1. Introduction
1. L’Agence européenne pour la gestion de la coopération
opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union
européenne, plus connue sous le nom de Frontex, a été créée en octobre 2004
par le Règlement (CE) no 2007/2004 du
Conseil européen (Règlement Frontex)
. Son siège se
trouve à Varsovie (Pologne) et elle a commencé à fonctionner en
mai 2005. L’Agence est l’un des principaux instruments d’application
du système de gestion intégrée des frontières de l’Union européenne,
dont le but est de gérer les migrations en veillant à ce que le
franchissement des frontières extérieures de l’Union se déroule
dans des conditions de sécurité et soit soumis à un contrôle juridique.
2. La mission de Frontex consiste principalement à rendre plus
facile et plus efficace l’application des mesures de l’Union européenne
relatives à la gestion des frontières extérieures, notamment le
Code frontières Schengen. Pour cela, l’Agence coordonne les actions
des Etats membres de l’Union européenne pour assurer le contrôle
des personnes et la surveillance des frontières extérieures de l’Union
européenne d’une manière plus uniforme et efficace.
3. Les défis posés à l’Union européenne par la gestion des migrations
sont bien connus de tous. Frontex donne aux Etats membres de l’Union
européenne la possibilité de mieux coordonner leurs activités de
contrôle des frontières, d’apprendre mutuellement de leurs expériences
et d’harmoniser leurs pratiques sur leurs frontières extérieures.
4. Certes, l’équilibre entre gestion des migrations par le contrôle
des frontières extérieures et respect des droits de l’homme peut
parfois s’avérer délicat à trouver pour les autorités. Les deux
aspects doivent toutefois aller de pair et Frontex offre par ailleurs
une vraie chance de renforcer et de promouvoir le respect des droits de
l’homme aux frontières extérieures de l’Union européenne. Ne la
laissons pas passer!
2. Frontex,
nécessaire mais perfectible sur les questions de droits de l’homme
2.1. Structure et activités
5. Frontex est une agence de l’Union européenne dotée
d’une autonomie juridique, administrative et financière. Elle est
dirigée par un conseil d’administration composé des représentants
des chefs des services nationaux compétents pour les questions frontalières
dans les 25 Etats de l’Union européenne signataires de l’acquis
Schengen et de deux membres de la Commission européenne
. L’Agence est
administrée par un directeur exécutif nommé par le conseil d’administration
sur proposition de la Commission européenne, pour un mandat de cinq
ans renouvelable une fois.
6. Au cours de mes deux missions d’information (l’une à Bruxelles
et l’autre au siège de Frontex, à Varsovie), j’ai pu me rendre compte
que l’Agence n’était pas active que sur le terrain. Elle s’emploie
également à élaborer et à appliquer des analyses communes et intégrées
des risques aux frontières extérieures de l’Union européenne. Des
opérations conjointes aux frontières terrestres, maritimes et aériennes
extérieures sont lancées sur la base de ces analyses des risques.
Frontex peut aussi aider les Etats membres à organiser des opérations
de retour conjointes pour des personnes en séjour irrégulier sur
le territoire de l’Union européenne. Enfin, l’Agence soutient la
formation des gardes-frontières nationaux et facilite la recherche
et le développement dans le domaine de la sécurité des frontières.
7. Le budget de Frontex est en constante augmentation. Pour sa
première année de fonctionnement, il était de 6,2 millions d’euros;
en 2006, il atteignait 19,2 millions d’euros. Le budget prévisionnel
pour 2012 s’élevait à 84,96 millions d’euros. On voit par là que
la sécurité des frontières est l’une des principales priorités des
Etats membres de l’Union européenne.
2.2. Frontex et les
droits de l’homme
8. Frontex est un organisme jeune, auquel il a été reproché
de ne pas mener ses opérations coordonnées dans le plein respect
des obligations européennes en matière de droits de l’homme. D’après
les organisations internationales et les organisations non gouvernmentales
(ONG), les inquiétudes quant au respect des droits de l’homme par
Frontex tiennent non seulement aux opérations de l’Agence, mais
aussi à sa structure
. J’examinerai
dans ce rapport les principales préoccupations exprimées et la réponse
que Frontex y apporte.
9. De fait, plusieurs lacunes graves ont été constatées, dues
entre autres à un manque de transparence, à un manque de clarté
quant aux rôles et aux responsabilités et à un manque de contrôle
démocratique, en particulier concernant les accords avec des pays
tiers. Elles ont suscité une saine réaction de la part de Frontex comme
des institutions de l’Union européenne. En mars 2011, l’Agence a
adopté une Stratégie en matière de droits fondamentaux et un Code
de conduite et, en juin 2011, le Conseil, le Parlement européen
et la Commission européenne sont parvenus à un accord politique
sur des propositions visant à renforcer le cadre juridique de Frontex
et à garantir le plein respect des droits fondamentaux dans ses
activités (voir le point 5 ci-dessous).
3. Inquiétudes pour
les droits de l’homme au niveau opérationnel
10. Les activités opérationnelles des Etats membres de
l’Union européenne coordonnées par Frontex comprennent des opérations
conjointes et des projets pilotes. Elles se divisent en quatre secteurs:
opérations terrestres, aériennes et maritimes, et assistance aux
Etats pour l’organisation des opérations de retour conjointes. Le
présent chapitre s’intéressera aux opérations maritimes coordonnées
par l’Agence et aux opérations de retour conjointes, pour lesquelles
les préoccupations en matière de droits de l’homme sont les plus
manifestes.
11. Les opérations conjointes (qu’il s’agisse d’opérations terrestres,
aériennes ou maritimes ou d’opérations de retour) se déroulent sous
l’autorité du pays hôte. D’autres Etats membres et pays associés
à l’espace Schengen y participent en déployant leur équipement et
leur personnel. Bien que ce personnel reste sous l’autorité du pays
d’envoi et doive respecter à la fois la législation du pays d’envoi
et celle du pays hôte, le rôle de Frontex dans la préparation et
l’exécution des opérations conjointes reste non négligeable.
3.1. Opérations maritimes
coordonnées par Frontex
12. Ces opérations consistent principalement à surveiller
les frontières maritimes. En 2011, près des deux tiers du budget
total consacré aux opérations conjointes sont allés à des opérations
maritimes; au total 48 opérations de ce type ont été coordonnées
par Frontex entre 2006 et 2012. J’ai été informé que les opérations maritimes
conjointes de surveillance des frontières coordonnées par l’Agence
se transformaient souvent en opérations de recherche et de sauvetage
(«opérations SAR», pour
Search And Rescue).
La commission des libertés civiles, de la justice et des affaires
intérieures du Parlement européen (LIBE) a demandé à Frontex d’améliorer
ses opérations de recherche et de sauvetage et retenu près de 10 millions
d’euros sur le budget 2013 de l’Agence jusqu’à l’adoption de mesures
concrètes, dont Frontex est invitée à rendre compte. Le directeur
exécutif de Frontex, intervenant devant la commission LIBE le 11 octobre
2012 sur cette question, a souligné que les activités de recherche
et de sauvetage étaient prévisibles lors des opérations maritimes
et qu’elles étaient donc considérées comme un «point de départ»
plutôt que comme une exception lors de la planification des activités
en mer de Frontex
.
