1. Introduction
1. La discrimination contre les Roms
est
un phénomène très répandu qui n’épargne aucun Etat membre du Conseil
de l’Europe. Nous avons souvent tendance à associer la discrimination
à l’égard des enfants roms à la ségrégation scolaire. Mais en réalité,
celle-ci n’est qu’un problème spécifique parmi d’autres. La discrimination
contre les enfants roms prend des formes très diverses et commence
avant même leur naissance. Elle inclut l’absence de soins prénatals
et infantiles appropriés, l’apatridie, la pauvreté, des conditions
de logement médiocres, une éducation formelle insuffisante et le
risque d’être victime de brimades, de violence et de la traite des
êtres humains.
2. Considérant que près de 50 % de la population rom d’Europe
– soit environ 5 à 6 millions de personnes – est âgée de moins de
18 ans, il est facile de comprendre l’urgence qu’il y a à intensifier
les efforts pour améliorer l’insertion des Roms, en commençant par
les enfants. Les traitements discriminatoires renforcent l’isolement
des enfants et des adultes roms en devenir, accroissent la stigmatisation
de la communauté rom et réduisent leurs chances d'être pleinement
intégrés à la société au sens large.
3. L’objectif du présent rapport est de mettre en lumière les
formes les plus manifestes de discrimination rencontrées par les
enfants roms, ainsi que les défis et vecteurs d’exclusion et de
discrimination auxquels il convient de s’attaquer. Je présenterai
également quelques projets réussis mettant en lumière des mesures positives
et efficaces pour combattre la discrimination contre les enfants
roms dans le long terme.
4. Ce rapport a été préparé en étroite coopération avec le Bureau
régional de l’UNICEF pour l’Europe centrale et orientale et la Communauté
d'Etats indépendants (ECO/CEI), que je remercie chaleureusement pour
son expertise et son analyse approfondies.
5. Par ailleurs, durant la phase de préparation de ce rapport,
je me suis fondée sur les informations recueillies au cours de deux
auditions: l’une avec la participation de M. Rudko Kawczynski, Président
du Forum européen des Roms et des Gens du Voyage, Mme Elena
Gaia, spécialiste de l’analyse des politiques du Bureau régional
de l’UNICEF pour l’ECO/CEI, et M. Dominique Steinberger, Directeur
de l’ARPOMT, une organisation non gouvernementale (ONG)
; et l’autre avec Mme Isabela
Mihalache, experte indépendante sur les questions roms et consultante
auprès du Conseil de l’Europe
.
2. Les défis
et les vecteurs de l’exclusion et de la discrimination
6. L’anti-tsiganisme est une forme spécifique de racisme,
une idéologie fondée sur la supériorité raciale, une forme de déshumanisation
et de racisme institutionnel alimentée par une discrimination historique,
qui s’exprime, entre autres, par la violence, les discours de haine,
l’exploitation, la stigmatisation et les formes les plus manifestes
de discrimination. Il affecte les enfants roms dès leur plus jeune
âge. La satisfaction des besoins de base des enfants est essentielle
pour leur donner un bon départ dans la vie, or les enfants roms n’ont
malheureusement pas cette chance.
2.1. Soins de santé
prénatals et infantiles
7. L’absence de contact avec les services de santé peut
avoir des effets désastreux sur la santé des nourrissons, notamment
dans des situations difficiles où une alimentation adaptée et la
prise en charge de la mère ou de l’enfant ne peuvent être assurées
par les familles.
8. L’accès aux soins de santé de base, dont les services de santé
prénatals et infantiles, est bien inférieur chez les mères roms
que dans le reste de la population
.
Parmi les mères roms, une part importante ne bénéficie pas de soins
prénatals appropriés et certaines accouchent sans l’assistance d’un
professionnel de santé. Bien souvent, leurs besoins nutritionnels
ne sont pas couverts de manière équilibrée pendant la grossesse
et, dans la mesure où beaucoup d’entre elles sont très jeunes, elles
ne disposent pas de suffisamment d’informations sur la santé reproductive
et les grossesses sans risques, par exemple la nécessité d’adopter
de bonnes habitudes alimentaires, d’éviter le stress et de bannir
l’alcool et le tabac durant la grossesse.
9. En Turquie, un programme a permis de prendre en charge, depuis
2008, 13 000 femmes de régions défavorisées et vivant des grossesses
à risque dans des centres de santé, pendant le mois qui précède
la naissance. De plus, la consultation d’un professionnel de santé
dans les deux mois qui suivent la naissance s’est considérablement
développée et concerne désormais 85 % des femmes dans tout le pays,
grâce à des services de proximité. De nombreuses femmes roms ont
bénéficié de cette politique, largement destinée aux zones défavorisées.
10. Les enfants roms sont hospitalisés pour des cas de pneumonie
et de maladies respiratoires dans des proportions deux fois plus
importantes que les enfants du reste de la population; les infections
de l’oreille et de la peau sont très fréquentes
. Même s’il est vrai que les difficultés
d’apprentissage attribuées aux enfants roms à l’entrée à l’école
primaire sont le résultat des techniques d’évaluation inappropriées,
il n’en demeure pas moins que les enfants roms subissent les effets
d’un faible poids de naissance, d’une santé et d’un état nutritionnel
précaires, de retard de croissance, d’une vulnérabilité aux affections
respiratoires et autres maladies évitables, susceptibles de nuire
à leurs capacités d’apprentissage.
11. Par ailleurs, les jeunes femmes roms subissent de fortes pressions
familiales et communautaires les poussant à se marier jeunes (parfois
bien en dessous de l’âge légal), renforçant ainsi la probabilité
de grossesses à risque, de faibles poids à la naissance et d’autres
problèmes de santé infantile.
12. Les enfants roms issus de familles très pauvres sont exposés
au risque d’être retirés à leurs parents et placés dans des institutions.
Dans un certain nombre d’Etats membres (notamment en Europe centrale
et de l’est), il apparaît que les enfants roms sont surreprésentés
dans les institutions au point, dans certains cas, d’en constituer
le groupe principal. La pauvreté semble être la raison principale
du placement en institution. Lorsque les services à la famille et
à la communauté font défaut, les travailleurs sociaux ne parviennent
parfois pas à aider les familles pauvres et ont tendance dans les
cas d’extrême pauvreté à recommander le placement en institution
des enfants parce qu’ils ne voient pas d’autre solution.
2.2. Apatridie
13. Après la naissance, les actes de naissance ne sont
pas systématiquement délivrés aux enfants roms. L’absence de documents
d’identité officiels fait que certains n’existent pas aux yeux de
beaucoup de municipalités; ils sont dès lors privés d’accès à toute
une série de services essentiels à leur développement. Certains
enfants se retrouvent apatrides parce que leurs parents ont omis
de déclarer leur naissance ou en ont été empêchés pour des raisons
juridiques ou financières. D’autres n’ont pas de documents d’identité
du fait de déplacements forcés, de la succession d’Etat ou de la
restauration d’un Etat et des divergences de législations sur la
nationalité qui en découlent.
