1. Mandat
et genèse du rapport
1. Le 30 juin 2011, Mme Rihter et 23 collègues ont déposé
une proposition de résolution intitulée «Destruction ou restauration
du patrimoine industriel», qui a été renvoyée à la commission de
la culture, de la science, de l’éducation et des médias pour rapport
le 3 octobre 2011. La commission m’a désignée rapporteure le 6 décembre
2011. En avril 2012, M. Keith Falconer, ancien chef de l’archéologie
industrielle de l’English Heritage (Royaume-Uni) a été chargé d'élaborer
un document de réflexion.
2. Le 28 juin 2012 à Strasbourg, la sous-commission de la culture,
de la diversité et du patrimoine a examiné un projet de schéma de
rapport et le 21 septembre 2012, elle a tenu une conférence à Maribor (Slovénie)
sur le thème du patrimoine industriel, organisée conjointement avec
l'Assemblée nationale de la République de Slovénie, la ville de
Maribor – en tant que capitale européenne de la culture – et le
Forum des cultures slaves
. Je
tiens à remercier Mme Rihter, ancienne présidente de la sous-commission,
à l’origine du présent rapport, pour avoir aidé à organiser cette
conférence très réussie.
3. Lors de sa réunion des 2-4 octobre 2012 à Strasbourg, la commission
a décidé de changer le titre du rapport et de l’intituler «Le patrimoine
industriel en Europe». M. Falconer, sur la base des discussions fructueuses
tenues à Maribor, a complété son rapport. Les paragraphes ci-dessous
s’appuient sur les contributions extrêmement précieuses et les suggestions
judicieuses de M. Falconer, de M. Hilderbrand de Boer, vice-président
de la Route européenne du patrimoine industriel (ERIH) et des membres
du Comité industriel et technique d’Europa Nostra, auxquels j’exprime
toute ma reconnaissance.
2. Objectifs du rapport
4. L’Europe est considérée comme le berceau des sociétés
industrialisées. Née en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle,
la Révolution industrielle a prospéré en Europe de l’Ouest à partir
du début du XIXe siècle et, à la fin
du siècle, elle avait gagné l’ensemble du continent européen. Prenant
toujours plus d’ampleur, l’industrie allait transformer la société
et se mondialiser. Cependant, ce n’est pas seulement la manifestation
matérielle de l’industrie qui a contribué à forger l’identité européenne,
mais aussi sa dimension immatérielle. Si les industries de base
qui caractérisaient ce que l’on appelle aujourd’hui l’âge d’or de
l’industrie (charbon, fer, acier, textile et ingénierie lourde)
ont en grande partie disparu, l’héritage culturel demeure.
5. Le patrimoine industriel européen est un vaste sujet, qui,
dans certains pays, est devenu un sujet de préoccupation croissant
au cours de la dernière partie du XXe siècle.
L’intérêt pour cette question s’est fortement accru dans toute l’Europe
à partir des années 1960, avec des prises de contact au niveau international,
puis, à partir des années 1970, le lancement de conférences et de
projets transnationaux. Le Conseil de l’Europe partage ces préoccupations
et s’investit dans ce domaine depuis les années 1980. La Recommandation
n° R (90) 20 du Comité des Ministres a reconnu la nécessité de faire
mieux connaître et valoriser le patrimoine industriel
. Beaucoup
de choses ont changé depuis avec la chute du communisme en Europe
de l’Est. Il s’agit également d’un domaine dynamique, sur le plan
chronologique, géographique et démographique; c’est pourquoi, il
y a constamment de nouveaux sites et industries à examiner en vue
de leur conservation, réhabilitation ou réaffectation. Des industries
déclinent, ralentissent, se transforment ou se réorganisent, et
il convient de garder la trace de leur patrimoine immatériel par
différents moyens avant que la mémoire ne disparaisse.
6. L’Europe peut s’enorgueillir à juste titre de son patrimoine
industriel, non seulement parce que son influence profonde sur l'industrialisation
du monde est universellement reconnue, mais aussi parce qu’il est, dans
une large mesure, à l’origine du sentiment d’identité de nombreux
territoires. Nous pouvons encore nous y identifier, en préserver
les édifices, les documents d'archives, les sources photographiques,
et en partager le souvenir. C’est aussi un patrimoine commun à l’Europe,
les transferts de technologies et de procédés ne connaissant guère
les frontières nationales.
7. Dans toute l’Europe, les exemples de transferts de savoir-faire,
d’ingénieurs et, bien entendu, de main d’œuvre, sont innombrables.
Ainsi, les racines britanniques se retrouvent dans les dentelles
confectionnées à Calais, tout comme les influences parisiennes dans
les automobiles fabriquées à Londres, une usine de textile de Schio
est construite sur le modèle belge, une mine de charbon de Serbie
utilise un moteur à vapeur autrichien et l’usine à gaz d’Athènes
a été bâtie par des ingénieurs français. Les migrations de main
d’œuvre ne sont pas un phénomène moderne – les Huguenots venus de
France ont développé l’industrie de la soierie britannique il y
a trois siècles, les sidérurgistes britanniques ont apporté, au
début du XIXe siècle, leur savoir-faire
aux industries sidérurgiques françaises et belges et les terrassiers
britanniques ont construit plusieurs des premiers chemins de fer
d’Europe. Plus récemment, des immigrés polonais, italiens et turcs
ont été employés dans les mines de charbon du Nord Pas-de-Calais
et du Limbourg, tous amenant avec eux leur culture sur leur nouveau
lieu de travail.
8. C’est pourquoi il importe de transmettre aux générations futures
notre connaissance de ce patrimoine et notre intérêt pour celui-ci,
notamment pour ses sites les plus remarquables. Mais que faut-il
conserver de l’âge d’or de l’industrie – machines, bâtiments, paysages
– et comment entretenir le patrimoine conservé? C’est là le dilemme
qui traverse l'Europe. Le présent rapport examine ce dilemme, auquel
sont confrontés de nombreux pays possédant des sites industriels
obsolètes mais historiques, en mettant un accent particulier sur
les pays d’Europe centrale et orientale. Il insiste notamment sur
les échanges de bonnes pratiques entre les pays d’Europe occidentale,
qui possèdent une expérience de cinquante ans en matière de gestion
de sites industriels historiques, et les pays où le problème est
plus récent.