13. Des milliers de migrants tentent chaque année de gagner l’Union
européenne par la mer dans des conditions épouvantables. Le récent
rapport de l’Assemblée parlementaire intitulé «Vies perdues en Méditerranée:
qui est responsable?» (
Doc.
12895) en donne un exemple tragique. Selon l’Organisation maritime
internationale (OMI), ces dernières années, environ 90 % des interceptions
d’embarcations dangereuses se sont produites dans le cadre d’opérations
maritimes conjointes coordonnées par Frontex et ont été exécutées
par des navires participant à ces opérations
.
14. Bien qu’elle ne soit pas mandatée pour conduire des opérations
SAR, l’Agence, grâce aux équipements et au personnel qu’elle déploie,
facilite en pratique ces activités et sauve des vies en mer en interceptant
des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés, ainsi que
des passeurs. Cependant, la capacité de l’Agence à aider les Etats
membres à mener des opérations SAR (telle qu’elles sont prévues
à l’article 2.1.da) dépend largement de la
volonté de ces derniers de fournir du personnel et des équipements.
15. J’aimerais donner un exemple concret de ce type de contrôle
aux frontières maritimes. L’opération Hermès, coordonnée par Frontex,
s’est déroulée du 20 février 2011 au 31 mars 2012, avec un budget
de 12,16 millions d’euros. Cette opération conjointe, engagée à
la demande de l’Italie, consistait à mettre en œuvre une surveillance
coordonnée des frontières maritimes. Les Etats membres participants
avaient déployé des moyens
navals et aériens – toutefois limités – pour aider l’Italie à contrôler
les flux de migration irrégulière en provenance de Tunisie vers
le sud du pays, principalement Lampedusa et la Sardaigne.
16. L’objecif principal de l’opération Hermès était toutefois
d’effectuer une analyse de risques pour différents scénarios migratoires
liés au Printemps arabe en Afrique du nord, afin d’accroître les
capacités de réaction italiennes. Par conséquent, les Etats membres
avaient aussi mis à disposition des spécialistes du filtrage et des
interrogatoires, chargés de recueillir des informations permettant
d’analyser la nationalité des migrants et leurs trajets une fois
arrivés en Europe, ainsi que de détecter et de prévenir d’éventuelles
activités criminelles.
– Motifs de préoccupation
17. La conduite de ces opérations maritimes pose une série de
problèmes. Si les Etats membres sont tenus de respecter les droits
de l’homme lorsqu’ils mènent des activités de surveillance des frontières
maritimes dans leurs propres eaux territoriales, la question est
plus complexe en haute mer et dans les eaux territoriales d’un pays
tiers.
18. Les opérations maritimes coordonnées par Frontex se déroulent
le plus souvent dans les zones contiguës et en haute mer. La décision
du Conseil 2010/252/UE, qui visait à étendre le champ d’application territorial
du Code frontières Schengen, autorise les activités de surveillance
des frontières maritimes dans ces zones. Cette surveillance devait
respecter les droits fondamentaux
. Cependant, dans un arrêt du 5 septembre
2012, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a annulé cette
décision pour vice de forme, exprimant dans le même temps des préoccupations
quant aux éventuelles conséquences de telles opérations pour les
droits de l’homme
.
19. Ayant à statuer sur la question des interceptions en haute
mer, la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»), dans
son arrêt dans l’affaire
Hirsi Jamaa
et autres c. Italie, a précisé l’étendue des responsabilités
des Etats membres concernant les opérations de gestion des frontières
hors de leurs eaux territoriales. Selon la Cour, lorsqu’un Etat
exerce son autorité sur un individu en dehors de son territoire,
il est tenu de satisfaire aux obligations en matière de droits de
l’homme découlant de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5, «la Convention») envers cet
individu, afin d’éviter une absence de protection
. Cela englobe
l’interdiction de renvoyer une personne dans un pays où elle serait
exposée à un risque réel d’être soumise à de mauvais traitements
et la garantie du droit à un recours effectif avant l’application
de la mesure d’éloignement
. Concernant le problème des
expulsions collectives, la Cour a considéré que leur interdiction
s’appliquait aussi aux actions extraterritoriales, même s’agissant
du renvoi d’étrangers dans un pays tiers effectué en dehors de leurs
eaux territoriales.
20. La participation de Frontex à des opérations d’interception
et de prise en charge de personnes qui pourraient avoir besoin d’une
protection internationale a donc bien des conséquences sur les droits
de l’homme. A cet égard, l’un des problèmes majeurs tient à la nécessité
de garantir que pour toutes les interceptions au cours d’opérations
maritimes coordonnées par Frontex, les personnes interceptées aient accès
à une protection internationale conforme au principe de non-refoulement.
Les Etats membres doivent veiller à ce que les personnes interceptées
en mer soient débarquées dans un endroit où soient garantis non seulement
leur sécurité physique, mais aussi le respect de leurs droits. Ces
droits englobent le droit à un examen individuel et équitable des
demandes d’asile.
21. De fait, aucun rapport de Frontex ne mentionne la présence
de demandeurs d’asile ou de personnes vulnérables, par exemple de
mineurs non accompagnés, lors d’opérations en mer. D’après Amnesty International
et le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (CERE), Frontex
ne sait pas si des demandes d’asile ont été déposées pendant les
opérations d’interception, étant donné qu’elle ne recueille pas ces
informations et que les Etats membres ne les lui communiquent pas
.
Cela doit changer: l’Agence devrait être tenue de présenter une
liste des individus interceptés au cours de ses opérations ayant
besoin d’une protection internationale.
22. Néanmoins, les agents de Frontex qui s’entretiennent avec
les migrants après leur débarquement reçoivent parfois des demandes
d’asile ou des informations à cet égard. Ils ne sont toutefois pas
tenus de transmettre ces informations aux autorités nationales compétentes
et les plans opérationnels de Frontex ne fournissent aucune instruction
à ce sujet aux agents déployés, lesquels ne disposent pas non plus
des compétences requises. En outre, Human Rights Watch a signalé
que les activités de Frontex risquaient également d’exposer les
migrants à des conditions de détention qui équivalaient à un traitement
inhumain ou dégradant. D’après le rapport de l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne (FRA), le risque de refoulement
informel de nationaux de pays tiers vers la Turquie a diminué avec
le déploiement d’opérations de Frontex en Grèce
.
