1. Introduction
1. Les langues jouent un rôle majeur en tant qu’indicateurs
d’appartenance pour les migrants. La méconnaissance de la langue
de la société d’accueil peut être un obstacle sérieux à une bonne
intégration
et à
une socialisation de base. C’est à partir de ce constat qu’ont été
mis en place des tests d’intégration comme moyen de favoriser l’intégration
en mettant l’accent sur l’apprentissage de la langue du pays.
2. De nombreuses stratégies nationales d’intégration trouvent
leur origine dans les conditions requises initialement pour la naturalisation.
Celles-ci avaient en commun – en Europe et ailleurs – de rarement
préciser le niveau de compétence linguistique voulu. Aussi arrivait-il
fréquemment que les aspirants citoyens remplissent les conditions
en dépit d’un très faible niveau fonctionnel de connaissance de
la langue.
3. Cela étant, ces dernières années, les conditions requises
pour l’obtention de la nationalité ont été progressivement, mais
considérablement, modifiées et les exigences en termes de résidence,
de regroupement familial et autres ont été renforcées. Le principal
groupe cible des tests est constitué par les membres de la famille
des personnes résidant dans les Etats membres, qu’il s’agisse des
tests préalables à l’entrée dans le pays ou d’exigences d’intégration
après l’admission.
4. Aujourd’hui, de nombreux pays exigent des migrants un niveau
déterminé de compétence linguistique non seulement pour l’obtention
de la nationalité, mais aussi pour la délivrance d’un titre de séjour
permanent
. A noter également,
l’obligation récente pour les migrants de longue durée de prouver
désormais leur volonté de s’intégrer en démontrant leurs compétences
linguistiques avant le départ pour le pays de destination. D’où la
prolifération de «tests» de langue ou de citoyenneté, en particulier
dans les Etats membres de l’Union européenne.
5. Ces tests sont devenus de plus en plus sophistiqués, avec
«un changement radical des conditions d’admission dans les Etats
membres» et «l’instauration de critères bien définis associés à
des méthodes normalisées d’évaluation»
.
La formalisation croissante de ces tests dans toute l’Europe a eu
comme effet secondaire, entre autres, une moindre prise en compte
de la situation particulière et des capacités individuelles des
intéressés
. D’autres conséquences
risquent d’en découler, en particulier en cas de coût financier
élevé pour ceux qui doivent passer le test et suivre les cours préparatoires
. L’absence de flexibilité des tests
fait que, même s’il existe des programmes de langue destinés à aider
les candidats à les réussir, ils ne leur seront pas forcément d’un
grand secours pour la réalisation de leurs objectifs de vie ou d’intégration,
les méthodes, les matières abordées ou le niveau de compétence visé
n’étant pas toujours adaptés à cette fin. Les tests à passer avant
le départ pour évaluer l’employabilité de l’intéressé dans le pays
de destination peuvent s’avérer inadaptés si celui-ci n’envisage
pas d’y travailler. Pour les personnes souhaitant entrer dans un
pays donné dans le but de s’y marier, les tests peuvent soit les
exclure, soit – en cas de mariages arrangés – entraîner des «unions»
qu’on ne saurait qualifier d’idéales pour les personnes concernées.
Les coûts liés à la préparation et au passage des tests sont parfois
prohibitifs et, par conséquent, discriminants pour les personnes
à faibles revenus. En outre, l’incapacité ou la difficulté à réussir
un test pour obtenir un titre de séjour permanent ou la nationalité
peuvent réduire le sentiment d’intégration, voire engendrer du ressentiment.
Par ailleurs, la nécessité de poursuivre des études peut entraver
la capacité de travailler, qui constitue en elle-même l’un des principaux
facteurs d’intégration.
6. Le présent rapport tente de retracer l’évolution de ces tests
et de mettre en lumière les problèmes posés par leur mise en place
et que se doivent de traiter le Conseil de l’Europe et son Assemblée
parlementaire.
7. En conséquence, sur les nombreuses questions qu’il y a lieu
d’examiner, la principale est peut-être de savoir si ces tests représentent
un progrès ou un recul et s’ils améliorent l’intégration des migrants.
Il est nécessaire également d’étudier les autres incidences que
peut avoir l’utilisation de ces tests sur le regroupement familial
ou l’obtention d’un titre de séjour permanent ou de la nationalité.
Il convient par ailleurs de se pencher sur l’impact qu’ils ont sur
les personnes illettrées ou analphabètes dans leur propre langue,
ainsi que sur les femmes ou d’autres groupes vulnérables, comme
les personnes âgées ou malades.
8. Lors de la préparation du présent rapport, j’ai été grandement
aidée par un certain nombre d’experts ayant participé à une audition
sur ce thème à Bruxelles, en mars 2012, ainsi que par l’Unité des
politiques linguistiques du Conseil de l’Europe
.
J’ai pu bénéficier par ailleurs des conseils avisés de Christopher
Hedges, ancien président du Comité européen sur les migrations (CDMG).
2. La situation
actuelle dans les Etats membres
9. Les politiques et pratiques en matière de tests de
langue et de citoyenneté que j’ai examinées en préparant ce rapport
montrent clairement un durcissement au fil du temps. Pour illustrer
ce constat, je m’attacherai plus particulièrement à l’expérience
qu’ont acquise dans ce domaine le Royaume-Uni et les Pays-Bas, que
je prendrai comme études de cas pour refléter l’évolution des tests
d’intégration dans le temps. Ces études de cas figurent en annexe 1.
10. Il ressort aussi clairement des nombreux rapports et études
que j’ai analysés que le «Cadre européen commun de référence pour
les langues: apprendre, enseigner, évaluer» (CECR) du Conseil de
l’Europe est largement employé comme base d’évaluation du niveau
«d’intégration» des intéressés. Alors qu’il n’était pas prévu, à
l’origine, que le CECR serve d’outil d’évaluation dans ces circonstances,
les références explicites aux niveaux de maîtrise de la langue qu’il
définit dans les conditions fixées aux migrants montrent clairement
une augmentation constante du niveau requis par les Etats membres
pour l’obtention de titres de séjour permanent ou de la nationalité.
Il est inquiétant de noter que cette tendance au renforcement des
exigences pourrait priver de nombreux migrants de la sécurité de
résidence.
«Cadre
européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner,
évaluer» (CECR), Conseil de
l’Europe
Cet instrument de référence est
largement utilisé, entre autres choses, pour évaluer le niveau de
compétence en langues.