3. Définition et champ
d’application du patrimoine industriel
9. Si le patrimoine industriel européen est le produit
cumulé de l’intervention industrielle sur l’environnement et ses
habitants depuis plus de deux millénaires, comme en témoignent les
mines de silex néolithiques dans l’est de l’Angleterre et le complexe
romain de meunerie de Fontvieille, c’est le changement dans l’échelle
de production survenu au cours des deux derniers siècles qui a entraîné
l’industrialisation quasi généralisée de la société sur une grande
partie du continent. C’est pourquoi le présent rapport se concentre sur
cette dernière période (XIXe et XXe siècles).
10. Afin de nuancer ce constat, il convient de souligner que de
nombreux sites industriels de l’Antiquité et du Moyen-Âge, comme
les mines de mercure d’Almaden et d’Idrija et les mines d’argent
et de plomb de l’Erzgebirge à la frontière de la Saxe et de la République
tchèque, ou du Laurion en Grèce, ont fonctionné jusqu’à la période
moderne. Cependant, ces sites sont, en général, suffisamment reconnus
et valorisés, dans la mesure où nombre d’entre eux sont inscrits
sur la Liste du patrimoine mondial ou sur des listes indicatives nationales,
à l’instar des principaux sites industriels des XVIIe et
XVIIIe siècles
.
11. Le patrimoine industriel englobe l’extraction, la production
et le traitement de tous les types de matières premières (minérales
et biologiques), mais aussi le travail, la fabrication et la commercialisation
de ces produits et les infrastructures correspondantes, sites, services
essentiels, transports et communications. Le logement industriel
est le vestige le plus répandu de l’ère industrielle, mais le moins
bien compris et le moins recherché, et donc, sans doute, le plus
vulnérable. Les machines constituent un élément essentiel du patrimoine
industriel et, bien que plus difficiles à aborder, leur étude et
leur préservation méritent la même attention que les bâtiments qu’elles
occupent.
12. Le patrimoine industriel change constamment. La plupart des
industries en expansion à partir de 1800 ont périclité au cours
de la deuxième moitié du XXe siècle et
leurs vestiges sont extrêmement vulnérables et fragiles. Les industries
de base, qui caractérisaient l’âge d’or de l’industrie – charbon,
fer, acier, textile et ingénierie lourde –, ont en grande partie
disparu pour être remplacées, au XXe siècle,
par de nouvelles activités comme la construction automobile, l’aéronautique,
l’électronique, les services, l’industrie des loisirs et l’industrie
de l’alimentation et des boissons. Ces dernières ont également connu
d’importantes mutations et font également partie du patrimoine industriel
européen. De même, les changements opérés dans les technologies,
les procédés et les modèles organisationnels font aussi partie du
patrimoine industriel et la difficulté pour le patrimoine industriel
est de conserver des traces des changements survenus au cours des différentes
périodes.
4. Etat actuel du
patrimoine industriel en Europe
13. L’importance du patrimoine industriel a été pour
la première fois officiellement reconnue par les gouvernements à
la fin des années 1950. Par exemple, au Royaume-Uni, au cours du
demi-siècle qui a suivi, des milliers de sites ont bénéficié d’une
protection juridique, plusieurs centaines ont été préservés et ouverts au
public et bien plus encore ont été affectés avec bonheur à d’autres
usages. Durant les années 1970 et 1980, les pays d’Europe du nord
– et notamment l’Allemagne, la France, la Suède, la Belgique et
les Pays-Bas – sont allés encore plus loin dans cette optique en
lançant d’ambitieux projets de préservation de vastes sites. Plus récemment,
le succès d’initiatives telles que la Route européenne du patrimoine
industriel (ERIH) et l’ampleur prise par celles-ci ont montré la
puissance du message.
14. En revanche, la situation était très différente dans les anciens
pays communistes, où il fallait régler la question des industries
obsolètes héritées du passé. Dans l’ancienne République démocratique
allemande, par exemple, où le lignite était devenu la première source
d’énergie, son exploitation à ciel ouvert en Basse-Lusace avait
transformé et dévasté les paysages. Avec la réunification allemande,
ce problème a été transformé en atout. En effet, le projet IBA Fürst-Pückler-Land
a renforcé l’identité de la région en créant un ensemble de parcs
aquatiques et en transformant d’immenses structures industrielles
désaffectées, comme le pont transbordeur F60 et les tours de l’ancienne
cokerie de Lauchhammer («Biotürme»), en monuments culturels.
15. En Pologne, de nombreuses mesures ont été prises pour sauvegarder
le patrimoine industriel, avec la préservation de plusieurs mines
et fonderies et la reconversion des grandes usines de textile de
Lodz en centres commerciaux et en hôtels. Toutefois, des problèmes
de réhabilitation plus délicats se sont posés dans la région polonaise
de Haute-Silésie. La région avait connu une industrialisation intensive
sous le régime communiste, mais bon nombre de ces industries ont
été incapables de faire face à la concurrence sur le marché libre
après 1990, de sorte que les nouveaux pôles industriels d’avenir
devront cohabiter pendant quelque temps encore avec les anciens
sites industriels contaminés du passé.
16. En République tchèque, d’ambitieux projets ont été lancés
en vue de préserver des sites majeurs comme la station d’épuration
des eaux de Prague ou les mines de charbon et les fonderies de Kladno
et d’Ostrava, cette dernière étant un point d’ancrage de la Route
européenne du patrimoine industriel (ERIH)
, tandis qu’en Russie, dans l’Oural,
les fonderies et aciéries des XVIIIe,
XIXe et XXe siècles
sont en cours de préservation. Dans d’autres anciens pays communistes,
de nombreux sites du patrimoine industriel doivent encore être reconnus
et protégés. Cependant, il existe aussi des exemples très positifs
de transferts d’expérience vers la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie
et la Finlande, qui ont bénéficié d’une collaboration internationale
étroite avec le Danemark, la Norvège et la Suède.
