1. Introduction
1. Selon les estimations de l’UNICEF, chaque année,
des millions d’enfants de par le monde sont soumis à des pratiques
sexuelles à des fins commerciales. Le phénomène du «tourisme sexuel
impliquant des enfants», à savoir l’exploitation d’enfants par des
individus qui voyagent d’un endroit à un autre et y ont des relations
sexuelles avec des mineurs de moins de 18 ans
, constitue une violation grave
des droits fondamentaux des enfants et de leur dignité. Le tourisme
sexuel impliquant des enfants favorise d’autres formes d’exploitation
sexuelle à but commercial telles que la traite des enfants à des
fins sexuelles, la prostitution des enfants et la pédopornographie
(ou plus précisément «images d’abus commis sur des enfants»).
2. Malgré une meilleure prise de conscience du problème, le tourisme
sexuel impliquant des enfants s’est considérablement amplifié ces
dernières années en raison du développement rapide de l’industrie
du voyage et du tourisme, facilité par une baisse des prix et la
possibilité de voyager sans visa, et des nouvelles technologies
qui sont utilisées pour promouvoir ce phénomène. Le tourisme sexuel
impliquant des enfants est aujourd’hui un phénomène mondial qui
se déplace rapidement et n’épargne personne; aucun pays, aucune destination
touristique, n’est à l’abri de cette «épidémie», qui, une fois la
répression et la législation renforcées dans tel pays ou telle région
du monde, gagne d’autres territoires où la protection est moins
efficace
. L’Europe est concernée à double
titre, en tant que continent d’origine et de destination de «touristes
délinquants sexuels»; l’expression «touristes délinquants sexuels»
a généralement la préférence des organismes de protection de l’enfance,
car elle reflète mieux le caractère pénal du phénomène.
3. Avec ce rapport, je veux attirer l’attention de l’Assemblée
parlementaire sur les mesures qui peuvent et devraient être prises
par les Etats membres du Conseil de l’Europe pour mettre un terme
aux infractions pénales commises par les touristes délinquants sexuels.
Les gouvernements ne devraient pas fermer les yeux lorsque leurs
ressortissants commettent des infractions pénales et violent les
droits fondamentaux des enfants, qui comptent parmi les plus vulnérables
de nos sociétés. Ils devraient au contraire leur demander des comptes même
pour les infractions commises à l’étranger.
2. Le tourisme
sexuel impliquant des enfants: un phénomène en augmentation dans
un monde globalisé
4. Le tourisme sexuel impliquant des enfants désigne
l’exploitation sexuelle des enfants par des gens qui voyagent d’un
endroit à un autre et y ont des rapports sexuels avec des enfants
de moins de 18 ans. Cette définition englobe l’exploitation d’enfants
par des particuliers qui voyagent à l’étranger ou dans un même pays, ou
qui se rendent à l’étranger pour travailler auprès d’enfants, par
exemple des bénévoles, des enseignants et des travailleurs sociaux.
Le premier groupe a souvent recours à des services touristiques
qui facilitent les contacts avec les enfants et les aident à rester
anonymes vis-à-vis de la population locale et de leur environnement, alors
que les personnes du deuxième groupe profitent de leur position
au sein d’une communauté locale pour entrer en contact avec des
enfants.
5. Le tourisme sexuel impliquant des enfants est un phénomène
d’ampleur mondiale. En tant que bloc régional, l’Europe de l’Est
a connu une augmentation massive de l’exploitation sexuelle des
mineurs à des fins commerciales depuis la dissolution de l’Union
soviétique, en particulier sous la forme de la traite d’enfants
à des fins sexuelles. Toutefois, avec l’essor rapide du tourisme,
les pays de cette région ont été aussi exposés au tourisme sexuel
impliquant des enfants. D’après le Centre sur l’exploitation des
enfants et la protection en ligne (organe du ministère britannique
de l’Intérieur chargé d’enquêter sur les infractions commises contre
des enfants à l’étranger), en 2008-2009, les pays européens ont
été la cible de 20 % de l’activité des touristes délinquants sexuels
britanniques
. Les autres régions
concernées par le tourisme sexuel impliquant des enfants sont aujourd’hui
l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine et l’Afrique. Les touristes
délinquants sexuels viennent en majorité d’Europe occidentale, de
Russie, d’Amérique du Nord, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du
Japon et de Taïwan.