Il
propose une échelle mobile de niveaux de compétences répartis en
trois niveaux généraux :
A1 et A2 : utilisateur de
niveau élémentaire
B1 et B2 : utilisateur autonome
C1
et C2 : utilisateur expérimenté
L’un de ses avantages
est qu’il permet de définir des «profils», par
exemple un niveau A2 pour la production orale, mais A1 pour la lecture
ou l’écriture, plutôt que des niveaux homogènes (A2 pour toutes
les compétences). Un descriptif plus détaillé de l’outil est proposé
à l’annexe 2.
|
11. L’examen comparé des situations des Etats membres
comporte deux volets, à savoir, les tests préalables à l’entrée
dans le pays et les tests postérieurs à l’entrée dans le pays
.
12. Bien que de nombreux pays aient mis en place des tests d’entrée
pour les personnes à la recherche d’un emploi, les exemples donnés
ici portent principalement sur l’intégration des familles de migrants.
2.1. Tests préalables
à l’entrée dans le pays
13. Selon une étude universitaire (l’étude PROSINT),
la mise en place de tests linguistiques obligatoires avant l’entrée
dans le pays aux fins de regroupement familial illustre bien la
façon dont un pays peut tirer des enseignements des politiques menées
ailleurs et s’en inspirer. Lancés aux Pays-Bas en 2006, les tests
ont été instaurés ensuite en Allemagne en 2007, puis au Royaume-Uni
et au Danemark en 2010 et en Autriche en 2011.
14. La France a également instauré un test évaluant la connaissance
du français et des valeurs de la République française pour les membres
de la famille désireux d’entrer dans le pays, qui sont tenus de
prouver qu’ils ont une connaissance suffisante du français ou du
moins de s’engager à l’apprendre. A la différence de ce qui passe
dans d’autres Etats, l’échec à ce test n’entraîne pas le refus d’admission
en France, mais uniquement son report. Les membres de la famille
qui échouent sont invités à suivre des cours dans le pays d’origine.
Cette formation ne dure pas plus de deux mois (180 heures). Si le
membre de la famille réussit le test, il se voit délivrer un visa,
s’il échoue, le visa lui est également délivré, mais il sera éventuellement
tenu de suivre des cours supplémentaires, une fois arrivé en France
. Par ailleurs, tous les migrants
non ressortissants de pays membres de l’Union européenne arrivant
en France doivent signer un «contrat d’intégration». Concernant
le Danemark, en revanche, le test préalable à l’entrée dans le pays
se passe sur place, c’est-à-dire au Danemark; les candidats obtiennent
un visa temporaire de courte durée pour entrer dans le pays, préparer
le test et le passer dans un délai de neuf mois.
15. Le facteur commun à tous ces pays est que le niveau de langue
requis est relativement bas, c’est-à-dire A1
.
16. Les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Autriche ne
proposent pas de soutien financier de l’Etat; de fait, l’Autriche
a supprimé les cours précédemment proposés aux migrants après leur
arrivée dans le pays, au motif que les nouveaux migrants n’en auraient
pas besoin, puisqu’ils auraient déjà entamé leur intégration avant
leur entrée dans le pays. En revanche, l’Allemagne est dotée avec
le Goethe Institut d’un dispositif bien structuré qui peut aider
les migrants potentiels à se préparer au test.
17. Il est à l’évidence difficile d’établir clairement quel est
l’objectif des tests préalables à l’entrée dans les cas de regroupement
familial: promouvoir l’intégration ou réduire les effectifs. Ce
flou peut conduire à un certain cynisme de la part de ceux concernés
par les mesures d’intégration qualifiées de «légitimes» dont l’efficacité
peut dès lors diminuer. Le Gouvernement néerlandais s’est exprimé
très clairement sur la question, en mentionnant la probabilité d’une
réduction du nombre de ces migrants comme but ou conséquence indirecte de
cette politique. Pour ce qui est de l’ensemble des conditions préalables
à l’entrée dans le pays, il a parlé d’un «critère de sélection»
qui réduirait les effectifs de «migrants incapables de s’intégrer»
de près de 25 %. Il a évoqué en particulier le cas des migrants
originaires de Turquie et du Maroc qui posent problème, du fait
de leur difficulté à entrer sur le marché du travail en raison de
leur faible niveau d’instruction. Aucun autre pays ne mentionne
expressément la volonté de limiter l’immigration comme objectif
direct ou indirect, même si le Royaume-Uni a indiqué qu’il prévoyait
une réduction de 10 % des demandes déposées par des conjoints ou partenaires.
Concrètement, ces politiques se sont toutefois traduites par une
baisse nettement plus importante que celle que prévoient les Pays-Bas
concernant les arrivées de migrants familiaux (en dépit d’une légère reprise
ces dernières années). Au Royaume-Uni, la première année suivant
la mise en œuvre des mesures, les chiffres ont diminué d’environ
20 %.
2.2. Tests postérieurs
à l’entrée dans le pays pour l’obtention d’un titre de séjour permanent/de la
nationalité
18. Les programmes postérieurs à l’entrée dans le pays
diffèrent largement d’un pays à l’autre en termes d’exigences, notamment
en ce qui concerne le niveau de connaissance de la langue, les modalités
du test et l’obligation de suivre des cours. Le tableau ci-après
offre un aperçu des principales conditions de maîtrise linguistique
requises pour obtenir un titre de séjour permanent.
Pays
|
Exigences
|
Cours
de langue/ d’intégration
|
Niveau
de langue
|
Connaissances civiques
|
Autriche
|
Test
|
Officiellement non, dans
la pratique, oui
|
A2 en 2 ans, B1 après
5 ans
|
Non
|
République tchèque
|
Test
|
Non
|
A1
|
Non
|
Allemagne
|
Test
|
Oui
|
B1
|
Oui
|
Italie
|
Test
|
Oui
|
A2
|
Oui
|
Pays-Bas
|
Test
|
Seulement pour les réfugiés
|
A2 en 3 ans
|
Oui
|
Espagne
|
Entretien
|
Peut être imposé par
les autorités
|
au cas par cas
|
Entretien
|
Suède
|
Néant
|
Plan individuel
|
au cas par cas
|
Non
|
Suisse
|
Entretien
|
Peut être imposé par
les autorités
|
au cas par cas, selon
le canton
|
Entretien
|
Royaume-Uni
|
Test
|
Oui, si le niveau d’anglais est
inférieur à B1
|
B1 ou montrer le passage au
niveau supérieur dans le cours
|
Oui
|
2.2.1. Tests de langue
19. Dans un certain nombre de pays comme l’Allemagne,
l’Autriche, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni
, il est nécessaire de passer
un test conçu par un fournisseur de test précis. En Espagne et en
Suisse, en revanche, le niveau de connaissance de la langue est
évalué dans le cadre d’un entretien avec un fonctionnaire, disposant
d’une large marge d’appréciation pour prendre sa décision. Les compétences linguistiques
peuvent aussi être appréciées dans le cadre d’un entretien ou d’une
discussion avec un agent des services d’immigration (c’est le cas
en Croatie, en France, en Grèce, au Luxembourg, à Malte et en Turquie).