17. On ne dispose d’aucune vue d’ensemble de l’état du patrimoine
industriel en Europe, même si les rapports nationaux établis tous
les trois ans pour les principales conférences du Comité international
pour la conservation du patrimoine industriel (TICCIH) donnent certaines
indications sur son évolution actuelle. Une analyse détaillée de
ces rapports pourrait en donner un aperçu indicatif, mais parcellaire.
Le site web de l’ERIH
fournit également de nombreux détails
sur les sites intégrés dans le réseau et sur leur contexte européen.
18. Cependant, le Comité industriel et technique d’Europa Nostra
estime qu’une approche secteur par secteur (patrimoine des transports,
de l’industrie textile, des meuneries, de la sidérurgie, des houillères,
etc.) mettrait davantage en lumière le caractère européen de ce
patrimoine industriel et sa place dans l’identité européenne: l’Europe,
«premier continent industriel». Commander de tels rapports thématiques paneuropéens,
initialement sous la forme de résumés généraux, constituerait un
progrès important dans l’évaluation du patrimoine industriel européen.
19. Les tentatives menées pour faire établir, par des professionnels,
des bases de données globales et perfectionnées sur le patrimoine
industriel du continent restent à ce jour infructueuses, bien que
le TICCIH soit en train de mettre au point un système numérisé de
base de données internationale. Dans certains pays, l’expérience
a montré que la collaboration entre le personnel des services nationaux
et des bénévoles enthousiastes et compétents pouvait s’avérer bien
plus fructueuse, notamment lorsqu'il s'agissait de mener des études
thématiques.
5. Les acteurs du
patrimoine industriel en Europe
20. Au-delà des Etats, des associations locales et nationales,
des collectivités locales ou des administrations centrales (ministères
de la Culture), plusieurs organisations paneuropéennes s’intéressent, directement
ou indirectement, au patrimoine industriel.
21. Le Conseil de l’Europe s’investit dans la préservation du
patrimoine industriel depuis plusieurs années. Il a abordé pour
la première fois ce sujet au milieu des années 1980 lors de ses
conférences de Grenade, de Lyon et de Madrid et a insisté sur la
nécessité d’adopter une approche pluridisciplinaire globale et des stratégies
de sensibilisation et d'incitation. Il a publié le rapport du colloque
de Bochum sur “Les monuments techniques de la mine, patrimoine culturel”
en 1989, organisé d'autres manifestations en Espagne et au Royaume-Uni
dans les années 1990, a assuré la promotion de la campagne «Notre
héritage commun» en 2000 et la base de données du son Réseau européen
du patrimoine (HEREIN) couvre également le patrimoine industriel.
22. L’Union européenne a mené diverses actions de sauvegarde du
patrimoine industriel, notamment: dans le cadre du programme «Raphaël»,
programme d’action communautaire dans le domaine du patrimoine,
un projet relatif aux aéroports de l’entre-deux guerres de Paris,
Berlin et Liverpool, dans le cadre de son programme «Culture 2000»,
le projet sur le patrimoine du travail a étudié la réhabilitation
de Roubaix (France), Schio et Terni (Italie), de la colonia Guell
(Espagne) et du quartier des bijoutiers de Birmingham (Royaume-Uni),
un autre projet a mis en relation trois musées de France, de Belgique
et d’Italie et dans le cadre de ses programmes Interreg, elle a
lancé le projet pilote de la Route européenne du patrimoine industriel.
23. La Route européenne du patrimoine industriel est née d’un
projet Interreg du même nom couvrant une petite région du nord-ouest
de l’Europe. Il s’est aujourd’hui largement étendu géographiquement.
Le réseau ERIH couvre actuellement plus de 900 sites dans 35 pays
et compte 80 points d’ancrage, 16 itinéraires régionaux et 13 routes
thématiques. Bien que, sous sa forme actuelle, son réseau soit essentiellement constitué
de sites de musées, de plus en plus d’autres sites industriels préservés
en font partie.
24. Le Comité international pour la conservation du patrimoine
industriel
fait beaucoup
pour promouvoir le patrimoine industriel depuis une trentaine d’années,
mais est soucieux de demeurer une organisation mondiale sans accent
particulier sur l’Europe. Il est le conseiller officiel en matière
de patrimoine industriel du Conseil international des monuments
et des sites (ICOMOS) et a élaboré des rapports thématiques pour
la Convention du patrimoine mondial sur les canaux, les chemins
de fer, les ponts, les mines de charbon, les villes d’entreprise
et les paysages agricoles. Il est à l’origine des Principes conjoints
ICOMOS–TICCIH pour la conservation des sites, constructions, aires
et paysages du patrimoine industriel («Principes de Dublin»)
et de la Charte de Nizhny Tagil
sur le patrimoine industriel»
.
De nombreux pays européens ont une section nationale du TICCIH qui
organise des conférences nationales et des ateliers. Le manuel complet
du TICCIH, intitulé
Industrial Heritage
Re-tooled, a été publié en novembre 2012. Le prochain
congrès – TICCIH 2015 – aura lieu en France, dans le Nord-Pas-de-Calais.
Depuis 1965, ICOMOS a élaboré de nombreuses chartes et lignes directrices
touchant au patrimoine industriel, notamment les principes relatifs
à l’établissement d’archives documentaires et au tourisme culturel
et la Charte de Burra
qui,
s’appuyant sur la Charte de Venise
,
définit une suite logique d’étapes (recherches, décisions et actions)
à respecter dans le cadre des projets de conservation.
