1. Introduction
1. Lors de leur 1176e réunion
(10 juillet 2013), les Délégués des Ministres ont décidé de transmettre
à l’Assemblée parlementaire, pour avis, le projet de convention
du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains.
2. A sa réunion tenue le 9 septembre 2013, la commission des
questions sociales, de la santé et du développement durable m’a
désignée comme rapporteure par anticipation de la saisine attendue
de la commission. Le 30 septembre 2013, l’Assemblée a saisi notre
commission de la demande d’avis du Comité des Ministres pour rapport
et la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
pour avis.
3. Il convient de rappeler que l’Assemblée a été associée de
près aux travaux d’élaboration du projet de convention qui vient
de lui être transmis pour avis. De fait, M. Bernard Marquet, ancien
membre dévoué de notre commission, a suivi les discussions sur le
projet de convention tant au niveau du Comité d’experts sur le trafic
d’organes, de tissus et de cellules humains (PC-TO) chargé d’élaborer
un avant-projet
,
que du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) qui a
parachevé le travail du PC-TO en approuvant le projet de convention
le 7 décembre 2012. Le rapport de M. Marquet portant sur ce projet
de convention a été débattu à l’Assemblée plénière le 23 janvier
2013 et a donné lieu à la
Recommandation
2009 (2013) «Vers une convention du Conseil de l’Europe pour lutter
contre le trafic d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine»,
adoptée à l’unanimité.
4. Je note que, hormis des petites modifications d’ordre technique
et linguistique n’ayant pas d’incidence sur le fond des questions
traitées, le projet de convention soumis aujourd’hui à l’Assemblée
est identique à celui sur lequel elle s’est prononcée le 23 janvier
dernier. Dès lors, dans ce rapport, je me limiterai à rappeler la
position de l’Assemblée eu égard au projet de convention dans son
ensemble et à revenir brièvement sur ses recommandations spécifiques,
tout en les reformulant lorsque cela me paraît opportun. Il va sans
dire que mon rapport doit être lu conjointement avec la
Recommandation 2009 (2013) et l’exposé des motifs y afférent
.
2. Appréciation
générale du projet de convention
5. Dans sa
Recommandation
2009 (2013), l’Assemblée s’est félicitée du projet de convention
du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, qui représente
l’aboutissement de plusieurs années d’efforts menés par le Conseil
de l’Europe dans le domaine du trafic d’organes. A cet égard, on
peut citer notamment l’incorporation du principe de non-commercialisation
du corps humain dans les instruments juridiques pertinents élaborés
par le Conseil de l’Europe
,
ainsi que l’étude conjointe réalisée avec les Nations Unies
qui
a conclu à la nécessité de préparer un instrument juridique international
dans le domaine du trafic d’organes. Cette conclusion a été appuyée
par l’Assemblée dans sa
Résolution 1782 (2011) sur l’enquête sur les allégations de traitement inhumain
de personnes et de trafic illicite d’organes humains au Kosovo*
.
6. Le projet de convention qui nous est soumis aujourd’hui est
la dernière contribution du Conseil de l’Europe à la lutte contre
le trafic d’organes et répond donc au besoin pressant d’un instrument
international dédié exclusivement à cette question. Dans ce contexte,
compte tenu du fait que le trafic d’organes est un phénomène d’envergure
mondiale dépassant le territoire des Etats membres du Conseil de
l’Europe, il est particulièrement réjouissant de noter que la future
convention sera ouverte à la signature et la ratification des Etats
non membres dès son adoption par le Comité des Ministres, c’est-à-dire
avant même qu’elle ne soit entrée en vigueur. Je suis convaincue
qu’une telle approche contribuera aussi à améliorer la pertinence
et la visibilité du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits
humains. Je tiens d’ailleurs à signaler que la Convention “Médicrime”
,
qui a adopté la même approche, compte désormais parmi ses signataires
trois Etats non membres du Conseil de l’Europe
.