20. En dehors des pays précédemment cités, d’autres exigent aussi
un test ou un certificat de langue, notamment la Bulgarie, l’Estonie,
la Finlande, l’Islande, la Lettonie, la Lituanie, la République
de Moldova, la Norvège, le Portugal, la Roumanie et la Slovénie.
En conséquence, de nombreux Etats formulent aujourd’hui des exigences
explicites en matière de compétences linguistiques.
21. L’éventail des compétences linguistiques requises varie d’un
pays à l’autre
. A un certain moment, le Danemark
s’est démarqué en exigeant le niveau de compétences linguistiques
le plus restrictif. Le degré de difficulté n’a eu de cesse d’augmenter
au fil des ans, passant de B1 en 2002 à B2 en 2006, et les notes requises
ont été relevées en 2008. Le pays vient toutefois de modifier sa
politique d’intégration en abandonnant le système de points et l’obligation
de passer un test pour le regroupement familial, bien qu’il envisage
de renforcer les mesures de lutte contre les fraudes et les mariages
forcés. A l’autre extrémité du spectre, un certain nombre de pays
n’ont aucune exigence formelle en matière de langue.
2.2.2. Connaissance du
pays (tests de «connaissance de la société» ou «de citoyenneté»)
22. Les exigences diffèrent considérablement et, en dehors
des connaissances pratiques nécessaires pour vivre dans un nouveau
pays, les tests portent d’ordinaire sur des thèmes tels que la connaissance
des institutions nationales sociales et politiques, de la société,
des faits et données historiques, de la Constitution, des valeurs
démocratiques et du parlement. Au nombre des Etats ayant recours
à ces tests figurent l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Estonie,
la France, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la République de Moldova,
les Pays-Bas, la Roumanie et le Royaume-Uni. Il est intéressant
de noter que le pourcentage de questions auxquelles il faut avoir
répondu correctement et le nombre de questions posées sont généralement supérieurs
en Europe à ce qu’ils sont dans des pays traditionnels d’immigration
comme les Etats-Unis, le Canada et l’Australie.
23. L’évaluation de la connaissance du pays peut revêtir la forme
d’un entretien (comme en Slovaquie et en Suisse). La France exige
également du candidat (dans le cadre de son «contrat d’intégration»)
qu’il se rende à la mairie de son lieu d’habitation pour une initiation
à l’histoire et à la culture françaises. La Grèce a instauré en
2000 un entretien informel destiné à évaluer les compétences linguistiques
et la connaissance de l’histoire et de la culture grecques. Le Luxembourg
a ceci de particulier qu’il oblige depuis 2008, tout postulant à
la nationalité à suivre trois cours de deux heures d’instruction
civique sur l’histoire et la société luxembourgeoises, condition
sine qua non de toute naturalisation.
24. Il y a cependant lieu de mentionner que la plupart des pays
examinés n’exigent pas de connaissances spécifiques en termes de
citoyenneté.
3. Les tests d’intégration
sont-ils efficaces?
3.1. Mesurer l’intégration
25. Le Conseil de l’Europe a défini plusieurs domaines
d’intégration clés, qui pourraient servir à évaluer la mesure dans
laquelle les tests de langue et de connaissances civiques favorisent
l’intégration. Dans son rapport de 1988 sur «Les mesures et indicateurs
d’intégration», le Conseil de l’Europe fait référence à quatre dimensions
de l’intégration – économique, sociale, culturelle et politique.
26. Il apparaît immédiatement qu’une bonne connaissance de la
langue du pays d’accueil et la capacité de s’en servir sont importantes
dans tous ces domaines. Par exemple, en termes d’intégration économique,
la capacité de comprendre la langue parlée sur le lieu de travail
revêt une importance cruciale. Dans de nombreux pays, l’acquisition
de la nationalité s’accompagne du droit de voter lors des élections
locales et nationales, et il est clair que les nouveaux électeurs
ont tout intérêt à comprendre l’objet du vote. Reste toutefois à
savoir dans quelle mesure les tests de langue et de citoyenneté
améliorent les perspectives d’intégration dans les domaines susmentionnés.
3.2. Quelles sont les
preuves de l’efficacité des tests pour promouvoir l’intégration?
27. Il existe peu d’études sur la question, mais divers
travaux de recherche menés dans des pays européens fournissent quelques
exemples.
28. Au Royaume-Uni, le
Centre on Migration,
Policy and Society (COMPAS) de l’université d’Oxford
a récemment finalisé une étude intitulée
Citizenship
and Integration in the UK . L’objectif
du projet était de comprendre le processus d’intégration et d’acquisition
de la citoyenneté, pour améliorer la capacité du Royaume-Uni à élaborer,
à mettre en œuvre, à suivre et à évaluer des politiques et des mesures
favorisant l’intégration des migrants.
29. Il en est résulté trois conclusions clés: premièrement, les
postulants à la citoyenneté britannique étaient bien intégrés dans
la société britannique. Par rapport à l’ensemble des personnes nées
à l’étranger ou à l’ensemble de la population britannique, ils auraient
plus de chance d’entrer sur le marché du travail, ils participeraient
davantage à la vie citoyenne, ils se sentiraient davantage britanniques
et seraient plus enclins à dépasser les clivages ethniques pour
se faire des amis. Deuxièmement, les personnes ayant eu recours
aux matériels didactiques Life in the
UK et passé le test correspondant, celles qui ont appris
la langue dans le cadre du dispositif «De la citoyenneté à la naturalisation»;
et celles qui ont eu une cérémonie de citoyenneté sont dans l’ensemble
très satisfaites. Troisièmement, le projet a fait apparaître que
l’intégration dans la société britannique ne saurait se comprendre
comme un processus unidimensionnel, unique, mais plutôt comme un ensemble
multidimensionnel de processus, survenant dans différents domaines
de la vie et empruntant diverses voies.
30. Dans la mesure où il est possible de tirer une conclusion
générale de l’étude, ceux qui y ont pris part ont considéré que
l’expérience d’apprentissage Life in
the UK contribuait à favoriser le sentiment d’appartenance au
Royaume-Uni, de même que la citoyenneté juridique et la langue anglaise,
fondements essentiels de l’intégration dans d’autres domaines de
la vie. Ce qui laisse entendre que le dispositif actuel Life in the UK donne globalement
de bons résultats. Le rapport, non publié à ce jour, soulignera
néanmoins la nécessité de continuer à proposer un soutien linguistique
pour promouvoir l’intégration. Or, compte tenu de la baisse récente des
dépenses publiques, cette recommandation ne sera pas mise en pratique.