6. Le tourisme sexuel impliquant des enfants se manifeste par
l’échange d’argent liquide, de vêtements, de nourriture ou d’autres
contreparties avec un enfant ou un tiers (proxénète, propriétaire
de maison close, membre de la famille, propriétaire de logement)
contre des relations sexuelles. Il se produit dans de multiples lieux,
qu’il s’agisse des maisons closes des quartiers chauds, des plages,
ou encore des hôtels cinq étoiles, dans des zones urbaines, rurales
ou côtières. Il peut se dérouler sur une longue période de temps,
un long processus de «mise en confiance» par exemple, pendant lequel
l’agresseur se lie d’amitié avec un enfant vulnérable et gagne sa
confiance avant de l’exploiter sexuellement.
7. Les touristes délinquants sexuels ne présentent pas un profil
unique: ils peuvent être mariés ou célibataires, hommes ou femmes
(mais la plupart sont des hommes), des touristes aisés ou des voyageurs
à petit budget, issus de milieux socio-économiques élevés ou défavorisés.
Très souvent, ils tentent de rationaliser leurs actes en prétendant
que les rapports sexuels avec les enfants sont culturellement acceptables
dans la région où ils se rendent ou que l’argent ou les biens échangés
profitent à l’enfant et à sa communauté. Ou bien, ils sont simplement
tentés par un comportement délictueux parce que l’anonymat les protège,
qu’il leur est facile de se procurer des enfants ou qu’ils sont
libérés des contraintes sociales qui devraient normalement les retenir.
8. Dans la plupart des cas, les touristes délinquants sexuels
sont des délinquants «occasionnels», qui préfèrent normalement les
relations sexuelles entre adultes, mais qui profitent de leur présence
dans un pays étranger pour commettre des abus sexuels sur des enfants.
Les «adeptes» du tourisme sexuel impliquant des enfants affichent
pour leur part une préférence sexuelle active pour les enfants et
recherchent, en règle générale, des enfants pubères ou adolescents.
Quant aux pédophiles, ils éprouvent une attirance sexuelle exclusive
pour les enfants prépubères. Ces classifications présentent un intérêt
majeur, dans la mesure où elles permettent de définir des stratégies
de prévention adaptées pour lutter contre ce phénomène.
9. Les enfants concernés sont aussi bien des garçons que des
filles de moins de 18 ans. Il semble que les filles soient touchées
en majorité, mais le nombre de garçons victimes du tourisme sexuel
est probablement largement sous-estimé compte tenu du fait que l’homosexualité
est toujours un tabou (et interdite) dans un certain nombre de pays.
Une étude récente de l’UNICEF atteste de l’existence d’un marché
lucratif en expansion pour le tourisme sexuel impliquant des enfants
dans la région des Caraïbes. Cette étude s’appuie sur plusieurs
exemples précis, notamment l’existence d’un réseau organisé de pédophiles
qui visent expressément les garçons
.
10. Les victimes sont souvent issues de milieux socio-économiques
défavorisés: enfants peu instruits ou sans instruction, enfants
sans domicile, orphelins, enfants travaillant dans la rue, enfants
victimes de la traite, enfants appartenant à des minorités ethniques,
enfants toxicomanes ou alcooliques, etc. D’autres se tournent vers
la prostitution en raison de l’attrait exercé par le matérialisme
et le consumérisme, parfois sous l’influence de leurs camarades
.
11. Quelles que soient leurs origines, les enfants victimes du
tourisme sexuel souffrent tous de graves séquelles affectives, psychologiques
et physiques dues à l’exploitation
. La violence
physique qu’implique l’exploitation sexuelle d’un enfant engendre
blessures, douleurs et peur. La souffrance psychologique mène à des
sentiments de culpabilité, à la faible estime de soi, à la dépression,
et parfois au suicide. Les enfants sont aussi plus vulnérables aux
maladies sexuellement transmissibles, notamment au VIH/SIDA.
12. Les enfants victimes de tourisme sexuel sont souvent stigmatisés
dans leurs propres communautés et ont du mal à se faire scolariser.
