justice et tenus pour responsables des crimes qu’ils ont commis. La justice peut incontestablement offrir une certaine forme de soulagement aux victimes et à leurs familles.
53. Les affrontements militaires dans la région ont provoqué des déplacements de population à la fois à l’intérieur du Mali et vers les pays voisins. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué qu’au cours des deux dernières semaines, 450 personnes d’origine malienne se sont réfugiées au Niger, 309 au Burkina Faso et 471 en Mauritanie. Toutes ces personnes sont allées dans des camps existants. En janvier 2013, le nombre de réfugiés maliens dans la région était estimé à 143 791, dont 54 100 en Mauritanie, 50 000 au Niger, 38 800 au Burkina Faso et 1 500 en Algérie. Des petits groupes se trouvent également en Guinée et au Togo. Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du territoire malien, y compris celles qui ont été déplacées l’année dernière et, plus récemment, en janvier 2013, est estimé à 228 918 par la Commission malienne sur les déplacements de population.
54. Les réfugiés font état de l’insécurité générale, de la dégradation de la situation des droits de l’homme, de l’absence de moyens de subsistance et de services de base, et de l’application de la charia. Le HCR continue à les aider en fournissant de l’eau potable, des sanitaires, des conditions d’hygiène, des soins de santé et une formation. Il n’a reçu que 63 % des 123 millions de dollars nécessaires pour aider les réfugiés maliens et prévoit qu’il faudra 195,6 millions de dollars supplémentaires pour couvrir les besoins en 2013 
			(2) 
			HCR, note d’information
pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, session d’hiver,
15 janvier 2013.. L’Assemblée appelle ses Etats membres et observateurs à fournir un soutien concret aux opérations de secours déployées par le HCR au Mali et dans les pays voisins.

6. Conclusions

55. La dégradation de la situation relative à la sécurité et aux droits de l’homme au Mali au cours de ces derniers mois, et le risque réel de voir se constituer au Sahel un régime fondé sur le trafic de drogues et le terrorisme – risque qui a poussé la France à intervenir – représentent clairement une menace grave pour la stabilité de la région méditerranéenne, de toute l’Europe et de l’ensemble de la communauté internationale. La mort tragique de dizaines d’otages la semaine dernière en Algérie, notamment des ressortissants d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe, est une nouvelle preuve du risque de contagion. La communauté internationale doit donc s’engager davantage et se montrer encore plus solidaire pour stopper les islamistes radicaux dans le nord du Mali.
56. Le fait que des cellules de terroristes venant apparemment du monde entier aient infiltré le Mali au cours des derniers mois est un autre élément préoccupant. Là encore, il est clair que la lutte contre le terrorisme a besoin d’une réponse internationale coordonnée et efficace, et les instruments juridiques élaborés par le Conseil de l’Europe dans ce domaine peuvent être très utiles.
57. Dans le projet de résolution, j’ai brièvement présenté d’autres sujets de préoccupation, comme les violations graves des droits de l’homme commises tout au long de 2012 au Mali et les problèmes humanitaires résultant du conflit.
58. En conclusion, je tiens à souligner que le conflit au Mali s’est intensifié suite au coup d’Etat militaire et l’effondrement des institutions démocratiques. Il est essentiel que les autorités provisoires du Mali finalisent une feuille de route de transition, dans le cadre d’un dialogue politique ouvert, afin de rétablir l’ordre constitutionnel et l’unité nationale du pays, notamment en organisant des élections législatives et présidentielles pacifiques, crédibles et sans exclusive, dès que cela est viable sur le plan technique. J’estime que seul un processus de réconciliation permettra de fournir, à terme, les réponses non seulement aux enjeux actuels que représentent la sécurité, la crise humanitaire et les droits de l’homme au Mali, mais aussi aux problèmes de longue date qui ne sont toujours pas résolus dans la région.