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Avis de commission | Doc. 13251 | 25 juin 2013

Séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Dirk Van der MAELEN, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12749, Renvoi 3819 du 25 novembre 2011. Commission saisie du rapport: Commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Voir Doc. 13214. Avis approuvé par la commission le 24 juin 2013. 2013 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

(open)
1. La commission des questions politiques et de la démocratie salue le projet de résolution présenté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme dans la mesure où celui-ci a pour objet d’élaborer des principes directeurs visant à distinguer d’une part la responsabilité pénale légitime des responsables politiques et d’autre part la pénalisation inacceptable des prises de décision politiques. Ces principes s’adressent aux organes législatifs et autres autorités compétentes des Etats membres.
2. La commission félicite la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) pour son excellent avis et pour son analyse comparative sur le sujet. L’avis porte essentiellement sur la responsabilité pénale des ministres et il convient de rendre fidèlement compte des conclusions qui y figurent dans les principes à adopter par l’Assemblée.
3. Dans le même temps, la commission ne peut souscrire à l’approche adoptée dans le projet de résolution, qui propose d’appliquer ces principes directeurs à des cas concrets dans un seul et unique Etat membre. Elle comprend que ce choix était celui de la majorité des membres de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme.
4. Cela étant, la commission des questions politiques et de la démocratie est d’avis que, même si ce choix peut être repris dans l’exposé des motifs du rapport, ce qui relève de la seule responsabilité du rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, il ne saurait engager l’ensemble de l’Assemblée. Cette dernière ne devrait pas se substituer aux autorités nationales compétentes des Etats membres auxquelles elle demande de respecter et de mettre en œuvre les principes proposés. De plus, il existe une procédure de suivi vis-à-vis de l’Ukraine, et le mandat des corapporteurs de la commission de suivi couvre les questions soulevées dans le projet de résolution.

B. Propositions d’amendement

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Amendement A (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, remplacer le paragraphe 3.5 par le texte suivant:

«les dispositions nationales relatives à “l’abus d’autorité” devraient être interprétées étroitement et appliquées avec un seuil élevé, par rapport à des critères additionnels tels que, dans des cas mettant en jeu des intérêts économiques, l’intention d’obtenir des avantages personnels; elles ne devraient être invoquées qu’en dernier ressort contre des responsables politiques, et le niveau des sanctions devrait être proportionnel à l’infraction juridique et ne devrait pas être influencé par des considérations politiques;»

Amendement B (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, supprimer le paragraphe 4.

Amendement C (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, avant le paragraphe 5.1, ajouter l’alinéa suivant:

«invite instamment les majorités au pouvoir dans les Etats membres à s’abstenir d’utiliser de manière abusive le système judiciaire pénal en vigueur dans leur pays pour persécuter des opposants politiques;»

Amendement D (au projet de résolution)

Dans le projet de résolution, remplacer le paragraphe 5.3 par l’alinéa suivant:

«invite instamment les autorités compétentes des Etats membres qui ont été condamnés pour violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction des abus de pouvoir visant à restreindre les droits et les libertés) à prendre des mesures spécifiques pour garantir l’indépendance effective de la justice et à exécuter rapidement et intégralement les arrêts pertinents de la Cour européenne des droits de l’homme;»

