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Avis de commission | Doc. 13252 | 26 juin 2013

Mettre fin aux stérilisations et aux castrations forcées

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Fatiha SAÏDI, Belgique, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12444, Renvoi 3739 du 24 janvier 2011. Commission saisie du rapport: Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable. Voir Doc. 13215. Avis approuvé par la commission le 24 juin 2013. 2013 - Troisième partie de session

A. Conclusions de la commission

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1. La commission sur l’égalité et la non-discrimination félicite la rapporteure de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable pour son rapport complet et approfondi et soutient le projet de résolution.
2. La commission constate que la rapporteure a adopté une approche fondée sur les droits humains et que son rapport est en ligne avec les orientations et les thèmes traités par la commission elle-même. Par conséquent, elle n’estime pas nécessaire de proposer des amendements à ce texte.
3. La commission souhaite néanmoins intégrer dans l’exposé des motifs quelques éléments complémentaires, notamment au sujet de la violence à l’égard des femmes et de la situation des personnes transgenres.

B. Exposé des motifs par Mme Saïdi, rapporteure pour avis

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1. Introduction

1. J’aimerais féliciter la rapporteure de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, Mme Liliane Maury Pasquier, pour son rapport aussi complet qu’approfondi.
2. Un grand nombre de questions relevant du mandat de la commission de l’égalité et la non-discrimination ont été prises en considération dans ce rapport: en effet, parmi les groupes indiqués par la rapporteure comme cibles principales des stérilisations et castrations forcées ou imposées au cours du 20e siècle, trois (à savoir les femmes Roms, les personnes transgenres et les personnes handicapées) sont victimes de différentes formes de discrimination et font l’objet des travaux de notre commission sous plusieurs angles. Je ne peux que partager l’approche adoptée par la rapporteure, strictement basée sur les droits humains, et soutenir ses conclusions.
3. Dans le présent avis, je me limiterai à souligner quelques aspects qui sont particulièrement liés aux activités de la commission sur l’égalité et la non-discrimination et aux principes qu’elle a promus depuis ses origines et sur la base de son mandat élargi.

2. Stérilisations: une forme de violence fondée sur le genre

4. En considérant le rapport de Mme Maury Pasquier, force est de constater que les femmes sont affectées de façon disproportionnée par les pratiques de stérilisation forcée menées aux cours des décennies passées. Auprès des communautés Roms, les cibles des campagnes de stérilisation ont été les femmes. Il en est de même en ce qui concerne les personnes handicapées. A l’extérieur de l’Europe, la stérilisation forcée a concerné des femmes toxicomanes (par exemple aux Etats-Unis) et des femmes atteintes du VIH/Sida. Ce dernier cas est signalé dans de nombreux pays, parmi lesquels l’Afrique du Sud, le Chili, le Mexique, la Namibie, la République Dominicaine, le Vénézuela et le Zimbabwe. Dans certains pays d’Asie, les médecins encourageaient les femmes séropositives à se faire stériliser; en considérant l’autorité que les docteurs exercent notamment sur des individus illettrés et malades, la distinction entre encouragement et coercition s’avère très subtile.
5. Dans le système de la Convention CEDAW (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) des Nations Unies, la stérilisation forcée est considérée comme une forme de violence à l’égard des femmes. Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes indique dans sa Recommandation générale N° 19, que «la stérilisation ou l’avortement obligatoire nuit à la santé physique et mentale des femmes et compromet leur droit de décider du nombre et de l’espacement des naissances». Elle demande ainsi aux Etats Parties de veiller «à ce que les femmes puissent décider sans entraves de leur fécondité et ne soient pas forcées de recourir à des pratiques médicales dangereuses».
6. Si le texte dans son ensemble fait référence principalement au contrôle de la fécondité et à la possibilité de recourir en sécurité à l’avortement, il me semble que ces principes devraient être interprétés également dans le sens d’exclure toute forme de stérilisation non volontaire. Le «droit de décider du nombre des naissances» doit, à mon sens, comprendre la faculté d’entreprendre et de continuer une grossesse au même titre que celle de l’interrompre.
7. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul, STCE n° 210) prévoit à l’article 39 (Avortement et stérilisation forcés) que «les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infractions pénales, lorsqu’ils sont commis intentionnellement: (…) le fait de pratiquer une intervention chirurgicale qui a pour objet ou pour effet de mettre fin à la capacité d’une femme de se reproduire naturellement sans son accord préalable et éclairé ou sans sa compréhension de la procédure». L’entrée en vigueur de la convention et son application par les Parties permettra de combattre efficacement toute pratique de stérilisation ciblant les femmes. A mon avis, cette interdiction introduira, dans la culture juridique de différents pays, le principe général que la stérilisation forcée ou imposée est une forme de violence inacceptable. Cela facilitera l’abandon de cette pratique même en ce qui concerne les personnes transgenres, qui ne sont pas toutes directement protégées par l’article 39 de la Convention d’Istanbul.

