1. Introduction
1. Ce rapport trouve son origine dans la proposition
de résolution «La lutte contre la discrimination fondée sur l’âge
sur le marché du travail»
.
2. La discrimination fondée sur l’âge se caractérise par la différence
de traitement et la négation de droits ou d’opportunités qui n’est
pas justifiée par d’autres raisons. Cette forme de discrimination
est devenue un concept sociologique: l’âgisme
. Tout comme le racisme
ou le sexisme, l’âgisme correspond au préjugé qu’un groupe possède
envers d’autres groupes.
3. Dans un contexte de crise économique, l’accès au marché du
travail est difficile pour tous. Les groupes discriminés sont les
premiers touchés. D’ailleurs, parmi les manifestations les plus
inquiétantes de l’âgisme contemporain, on retrouve les discriminations
dans le domaine de l’emploi (trentenaires jugés «trop jeunes», quadragénaires
jugés «trop vieux»!), de l’accès à la formation continue (plus difficile
dès la quarantaine), ou encore de l’accès à certaines aides ou à
certains soins.
4. Même si de nombreuses manifestations de l’âgisme touchent
également les jeunes, ce rapport n’abordera pas la question de la
discrimination à l’égard des jeunes sur le marché de l’emploi, laquelle
a déjà été traitée par l’Assemblée parlementaire dans son rapport
sur «La forte baisse du taux d’emploi des jeunes: inverser la tendance»
.
L’Assemblée considère que le chômage et le sous-emploi des jeunes
sont principalement imputables à l’inadéquation entre les qualifications
des jeunes et les besoins du marché du travail, à l’évolution rapide
des conditions du marché du travail, aux mutations économiques structurelles
et à l’érosion des dépenses publiques consacrées aux stratégies
intégrées en faveur de l’emploi.
5. Mon rapport se concentre donc sur la question de la discrimination
liée à l’âge envers les aînés sur le marché du travail. Dans le
cadre de la préparation de ce rapport, la commission sur l’égalité
et la non-discrimination a organisé une audition avec Mme Anne Sonnet
de
l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE),
le 25 avril 2013 à Strasbourg.
2. Evolution
démographique et marché du travail
6. Notre société est multi-générationnelle et les tendances
démographiques montrent qu’elle l’est de plus en plus. A l’heure
actuelle, du fait du prolongement de la durée de vie, une importante
partie de la population est à l’âge de la retraite et au-delà, et
de fait, trois, quatre, voire cinq générations coexistent dans nos
sociétés.
7. «Selon les projections, d’ici à 2050, le nombre de personnes
de plus de 60 ans devrait tripler au niveau mondial, atteignant
2 milliards d’individus. L’Europe compte la plus forte proportion
de personnes âgées et cela restera le cas pendant des décennies;
d’ici à 2050, plus d’un tiers de la population européenne devrait
avoir dépassé les 60 ans. Cette situation exigera des changements
majeurs de politique et d’attitude vis-à-vis de l’âge»
.
A ce sujet, la
Résolution
1864 (2012) «Tendances démographiques en Europe: transformer les
défis en opportunités»
donne de
précieuses informations détaillées sur l’évolution démographique
de l’Europe.
8. Par ailleurs, selon divers auteurs
, l’avènement de la société industrielle
a engendré d’importants changements ayant causé une diminution du
statut et du rôle prestigieux des seniors. Les habiletés technologiques
sont devenues beaucoup plus prisées que l’expérience, ce qui éloigne
de plus en plus les aînés de leur statut traditionnel dans la société.
De plus, la retraite obligatoire est survenue avec la révolution industrielle.
Les travailleurs seniors étaient écartés de la chaîne de production
sur la base de leur âge plutôt que sur la base de leurs compétences.
Cela a eu des conséquences importantes pour la représentation sociale de
la «vieillesse au 20e siècle, puisque
les aînés étaient considérés comme moins compétents et productifs.