C. Exposé des motifs, par M. Van der Maelen, rapporteur pour avis

(open)
1. Je salue le travail accompli par le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, M. Pieter Omtzigt, dans la mesure où celui-ci a pour objet d’élaborer des principes directeurs (normes) visant à séparer d’un côté la responsabilité pénale légitime des responsables politiques et, de l’autre, la pénalisation inacceptable des prises de décision politiques, objectif ambitieux s’il en est. Les principes proposés s’adressent aux organes législatifs et autres autorités compétentes des Etats membres. Ces derniers sont invités d’une part à abroger ou à reformuler les dispositions pénales générales relatives à l’abus d’autorité, et, d’autre part, à interpréter et à appliquer, avec une vigilance particulière et de manière restrictive, les procédures spéciales de destitution en cas de responsabilité pénale des ministres.
2. A cet égard, les travaux du rapporteur sur le fond ainsi que les résultats qui en découlent, à savoir le projet de résolution adopté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, correspondent à la proposition de résolution qui constitue le fondement du rapport: la nécessité d’élaborer «des normes européennes claires pour bien séparer la responsabilité politique de la responsabilité pénale» (Doc. 12749).
3. Je félicite la Commission de Venise pour son excellent avis et pour l’analyse comparative qu’elle a transmise sur «la relation entre responsabilité politique et responsabilité pénale des ministres», à la demande de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (document CL-AD(2013)001). Il convient de rendre fidèlement compte des conclusions qui y figurent dans les principes à adopter par l’Assemblée.
4. Dans le même temps, si je conçois bien que des études de cas concrets peuvent servir d’exemples pour illustrer la nécessité d’élaborer «des normes européennes claires» ou des principes directeurs dans le domaine qui nous occupe, je ne comprends pas pourquoi le rapporteur, dans son exposé des motifs, a appliqué les principes proposés à seulement trois cas dans deux Etats membres, ni, plus surprenant encore, pourquoi le projet de résolution adopté par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme ne renvoie qu’à deux cas particuliers dans un seul Etat membre.
5. Il n’est pas dans mon intention ici d’examiner si les principes de la séparation de la responsabilité politique et de la responsabilité pénale ont été ou non bafoués dans le cas de l’ex-premier ministre ukrainienne Ioulia Timochenko et de l’ex-ministre ukrainien de l’Intérieur Iouri Loutsenko, ni dans le cas de l’ex-premier ministre islandais Geir Haarde. Cela étant, d’un point de vue méthodologique, je ne comprends pas pourquoi il n’a pas été décidé de mentionner simplement ces trois cas pour illustrer le problème ainsi que la nécessaire élaboration de principes directeurs sur la séparation entre responsabilité politique et responsabilité pénale, ou pour s’en inspirer dans l’élaboration de certains principes, mais de véritablement appliquer lesdits principes directeurs à ces cas particuliers uniquement.
6. Tout d’abord, cette façon de procéder peut donner l’impression que ces affaires sont les seuls cas en Europe de violation des principes de séparation de la responsabilité politique et de la responsabilité pénale, ce qui n’était certainement pas l’intention du rapporteur ni de la commission des questions juridiques. Ensuite, s’agissant des cas de Mme Timochenko et de M. Loutsenko, qui sont les seuls mentionnés dans le projet de résolution, de mon point de vue, le fait que ces affaires soient également suivies de près par les corapporteurs de la commission de suivi sur l’Ukraine pose problème. En effet, un débat d’urgence a été organisé l’an dernier précisément sur ces affaires, le rapport a été confié aux corapporteurs de la commission de suivi sur l’Ukraine et l’Assemblée a adopté la Résolution 1862 (2012) dans laquelle elle exprime clairement ses préoccupations. L’analyse, longue et détaillée, que livre le rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme sur ces deux affaires et, en particulier, ses conclusions sur l’application à ces affaires des principes directeurs généraux qu’il propose pourraient fragiliser les travaux et le mandat des corapporteurs de la commission de suivi, qui entretiennent un dialogue permanent avec les autorités ukrainiennes sur les mêmes questions.
7. Je pense qu’il aurait été plus approprié que le rapport et le projet de résolution se soient limités à définir les principes directeurs ou normes, et qu’ils laissent des rapports spécifiques, que ce soit des rapports en cours – tels que des rapports de suivi par pays par exemple – ou des rapports à venir, traiter de l’application des principes directeurs généraux à des cas particuliers dans un ou plusieurs Etats membres.
8. Cela dit, je comprends que le choix des études de cas concernant l’Ukraine et l’Islande a été approuvé à la majorité par la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et que le rapporteur a donc accompli sa mission en suivant les consignes de la commission.
9. Quoi qu’il en soit, en tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des questions politiques et de la démocratie, j’estime que, même si ce choix peut être repris dans l’exposé des motifs du rapport, ce qui relève de la seule responsabilité du rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, il ne saurait engager l’ensemble de l’Assemblée. Cette dernière ne devrait pas se substituer aux autorités nationales compétentes des Etats membres auxquelles elle demande de respecter et de mettre en œuvre les principes proposés, à tout le moins pas dans une résolution qui est le résultat d’un rapport thématique censé établir ces principes. Ainsi que cela a déjà été indiqué, il serait envisageable, dans un second temps, d’appliquer ces principes à des cas précis.