31. Pour ce qui est de l’Allemagne, en 2006, le ministère fédéral
de l’Intérieur a commandé une étude pour voir comment améliorer
les programmes d’intégration. L’un des principaux constats de l’étude
a été le suivant: même après 600 heures de cours, quelque 40 % de
l’ensemble des participants n’avaient pas acquis une maîtrise de
l’allemand de niveau B1. Une recommandation clé du rapport a donc
été d’introduire un système plus souple avec des heures d’enseignement
variables, en fonction des besoins dûment évalués des apprenants.
32. Aux Pays-Bas, comme indiqué précédemment, une première évaluation
de la nouvelle loi sur l’intégration civique en 2010 a mis en avant
de graves difficultés durant la première année suivant la mise en œuvre
du nouveau texte, d’où d’importantes améliorations en 2008 et en
2009. Le nombre de participants aux cours d’intégration civique
a rapidement augmenté; en décembre 2009, 127 000 migrants ont passé
le test. Parmi ceux-ci, 83 000 ont pris part aux cours, mais 44 000 autres
n’ont reçu aucune aide formelle et il a été supposé qu’ils s’étaient
préparés autrement à leur test d’intégration. Depuis janvier 2010,
la réussite du test est devenue une condition indispensable à l’obtention
d’un titre de séjour permanent ou indépendant. Cette exigence a
entraîné une baisse de 40 % du nombre de demandes de titres de séjour
permanents satisfaites. Une ventilation des demandes par nationalité
fait apparaître que cette baisse concerne davantage les ressortissants
marocains et turcs. Les migrants qui ne parviennent pas à obtenir
un titre de séjour permanent à la suite de ces tests n’ont pas d’autre
choix que de rester dans le pays à titre temporaire. De plus, depuis 2013,
les membres des familles sont tenus de réussir le test dans les
trois années qui suivent leur arrivée. En cas d’échec, le permis
de séjour peut leur être retiré; ils peuvent alors être expulsés,
ce qui entraînera la séparation de la famille. Par ailleurs, depuis
janvier 2013, les cours d’intégration ne sont plus proposés par
les municipalités. Il revient au secteur privé de les élaborer.
Les migrants qui n’ont pas les moyens financiers d’y participer
peuvent toutefois obtenir un prêt d’un montant maximal de 5 000 euros.
33. Fin 2009, environ 20 000 migrants avaient volontairement participé
à des programmes d’intégration civique. Presque tous ont réussi
le test, au premier essai pour quelque 80 % d’entre eux. Il reste
difficile de mesurer les effets à long terme sur la participation
de ces personnes à la société néerlandaise ou sur leur intégration,
qu’il s’agisse de tests préalables ou postérieurs à l’entrée dans
le pays.
34. Toujours aux Pays-Bas, une analyse à petite échelle, principalement
qualitative, a été effectuée pour étudier les effets des programmes
d’intégration sur la participation de 29 migrants qualifiés à la
société
.
Les résultats obtenus sont mitigés et à manier avec précaution.
Environ 50 % des participants au programme axé sur le marché du
travail ont trouvé un emploi durable dans un délai raisonnable après
l’achèvement du programme. Il semble que le programme destiné aux
parents ayant des enfants à charge ait accru leur implication dans
la vie de l’école et les organisations bénévoles.
35. Le rapport du projet INTEC (étude comparative des tests d’intégration
et de naturalisation, et de leurs effets sur l’intégration dans
neuf Etats membres de l’Union européenne) s’avère également riche d’enseignements
. Ce rapport insiste
fortement sur le fait que la réussite de l’intégration repose sur
bien d’autres facteurs que la connaissance de la langue et de la
société. D’ailleurs, le migrant n’a pas toujours besoin de connaître
la langue de l’Etat membre pour s’intégrer, en particulier s’il
vit dans un milieu où une autre langue a cours (par exemple l’anglais).
36. Une étude réalisée en Belgique (Région flamande) a montré
que les migrants qui avaient suivi avec succès un cours d’intégration
avaient plus de chances que les autres de trouver un emploi. Ainsi,
ces programmes pourraient avoir un intérêt, à condition qu’ils soient
dûment adaptés aux besoins des participants. Une étude danoise
a montré qu’une politique d’intégration
municipale plus efficace facilitait l’entrée sur le marché du travail,
mais elle a aussi souligné que l’aide nécessaire pouvait prendre
des formes diverses. En revanche, l’évaluation belge a également
révélé que la participation au cours n’améliorait pas toujours sensiblement
les compétences linguistiques ni les relations sociales avec les
citoyens belges de langue flamande. Et selon les Autrichiens interrogés,
une société ouverte est essentielle à la participation et à l’intégration,
ainsi qu’à la prévention d’un sentiment d’isolement.
37. Certains s’accordent à dire que les tests, comme ceux utilisés
en Allemagne, aident les femmes à surmonter leur isolement et à
refuser le mariage forcé. Les tests facilitent également les échanges
et la communication entre les personnes qui se trouvent dans la
même situation. Si le processus est engagé lorsque les migrants
vivent encore dans leur pays d’origine, il les incite à s’intéresser
au pays d’accueil et à la langue nationale, ce qui améliorera leurs
futures conditions d’intégration.
3.3. Remise en question
de la pertinence des tests
38. Cela dit, on peut se demander si les tests sont vraiment
en mesure de prédire le degré d’intégration. En effet, en règle
générale, et selon l’étude INTEC, ils constituent plutôt une barrière
qu’une aide à l’intégration. Autre constat de l’étude, les connaissances
acquises avant le départ sont souvent perdues lorsque le migrant arrive
dans le pays d’accueil, car il s’écoule souvent un laps de temps
important avant qu’il passe le test. Un simple examen rapide des
statistiques montre que ces tests ont conduit à une baisse des demandes
de visa, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne. En outre, l’on
constate que certaines personnes vivant en zone rurale ou dans des
lieux éloignés des centres d’enseignement ont des difficultés à
suivre les cours qui, de surcroît, constituent souvent pour elles
une dépense très lourde. Ces tests peuvent être particulièrement difficiles
pour les personnes âgées et pour les personnes n’ayant pas fait
d’études supérieures.
39. Cela nous amène à nous demander quel est le niveau de compétence
approprié qui devrait être attendu dans ces tests pour faciliter
et non freiner l’intégration. Là encore, il existe très peu d’études
empiriques sur ce thème, mais de nombreux experts linguistiques
estiment que les personnes ayant un faible bagage scolaire ou un
niveau d’alphabétisation limité dans leur propre langue ne pourront
guère dépasser le niveau A2 dans une autre langue. En outre, il
est probable que ce niveau ne pourra être atteint qu’en matière
d’expression et de compréhension orales, le niveau en lecture et
en écriture demeurant inférieur.