Aussi n’évoluent-ils pas comme les autres enfants au sein de la
communauté et il leur est plus difficile de subvenir à leurs besoins
ou, plus tard, de vivre leur vie d’adulte de façon indépendante.
La plupart du temps, ils sont enfermés dans un cercle vicieux et
les difficultés économiques qui résultent de la marginalisation
ne leur laissent d’autre choix que de continuer à se prostituer.
3. Cadre juridique
européen et international relatif au tourisme sexuel impliquant
des enfants
13. A l’échelon international, il existe un grand nombre
de normes visant à protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle.
Le tourisme sexuel impliquant des enfants, qui est une forme spécifique
d’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, est
aussi indirectement visé par ces normes.
14. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant
de 1989 (ci-après «la CDE»), principal instrument international
dans le domaine de la protection des droits de l’enfant, préconise
la mise en place d’un système global de protection des enfants contre
la violence et l’exploitation sous ses nombreuses formes, notamment
l’exploitation sexuelle. En particulier, aux termes de l’article 34
de la CDE, les Etats parties s’engagent à protéger les enfants contre
«toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle»,
y compris la prostitution et la pornographie. De plus, reconnaissant
que l’exploitation sexuelle des enfants peut s’exercer par-delà
les frontières, la CDE enjoint aux Etats de prendre des mesures
non seulement nationales, mais aussi bilatérales et multilatérales
pour combattre ce phénomène.
15. Le Protocole facultatif à la CDE, concernant la vente d’enfants,
la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène
des enfants, qui est entré en vigueur le 18 janvier 2002, est le
seul traité de portée universelle qui concerne expressément la question
de l’exploitation sexuelle des enfants. En son préambule, ce protocole
rappelle la pratique répandue et persistante du tourisme sexuel
auquel les enfants sont particulièrement exposés, érige en infraction
pénale certains actes liés à la vente d’enfants, à la prostitution
des enfants et à la pédopornographie, et encourage le renforcement
de la coopération internationale ainsi que l’adoption de législations
extraterritoriales pour lutter contre ces crimes.
16. La Convention no 182 concernant
l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate
en vue de leur élimination, adoptée par l’Organisation internationale
du travail (OIT), interdit, en son article 3, alinéa b, notamment «l’utilisation, le
recrutement ou l’offre d’un enfant à des fins de prostitution, pour la
production de matériel pornographique ou de spectacles pornographiques».
17. Au niveau de l’Europe, l’article 17 de la Charte sociale européenne
révisée (STE no 163) énonce le droit des
enfants et des jeunes à bénéficier d’une protection sociale, juridique
et économique appropriée. L’article 17, paragraphe 1, alinéa b, dispose que les gouvernements
doivent prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées tendant
à protéger les enfants et les adolescents contre la négligence,
la violence ou l’exploitation. Le Comité européen des droits sociaux
a interprété les dispositions de la Charte comme le droit des enfants
à être protégés contre toutes les formes d’exploitation sexuelle,
en particulier contre leur participation à «l’industrie du sexe».
18. La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des
enfants contre l’exploitation et les abus sexuels (Convention de
Lanzarote, STCE no 201) est l’instrument
le plus complet et le plus évolué de protection des enfants contre
l’exploitation et les abus sexuels sous toutes leurs formes. En
plus des abus sexuels, de la prostitution des enfants, de la pédopornographie
et du fait de contraindre des enfants à participer à des spectacles
pornographiques, la convention traite de la sollicitation d’enfants
à des fins sexuelles et du tourisme sexuel. Dans le but de combattre
le tourisme sexuel impliquant des enfants, la convention énonce que
des personnes peuvent être poursuivies en justice même lorsque les
actes sont commis à l’étranger et élimine en outre le recours à
l’habituelle règle de la double incrimination, qui veut que les
agissements incriminés soient qualifiés d’infractions pénales dans
le pays où ils ont été commis. De plus, aux termes de la Convention
de Lanzarote, les Etats Parties «encourage[nt] le secteur privé,
notamment les secteurs des technologies de [la] communication et
de l’information, l’industrie du tourisme et du voyage et les secteurs bancaires
et financiers, ainsi que la société civile, à participer à l’élaboration
et à la mise en œuvre des politiques de prévention de l’exploitation
et des abus sexuels concernant des enfants, et à mettre en œuvre des
normes internes à travers l’autorégulation ou la corégulation».