14. La nationalité est un droit inscrit dans la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant, ratifiée par tous
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Comme l’a souligné le
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans une
récente publication
,
les enfants apatrides sont des cibles faciles pour la traite des
êtres humains, le travail forcé, l’exploitation sexuelle et l’adoption
illégale.
2.3. Pauvreté et conditions
de logement précaires
15. Les enfants roms vivent dans des environnements souvent
marqués par des conditions qui relèvent de la survie la plus élémentaire,
avec tous les effets négatifs sur la santé et les perspectives de
développement des jeunes enfants que cela suppose. Beaucoup d’enfants
roms viennent au monde dans des foyers totalement démunis où, bien
souvent, aucun adulte n’occupe un emploi régulier. D’après l’enquête
régionale sur les Roms menée par le Programme des Nations Unies
pour le développement/la Banque mondiale/l’Agence des droits fondamentaux
(ci-après PNUD/BM/FRA) en 2012, entre 70 % et 90 % des Roms interrogés ont
indiqué connaître de graves difficultés matérielles. La proportion
de non-Roms vivant dans ces conditions est bien inférieure, avec
des différences notables selon les pays.
16. Les logements et les équipements collectifs sont souvent insalubres,
sans assainissement et sans accès à l’eau courante ou au chauffage.
En Roumanie, Bulgarie et République slovaque, contrairement aux ménages
non-roms, la majorité des Roms interrogés dans le cadre de l’enquête
PNUD/BM/FRA vit dans des logements dépourvus d'au moins une des
commodités suivantes: cuisine, toilettes, salle de douche ou de
bain privatives et électricité. Selon cette enquête, les différences
observées entre les équipements des ménages roms et non-roms sont
plus marquées en Italie et en Grèce. En Turquie, TOKİ (l’administration
turque chargée du logement) a lancé un ambitieux programme de construction
de logements à bas coût, spécialement pour les Roms. A ce jour,
10 000 unités de logement ont été construites et mises à la disposition
de familles roms, ce qui a considérablement amélioré leurs conditions
de vie.
17. Un rapport de la FRA daté d’octobre 2009 a conclu à la persistance
de la ségrégation dans bon nombre des Etats membres de l’Union européenne,
tels que la Bulgarie, la République tchèque, la Grèce, l’Espagne, la
France, Chypre, la Hongrie, l’Italie, la Lituanie, la Pologne, le
Portugal, la Roumanie, la Slovénie et la République slovaque, parfois
en raison d’une politique gouvernementale délibérée. Selon ce même
rapport, des expulsions de Roms ont été menées en Albanie, Bulgarie,
France, Italie, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», Roumanie,
Serbie, République slovaque et au Royaume-Uni. L’Italie s’est particulièrement distinguée
en procédant ces dernières années, à Milan et Rome, à des centaines
d’expulsions qui ont touché des milliers de familles roms avec enfants.
Entre avril et décembre 2011, le Centre européen pour les droits des
Roms (ERRC) a relevé 131 expulsions en Italie
.
18. Les enfants sont souvent témoins d’expulsions, qu’ils perçoivent
comme des agressions brutales envers leurs parents et leur communauté.
Depuis avril 2011, des expulsions forcées de Roms ont continué en République
slovaque: en juillet 2011, les logements de 80 Roms, dont des femmes,
des enfants et des personnes âgées, ont été démolis dans un campement
rom de la banlieue de Kosice, sans qu’aucune solution d’hébergement
de remplacement n’ait été proposée. D’avril à octobre 2011, l’ERRC
a enregistré 46 expulsions forcées en France, concernant 5 753 personnes
. A Lyon, où des Roms sont menacés
d’être expulsés de leurs campements, les enfants se sont vu refuser
l’accès aux écoles du quartier et sont regroupés dans une classe
improvisée, installée dans un commissariat
. A Milan, en avril 2008, 400 Roms
se sont retrouvés à la rue pendant deux semaines sans aucune assistance
sociale de la part de la municipalité ou d’une autre organisation.
A Cluj (Roumanie), en décembre 2010, près de 250 Roms ont été expulsés
par la municipalité de leurs domiciles situés en centre-ville et
relogés sur le site d’une ancienne décharge en périphérie de la
ville.
– Propositions
19. La première étape pour combattre la discrimination contre
les enfants roms consiste à améliorer leurs conditions de vie matérielle
et leur accès aux services de base. A cette fin, les Etats membres
du Conseil de l’Europe devraient généraliser l’accès aux services
intégrés dédiés à la petite enfance:
- en facilitant l’enregistrement des naissances et la production
des actes de naissance;
- en renforçant les services de proximité pour les jeunes
enfants et les familles issus de communautés isolées, en se concentrant
sur la santé maternelle, la sécurité alimentaire, l’éducation des
enfants et l’environnement familial, la protection de la santé,
la prise en charge et les soins aux nourrissons;
- en favorisant le bien-être des mères et des jeunes enfants;
- en aidant les familles roms pauvres à favoriser le développement
et la croissance de leurs jeunes enfants à la maison dans un environnement
sûr et stimulant du point de vue physique et psycho-social.
2.4. Education
20. Le taux de préscolarisation des enfants roms âgés
de 3 à 6 ans est extrêmement faible. D’après les chiffres de la
Banque mondiale (2012), alors que plus de 75 % de l’ensemble des
enfants de cette tranche d’âge suivent un enseignement préscolaire
dans cinq pays ayant fait l’objet de l’étude, seuls 45 % des enfants roms
en Bulgarie, 37 % en Roumanie, 32 % en République tchèque et 28 %
en République slovaque fréquentent le préscolaire. En Hongrie, où
le préscolaire est obligatoire et où le gouvernement soutient les familles
pauvres en participant aux frais encourus, y compris pour la cantine,
et versent des allocations en cas de fréquentation régulière, le
taux de préscolarisation est nettement supérieur et s’élève à 76 %
des enfants roms.
21. L’enquête PNUD/BM/FRA susmentionnée révèle que seul un enfant
rom sur deux fréquente un établissement préscolaire ou une maternelle.
Les causes précises des faibles taux de scolarisation préscolaire sont
diverses mais notons que les critères d’inscription qui donnent
la priorité aux enfants dont les parents travaillent figurent en
bonne place. Ces critères peuvent en effet empêcher l’accès des
enfants issus de familles dans lesquelles aucun adulte n’occupe
d’emploi officiel.
