1. Introduction
1. J'aimerais commencer cet exposé des motifs par une
citation du premier paragraphe de la proposition de résolution
à l'origine du présent rapport
parce qu'elle résume, à mon sens, la position que le Conseil de l'Europe
et son Assemblée parlementaire devraient adopter sur le problème:
«Les stérilisations et castrations forcées non réversibles constituent
de graves violations des droits de l'homme et de la dignité humaine.
Elles sont inacceptables dans les Etats membres du Conseil de l'Europe.»
2. La commission des questions sociales, de la santé et de la
famille avait été chargée à l’origine d'élaborer un rapport sur
ce sujet sur la base de la proposition présentée par moi-même et
par 21 collègues. Réunie à Paris le 16 septembre 2011, la commission
a organisé une audition au cours de laquelle elle a entendu les expert(e)s
suivant(e)s (ainsi qu'une victime de mon propre pays)
:
- Mme Gwendolyn Albert, activiste
au sein d’une organisation non gouvernementale (ONG) (République tchèque)
- Mme Bernadette Gächter, victime d’une stérilisation forcée
(Suisse)
- Dr David Gerber, Psychiatre consultant, National Health Service (NHS) Greater Glasgow and Clyde (Royaume-Uni)
- M. Stefan Krakowski, membre du le Comité européen pour
la prévention de la torture et des peines oui traitements inhumains
ou dégradants (CPT) (Suède)
L'audition a permis
à la commission d'avoir une bonne vue d'ensemble de la question
et des solutions possibles.
3. Sur décision de l’Assemblée, la commission des questions sociales,
de la santé et de la famille a fusionné avec deux autres commissions
à compter du premier jour de la partie de session de janvier 2012. C’est
donc la commission des questions sociales, de la santé et du développement
durable nouvellement créée qui a examiné mon schéma de rapport
pendant la partie de session de janvier 2012
et qui a autorisé une visite d’étude en Suède et en République tchèque.
Ladite visite s’est déroulée les 6 et 7 novembre 2012 (Prague) et
8 et 9 novembre 2012 (Stockholm). Je remercie vivement mes collègues
des parlements tchèque et suédois ainsi que les secrétariats des
deux délégations à l’Assemblée pour l’excellente organisation de
cette visite. Toutes les réunions que j’avais sollicitées ont été
organisées, ce qui m’a permis de me forger un avis éclairé sur la
situation dans les deux pays. Je tiens à préciser que le présent
document n’est pas un rapport sur les stérilisations et castrations
imposées en Suède et en République tchèque: il s’agit d’un rapport
sur les stérilisations et castrations imposées dans toute l’Europe.
En effet, la plupart, si ce n’est l’ensemble, des Etats membres
du Conseil de l’Europe ont déjà pratiqué, à un moment ou à un autre,
des stérilisations et castrations imposées.
4. Ce n'est pas la première fois que le Conseil de l'Europe et
son Assemblée parlementaire traitent des stérilisations et castrations
imposées. A ce jour, ils n'ont toutefois pas élaboré de rapport
global sur le problème ou de synthèse sur ces pratiques. Ils se
sont plutôt fondés sur des rapports concernant, par exemple, la discrimination
à l'encontre des Roms (à l’Assemblée
, ou dans
de récents arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme
), la
discrimination à l'encontre des transgenres (ancien Commissaire
aux droits de l’homme Hammarberg), ou encore la situation dans des
pays spécifiques (un rapport du CPT sur la République tchèque, à
propos de délinquants sexuels condamnés).
5. La valeur ajoutée que j'espère apporter avec ce rapport est
une approche globale, orientée sur les droits humains, présentant
une perspective historique des stérilisations et des castrations
imposées et soulignant le lien entre cette pratique et les peurs
de certaines parties de la majorité face à tout ce qui est perçu
comme «différent» – et donc inférieur voire, parfois, menaçant,
au point de susciter dans cette majorité le désir de contrôler ces
différences, ou du moins leur propagation et leur reproduction.
J’ai été particulièrement impressionnée par les explications données
par M. Maciej Zaremba, journaliste suédois, premier à s’être intéressé
dans les années 1990 à l’histoire de la stérilisation eugénique
dans le pays, qui m’ont convaincue que je ne n’avais pas tout à
fait tort dans mon interprétation des faits actuels et passés. Il
a bien voulu accepter de participer à un échange de vues avec la
commission le 23 avril 2013 à Strasbourg; je cite plus loin dans
le rapport certaines interventions faites lors de cette audition
.
6. Cinq groupes de personnes ont tout particulièrement fait l'objet
de stérilisations et castrations imposées dans le passé: les femmes
roms
,
les délinquants sexuels condamnés, les transgenres et les personnes handicapées
(mobiles «eugéniques») ainsi que les personnes marginalisées, stigmatisées
ou considérées comme inadaptées. Il me paraît évident que les stérilisations
et castrations imposées constituent de graves violations des droits
de la personne et de la dignité humaine, et qu'elles devraient être
abolies une fois pour toutes, quelles que soient les motivations
et les groupes ciblés. Même les pays ayant aboli la pratique ont parfois
du mal à reconnaître avoir commis ces graves violations des droits
humains par le passé. De très nombreuses victimes attendent donc
encore une indemnisation ou des excuses de la part des autorités: j'espère
que ce rapport contribuera à faire changer la situation.
2. Un bref
historique des stérilisations et castrations imposées en Europe
7. L’histoire des stérilisations et castrations imposées
remplit des rayons entiers de bibliothèques. Je me limiterai donc
ici à résumer autant que faire se peut l’histoire de ces pratiques
en Europe au XXe siècle dans l’optique
d’expliquer comment une violation évidente des droits humains a
pu être jugée socialement acceptable, voire souhaitable, dans de
nombreux pays – avant (et parfois même après) l’horreur causée par la
législation sur les stérilisations obligatoires adoptée par l’Allemagne
nazie en 1933 (qui visait avant tout les Allemands atteints d’un
handicap mental ou physique) et qui s’est soldée à partir de 1939
par des exécutions brutales dans le cadre d’opérations d’euthanasie
pour des raisons eugéniques.
8. La stérilisation eugénique (et dans une mesure bien moindre,
la castration) qui, pendant la première moitié du XXe siècle,
était populaire en Europe mais aussi dans de nombreuses autres régions
du monde, a été l’une des conséquences des nouvelles idées, modernes,
diffusées dans le monde des sciences (dont les sciences sociales)
en écho aux conditions sociales, matérielles et politiques régnant
au début du siècle. Dans des sociétés souvent marquées par le développement
rapide de «sous-classes» d’un type ou d’un autre (qu’il s’agisse
de prolétaires des villes ou des campagnes, d’immigrés pauvres,
de peuples indigènes, de minorités raciales ou autres), les conditions
étaient propices à l’alliance de diverses idées, se renforçant mutuellement, qui
légitimaient l’eugénisme aux yeux d’une majorité de la population.
Une combinaison de (néo-)malthusianisme, de darwinisme social, de
nationalisme, de racisme et même de ferveur réformiste et modernisatrice
a rendu cette idée séduisante pour l’ensemble des forces de l’échiquier
politique (de la gauche à la droite), tant dans les démocraties
que dans les dictatures. Pour qu’une population puisse rester «en
bonne santé» et «féconde» (y compris pour pouvoir rivaliser en tant
que nation à l’ère de l’Etat-nation) et ne pas être infestée de
pauvres et de criminels, il allait être indispensable d’encourager
la reproduction des individus «aptes» et de contrôler le taux de
natalité des individus «inaptes».