25. Europa Nostra
œuvre depuis longtemps à la préservation
du patrimoine industriel. De nombreux Prix du patrimoine européen
(Prix Europa Nostra depuis 2002) ont distingué des sites industriels,
dont le plus récent a récompensé la restauration du haut fourneau
n° 2 de Sagunto (Espagne), datant des années 1920. Parmi les autres
sites récompensés par le passé, on peut citer: la gare d’Anvers,
les
Vias Verdes (anciennes voies
de chemin de fer transformées en voies vertes), le bassin minier
de Rio Tinto et le pont transbordeur de Bilbao en Espagne, la
Westergasfabriek (usine à gaz «ouest»)
d’Amsterdam, le Centre du millénaire de Budapest, le chantier naval
de Chatham et la gare centrale de Glasgow en Ecosse, l’usine de
briquettes «Louise» de Domsdorf en Allemagne, la manufacture de
tabac et de cigarettes de Cibali à Istanbul et l’ancien complexe
papetier de Konstancin Jeziorna à Varsovie. Europa Nostra a consacré
sa revue 2006 du patrimoine culturel européen au patrimoine industriel,
qui a aussi été le thème de son congrès annuel de 2008, tenu à Newcastle.
En outre, le réseau Europa Nostra a constitué un comité spécialisé
dans le patrimoine industriel et technique, qui a un rôle consultatif,
notamment dans le cadre des prix susmentionnés.
26. Dans de nombreux pays, la promotion et la préservation du
patrimoine industriel sont entre les mains de bénévoles enthousiastes
et cette dynamique doit être entretenue car il s’agit d’une ressource
d’une valeur commerciale et culturelle considérable. Les organismes
d’Etat peuvent proposer des programmes de renforcement des capacités
nécessitant un investissement modeste et faire appel à l’expertise
de structures telles que le Comité d’information et de liaison pour
l’archéologie, l’étude et la mise en valeur du patrimoine industriel
(CILAC)
en France et l’Association for Industrial
Archaeology (AIA)
au
Royaume-Uni. La Fédération européenne des associations du patrimoine
industriel et technique (E-FAITH)
, une organisation gérée par des
bénévoles, cherche à faciliter la coopération entre les associations
bénévoles d’Europe et fait campagne pour la préservation de sites
menacés. Elle organise des ateliers annuels pendant les week-ends et
a rédigé un mémorandum insistant sur l’importance culturelle du
patrimoine industriel dans le cadre de sa campagne visant à faire
de 2015 l'Année européenne du patrimoine industriel et technique.
6. Valorisation du
patrimoine industriel en Europe
27. Le soutien du Conseil de l’Europe, les prix décernés
par Europa Nostra et les financements obtenus dans le cadre de programmes
nationaux et de l’Union européenne ont fortement encouragé les efforts
des bénévoles et des organisations non gouvernementales (ONG). Grâce
à cet intérêt, il existe aujourd’hui une vaste collection de publications
touchant à toutes les ramifications du patrimoine industriel, des
centaines d’associations se consacrent à la défense de divers aspects
du sujet, des dizaines de milliers de sites d’Europe de l’ouest
ont été déclarés sites protégés et plusieurs milliers d'autres sites
ont été préservés ou reconvertis. Plus important encore, ces efforts
ont conduit, dans certains pays, à faire apprécier la valeur du
patrimoine industriel national par le grand public.
28. Cependant, la sensibilité et l’opinion du public doivent être
constamment nourries et formées. Dès 1985, la conférence de Lyon
du Conseil de l'Europe recommandait d’organiser une campagne européenne d'éducation
au patrimoine industriel et d’inclure dans les programmes scolaires
à tous les niveaux des documents témoignant du rôle joué par l’industrie
dans la formation de la société européenne tout au long de la période
moderne. Dans beaucoup de pays, de très nombreux projets de conservation
ont abouti grâce à la publication d'ouvrages magnifiquement illustrés
qui ont créé un attrait pour les sites industriels. Ces ouvrages ont
sensibilisé le public aux questions liées au patrimoine industriel
et, en conséquence, ont influencé les responsables politiques locaux
et les services de l’urbanisme. Les films ont également un rôle
majeur à jouer, en ce qu'ils témoignent souvent des modes de vie
de l’ère industrielle aujourd’hui disparus. Les archives cinématographiques
nationales regorgent de tels documents, dont on n’apprécie la valeur
que depuis peu. De même, les archives photographiques, grâce aux
systèmes de recherche documentaire informatisés et à leur disponibilité
en ligne, sont devenues accessibles à tous les publics. La télévision
a aussi beaucoup contribué à informer et à inspirer le public depuis
les années 1960: des émissions vantant les réalisations d’ingénieurs célèbres
et décrivant comment les gens vivaient dans la société industrielle
ont frappé l’imagination des téléspectateurs.
29. Les émissions touchant au patrimoine industriel sont régulièrement
rediffusées sur les chaînes numériques et la plupart des nouvelles
émissions historiques et archéologiques traitent couramment des
sites industriels et des manifestations sur ce thème. Ces manifestations
peuvent être à la fois divertissantes et stimulantes – c’est le
cas de la Nuit européenne du patrimoine industriel, mais la réhabilitation
de sites industriels peut aussi être l’occasion d’organiser des
activités culturelles et de loisirs plus larges ouvrant le patrimoine
industriel à un public différent: c'est la perspective adoptée lors
de la réhabilitation de l’Emscher Park dans la Ruhr et de la C-mine
dans le Limbourg. L’ensemble des moyens cités doivent être utilisés
pour faire en sorte que l’opinion publique ait une perception positive
du patrimoine industriel et pour diffuser le message d’un héritage
industriel commun. Par ailleurs, les industries créatives doivent
être encouragées à transmettre ce message par le biais d’outils
novateurs comme les guides touristiques sur GPS et autres applications.