22. Bien souvent, les écoles maternelles et les établissements
préscolaires formels ne proposent pas de soutien adapté aux enfants
issus de milieux défavorisés. Les programmes destinés à ces enfants
doivent non seulement respecter des normes de qualité strictes mais
aussi offrir – aussi bien aux enfants qu’à leur famille – toute
une gamme de services pour favoriser leur développement et leur
apprentissage. Bon nombre des enfants roms vivent dans la pauvreté
et leur accès à l’éducation s’en trouve dès lors limité. Leurs revenus
étant très faibles, beaucoup de familles n’ont pas les moyens de
s’acquitter des frais liés à la scolarité.
23. En raison du taux élevé d’abandon scolaire des enfants roms,
leur participation au-delà du primaire est nettement inférieure
à celle du reste de la population. En Europe du sud-est, par exemple,
seuls 18 % de Roms sont scolarisés dans le secondaire – contre 75 %
pour le reste de la population – et moins de 1 % suivent des études
universitaires
.
24. Beaucoup de Roms (notamment les filles) n’achèvent pas leur
scolarité primaire, seule une faible proportion va au bout du cycle
d’enseignement secondaire et une infime minorité est titulaire d’un
diplôme universitaire
. Il ressort de l’enquête en question
qu’en Grèce, en Roumanie, en Bulgarie, en France et en Italie, au
moins 10 % des enfants roms âgés de 7 à 15 ans n’allaient pas à
l’école pour diverses raisons: ils étaient encore au préscolaire
ou pas encore scolarisés, avaient manqué une année, avaient complètement arrêté
l’école ou travaillaient déjà. Cette proportion est plus élevée
en Grèce où plus de 35 % des enfants roms ne sont pas scolarisés.
Dans les disparités en matière d’éducation des Roms, la dimension
de genre intervient également dans une large mesure.
25. Les filles roms se heurtent à plusieurs obstacles qui entravent
leur accès aux droits fondamentaux et la jouissance effective de
ces droits: elles vivent dans la précarité, leurs besoins fondamentaux
ne sont pas satisfaits et elles continuent de subir le racisme et
l’exclusion sociale. Elles sont victimes d’une discrimination multiple,
fondée sur l’âge, l’appartenance ethnique et le sexe, à l’intérieur
et à l’extérieur de leur communauté. Souvent, la pauvreté extrême
et la lutte quotidienne pour la survie obligent nombre d’entre elles
à quitter l’école pour aider leur famille et s’occuper des travaux
domestiques.
26. Le taux de scolarisation dans l’enseignement primaire pour
les filles roms atteint tout juste 64% alors qu’il est de 96% pour
les filles des communautés non-roms vivant dans les mêmes conditions
socio-économiques
. De nombreuses filles roms ne terminent
pas le cycle d’enseignement primaire et l’écart au niveau de l’enseignement
secondaire atteint le taux scandaleusement élevé de 60 % dans certaines
régions de l’Union européenne. La pratique des mariages d’enfants
reste vivace dans certaines communautés roms en Europe. Cela se
traduit par un manque de qualifications et de compétences et prive
la plupart des filles roms de toute chance de trouver un emploi
une fois adultes. En conséquence, beaucoup resteront financièrement dépendantes
des hommes, ce qui conduit souvent à des difficultés d’accès à un
enseignement, à des soins et à un emploi décents et à une vulnérabilité
accrue à la violence familiale et à la traite.
27. Qui plus est, même si la collecte de données ventilées n’est
que très récente, les conclusions d’une enquête à indicateurs multiples
menée dernièrement par l’UNICEF confirment que le taux d’alphabétisme
ainsi que d’autres indicateurs ont tendance à être moins élevés
chez les filles roms que chez les garçons. Le taux d’analphabétisme
en Europe du sud-est est de 32 % pour les femmes roms, contre 22 %
pour les hommes roms et respectivement de 5 % et 2 % chez les femmes
et les hommes de la population majoritaire
.
En Albanie, 25 % des femmes roms sont illettrées – un taux plus
de deux fois supérieur à celui des hommes. Les femmes roms en Albanie
passent en moyenne cinq ans et demi à l’école contre huit ans pour
les hommes; en outre, près d’un tiers des filles issues de ces communautés
et en âge d’être scolarisées dans le primaire ne vont pas à l’école,
par rapport à 19 % des garçons
.
28. Il convient de rappeler que, en vertu de l’article 2 du Protocole
additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, l’instruction
est le seul droit social internationalement reconnu à bénéficier
explicitement de la protection de l’article 14 de la Convention,
qui interdit la discrimination. De plus, la Recommandation de politique
générale n° 10 de la Commission européenne contre le racisme et
l'intolérance (ECRI), adoptée en 2006 et intitulée «Lutter contre
le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation
scolaire»
, énumère des mesures consistant
notamment à préparer l’ensemble du personnel enseignant à travailler
dans un milieu multiculturel, à lutter contre le racisme et la discrimination
raciale en milieu scolaire et à s’assurer que toutes ces politiques
bénéficient des moyens financiers nécessaires et qu’elles fassent
l’objet d’un suivi régulier pour en évaluer la portée.
– Propositions
29. Il est essentiel que les Etats membres du Conseil de l’Europe
facilitent l’accès des enfants roms aux écoles:
- en fournissant au moins deux
années d’enseignement préscolaire inclusif, obligatoire, accessible
et de qualité. Dans ce cadre, assurer une prise en charge et des
prestations complètes dont les enfants en situation d’extrême pauvreté
ont besoin, comme l’alimentation (un repas chaud et des en-cas servis chaque
jour au centre), un bilan de santé (contrôle de la vue, de l’audition,
soins médicaux et dentaires) et un soutien aux parents et familles;
- en proposant à tous les enseignants et professionnels
des formations, des informations et des supports impartiaux. Pour
ce faire, préparer les établissements préscolaires à accueillir
des enfants roms et encourager leur développement sur un pied d’égalité
avec les autres enfants – ce qui suppose l’élimination de toute
barrière financière, logistique et infrastructurelle;
- en adaptant les programmes afin qu’ils fassent de l’inclusion
un objectif majeur de l’éducation, soient exempts de tout stéréotype
lié au sexe et prévoient l’enseignement, de la culture et de l’histoire
roms;
- en veillant à ce que le programme de base soit dispensé
à tous les enfants roms sur un pied d’égalité avec les autres enfants,
en évitant un programme de rattrapage qui les marginaliserait;
- en mettant en place dans les salles de classe des assistants
et des médiateurs roms correctement formés et rémunérés;
- en œuvrant en faveur de l’alphabétisation des parents
pour qu’ils puissent soutenir davantage l’éducation de leurs enfants
et en encourageant un plus grand nombre de Roms à devenir enseignants;
- en établissant des normes de base en matière de santé
et de sécurité pour les enfants, afin de veiller à ce que les garçons
et les filles bénéficient d’un même accès aux installations et puissent
participer pleinement à la vie de l’école sans craindre la violence,
en tenant compte de la localisation de l’école, et leur assurer
un trajet sûr entre la maison et l’école, des équipements adaptés
aux filles, des espaces de jeux sécurisés et le respect des normes
physiques des bâtiments scolaires.