23. Le respect des obligations en matière de protection internationale
et du principe de non-refoulement ne peut être assuré que si ces
obligations se traduisent dans les procédures opérationnelles, à
travers des directives claires et pratiques à l’intention des gardes-frontières
(aux frontières terrestres, maritimes et aériennes). Dans son rôle
de coordination d’opérations conjointes, Frontex doit veiller à
ce que les gardes-frontières disposent d’un savoir spécifique et
pratique et du savoir-faire leur permettant d’identifier les personnes
nécessitant une protection internationale et de répondre efficacement
à toute demande d’asile, et à ce que des informations relatives
à la protection soient fournies aux autorités nationales. Par conséquent, les
entretiens avec les migrants devraient être normalisés et les agents
déployés devraient recevoir une formation préalable sur les normes
des droits de l’homme et les obligations de protection internationale,
avec l’aide de la FRA, du Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) et d’autres organisations concernées.
24. Les défis en matière de droits de l’homme sont particulièrement
prégnants lors des opérations conjointes de surveillance des frontières
exécutées dans les eaux territoriales d’un pays tiers et donnant
lieu à l’interception d’embarcations de migrants. D’après Migreurop,
ces opérations coordonnées par Frontex peuvent notamment faire obstacle
au droit de chacun à quitter son pays
.
Dans le cadre de l’opération conjointe Hera, par exemple, des navires
de Frontex avec à leur bord des agents de pays tiers ont patrouillé dans
les eaux territoriales de la Mauritanie et du Sénégal et intercepté
des embarcations de migrants pour empêcher leur départ vers les
îles Canaries. L’opération a permis, pour la seule année 2008, de
ramener presque 6 000 personnes sur les côtes africaines.
25. Dans sa
Résolution
1821 (2011) sur l'interception et le sauvetage en mer de demandeurs
d’asile, de réfugiés et de migrants en situation irrégulière, l’Assemblée
a demandé aux Etats membres de garantir à toutes les personnes interceptées
un traitement humain et le respect systématique de leurs droits,
y compris lorsque, sur la base d’un accord bilatéral, ils exercent
une compétence de droit ou de fait en interceptant des embarcations
de migrants dans les eaux territoriales d’un autre Etat.
26. Autre problème grave: celui de la non-assistance à personne
en danger. Les allégations les plus récentes concernent un avion
de Frontex qui aurait, en octobre 2012, survolé une embarcation
de migrants en détresse sans lui porter assistance ni engager d’opération
SAR. Au moins 56 de ces migrants ont trouvé la mort
.
Si ces allégations s’avèrent fondées, il s’agit d’une situation
inacceptable. Frontex doit veiller à ce que son personnel ou ses
agents déployés informent au plus vite les autorités compétentes
et à ce que les mesures nécessaires au lancement d’une opération
SAR soient prises.
3.2. Opérations de retour
conjointes coordonnées par Frontex
27. Les opérations de retour conjointes coordonnées par
Frontex concernent les ressortissants de pays tiers visés par une
décision, émise par un tribunal ou par un organe administratif,
qui les oblige à retourner dans leur pays d’origine. Certains refusent
d’obtempérer et sont renvoyés de force. Je n’entrerai pas dans les
détails concernant cette pratique, étant donné que Mme Virolainen
a été chargée d’un rapport sur les «Retours effectifs et équitables
des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile
déboutés» (
Doc. 12771) et examinera cette question en profondeur. J’aimerais
toutefois signaler que l’Agence peut aider les Etats membres à organiser
ce type d’opérations de retour conjointes avec la participation
des gardes-frontières nationaux.
28. Frontex peut être amenée à coordonner des retours par voie
aérienne quand plusieurs ressortissants étrangers en provenance
de différents Etats membres de l’Union européenne sont embarqués
sur un même vol. D’après les informations transmises par Frontex
à la FRA, en 2011, 2 059 personnes ont été renvoyées de force au
cours de 42 opérations conjointes. J’ai été informé que l’Agence
rédigeait en ce moment un code de conduite spécifique sur les opérations
de retour, conforme au Règlement Frontex modifié. Une fois adopté, ce
Code devra être appliqué au plus vite.
– Motifs de préoccupation
29. Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme se
disent préoccupées par ces opérations de retour conjointes. Des
mauvais traitements se seraient produits lors de vols de retour
coordonnés par Frontex
et il est à craindre que certaines opérations
de retour conjointes aient constitué une expulsion collective
. Lorsque ces
interventions visent des groupes nationaux spécifiques, elles doivent
être menées avec prudence, puisqu’elles peuvent éveiller des soupçons
de discrimination raciale dans le fonctionnement de l’Agence. En
outre, la politique de l’Agence consistant à s’abstenir d’analyser
les motifs des décisions de retour peut entrer en contradiction
avec le principe de non-refoulement.
30. A ce jour, les opérations de retour conjointes ne font l’objet
d’aucun contrôle indépendant et généralisé de la part d’agents extérieurs,
bien que la Directive Retour de l’Union européenne
oblige
les Etats membres à prévoir un mécanisme de contrôle assurant le
respect de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
D’après la FRA, seuls quatre pays contrôlent actuellement les opérations
de retour conjointes coordonnées par Frontex
.
Une étude commandée par la Commission européenne a montré qu’au
moins 13 Etats membres ne disposaient pas de véritable mécanisme
de contrôle
.
31. Par conséquent, l’Agence ne devrait mener d’opération de retour
conjointe qu’à partir des Etats membres qui ont mis en place un
mécanisme de contrôle effectif. Les organismes de contrôle et les
agents déployés devraient également transmettre des comptes rendus
à Frontex. Réciproquement, seuls les Etats membres ayant instauré
un mécanisme effectif de contrôle des retours forcés devraient pouvoir
bénéficier des opérations de retour conjointes coordonnées par Frontex
et des financements associés à ces opérations.
32. Plusieurs questions restent également en suspens concernant
la répartition des compétences lorsque plusieurs pays participent
avec Frontex à des vols de retour groupés. Frontex devrait donc
élaborer des garanties et procédures pour que les opérations de
retour conjointes respectent pleinement les normes des droits de
l’homme, en prévoyant la formation des responsables des escortes,
la mise en œuvre de solutions relevant de bonnes pratiques et la
définition des critères à prendre en compte pour éventuellement
mettre fin à une opération. Il est également crucial de mettre en
place un mécanisme de recours pour les personnes reconduites et
de faire figurer leurs témoignages dans les rapports.
33. Le droit à la protection des données à caractère personnel,
garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de
l’homme, est également source de préoccupation. De fait, les opérations
de retour conjointes de ressortissants étrangers expulsés par voie
aérienne du territoire de l’Union européenne donnent lieu à la collecte
de données personnelles; ce sont parfois des données sensibles,
portant sur l’état de santé des intéressés ou sur leur condamnation
pour un délit ou un crime. Le Contrôleur européen de la protection des
données a émis en 2010 un avis sur cette pratique, dans lequel il
observe que Frontex n’a jusqu’ici prévu aucune procédure particulière
pour octroyer des droits aux personnes reconduites en matière de
protection des données et pour les informer des données recueillies
à leur sujet avant qu’elles ne soient traitées
.