19. Depuis 2011, l’Assemblée participe activement à la lutte contre
l’exploitation sexuelle des enfants et les abus sexuels sur enfants
en développant la dimension parlementaire de la campagne UN sur
CINQ du Conseil de l’Europe contre la violence sexuelle à l’égard
des enfants, qui vise à promouvoir la Convention de Lanzarote. L’action
des parlementaires et des gouvernements dans le cadre de cette campagne
a déjà amené un certain nombre d’autres Etats membres à ratifier
ce texte. Ils sont aujourd’hui 24 à l’avoir fait sur les 47 que compte
l’Organisation
.
20. En outre, la Convention du Conseil de l’Europe sur l’entraide
judiciaire en matière pénale (STE no 30) prévoit
une assistance mutuelle entre les pays signataires en cas de poursuites
contre des touristes délinquants sexuels. Cette entraide est particulièrement
utile pour recueillir des éléments de preuve ou auditionner des
témoins à l’étranger.
21. Enfin, une directive du Parlement européen et du Conseil de
l’Union européenne du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre
les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que
la pédopornographie, vise à réduire les écarts de législation entre
les Etats membres. Elle encourage en outre ces derniers à renforcer
la coopération judiciaire et policière avec les pays tiers et les
organisations internationales dans le but de combattre le tourisme
sexuel
.
4. Politiques efficaces
de lutte contre le tourisme sexuel impliquant des enfants
22. Depuis le début des années 90, de très nombreuses
initiatives ont été prises pour lutter contre le tourisme sexuel
impliquant des enfants, notamment par les gouvernements, en collaboration
avec le secteur privé, des organisations internationales et de nombreuses
organisations non gouvernementales (ONG) actives dans le domaine
de la protection de l’enfant. Si ces initiatives ont sans conteste
permis de sensibiliser l’opinion, le tourisme sexuel impliquant
des enfants n’a pas été éradiqué et de nouvelles destinations apparaissent
sans cesse. Le tourisme sexuel impliquant des enfants est un phénomène
qui recouvre toute une série d’infractions et fait intervenir une
grande diversité d’acteurs et d’intermédiaires. En conséquence,
pour aborder le problème de façon globale et prévenir les infractions
pénales commises par les touristes délinquants sexuels, il importe d’associer
le plus grand nombre possible de ces acteurs et intermédiaires.
Une action coordonnée avec des partenaires des secteurs public,
privé et associatif est nécessaire pour protéger efficacement les
enfants contre de telles infractions commises pour la première fois
ou répétées, afin de poursuivre efficacement les délinquants au-delà
des frontières nationales et de promouvoir des politiques positives
offrant des conditions alternatives de vie aux enfants touchés ou
menacés par ces infractions. Il est capital, à l’échelle mondiale,
de sensibiliser davantage les enfants, les parents, les éducateurs,
les professionnels du tourisme et les délinquants potentiels à la
gravité des crimes concernés.
4.1. Le rôle du secteur
privé
23. En matière de lutte contre le tourisme sexuel impliquant
des enfants, le secteur privé est un partenaire important des pouvoirs
publics. Les professionnels de l’industrie du tourisme, qui sont
en contact direct avec les touristes, ont un rôle essentiel à jouer
dans la protection des enfants contre l’exploitation sexuelle. Ils rappellent
aux touristes que l’abus sexuel sur des enfants est inacceptable
et illégal, reçoivent les signalements d’autres touristes, distribuent
aux clients des documents d’information et signalent les éventuels
agissements à la police locale et aux ONG. L’industrie du tourisme
peut aussi offrir aux jeunes des perspectives d’éducation et d’emploi
et coopérer avec les organismes d’assistance sociale, la police
et d’autres institutions à l’élaboration de plans d’action nationaux.