2.5. Ségrégation dans
les écoles
30. Les examens de haut niveau sont devenus une tradition
dans les pays d’Europe centrale et du sud-est pour évaluer si les
enfants sont aptes ou non à suivre un cursus primaire dans une école
ordinaire. Ces pratiques ont parfois abouti à l’isolement des enfants
roms dans des classes ou écoles dites «spéciales», et ce malgré
la position sans équivoque de la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour») à cet égard.
31. Les méthodes d’évaluation ne tiennent pas compte de la situation
des enfants roms, par exemple leur santé précaire ou la langue parlée
à la maison et la faible maîtrise de la langue du pays. De ce fait,
un nombre disproportionné d’enfants roms sont envoyés dans des institutions,
des écoles ou des classes spéciales et se trouvent ainsi exclus
du système éducatif classique. Dans certains pays, entre 50 % et
80 % des enfants roms scolarisés sont systématiquement orientés
vers des écoles fréquentées uniquement par des Roms (écoles «noires»)
ou vers des «écoles et classes spéciales» mises en place pour les
enfants ayant des difficultés d’apprentissage.
32. Dans plusieurs affaires concernant la Croatie, la République
tchèque et la Grèce, la Cour a conclu que des enfants Roms étaient
discriminés dans leur droit à l’instruction
.
En particulier, les autorités avaient placé ces enfants dans des
écoles ou des classes spéciales sans justification objective ou
raisonnable ou dans des conditions discriminatoires car les tests
utilisés n’étaient pas suffisamment objectifs et ne prenaient pas
en compte la culture et les besoins spécifiques des enfants roms.
33. La Croatie a récemment transmis au Comité des Ministres un
plan d’action concernant les mesures envisagées ou prises en réponse
à l’arrêt de la Cour. Le Comité des Ministres continue de suivre
cette affaire dans le cadre de la procédure de surveillance standard
en vue d’évaluer l’impact des mesures prises par les autorités croates,
et notamment les résultats concrets obtenus en matière de suppression
ultérieure des classes réservées exclusivement aux Roms.
34. En République tchèque, la législation a été modifiée et prévoit
désormais la scolarisation dans des écoles primaires ordinaires
des enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux, y compris les
enfants socialement défavorisés. Les programmes scolaires ont été
réformés et un programme spécifique, visant à améliorer l’intégration
des Roms par l’éducation, a été mis en place.Toutefois,
selon les données statistiques présentées dans le plan d’action
consolidé, le pourcentage global d’élèves d’origine rom scolarisés
selon des programmes pour les élèves ayant un «handicap mental léger»
reste disproportionnellement élevé en dépit de la légère baisse
observée. Des résultats tangibles demeurent de ce fait nécessaires
dans la mise en œuvre du plan d’action et la situation concrète
sur le terrain.
35. L’arrêt le plus récent de la Cour, daté du 29 janvier 2013
et rendu en l’affaire
Horváth et Kiss
c. Hongrie, peut être considéré comme un arrêt particulièrement
important dans le domaine de la discrimination à l’encontre des
enfants roms. M. Horváth et M. Kiss avaient tous deux été diagnostiqués
comme ayant un «léger handicap mental», à l’issue de tests d’évaluation,
et placés dans une école avec des enfants handicapés mentaux. Ils
soutenaient que leur placement en école de rattrapage avait constitué
une discrimination directe et/ou indirecte dans la jouissance de
leur droit à l’instruction, discrimination fondée sur leur origine
rom. Ils alléguaient que les tests étaient biaisés culturellement
et fondés sur des connaissances, que leurs parents n’avaient pas
pu exercer leurs droits de participation, qu’ils avaient été placés
dans des écoles conçues pour des personnes handicapées mentales,
dont le programme était limité, et qu’ils avaient de ce fait été
stigmatisés. La Cour a donné gain de cause à M. Horváth et à M. Kiss
et a reconnu que la procédure consistant à diagnostiquer des enfants
comment étant handicapés mentaux est discriminatoire à l’encontre des
enfants roms
.
36. De fait, les classes spéciales sont souvent présentées comme
une passerelle vers l’enseignement ordinaire mais à de rares exceptions
près, elles sont en réalité moins bien équipées en termes d’infrastructures,
de supports pédagogiques, d’enseignants qualifiés, etc. Si ségrégation
rime bien souvent avec éducation de piètre qualité, certains parents
roms choisissent d’envoyer leurs enfants dans ces établissements,
car mieux subventionnés, ils peuvent offrir à leurs enfants nourriture,
vêtements et livres. Ces incitations sont cruciales pour les parents
très pauvres mais ont des effets pervers sur le long terme pour
les enfants roms et la société au sens large. Par ailleurs, dans
la mesure où la population de ces écoles est majoritairement rom,
les élèves sont d’une certaine manière préservés des brimades ou
du rejet par leurs camarades. Malheureusement, le niveau des programmes
et de l’enseignement est faible dans ces classes et écoles et les
diplômes qu’elles délivrent n’ont bien souvent aucune valeur sur
le marché du travail.
37. Les méthodes d’enseignement indifférenciées et peu adaptées
aux enfants sont monnaie courante dans la région. Cet enseignement
ne tient pas compte des différences d’aptitudes et de capacités
liées au milieu culturel dont l’élève est issu et dès lors, les
besoins et la socialisation de la plupart des enfants roms ne peuvent être
réalisés. La plupart des programmes nationaux restent globalement
monoculturels et non inclusifs et n’abordent que très peu l’histoire
et la culture roms. Beaucoup d’enfants roms font face à de graves
difficultés à l’école car la langue d’enseignement n’est pas leur
langue maternelle.
38. Enfin, une fois scolarisés dans le primaire ou le secondaire,
les enfants roms sont souvent victimes de discrimination et de brimades
mais aussi de préjugés conduisant à un manque d’exigence: les enquêtes européennes montrent
que beaucoup d’Européens, y compris les enseignants, ont une très
mauvaise image des Roms, souvent fondée sur des stéréotypes, des
préjugés et une méconnaissance de l’histoire rom et de leurs conditions
de vie actuelles. Malheureusement, on retrouve parfois ces comportements
dans l’enseignement public. Même lorsque les enfants roms suivent
un enseignement ordinaire, les enseignants ont des attentes moindres
à leur égard. Pour cette raison et compte tenu de la piètre qualité
des écoles ou classes fréquentées exclusivement par des Roms, beaucoup
d’enfants roms qui arrivent au CM1 voire en 4e (9-13 ans),
sont analphabètes fonctionnels. En outre, d’après les recherches
menées par Save the Children, ils sont souvent victimes de violences
à l’école, à la fois physiques et verbales, de la part de leurs
camarades non-roms.