40. Au Royaume-Uni, certains experts linguistiques ont souligné
les limites de l’enseignement sous l’appellation de «course blocking».
Ce phénomène touche les apprenants ayant un faible ou très faible
niveau d’alphabétisation dans leur langue maternelle qui, grosso
modo, ne peuvent pas progresser au-delà du niveau A2 en matière
d’expression et de compréhension orales ou au-delà de A1 en lecture
et en écriture (c’est-à-dire les niveaux les plus bas), même s’ils
sont très motivés et assidus aux cours. La conclusion qui s’impose
selon ces rapports, certes sans prétention scientifique, est que,
même lorsque la présence aux cours est obligatoire et/ou qu’une
aide financière appropriée est prévue, certains migrants ne pourront
jamais atteindre le niveau requis. Cela permet de penser qu’un test
gradué reste plus adéquat qu’un test à un seul niveau, et que le
test ne devrait pas porter sur l’expression écrite ou en tout cas
n’exiger qu’un niveau élémentaire en la matière.
Etudes
de cas
Pendant la préparation du présent
rapport, des chercheurs ont présenté des études de cas réunies et
publiées par le Goethe Institut en Allemagne. J’en citerai deux
pour mettre en évidence les difficultés pratiques que posent ces tests.
Le
premier exemple concernait une femme thaïlandaise qui souhaitait
épouser un Allemand. Cette femme avait dû louer un appartement à
Bangkok pour suivre une formation, régler toutes les questions administratives
et réussir le test. Bien qu’elle ait travaillé comme gérante d’hôtel
en Irlande, elle avait de gros problèmes d’apprentissage et il lui a
fallu énormément de temps pour réussir le test A1. En tout, il lui
en a coûté autour de 2 000 euros.
Le deuxième exemple
se rapportait à une femme originaire du Cameroun. Cette femme n’était
allée à l’école que pendant quatre ans et n’avait jamais appris
une langue étrangère auparavant. Pour assister à une formation,
qui n’était dispensée que dans la capitale, elle avait dû quitter
la ville où elle habitait et laisser ses deux enfants chez elle.
Elle vivait chez un ami, moyennant sa participation aux travaux
agricoles de la famille d’accueil. Pour économiser l’électricité,
elle n’avait le droit de réviser et de faire ses devoirs que pendant
la journée.
|
3.4. Quelles sont les
solutions possibles autres que les tests?
41. Il est intéressant d’observer que certains pays ont
adopté une approche différente et que le niveau de compétence linguistique
requis pour obtenir un titre de séjour permanent ou la nationalité
est parfois assez bas. En Espagne et en Suisse, le droit d’acquérir
la nationalité est établi à l’issue d’un entretien et le niveau
de compétence linguistique requis se définit au cas par cas. Si
les capacités d’un individu donné sont considérées comme trop faibles,
les autorités peuvent exiger qu’il suive un programme de perfectionnement
linguistique.
42. Aux Etats-Unis – l’un des plus grands pays d’immigration au
cours du siècle dernier – la connaissance de l’anglais est encore
testée de façon assez subjective. Bien que la législation américaine
sur la nationalité ne fixe pas un niveau de compétence précis, il
est admis qu’il doit se situer autour du niveau A1, voire en deçà. Comme
en Espagne et en Suisse, la capacité du demandeur à parler anglais
est déterminée par un agent du Service de la nationalité et de l’immigration
des Etats-Unis au cours d’un entretien. Pour réussir et prouver
qu’il peut lire en anglais, le demandeur doit lire une phrase sur
trois correctement. Pour réussir le test d’écriture, il doit écrire
correctement une phrase sur trois. Par ailleurs, l’agent pose au
demandeur 10 questions sur des sujets civiques, et celui-ci devra
répondre correctement à six d’entre elles. Il importe de préciser
que toutes les phrases et toutes les questions sont à la disposition
des demandeurs, qui peuvent les étudier et les mémoriser. En dépit
de la simplicité apparente de ce test, les nouveaux citoyens américains
sont profondément loyaux envers leur pays d’adoption, et les exemples
récents de terroristes «de l’intérieur» ont produit un choc considérable.
L’une des conclusions qui peut être tirée de la pratique de ces
tests aux Etats-Unis est qu’ils contribuent à l’émergence d’un sentiment
de réussite et d’appartenance, au lieu d’être ressentis comme un obstacle
et une forme d’exclusion.
43. Une autre option est celle prévue en France, où l’échec au
test n’entraîne pas le refus de l’admission mais seulement son report.
L’échec affecte donc moins la vie familiale de la personne qui échoue
au test et de ses proches.
3.5. Quelles conclusions
peut-on tirer sur l’efficacité des tests d’intégration?
44. Malgré les exemples de réussite, il existe aussi
des cas d’échec ou de personnes qui ont simplement renoncé avant
de commencer. Pour beaucoup, la pression des cours et des tests
préalables ou postérieurs à l’entrée dans le pays constitue souvent
une barrière insurmontable qu’ils sont incapables de franchir. Il convient
de souligner que le niveau minimum pour l’obtention de la nationalité
dans de nombreux pays – le niveau B1 – en lecture, à l’écrit et
en expression et compréhension orales correspond au niveau en langue étrangère
acquis en fin d’études secondaires dans de nombreux pays européens.
Dans certains pays, il arrive également que de nombreux citoyens
de souche peinent à réussir un test à ce niveau dans leur langue maternelle.
45. Les informations disponibles étant très limitées, il est difficile
de tirer des conclusions sur les effets à long terme des mesures
et des tests d’intégration dans les quatre domaines d’intégration
identifiés par le Conseil de l’Europe – économique, social, culturel
et politique. Les évaluations disponibles sont plutôt à court terme
et donnent généralement des résultats mitigés. Elles mettent cependant
en avant la nécessité d’une approche flexible et personnalisée pour
mieux répondre aux besoins des participants et s’adapter à leurs
capacités. Si ceux-ci sont généralement reconnaissants du soutien
apporté, notamment pour l’apprentissage d’une nouvelle langue, une
certaine rancœur apparaît lorsque ce soutien doit être autofinancé.
Une conclusion s’impose par conséquent: si les tests doivent être
maintenus, il est indispensable que des études comparatives soient conduites
pour évaluer leur efficacité à long terme, en tant qu’outil propre
à favoriser des mesures d’intégration efficaces, viables et accessibles
avant et après l’entrée dans le pays. Une liste de questions devra
être posée, notamment celles figurant à l’annexe 3 au présent rapport.