9. Au début, la théorie de l’eugénisme reposait sur une approche
«positive» plutôt que «négative». Aux Etats-Unis, on organisait
par exemple des concours de la «famille la plus adaptée» et d’autres
manifestations semblables. Mais la peur d’une «dégénérescence» (le
taux de natalité des personnes «inaptes» étant soi-disant hors de
contrôle) et le fardeau susceptible de s’ensuivre pour la société
ont conduit à la popularisation de l’eugénisme négatif et notamment
de la stérilisation forcée comme alternative humaine à la «sélection naturelle»
et à l’infanticide. Ce sont les Etats-Unis qui, avec la loi de l’Indiana
de 1907, sont à l’origine de la vague de lois sur la stérilisation
forcée adoptées au début du XXe siècle.
C’est aussi aux Etats-Unis que dans l’arrêt majoritaire
Buck c. Bell, rendu en 1927, un
juge de la Cour suprême, Oliver Wendell Holmes, Jr, a confirmé de
manière tristement célèbre la validité – jamais abrogée – de la
législation instituant la stérilisation forcée eugénique:
«Nous avons vu à de maintes reprises
que le bien-être public peut coûter la vie aux meilleurs des citoyens.
Il serait étrange qu’il ne puisse pas exiger de ceux qui sapent
déjà le pouvoir de l’Etat ce sacrifice, moins important, qui, souvent,
n’est d’ailleurs pas ressenti comme tel par les personnes concernées
afin de protéger la société contre un excès d’incompétence. Il est
préférable pour tous qu’au lieu d’attendre le moment d’exécuter
les rejetons des dégénérés pour leurs crimes ou celui où leur imbécillité
les fera mourir de faim, la société puisse empêcher ceux qui sont
manifestement inaptes de se reproduire. Le principe qui admet la
vaccination obligatoire est assez large pour légitimer l’ablation des
trompes de Fallope. Trois générations d’imbéciles, cela suffit .»
10. La stérilisation (pratiquée en particulier dans des institutions
telles que les asiles, les prisons ou les hôpitaux) est ainsi devenue relativement
répandue dans les années 1930, étant autorisée par la législation
de nombreux Etats et provinces du Canada et des Etats-Unis, du canton
suisse de Vaud, des pays scandinaves, d’Allemagne, du Japon, de
Veracruz (Mexique), de Yougoslavie, de Hongrie, de Turquie, de Lettonie
et de Cuba
. Les groupes ciblés étaient constitués
de manière disproportionnée de personnes pauvres, de couleur ou
socialement marginalisées pour un autre motif
. De même, les femmes étaient
plus souvent visées que les hommes.
11. Selon Harry Bruinius, la quête de pureté raciale des Américains
a influencé les Nazis. Même si les Etats-Unis ont ouvert la voie
en ce qui concerne les aspects juridiques, administratifs et techniques
de la stérilisation eugénique, l’Allemagne nazie leur a emprunté
leurs idées et les a appliquées de manière inédite
. La
«Loi pour la prévention d’une descendance présentant des anomalies
génétiques» de 1933 a été l’une des premières lois adoptées par
le gouvernement national-socialiste d’Adolf Hitler. Au moins 375 000
personnes ont été stérilisées par les autorités allemandes, dont
5 000 seraient décédées des suites de complications
. Aux
Etats-Unis, plus de 60 000 personnes ont subi une stérilisation
forcée. Cette pratique a été abandonnée dans une large mesure à
l’issue de la seconde guerre mondiale, mais la Caroline du Nord
n’a mis officiellement un terme à son programme qu’en 1974. De la
même manière, la législation suédoise relative à la stérilisation eugénique
a fait plus de 60 000 victimes entre 1935 et 1975. En fait, s’il
est vrai que la législation scandinave régissant la stérilisation
n’autorisait pas l’usage de la force physique (contrairement à celle
de l’Allemagne nazie), les lois eugéniques n’ont été abolies et
remplacées par des lois de stérilisation reposant sur le libre consentement
qu’en 1967 et 1973 au Danemark, en 1975 en Suède et en 1977 en Norvège
.
12. Les stérilisations et castrations imposées n’appartiennent
pas au passé, nous le savons. Par contre, aujourd'hui, certains
programmes ne sont pas eugéniques de par leur nature, et d’autres
le sont mais pas ouvertement. Ils vont de la stérilisation imposée
de femmes en Chine et en Ouzbékistan à celle de femmes porteuses
du virus VIH dans de nombreuses parties du monde. Même si cette
pratique touche aussi des hommes, les femmes en sont beaucoup plus
souvent victimes du fait de situations de vulnérabilité inhérentes à
leur condition de femme, comme à l’occasion d’un accouchement par
exemple, qui les exposent davantage à des stérilisations sans consentement.
Tout comme par le passé, ce sont les groupes de population marginalisés,
moins bien protégés
, qui sont les plus fréquemment visés
par les campagnes de stérilisation.
3. Les stérilisations
et castrations imposées: de graves violations des droits de la personne,
de la dignité humaine, ainsi que des droits sexuels et reproductifs
13. En 1999, la Rapporteure des Nations Unies chargée
à l’époque de la question de la violence contre les femmes, y compris
ses causes et ses conséquences, Mme Radhika Coomaraswamy, a qualifié
la stérilisation forcée de violation des droits humains:
«La stérilisation forcée, qui constitue
une grave atteinte aux droits génésiques de la femme, est un moyen
médical d'ôter à celle-ci, malgré elle, la maîtrise de sa fécondité.
Pratiquée essentiellement par des voies de fait – en portant atteinte
à l'intégrité physique et à la sûreté de la victime – c'est aussi
un acte de violence .»
14. Comme le souligne un récent article de Christina Zampas et
d’Adriana Lamačková, les organes de surveillance de l’application
des traités de l’ONU ont fait observer que la stérilisation forcée
et imposée constituait une violation de plusieurs droits humains
internationalement reconnus, dont le droit à la santé, le droit
à l’intégrité physique, le droit de ne pas être soumis à la violence,
le droit ne pas être soumis à la torture et à d’autres traitements
inhumains ou dégradants, le droit de décider du nombre et de l’espacement
des naissances et le droit de ne pas subir de discrimination
.
15. Dans son dernier rapport, publié le 1er février
2013
, le Rapporteur spécial des Nations
Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants, M. Juan E. Méndez, qualifie de mauvais traitements interdits,
les violences et abus commis dans les établissements de soins de
santé. Citant la récente Observation générale n° 3 (2012) du Comité
contre la torture concernant le droit à un recours et à réparation, il
souligne que, d’après le Comité, l’obligation d’offrir un recours
et d’accorder réparation s’applique à tous les types de mauvais
traitements, de sorte qu’il importe peu que les abus commis dans
les établissements de soins de santé répondent aux critères de la
torture en tant que tels. Il considère que «ce cadre dégage de nouvelles
possibilités d’évolutions sociales globales qui prennent en compte
le vécu des personnes et qui se traduisent notamment par des mesures
de satisfaction, des garanties de non-répétition et l’abrogation
des dispositions législatives inacceptables
».
16. A la fin de son rapport, le Rapporteur spécial des Nations
Unies recommande ainsi aux Etats membres de «mener rapidement des
enquêtes impartiales et approfondies sur toutes les allégations
de torture ou de mauvais traitements dans des établissements de
soins; lorsque les éléments de preuve le justifient, poursuivre et
punir les auteurs; et offrir aux victimes un recours utile ainsi
que des mesures de réparation et de satisfaction, des garanties
de non-répétition et des mesures de restitution, d’indemnisation
et de réadaptation»
. Dans le corps
de son rapport, le rapporteur spécial indique expressément que les stérilisations
forcées, imposées ou non volontaires relèvent du champ de son étude,
citant plusieurs exemples.