24. Le Code de conduite pour la protection des enfants contre
l’exploitation sexuelle dans le tourisme et l’industrie des voyages
est un bon exemple d’engagement de l’industrie du tourisme. Lancé
en 1998 par ECPAT Suède en coopération avec des voyagistes scandinaves
et l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) et élaboré par l’UNICEF,
l’OMT et ECPAT International, ce code de conduite est un instrument d’autoréglementation
qui offre aux enfants une meilleure protection contre l’exploitation
sexuelle dans le tourisme et l’industrie des voyages. Ce code est
aujourd’hui appliqué dans le monde entier par plus de 240 voyagistes,
hôtels et agents de voyage, ainsi que leurs associations et des
syndicats de travailleurs du tourisme dans de nombreux pays d’Europe,
d’Asie, d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et d’Amérique latine
. Il a été signé par de nombreuses
entreprises de tourisme, comme Thomas Cook Europe du Nord, le groupe
Accord ou Kuoni, et il est déjà possible de constater certains effets
positifs de cette démarche conjointe.
25. Les voyagistes et leurs associations, les agences de voyages,
les hôtels, les compagnies aériennes, etc. qui signent le code de
conduite s’engagent à prévenir l’exploitation sexuelle des enfants
en mettant en place une déontologie d’entreprise sur ce sujet, en
formant leurs personnels dans le pays d’origine et dans les pays
de destination, en informant les voyageurs et les personnes clés
au niveau local dans les pays de destination (au moyen de leurs
catalogues, de brochures, d’affiches, de films diffusés à bord des
avions, des titres de transport, des étiquettes à bagages, de leurs
pages internet, etc.) que le tourisme sexuel impliquant des enfants
est illégal et a des conséquences désastreuses sur les enfants,
en insérant une clause dans les contrats conclus avec leurs fournisseurs
dans laquelle ils déclarent leur rejet commun de l’exploitation
sexuelle des enfants à des fins commerciales et en faisant rapport
chaque année sur la mise en œuvre de ces critères.
26. Les Etats ne devraient pas seulement encourager et renforcer
ces mesures d’autoréglementation, qui amènent l’industrie du tourisme
à adopter des pratiques de tourisme éthique et responsable, mais
devraient aussi sensibiliser le public pour l’inciter à choisir
des professionnels du tourisme qui sont engagés à lutter contre
le tourisme sexuel impliquant des enfants.
4.2. Prévention
27. En ce qui concerne la prévention, il convient, en
premier lieu, de prendre des mesures spécifiques dans les pays d’origine
des délinquants touristes sexuels. Les voyageurs devraient être
largement informés des conséquences juridiques et sociales liées
à toute forme d’exploitation sexuelle des enfants, l’objectif étant
de les empêcher de devenir des «délinquants occasionnels». Ils devraient
être encouragés à rester vigilants et à signaler tout agissement
relatif à des abus sexuels sur des enfants dont ils seraient témoins
. A cet égard, il importe également de renseigner
les voyageurs sur les moyens de signaler ces infractions pénales.
Autre élément important: la lutte contre les préjugés, par exemple
la conviction que dans certains pays étrangers les gens sont plus
tolérants à l’égard des relations sexuelles avec des enfants, ou
qu’il y a moins de risque de transmission du VIH avec de très jeunes
enfants.
28. Des mécanismes visant à empêcher les «délinquants adeptes»
et les pédophiles de se rendre à l’étranger devraient être mis en
place. De tels mécanismes existent déjà au Royaume-Uni, où toutes
les personnes inscrites au Fichier des délinquants sexuels sont
tenues d’avertir la police de leur intention de quitter le pays
pendant plus de trois jours (injonction de notification). En outre,
l’article 114 de la loi de 2003 sur les infractions sexuelles prévoit
une injonction civile et préventive appelée «injonction relative
aux voyages à l’étranger» (FTO,
Foreign
Travel Order). La FTO permet aux tribunaux d’interdire
aux auteurs d’un «délit qualifié» (coupables d’un délit sexuel commis
contre un enfant de moins de 16 ans, au Royaume-Uni ou à l’étranger)
de voyager hors du pays. Si elle est émise, l’injonction interdit
au délinquant sexuel de se rendre dans un ou plusieurs pays étrangers
donnés ou l’autorise à se rendre dans un pays donné à l’exclusion
de tout autre endroit dans le monde
.