4. Effets des tests:
les droits de l’homme sont-ils en jeu?
46. Outre la question de l’efficacité des tests, il convient
d’examiner leurs incidences sur les droits de l’homme, dont certaines
ont déjà été évoquées dans notre rapport.
47. Avant toute chose, de nombreuses raisons permettent de penser
que l’existence même des tests préalables à l’entrée dans le pays
pour les personnes qui demandent le regroupement familial peut constituer une
violation de leurs droits fondamentaux
. Bien que les personnes qui migrent
pour des motifs de mariage soient évidemment libres de choisir leur
lieu de résidence, ce choix est souvent restreint par des considérations pratiques.
Peut-on par exemple obliger une femme qui a réussi sa carrière professionnelle
à retourner à la famine ou à la pauvreté dans son pays d’origine
pour la simple raison qu’elle souhaite épouser un homme qui n’a
pas réussi un test? De fait, dans ce cas de figure, les parties
concernées se voient refuser le droit au respect de la vie familiale.
Ce droit, consacré par l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE n° 5), doit être protégé. Les Etats Parties
à la Convention ne peuvent limiter ce droit que si cela s’avère strictement
nécessaire dans une société démocratique. Un droit subjectif encore
plus fort au regroupement familial est établi dans la Directive
relative au droit au regroupement familial, adoptée par la plupart
des Etats membres de l’Union européenne en 2003.
Le
droit au regroupement familial
Le
regroupement familial est un sujet d’actualité, car la directive
de l’Union européenne qui le concerne est en cours de réexamen par
la Commission européenne. Il constitue également une préoccupation
de longue date pour le Conseil de l’Europe qui estime que le regroupement
familial doit être considéré comme un droit fondamental. Le droit
au respect de la vie familiale est naturellement consacré par l’article 8
de la Convention européenne des droits de l’homme, de même que le
droit au mariage énoncé à l’article 12. Le regroupement familial
est aussi une composante essentielle d’une intégration réussie.
Il est souvent avancé que la mise en place de mesures destinées à
limiter l’immigration, notamment les tests, restreint ces droits
fondamentaux. Ces restrictions réduisent à tout le moins la liberté
des familles de choisir leur lieu de résidence. La mise en œuvre
de tests préalables à l’entrée dans le pays peut également porter
atteinte aux formes traditionnelles de mariage et causer une certaine
rancœur chez les immigrés présents de longue date. De plus, sur
le plan pratique, l’intégration est d’autant plus facile que les migrants
n’ont pas à se soucier de leur famille restée dans un autre pays.
En
novembre 2011, l’Union européenne a publié un Livre vert (COM(2011)735)
sur le droit au regroupement familial des ressortissants de pays
tiers résidant dans l’Union européenne. L’une
des questions posées dans ce document concernait la disposition
facultative (article 7.2)
qui permet aux Etats membres d’exiger des ressortissants de pays tiers
qu’ils se conforment aux mesures d’intégration. Cette disposition
a été l’une des conditions les plus controversées et débattues lors
des négociations sur la directive. Sous sa forme actuelle, celle-ci
ne précise pas le contenu de ces mesures d’intégration ni comment
elles doivent être appliquées. Toutefois, le Livre vert souligne
que l’admissibilité des mesures d’intégration devrait dépendre des
points de savoir si elles servent ou non à faciliter l’intégration
et si elles respectent ou non les principes de proportionnalité
et de subsidiarité. Pour les demandes de regroupement familial,
les décisions concernant les tests à réussir devraient tenir compte
de la disponibilité ou non de matériels (documents traduits, cours)
pour s’y préparer et de leur accessibilité (situation, prix). Des
circonstances individuelles particulières (telles qu’un analphabétisme
prouvé ou une maladie) devraient également être prises en considération.
La
synthèse des réponses des parties intéressées au Livre vert révèle
des points de vue et des pratiques très variés parmi les Etats membres,
allant de l’absence totale de mesures d’intégration à la participation
obligatoire à des cours préalables ou postérieurs à l’entrée dans
le pays et à la réussite de tests.
Il est préoccupant
de constater que certains Etats membres ont proposé de modifier
les règles sur cette question dans le sens d’une plus grande flexibilité
pour avoir la possibilité d’introduire des mesures encore plus restrictives (notamment
l’Autriche, l’Allemagne et les Pays-Bas). Je suis quasiment certaine
que l’Autriche et l’Allemagne voulaient avoir l’assurance de pouvoir
maintenir les tests préalables à l’entrée sur leur territoire, et
non les rendre plus restrictifs. Il n’en va pas de même des Pays-Bas.
D’autres Etats membres étaient favorables à une approche moins restrictive,
plusieurs d’entre eux étant opposés à des mesures d’intégration
obligatoires (Belgique, Finlande, Portugal, Roumanie et Slovaquie,
ainsi que Turquie).
|
De nombreuses questions
restent sans réponse et des recherches supplémentaires sont nécessaires.
Un certain nombre de ces questions figurent à l’annexe 3.
Sur
la base de cette consultation, la commissaire Malmström a annoncé
qu’elle ne proposerait pas d’amendements à la directive, mais préconiserait
l’élaboration de lignes directrices interprétatives pour aider les
Etats membres à appliquer les dispositions. Par ailleurs, elle a
annoncé que des procédures d’infraction seraient engagées à l’encontre
des Etats membres qui ne respecteraient
pas la directive.
Toutefois, en ce qui concerne le
test préalable à l’entrée dans le pays, la Commission européenne
a déjà clairement exprimé sa position. En 2011, en effet, elle a
indiqué, dans le cadre d’une procédure devant la Cour de justice,
qu’un test préalable à l’entrée dans le pays n’était pas conforme
à la Directive relative au droit au regroupement familial si l’échec
au test suffisait pour refuser le regroupement familial . Selon la Commission, l’article 7.2,
vise à promouvoir l’intégration, mais ne peut pas être employé pour
compromettre l’objectif de la directive, qui est de favoriser le regroupement
familial . Cette position ne
permet en aucun cas aux Etats membres de maintenir ces tests. Le
point de vue de la Commission a déjà eu des effets dans des tribunaux
nationaux. Par exemple en octobre 2012, le tribunal administratif
de Berlin a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne si
le test de langue de l’Accord d’association CEE-Turquie devrait
être autorisé et s’il était conforme à l’article 7.2 de la Directive
relative au droit au regroupement familial .