9. Le vieillissement démographique est un défi auquel toutes
les régions européennes devront faire face. La problématique du
sort des travailleurs seniors, jusqu’alors marginale, devient plus
importante, et surtout s’inscrit dans une perspective différente.
Il s’agit désormais de savoir comment conserver à l’intérieur des entreprises
les compétences et le savoir-faire des travailleurs seniors: le
maintien dans l’emploi des travailleurs de 55 ans ou plus et le
retour au travail des jeunes retraités deviennent d’actualité.
En chiffres :
–
d’ici à 2050 le nombre de personnes de plus de 60 ans devrait tripler
au niveau mondial, atteignant 2 milliards d’individus ;
–
l’Europe sera le seul continent dont le taux de croissance de la
population sera négatif au cours des cinquante prochaines années;
–
d’ici à la moitié de ce siècle, dans l’Union européenne il devrait
y avoir 48 millions de personnes âgées de 15 à 64 ans de moins et
58 millions de personnes âgées de plus de 65 ans de plus . Au cours des quelque trente prochaines
années, la population active devrait diminuer au rythme de 1 million
à 1,5 million de personnes par an. Parallèlement, le nombre de personnes
âgées de 60 ans et plus devrait augmenter au rythme de 2 millions
de personnes par an .
|
3. Discrimination
sur le marché de l’emploi
3.1. Dimension
10. Dans son évaluation de la mise en œuvre des recommandations
de 2011 en matière de lutte contre la discrimination fondée sur
l’âge, l’OCDE relève que, même s’il n’existe aucune façon objective
de mesurer la discrimination aux motifs de l’âge, les études montrent
que, en 2010 et dans les 27 pays de l’Union européenne, entre 2%
et 9 % des travailleurs de 50 ans et plus font état de discrimination
liée à l’âge sur leur lieu de travail.
11. Les données divergent selon les pays: au Danemark et au Luxembourg,
la discrimination a diminué cette dernière décennie, tandis qu’en
Grèce et en Suède, elle s’est intensifiée. La discrimination à l’encontre
des plus de 50 ans peut prendre diverses formes, par exemple le
peu de réponses apportées à leurs demandes d’emploi, ou encore une
offre moindre d’opportunités de formation.
3.2. Différence entre
distinction fondée sur âge et discrimination
12. Il y a des situations où une distinction fondée sur
l’âge est justifiée, parce qu’elle rencontre un objectif légitime
et les moyens pour l’atteindre sont appropriés et nécessaires. C’est
le cas lorsqu’on prévoit des mesures positives, telles que des facilitations
pour l’accès à certains services or prestations. Aussi dans le contexte
du marché du travail peut-il y avoir des cas dans lesquelles une
distinction sur la base de l’âge est justifiée (par exemple, on
cherche un/e jeune acteur/rice pour interpréter le rôle d’une/e
jeune).
13. Ces cas, cependant, ne sont pas très fréquents. Par contre,
en France, le baromètre établi par l’Observatoire des discriminations
indique que l’âge est le premier facteur de discrimination dans
l’emploi. Il importe davantage que l’origine ethnique, le sexe ou
la présence d’un handicap chez les postulants à un emploi sans critère
d’éligibilité propre à l’âge et c’est aussi le cas dans de nombreux
pays.
14. L’âgisme dans le domaine de l’emploi se manifeste à travers
les discours, les attitudes et les pratiques discriminatoires fondées
sur l’âge. Ces manifestations, conscientes ou inconscientes, sont
guidées par les divers stéréotypes associés aux travailleurs.