La transparence devrait être mieux respectée dans ce domaine. Les
Etats membres organisateurs transmettent également aux autorités
des pays tiers les noms des personnes reconduites, afin de vérifier
qu’elles ont le droit d’entrer sur le territoire, mais leur sécurité
n’est pas garantie, alors que certaines d’entre elles risquent d’être arrêtées
et détenues à leur arrivée.
4. Inquiétudes pour
les droits de l’homme au niveau structurel
4.1. Manque de transparence
34. Selon la plupart des ONG, le manque de transparence
quant à la nature des opérations menées sur le terrain et à leurs
incidences sur les droits de l’homme constitue une menace réelle
pour le respect des droits fondamentaux. Une étude du Parlement
européen consacrée à l’application de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne souligne que «la politique de contrainte de
Frontex, associée à une culture du secret et à un manque de transparence,
exacerbe la vulnérabilité des personnes» qui tentent de traverser
les frontières européennes en quête d’une vie meilleure en Europe
.
Cette étude évoque clairement un «cruel manque d’informations» concernant
la nature des opérations, leur impact sur le terrain et leur compatibilité
avec le cadre juridique de l’Union européenne.
35. Ce manque de transparence entraîne une déresponsabilisation
démocratique et publique. Des progrès en matière de transparence
et de communication sont donc indispensables, en particulier de
la part des Etats membres, et l’Agence doit observer pleinement
les obligations à ce sujet qui découlent de l’article 28 de son Règlement.
36. De ce fait, il est important que le Parlement européen exerce
son pouvoir de contrôle sur Frontex et appelle les Etats membres
à travailler avec l’Agence pour assurer la protection des droits
fondamentaux.
37. En outre, un contrôle indépendant, aboutissant à des conclusions
rendues publiques, est de la plus haute importance pour assurer
la transparence et la crédibilité de l’Agence. A ce jour, aucun
mécanisme de contrôle indépendant n’est en place pour aider Frontex
à évaluer les conséquences de ses opérations sur les droits de l’homme.
L’Agence a cependant nommé une Responsable des droits fondamentaux,
qui est entrée en fonction en décembre 2012. Elle est principalement
chargée de mettre en place un système de contrôle et de signaler
toute atteinte éventuelle aux droits fondamentaux au conseil d’administration
et au Forum consultatif de Frontex. Les recommandations du Forum
consultatif sur les droits de l’homme, récemment mis en place, contribueront
aussi à accroître la transparence des activités de Frontex.
38. En matière de transparence, il ne faut pas seulement changer
les procédures, mais aussi faire évoluer les mentalités. Après vingt-cinq
ans de carrière dans la police, je suis moi-même bien placé pour
connaître les risques de développement d’une sous-culture du secret
au sein des autorités répressives.
4.2. Manque de clarté
sur les compétences et les responsabilités
39. Bien que les effectifs et le matériel déployés pour
mener à bien les opérations de retour et projets pilotes conjoints
restent placés sous l’autorité de l’Etat d’envoi et de l’Etat d’accueil,
Frontex joue un rôle essentiel dans leur élaboration et leur mise
en œuvre, comme nous l’avons vu plus haut. Pourtant, le cadre juridique
ne précise pas les compétences et les responsabilités de l’Agence.
40. Comme le Règlement Frontex (article 3.1) autorise l’Agence
à «prendre l’initiative d’opérations conjointes et de projets pilotes»,
on peut considérer que Frontex pourrait être tenue responsable,
en partie au moins, de la manière dont ces activités sont menées
concrètement lorsqu’elle en a pris l’initiative
. Le même texte précise
toutefois (article 1.2) que «la responsabilité du contrôle et de
la surveillance des frontières extérieures incombe aux Etats membres».
41. Bien que le Règlement Frontex prévoie aussi la responsabilité
civile et pénale des Etats membres concernant le déploiement d’agents
invités dans un Etat membre hôte (article 10
ter et
quater), il n’existe pas de règle
claire pour déterminer les responsabilités de Frontex lorsque ses
actions entraînent des préjudices. Human Rights Watch souligne que
le Règlement n’instaure aucun mécanisme qui permette de demander
des comptes à l’Agence en cas de violation des droits de l’homme
.
42. Il est donc nécessaire d’établir un mécanisme de recours pour
les personnes affectées par les activités de Frontex. Au cours de
ma mission d’information, les agents de Frontex ont exprimé des
réserves concernant la mise en place d’un tel mécanisme. En effet,
Frontex fait régulièrement valoir qu’elle «se limite» à coordonner les
activités des Etats membres et des pays associés à l’espace Schengen
et que, par conséquent, elle n’en porte pas la responsabilité. Selon
ce raisonnement, seules les autorités des Etats membres où se déroule l’opération
ou qui participent à celle-ci peuvent se livrer à des activités
susceptibles de porter atteinte aux droits d’une personne.
43. Je nourris quelques doutes quant à cette interprétation restrictive,
selon moi par trop simpliste et qui ne résisterait pas à l’analyse
d’un tribunal. Par exemple, les attributions de l’Agence en matière
de coordination englobent la préparation et la mise en œuvre d’opérations
conjointes et de projets pilotes, et ont donc des répercussions
sur la manière dont ces activités sont entreprises. Il faut que
Frontex reconnaisse son implication dans les projets qu’elle coordonne
et qu’elle finance.
44. Pour Frontex, les personnes qui estiment que leurs droits
ont été violés devraient, pour porter plainte, se tourner vers les
mécanismes nationaux et vers ceux de l’Union européenne
. En vertu des dispositions du Code
de conduite de Frontex, toutes les personnes participant à des activités
de Frontex ayant des raisons de croire qu’une violation du Code
– y compris une violation de droits fondamentaux – s’est produite
ou est sur le point de se produire devrait le signaler à Frontex
par les voies appropriées
. Cependant, ce signalement n’est pas
obligatoire et l’Agence n’est pas habilitée à examiner les dossiers
et ne peut que les transmettre aux autorités nationales concernées.
45. Concernant les mécanismes de plainte au niveau de l’Union
européenne, depuis l’adoption du Traité de Lisbonne, «la Cour de
justice de l’Union européenne a pleine compétence pour effectuer
un contrôle de légalité ou fournir une interprétation afin de guider
les agences de l’Union européenne dans leur action (articles 263, 265
et 267 TFUE)»
. Frontex est donc responsable
de certains types de comportement devant la Cour (recours en manquement,
décisions préliminaires sur la validité des actes). Toutefois, il
n’est pas prévu de compenser les préjudices causés par l’intervention
de l’Agence lors d’opérations. De plus, le Traité de Lisbonne n’étend
pas la compétence de la CJUE au contrôle des agences.
46. Cependant, l’article 19 du Règlement Frontex prévoit qu’en
matière de responsabilité extracontractuelle, la CJUE est compétente
pour les litiges concernant la réparation des dommages causés par
les services de Frontex ou par ses agents dans l’exercice de leurs
fonctions. Dans pareille circonstance, la CJUE peut connaître des
litiges portant sur des dommages.