Peu de temps après, un tribunal de district néerlandais a souscrit
sans réserve à la position de la Commission devant la Cour de justice,
en indiquant qu’une décision préjudicielle n’était pas nécessaire
car l’interprétation de la Commission était parfaitement claire .
|
48. La Charte sociale européenne révisée protège également
le droit au regroupement familial des migrants en vertu de son article
19.6, et le Comité européen des Droits sociaux s’est penché sur
la question des exigences des tests liées aux politiques d’intégration.
Cet examen a amené le comité à déclarer que le fait d’imposer aux
membres de la famille du travailleur migrant de passer des tests
de langue et/ou d’intégration pour entrer dans le pays ou une fois
dans le pays, la réussite à ces tests étant une condition pour y
rester, décourage la présentation des demandes de regroupement familial
en raison de son caractère particulièrement contraignant, ce qui
vide de son contenu l’obligation prévue à l’article 19.6 de son
contenu. De l’avis du comité, ces exigences ne sont donc pas conformes
à la Charte
.
49. On peut aussi avancer que les tests requièrent un certain
niveau de connaissances et de compétences. En conséquence, ils peuvent
conduire à exclure les migrants à faible niveau d’instruction, entraînant
des discriminations contre ceux qui n’ont pas reçu l’éducation nécessaire,
quand bien même ils pourraient être des membres de la société utiles
et productifs.
50. Se pose également la question de l’accès aux droits et aux
avantages dans les sociétés d’accueil. Il existe un risque croissant
que de nombreux migrants restent dans une situation incertaine.
Ils peuvent se voir contraints de renouveler leurs titres de séjour
temporaire au lieu de demander un titre de séjour permanent ce qui,
dans beaucoup de pays, s’avérera coûteux. Cela peut être une source
d’angoisse, et la question doit être posée: est-il juste et raisonnable
de soumettre quelqu’un qui travaille depuis des années, et qui est
productif et honnête, à l’incertitude d’une situation provisoire
et précaire? Si les migrants conservent leurs titres de séjour temporaire
parce qu’ils ne peuvent pas remplir les exigences fixées pour l’obtention
d’un titre de séjour permanent, ils auront en général moins de chances
de s’intégrer. Les migrants qui ont un titre de séjour temporaire,
selon l’Etat membre dans lequel ils vivent, peuvent ne pas avoir
pleinement accès au marché du travail, aux prestations sociales
ou au droit de vote lors des élections locales.
51. La conséquence la plus lourde, en cas de non-obtention d’un
titre de séjour permanent, est le maintien de l’insécurité en ce
qui concerne le droit de séjour. Si, par exemple, une exigence de
revenu n’est plus remplie, les migrants risquent de se voir retirer
leur permis ou d’être expulsés. Cela ne peut qu’affecter leurs perspectives
d’intégration. Bien que les conditions fixées par les Etats membres
visent à promouvoir l’intégration, elles peuvent produire l’effet
inverse pour les migrants qui souhaitent s’intégrer mais n’ont pas
les capacités voulues pour réussir les tests. Dans certains Etats
membres, ils peuvent même perdre leur titre de séjour temporaire
s’ils ne remplissent pas les critères d’intégration (par exemple
en Autriche et aux Pays-Bas). Enfin, est-il approprié de refuser
le séjour à quelqu’un qui est bien intégré, au regard des critères
d’intégration définis par le Conseil de l’Europe, simplement parce
qu’il échoue à un test?
52. Il existe aussi des questions particulières à propos des réfugiés.
Selon le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, il
faut garder à l’esprit que les personnes qui sont contraintes de
quitter leur domicile et leur pays n’ont pas toujours tous les documents
requis en leur possession et que le traumatisme et la pression qu’elles
subissent peuvent avoir un impact sur leur capacité d’apprendre
une nouvelle langue, malgré leurs efforts et leurs bonnes dispositions.
De plus, les tests de langue et les examens relatifs à l’histoire
et à la culture du pays d’accueil peuvent être plus difficiles pour
certaines catégories de réfugiés et de migrants volontaires, notamment
les personnes âgées et les personnes peu instruites ou illettrées.
Les conséquences de l’incertitude quant à un séjour permanent sont
sans doute encore plus lourdes pour les réfugiés ou les migrants
qui ont obtenu un permis à titre humanitaire. Pour eux, ce sera
une peur constante de l’expulsion vers un pays dans lequel ils risquent
d’être persécutés ou de subir des violences arbitraires et où ils
ont peut-être enduré des traumatismes physiques et/ou mentaux, dont
ils préféreraient chasser le souvenir.
53. Des travaux supplémentaires s’imposent pour examiner les incidences
de ces tests sur les droits de l’homme. Comme pour d’autres parties
du présent rapport, certaines de ces questions figurent à l’annexe
3.
5. Conclusion et
recommandations
54. Les tests ont été introduits à l’initiative d’un
petit nombre de pays, mais ils sont aujourd’hui largement répandus.
De ce fait, il est légitime et approprié que leur utilisation et
leur efficacité fassent l’objet d’un examen critique, en particulier
lorsqu’il est à craindre qu’ils portent atteinte aux droits de l’homme,
lorsqu’ils ont des conséquences involontaires, lorsqu’ils excluent
des personnes pouvant légitimement prétendre à l’entrée, au séjour
permanent ou à la nationalité, et lorsqu’ils fonctionnent en réalité
comme des mesures restrictives masquées en initiatives d’intégration.
La principale question pour l’Europe est donc de déterminer dans
quelle mesure les tests promeuvent l’intégration, et à quel moment
ils deviennent un obstacle et commencent de fait à la freiner.
55. Dans certaines circonstances, il peut être approprié d’engager
le processus d’intégration avant l’entrée dans le pays. Il peut
sembler logique, voire bénéfique de donner aux aspirants migrants
une vision claire des réalités du pays dans lequel ils veulent immigrer.
Il arrive souvent que certains acteurs, mais aussi des proches et
des amis bien intentionnés dressent un tableau idyllique de la vie
dans un autre pays. En conséquence, une description précise et honnête
peut contribuer à modérer les attentes et à favoriser l’intégration.
On peut aussi considérer comme légitimes certaines formes de tests
destinés à vérifier que les personnes ont réellement assimilé les
informations qui leur ont été données et la formation qui leur a
été dispensée.
56. Il existe des exemples positifs de pays dispensant aux demandeurs
des formations gratuites ou subventionnées à la langue et à la connaissance
du pays d’accueil avant leur arrivée dans le pays. Cette pratique
devrait être encouragée, car elle favorise clairement l’intégration.
Néanmoins, si ces programmes sont associés à un test formel, celui-ci
devrait uniquement permettre de déterminer les mesures de soutien supplémentaires
qui pourraient être nécessaires après l’entrée dans le pays, et
non permettre à lui seul d’exclure des migrants qui répondent à
tous les autres critères requis pour l’entrée.