7. Cependant, dans sa
Recommandation
2009 (2013), l’Assemblée a critiqué le fait que le projet de convention
soit axé principalement sur le droit pénal. Cela est en effet tout
à fait regrettable pour une convention qui sera le premier et, très
probablement, le seul instrument international juridiquement contraignant
dans le domaine du trafic d’organes. En termes de prévention de
ce trafic, de protection des victimes et de coopération en dehors
du champ pénal, il s’agit à mon avis d’une occasion ratée, car ces questions
ne sont tout simplement pas suffisamment développées dans le projet
de convention
.
Je reviendrai plus loin sur un aspect spécifique de la prévention
(voir le point 3.2 ci-dessous).
3. Commentaires sur
des questions spécifiques couvertes par les chapitres II, V et VI
du projet de convention
3.1. Chapitre II – Droit
pénal matériel
3.1.1. La situation des
donneurs et des receveurs impliqués dans le trafic d’organes
8. En raison de la complexité des activités criminelles
dont fait partie le trafic d’organes, qui implique différents acteurs
et différents actes répréhensibles, au lieu d’une définition globale,
les négociateurs de la convention ont préféré mentionner dans le
chapitre II intitulé «Droit pénal matériel», tous les actes répréhensibles
qui relèvent du trafic d’organes humains. Ces actes sont définis
aux articles 4.1, 5, 7, 8 et 9.
9. Si le donneur et le receveur d’organe font partie des acteurs
susmentionnés, impliqués dans le trafic d’organes, le projet de
convention ne dit pas s’il faut les sanctionner ou non pour leur
implication. Par contre, le paragraphe 94 du projet de rapport explicatif
indique qu’ils pourraient être considérés comme des victimes en
raison de leur vulnérabilité
.
La possibilité de sanctionner le donneur et/ou le receveur est laissée
donc à la discrétion des Parties.
10. A cet égard, se fondant sur les mêmes arguments que ceux exposés
au paragraphe 94 du projet de rapport explicatif, l’Assemblée a
recommandé l’ajout d’une disposition dans le projet de convention
préconisant la prise en considération de la vulnérabilité du donneur
et/ou du receveur d’organe dans la détermination d’éventuelles sanctions
à leur encontre. Alternativement, elle a suggéré d’intégrer une
phrase dans le rapport explicatif allant dans le même sens.
11. Dans un contexte où les Etats ont carte blanche pour décider
du sort des donneurs et des receveurs (i.e. sanctionner ou ne pas
sanctionner), la future convention devrait garantir au moins que
les sanctions susceptibles de leur être appliquées soient équitables
et proportionnées. A cet égard, l’Assemblée devrait insister sur
sa proposition alternative, sachant que celle-ci est facilement
réalisable dans le contexte de l’article 12.1 qui traite justement
des critères relatifs aux sanctions. L’article 12.1 est libellé
comme suit:
«Chaque Partie prend
les mesures législatives et les autres nécessaires pour que les
infractions établies conformément à la présente Convention soient
passibles de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives
…»
12. Au vu de ce qui précède, je propose que la phrase suivante
soit ajoutée après la deuxième phrase du paragraphe 81 du projet
de rapport explicatif à propos de l’article 12.1:
«Le terme “proportionné” figurant
à cet article implique, le cas échéant, que la vulnérabilité éventuelle des
donneurs et des receveurs d’organes exposée au paragraphe 94 de
ce rapport explicatif, soit prise en considération dans la détermination
des sanctions qui sont susceptibles de leur être appliquées.»
3.1.2. Le «tourisme de
transplantation»
13. Le «tourisme de transplantation» est une pratique
consistant, pour certains patients, à se rendre à l’étranger pour
obtenir des organes moyennant un paiement. Ce phénomène est en pleine
expansion notamment en raison des réglementations moins restrictives
de certains pays qui autorisent de telles «transactions» ou ne les
prohibent pas explicitement.
14. L’article 10 du projet de convention énonce les critères en
vertu desquels les Parties sont tenues d’établir leur compétence
relativement aux infractions visées par la convention. A cet égard,
le projet de rapport explicatif précise dans son paragraphe 69 que
la convention ne prévoit pas de disposition établissant l’élimination
de la règle usuelle de la double criminalité, qui veut que le fait
incriminé soit considéré comme une infraction tant dans le pays
qui exerce la poursuite que dans celui où il a été commis. Autrement
dit, il est possible pour une Partie de ne pas poursuivre un ressortissant
ou une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire
impliqués dans une infraction
relevant du trafic d’organes, tout simplement parce que cette infraction
a été commise dans un pays où elle n’est pas considérée comme telle.