29. Les contrôles à l’embauche effectués sur la base des casiers
judiciaires nationaux et de sources internationales en vue d’évaluer
si le candidat réunit les conditions requises pour travailler avec
des enfants, devraient être encouragés et facilités, en particulier
dans les associations caritatives locales, les écoles et les orphelinats
des pays de destination des touristes délinquants sexuels. A ce
sujet, ECPAT UK note qu’un grand nombre d’affaires de tourisme sexuel
impliquant des enfants portées à son attention concernent aujourd’hui des
orphelinats, des foyers pour mineurs et des écoles. En 2006, deux
citoyens britanniques ont été poursuivis pour avoir commis des abus
sexuels sur des enfants dans un orphelinat fondé en Inde par l’un
d’eux. Plus récemment, deux autres hommes britanniques ont été incarcérés
pour avoir abusé d’enfants lorsqu’ils étaient employés comme gardiens
dans un orphelinat en Albanie
. Dans le cadre d’une démarche englobant
tous les aspects du problème, il convient également d’examiner le
traitement des délinquants sexuels.
30. Très souvent, les nouvelles technologies sont utilisées pour
promouvoir et faciliter le tourisme sexuel impliquant des enfants.
Il est très facile de programmer un voyage à des fins sexuelles
et de trouver des enfants ou de se procurer des images pédopornographiques
grâce à internet ou aux téléphones portables. Des mesures devraient
être prises pour prévenir ces usages abusifs d’internet, comme l’établissement
d’une liste de sites web suspects ou la création de «cyberpatrouilles».
Par sa
Résolution 1834
(2011) «Combattre les “images d’abus commis sur des enfants”
par une action engagée, transversale et internationalement coordonnée»,
l’Assemblée a exprimé ses vives préoccupations à ce sujet
.
31. Si des mesures sont nécessaires dans les pays d’origine des
délinquants sexuels, il faut aussi mener des actions spécifiques
dans les pays où les enfants risquent d’être victimes du tourisme
sexuel impliquant des enfants, notamment des actions visant les
touristes sexuels directement, mais aussi les personnes qui les mettent
en contact avec des enfants (chauffeurs de taxi, serveurs, propriétaires,
etc.). A cet égard, les campagnes de sensibilisation ciblant les
communautés locales sont certes très importantes
,
mais il faut aussi s’attaquer aux facteurs de risque qui rendent
les enfants plus vulnérables; on en citera quelques-uns: la pauvreté,
l’exclusion, la maltraitance, les dysfonctionnements familiaux,
l’appartenance à une minorité ethnique, la non-scolarisation ou
les insuffisances des systèmes nationaux de justice et de répression,
par exemple en raison d’un niveau élevé de corruption (qui explique
en grande partie pourquoi les professionnels du tourisme et les
victimes hésitent à signaler les cas d’abus sexuels). Par ailleurs,
l’accès à l’éducation et d’autres perspectives d’emploi devraient
être développés pour les jeunes à risque.
32. Il importe en outre de créer un système de bases de données,
centralisé et fiable, en vue de bien comprendre l’étendue du problème
et de définir des stratégies de prévention appropriées.
4.3. Poursuites judiciaires
et coopération internationale
33. Il est essentiel de renforcer les législations nationales
relatives à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants
en assurant leur conformité aux normes internationales, et notamment
à la Convention de Lanzarote. Les législations nationales devraient
être harmonisées sur la base de définitions communes (âge des enfants,
infractions, etc.)
. Il est fréquent que les législations
nationales protègent la dignité humaine ou prohibent toute forme
de crime à caractère sexuel de façon générale sans réprimer expressément
le tourisme sexuel impliquant des enfants.
34. L’âge du consentement sexuel, qui désigne l’âge à partir duquel
une personne est jugée juridiquement en mesure de se livrer à une
activité sexuelle, varie selon les pays. Il peut aussi varier selon
le sexe (il est généralement plus élevé pour les garçons que pour
les filles), voire selon l’orientation sexuelle. Lorsque l’âge du
consentement est trop bas, les enfants sont plus vulnérables à l’exploitation
sexuelle, en particulier quand il n’existe pas de dispositions juridiques
définissant et interdisant l’exploitation sexuelle des enfants à
des fins de prostitution et de pornographie. Il est donc important
que les lois relatives à l’exploitation sexuelle des enfants protègent
tous les enfants jusqu’à l’âge de 18 ans, quel que soit l’âge du
consentement sexuel
.