47. Les voies permettant de porter plainte contre Frontex ou contre
l’Union européenne au niveau européen sont réduites, mais cette
situation pourrait changer. La principale conséquence de l’adhésion
de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme
serait d’ouvrir la possibilité de déposer des requêtes individuelles
contre l’Union européenne devant la Cour européenne des droits de
l’homme. Il reviendrait alors à la Cour de Strasbourg de définir
une éventuelle responsabilité de l’Union européenne pour les opérations
coordonnées par Frontex.
48. Le problème consiste à savoir où commence et où s’arrête la
responsabilité de l’Agence et à déterminer, au cas par cas, qui
devrait répondre du comportement mis en cause. Qu’en est-il des
cas impliquant d’autres intervenants dont la responsabilité n’est
pas couverte par les dispositions du Règlement Frontex? Dans quelle mesure
la responsabilité doit-elle être partagée entre le pays hôte, le
pays participant et Frontex? Toutes ces questions demeurent aujourd’hui
sans réponse.
49. Ce flou sur les responsabilités est inacceptable. En cas de
problème présumé, il permet à l’Union européenne (ou à son Agence)
et aux Etats membres de se renvoyer sans fin la balle. Outre que
cela sape la crédibilité de Frontex, cela va aussi à l’encontre
des principes fondamentaux d’un Etat de droit.
4.3. Manque de contrôle
démocratique sur les accords avec des pays tiers
50. Le Règlement Frontex modifié confère à l’Agence la
personnalité morale et l’autorise à coopérer avec les autorités
de pays tiers ou avec des organisations internationales. S’agissant
des pays tiers, il m’a été indiqué à Varsovie que Frontex s’attachait
principalement à conclure des accords avec les pays en phase d’adhésion
ou de préadhésion ainsi qu’avec les pays de transit et d’origine.
A ce jour, Frontex a conclu des accords de travail avec 17 pays
.
Des négociations sont en cours avec huit autres pays tiers
.
51. La coopération est censée être concrète et opérationnelle.
Dans sa version modifiée, le Règlement Frontex autorise l’Agence
à lancer et à financer des projets d’assistance technique dans des
pays tiers, dans des domaines entrant dans son champ d’application.
Ces projets prennent notamment la forme d’activités de renforcement
des capacités dans des pays tiers et consistent non seulement à
fournir un concours financier et des équipements, mais aussi à assurer
des formations. Les accords mis en place peuvent également comprendre
des dispositions relatives aux retours. La portée de ces accords,
qui ne sont pas publics, est généralement assez floue.
52. Ces accords de travail avec des pays tiers peuvent avoir des
conséquences sur les droits de l’homme et pourraient même entraîner
des violations de ces droits. La coopération avec certains pays
pose le problème préoccupant de la manière dont les migrants sont
traités à leur retour ou lorsqu’ils sont interceptés sur la base de
renseignements communiqués par le pays partenaire. Par exemple,
vu le traitement réservé aux migrants, aux réfugiés et aux demandeurs
d’asile en Libye et sachant que ce pays n’a pas ratifié la Convention
de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, les renvois dans
ce pays risquent de ne pas être conformes aux obligations découlant
de la Convention européenne des droits de l’homme.
53. Par ailleurs, je crois savoir que, même si le Parlement européen
a un droit de regard sur ces accords et est tenu informé de toutes
les relations entre Frontex et des tiers, aucun accord ne lui a
été soumis à ce jour. Compte tenu des conséquences de ces textes
pour les droits de l’homme, il serait judicieux que le Parlement européen
soit invité à les approuver au préalable.
5. Réponse de l’Union
européenne à ces préoccupations : une approche davantage fondée
sur les droits de l’homme
54. Les préoccupations mentionnées ci-dessus ont suscité
deux grandes réactions de la part de Frontex et des institutions
de l’Union européenne. La première a consisté à soutenir une Stratégie
en matière de droits fondamentaux, adoptée le 31 mars 2011, et la
seconde à intégrer la protection des droits de l’homme au cadre juridique
en modifiant le Règlement Frontex, le 25 octobre 2011
,
afin de veiller à ce que Frontex observe pleinement ses obligations
en matière de droits fondamentaux dans toutes ses activités. Le
21 mars 2011, l’Agence a également approuvé un Code de conduite
pour tous les participants à ses activités, code qui comprend des
dispositions relatives au respect des droits fondamentaux et à la
protection internationale.
55. Malgré ces importants changements, qui montrent que Frontex
a profondément évolué au cours des dernières années, le principal
défi consiste à appliquer pleinement ces dispositions en matière
de droits de l’homme dans la pratique et dans le contexte de toutes
les activités de Frontex.
56. En matière de suivi, le 6 mars 2012, le Médiateur européen
a pris l’initiative d’ouvrir une enquête sur la manière dont Frontex
s’acquittait des obligations énoncées dans sa Stratégie en matière
de droits fondamentaux. D’après ce que m’a dit le Médiateur européen
lors de notre rencontre du 26 juin 2012, cette initiative n’a pas
été déclenchée par des soupçons particuliers. Je tiens à remercier
Frontex de m’avoir remis une copie de sa réponse au Médiateur avant
sa publication, car elle permet de bien comprendre la position de l’Agence
concernant les droits fondamentaux
.
5.1. Nécessité de mettre
en œuvre la Stratégie en matière de droits fondamentaux
57. Aux termes de l’article 26 bis du
Règlement Frontex, «[l]’Agence conçoit, développe et met en œuvre
sa stratégie en matière de droits fondamentaux» et «met en place
un mécanisme efficace pour contrôler le respect des droits fondamentaux
dans toutes ses activités».
58. La Stratégie de Frontex en matière de droits fondamentaux
a été établie à l’issue d’un processus de consultation auquel ont
été associés des représentants des Etats membres, de la Commission
européenne, de Frontex et d’organisations internationales, telles
que la FRA, le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations
(OIM).
59. La Stratégie dispose que «[l]e respect des droits fondamentaux
est une composante essentielle de la gestion intégrée des frontières»
(article 1). Elle définit les objectifs et les mesures à prendre
pour se conformer aux droits de l’homme. Elle souligne également
la nécessité d’une véritable mise en œuvre de ses dispositions.
60. Cependant, ce texte n’apporte pas d’éclaircissement sur les
situations dans lesquelles la responsabilité de Frontex est engagée.
Conformément à l’article 13 de la Stratégie, l’Agence décline toute
responsabilité en la matière, arguant que «[l]es Etats membres demeurent
responsables au premier chef» de la mise en œuvre des obligations
juridiques applicables et donc aussi «du respect des droits fondamentaux
au cours de ces activités» (article 13). Le texte poursuit toutefois:
«Cela n’exonère pas Frontex de ses responsabilités en tant qu’organisme
coordinateur et l’Agence demeure pleinement responsable de toutes
les actions et décisions prises dans le cadre de son mandat. Frontex
doit particulièrement s’attacher à mettre en place les conditions permettant
d’assurer le respect des obligations en matière de droits fondamentaux
dans toutes les activités».