Il me semble qu’une telle possibilité encourage le «tourisme de
transplantation» et doit donc être éliminée.
15. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée devrait réitérer sa proposition
quant à l’intégration dans le projet de convention d’une disposition
éliminant la règle de la double criminalité, sachant qu’une telle
possibilité était initialement prévue dans l’avant-projet de convention.
Il est donc proposé qu’un nouveau paragraphe soit ajouté à l’article
10 après le paragraphe 3, libellé comme suit:
«Pour la poursuite des infractions établies conformément
aux articles 4 à 8 de la présente Convention, chaque Partie prend
les mesures législatives ou autres nécessaires pour que l’établissement
de sa compétence au titre des paragraphes 1.d et e ne soit pas subordonné
à la condition que les faits soient punissables au lieu où ils ont
été commis.»
3.2. Chapitre V – Mesures
de prévention
16. Comme cela a été souligné dans l’introduction, les
questions concernant la prévention du trafic d’organes, la protection
des victimes et la coopération internationale en dehors du champ
pénal ne sont pas suffisamment développées dans le projet de convention.
Dans ce contexte, on note que le chapitre V sur les mesures de prévention
est particulièrement succinct – pour ne pas dire lacunaire – ainsi
que la partie du rapport explicatif qui s’y rapporte. Il y consacre
deux articles au total: les articles 21 et 22 sur les mesures nationales
et internationales, respectivement. L’article 21 exhorte les Etats
à prendre les mesures nécessaires pour assurer, entre autres, l’existence
de systèmes de transplantation transparents et garantir un accès équitable
à leurs services.
17. Ainsi, dans le cadre du seul article du projet de convention
qui parle des mesures de prévention nationales hors du contexte
pénal, aucune mention n’est faite des mesures susceptibles de répondre
à la pénurie d’organes, alors même qu’une des raisons principales
du trafic d’organes est justement cette pénurie
.
Cela me paraît tout simplement inconcevable. En conséquence, je
propose qu’un sous-paragraphe
d soit
ajouté à l’article 21.1, libellé comme suit:
«essayer de répondre au mieux à la pénurie d’organes,
qui est une des raisons principales du trafic d’organes humains.»
18. En lien avec ce nouveau sous-paragraphe, le rapport explicatif
pourrait suggérer notamment que les Etats considèrent l’opportunité
de mettre en place un système de consentement présumé pour le prélèvement d’organes
sur les personnes décédées ou un système de registre officiel et
obligatoire des volontés (quant au souhait d’être ou non un donneur),
ou encore de développer la recherche sur des méthodes alternatives.
Il pourrait également suggérer l’organisation de campagnes de sensibilisation
des citoyens au don d’organes afin d’augmenter le nombre de donneurs.
3.3. Chapitre VI – Mécanisme
de suivi
19. Le chapitre VI contient des dispositions concernant
la mise en œuvre de la convention. Le mécanisme de suivi prévu par
la convention est fondé principalement sur un Comité des Parties,
composé des représentants des Parties à la convention. La tâche
de ce comité est, entre autres, de surveiller l’application de la
convention et le cas échéant, d’en faciliter l’usage et la mise
en œuvre effectifs, d’exprimer un avis sur toute question relative
à son application et d’adresser des recommandations spécifiques
aux Parties au sujet de sa mise en œuvre.
20. Dans sa
Recommandation
2009 (2013), l’Assemblée a recommandé au Comité des Ministres de renforcer
les dispositions relatives au Comité des Parties de façon à prévoir
un comité indépendant, fort et efficace disposant d’une fonction
claire de coordination et de suivi sur la base, entre autres, des
obligations de communication pour les Parties, tout en confiant
aux comités compétents – le CDPC et le Comité de bioéthique (DH-BIO)
– un rôle dans le suivi de la mise en œuvre de la convention. Le
souci principal de l’Assemblée dans ce contexte était de s’assurer
que le fonctionnement du Comité des Parties ne soit pas tributaire
de la bonne volonté des Etats.