17. En Europe, la Cour européenne des droits de l’homme a déjà
jugé, dans plusieurs affaires, que la stérilisation sans consentement
de femmes roms représentait une violation des droits humains car
contraire à l’article 3 (interdiction des traitements inhumains
ou dégradants) et à l’article 8 (droit au respect de la vie privée et
familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme (STE
n° 5, «la Convention»)
. Il n’empêche que, en
novembre 2012, la Cour a malheureusement refusé une nouvelle fois
de statuer sur la question de savoir si la stérilisation forcée
de femmes roms en République slovaque constituait une discrimination
contraire à l’article 14 de la Convention. Dans une affaire sans
rapport (ne concernant pas une femme rom),
G.B.
et R.B. c. République de Moldova, la Cour a considéré,
le 18 décembre 2012, qu’il y avait eu violation de l’article 8 de la
Convention
.
18. La question du consentement est primordiale pour déterminer
si une stérilisation ou une castration est contraire ou non aux
droits humains. Lorsqu’il est fait usage de la force physique ou
que la victime subit une stérilisation/castration sans le savoir
ou sans avoir eu la possibilité de donner son consentement, la question est
clairement tranchée: il s’agit d’une stérilisation forcée. Ceci
étant, même lorsqu'il est officiellement obtenu, y compris par écrit,
le consentement peut être invalide dès lors que la victime a été
mal informée, intimidée ou manipulée au moyen d’une incitation financière
ou autre. Ce type de stérilisation imposée constitue précisément
la violation des droits humains dont le présent rapport traite.
19. Dans ses observations sur ma note introductive du 16 janvier
2013, la délégation parlementaire tchèque a estimé que la manière
dont je définissais le mot «forcé» était «excessivement large et
ne correspondait pas au sens commun de ce terme». En fait, je dirais
que ma définition n’est même pas assez large. De récentes publications
relatives aux droits humains (émanant de sources respectées telles
qu’Amnesty international, le Center for Reproductive Rights (Centre
pour les droits reproductifs) ou des publications universitaires
telles que le Harvard Human Rights Journal) utilisent la notion
de «emotionally coerced sterilization» (stérilisation imposée sous
contrainte affective) ou évoquent des pressions portant atteinte
à l’autonomie du patient. Une universitaire a estimé que pour préciser
la notion de contrainte il fallait se demander quels types d’influence
ou de pressions étaient exercés et à quel point elles privaient
les actions et décisions de leur caractère autonome
. Toutefois, le document
le plus convaincant est sans doute le document programmatique intitulé “Bridging
the Gap: Developing a Human Rights Framework to Address Coerced
Sterilization and Abortion” (Pallier les lacunes: élaborer un cadre
de protection contre la stérilisation et à l’avortement forcés fondé
sur les droits de l’homme) établi par la Faculté de droit de l’Université
(canadienne) de Toronto, document qui présente de manière détaillée
les principes de décision libre et éclairée – y compris le droit
d’être à l’abri du parti-pris, conscient ou inconscient, de prestataires
de soins de santé, et se réfère en outre aux déséquilibres de pouvoir
dans la relation patient-prestataire, déséquilibres susceptibles
d’empêcher une décision libre, par exemple chez les femmes qui ne
sont pas habituées à mettre en cause la parole de personnes en position d’autorité
.
20. Quand M. Zaremba a communiqué à la commission, lors de la
deuxième audition du 23 avril 2013, des informations sur l’expérience
suédoise de stérilisation eugéniste, il a également répondu à la
question de savoir comment les Suédois avaient été en mesure de
poursuivre leur programme après la seconde guerre mondiale, qui
aurait dû discréditer tout système fondé sur la contrainte. M. Zaremba
a souligné le caractère insidieux de la loi: «En théorie, la stérilisation
était “volontaire”; une personne devait faire une demande de stérilisation.
En réalité, bien sûr, la stérilisation n’était en rien volontaire:
les victimes étaient soumises à une pression irrésistible afin qu’elles
signent le formulaire de consentement. Elles étaient menacées de
perdre la garde de leurs enfants ou bien leur sortie de l’établissement
où elles étaient placées dépendait de leur accord concernant la
stérilisation. La honte d’être qualifiées d’êtres humains “inférieurs”
était immense: la plupart des victimes se sont tues sur leur sort
jusqu’à ce que le scandale éclate en 1997. Les mères célibataires
pauvres, les vagabonds, les Tsiganes et les Gens du voyage, les
malades mentaux et les personnes “faibles d’esprit” (des personnes
en rupture avec les normes sociales) étaient ciblés car considérés
comme “du matériau humain indésirable” (expression de l’époque).
Il y avait un manque complet de transparence; une commission décidait
de la stérilisation et il n’y avait aucune possibilité de faire
appel contre une telle décision.
» Cet exemple est à mon sens instructif
car il montre comment la stérilisation peut être considérée comme «volontaire»
par certains, alors qu’elle est en réalité «imposée», voire «forcée».
21. Dans ce contexte, il est important de signaler que la Fédération
internationale de gynécologie et d’obstétrique (FIGO) a élaboré
des lignes directrices strictes sur la «Stérilisation féminine à
visée contraceptive», tenant compte de la longue histoire de la
stérilisation forcée et imposée de femmes marginalisées et énumérant
des recommandations détaillées sur le moment et la manière de recueillir
un consentement pour une stérilisation
. Ces lignes directrices,
réactualisées en 2011, énoncent, entre autres, les points suivants:
- Seules les femmes elles-mêmes
peuvent accorder un consentement valide du point de vue éthique
à leur stérilisation. Les membres de la famille, dont le conjoint
et les parents, les tuteurs légaux, les médecins et les fonctionnaires
ne peuvent pas donner de consentement en leur nom.
- La stérilisation ne devrait pas être pratiquée dans le
cadre d’une stratégie ou d’un programme public ne reposant pas sur
le consentement libre.
- La stérilisation pour prévenir de futures grossesses n’est
jamais une procédure d’urgence et ne justifie pas de déroger aux
principes généraux du consentement libre et éclairé.
- Le consentement à la stérilisation ne devrait pas être
érigé en condition préalable à l’accès à des soins médicaux, tels
qu’un traitement contre le VIH/SIDA, un accouchement ou une interruption
de grossesse, ou à l'assurance maladie, l'assistance sociale, l'emploi
ou l’autorisation de sortie d'une institution.
- Le consentement à la stérilisation ne devrait pas être
demandé lorsque la femme concernée se trouve en situation de vulnérabilité,
par exemple lorsqu'elle demande une interruption de grossesse, ou pendant
ou immédiatement après l’accouchement.
- Les femmes envisageant la stérilisation doivent être informées
du fait que la méthode est irréversible et qu’elle ne les protégera
pas des maladies sexuellement transmissibles. Elles ont aussi droit
à des informations sur les autres solutions contraceptives non définitives.
- Les informations doivent être données dans une langue
que la femme concernée comprend et, le cas échéant, être traduites.
Elles doivent être formulées dans des termes simples, non techniques,
et dans un format accessible, y compris le langage des signes ou
le Braille.
4. Les stérilisations
et castrations imposées dans un passé récent en Europe
4.1. Les femmes roms
22. Quelle que soit la région où elles vivaient, les
femmes roms ont longtemps été victimes de marginalisation et de
discrimination. Certains pays ont eu, dans le passé, des programmes
de stérilisation plus ou moins officiels, financés par l’Etat, visant
les femmes roms. Dans d’autres pays, les femmes roms ont subi les
préjugés des professionnels de santé. Les cas de la République tchèque
et de la République slovaque (et, dans une moindre mesure, de la
Hongrie) sont bien connus, essentiellement en raison du militantisme
dont les victimes ont fait preuve dans leur quête de justice. Pour
autant, cela n’implique pas que la stérilisation imposée aux femmes
roms est toujours une pratique courante dans ces pays ni qu'elle
n'a pas cours dans d'autres pays. Comme la République tchèque a
eu l’obligeance de m’accueillir pour une visite d’étude en novembre 2012,
je décrirai la situation de ce pays plus en détail.