61. L’application de la Stratégie devrait être rendue possible
à travers, entre autres, le Plan d’action pour les droits fondamentaux
rédigé par les mêmes parties prenantes et adopté par le conseil
d’administration de Frontex le 29 septembre 2011
. Ce plan d’action présente, en vingt mesures,
comment Frontex peut appliquer la Stratégie aux activités opérationnelles
(analyse des risques, opérations conjointes et opérations de retour
conjointes), au renforcement des capacités (formation, recherche
et développement) et aux activités horizontales (telles que les
relations extérieures, la communication et la diffusion d’informations).
Il m’a été expliqué qu’un rapport d’activités annuel sur la mise
en œuvre de la Stratégie serait présenté au conseil d’administration
de Frontex et rendu public.
62. Malgré les bonnes intentions exprimées dans la Stratégie en
matière de droits fondamentaux, la plupart de ses dispositions ne
se sont pas encore traduites dans la pratique. Par exemple, la Stratégie
prévoit une formation aux droits de l’homme pour tout le personnel
de Frontex, projet préparé en commun par la FRA, le HCR et Frontex.
Bien que la structure et le contenu de la formation aient été définis
et les formateurs sélectionnés depuis plus d’un an, la mise en œuvre
n’a pas encore commencé. Pour assurer un véritable contrôle démocratique,
un dispositif de suivi devrait être mis en place afin de s’assurer
de la mise en œuvre de la Stratégie de Frontex en matière de droits
fondamentaux, de mesurer son impact et de formuler des recommandations
éventuelles sur les indicateurs de changement. Ce dispositif devrait
être extérieur à l’Agence, transparent et indépendant.
5.2. Dispositions en
matière de droits de l’homme ajoutées au Règlement Frontex
63. Conformément au Règlement Frontex modifié, le Forum
consultatif de Frontex sur les droits fondamentaux a été instauré
en octobre 2012, avec pour mission de soutenir et de conseiller
le directeur exécutif et le conseil d’administration sur les réformes
structurelles à apporter à l’Agence pour améliorer la promotion
et le respect des droits fondamentaux dans toutes ses activités
.
64. Le Forum réunit plusieurs institutions, experts et organisations
de la société civile jouant un rôle majeur en Europe, dont le Conseil
de l’Europe, le Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH), le HCR, la FRA, le Bureau européen d’appui
en matière d’asile (EASO), l’OIM et neuf organisations de la société
civile
. En septembre 2012, le conseil
d’administration de Frontex a adopté les méthodes de travail du
Forum consultatif. En janvier 2013, celui-ci a adopté son programme
de travail pour 2013.
65. Le Forum consultatif doit préparer un rapport annuel d’activité
qui sera rendu public; reste à voir si ce rapport aura un impact.
Le Forum n’aura pas de pouvoir de contrôle mais uniquement un rôle
consultatif, consistant à formuler des avis et des recommandations.
Il devrait donc être envisagé de conduire en 2014-2015 une étude
d’impact pour savoir si les recommandations du Forum consultatif
ont été suivies d’effet.
66. Le 27 septembre 2012, le conseil d’administration de Frontex
a nommé Mme Inmaculada Arnáez Fernández au poste de responsable
des droits fondamentaux, avec pour mission de contrôler le respect
des droits fondamentaux et de présenter des rapports réguliers au
conseil d’administration, au Forum consultatif et au directeur exécutif.
67. La Responsable des droits fondamentaux a accès à toutes les
informations liées au respect des droits fondamentaux pour toutes
les activités de Frontex. Cependant, le Règlement ne précise pas
clairement quelles sont ses compétences, si elle pourra recevoir
des plaintes individuelles et si ces informations seront rendues publiques.
68. Point important, le poste de responsable des droits fondamentaux
est censé être occupé par un agent indépendant. Je souhaite souligner
que ce dispositif présente plusieurs points faibles. L’objectif d’indépendance
ne peut être atteint s’il s’agit d’un agent ordinaire, et relève
par conséquent de l’autorité hiérarchique du directeur exécutif
de Frontex, et s’il/elle n’est pas entouré(e) d’une équipe qui lui
permette de suivre les activités de l’Agence. En effet, une seule
personne (secondée par un assistant) ne peut s’acquitter correctement
d’une tâche aussi complexe. D’après l’article 26.bis.3
du Règlement, le Responsable des droits fondamentaux rend compte
au conseil d’administration et au forum consultatif. En outre, il/elle
devrait aussi être encouragé(e) à signaler directement au Parlement
européen les problèmes de droits de l’homme soulevés par les activités
de Frontex et les mesures à prendre pour y remédier. Par ailleurs,
le mandat du/de la Responsable des droits fondamentaux, qui demande
au titulaire du poste d’«agir en toute indépendance dans l’intérêt
de Frontex», semble contradictoire: si la Responsable des droits
fondamentaux agit de manière véritablement indépendante, elle n’ira
peut-être pas toujours dans le sens des intérêts directs de Frontex.
69. Selon une autre disposition ajoutée au Règlement Frontex (article 2,
paragraphe 1.a), les analyses de risques réalisées
par l’Agence et les opérations conjointes qu’elle coordonne devraient
tenir compte de la situation particulière des personnes en quête
de protection internationale en vertu du principe de non-refoulement
et de celle des personnes ou des groupes vulnérables nécessitant
une protection ou une prise en charge spécifique (mineurs isolés
et non accompagnés, femmes, victimes de la traite, personnes ayant
besoin de soins médicaux). Frontex m’a garanti que ce serait fait.
70. Par ailleurs, Frontex devrait consulter ses partenaires extérieurs
quant aux instructions ou lignes directrices à mettre en place pour
les agents déployés participant à ses activités. Ces instructions
devraient être intégrées à chaque plan opérationnel afin d’identifier
les personnes ayant besoin d’une protection internationale, y compris
les victimes potentielles de la traite. Frontex doit aussi respecter
les principes de non-discrimination et de protection des données.
71. Les nouvelles règles demandent en outre à l’Agence de mettre
en place un mécanisme de signalement effectif afin que tout incident
ou violation présumée des droits fondamentaux soient immédiatement
signalés par les agents participants ou par les membres du personnel
de Frontex et que des mesures puissent être prises. Il est intéressant
de noter que l’Agence dispose déjà d’un système de signalement normalisé
pour chaque opération et d’une procédure normalisée pour garantir
le respect des droits fondamentaux dans le cadre des opérations
conjointes et des projets pilotes (décision du directeur exécutif
du 19 juillet 2012).