21. Je serais d’avis de réitérer cette recommandation tout en
enlevant la partie concernant les comités compétents, car il me
semble que les comités en question ont déjà un rôle, certes limité,
dans le suivi de la mise en œuvre. En effet, le CDPC ainsi que le
DH-BIO font partie des comités qui peuvent envoyer un représentant
au Comité des Parties, sans droit de vote. Par ailleurs, l’article
25.4 précise que le CDPC sera tenu régulièrement informé des activités
du Comité des Parties.
22. Afin d’harmoniser la terminologie utilisée à l’article 25
qui traite des fonctions du Comité des Parties, je propose aussi
que le mot «application» qui figure au paragraphe 1 de cet article
soit remplacé par l’expression «mise en œuvre», ce qui correspond
également mieux au langage utilisé au Conseil de l’Europe.
23. Enfin, même si le Comité des Ministres venait à adopter ce
chapitre tel quel, je garde mon optimisme quant au bon fonctionnement
du futur Comité des Parties, tant que des ressources suffisantes
lui sont attribuées. En effet, l’expérience du Comité de Lanzarote
,
qui fonctionne dans un cadre identique à celui prévu par le projet
de convention, semble nous indiquer que les Etats sont capables
d’assumer leurs engagements même en l’absence d’obligations de communication.
Reste à savoir si ce mécanisme de suivi sera efficace à long terme.
4. Remarques conclusives
24. Dans sa
Recommandation
2009 (2013), l’Assemblée a aussi préconisé l’interdiction du prélèvement
et de l’utilisation aux fins de transplantation ou à d’autres fins
d’organes de personnes privées de liberté. La lecture conjointe
de la phrase qui a été ajoutée au paragraphe 33 du projet de rapport
explicatif, précisant explicitement que l’article 4.1 s’applique
à ces personnes, et du paragraphe 17 de l’exposé des motifs de la
Recommandation 2009 (2013) suffit à mon avis, à considérer que les personnes privées
de leur liberté sont suffisamment protégées par la future convention.
Aussi, je ne réitérerai pas cette proposition.
25. Je voudrais aussi faire un commentaire sur l’article 30 qui
récapitule les articles de la convention sur lesquels il est possible
de formuler des réserves. Eu égard à la possibilité de faire des
réserves à l’article 4.1 du projet de convention qui définit le
prélèvement illicite d’organes, l’Assemblée s’est déjà prononcée
et je me contenterai donc à cet égard de renvoyer aux paragraphes
5 et 8.7 de la
Recommandation
2009 (2013) .
26. Toutefois, je m’interroge sur l’opportunité des autres possibilités
de réserve et, notamment, de celles concernant la tentative intentionnelle
(article 9.3) et les dispositions sur la compétence (articles 10.3
et 10.5). En effet, si je comprends le souci d’assurer la ratification
la plus large possible de la convention avancé par les rédacteurs
, il me semble que ces
«clauses échappatoires» risquent d’affaiblir la portée de la future convention.
Aussi, l’Assemblée devrait recommander en premier lieu de biffer
ces clauses et, à défaut, inviter tous les Etats à adhérer à cette
convention sans émettre de réserve. Elle devrait appeler en outre
les parlements des Etats concernés à être vigilants par rapport
aux réserves dont leurs gouvernements risquent d’assortir la signature
ou la ratification, acceptation ou approbation de la future convention.
27. Pour conclure, je voudrais rappeler qu’à ce stade, il n’a
pas été considéré opportun de procéder à l’élaboration d’un protocole
additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de
cellules humains. Toutefois, comme souligné dans la
Recommandation 2009 (2013), tout comme le trafic d’organes, le trafic de tissus
et de cellules humains constitue une grave menace pour les droits
humains et la santé publique et individuelle. Aussi, je pense qu’il
y a lieu de réitérer la recommandation exhortant le Comité des Ministres
à décider d’une feuille de route pour l’élaboration d’un protocole
additionnel concernant le trafic de tissus et de cellules.