15. Les préjugés associés à une population vieillissante sont
les suivants:
- difficultés
sur le plan physique: les travailleurs seniors sont considérés comme
lents, nécessitant des périodes de repos et n’étant pas physiquement
à la hauteur de leur travail;
- difficultés sur le plan mental et cognitif, ce qui laisse
croire que les travailleurs seniors ne gèrent pas bien les urgences,
ne sont pas sûrs d’eux, font de nombreuses erreurs, peuvent difficilement
se concentrer, prennent beaucoup de temps à effectuer des opérations
nouvelles, sont mentalement incapables de suivre le rythme du travail,
ont des compétences limitées et manquent de créativité ou de capacité d’innovation;
- les travailleurs seniors ont davantage d’accidents et
de maladies professionnelles et ils en sont plus longtemps affectés.
Les travailleurs seniors sont également associés à des coûts supplémentaires, notamment
des coûts d’assurance;
- les travailleurs seniors sont trop vieux pour être formés
ou ils ne désirent pas l’être, ils ont un taux d’absentéisme plus
élevé, ils n’ont pas d’ambition et se contentent d’attendre l’âge
de la retraite;
- ils éprouvent des difficultés dans leurs rapports avec
la jeunesse, ils sont résistants aux changements, etc.
16. Comme pour tout type de discrimination basé sur des préjugés,
le danger réside dans la généralisation.
17. En réalité, aucune étude sociologique n’a pu trouver de lien
entre la performance au travail et l’âge. Bien d’autres critères
entrent en ligne de compte. Il n’y a pas d’âge charnière systématique
et applicable à tous à partir duquel les capacités commencent à
décroître: les capacités en fin de carrière varient d’un individu
à l’autre et sont fortement liées aux conditions de travail caractérisant
l’ensemble de la carrière passée. Pour rester performants, les travailleurs
seniors mettent en place diverses stratégies basées sur leur expérience professionnelle.
3.3. La discrimination
à l’embauche
18. La discrimination peut se produire à tous les stades
d’une relation de travail. Toutefois, le marché du travail étant
extrêmement compétitif, les seniors se retrouvent parmi la population
active la plus discriminée au moment de l’embauche.
19. En fait, l’âge est le premier critère de recrutement (distinctif)
inhérent à la personne qui est le moins avoué par les employeurs,
après les caractéristiques extérieures du candidat (style vestimentaire,
manière de parler, apparence physique générale).
20. L’argument utilisé par les employeurs pour justifier une distinction
sur la base de l’âge au travail est la rentabilité économique. La
rentabilité des travailleurs occupe une place centrale dans le marché
du travail actuel et place les travailleurs seniors dans une catégorie
à part. Quand ils se retrouvent à chercher un emploi, ils sont en
concurrence à la fois avec les travailleurs plus jeunes et avec
les préretraités ou même les retraités qui cherchent des emplois
complémentaires (voir ci-dessous).
3.4. La discrimination
dans l’accès à la formation continue
21. C’est également dans l’accès à la formation que les
travailleurs les plus âgés se voient confrontés à une discrimination
directe. En raison du rythme de changement rapide de l’économie
contemporaine, les travailleurs doivent posséder des compétences
poussées et les faire évoluer au même rythme pour rester performants.
Une façon de répondre à cette exigence est la formation des travailleurs.
Or, du fait de l’évolution des connaissances et des technologies,
les travailleurs seniors possèdent généralement moins de qualifications
dans les technologies de pointe que les plus jeunes. De fait, ils
sont souvent plus vulnérables à l’exclusion du marché du travail
et se retrouvent touchés par les premières vagues de licenciement
car les employeurs considèrent souvent qu’il n’est pas rentable
de former quelqu’un qui part bientôt à la retraite. Pourtant, les
études ont démontré que la formation augmentait la productivité,
peu importe l’âge du travailleur.
22. Par ailleurs, il faut reconnaître qu’en fin de carrière, certains
travailleurs peuvent être plus réticents à se perfectionner ou à
s’adapter à de nouvelles technologies, prétextant une fin de carrière
imminente. Ces travailleurs seniors sont eux-mêmes acteurs des préjugés
et intègrent dans leur comportement l'idée qu'il est trop tard pour
apprendre.