39. Même lorsque les enfants roms intègrent des écoles primaires
ordinaires, les taux de décrochage scolaire sont plus élevés que
chez n’importe quel autre groupe minoritaire en Europe. D’après
les dernières données publiées par la FRA, la participation scolaire
chute considérablement à l’issue de la scolarité obligatoire: seuls
15 % des jeunes adultes roms interrogés sont allés au bout du cycle
secondaire supérieur général ou de leur formation professionnelle.
– Propositions
40. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient mettre
fin à la ségrégation scolaire et promouvoir l’inclusion:
- en exécutant, le cas échéant,
l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme relatif à la discrimination
des requérants dans l'exercice de leur droit à l'éducation du fait
de leur scolarisation dans des écoles spéciales;
- en élaborant des politiques globales pour réaliser l’objectif
à long terme d’une éducation inclusive comprenant: l’élaboration
de plans d’action nationaux et locaux favorisant l’inclusion, étayés
par des mesures financières, juridiques et administratives et en
obligeant les municipalités à élaborer des plans de déségrégation;
- en mettant en place des mécanismes de recours pour les
familles roms en cas de violation de leur droit à l’inclusion.
41. Ils devraient également intensifier leurs efforts pour éliminer
les obstacles socio-économiques à l’éducation:
- en mettant en place des programmes
préparatoires et un soutien scolaire supplémentaire pour les enfants
roms, afin de mieux les préparer pour l’école, de faciliter le passage
d’un niveau à l’autre et d’œuvrer pour la réintégration de ceux
qui ont abandonné l’école;
- en prévoyant des incitations financières pour surmonter
la pauvreté qui empêche l’accès à l’école.
2.6. Violence à l’égard
des Roms
42. Les préjugés persistants envers les Roms conduisent
à des discriminations à leur égard dans de nombreux domaines de
la vie sociale et économique, qui alimentent considérablement le
processus d'exclusion sociale dont souffrent les Roms. L’anti-tsiganisme
est une forme spécifique de racisme, qui s’exprime entre autre par
la violence, le discours de haine, l’exploitation, la stigmatisation
et les formes les plus manifestes de discrimination mentionnées
précédemment.
43. La violence contre les enfants roms se manifeste dans un continuum
de formes multiples, interconnectées et parfois récurrentes. Elle
peut englober des abus et une exploitation physiques, sexuels, psychologiques/émotionnels
et économiques, perpétrés dans des lieux les plus divers relevant
tant de la sphère privée que publique, et peuvent parfois dépasser
les frontières nationales. Ces formes de violence incluent (sans
toutefois s’y limiter) la violence domestique, la traite des êtres
humains et l’exploitation sexuelle, les mariages d’enfants, le travail
des enfants et les pratiques nuisibles constituant ou contribuant
à la violence contre les enfants.
44. La discrimination contre les Roms est principalement fondée
sur leur origine ethnique et sur leur mode de vie. La menace de
violence raciste est réelle et grandissante, et l’incidence de la
violence rapportée dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe
est en hausse. Depuis 2008, la Hongrie a enregistré au moins 48
agressions violentes contre des Roms, la République tchèque 40 et
la République slovaque 13, causant au total 11 décès. Les rapports
font état de jets de cocktails Molotov et de grenades à main, de
coups de feu, de violences policières, d’incendies criminels, de
violences collectives et de manifestations.
45. Le 23 février 2009, le domicile d’une famille rom de Tatarszentgyörgy
en Hongrie a été incendiée par des cocktails Molotov. Le ou les
agresseurs ont ensuite ouvert le feu sur les occupants, tuant deux
membres de la famille, un père (27 ans) et son fils (5 ans), qui
tentaient de fuir les flammes. Deux autres enfants ont été blessés.
Ni l’officier de police de fonction ni l’expert médico-légal sur
la scène de crime n’ont relevé que les victimes portaient des blessures
par balles.
46. En Europe, les attaques se sont poursuivies tout au long des
années 2011 et 2012. En mars 2011, un garçon rom a été agressé et
insulté sur le chemin de l’école par trois hommes en Serbie, pays
qui a par ailleurs connu plusieurs affaires de violences policières
envers des Roms. En «l’ex-République yougoslave de Macédoine», en
octobre 2011, un jeune Rom de 17 ans a été attaqué et poignardé
à l’école par un garçon non-Rom en raison de son origine ethnique.
A compter du début du mois d’août 2011, une vague de manifestations anti-Roms
a pris naissance dans les villes de toute la République tchèque
et des camps roms ont été la cible de violences collectives. En
Bulgarie, le décès d’un jeune homme, heurté par un véhicule dans
la nuit du 23 septembre 2011, a déclenché de violentes manifestations
anti-Roms dans tout le pays. Effrayés par la recrudescence des agressions
et l’absence de patrouilles organisées, beaucoup de parents roms
de villages bulgares (Burgas, Montana, Sliven, Plovdiv) n’envoient
plus leurs enfants à l’école. Toujours en Bulgarie, un enfant rom
de Peshtera ne s’est pas présenté à l’hôpital pour y subir l’intervention
chirurgicale prévue, ses parents ayant eu peur du déplacement. En
Russie, plusieurs cas de violence policière à l’encontre de Roms ont
été rapportés. En janvier 2012, la police a organisé un raid contre
un des campements roms à Oujgorod, Ukraine. Des Roms, dont des femmes
et des enfants, ont été battus, insultés et victimes de gaz lacrymogènes.
– Propositions
47. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient prendre
des mesures promptes et résolues pour condamner l’anti-tsiganisme
. Tout en combattant les stéréotypes,
ils devraient promouvoir le respect de la culture et de la langue
roms:
- en reconnaissant le droit
des enfants roms à conserver leur langue maternelle et leur fournir
le meilleur cadre linguistique qui soit;
- en favorisant leur apprentissage, en dispensant aux enfants
roms un enseignement préscolaire dans leur langue maternelle.
48. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient également
protéger le droit des enfants au respect de leur intégrité personnelle
et physique en relayant un message fort rappelant que toutes les
formes de violence à l’encontre des enfants sont inacceptables et
que les écoles doivent s’appuyer sur le droit et promouvoir et observer
les principes attachés aux droits de l’homme. Les Etats membres
devraient élaborer et appliquer des politiques prévoyant des mécanismes
précis de mise en œuvre, tenant compte de la vulnérabilité particulière
des enfants roms à la violence ainsi que du caractère sexospécifique
de ce phénomène.