35. Tous les Etats membres doivent mettre en place et appliquer
un cadre législatif qui érige le tourisme sexuel impliquant des
enfants en une infraction extraterritoriale. Les lois extraterritoriales
permettent de poursuivre des individus dans leur pays d’origine
pour des actes commis à l’étranger. L’Allemagne a été le premier
pays d’Europe à adopter un tel mécanisme en 1993
. Par une loi
adoptée en 1994 et révisée en 1998, la France a introduit cette
possibilité dans son Code pénal
. Des chiffres de 2008 indiquent
que 44 pays disposent d’une législation extraterritoriale permettant
de poursuivre leurs ressortissants pour des actes d’exploitation
sexuelle sur enfants commis à l’étranger. Sur ces 44 pays, 22 sont
des Etats membres du Conseil de l’Europe
. L’élaboration
de ce type de lois devrait être encouragée partout en Europe, et
leur mise en œuvre effective devrait faire l’objet d’un suivi. En
effet, on constate la plupart du temps que les touristes ayant des
rapports sexuels avec des enfants considèrent qu’ils ne seront pas
punis, car les poursuites peuvent se révéler extrêmement complexes
en cas d’infractions transfrontières. A ce sujet, ECPAT UK note
que cinq délinquants britanniques seulement ont été poursuivis au
Royaume-Uni pour abus sexuel contre des enfants à l’étranger en
vertu des lois extraterritoriales depuis 1997 (année d’adoption
desdites lois), et aucun depuis 2005, tandis que l’on recense plus
de 65 cas aux Etats-Unis et 28 en Australie
. Les pays doivent montrer qu’ils sont disposés
à étendre leur compétence extraterritoriale et à en faire usage.
Pour ce faire, il conviendrait de renforcer la coopération internationale
et les enquêtes conjointes en matière d’action pénale contre le tourisme
sexuel impliquant des enfants et les délits afférents
.
A noter également l’importance de la coopération de l’ambassade
dont relève le suspect
.
36. La règle de la double incrimination, qui veut que l’acte concerné
soit illégal au regard à la fois de la législation du pays de l’auteur
des faits et de la législation du pays où le délit a lieu pour que
la législation extraterritoriale soit appliquée, devrait être abolie
pour ce qui concerne l’exploitation sexuelle des enfants.
4.4. Protection
37. Pour diverses infractions pénales, notamment la pédopornographie,
l’identification des enfants victimes devrait se faire le plus rapidement
possible pour leur assurer une meilleure protection. Afin de faciliter l’identification
des délinquants sexuels, il importe d’améliorer l’échange international
des fichiers de délinquants sexuels condamnés. Des contributions
régulières aux bases de données ou d’autres formes de coopération
entre les services de police et les organes de contrôle aux frontières
sont également souhaitables. La base de données d’Interpol dans
le domaine de la pédopornographie pourrait servir d’exemple: la
«base de données internationale d’images sur l’exploitation sexuelle
des enfants» a été créée en 2009, venant remplacer une version antérieure
en vigueur depuis 2001. Un réseau international de policiers spécialisés inspecte
l’internet à la recherche de ces images et tente d’identifier les
enfants figurant sur les photographies et dans les films en partageant
ces données avec leurs collègues du monde entier
.
38. Il faut donner aux enfants des moyens de communication accessibles
pour qu’ils puissent signaler plus facilement les abus dont ils
sont victimes. Dans de nombreux pays, les ONG et les pouvoirs publics
mettent en place des permanences téléphoniques gratuites et anonymes
ainsi que des sites internet (par exemple des permanences téléphoniques
et des sites internet ont été mis en place pour signaler le tourisme
sexuel impliquant des enfants au Brésil, au Cambodge, en République
Dominicaine, en Malaisie et dans plusieurs autres pays) grâce auxquels
les enfants (et le public en général) peuvent signaler des cas d’exploitation sexuelle.
Ces outils sont d’un grand secours.