23. Je suis convaincue que s'ils désirent recevoir une formation,
les travailleurs plus âgés doivent avoir la possibilité de continuer
d’apprendre tout au long de leur vie pour des raisons professionnelles,
pour leur épanouissement personnel et pour leur permettre de continuer
de participer à la vie de la société de façon productive. C'est
à ce prix que le vieillissement de la population est un atout et
non un fardeau social.
3.5. Licenciements et
retraite anticipée
24. Le visage de la retraite a bien changé depuis les
dernières décennies et il continuera de changer avec l’arrivée à
l’âge de la retraite de l’imposante génération des baby-boomers.
Sur ce sujet, je renvoie le lecteur au rapport sur «Des pensions
de retraites décentes pour tous» et à la
Résolution
1882 (2012) .
25. C’est pour diminuer les masses salariales et la pression sur
l’emploi dans un contexte économique spécifique que les gouvernements
et les entreprises ont réagi en mettant sur pied des programmes
accélérant le retrait des salariés vieillissants de la population
active. Cependant, les mesures incitant à une sortie anticipée et
la mise en place de parachutes dorés ont des conséquences collectives.
Ces pratiques sous-estiment les effets négatifs de la réduction
globale de la main d’œuvre active.
26. On retrouve dans ces politiques l’empreinte des préjugés défavorables
aux seniors en général et à la main d’œuvre vieillissante. Le fait
est que, aujourd'hui, le vieillissement de la population est souvent
perçu comme un fardeau social.
27. Même si ces retraites anticipées sont parfois dotées de compensations
financières, elles peuvent cacher en réalité du chômage déguisé.
Il n’est pas rare d’entendre dire qu’un travailleur senior devrait
récolter les fruits de son travail acharné et profiter d’une retraite
bien méritée. La retraite anticipée peut ainsi sembler anodine et
même bien intentionnée, mais elle peut s’avérer un dictat pour ceux
qui souhaitent ou ont besoin de continuer à travailler.
28. De fait, la retraite anticipée est de moins en moins une question
de choix et résulte de plus en plus de pressions. Les préretraites
permettent aussi aux entreprises de rajeunir leur main-d’œuvre en
se séparant de leurs employés vieillissants, jugés improductifs.
Beaucoup d’employeurs veulent se défaire des travailleurs seniors,
particulièrement lorsqu’ils sont syndiqués, car ils nécessitent
des salaires plus élevés que les plus jeunes et les employés non
syndiqués qui ne sont pas forcément en mesure de faire valoir leurs
droits.
29. Les travailleurs seniors vivent souvent de longues périodes
de chômage après avoir été congédiés. Les travailleurs ayant plus
de 45 ans restent plus longtemps au chômage que les plus jeunes.
Ceux qui ont moins de diplômes et ont travaillé toute leur vie dans
un secteur aujourd’hui en déclin ou exposé à une forte concurrence
internationale risquent particulièrement de se retrouver en situation
d’emploi précaire ou disqualifié, ou encore en cessation permanente
d’activité.
30. Lorsqu’ils retrouvent un travail, leur salaire est souvent
inférieur à celui qu’ils avaient auparavant. De plus, ils risquent
davantage de se décourager après un licenciement et de ne plus chercher
d’emploi. La perte d’un emploi peut, à tout âge, entraîner des problèmes
comme la pauvreté, la diminution de l’estime de soi, un sentiment
d’insécurité, l’ennui et l’isolement, qui peuvent avoir des répercussions
sur la santé physique et mentale.
31. Les travailleurs âgés de 55 ans ou plus peuvent aussi se retrouver
en situation de concurrence avec des retraités qui souhaitent augmenter
leurs revenus de retraite, mais qui peuvent se contenter d’un salaire
réduit, étant donné qu’ils reçoivent déjà une rente. De fait, plusieurs
retraités réalisent, après un départ anticipé à la retraite, que
les prestations versées sont insuffisantes pour survivre sans sombrer
dans la pauvreté. Du fait de la crise sévère actuelle, il arrive
également que les retraités reprenant une activité professionnelle
pour compléter une retraite trop maigre, se voient couper une part
de leur retraite ou plus lourdement imposer sur leur activité complémentaire.