3. Mesures fructueuses
49. Il est facile de comprendre que les jeunes enfants
arrivant à l’école en ayant faim ou froid ou en mauvaise santé ne
seront pas en mesure de participer au mieux de leurs capacités.
Les faibles taux de participation dans les petites classes vont
généralement de pair plus tard avec des taux de décrochage scolaire élevés.
50. Parallèlement, pour qu’ils puissent jouir de leurs droits
fondamentaux et de l’égalité des chances, les enfants roms devraient
bénéficier de certaines ressources d’appoint complémentaires: ainsi
en Suède, le romani est reconnu comme langue nationale minoritaire
et un enseignement en langue maternelle ainsi que des cours de soutien
sont proposés aux enfants roms pour leur permettre de participer
pleinement à l’enseignement en langue majoritaire. Les collectivités
locales dont dépendent ces enfants sont chargées de veiller à l’application
de ce principe dans la pratique et les écoles qui scolarisent ces
élèves devraient recevoir un financement supplémentaire à cet effet
– ces initiatives pouvant s’inscrire dans un ensemble plus vaste
de mesures destinées à aider les élèves ayant des difficultés d’apprentissage
spécifiques, quelles qu’elles soient.
51. Assurer l’égalité dans la prestation de ces services, au-delà
d’une zone pilote et du bon vouloir des prestataires de services
locaux, nécessitera sans doute que ces mesures positives soient
établies par la loi et assorties des ressources financières nécessaires.
Si les initiatives ciblées peuvent s’avérer nécessaires pour assurer
l’égalité des chances pour les populations roms, il est essentiel
de ne pas mettre en place des systèmes parallèles qui seraient certes
bénéfiques à court terme mais renforceraient la marginalisation
à long terme. Toute approche ciblée doit donc faire l’objet d’une
analyse approfondie et d’une évaluation.
52. L’approche devrait être bien coordonnée: des stratégies intégrées
devraient inclure les enfants roms et ceux des autres groupes marginalisés
dans des stratégies globales de réduction de la pauvreté et d’insertion sociale
tout en tenant compte de leurs spécificités.
53. La médiation est l’une des mesures utilisées en Europe pour
combattre les inégalités auxquelles les Roms sont confrontés en
matière d’accès à l’emploi, aux services de santé et à une éducation
de qualité. Elle consiste à faire appel à des personnes issues des
communautés roms locales ou ayant une bonne connaissance des questions
relatives aux Roms pour servir de médiateurs entre les Roms et les
institutions publiques.
54. Par ailleurs, je pense qu’il convient d’envisager la création
de groupes de discussion spécialisés composés d’acteurs divers,
dont des parents, des membres de la famille élargie, des associations,
des enseignants, des communautés religieuses, des ONG ou des responsables
politiques locaux, qui pourraient contribuer efficacement aux stratégies
intégrées.
55. Parmi les nombreuses initiatives locales et nationales entreprises
dans l’ensemble des pays européens, j’ai sélectionné quatre projets
que j’estime être des modèles positifs à suivre, chacun correspondant
à un domaine problématique mentionné dans le présent rapport: santé,
éducation et logement. J’ai également décidé de présenter un des
programmes du Conseil de l’Europe, ROMED.
3.1. Programme ROMED
du Conseil de l’Europe
56. En 2010, le Conseil de l’Europe a lancé le programme
européen de formation pour les médiateurs roms – ROMED – afin de
consolider et d'améliorer la qualité et l'efficacité des travaux
des médiateurs en matière d’éducation/de santé/d’emploi et les programmes
de formation existants en vue d'encourager une meilleure communication
et coopération entre les Roms et les institutions publiques, notamment
les écoles, les centres de santé et les agences pour l'emploi.
57. Le Conseil de l’Europe assure la coordination d’ensemble du
programme. Un programme de formation a été élaboré et un groupe
de formateurs choisi et formé, après consultation d’experts sur
le terrain. Le programme part du postulat que son succès est lié
à la contribution de parties prenantes très diverses. Les autorités
nationales et locales identifient les médiateurs qui seront formés
et sont impliquées à tous les stades de la sélection des médiateurs,
de l’évaluation et des éventuelles réponses politiques. Les organisations
roms fournissent un soutien à la mise en œuvre du programme au plan
local, à la remontée des informations et des suggestions et contribuent
au processus d’évaluation et à l’identification des propositions
d’ajustement. Les institutions concernées (santé, éducation, emploi)
au niveau local appuient les médiateurs dans la conduite des activités
pratiques fondées sur l’approche promue par le Conseil de l’Europe
et assurent le retour d’informations sur la coopération.
58. Ce programme s’appuie sur des médiateurs d’origine rom, maîtrisant
la langue de la communauté avec laquelle ils travaillent. Ils ont
pour mission et responsabilité de faciliter la communication entre
les Roms et les institutions publiques. Un premier groupe de formateurs,
sélectionné à l’issue d’un appel à candidatures ouvert, a été formé
à Strasbourg du 26 au 29 janvier 2011. Un agent de liaison national,
dans la mesure du possible une organisation rom ayant l’expérience
du travail avec des médiateurs, a été identifié dans chaque pays.
59. Pour la réussite de ce programme, il est de la plus haute
importance que les médiateurs reçoivent le soutien financier dont
ils ont besoin pour faire leur travail et que leur statut soit clairement
défini, de manière à ce que les autorités gouvernementales les intègrent
sans aucun problème.
3.2. Projet sur les
soins de santé primaires dispensés aux Gens du voyage (PHCTP) (Irlande)
60. Le Centre Pavee Point des Gens du voyage a mis en œuvre une initiative concernant
les soins de santé primaires, visant l’amélioration de l’état de
santé des Gens du voyage vivant dans les quartiers de Finglas et de
Blanchardstown à Dublin. Elle a pour objectifs d’établir un modèle
de participation des Gens du voyage à la promotion de la santé et
de développer les compétences des femmes «Gens du voyage» pour fournir
des services de santé communautaires. Le projet permet également
d’entretenir les rapports et de créer un dialogue entre les Gens
du voyage et les prestataires de services de santé, de mettre en
évidence les insuffisances des prestations de services de santé
aux Gens du voyage et d’enrayer les inégalités existantes dans les
services établis.
