1. Introduction
1. L’une des conséquences de la crise économique qui
a éclaté en 2008 a été la résurgence dans le débat sur les migrations
des préoccupations quant à savoir si les migrants étaient une richesse
ou une charge pour les pays d’Europe. Parallèlement à ce débat,
une discussion a été engagée à propos des diverses expériences d’intégration
menées en Europe, de leur succès ou de leur échec.
2. Les migrants représentent 8,7 % de la population européenne.
Et que cela plaise ou non à l’Europe, elle continuera d’attirer
les migrants. Toute la difficulté consiste à faire en sorte que
l’Europe et les migrants tirent tous deux un profit maximum de l’expérience
des migrations. Mais cette expérience ne doit pas non plus devenir
un fardeau.
3. Dans ce rapport, j’entends mettre en lumière en quoi les migrants
peuvent apporter, et apportent dans les faits, un bénéfice pour
notre société, en m’attachant plus particulièrement à leur contribution
à l’économie, la culture mais aussi à la vie politique de la société.
Je souhaite également insister sur l’idée fausse selon laquelle
les migrants sont une charge et combattre les stéréotypes négatifs
à leur égard de plus en plus fréquents depuis le début de la crise
économique.
4. Il appartient à l’Europe de choisir de faire des migrants
une richesse ou un fardeau pour la société. Ce choix ne consiste
pas seulement à comprendre les schémas migratoires, à accepter l’immigration
comme une réalité et à y répondre de manière réaliste, mais aussi
à prendre les mesures nécessaires pour investir dans l’intégration
des migrants en tant que processus à double sens, impliquant à la
fois les migrants et leur société d’accueil.
5. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, j’ai gardé
à l’esprit l’important travail réalisé par la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées sur «Intégration des immigrés:
l’Europe en échec?» (rapporteure: Mme Pelin Gündeş Bakir, Turquie,
GDE). Le défi consistant à faire en sorte que les migrants constituent
une richesse pour la société est étroitement lié à celui visant
à garantir la réussite de leur intégration
.
2. Promouvoir
la contribution positive des migrants à la société européenne
6. Au risque de simplifier à l’excès et sans vouloir
sous-estimer ou minimiser les défis que les migrations peuvent poser
aux sociétés d’accueil, je dirais qu’il existe quatre fronts essentiels
sur lesquels les migrants peuvent contribuer et apportent dans les
faits une contribution importante à la société européenne. Il s’agit
de l’économie, de la démographique, de la culture et de la politique.
Bien qu’elle ne soit pas toujours mesurable, cette contribution
n’en demeure pas moins souvent évidente.
2.1. Sur le plan économique
7. L’économie européenne a enregistré un net ralentissement
ces dernières années et de nombreux pays ont connu des entrées et
sorties de récession. Par ailleurs, l’Europe est fortement endettée
et en l’absence de croissance économique, les perspectives de réduction
de son niveau d’endettement sont fortement compromises. Le vieillissement
de la population, accompagné d’une diminution de la main-d’œuvre, commencent
à mettre sérieusement à mal la position économique de l’Europe dans
le monde et sa capacité à rebondir après la crise économique.
8. Je voudrais en premier lieu analyser comment les migrants
aident l’Europe sur le plan économique. Il est en réalité possible
de répondre sous divers angles, notamment celui que les économistes
qualifient d’«impact fiscal» et plus particulièrement celui de la
contribution des migrants au marché de l’emploi (qualifié et non
qualifié), à l’entreprenariat et à l’établissement de liens avec
les marchés extérieurs. Mais la réponse peut également aborder la
contribution des étudiants internationaux, le tourisme ainsi que
les transferts d’argent, le codéveloppement et les migrations circulaires
qui profitent à la fois aux pays d’origine et aux pays d’accueil.
2.1.1. Impact fiscal
9. S’agissant de l’impact fiscal
, en l’occurrence la différence
entre les impôts et autres contributions sociales des migrants aux
finances publiques et le coût des prestations individuelles et services
dont ils bénéficient
,
la plupart des études
concluent
à une incidence positive dans l’ensemble. Dans le court terme, l’immigration
permet de diminuer le ratio entre les sans-emploi et les actifs.
Les migrants font par ailleurs augmenter les recettes en s’acquittant
de la taxe de valeur ajoutée (TVA) sur les biens consommés. Dans
une étude comparative de 27 pays réalisée en 2013, l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) a conclu que
«l’immigration ne représente ni un gain ni un poids significatif
en matière de finances publiques» mais a généralement un impact
positif sur les budgets nationaux
.