Ces formes de discriminations sont exacerbées sur un marché du travail
si tendu.
32. Dans cette Europe vieillissante où l'espérance de vie s'allonge,
l'objectif doit donc être d'assurer un meilleur équilibre entre
la durée de la vie professionnelle et la durée des retraites. La
Commission européenne, dans son livre blanc sur les retraites de
février 2012, préconise pour ce faire d'encourager les populations
des Etats membres à rester plus longtemps en activité et donc de
repousser l'âge légal de départ en retraite. Les solutions et les
bornes d'âge ne peuvent toutefois pas être les mêmes pour tous les
Etats, en raison notamment de démographies différentes.
3.6. Les discriminations
multiples envers les femmes plus âgées
33. En Europe, l’espérance de vie est de 76 ans pour
les hommes et 82 ans pour les femmes. Cette différence est un facteur
discriminant qui doit être pris en compte lorsque l’on traite de
la question du vieillissement de la population. Cela dit, il semble
que l’écart entre l’espérance de vie des femmes et des hommes tende
à diminuer, notamment du fait de modes de vie de plus en plus similaires.
De plus, l’écart entre l’espérance de vie en bonne santé des populations
masculine et féminine est moindre que celui de l’espérance de vie
dans l’absolu. L’écart entre l’espérance de vie en bonne santé des
hommes et des femmes est aujourd’hui inférieur à un an.
34. La double discrimination dont sont souvent victimes les femmes
d’un certain âge dans nos sociétés repose d’une part sur le fait
que les femmes sont l’objet de discrimination fondée sur l’âge et
d’autre part sur leur sexe. De fait:
- les femmes âgées sont plus touchées par la pauvreté, du
fait notamment de la constitution des retraites inférieures à celles
des hommes. Le niveau moins élevé des pensions est en général lié
au niveau des salaires lui-même globalement inférieur à celui des
hommes;
- les différentes fonctions de soins traditionnellement
assurées par les femmes tout au long de leur vie active (comme le
congé maternité, la garde des enfants ou le rôle d’aide auprès de
personnes âgées) placent davantage les femmes dans des situations
de discontinuité du travail, ce qui a un impact sur leurs retraites;
- par conséquent, les femmes deviennent plus fréquemment
dépendantes que les hommes des services publics et privés ainsi
que des services de santé publique que ce soit en qualité d’aidantes
ou de bénéficiaires de ces soins. Ceci les place en position difficile
si de tels services n’existent pas ou sont défaillants;
- les migrantes d’un certain âge sont victime de discriminations
multiples du fait de la discrimination fondée sur l’âge, sur leur
sexe et sur leur pays d’origine.
4. Les instruments
internationaux de lutte contre la discrimination fondée sur l’âge
35. Le cadre de référence au niveau international reste
la Recommandation du Bureau International du Travail (BIT) n° 162
de 1980
, qui présente des recommandations
précises pour les Etats pour le développement de leurs politiques
nationales et législation. La Recommandation n° 162 ne définit pas
les «travailleurs âgés» en tant que tels mais elle recommande que
«les problèmes des travailleurs âgés devraient être traités dans
le contexte d'une stratégie globale et équilibrée de plein emploi
et, au niveau de l'entreprise, d'une politique sociale globale et
équilibrée, en tenant dûment compte de tous les groupes de la population
et en assurant par-là que les problèmes de l'emploi ne seront pas
reportés d'un groupe sur un autre».