61. Un certain nombre de Gens du voyage sont employés en tant
qu’agents de santé communautaires pour les projets de soins de santé
primaires dispensés aux Gens du voyage, afin que ces soins évoluent
en s’adaptant aux valeurs et aux perceptions spécifiques de cette
communauté et d’assurer des résultats sur le long terme. En partenariat
avec les directions des Services de santé par l’intermédiaire des
Unités sanitaires des Gens du voyage, les Gens du voyage et leurs
associations travaillent au développement de services de santé adaptés
et à l’allocation de ressources; une formation est axée sur le renforcement
des compétences et des capacités et sur l’autonomisation des Gens
du voyage. Les travailleurs sanitaires du projet sont embauchés
à titre permanent (sous réserve de financements); afin de garantir
l’emploi des Gens du voyage dans les services de santé ordinaires,
une collaboration a été établie avec le Collège royal de chirurgie
en Irlande (Royal College of Surgeons in Ireland – RCSI) afin d’augmenter
le nombre d’étudiants de la communauté des Gens du voyage dans ce
domaine et mettre au point des mécanismes et des lignes directrices
pour l’emploi de Gens du voyage adressés à l’Autorité exécutive
des Services de santé.
62. Ce projet a eu pour principaux résultats la formation agréée
pour 16 femmes des Gens du voyage comme agentes de santé communautaires,
une enquête de référence menée par les agents de santé communautaires
pour identifier et formuler les besoins de santé des Gens du voyage,
ou encore la démonstration d’un modèle d’emploi pour les Gens du
voyage en matière de santé publique.
63. Les agents de santé communautaires (généralement des femmes)
acquièrent l’assurance et les compétences pour travailler dans la
communauté et mener des enquêtes de référence. Il s’agissait de
la première participation des Gens du voyage à un processus de ce
genre, étant donné qu’auparavant les besoins de cette communauté
étaient largement présupposés. Dans le cadre du processus PHCTP,
les Gens du voyage peuvent activement établir les besoins prioritaires
et suggérer des modifications aux services de santé, afin d’en faciliter
l’accès et l’utilisation. Les résultats sont également communiqués
aux prestataires de services de santé. En 1998, le PHCTP a été récompensé
du certificat commémoratif du 50e anniversaire
de l’Organisation mondiale de la santé pour un projet de santé national
d’inspiration communautaire promouvant la santé et mettant en exergue
les valeurs de l’équité, de la solidarité, de la participation,
des démarches intersectorielles et du partenariat.
3.3. Projet de logement
Maro Temm (Allemagne)
64. L’Association des Sintis et des Roms allemands du
Schleswig-Holstein (Allemagne)
a mis en œuvre un projet de construction de nouvelles maisons pour
un groupe de 13 familles sintis qui vivaient dans des casernes.
L’initiative s’inscrit dans le contexte d’un projet de médiation
scolaire à Kiel, traitant de l’organisation des droits civils et
des difficultés rencontrées par les enfants sintis à l’école. Elle
a pour objectifs d’améliorer les conditions de logement d’un groupe
de Sintis à Kiel et de s’assurer qu’il pourra conserver ses valeurs traditionnelles.
65. Maro Temm est la première coopérative de logement sinti et
rom créée en Allemagne. Cette expérience est susceptible de s’appliquer
à d’autres localités car le remboursement du crédit est assuré par
le loyer mensuel et garantit que les maisons deviendront la propriété
de la coopérative Maro Temm, c’est-à-dire les familles, améliorant
également le statut de ces dernières. Le projet relais assurera
la poursuite du développement du quartier et son intégration dans
la grande périphérie.
66. Le point fort du projet est là encore d’assurer la pleine
participation du groupe cible, y compris au processus de construction,
afin de réduire les coûts et d’assurer l’appropriation du projet.
Il ne constitue pas une intervention isolée, étant donné qu’il est
complété d’un travail de suivi et d’un programme de médiation scolaire
garantissant la scolarisation de tous les enfants du quartier. L’association
a commencé, entre autres activités, des leçons quotidiennes de musique
(guitare et basse), pour enseigner le jazz traditionnel sinti.
3.4. L’ouverture à l’égard
des Roms en Turquie
67. En 2009, le Gouvernement turc a lancé un processus
d’ouverture démocratique à l’égard de la population rom de Turquie.
Sous l’autorité du secrétaire d’Etat Faruk Celik, le gouvernement
a organisé en décembre 2009 un atelier réunissant des représentants
des communautés roms et des pouvoirs publics pour discuter des questions
d’emploi, de logement et d’enseignement.
68. L’atelier a été suivi du grand «Rassemblement rom» auquel
ont participé, en mars 2010, 10 000 citoyens d’origine rom venus
de toute la Turquie. Le Premier ministre Erdoğan s’est adressé à
la foule, soulignant que les Roms font partie de la Turquie en tant
que citoyens à part entière et promettant que le gouvernement ferait tout
son possible pour s’efforcer de résoudre les problèmes de ces communautés.
69. En février 2011, le ministère de l’Education a organisé un
atelier intitulé «Accroître les possibilités offertes aux enfants
roms en matière d’enseignement». L’atelier a réuni des représentants
du ministère, des spécialistes de l’éducation et des ONG dans le
but de déterminer les rôles et les responsabilités des établissements
d’enseignement, des familles, des pouvoirs publics et des ONG pour
venir à bout des problèmes qui se posent en matière d’accès et de
fréquentation des établissements d’enseignement primaire en raison
des conditions de vie des Roms.
70. L’UNICEF a été l’une des parties à la conférence, divisée
en quatre domaines thématiques concernant l’accès à un enseignement
de qualité, les méthodes d’enseignement et d’apprentissage, l’importance
de la famille dans l’instruction, et les facteurs externes qui ont
une incidence sur celle-ci. Après avoir réuni les propositions et
recommandations de tous les groupes de travail, le ministère a mis
au point un plan d’action inédit et détaillé pour déceler et surveiller
la fréquentation scolaire irrégulière, prévenir l’abandon des études et
renforcer l’enseignement préscolaire. Cette initiative a été saluée
par l’Union européenne et consignée dans le rapport d’étape de la
Turquie.
71. L’Agence turque pour l’emploi, sous l’égide du ministère du
Travail et de la Politique sociale, a organisé en septembre 2011
un atelier de deux jours intitulé «La participation des Roms au
marché du travail». A la suite de l’atelier, l’Agence a lancé un
programme de médiateurs visant à sélectionner des médiateurs roms
et non roms qui seront formés pour faciliter l’accès de la population
rom au marché du travail. L’Agence gère aussi le programme «Travail
d’intérêt général», qui fournit des emplois temporaires de six mois
à des chômeurs pour faciliter leur entrée sur le marché du travail,
leur enseigner des compétences et leur apporter un revenu régulier.
Cinquante-neuf gouvernorats où vivent de fortes populations roms
ont reçu l’ordre de donner la priorité à ce groupe dans la sélection
des bénéficiaires. Selon l’Agence, 1 500 Roms devraient bénéficier
de ce programme. En outre, 537 citoyens roms ont bénéficié de programmes
de formation professionnelle qualifiants, organisés par l’Agence
turque pour l’emploi.
72. Le Premier ministre a envoyé à tous les gouvernorats de Turquie
une circulaire leur demandant de délivrer gratuitement une carte
d’identité à tous les citoyens d’origine rom qui résident dans leur
ressort.