7. Reconnaissance,
protection et préservation du patrimoine industriel
30. Le patrimoine industriel est extrêmement vulnérable,
souvent menacé, et la plupart du temps perdu par manque de connaissance,
d’information, de reconnaissance ou de protection, mais aussi en
raison des changements de conjoncture économique, des perceptions
négatives, des difficultés posées par les questions environnementales,
ou de la taille et de la complexité écrasante des éléments à préserver.
Par conséquent, le développement d’une gestion, d’une conservation,
d’une interprétation et d’une jouissance éclairées des sites et
la reconnaissance de leur intérêt culturel sont les principaux objectifs
de la conservation du patrimoine industriel, ce qui pourrait passer
par la définition de différents niveaux de protection: 1) listes
locales et zones de conservation; 2) sites officiellement reconnus
à divers niveaux; 3) classement en tant que site ou paysage du patrimoine
mondial. Chaque pays aura ses propres codes de classement, qui seront
très variables d’un pays à l’autre. Certains pays, comme l’Allemagne
et le Royaume-Uni, ont développé et affiné leur système de classement
officiel depuis plus d’un siècle, offrant une protection très générale
à des dizaines de milliers de sites du patrimoine industriel. D’autres
pays comme la France se concentrent sur des sites moins nombreux mais
pour lesquels des recherches plus poussées ont été faites. Les pays
d’Europe centrale et orientale, comme la Croatie et la Bosnie-Herzégovine
n’en sont qu’à un stade embryonnaire.
31. Le Réseau européen du patrimoine (HEREIN) du Conseil de l’Europe,
offre une vue synthétique des différentes politiques nationales
du patrimoine. La protection juridique est généralement l’aboutissement
d’un processus d’évaluation de l’intérêt d’un site et, par conséquent,
la véracité des processus d’identification et d’évaluation est essentielle
à l’effectivité de la protection, sachant que ces processus peuvent
fortement évoluer au fil du temps, d'autant plus lorsqu'il s'agit
de sites industriels. Ainsi, un site jugé commun il y a quelques
décennies peut aujourd’hui être très intéressant parce qu’il est
l’un des rares vestiges de son époque. C’est pourquoi, idéalement,
toutes les évaluations devraient être régulièrement réexaminées
et, le cas échéant, réactualisées. L’évaluation de l’intérêt d’un
site peut, il est vrai, aussi être influencée par des facteurs géographiques:
choix entre les trois macro-régions européennes de même niveau technique
– l'Europe centrale/septentrionale, méditerranéenne et orientale
– zone urbaine ou rurale, taille relative du site, dominant une
petite ville ou absorbé dans le tissu urbain d’une métropole.
32. Dans de nombreux pays, le processus de protection repose sur
l’alliance entre l’expertise des bénévoles et l’usage officiel de
cette expertise, avec une évolution constante au cours des cinquante
dernières années. Ainsi, aujourd’hui, l’expertise tend à devenir
l’apanage des organismes officiels et il est largement fait appel
à des consultants rémunérés, bien que le meilleur travail demeure
en partie réalisé par des experts bénévoles.
33. Les leçons pouvant être tirées de l’expérience de pays ayant
largement développé les processus de désignation sont les suivantes:
- La valeur de l’expertise des
bénévoles: pour chaque sujet, il existe probablement des passionnés
dont les connaissances et l’enthousiasme doivent être utilisés à
bon escient. L’English Heritage travaille en relation étroite avec
l’Association for Industrial Archaeology (AIA) et le Council for
British Archaeology (CBA) afin de maintenir une vision commune de
la gestion du patrimoine industriel tandis qu’en France, le CILAC
collabore avec le ministère de la Culture.
- Le recours à des groupes consultatifs composés d’experts
et de représentants d’organismes officiels permet de donner une
certaine transparence au travail d’évaluation des sites à protéger.
- Les évaluations de l'intérêt des sites doivent être tenues
à jour car l'intérêt présenté par un site peut fortement évoluer
au fil du temps.
- Une bonne description du contexte permet d'établir un
ordre de priorités lorsque les ressources sont limitées.
- Tous les sites présentant un intérêt devraient être enregistrés
dans les bases de données officielles des services d’aménagement
ou leur équivalent, aussi bien par des personnes privées que par
des organismes officiels, afin de permettre un dialogue constructif
entre les promoteurs immobiliers et les défenseurs du patrimoine.
- Rassembler des informations générales sur une ressource
historique peut faciliter sa sélection en tant que site remarquable
en vue de sa protection au plus haut niveau ou de son inscription
au patrimoine mondial.
- L’opinion publique est très importante, tout particulièrement
lorsqu’il s’agit de protection et de préservation du patrimoine,
et doit être cultivée avec soin. Cela peut paraître évident dans
les pays d’Europe de l'ouest, où le public est depuis longtemps
familier du patrimoine industriel, ce qui n’est pas le cas dans
de nombreux autres pays, où des programmes éducatifs suivis et un
travail de sensibilisation par les médias seront nécessaires pour
que les populations prennent conscience du rôle joué par l’industrie
dans la culture européenne et donc dans leur propre culture. La
vigilance du public, qui découle de son intérêt, constitue une première
ligne de défense contre le vandalisme et les autres menaces qui
pèsent sur les bâtiments industriels vides et désaffectés, mais
il importe également de persuader les propriétaires de réduire ces
risques en prenant connaissance des nombreux documents établis à
cet effet .
34. Le patrimoine industriel européen pourrait être représenté
sous la forme d’une pyramide, avec à sa base des centaines de milliers
de sites industriels non évalués et donc non protégés, à son milieu
des dizaines de milliers de sites identifiés et classés, et à son
sommet quelques milliers de sites préservés inscrits au patrimoine
mondial. Si l’Unesco reconnaît que le patrimoine industriel est
généralement sous-représenté dans la Liste du patrimoine mondial,
l’Europe occupe à juste titre une place dominante dans cette liste,
compte tenu du rôle qu’elle a joué dans l'industrialisation du monde.