10. Compte tenu des considérations ci-dessus, qui sont essentiellement de nature méthodologique, je propose les amendements B et C, qui sont liés. Plus précisément, l’amendement B propose de supprimer la référence, dans la résolution, à deux affaires précises concernant l’Ukraine; et l’amendement C propose de remplacer cette référence par un appel lancé aux autorités de tous les Etats membres. En effet, il est clair que le problème de la distinction entre la responsabilité pénale légitime et la criminalisation inacceptable de la prise de décisions politique ne se pose pas seulement en Ukraine (ou en Islande, selon l’exposé des motifs), mais aussi, à des degrés divers, ailleurs en Europe. Si ces amendements étaient acceptés, les autorités de tous les Etats membres seraient instamment invitées à s’abstenir d’utiliser leur système de justice pénale pour persécuter des opposants politiques.
11. Pour des raisons similaires, je propose aussi l’amendement D. Au lieu de demander uniquement à l’Ukraine de garantir «l’indépendance effective de la justice» et d’exécuter «les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme en la matière», je propose d’adresser des recommandations analogues aux autorités des Etats membres qui ont été condamnés (ou pourraient l’être dans l’avenir) pour violation de l’article 18 de la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5, «la Convention»).
12. L’article 18 se lit ainsi: «Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues.» L’article 18 de la Convention interdit donc les «abus de pouvoir», ce qui le met directement en lien avec le sujet du rapport. La Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation de l’article 18, combiné avec l’article 5.1.c, dans trois affaires: les affaires Lutsenko et Timochenko contre l’Ukraine 
			(1) 
			Lutsenko
c. Ukraine, Requête n° 6492/11, arrêt du 3 juillet 2012,
et Timochenko c. Ukraine, Requête
n° 49872/11, arrêt du 30 avril 2013. et l’affaire Goussinski contre la Russie 
			(2) 
			Goussinski c. Russie, Requête n° 7027/01,
arrêt du 19 mai 2004.; la Cour a estimé dans ces trois affaires que la détention des intéressés poursuivait un autre but que celui pour lequel elle est prévue par la loi.
13. C’est pourquoi l’amendement que je propose vise à mettre l’accent sur les affaires dans lesquelles des «abus de pouvoir» ont été constatés par la Cour européenne des droits de l'homme; il s’adresse aussi bien aux autorités russes qu’aux autorités ukrainiennes, en ce qui concerne la jurisprudence actuelle, sans exclure la possibilité que doivent être exécutés dans l’avenir des arrêts similaires que la Cour aura rendus à l’égard d’autres Etats membres.
14. Enfin et surtout, s’agissant de ce qui devrait être l’objectif premier du rapport, à savoir la définition de critères permettant de faire la distinction entre la responsabilité pénale légitime des responsables politiques et la criminalisation inacceptable de la prise de décisions politique, j’ai une objection concernant l’alinéa 3.5 du projet de résolution. De fait, le paragraphe 3 propose des principes directeurs, «conformément aux conclusions de la Commission de Venise». Cependant, le rapport de la Commission de Venise n’est pas aussi restrictif que le projet de résolution et souligne que, dans certains Etats membres, le problème n’est pas que les ministres soient trop souvent tenus pour pénalement responsables, mais l’inverse (voir le paragraphe 107 du rapport). C’est pourquoi la Commission de Venise, tout en reconnaissant que les dispositions nationales sur l’«abus de pouvoir» peuvent être «problématiques», n’exclut pas leur utilisation mais recommande qu’elles soient «interprétées de façon étroite et mises en œuvre selon un seuil élevé» (voir les paragraphes 113 et 114).
15. L’alinéa 3.4 du projet de résolution, combiné avec l’alinéa 3.5, dans sa version actuelle, donne l’impression que les dispositions relatives à «l’abus d’autorité» doivent être exclues. En particulier, l’alinéa 3.5 donne une interprétation très restrictive du rapport de la Commission de Venise et n’explique pas pourquoi les responsables politiques devraient être tenus pour pénalement responsables dans l’exercice de leurs fonctions uniquement lorsqu’ils agissent «dans leur intérêt personnel» ou «portent atteinte aux droits fondamentaux d’autrui». Le critère de l’«intérêt personnel» serait-il retenu si un responsable politique favorisait un parti, un ami chef d’entreprise ou une organisation non gouvernementale, sans réaliser aucun gain personnel? Et pourquoi ne mentionnerait-on pas d’autres critères, comme ceux qui sont énumérés au paragraphe 102 du rapport de la Commission de Venise?
16. En conséquence, je propose l’amendement A en vue d’aligner le texte de la résolution sur celui du rapport de la Commission de Venise (à savoir les paragraphes 114 et 115). Je suggère de mentionner la nécessité de se référer à des «critères additionnels» lors de la rédaction ou de l’application de dispositions sur «l’abus d’autorité»; en outre, je propose de faire référence aux «avantages personnels» dans des cas mettant en jeu des intérêts économiques uniquement à titre d’exemple, au lieu de dresser une liste exhaustive. J’espère que, si cet amendement est accepté, le texte indiquera plus clairement que notre Assemblée, si elle ne souhaite pas que des responsables politiques soient victimes d’un usage abusif des lois, ne souhaite pas non plus qu’ils soient au-dessus des lois.