Toujours selon l’OCDE, les immigrés ont apporté une importante contribution
à la croissance de l’emploi au cours des dix dernières années
. Il est
également intéressant de noter qu’une étude récente menée par la
Commission européenne a montré que les citoyens mobiles de l’Union
européenne ne constituent pas une charge pour les systèmes de sécurité
sociale nationaux
.
2.1.2. Travail
10. Grâce à leur travail, les migrants font souvent bénéficier
les sociétés d’accueil de certaines connaissances et compétences
qui y seraient déficitaires et de nombreux pays européens ont ainsi
établi des instances spécialisées chargées de mettre en relation
les pénuries de main-d’œuvre avec les politiques migratoires
. La récente «carte
bleue» mise en place par l’Allemagne en est un parfait exemple et
a pour objectif d’attirer des migrants hautement qualifiés dans
le secteur des technologies innovantes. D’autres travailleurs sont
également fortement recherchés, notamment les électriciens, les
infirmier(e)s et les auxiliaires de vie s’occupant de personnes
âgées. La majorité des pays connaissent des pénuries dans l’un ou
l’autre domaine. Au Royaume-Uni, la liste des pénuries de main-d’œuvre
comprend une trentaine de professions, allant des cuisiniers aux
scientifiques.
11. Les migrants appartiennent pour beaucoup à une classe d’âge
qui les rend aptes au travail, et souhaitent travailler, ce qui
vient renforcer le dynamisme économique des pays d’accueil. Les
migrants occupent souvent des emplois peu valorisants socialement
et effectuent des travaux pénibles, peu rémunérés, précaires, voire dangereux
que nombre de nationaux refusent d’exercer. Dans certains pays européens,
des secteurs entiers de l’économie seraient paralysés sans les migrants.
Les travailleurs migrants saisonniers dans l’agriculture en Italie,
dans le tourisme en Espagne (où ils représentaient en 2009 jusqu’à
14,7 % de la population totale des travailleurs migrants
) et dans l’industrie hôtelière
du monde entier
sont quelques
exemples parmi d’autres. Il convient d’ailleurs d’y ajouter le secteur
du bâtiment, les services de soins de santé et les services domestiques
privés (dont le nettoyage, la garde d’enfants et les soins aux personnes
âgées). En l’absence de migrants prêts à effectuer ces travaux domestiques,
bon nombre de ressortissants ne seraient pas en mesure d’aller travailler.
Par ailleurs, les études ont montré que les migrants contribuent
à une augmentation des revenus des travailleurs natifs moyennement
et hautement qualifiés, alors qu’ils sont susceptibles d’engendrer une
baisse de ceux des travailleurs peu rémunérés
.
2.1.3. Contribution entrepreneuriale
12. S’agissant de la contribution entrepreneuriale, il
convient de ne pas sous-estimer l’impact des nombreuses créations
de petites et moyennes entreprises dont les migrants sont à l’origine.
Au sein des pays de l’OCDE, les entrepreneurs migrants emploient
2,4% du total de la population active et chaque entrepreneur né
à l’étranger emploie en moyenne 1,4 à 2,1 salariés
. Par
ailleurs, dans des pays comme la Belgique, la France ou encore dans
les pays nordiques, la proportion de travailleurs indépendants est
plus élevée parmi les travailleurs immigrés que les natifs
. En Allemagne, de nouveaux
emplois ont été créés mais aussi de nouvelles gammes de biens et
de services
, par exemple des commerces d’alimentation
et des restaurants. Vers la fin des années 1990, les entrepreneurs
turcs ont été à l’origine de la création de 185 000 emplois dont 20%
ont été pourvus par des Allemands
.
13. Dans certains pays, l’entreprenariat des immigrés progresse;
au Royaume-Uni, il a augmenté de près de 50% entre 1998 et 2008.
Cette hausse est en grande partie liée à l’enseignement supérieur
, dans la mesure
où de nombreux entrepreneurs immigrés sont au départ venus étudier
et ont par la suite créé leur entreprise. Au plan international,
un pourcentage élevé d’entreprises à forte croissance ont été lancées
par des migrants, par exemple Google, Etsy, YouTube, eBay et Intel
.
14. Nous disposons ainsi de nombreux éléments factuels attestant
de la contribution des migrants à l’innovation et à la création
de nouveaux emplois, dont le nombre, compte tenu de leurs activités entrepreneuriales,
n’est pas figé.
15. Les entrepreneurs immigrés peuvent également promouvoir le
commerce avec leurs pays d’origine et les études ont montré que
l’immigration avait pour conséquence une augmentation du volume
des échanges
. D’autre part, les changements dans les
modes de consommation dus aux immigrés ont eu un impact sur la croissance
des importations et des exportations. Les flux de transferts d’argent
ont donné lieu à la création d’institutions financières spécialisées
et de ce que l’on a coutume d’appeler les «banques des immigrés».