72. En effet, les plans opérationnels adoptés par Frontex pour
les opérations conjointes, les projets pilotes et les interventions
rapides prévoient des procédures normalisées de signalement des
incidents graves. Ce mécanisme définit les mesures à prendre si
des violations graves ou persistantes des droits fondamentaux ou des
obligations en matière de protection internationale surviennent
au cours d’activités coordonnées par l’Agence. Il s’agit d’un formulaire
en ligne validé au niveau national puis envoyé directement au centre d’incidents
de Frontex.
73. Dans l’ensemble, il semble que cette procédure ne soit pas
suffisamment appliquée, puisqu’elle n’a donné lieu qu’à un petit
nombre de signalements à ce jour. Il est aussi arrivé, comme je
l’ai appris, que des agents déployés signalent des incidents à leurs
autorités de tutelle mais non à Frontex. En outre, les agents ne
sont ni encouragés, ni incités à signaler de tels incidents ou à
fournir une évaluation individuelle des opérations sous l’angle
des droits de l’homme, et le fait de ne pas signaler une violation
des droits de l’homme n’entraîne aucune conséquence. C’est pourquoi
un nouveau mécanisme de signalement, public et transparent, devrait
être mis en place.
74. En théorie, le directeur exécutif devrait, sur la base de
ces signalements et en dernier recours, suspendre ou interrompre
les opérations conjointes ou les projets pilotes s’il estime qu’il
y a eu violation des droits fondamentaux ou des obligations en matière
de protection internationale
. Il peut également réduire
les financements consacrés à une opération. Cette procédure n’a
jamais été appliquée à ce jour. Dans sa réponse au Médiateur européen,
Frontex indique qu’aucun critère n’a été défini car «il est impossible
de prévoir les violations des droits de l’homme avant qu’elles ne
se soient effectivement produites». Là encore, un mécanisme clair
assorti de critères ou d’indicateurs d’évaluation des risques devrait
être mis en place pour orienter les agents déployés sur le terrain.
75. La mise en œuvre du mécanisme de signalement des incidents
graves représentera un dilemme pour Frontex. Dans certains pays,
chacun sait que les droits de l’homme ne sont pas toujours respectés
aux frontières. Comment l’Agence réagira-t-elle en cas de signalement
d’un incident grave? Selon Frontex, l’Agence n’a pas les moyens
d’améliorer la situation, car cela relève de la compétence souveraine
des Etats membres. N’étant habilitée qu’à informer les autorités
compétentes, à formuler des recommandations et à donner des conseils,
Frontex court le risque de devenir le témoin silencieux de violations
des droits d’homme. Ce dilemme est présenté en ces termes dans la
réponse de l’Agence au Médiateur européen: «Du fait de la complexité
des opérations, qui reposent en grande partie sur les Etats membres
et soulèvent des enjeux politiques et opérationnels considérables,
il ne sera pas toujours approprié de suspendre l’opération ou d’y mettre
un terme».
76. Enfin, Frontex doit aussi instituer un système effectif de
contrôle de l’impact de ses activités opérationnelles sur les droits
de l’homme, particulièrement nécessaire pour les opérations de retour
conjointes. Cependant, ce contrôle ne sera crédible et utile que
s’il est indépendant. Pour pouvoir exercer un contrôle efficace,
il faut savoir qui est responsable et avoir accès aux informations
sur les opérations, y compris en sélectionnant les opérations à
contrôler. En outre, les conclusions des activités de contrôle devraient
être publiées. La transparence est encore une fois le maître mot.
77. La nomination d’un(e) Responsable des droits fondamentaux,
la création du Forum consultatif et la procédure actuelle de signalement
des incidents graves sont des mesures qui vont dans le bon sens. Cependant,
contrairement à ce qui m’a été affirmé au sein de l’Agence, elles
ne sauraient suffire pour constituer un système de contrôle effectif,
tel que prévu par le Règlement Frontex (article 26 bis).
Le manque d’indépendance et de moyens de la Responsable des droits
fondamentaux, son mandat extrêmement vague et le rôle purement consultatif
du Forum constituent autant de faiblesses pour un contrôle systématique
du respect des droits fondamentaux dans toutes les activités de
Frontex et pour la proposition éventuelle de changements organisationnels
portant sur les processus et les procédures. L’efficacité de ces
deux mécanismes reste à vérifier dans la pratique.
5.3. Accords de coopération
avec des partenaires extérieurs
78. Pour faire en sorte que les gardes-frontières soient
à même de repérer les personnes vulnérables, des accords de coopération
ont été signés avec le HCR le 13 juin 2008, avec la FRA le 26 mai
2010 et avec l’EASO le 26 septembre 2012. Frontex coopère aussi
avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Un autre
accord de travail est en cours de négociation avec le Centre de
recherche conjoint.
79. L’accord de travail signé avec le HCR prévoit des consultations
régulières, des échanges d’informations et une contribution à la
formation des gardes-frontières concernant le droit international
en matière d’asile et de droits de l’homme. Afin de coopérer étroitement
avec l’Agence, le HCR a nommé un officier de liaison à Varsovie,
et il a pu participer à deux opérations conjointes afin d’aider
à repérer les mineurs vulnérables. Cet effort est considéré comme
une grande avancée en matière de coopération. Il faut espérer que
Frontex acceptera de plus en plus souvent la présence de partenaires
extérieurs, en qualité de consultants mais aussi d’observateurs,
lors de ses opérations conjointes.
80. L’accord de coopération avec la FRA met l’accent sur l’intégration
détaillée des droits fondamentaux dans des domaines clés du mandat
de Frontex tels que la formation, les opérations conjointes, la
collecte de données et un programme de formation aux droits fondamentaux
spécialement conçu pour le personnel de Frontex.
81. L’accord récemment signé avec l’EASO prévoit une coopération
dans le cadre d’activités opérationnelles et de renforcement des
capacités, en particulier par le biais de formations et d’études,
et l’échange d’informations. Les deux organismes vont notamment
renforcer leur coopération concernant l’accueil et la prise en charge
des migrants et le processus d’identification des personnes nécessitant
une protection internationale. Ils vont par ailleurs améliorer leur
coordination pour l’assistance fournie aux pays rencontrant des
difficultés (mise en place d’équipes d’experts, analyses des risques
et statistiques).
82. Malgré ces progrès encourageants, des obstacles demeurent.
L’impact des conseils fournis, des recommandations formulées et
des formations organisées n’est pas évalué; un mécanisme formel
d’évaluation de l’impact de la coopération serait bienvenu.
5.4. Vers une meilleure
formation des gardes-frontières nationaux?
83. D’après le Règlement Frontex, les agents de Frontex
et les gardes-frontières déployés lors d’opérations conjointes devraient
tous avoir reçu une formation aux droits de l’homme. Bien que beaucoup
d’efforts aient été faits pour développer des cours et des supports
de formation, les activités de formation aux droits de l’homme pour
le personnel de Frontex n’ont toujours pas commencé. La réunion
que tiennent les agents pour faire le point avant leur déploiement
n’est pas suffisante pour leur transmettre la connaissance des droits
de l’homme dont ils auront besoin s’ils sont confrontés à des incidents
graves au cours de l’opération. Davantage d’efforts sont donc nécessaires
pour généraliser et intégrer les aspects de droits de l’homme, de
protection internationale et de protection et d’identification des
victimes dans le cadre des formations dispensées, y compris sur
les questions opérationnelles.