39. Compte tenu de la gravité des effets physiques et psychologiques
et de la stigmatisation qui résultent de l’exploitation sexuelle,
il est capital que les enfants victimes soient pleinement soutenus
pour leur éviter de nouveaux traumatismes et les aider à se reconstruire
complètement. Indépendamment de l’âge du consentement sexuel et
du caractère légal ou illégal de la prostitution, les enfants exploités
à des fins sexuelles doivent être considérés comme des victimes
et non comme des délinquants s’étant livrés à des activités éventuellement
considérées comme illégales
. Les victimes ainsi que les témoins
doivent être protégés contre toute forme de représailles. La confidentialité,
la sécurité et l’accès aux soins doivent leur être garantis.
40. La formation professionnelle des enseignants, des éducateurs,
des travailleurs sociaux, des policiers, des membres du corps judiciaire
et des autres professionnels susceptibles de travailler au contact
d’enfants victimes d’exploitation sexuelle ou de s’occuper de ces
enfants est essentielle, car ces personnes peuvent jouer un rôle
clé dans l’identification et la prise en charge des victimes. Ces
professionnels doivent être encouragés à signaler tout soupçon d’exploitation
sexuelle.
41. La réadaptation et la réinsertion des victimes à travers l’éducation
sont de la plus haute importance pour lutter contre la stigmatisation
et offrir aux enfants victimes d’exploitation sexuelle d’autres
possibilités – positives – de subvenir à leurs besoins et à ceux
de leur famille.
5. Conclusion
42. Il est évident qu’une approche mondiale s’impose
pour lutter contre les touristes délinquants sexuels. Un pays ne
peut à lui seul prendre des mesures efficaces contre le tourisme
sexuel impliquant des enfants, car des mesures limitées à son seul
territoire ne sauraient avoir un effet durable. L’action isolée
d’un pays, qui, par exemple, durcirait sa législation, ne ferait
que déplacer le problème vers les pays voisins, les «touristes sexuels»
se tournant alors vers des destinations où les lois dans ce domaine
sont plus souples. Le nombre de touristes sexuels (ou d’enfants
victimes) à l’échelle mondiale ne s’en trouverait donc pas réduit.
43. Sur le plan juridique, les mesures à prendre concernent notamment
la signature et la ratification des normes internationales par de
nouveaux pays, suivies d’une mise en œuvre rigoureuse de ces normes.
Il est aussi primordial de renforcer les législations nationales
relatives à l’exploitation et aux abus sexuels concernant les enfants
en assurant leur conformité à ces normes et leur application effective.
Enfin, les législations nationales doivent permettre la poursuite
des infractions pénales extraterritoriales.
44. Outre les mesures juridiques, des politiques résolues sont
nécessaire pour lutter contre les touristes délinquants sexuels
dans leur pays d’origine, principalement en menant des campagnes
de sensibilisation et en intensifiant la coopération internationale.
De nouveaux concepts de tourisme éthique devraient être développés
et promus auprès de nouveaux partenaires. Il faudrait procéder à
des échanges de bonnes pratiques au niveau international afin de
mettre en place des systèmes solides de protection des enfants dans le
plus grand nombre de pays possible et d’apporter une protection
globale aux enfants victimes des touristes délinquants sexuels,
à la fois dans leur propre pays lorsque ces infractions y sont commises
et dans les pays où se rendent les touristes délinquants. Les enfants
victimes devraient avant tout bénéficier d’un soutien psychologique
qui les aide à se reconstruire. Des politiques efficaces de lutte
contre le tourisme sexuel impliquant des enfants et les infractions
associées devraient être menées pour favoriser et promouvoir de nouvelles
conditions de vie pour les enfants, leur famille et leur communauté,
où la prostitution d’enfants est parfois perçue comme la seule solution
possible pour répondre à une nécessité économique.
45. Les acteurs des secteurs public et privé ainsi que la société
civile devraient être associés à ces actions aussi largement que
possible. A cet égard, les nouvelles technologies, comme internet
et les téléphones portables, qui sont utilisées aujourd’hui de manière
abusive pour organiser des actes criminels sur des enfants dans
le plus grand anonymat et la plus grande discrétion possible, devraient
être employées plus efficacement pour identifier les victimes et
les délinquants.