73. Toutes les références aux Roms ayant un caractère discriminatoire
et dégradant ont été supprimées dans la législation, la dernière
suppression en date concernant l’article 21 de la loi relative au
séjour et aux déplacements des étrangers en Turquie.
74. L’Administration du logement de Turquie (TOKİ) a construit
10 000 unités d’hébergement pour les Roms dans différentes régions
du pays où ils vivaient dans de mauvaises conditions.
75. En outre, en tant que personnes vulnérables, les Roms font
partie du groupe cible des fonds alloués à la Turquie dans le cadre
de l’Instrument d’aide de préadhésion (IAP) de l’Union européenne.
Le 15 juin 2012, le ministère du Travail et de la Politique sociale
a lancé le programme d’«Amélioration de l’insertion sociale et de
l’accès au marché du travail des catégories défavorisées», qui a
pour but de favoriser l’insertion des personnes défavorisées sur
le marché du travail et d’éradiquer les discriminations à leur égard
lorsque ces personnes cherchent du travail. Parmi toutes les catégories
défavorisées, les Roms seront particulièrement visés par le programme
et le budget envisagé sera consacré à hauteur de 30 % aux régions
ayant une forte population rom.
76. Depuis sa création en 2011, le ministère de la Famille et
de la Politique sociale assume le rôle de coordinateur de toutes
les initiatives du gouvernement à l’égard des Roms, rendant le processus
plus efficace.
77. Le processus d’ouverture à l’égard des Roms est mené d’une
manière participative qui garantit que les Roms eux-mêmes aient
leur mot à dire dans les politiques et les programmes qui leur sont
destinés. Dans presque toutes les réunions et manifestations, le
gouvernement est représenté au plus haut niveau, ce qui indique
la bonne volonté, la sincérité et l’approche constructive adoptées
à l’égard de cette question. Ce processus a eu pour résultat indirect
dans les communautés roms un sentiment nettement renforcé de respect de
soi et d’appartenance, parallèlement à la multiplication d’ONG roms
grâce à la sensibilisation accrue de ces communautés à la participation
citoyenne.
4. Conclusions
78. Le présent rapport aborde le large éventail de discriminations
auxquelles les enfants roms sont confrontés dès leur plus jeune
âge. Les motifs de ces discriminations sont divers et touchent plusieurs
aspects de leur vie quotidienne tels que les soins de santé prénatals
et infantiles, l’apatridie, la pauvreté, les conditions de logement
inadéquates, l’accès limité à l’éducation formelle, la ségrégation
scolaire, la violence et la traite des êtres humains.
79. Les situations de pauvreté et marginalisation des enfants
roms, résumées dans ce rapport, sont symptomatiques de l’échec des
systèmes sociaux à fonctionner pour tous les enfants. Le droit au
plus haut niveau de développement et à l’éducation, qui découle
du principe d’égalité des chances, oblige les Etats à établir le
cadre législatif et politique et à réunir les ressources nécessaires
pour garantir l’accès de tous les enfants. Les
initiatives adressées aux communautés roms, ne tenant pas compte
de problèmes de fond plus larges tels que la discrimination, ont
peu de chance de changer les choses sur le moyen ou long terme.
80. Il apparaît clairement que des stratégies intégrées et globales
de développement et d’éducation de la petite enfance sont des vecteurs
clés pour venir à bout de l’exclusion sociale et de la discrimination.
Elles permettront à la nouvelle génération d’enfants roms d’acquérir
compétences et ressources sur la base de l’égalité des chances.
81. Cette approche globale comprend des soins de santé de qualité,
une aide aux parents, un enseignement au niveau maternel et préscolaire
et un soutien en matière de protection sociale et insiste sur la
mise en place et l’accès à une éducation de base de qualité
82. L’amélioration de la situation des enfants roms en Europe
passe par l’élaboration de politiques qui, par le biais d’une approche
intégrée, identifient et examinent tous les aspects de leur marginalisation,
tout en protégeant les droits fondamentaux, en luttant contre la
discrimination et en promouvant la culture rom et le respect de
l’identité rom. Outre la protection des droits des enfants roms
et l’amélioration de leurs conditions de vie, le but ultime doit
être de leur donner la possibilité de décider librement de leur
avenir et de les encourager dans ce sens.
83. La médiation est l’une des mesures utilisées en Europe pour
combattre les inégalités auxquelles les Roms sont confrontés en
matière d’accès à l’emploi, aux services de santé et à une éducation
de qualité. Elle consiste à faire appel à des personnes issues des
communautés roms locales, ou ayant une bonne connaissance des questions
relatives aux Roms, pour servir de médiateurs entre les Roms et
les institutions publiques.
84. Par ailleurs, je suis d’avis que la création de groupes de
discussion spécialisés composés d’acteurs divers, dont des parents,
des membres de la famille élargie, des associations, des enseignants,
des communautés religieuses, des ONG ou des responsables politiques
locaux peut être une mesure utile susceptible de contribuer aux
stratégies intégrées.
85. Je propose un projet de résolution établissant un large éventail
d’actions que pourraient entreprendre les Etats membres du Conseil
de l’Europe pour combattre la discrimination contre les enfants
roms.
86. Je pense également que les mesures prises à l’échelle du gouvernement
pour promouvoir la bonne gouvernance constituent le fondement sur
lequel les mesures spécifiques doivent s’appuyer pour obtenir le plus
de résultats. Les Etats membres devraient de ce fait encourager
les initiatives qui visent à accroître la responsabilité et la transparence
des différents niveaux de gouvernement et intervenants, à renforcer
l’accès à la justice et l’état de droit, à donner aux institutions
des droits de l’homme, tels que les médiateurs, les moyens d’améliorer
le suivi et le traitement des plaintes émanant d’enfants roms.
87. Pour s’attaquer à la cause profonde de la discrimination,
les personnalités politiques et les leaders d’opinion doivent agir
de manière responsable. A cet égard, il convient de mentionner l’exemple
donné par le Premier ministre turc, M. Recep Tayyip Erdoğan. Lors
du grand «rassemblement rom» auquel ont participé 10 000 citoyens
roms venus de toute la Turquie en mars 2010, M. Erdoğan s’est adressé
à la foule en appelant les membres de cette communauté ses frères
et sœurs et ses chers compatriotes, en soulignant que les Roms font
partie de la Turquie et en sont les citoyens, au même titre que
le reste de la population, et en promettant que le gouvernement
ferait tout son possible pour traiter les problèmes de cette communauté.
88. Les leaders européens peuvent jouer un rôle important pour
inverser les stéréotypes et les attitudes discriminatoires envers
les Roms et en faisant la promotion de la culture de la diversité
et du respect entre les différents groupes.