84. Je suis convaincu que les agents de Frontex ont des connaissances
à partager avec les fonctionnaires nationaux. Prévoir une formation
à l’attention des agents de Frontex est un bon début, mais c’est
encore bien trop peu. Tous les agents et les gardes-frontières déployés
par les Etats membres (et non uniquement le personnel de terrain)
devraient bénéficier d’activités de formation aux droits de l’homme
et aux obligations de protection internationale, en coopération
avec des partenaires extérieurs dont notamment la FRA et le HCR.
85. Toutefois, les agents de Frontex ne sont pas nombreux et souvent
seul l’un d’entre eux est présent sur le terrain. Il est donc nécessaire
d’organiser davantage de sessions de formation de terrain à l’attention
des fonctionnaires nationaux, qui doivent être davantage sensibilisés
à leurs obligations en matière de droits de l’homme. Le programme
de tronc commun que l’Agence travaille à élaborer est une bonne
initiative, tout comme les sessions de formation et les formations
de formateurs déjà organisées en coopération avec le HCR. Il reste
toutefois beaucoup de chemin à parcourir dans ce domaine. Par conséquent,
des rapports d’évaluation sur les résultats des formations dispensées
par des organisations internationales comme le HCR et la FRA devraient
être rédigés et rendus publics.
86. Lorsque je me suis rendu à la frontière grecque avec une délégation
du Parlement suédois en 2011, j’ai eu l’occasion de m’entretenir
avec des gardes-frontières locaux et avec l’agent de Frontex sur
place. Il m’est apparu clairement que ce dernier était le seul à
avoir une certaine connaissance des droits de l’homme. Je suis sûr
que les agents locaux pourraient améliorer leurs connaissances en
matière de droits de l’homme. Il m’a été indiqué à Varsovie que
la bonne influence de Frontex sur les pratiques appliquées en Grèce
commençait à se faire sentir. Cependant, on m’a dit également que
les progrès étaient plus lents qu’escompté.
6. Conclusion:
comment accroître le rôle de Frontex dans la protection des droits
de l’homme?
87. J’ai affirmé au début de ce rapport que Frontex avait
un rôle important à jouer pour mieux coordonner les activités des
Etats membres de l’Union européenne en matière de contrôle des frontières
extérieures. Les opérations de Frontex peuvent aussi être l’occasion
d’harmoniser les pratiques aux frontières extérieures de l’Union
européenne et d’informer les gardes-frontières nationaux de leurs
obligations en matière de droits de l’homme.
88. Je respecte et je remercie sincèrement les agents de Frontex
pour la détermination avec laquelle ils s’emploient à assurer la
protection et la surveillance de nos frontières. Ils sont actuellement
soumis à une forte pression et s’efforcent de respecter les droits
fondamentaux sur le terrain. Je suis conscient de ces efforts. Frontex
est gênée par l’attention que portent à ses activités et à leur
conformité aux droits de l’homme un nombre croissant d’acteurs,
dont le Médiateur européen et le Conseil de l’Europe.
89. L’Agence est confrontée à la difficulté d’avoir deux maîtres:
l’Union européenne et ses Etats membres. A Bruxelles, ces derniers
peuvent se montrer très soucieux du respect des droits de l’homme;
mais lorsqu’ils reviennent dans leurs capitales et aux frontières,
ils peuvent changer de priorité, mettant l’accent sur la gestion des
migrations. De plus, les Etats membres n’apprécient jamais d’être
contrôlés. Frontex se trouve dans une situation délicate et je peux
tout à fait comprendre son embarras.
90. Sur le terrain, la situation n’est guère plus facile, car
les Etats membres ont des lois et des procédures très différentes.
Il faudrait davantage d’harmonisation. La communication entre les
agents de coordination de Frontex et ceux des pays hôtes peut être
difficile, que ce soit pour des raisons linguistiques (l’anglais
servant de lingua franca)
ou pour des raisons culturelles.
91. Il n’est malheureusement pas suffisant d’élaborer une Stratégie
en matière de droits fondamentaux et de prévoir dans le Règlement
Frontex l’obligation générale de respecter les droits de l’homme.
Il faut aussi fournir les moyens juridiques et les garanties démocratiques
nécessaires pour atteindre ces objectifs. Le présent rapport s’efforce
de donner quelques recommandations pour aider l’Agence à améliorer
le respect et la protection des droits de l’homme aux frontières
de l’Europe.
92. Ces recommandations cherchent à couvrir les préoccupations
en matière de droits de l’homme au niveau opérationnel, notamment
s’agissant des opérations conjointes de retour et de surveillance
des frontières. Bien que les gardes-frontières déployés lors de
ces opérations restent sous l’autorité du pays d’envoi et doivent
respecter à la fois la législation du pays d’envoi et celle du pays
hôte, le rôle de Frontex dans la préparation et l’exécution des
opérations conjointes reste non négligeable. Des problèmes de droits
de l’homme peuvent vite se poser lors des opérations d’interception,
en particulier lorsque des personnes peuvent avoir besoin d’une
protection internationale.
93. Ces recommandations visent aussi des préoccupations de nature
structurelle, dont le manque de transparence des activités de l’Agence,
le manque de clarté concernant ses compétences et ses responsabilités
et le manque de contrôle démocratique sur certaines de ses activités,
en particulier les accords négociés avec des pays tiers. Frontex
et l’Union européenne ont pris plusieurs mesures importantes pour répondre
à certaines des critiques formulées en matière de droits de l’homme,
mais il faut maintenant qu’elles soient appliquées. Cela vaut notamment
pour les dispositions du Règlement Frontex modifié et de la Stratégie en
matière de droits fondamentaux.
94. Il faut en outre renforcer le contrôle démocratique exercé
par le Parlement européen et faire en sorte que l’Agence soit crédible
et rende des comptes au public, en instaurant un mécanisme de contrôle indépendant
et une procédure de recours effective. Enfin, il faut encore remédier
aux lacunes sur les plans structurel et opérationnel.
95. Enfin, et bien que la gestion des migrations à travers des
mesures de contrôle des frontières extérieures reste l’un des plus
grands défis que l’Europe ait à relever aujourd’hui, je souhaite
rappeler que le respect et la protection des droits de l’homme dans
toutes les activités de Frontex ne sont pas un choix, mais bien
une obligation. L’engagement de Frontex à cet égard sera d’autant
plus important à l’avenir que l’Agence sera chargée de gérer et
d’appliquer le système européen de surveillance des frontières,
baptisé «Eurosur», qui devrait entrer en vigueur en octobre 2013.