57. Une question connexe est celle du niveau de compétence requis
pour les tests de langue préalables à l’entrée dans le pays. Les
niveaux doivent être accessibles et les apprenants doivent bénéficier
d’un appui solide. Il devrait exister d’autres options que les tests
formels pour ceux qui n’ont pas le degré d’alphabétisation nécessaire
pour les passer. Les migrants qui ont échoué aux tests malgré tous
leurs efforts ne devraient en aucun cas être exclus du regroupement
familial. Autrement dit, s’il convient d’exiger un effort, on ne
peut en aucun cas exiger un niveau donné de connaissances.
58. Pour ce qui est des tests postérieurs à l’entrée dans le pays,
ils étaient conçus à l’origine pour vérifier que les personnes qui
demandaient la nationalité avaient une connaissance suffisante de
la langue (et ultérieurement une connaissance du pays) de la société
d’accueil. Il existe quelques exemples de bonnes pratiques où le
niveau exigé lors des tests est approprié, d’autres options étant
disponibles, et où les candidats bénéficient d’un soutien efficace
pour se préparer. Cependant, ces exemples se font de plus en plus
rares et, plus préoccupant encore, des pays qui avaient de bons
modèles sont en voie de les réviser et de durcir le système.
59. Fait plus préoccupant encore, les tests initialement mis en
place aux fins de l’acquisition de la nationalité sont de plus en
plus utilisés pour déterminer si une personne peut bénéficier d’un
titre de séjour permanent. Il est évident que l’incertitude quant
à leur futur statut et la précarité de leur résidence restreignent
la capacité et la motivation des migrants à s’investir dans leur
intégration. De plus, un permis de séjour temporaire peut compromettre
les chances d’intégration, notamment en raison de moins bonnes perspectives
d’emploi, de l’inégibilité aux prestations sociales, de l’impossibilité
de contracter des emprunts immobiliers, etc.
60. De même, le fait de fixer des niveaux de compétence inatteignables
pour certains migrants les empêchera d’accéder à l’ensemble de leurs
droits et responsabilités. Les groupes les plus vulnérables à cet égard
incluent les personnes âgées et les personnes peu instruites ou
ayant un niveau d’alphabétisation faible.
61. Bien que les pays soient parfaitement en droit de chercher
à réduire ou à encadrer l’immigration, le fait d’employer à cette
fin des moyens décrits comme des mesures d’intégration ne pourra
que dévaloriser les programmes authentiquement consacrés à ce but.
62. Le regroupement familial pose un problème particulier. Les
tests ayant pour effet d’exclure des personnes qui, pour le reste,
remplissent les conditions d’entrée, ou qui peuvent potentiellement
porter atteinte aux droits de l’homme des intéressés, ne devraient
pas être admis
.
Nous devrions également faire en sorte que l’échec à un test postérieur
à l’entrée dans le pays ne prive pas la personne concernée de l’accès
aux services, aux droits et aux prestations dont elle aurait autrement
bénéficié.
63. Des recherches supplémentaires sur l’efficacité des tests
dans la promotion de l’intégration sont nécessaires, par exemple
pour déterminer quel est le niveau de compétence linguistique approprié
et identifier les meilleures façons de développer ce niveau de compétence.
Il conviendrait par ailleurs d’étudier les niveaux de compétence
qui sont raisonnablement accessibles aux personnes ayant un faible
niveau d’alphabétisation.
64. En 2012, le Conseil de l’Europe a ouvert un site web consacré
à l’intégration linguistique des migrants adultes (ILMA)
.
Les principaux objectifs de ce site sont d’offrir une plateforme
permettant aux Etats membres d’échanger des expériences et de réfléchir
ensemble sur les politiques et les pratiques dans ce domaine; d’aider
les Etats membres à élaborer des politiques cohérentes et efficaces
(ou à réexaminer les politiques existantes), dans le respect des
valeurs et des principes communs du Conseil de l’Europe; de proposer
un soutien pratique (dont des outils) pour la mise en œuvre effective
et l’évaluation de ces politiques; et d’encourager les bonnes pratiques
et l’assurance de la qualité dans le cadre des formations et des
tests linguistiques.
65. Les travaux déjà entrepris par l’Unité des politiques linguistiques
du Conseil de l’Europe constituent donc un outil précieux pour aider
les Etats membres à élaborer des politiques, des cours et des tests linguistiques
adaptés aux besoins des migrants, mais aussi de la société. En se
fondant sur les principes directeurs énoncés sur le site web ILMA,
les Etats membres devraient être invités :
- à définir les niveaux de compétences requis d’une manière
réaliste et flexible qui reflète les besoins réels et les capacités
de chacun des migrants;
- à s’assurer que les tests officiels – là où il y est fait
recours – sont conformes à des standards de qualité reconnus et
ne sont pas dévoyés de leur finalité pour exclure les migrants de
la société;
- à concevoir des mesures incitatives efficaces plutôt que
des sanctions inopérantes; ces mesures pourraient comprendre des
récompenses concrètes pour l’apprentissage de la langue, par exemple
par un accès plus rapide à l’emploi ou aux prestations sociales,
ce qui renforcerait la motivation;
- à examiner les avantages et les inconvénients de différents
types de tests et à se concentrer
sur les «bonnes pratiques» pour la conception des tests;
- à veiller à ce que les tests se déroulent dans des conditions
équitables pour tous.
66. Les Etats membres devraient être encouragés à trouver d’autres
solutions qui pourraient être plus justes et moins discriminatoires
pour tous les migrants ou pour des groupes particuliers de migrants.
Il est urgent de conduire des études d’évaluation comparatives supplémentaires
sur l’efficacité des tests à long terme en tant qu’outil propre
à favoriser des mesures d’intégration efficaces, viables et accessibles
avant et après l’entrée dans le pays. Il serait notamment utile
d’examiner dans quelle mesure le mode d’entrée sur le territoire (travailleur
migrant, membre de la famille, asile) devrait être pris en compte.
Nous devrions envisager d’associer l’Unité des politiques linguistiques
du Conseil de l’Europe à ces travaux. Cette unité est bien placée pour
apporter des conseils dans ce domaine et pourrait également être
invitée à réfléchir aux travaux supplémentaires qui pourraient être
entrepris en s’appuyant sur le CECR pour en faire un outil mieux
adapté aux tests de langue génériques et à expérimenter certains
processus qu’elle a développés.
67. Dernier point, et non des moindres, il conviendrait d’effectuer
un examen complet, ouvert et impartial des risques que présente
pour l’intégration de certains migrants le fait de ne leur accorder
qu’un droit de séjour temporaire en raison de leur incapacité à
réussir un test linguistique ou d’intégration.