4.1.1. La République tchèque
23. Dans sa présentation à la commission des questions
sociales, de la santé et de la famille, en septembre 2011, Mme Gwendolyn
Albert, militante d’une ONG en République tchèque, a expliqué qu’alors
que la Tchécoslovaquie était dirigée par un régime communiste, des
femmes roms ont été stérilisées de force à partir des années 1970.
La pratique s’est poursuivie après la transition de 1989 vers la
démocratie et la scission du pays en deux Etats, la République tchèque
et la République slovaque
. Si les nombres exacts de victimes avancés
par Mme Albert sont contestés, il est avéré que, sous le régime
communiste, les travailleurs sociaux encourageaient la ligature
des trompes surtout parmi les femmes roms pour remédier à ce qui
était qualifié officiellement de taux de procréation «élevé» et
«malsain» par comparaison avec les non-Roms. Soit ils promettaient
des incitations financières, soit ils brandissaient la menace de
diverses sanctions pour les y encourager ou les y contraindre. Après
que le Procureur général tchécoslovaque eut réexaminé les incidents postérieurs
à 1989, le versement d’incitations financières pour les stérilisations
a été suspendu. Les cas ultérieurs de stérilisation forcée n’étaient
pas liés aux travailleurs sociaux. Ce sont des médecins qui ont stérilisé
des femmes roms lors d’accouchements par césarienne en leur racontant
que non seulement la césarienne, mais la stérilisation elle-même
avaient été des mesures d’urgence pour sauver leur vie
.
24. Le cas de Mme Elena Gorolová, porte-parole du «Groupe de femmes
victimes de stérilisation forcée», que j’ai eu la chance de rencontrer,
est un bon exemple: après une grossesse à risque qui avait justifié
des visites régulières chez son médecin, elle a été stérilisée sans
le savoir pendant sa deuxième césarienne en 1990. Son médecin ne
lui a indiqué avoir pratiqué une stérilisation que le lendemain.
On lui avait demandé de signer deux documents juste avant de subir
sa césarienne: le premier pour préciser le nom de son enfant et
le second pour donner son consentement à la césarienne (et, comme
elle l’a découvert plus tard, à la stérilisation). Elle a été l’une
des premières femmes roms à s’exprimer et à soumettre la question
au médiateur tchèque en 2004. Malheureusement, le silence est souvent
la norme dans les cas de stérilisation imposée, car de nombreuses
victimes ont peur, honte ou se sentent indignes, en particulier
parce que la culture rom fait l’éloge des femmes qui ont beaucoup
d’enfants, mais aussi parce qu’elles ont tendance à se méfier des autorités.
25. En novembre 2009, le Gouvernement tchèque a exprimé ses regrets
pour des «erreurs individuelles» dans l’accomplissement de stérilisations
par ligature des trompes. Des plaintes concernant ce programme ont été
adressées au médiateur en 2004. Après lui avoir ordonné de mener
une enquête, le médiateur a critiqué le ministère de la Santé en
2005 parce qu’il n’avait pas conclu que les procédures mises en
évidence violaient non seulement les droits de la personne, mais
aussi la loi. Les organismes internationaux de défense des droits humains
se sont alors basés sur le rapport du médiateur pour recommander
à l'Etat tchèque de prendre d'urgence des mesures visant à obtenir
réparation pour les victimes de telles pratiques. Les enquêtes criminelles
menées sur ces incidents ont été abandonnées et aucune des personnes
mises en cause n’a été soumise à des sanctions civiles, pénales
ou professionnelles. Les procédures civiles engagées individuellement
n’ont que rarement conduit à une indemnisation pour cause de prescription
(je n’ai connaissance que de
deux affaires qui ont abouti).
26. En revanche, en 2011, le Comité tchèque des droits de l’homme
a recommandé qu’une indemnisation soit accordée aux victimes de
stérilisation imposée. Cette proposition est toujours examinée actuellement
dans la mesure où certains cas sont difficiles à prouver. Compte
tenu du fait que le nombre de victimes ayant droit à une telle indemnisation
serait relativement faible, j’espère que le pays décidera rapidement
d’indemniser ces femmes (suite à un appel de demandes d’ONG, le
ministère de la Santé estime que, sur un total de 89 demandes reçues,
77 seraient valides et que dans 12 cas, aucune stérilisation n’aurait
été pratiquée),. En fait, pendant ma visite d’étude, j’ai acquis
le sentiment que la nécessité de trancher rapidement cette question faisait
largement consensus parmi la classe politique.
27. Le 1er avril 2012, la République
tchèque a adopté une nouvelle loi sur la stérilisation, qui semble
plus conforme aux lignes directrices de la FIGO sur la stérilisation
féminine que la précédente (je traiterai dans d’autres chapitres
de la question de la castration et de la stérilisation des femmes
ne jouissant pas de la capacité juridique). Ladite loi instaure
un délai d’attente obligatoire entre le moment où le médecin propose
une stérilisation et celui où l’intervention est pratiquée, et exige
un deuxième consentement de dernière minute le jour de l’intervention.
L’âge minimum est fixé à 18 ans pour une stérilisation pour des
raisons médicales et à 21 ans pour une stérilisation motivée par
d’autres raisons (contraception). Il semble cependant, et c’est
là l’aspect le plus important, que les médecins tchèques sont en
train de changer de position à l’égard de la stérilisation, car
ils sont plus sensibles aux possibles incidences d’une telle pratique
pour les droits humains
et commencent
à adopter une attitude un peu moins paternaliste
.
4.1.2. La République slovaque
28. Des femmes roms ont également été stérilisées de
force à partir des années 1970 dans la partie slovaque de la Tchécoslovaquie.
En 2002, des femmes roms étaient toujours stérilisées sans qu’elles
aient donné leur consentement éclairé selon des militants des droits
de l’homme. Le gouvernement a enquêté sur un éventuel «génocide»,
mais il n’a pu en établir la preuve. Les observateurs internationaux,
dont la Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (Etats-Unis),
ont estimé que l’enquête laissait à désirer, car des militants des
droits de l’homme et des victimes potentielles avaient été menacés
de poursuites pénales s’ils parlaient. La même année, le Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré qu’il avait
trouvé crédibles les allégations et il a recommandé au gouvernement
d’offrir aux victimes «des voies de recours rapides, équitables,
efficaces et justes». En 2006, La Cour constitutionnelle slovaque
a jugé que le rapport du gouvernement n’avait pas fait la lumière
sur les faits comme il convient et elle a ordonné de rouvrir l’enquête
sur les stérilisations forcées. Toutefois, en 2007, le procureur
a annoncé, après avoir interrogé les auteurs des interventions et
les victimes, qu’aucune infraction pénale n’avait été commise et qu’aucun
droit n’avait été violé et il a classé la procédure. La Cour européenne
des droits de l’homme a récemment statué sur plusieurs affaires
et rendu des arrêts favorables aux requérants (voir paragraphe 17).
4.2. Les délinquants
sexuels condamnés
29. Comme Stefan Krakowski, membre suédois du CPT, l’a
fait remarquer lors de l'audition de septembre 2011, une tendance
de plus en plus forte en faveur de la castration des délinquants
sexuels condamnés semble se dessiner dans les milieux politiques,
tout au moins dans certains Etats membres. Même si elle reste légale
dans de nombreux pays, la castration chirurgicale pour des indications
autres que physiques n'est plus pratiquée ou est devenue extrêmement
rare. L'une des raisons en est qu'il existe d'autres solutions combinant psychothérapie,
traitements anti-androgènes et surveillance intensive
.