Ainsi, dans la liste 2012, sur 46 de ces sites, 36 se trouvent en
Europe, dont huit sont situés au Royaume-Uni, quatre aux Pays-Bas,
quatre en Belgique, trois en Allemagne, trois en France, trois en
Suède, trois en Italie, deux en Suisse, un en Finlande, un en Norvège,
un en Pologne, un au Portugal et un en Slovénie. De plus, 18 autres
sites industriels figurent sur les listes indicatives de plusieurs
pays européens. La plupart de ces sites concernent l’industrie des
transports, de l'exploitation minière et de la production primaire,
l’industrie manufacturière étant moins représentée.
35. Les sites du Patrimoine mondial doivent présenter une valeur
universelle exceptionnelle et comme il s’agit d’une distinction
suprême, le nombre d’inscrits doit être limité. Aussi serait-il
justifié de disposer d’une norme d’un niveau légèrement inférieur
pour les sites du patrimoine industriel présentant un intérêt européen manifeste,
à défaut d’être mondial. Certains sites industriels sont déjà visés
par le futur label européen, comme la cité industrielle de Tomas
Bat'a à Zlin, les mines de charbon Hlubina et les hauts fourneaux
de Vitkovice, à Ostrava en République tchèque, l’Hôtel de la monnaie
de Kremnica en République slovaque et les chantiers navals de Gdansk
en Pologne. Cependant, ces
sites, par définition, doivent avoir joué un rôle particulier dans l’émergence
de l’identité politique européenne, une condition qui risque d’être
relativement restrictive pour la plupart des sites industriels.
Peut-être faudrait-il s’inspirer d’autres modèles. Les Japonais
reconnaissent les Constellations de patrimoine de la modernisation
industrielle, ensembles de sites historiques présentant un intérêt
particulier et regroupés par thème, et cette idée pourrait peut-être
être transposée dans le contexte européen. Ainsi, les sites de lignite
de Saxe, les usines de textile de la région de Sedan, les mines
de charbon du Limbourg, les centrales hydroélectriques de Norvège,
les colonies textiles de Catalogne, les sites de métallurgie de
la Ruhr et de Sheffield, les hauts fourneaux de Suède, de l’Oural
et de Cumbrie, les ateliers de bijouterie et de mobilier de Birmingham
et de Paris et les voies de chemin de fer des mines de charbon du
nord est de l’Angleterre, seraient les types de sites qui bénéficieraient
d’une reconnaissance paneuropéenne.
8. Conserver le patrimoine
industriel en le réaffectant à de nouveaux usages durables
36. La reconnaissance et la protection ne suffisent pas
pour préserver durablement le patrimoine industriel: les compétences
et l’investissement de la population locale et le sentiment d’appartenance
à une communauté sont essentiels pour préserver le passé et donner
de l’élan aux futurs projets de réhabilitation. Les sites industriels
ne sont pas seulement faits de briques et de mortier, ils témoignent
de la vie et de l’identité locales et font partie du paysage social
et du patrimoine immatériel. Tout projet de réhabilitation devrait
préserver ce sens du lieu (genius loci), respecter
la mémoire des ancêtres qui l’ont créé, éveiller l’imagination des
enfants qui y passent et renforcer le sentiment d’appartenance des
personnes qui l’habitent. Pour qu'il y ait durabilité, ces qualités
devront être présentes et être utilisées à bon escient.
37. Le patrimoine industriel – de par son volume et son impact
sur les paysages environnants – peut jouer un rôle pivot dans la
revitalisation d’un territoire. La réhabilitation du patrimoine
industriel dépendra de nombreux facteurs, tels que sa valeur patrimoniale,
son volume et sa situation dans l'environnement (urbain, suburbain
ou rural), son potentiel de reconversion identifié par les stratégies
de développement local et la possibilité d’y intégrer un ensemble
d’activités industrielles ou d’éléments du patrimoine industriel
apparentés. La réussite de ces projets dépendra également des possibilités
d’interaction avec d’autres ressources culturelles et sites du patrimoine
culturel existants à l’échelon local, mais aussi au niveau régional
et international (par exemple, dans le cadre de promenades culturelles,
d’itinéraires et de réseaux culturels, de manifestations pour la
Journée européenne du patrimoine, d’activités à thème, etc.).
38. Le patrimoine industriel peut être le catalyseur de la revitalisation
d’un territoire, à condition de recueillir les témoignages de ceux
qui l’ont créé. Ainsi, le point de départ de tout projet de réhabilitation
réussi sera d’organiser des rencontres avec la population locale
afin de connaître sa perception du projet et ses souhaits, et de
l’adapter en conséquence. Par exemple, à Roubaix, des associations
locales ont été à l’origine de la reconversion de la Condition publique
et au Royaume-Uni, le Princes Regeneration Trust, qui aide les associations
locales à développer des propositions de projet en vue de reconvertir
des sites industriel historiques a eu un tel succès qu’il a mis
au point une boite à outils à cet effet
.
39. La réutilisation physique des édifices et des sites industriels
dans une perspective durable est, dans une certaine mesure, plus
simple, et n’est pas une nouveauté, car ces lieux offrent souvent
des espaces facilement utilisables à bon prix. Pour autant, cela
ne fait guère qu’une quarantaine d’années que l’on se préoccupe
de réaffecter les édifices industriels dans le respect de leur caractère
et de leur intégrité, le fait de respecter le caractère de la collectivité
étant plus récent encore. Il existe aujourd’hui une masse considérable
de publications traitant des aspects économiques de la question,
qui encouragent l’investissement et qui présentent les bonnes pratiques
et les exemples à suivre. Parmi les exemples de bonnes pratiques
en matière de reconversions physiques, on peut citer: 1) des reconversions
spectaculaires comme celles de l’Albert Dock, des quais de Göteborg,
de la Ruhr, de Saltaire, des Dean Clough Mills et des Manningham
Mills dans le Yorkshire, des usines Carl Zeiss de Iéna et de l’usine
automobile du Lingotto; 2) des projets d’importance moyenne comme
les ateliers de construction mécanique du GWR à Swindon, les aciéries
de Terni et de Naples et les gazomètres de Vienne et de Dresde;
et 3) une multitude de projets bien plus modestes de reconversion
d’édifices industriels ordinaires. Plus récemment, nous avons l’exemple
des usines de textile d'Augsbourg, qui s’insèrent dans des stratégies
économiques et de relance de l'emploi, et celui des chantiers navals
de Monfalcone et de l’Arsenal de Venise, plus axés sur la collectivité.