36. Au niveau de l’Union européenne, c’est dans les articles 10
et 19 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qu’il
faut chercher la référence à la discrimination fondée sur l’âge
sur le marché du travail. Cet article donne pouvoir à l’Union européenne
pour lutter contre la discrimination basée sur six critères, y compris
l’âge. Et c’est la Directive 2000/78/EC du Conseil de l’Union européenne
qui établit un cadre général en faveur de l’égalité de traitement
en matière d’emploi et de travail et l’âge comme un critère de discrimination. Cette
directive interdit la discrimination directe et indirecte (y compris
le harcèlement et tout comportement à enjoindre quelqu’un à pratiquer
une discrimination) et prévoit les recours légaux nationaux en cas
de discrimination. Dans le souci d’équilibrer la situation des employeurs,
elle introduit la notion de «discrimination objectivement et raisonnablement
justifiées, dans le cadre des objectifs légitimes de politique de
l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle».
37. Même s’il s’avère impossible de définir un cadre législatif
unique et adapté à toutes les situations, certains paramètres peuvent
être établis
. Pour lutter
concrètement contre la discrimination des seniors sur le marché
du travail, les législations nationales peuvent notamment pourvoir:
- à l’employabilité des travailleurs
seniors: la limitation ou l’interdiction de l’accès au marché du
travail aux travailleurs plus âgées doivent être clairement définies
comme discriminatoire et interdite;
- à la protection de l’emploi: un travailleur senior doit
se voir garanti de ne pas être renvoyé en raison de son âge et ses
conditions de travail, de progression et de développement de carrière
ne doivent pas être limitées de par son âge;
- à des mesures de prévention de la discrimination fondée
sur l’âge;
- à définir les responsabilités de tous les acteurs concernés
sur le lieu de travail.
5. Vers une action
positive pour la protection des groupes discriminés
38. L’article 7 de la Directive 2000/78/EC prévoit que
les Etats peuvent maintenir des mesures spécifiques pour compenser
ou prévenir un désavantage, ce qui signifie que l’utilisation proportionnée
des distinctions d’âge pour compenser un désavantage peut être considéré
comme objectivement justifiée, comme une forme de discrimination
positive. Aussi, la promotion de l’insertion professionnelle et
la protection des groupes vulnérables constituent-ils un objectif
légitime.
39. Les Etats membres de l’Union européenne ont commencé à transposer
la directive dans les législations nationales
. Certains Etats ont mis en place
des mesures spécifiques en matière d’emploi destinées à intégrer les
groupes particuliers dans la population active.
40. Les Etats peuvent également prévoir une protection spéciale
pour les travailleurs plus âgés dans les décisions de licenciement.
En Slovénie, par exemple, l’article 100 de la loi sur les droits
relatifs à l’emploi fixe les critères de décision de licenciement
et l’âge est l’un des facteurs que les employeurs sont obligés de prendre
en compte à cet égard. Cette disposition est considérée comme un
exemple d’action positive dans la mesure où les travailleurs seniors
ont moins de chance de trouver un nouvel emploi. Aux Pays-Bas, des indemnités
de licenciement plus importantes sont également proposées aux travailleurs
seniors, comme au Royaume-Uni et dans bon nombre d’autres Etats
de l’Union européenne.
41. En termes d’action positive, il faut toutefois garder à l’esprit
les effets mitigés que peuvent apporter de telles mesures. Ainsi,
l’introduction d’une protection spéciale à certaines catégories
peut amener certains employeurs à tenter d’inciter les travailleurs
à partir à la retraite en les soumettant à un mauvais traitement. C’est
pourquoi, au-delà des mesures législatives indispensables pour la
protection des groupes vulnérables, des mesures visant à faire évoluer
les mentalités des employeurs et des employés doivent être envisagées simultanément.
6. Programmes de mentorat
42. Au-delà des mesures législatives indispensables à
la lutte contre la discrimination fondée sur l’âge, le dialogue
et le partenariat entre tous les acteurs concernés doivent être
promus si l’on veut combattre les stéréotypes et changer profondément
les mentalités.