30. Le CPT a exprimé son objection de principe au recours à la
castration chirurgicale comme moyen de traitement des délinquants
sexuels. Les raisons avancées par M. Krakowski au nom du CPT étaient
les suivantes:
- Premièrement, ce type
d’intervention produit des effets physiques irréversibles; elle
détruit la capacité de procréer de l’intéressé et peut avoir de
graves séquelles physiques et mentales.
- Deuxièmement, la castration chirurgicale n’est pas conforme
aux normes internationales reconnues; plus précisément, elle n’est
pas mentionnée dans les normes de traitement des délinquants sexuels adultes («Standards of Care for the Treatment of Adult
Sexual Offenders») établies par l’Association internationale
pour le traitement des délinquants sexuels (International
Association for the Treatment of Sexual Offenders – IATSO),
qui font autorité en la matière.
- Troisièmement, rien ne garantit que le résultat recherché
(c’est-à-dire la baisse du taux de testostérone) soit durable. Pour
ce qui est des taux de récidive, les effets positifs supposés ne
sont basés sur aucune évaluation scientifique solide. En tout état
de cause, s’il est légitime de chercher à faire diminuer les taux de
récidive, cet objectif doit être contrebalancé par des considérations
éthiques liées aux droits fondamentaux de la personne humaine.
- Quatrièmement, étant donné le contexte dans lequel l’intervention
est proposée, on peut se demander si le consentement à la castration
chirurgicale sera toujours véritablement libre et éclairé. On peut facilement
arriver à une situation dans laquelle les patients obtempèrent plutôt
qu’ils ne consentent, pensant que c’est la seule possibilité qu’ils
ont d’éviter une détention illimitée. En bref, la castration chirurgicale
est une intervention mutilante et irréversible qui ne peut être
considérée comme une nécessité médicale dans le cadre du traitement
des délinquants sexuels. Pour le CPT, la castration chirurgicale
de délinquants sexuels emprisonnés pourrait facilement être considérée
comme constitutive d’un traitement dégradant .
31. Le CPT a critiqué la République tchèque et l’Allemagne
pour leur
récent recours à la castration chirurgicale. Or, des lois introduisant
la castration «chimique» forcée, en particulier pour les crimes
sexuels commis sur des mineurs, ont aussi tendance à être adoptées
par certains Etats membres, dont la Pologne et le République de
Moldova. Personnellement, je suis opposée à de telles lois, qui
sont inefficaces et vont à l’encontre des droits humains. Ceci étant,
la castration «chimique» est généralement considérée comme réversible,
d’où une violation des droits moins grave que dans le cas de la
castration chirurgicale. C’est pourquoi, à l’origine, j’avais décidé
de me concentrer dans le présent rapport sur la castration chirurgicale imposée.
32. Cela étant, après m’être entretenue avec le Dr Jean-Georges
Rohmer, psychiatre à l’Hôpital de Strasbourg et Chef régional du
Centre Ressource pour l’aide à la prise en charge des auteurs de
violence sexuelle, en marge de la 11ème réunion du Réseau des parlementaires
de référence contre la violence sexuelle à l’égard des enfants,
le 22 janvier 2013, je voudrais souligner son point de vue selon
lequel c’est souvent à tort qu’on considère que les crimes sexuels
sont principalement liés au «sexe» (et sont motivés par des pulsions
sexuelles). Comme on l’a établi à propos de la violence à l’égard
des femmes, la principale raison pour laquelle un homme viole une
femme est généralement liée à une question de pouvoir: en abusant
d’une femme de la manière la plus intime qui soit, le dommage causé
à la victime n’est pas seulement d’ordre physique et procure au
violeur un sentiment de pouvoir absolu. (C’est aussi la raison pour
laquelle il est fréquent, dans tous les établissements où il n’y
a que des hommes, comme les prisons pour hommes, qu’un hétérosexuel
viole un autre homme). Le Dr Rohmer a souligné qu’en traitant les
pulsions sexuelles (à la fois par castration chimique ou chirurgicale),
la principale pathologie du délinquant – celle qui consiste à vouloir dominer
d’autres êtres humains – n’était pas soignée. Ces délinquants ont
donc fortement tendance à récidiver en utilisant des moyens autres
que sexuels, par exemple, en torturant leurs futures victimes.
33. A la suite de cette conversation, j’ai décidé d’inviter à
la réunion de notre commission le 23 avril 2013 à Strasbourg l’experte
la plus éminente sur la castration chimique et chirurgicale du CPT,
Mme Veronica Pimenoff, originaire de Finlande, pour apporter un
éclairage supplémentaire sur la question. Une section sur la question
de la castration chimique figure ci-après.
34. La République tchèque se révèle être le seul Etat membre du
Conseil de l'Europe à avoir largement pratiqué la castration chirurgicale
dans un passé récent. Je me concentrerai donc sur les conclusions
de la visite d’étude que j’ai effectuée dans ce pays en novembre
2012.
4.2.1. Castration chirurgicale:
La République tchèque et la Finlande
35. Après m’être entretenue avec plusieurs médecins et
responsables politiques éminents pendant ma visite, j’ai le sentiment
qu’ils sont sincèrement convaincus que certains délinquants sexuels
devraient être autorisés à choisir la castration chirurgicale comme
traitement de dernier recours dans les rares cas où tous les autres
traitements ont échoué.
36. Après avoir été diagnostiqués comme des «pervers» sexuels
sur la base de la théorie tchèque des troubles du comportement sexuel,
les délinquants sexuels condamnés sont soumis à un traitement «protecteur»
forcé, soit après avoir purgé une peine d’emprisonnement soit directement,
certains en tant que patients externes mais la plupart au sein d’un
hôpital psychiatrique. Selon les membres de l'Association tchèque
de sexologie que j'ai rencontrés
, environ 10 % des délinquants
sexuels sont des pervers sexuels qui ont besoin d’un tel traitement.
Ils considèrent que dans la mesure où ces patients restent dangereux pendant
toute leur vie, la seule possibilité de baisser substantiellement
le risque élevé de porter atteinte à autrui et ainsi permettre leur
réintégration dans la communauté est de leur offrir un traitement
qui les aide à contrôler leurs pulsions sexuelles. Un tel traitement
comprend en premier lieu une psychothérapie, une sociothérapie et
l’utilisation de psychotropes et de médicaments anti-libido. Cependant,
lorsqu’un tel traitement n’est pas efficace ou contre-indiqué pour
des raisons de santé, il implique aussi une castration chirurgicale.
Ils estiment que les effets secondaires de la castration chirurgicale
sont minimes (tendance à l’obésité, à l’ostéoporose et à la dépression).
La stérilisation n’est pas le but: la possibilité de stocker le
sperme dans une banque de sperme est offerte, mais peu de délinquants
y ont recours.
37. J’ai pu visiter la clinique psychiatrique de Bohnice, qui
gère un programme résidentiel de 20 lits pour ce type de traitement
«protecteur». Selon les explications fournies par son directeur,
M. Martin Hollý, ce traitement global repose sur trois piliers:
un traitement biologique (notamment la castration chimique, la castration chirurgicale
n’étant qu’une solution de dernier recours), une psychothérapie
et une sociothérapie. Dix castrations chirurgicales ont été pratiquées
dans l’établissement en 10 ans, les trois dernières en février 2012.
J’ai pu parler à un patient qui avait subi ce type d'intervention
18 mois auparavant, un jeune homme qui était traité dans cet hôpital
depuis 2006 après avoir purgé une peine d’emprisonnement de huit
ans pour avoir violé et assassiné une femme à l’âge de 16 ans. Il
m’a expliqué qu’il était essentiellement confronté à un problème
d’agressivité et de fortes pulsions sexuelles liées à un taux très
élevé de testostérone. Il avait testé la castration chimique, mais
avait été gêné par ses effets secondaires et n’avait pas été en
mesure de contrôler ses pulsions sexuelles
. Il avait souhaité être «plus calme»
et avait pris le temps de réfléchir pendant un mois avant de décider
de subir une castration chirurgicale. Depuis, il ne ressentait plus
autant d’agressivité ni de pulsions sexuelles aussi fortes, mais
disait avoir une vie sexuelle satisfaisante et se sentir mieux.