3. Personnes transgenres

8. Les personnes transgenres sont systématiquement victimes de stérilisation forcée ou imposée. La rapporteure a traité de façon approfondie les développements qui ont eu lieu en Suède, premier pays à se doter d’une législation sur le changement de sexe en 1972. Cette loi prévoyait que les personnes faisant la demande de changer de sexe soient obligées de se faire stériliser.
9. Si en Suède, comme la rapporteure l’indique, la loi a été reformée, dans un grand nombre de pays une obligation de stérilisation dans des cas pareils est encore en vigueur. Cet aspect a été traité par M. Nicolas Beger, Directeur pour l’Europe d’Amnesty International, lors d’une audition sur la situation des personnes transgenres en Europe qui a eu lieu à Paris le 24 mai 2013, dans le cadre de la réunion de la commission sur l’égalité et la non-discrimination.
10. Comme Monsieur Beger l’a souligné, il s’agit de l’une des nombreuses formes de discriminations auxquelles les personnes transgenres font face en Europe encore aujourd’hui. Il s’agit du seul groupe qui est encore victime de stérilisations forcées prévues par la loi. Dans 24 pays européens, la stérilisation est une condition pour le changement de sexe. Dans 19 pays, le divorce est également requis.
11. L’autre invitée à la même audition du 24 mai, Mme Vanessa Lacey de l’organisation «Transgender Equality Network Ireland», a parlé de la discrimination à laquelle les personnes transgenres font face et donné un témoignage personnel. Avant la transition vers une identité de genre féminin, elle a été mariée avec une femme avec qui elle a eu deux enfants. Au-delà de tous les autres aspects, cela me fait penser que toute obligation de stérilisation visant à «maintenir un certain ordre» dans les questions de filiation est non seulement injuste et inhumaine, mais aussi inutile. De plus, cette finalité appartient à une époque passée, où le concept d’homoparentalité n’existait pas.
12. En ce qui concerne les personnes transgenres, une référence utile est représentée par les Principes de Jogjakarta sur l’application du droit international des droits de l’homme en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, élaborés par un groupe international d’experts en 2006,  pour l'interdiction absolue de la discrimination contre les personnes LGBT et pour leur protection. L’autorité de ces principes a été reconnue à plusieurs occasions par les Nations Unies et le Conseil de l’Europe.
13. Le principe numéro 3, intitulé «Droit à la reconnaissance devant la loi», affirme que «L’orientation sexuelle et l’identité de genre définies par chacun personnellement font partie intégrante de sa personnalité et sont l’un des aspects les plus fondamentaux de l’autodétermination, de la dignité et de la liberté. Personne ne sera forcé de subir des procédures médicales, y compris la chirurgie de réassignation de sexe, la stérilisation ou la thérapie hormonale, comme condition à la reconnaissance légale de son identité de genre. Aucun statut, tels que le mariage ou la condition de parent, ne peut être invoqué en tant que tel pour empêcher la reconnaissance légale de l’identité de genre d’une personne».
14. Je souscris entièrement à ce principe dont la formulation me semble très claire. Il convient de citer ici une partie des recommandations indiquées par la suite dans le même texte. «Les Etats devront: (…) Prendre toutes les dispositions législatives et administratives, ainsi que toutes autres mesures, nécessaires pour respecter pleinement et reconnaître légalement l’identité de genre telle que chacun l’a définie pour soi-même; Prendre toutes les dispositions législatives et administratives, ainsi que toute autre mesure, nécessaires pour assurer l’existence de procédures par lesquelles tous les documents émis par l’Etat indiquant l’identité de genre d’une personne – y compris les certificats de naissance, les passeports, les registres électoraux et d’autres documents – reflètent l’identité de genre profonde telle que définie par chacun pour soi-même; Garantir que de telles procédures soient efficaces, équitables et non discriminatoires, et qu’elles respectent la dignité et la vie privée de la personne concernée (…);»