40. La revitalisation par la conservation de quartiers industriels
historiques comme le quartier des canaux (Kanaal Ring) d’Amsterdam,
l’Ile de Nantes, le quartier des bijoutiers de Birmingham et les
usines de Lodz, d’Ancoats, de Roubaix et de Schio, a mis en évidence
la valeur commerciale de ces projets, mais des études récentes ont
montré qu’un grand travail de promotion est encore nécessaire pour
inciter les promoteurs à s’emparer des sites industriels. Un catalogue
de bonnes pratiques et d’études de cas empruntées à divers pays,
y compris aux pays d’Europe centrale et orientale, serait un guide
précieux.
41. La réaffectation des édifices industriels est aujourd’hui
considérée comme une bonne solution sur le plan écologique parce
qu’ils renferment des sources d’énergie potentielles (structure
des bâtiments, matériaux), et le patrimoine industriel peut dont
être considéré comme une ressource non renouvelable. Toutefois,
la question de la décontamination, nécessaire dans beaucoup de sites
industriels, pose d’énormes problèmes. En effet, de nombreuses solutions
sont très préjudiciables à l’intégrité des ressources du patrimoine
industriel concerné. Bien que primordiales, les directives de l’Union
européenne sur la pureté de l’eau, par exemple, peuvent avoir de
graves conséquences pour les vestiges miniers situés en altitude. «Patrimoine
industriel, écologie et économie» était le thème du XIVe Congrès
du TICCIH, tenu en 2009 à Fribourg (Allemagne) et parmi les documents
publiés à la suite de la manifestation, certains abordent les problématiques
liées aux paysages post-industriels et les problèmes d’incompatibilité
entre les directives de l’Union européenne et la préservation durable
des monuments
.
9. Financement des
projets relatifs au patrimoine industriel
42. Les projets relatifs au patrimoine industriel sont
rarement entièrement autofinancés et nécessitent un soutien extérieur.
Les sources de financement de projets du patrimoine industriel sont
diverses et variées, qu’il s’agisse de programmes d’inventaire ou
de recherche, ou de projets de restauration. Les soutiens peuvent provenir
d’organismes européens, de collectivités locales, d’organismes publics
ou d’universités. Le secteur de la préservation – musées et sites
– a généralement besoin d’importants financements pour des projets majeurs
et peut faire appel à diverses sources. Au Royaume-Uni, par exemple,
l’Heritage Lottery Fund, fonds de la loterie nationale pour le financement
du patrimoine, est de loin, depuis 15 ans, le principal bailleur
de fonds des projets de patrimoine industriel. Il a consacré un
milliard d’euros au financement de plus de 2 000 projets, quelque
25 millions d’euros supplémentaires ayant été apportés par des organismes
nationaux.
43. Cependant, dans toute l'Europe, la plupart des projets de
reconversion de sites industriels sont essentiellement financés
par le secteur privé, souvent en partenariat avec les collectivités
locales ou des organismes publics, pour combler les éventuels surcoûts
liés aux besoins de conservation. Des études récentes ont montré
que les promoteurs hésitent encore à se lancer dans la réhabilitation
de sites industriels et il faut constamment les encourager et les
inciter à le faire. Les permis de construire devraient prévoir le financement
d’une enquête préliminaire, permettant d’avoir une connaissance
totale de l’édifice à reconvertir, de façon à ne rien perdre de
sa valeur historique, ainsi que des financements ultérieurs pour
permettre une interprétation in situ. Certains
organismes nationaux publient des listes annuelles d'édifices menacés
et fournissent des conseils et une aide pour restaurer les bâtiments
qui présentent des difficultés particulières, dont beaucoup sont
des bâtiments industriels.
10. Conclusions
44. «Le paysage industriel est un patrimoine mal compris.
Au pire, c’est une ceinture de friches industrielles, dangereuses,
un désert toxique, au mieux, c’est une ressource historique exceptionnelle
à réutiliser, une source de revitalisation locale, offrant une richesse
et des opportunités réelles, renforçant l'identité culturelle et
créant de nouvelles perspectives commerciales. Mais il peut également
nous rappeler de façon saisissante comment le monde d’aujourd’hui
est devenu ce qu’il est, lorsque l’industrie employait l’ensemble
des habitants d’une localité et faisait battre le cœur de nombreuses
villes. C’est en cela que les paysages industriels historiques méritent
notre plus grande attention» (Sir Neil Cossons dans «Why save the
industrial heritage», publication «Industrial Heritage Re-Tooled»,
TICCIH 2012).
45. Dans toute l’Europe, le patrimoine industriel est extrêmement
vulnérable, souvent menacé, et la plupart du temps perdu par manque
de connaissance, d’information, de reconnaissance ou de protection,
mais aussi en raison des changements de conjoncture économique,
des perceptions négatives, des difficultés posées par les questions
environnementales, ou de la taille et de la complexité écrasante
des éléments à préserver. Il est donc essentiel que les responsables
politiques locaux, régionaux et nationaux comprennent et exploitent pleinement
le potentiel du patrimoine industriel, qui peut devenir un élément
clé de la revitalisation d’un territoire.
46. Dans le contexte d’une revitalisation territoriale et socio-économique
plus large, la réhabilitation effective du patrimoine industriel
dépendra de nombreux facteurs, tels que sa valeur patrimoniale,
son volume et sa situation dans l'environnement, son potentiel de
reconversion et la possibilité de l’intégrer dans un ensemble d’activités
industrielles ou d’éléments du patrimoine industriel apparentés.