On lui avait proposé de stocker son sperme, mais il avait décidé
qu’il ne souhaitait pas avoir d’enfants. Il devait bénéficier d’une
libération conditionnelle à compter de janvier 2013.
38. La République tchèque fait état d’un faible niveau de récidive
parmi les délinquants sexuels ayant subi une castration chirurgicale.
Toutefois, les données qui m'ont été communiquées m'ont semblé périmées
et/ou anecdotiques. Il est donc bienvenu qu’une nouvelle étude sur
deux ans soit en cours de préparation pour le compte du gouvernement,
après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi le 1er avril
2012. Tout comme dans le cas de la stérilisation féminine, les changements
ont pour but d’apporter plus de garanties contre les abus en matière
de castrations chirurgicales pratiquées sur des délinquants sexuels
– en réponse aux critiques formulées au niveau international mais
aussi dans le pays
.
Aucune castration chirurgicale n’a été réalisée depuis l’entrée
en vigueur de la nouvelle législation.
39. Pendant notre rencontre, le vice-ministre de la Santé m’a
expliqué que la nouvelle loi soumet la castration chirurgicale aux
conditions suivantes: la personne doit avoir commis un délit ou
crime sexuel violent ainsi qu’avoir été diagnostiquée comme présentant
une perversion sexuelle et un haut risque de récidive. Toutes les
autres méthodes doivent avoir échoué ou être contre-indiquées. Sur
demande écrite du patient et présentation de son consentement éclairé,
une commission centrale du ministère de la Santé doit autoriser l’intervention
après avoir entendu le patient. Désormais, l’intervention n’est
plus autorisée en prison. L’âge minimum pour une castration chirurgicale
est fixé à 25 ans. La castration ne peut pas être pratiquée sur
des patients incapables.
40. Tout comme Mme Monika Šimǔnková, Commissaire tchèque aux droits
de l’homme, que j’ai eu le plaisir de rencontrer, je me félicite
de la nouvelle législation et des nouvelles règles, beaucoup plus
strictes. En revanche, tout comme le CPT, je ne suis toujours par
convaincue de l’efficacité de l’intervention ni de la validité du
consentement libre d’une personne qui doit choisir entre passer
toute sa vie dans une clinique psychiatrique et subir une castration
chirurgicale. Je pense que chaque être humain a des droits inaliénables,
y compris les délinquants, et que la société doit trouver une façon
de préserver ces droits. C’est une question de dignité humaine.
41. Dans ce contexte, je souhaiterais évoquer également l’expérience
finlandaise, que Mme Veronica Pimenoff, psychiatre et chef de service
à l’Hôpital psychiatrique universitaire d’Helsinki (Finlande), a
intégrée dans les informations générales qu’elle m’a communiquées
à l’occasion de la deuxième audition tenue le 23 avril 2013. Mme Pimenoff
a jusqu’à présent étudié 85 dossiers concernant des hommes qui,
entre 1950 et 1970, en application de la loi de l’époque relative
à la castration, auraient pu être castrés contre leur gré parce qu’ils
avaient commis des infractions à caractère sexuel telles que l’inceste,
la violence sexuelle à l’égard des enfants, l’homophilie (un crime
à cette époque), la zoophilie ou le viol. Aucun de ces hommes n’a
pourtant été castré parce que l’autorité médicale centrale a estimé
qu’ils n’étaient pas dangereux. Ce qui est intéressant, c’est que
les dossiers contiennent les réactions des hommes concernés, rédigées
par eux-mêmes à la main. Ces avis sont plus ou moins longs et reflètent
différents niveaux d’instruction. Les conséquences de la castration
chirurgicale qui menaçait ces hommes leur avaient été expliquées;
de plus, ils étaient nombreux à venir d’un milieu agricole et connaissaient
la castration des animaux. Ils étaient tous (dans les 85 dossiers examinés
jusqu’alors) fermement opposés à l’intervention. Beaucoup ont écrit
qu’ils ne pourraient pas réintégrer la société et leur famille s’ils
subissaient une castration chirurgicale, celle-ci allant d’après
eux détruire leur vie et étant un châtiment pire que la mort. Il
est très important de noter que l’ensemble de ces hommes étaient
en prison (purgeant des peines allant de quelques mois à huit ans)
et savaient qu’ils finiraient par être libérés. Ils n’avaient pas
à choisir entre la liberté ou la castration, mais ils ont eu le
sentiment qu’ils ne pourraient pas se confronter aux autres à l’extérieur
en tant que citoyens reconnus s’ils étaient castrés. J’estime que
cette expérience finlandaise, même si elle est historique, renforce
mon argumentation sur la dignité humaine.
4.2.2. Castration «chimique»
42. Mme Pimenoff a souligné lors de la seconde audition
de la commission le 23 avril 2013, que, d’après les données scientifiques
dont on dispose, la castration d’un délinquant sexuel, qu’elle soit
chirurgicale ou «chimique», ne garantit aucunement que celui-ci
ne récidivera pas, en particulier s’il est dans le déni (comme c’est
souvent le cas), puisqu’une simple injection de testostérone pourrait
ramener son niveau hormonal à ce qu’il était avant la castration.
Les seuls résultats garantis de la castration sont la perte de la
capacité de procréation et, très probablement, la diminution de
l’estime de soi. Mme Pimenoff a cité la définition donnée par la
Cour européenne des droits de l’homme de ce qui constitue un traitement
(ou une peine) dégradant au sens de l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme. A son avis, la castration chirurgicale cadre
avec cette définition, bien que la Cour européenne des droits de
l’homme n’ait pas encore statué sur cette question. Elle a souligné
que le droit d’être protégé contre tout traitement ou peine dégradant
était un droit absolu auquel on ne pouvait déroger, si odieux que
soit le crime commis.
43. Concernant la castration «chimique», Mme Pimenoff a souligné
que, là encore, aucun élément probant ne permettait de démontrer
qu’elle aurait un effet sur le taux de récidive bien que, en association
avec une psychothérapie chez des patients motivés, cette méthode
puisse s’avérer un complément utile. Toutefois, peut-on considérer
ce traitement comme non dégradant pour la simple raison qu’il peut
être interrompu? D’autant plus qu’il n’y a pas de garantie que toutes
les fonctions sexuelles pourront être rétablies à l’issue d’un traitement
de longue durée. C’est pourquoi la Convention du Conseil de l’Europe
sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus
sexuels (Convention de Lanzarote, STCE no 201) protège les délinquants contre
la castration imposée et n’autorise la castration «chimique» que
si le délinquant est volontaire et a donné son consentement libre
et éclairé.
44. Mme Pimenoff a donc confirmé les constats du CPT, que M. Krakowski
avait déjà présentés il y a deux ans. D’ailleurs, elle m’a également
fourni une impressionnante bibliographie scientifique sur laquelle
elle fonde ses conclusions. Ainsi, je suis encore plus fermement
convaincue qu’auparavant que même la castration «chimique», lorsqu’elle
est imposée (ou prescrite par la loi), est une atteinte aux droits
humains et à la dignité humaine, d’autant plus grave qu’elle est
inefficace. A l’évidence, les lois prescrivant la castration «chimique» de
certains délinquants sexuels (comme les auteurs de crimes violents
contre des enfants), adoptées récemment en Pologne et en République
de Moldova, ne vont donc pas dans la bonne direction. En tant qu’Assemblée
parlementaire attachée aux droits humains, nous devons travailler
avec les parlements de ces pays pour faire abroger ces lois au plus
vite, sans attendre une décision de la Cour européenne des droits
de l’homme qui pourrait venir trop tard pour réparer les dommages.