43. A cet égard, les programmes de mentorat représentent une pratique
très intéressante dans la lutte contre la discrimination fondée
sur l’âge. Le mentorat est une relation d’accompagnement à long
terme, sur la base du volontariat, entre un «mentor», professionnel
expérimenté, et un «protégé», professionnel plus jeune à potentiel,
pour transmettre son expérience, le savoir-faire et partager son
réseau professionnel.
44. A condition d’être élaborés et mis en œuvre avec méthode,
les programmes de mentorat sont des outils de gestion de carrière
et de personnel qui permettent de valoriser à la fois le mentor
et le mentoré. Ainsi, le mentor:
- gagne
en enthousiasme et en motivation pour son rôle d’expert;
- acquiert une meilleure compréhension des freins rencontrés
au niveau inférieur de l’organisation;
- développe des compétences en matière de coaching, conseil,
écoute et modèle de référence;
- développe et met en œuvre un leadership plus personnel:
- valorise son expertise et partage ses connaissances;
- augmente la conscience générationnelle et la solidarité
intergénérationnelle.
45. Le mentoré de son côté:
- est
encadré dans son entrée dans la vie professionnelle;
- accède plus rapidement à l’expertise et au savoir-faire
de l’entreprise;
- apprend à transformer ses idées ou stratégies en actions
dans un espace sûr;
- est soutenu dans sa prise d’initiative et sa recherche
d’idées;
- développe ses perspectives de carrière et son réseau au
sein de l’entreprise;
- augmente également la conscience générationnelle et la
solidarité intergénérationnelle.
46. Qu’il soit plus ou moins long, en groupe ou individuel, le
mentorat présente l’énorme avantage de valoriser les compétences
et les atouts du plus jeune et du plus âgé, faisant de la différence
générationnelle une force au service de l’entreprise et de ses employés.
47. Je suis convaincue que ce type de programme doit être encouragé
pour changer les mentalités et lutter contre les stéréotypes qui
sont à la base de la discrimination fondée sur l’âge tout en faisant
la promotion de la solidarité intergénérationnelle.
7. Conclusions
48. Le vieillissement démographique est un défi auquel
tous les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent faire face.
Les disparités entre les pays imposent de prendre des mesures adaptées
à chaque situation mais quoiqu’il en soit, tous les pays doivent
s’occuper du potentiel des travailleurs plus âgés.
49. Les travailleurs plus âgés vont inévitablement devoir rester
au travail plus longtemps compte tenu des changements démographiques
et du contexte économique: cela implique une adaptation des mentalités
et un soutien au début, pendant mais aussi en fin de carrière.
50. A l’heure actuelle, l’âgisme dans le milieu de travail se
manifeste à travers les discours, les attitudes et les pratiques
discriminatoires fondées sur l’âge. Ces manifestations, conscientes
ou inconscientes, sont guidées par les divers stéréotypes associés
aux travailleurs seniors. Il est urgent de reconnaître ce phénomène et
de lui faire face, en mettant en place des mécanismes juridiques
efficaces de lutte contre la discrimination ainsi que des mesures
positives facilitant l’accès au marché du travail et à la formation
pour les travailleurs plus âgés.
51. Le dialogue et le partenariat doivent être au cœur d’une politique
efficace intégrant une coordination entre tous les acteurs, y compris
les travailleurs seniors et le grand public. Cette politique implique
de prendre à la fois des mesures incitant les employeurs à traiter
les travailleurs seniors sans discrimination et des mesures visant
à soutenir directement les travailleurs seniors dans leur accès
au marché du travail, à supprimer les obstacles à cet accès et en
veillant à leur développement professionnel.
52. Il est tout aussi important et nécessaire d’œuvrer à changer
les mentalités en vue d’éliminer les stéréotypes envers les personnes
plus âgées et de construire une image réaliste et valorisante des
travailleurs seniors.