La réussite de ces projets dépendra également des possibilités d’interaction
avec d’autres ressources culturelles et sites du patrimoine culturel existant
à l’échelon local, mais aussi au niveau régional et international,
par exemple dans le cadre de promenades culturelles, d’itinéraires
et de réseaux culturels, de manifestations pour la Journée européenne du
patrimoine ou d’activités à thème.
47. Les bons exemples de tels projets que je tire de l’audition
organisée par la sous-commission de la culture, de la diversité
et du patrimoine à Maribor (septembre 2012), démontrent que la meilleure
façon de préserver le patrimoine industriel ne réside pas tant dans
sa protection juridique, même si elle est évidemment importante,
que dans la manière dont les populations locales reconnaissent et
apprécient leur patrimoine industriel, par son étude, sa compréhension
et les échanges de connaissances. L’adhésion de la population locale
est essentielle.
48. Le projet de résolution contient plusieurs points qu’il faudrait
examiner en vue d’assurer la préservation de l’héritage de l’ère
industrielle européenne pour les générations futures. Je voudrais
insister en particulier sur les éléments suivants.
49. Il est nécessaire d’encourager les études et la recherche
au niveau régional, national et européen, pour fournir une description
d’ensemble du patrimoine industriel européen, pays par pays et/ou
sur une base thématique. En particulier, l’élaboration de rapports
thématiques paneuropéens, initialement sous la forme de résumés
généraux, constituerait un progrès important dans l’évaluation du
patrimoine industriel européen et contribuerait à une compréhension
plus approfondie de la valeur de cet héritage commun.
50. La législation en vigueur relative à la protection des sites
historiques n’est pas forcément adaptée aux sites industriels et
ne devrait pas être appliquée automatiquement. Une plus grande souplesse
semble requise et il pourrait être bon d’envisager de créer une
nouvelle catégorie de sites du patrimoine industriel européen et/ou
d’identifier des «constellations de patrimoine» témoignant de l’âge
d’or de l’industrie européenne.
51. Il faudrait tenter de renforcer la coopération entre les grands
acteurs. L’Unesco, l’Union européenne et le Conseil de l'Europe
devraient unir leurs forces et chercher à collaborer avec les principales
organisations internationales non gouvernementales œuvrant dans
le domaine du patrimoine industriel. Cette collaboration devrait
être conçue, en particulier, dans le but de mettre en réseau et
partager les bonnes pratiques appliquées de manière durable et fructueuse
dans certains pays et de les transposer dans les pays qui manquent d’expérience
en la matière; il s’agirait également de sensibiliser davantage
le public au patrimoine industriel européen, notamment en créant
une liste complète et représentative des monuments industriels européens.
52. Dans ce cadre, il serait envisageable de soutenir la campagne
de l’E-FAITH pour faire de 2015 l’Année européenne du patrimoine
industriel et technique
. En 2015, cela fera 25 ans que le
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté sa recommandation
visant à susciter un intérêt et un attrait pour le patrimoine industriel.
Cela pourrait être l’occasion de célébrer 25 ans de réalisations
et d'exprimer nos préoccupations actuelles concernant la pérennité
du patrimoine industriel européen. Cette date serait particulièrement appropriée
dans la mesure où la Conférence du TICCIH aura lieu en France en
2015. Il serait également envisageable de faire du patrimoine industriel
le thème principal d’une Année du patrimoine menacé, afin de renouveler
le succès de l’initiative organisée au Royaume-Uni en 2011, qui
a rassemblé les diverses tendances concernées par la réhabilitation
et a donné naissance à de nouveaux projets de soutien
.
53. A tous les niveaux, il est nécessaire de renforcer les partenariats
avec les organismes privés et les organisations non gouvernementales
et de favoriser les interactions avec les ressources culturelles
et sites du patrimoine culturel existant à l’échelon local, mais
aussi régional et international (par exemple, dans le cadre de promenades
culturelles, d’itinéraires et de réseaux culturels, de manifestations
pour la Journée européenne du patrimoine ou d’activités à thème).
L’apport de ressources par des partenariats public-privé pourrait
aider à financer le surcoût lié aux besoins de conservation dont
s’accompagnent souvent les projets de réhabilitation de sites industriels.
54. Les Etats membres devraient cultiver l’enthousiasme des bénévoles
en leur proposant des programmes de développement des ressources.
Ils devraient encourager la création d’un réseau de groupes de travail pluridisciplinaires
– rassemblant des spécialistes de domaines pertinents comme l’histoire
de la construction, la protection des monuments, l’urbanisme, les
stratégies financières, investissements et partenariats. Ces groupes
de travail nationaux apporteraient une aide précieuse en facilitant
les processus de réhabilitation durable axés sur des sites du patrimoine
industriel. Ils devraient aussi être encouragés à lancer des projets visant
à étudier comment utiliser au mieux l’énergie que recèlent les édifices
industriels et concilier les mesures écologiques, comme les directives
sur la pureté de l’eau, avec la préservation des vestiges industriels historiques.
Sources
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for Architects, Planners and Developers, J. Wiley &
Sons, Hoboken, 2010
CBA, Palmer et al., Industrial Archaeology: a handbook, CBA
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Ironbridge, Belford, Palmer et White (editeurs), Footprints of Industry, BAR British
Series 523, 2010
English Heritage, «Saving the Age of Industry», Conservation Bulletin (automne 2011),
Issue 67, English Heritage, Swindon
Stratton M. (ed), Industrial
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TICCIH, Bergeron (ed), Patrimoine
de l’industrie, volumes 1-26, 1999-2011
TICCIH, Douet J. (ed), Industrial
Heritage Retooled, Carnegie Press, 2012
TICCIH, Albrecht, Keirdorf and Tempel (editeurs), Industrial Heritage – Ecology and Economy: XIV International
TICCIH Congress 2009, selected papers
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Uffelen C. (van), Re-use Architecture,
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