Je sais que ma position sur cette question n’est pas populaire;
en effet, une forte pression populiste s’exerce sur les parlementaires
pour qu’ils «agissent résolument» afin de protéger les enfants contre
la violence sexuelle, et nombreux sont les partisans de la castration
obligatoire des délinquants sexuels. Toutefois, l’histoire nous
a appris que la castration obligatoire – forcée ou imposée –, est
une pente glissante… car l’étape suivante sera un appel à la peine
de mort pour certains délinquants sexuels. Il nous incombe de mener
une action de sensibilisation auprès du public pour expliquer qu’il
existe des moyens de protéger les enfants contre la violence sexuelle
qui sont à la fois plus efficaces et plus respectueux des droits
humains.
4.3. Les personnes transgenres
45. Dans de nombreux pays européens, la stérilisation
ou la chirurgie de réassignation sexuelle, ou bien les deux, sont
une condition préalable pour que le pays reconnaisse légalement
une personne transgenre dans son nouveau sexe. Selon RSFL, Fédération
suédoise pour les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles
et transgenres, sur les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe,
29 imposent la stérilisation. Selon le rapporteur spécial des Nations
Unies sur la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants, M. Juan E. Méndez, dans 11 Etats dépourvus de législation
régissant la reconnaissance légale du genre, la stérilisation forcée
est encore pratiquée. Rares sont les pays aussi progressistes que
le Royaume-Uni avec sa loi de 2004 sur la reconnaissance du genre,
qui pourrait servir de législation modèle dans ce domaine. Je tiens à
me concentrer ici sur le cas de la Suède, qui a bien voulu m'accueillir
pour une visite d'étude alors qu’elle réformait en profondeur sa
législation relative aux personnes transgenres.
4.3.1. Suède
46. La loi relative à la stérilisation des personnes
transgenres, actuellement en vigueur en Suède, date de 1972. A l’époque,
pour la première fois au niveau international, les personnes transgenres
étaient légalement reconnus. Un ressortissant suédois de plus de
18 ans pouvait être légalement reconnu dans son nouveau sexe dès
lors qu’il n’était pas marié (ce qui supposait un divorce pour certaines
personnes) et qu’il était stérile (à la suite d’une stérilisation
ou naturellement incapable de se reproduire). Selon les explications
de la responsable du Conseil national suédois de la santé et de
la protection sociale, la condition de la stérilisation découlait
de la volonté du gouvernement de l’époque de «maintenir de l’ordre
dans le système
»; la stérilisation était
un moyen d’éviter que des hommes ne puissent être en état de grossesse.
47. Il est difficile de déterminer combien de stérilisations ont
été pratiquées sur des personnes transgenres depuis l’entrée en
vigueur de la loi, mais près de 600 personnes ont déjà été enregistrées
dans leur nouveau sexe. Il est vraisemblable que la plupart d’entre
elles ont subi une stérilisation chirurgicale afin de pouvoir être légalement
reconnues dans leur nouveau sexe. Actuellement, environ 50 demandes
de changement de sexe sont reçues chaque année (dont seul un tout
petit nombre est refusé suite à un refus de divorcer ou de subir une
stérilisation). Il est intéressant de noter que la loi de 1972 ne
soumet pas la reconnaissance légale du changement de sexe à une
intervention de réassignation sexuelle
.
En revanche, la condition de la stérilisation introduite en 1972
est absolue: même le sperme ou les ovules stockés dans des banques
doivent être détruits.
48. Le Conseil national suédois de la santé et de la protection
sociale
reconnaît
désormais le caractère imposé de ces stérilisations dans la mesure
où les personnes concernées ne demandent pas à être stérilisées mais
acceptent seulement de l’être afin que leur changement de sexe soit
légalement reconnu. A l’issue d’un vaste débat national
, le Parlement suédois a
adopté une loi abolissant la condition de stérilisation à compter du
1er juillet 2013. De son côté, le Conseil
médico-juridique (organe indépendant) du Conseil national suédois de
la santé et de la protection sociale a décidé très récemment de
ne pas faire appel d’un jugement de la Cour d’appel administrative,
à savoir que la condition de stérilisation pour obtenir un changement
légal de sexe est contraire au droit constitutionnel suédois et
à la Convention européenne des droits de l’homme. En conséquence,
le jugement est maintenu. En d’autres termes, quiconque demande
un changement de sexe et de numéro d’identification personnel (demandé
en Suède sur presque tous les formulaires utilisés par les autorités,
les écoles, les universités, les partenaires contractuels et les
prestataires de services) peut déjà le faire avant l’entrée en vigueur
de la nouvelle loi, le 1er juillet 2013.
La condition imposant de ne pas être marié a déjà été abolie par
une décision adoptée par le parlement en juin 2012, qui est entrée
en vigueur le 1er janvier 2013 et qui
élargit aussi le champ d’application de la loi aux résidents suédois.
49. La nouvelle question qui se pose désormais à la Suède est
celle de savoir si les personnes transgenres victimes de stérilisation
imposée devraient être indemnisés par l’Etat (comme l’ont été les
victimes de l’ancien programme de stérilisation eugénique). Les
collectifs de victimes et les ONG
demandent une
indemnité de 200 000 couronnes suédoises
et des excuses officielles
pour les souffrances subies. Ils espèrent que la législation suivra
afin qu’une action collective et qu’une lutte devant les tribunaux
puissent être évitées. Cependant, comme dans d’autres pays, l’un
des problèmes rencontrés est lié à la mentalité rigide et paternaliste
de certains professionnels de santé
.
En fait, l’accès des transgenres à des soins de qualité est difficile
dans de nombreux pays, mais tel n’est pas le sujet du présent rapport.
50. Il est intéressant de noter que dans son dernier rapport,
le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres
traitements cruels, inhumains ou dégradants exhorte les Etats à
abroger toute loi autorisant des traitements intrusifs et irréversibles,
notamment les opérations chirurgicales de normalisation génitale forcées,
la stérilisation sous la contrainte, les expérimentations contraires
à l’éthique, les exhibitions de cas cliniques, les «thérapies réparatrices»
ou les «thérapies de conversion», lorsqu’elles sont forcées ou pratiquées
sans le consentement libre et éclairé de l’intéressé
.
Il exhorte également les Etats à interdire les stérilisations pratiquées
de force ou imposées en toutes circonstances et à fournir une protection
spéciale aux personnes appartenant à des groupes marginalisés. Il
va de soi que je partage entièrement son opinion.
4.4. Les personnes handicapées
51. L’article 23(1) de la Convention des Nations Unies
relative aux droits des personnes handicapées impose aux Etats de
veiller à ce que les «personnes handicapées, y compris les enfants,
conservent leur fertilité, sur la base de l’égalité avec les autres».
52. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus
d’un milliard de personnes à travers le monde, soit environ 15 %
de la population mondiale, sont atteintes d’un handicap. Selon un
rapport de l’OMS, les femmes handicapées sont particulièrement exposées
aux stérilisations sans consentement. Les stérilisations forcées
pratiquées sur des femmes handicapées sont souvent réalisées sous
les auspices de services médico-juridiques ou avec le consentement
de tuteurs désignés par un tribunal, qui sont habilités à prendre
une décision au nom de la patiente. Différents motifs sont avancés
pour justifier cette procédure, dont l’incapacité des femmes handicapées
à exercer le rôle de parent, la protection contre l’exploitation
et les abus sexuels, le contrôle de la population ou la soi-disant
«gestion des cycles menstruels»
.
53. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et
autres traitements cruels, inhumains ou dégradants consacre une
partie entière de son récent rapport aux «personnes atteintes d’un
handicap psychosocial
».
Dans ses recommandations, il recommande en particulier aux Etats
membres, après avoir pris note de l’importante documentation relative
à la stérilisation forcée des filles et des femmes porteuses d’un handicap
, de «modifier
les dispositions de loi autorisant (…) toute intervention ou tout
traitement imposé dans les établissements de soins de santé mentale
en l’absence du consentement de la personne concernée
».
54. En 2011, cinq femmes handicapées mentales ont introduit une
requête devant la Cour européenne des droits de l'homme (Gauer et autres c. France). Chacune
avait subi contre son gré une ligature des trompes, sans avoir donné
son consentement éclairé. Malheureusement, fin 2012, l’affaire a
été déclarée irrecevable pour des raisons techniques. J’espère qu’un
autre cas porté devant la Cour permettra de recevoir un jugement sur
le fond de la question.
4.5. Les personnes marginalisées,
stigmatisées ou considérées comme inadaptées
55. Pendant notre visite d’étude en Suède, nous avons
eu la chance de pouvoir rencontrer M. Maciej Zaremba, journaliste
dont les articles parus en 1997 avaient remis la législation sur
la stérilisation eugénique des femmes au centre de l’actualité et
déclenché un examen de conscience et un débat au niveau national,
et qui a également présenté ses conclusions à la commission lors
de la deuxième audition du 23 avril 2013. Même si ce programme de
stérilisation appartient au passé et doit être considéré dans ce
contexte historique (voir chapitre 2), je pense qu’il est utile
de donner certaines précisions sur son fonctionnement.
56. Du fait d’une administration centralisée dès le départ, les
dossiers de plus de 60 000 personnes ayant été stérilisées entre
1935 et 1975 sont toujours disponibles aux archives du Conseil national
suédois de la santé. En examinant certains de ces dossiers, M. Zaremba
a été frappé de constater qu’il fallait très peu de chose pour qu’une
femme ou une jeune fille soit visée par une mesure de stérilisation.
A titre d'exemples de motifs avancés, on retiendra: le fait de porter
du vernis à ongles rouge, une apparence de «Carmen» (pouvant suggérer
des origines tsiganes
),
ou le fait d’être une jeune vierge, pauvre, vivant à proximité d'une
caserne militaire. M. Zaremba a souligné que la pratique visait
essentiellement des femmes susceptibles de devenir une charge pour
le système de protection sociale suédois en développement. Une moralité
douteuse était rapidement interprétée comme un manque d’intelligence,
comme l’a fait remarquer un autre éminent historien que nous avons
rencontré, M. Matthias Tydén: les groupes ciblés par les stérilisations
eugéniques – les «déficients mentaux» en particulier – étaient décrits
comme inadaptés au rôle de parents et comme un fardeau pour la société.
Par la suite, les personnes «socialement» ou génétiquement inadaptées
sont venues grossir les rangs des personnes visées par des mesures
de stérilisation. Ces dernières étaient pratiquées dans des hôpitaux
psychiatriques et des institutions pour handicapés mentaux, mais
aussi sur l’initiative de travailleurs sociaux locaux et même de
pasteurs (luthériens) locaux, selon M. Zaremba.
57. En théorie, les lois étaient fondées sur le principe du libre
consentement, hormis pour les interventions pratiquées «sans consentement»
suite à la demande d’un tiers, en cas de «déficience mentale grave»
ou «d’incapacité juridique». Il n'en reste pas moins qu'il s’agissait
de stérilisation imposée, car la mesure était presque toujours imposée
sous la pression, comme une condition préalable pour pouvoir sortir
d’un établissement psychiatrique ou pour «faibles d'esprit» ou pour
pouvoir bénéficier d’un avortement «eugénique». Au plus fort du
programme (dans les années qui ont suivi 1945), 80 à 100 décisions
– qui n’étaient pas susceptibles d’appel – étaient prises chaque
jour par le Comité chargé d’ordonner les stérilisations
.
58. Comme dans beaucoup d’autres pays, les femmes qui avaient
subi une stérilisation imposée dans le cadre du programme gardaient
le silence – la stérilisation était considérée comme honteuse puisqu’elle
visait les personnes jugées inférieures («minderwertig»).
Lorsque la pratique a été rendue publique en 1997, des excuses officielles
ont été présentées, qualifiant le programme de «barbare», et une
commission a été rapidement mise en place pour examiner les faits
en détail et formuler des recommandations, notamment en matière
d’indemnisation. Au final, une indemnisation financière de 175 000
couronnes suédoises (environ 20 000 euros) a été accordée à quelque
1 600 personnes qui avaient été stérilisées contre leur gré ou dans des
circonstances douteuses (sur plus de 2 000 demandes).
5. Conclusions
et recommandations
59. Pendant l’audition de septembre 2011 devant la commission,
j’ai été particulièrement émue par le témoignage de Mme Bernadette
Gächter, victime en 1972 d’un avortement et d’une stérilisation
forcés, à l’âge de 18 ans, dans mon propre pays, la Suisse
. Son témoignage reflète en grande
partie les éléments consignés dans les archives suédoises sur la
stérilisation eugénique. Quand j’ai commencé à travailler sur ce rapport,
elle n’avait jamais eu droit à des excuses officielles de l’Etat,
ni même à une indemnisation, à la différence des victimes de Suède.
Je suis heureuse de pouvoir dire que la situation a évolué: le 11 avril
2013, une cérémonie solennelle a eu lieu à Berne pour toutes les
victimes de «mesures coercitives à des fins d’assistance», y compris
la stérilisation forcée, pendant laquelle des excuses officielles
ont été présentées au nom du Gouvernement suisse par Mme Simonetta
Sommaruga qui en est membre. Une table ronde sous la présidence
de M. Hansruedi Stadler, nouveau délégué aux victimes de mesures
coercitives à des fins d’assistance, examinera maintenant la dimension
juridique, historique et financière du problème. Je suis très heureuse
de ces faits nouveaux et j’espère que les négociations de la table
ronde arriveront rapidement à une conclusion satisfaisante.
60. Ce qui précède m’amène à une double conclusion:
- Nous devons mettre fin aux stérilisations
et castrations imposées. Qui peut lire le témoignage de Mme Gächter
ou l’histoire de la stérilisation eugénique à travers l’Europe sans
être submergé par un sentiment de «Plus jamais ça!»? Il est urgent
que nous, parlementaires, révisions nos législations et réexaminions
nos politiques nationales pour construire des garde-fous solides
contre de futurs abus. Nous devons aussi empêcher les stérilisations
et castrations imposées en encourageant un changement de mentalité:
nous devons lutter contre les stéréotypes et les préjugés à l’encontre
de ceux qui semblent «différents» et, de ce fait, parfois considérés
par les personnes étroites d’esprit comme inférieurs, qu’il s’agisse
de femmes roms, de délinquants sexuels, de personnes transgenres,
de personnes handicapées ou de tout autre groupe marginalisé ou
stigmatisé. Nous devons combattre les attitudes paternalistes parmi
les professionnels de santé et sensibiliser l’opinion publique au
fait que les stérilisations et castrations imposées constituent
une violation grave des droits humains, qui ne déshonore pas les
victimes mais ceux qui commettent de tels actes.
- Nous devons obtenir réparation pour les victimes de stérilisation
ou castration imposées quelles qu'elles soient et quel que soit
le moment où cet abus a été commis. Dans les affaires récentes,
il s’agit aussi, d’une part, de protéger et réhabiliter les victimes
et, d’autre part, de poursuivre les coupables. En tout état de cause,
que les cas d’abus aient été rares, isolés ou qu’ils soient anciens,
il importe également de présenter des excuses officielles et d’accorder
une indemnisation au moins symbolique. C’est alors seulement que
nous aurons pleinement incarné les idéaux du Conseil de l’Europe.