En Allemagne par exemple, la diversité culturelle est perçue comme
un atout pour la compétitivité de l’économie nationale dans le contexte
de la mondialisation
. Par ailleurs,
selon une étude consacrée à l’Irlande, l’immigration aurait aidé
à lever les obstacles au commerce extérieur et encouragé les investissements
directs étrangers
. La récente
décision prise par le gouvernement du Royaume-Uni d’assouplir ses
règles d’octroi de visas aux ressortissants chinois est un autre
exemple de la manière dont immigration et commerce sont liés
.
Depuis 2005, la Chine a consacré $US 17,8 milliards en investissements et
contrats en Grande-Bretagne.
2.1.4. Etudiants internationaux
16. L’intérêt d’accueillir des étudiants étrangers s’acquittant
de droits d’inscription a depuis longtemps été reconnu par de nombreux
gouvernements européens et est perçu comme un investissement essentiel
dans l’enseignement supérieur en ces temps de baisse des investissements
publics. Ces étudiants représentent un pourcentage important des
ressortissants n’appartenant pas à l’Union européenne qui résident
dans certains Etats membres et leur admission sur le territoire
de l’Union européenne est régie par la Directive 2004/114 du Conseil.
Par ailleurs, les étudiants contribuent à l’économie locale par
leurs achats, sont vecteurs de nouveaux talents en tant que futurs
salariés ou entrepreneurs et favorisent le commerce entre leurs
pays d’origine et de destination
. Très récemment, plusieurs pays
européens ont décidé de créer des campus offshore, augmentant ainsi
encore leurs revenus
.
2.1.5. Tourisme
17. Le tourisme est une autre forme de mobilité dans
notre monde globalisé moderne, lié aux migrations de plusieurs manières.
S’il convient de procéder à un examen séparé des liens entre tourisme
et migration, j’aimerais cependant souligner qu’en 2012 au plan
mondial, le tourisme a représenté 9 % du PIB, $US 1 300 milliards
en exportations et un emploi sur 11, l’Europe étant la région la
plus visitée du monde
. Selon les estimations, dans l’Union européenne,
l’industrie du tourisme emploie directement 5,2 % de l’ensemble
de la main-d’œuvre, ce qui représente 9,7 millions d’emplois, dont
beaucoup sont occupés par des travailleurs migrants
.
2.1.6. Contribution aux
pays d’origine grâce aux transferts d’argent, au codéveloppement
et aux migrations circulaires
18. Les migrations internationales ont également un impact
sur les pays d’origine du fait de la relation entre migration et
développement. La commission se penchera plus en détail sur ce point
dans ses travaux futurs, notamment dans un rapport concernant les
diasporas des migrants
. Cette question ne
relevant pas directement du sujet du présent rapport et méritant
un examen approfondi, je noterais simplement que le montant total
des transferts d’argent dépasse le montant total de l’aide au développement
versée par les pays industrialisés
.
Ces transferts étant versés directement aux ménages, ils profitent
souvent plus efficacement que l’aide au développement, bien qu’ils
ne la remplacent pas. Les envois de fonds peuvent ainsi contribuer
à la réduction de la pauvreté, à l’amélioration du niveau d’éducation
et de la
santé
et stimuler l’économie
. Parmi les autres bénéfices pour
les pays d’origine, citons le transfert de compétences, de technologie
et de concepts démocratiques
, les investissements
dans l’éducation, la création de petites entreprises
et la réduction des pressions
sur le marché de l’emploi
.
2.2. Sur le plan démographique
19. L’Europe est un continent vieillissant dont le nombre
de naissances ne parvient plus à compenser celui des décès. Dans
sa
Résolution 1864 (2012) «Tendances démographiques en Europe: transformer les
défis en opportunités», l’Assemblée a souligné que «l’Europe doit,
d’urgence, élaborer les politiques et les stratégies nécessaires
pour faire face à l’évolution de la démographie afin de maintenir
ainsi son pouvoir et son influence dans le monde». En octobre 2011,
la population mondiale a franchi un nouveau seuil en atteignant
le chiffre de 7 milliards d’individus dont 800 millions environ
en Europe. Ce chiffre devrait toutefois baisser de 9 % pour l’Europe
d’ici 2050. Selon les estimations d’Eurostat, le pourcentage de
la population en âge de travailler (entre 15 et 64 ans) dans l’UE25
baissera, passant de 67,2 % en 2004 à 56,7 % en 2050
.
Ces tendances démographiques auront d’importantes conséquences pour
la main-d’œuvre native, la planification budgétaire et les politiques
sociales.
20. Sans les migrations, le déclin de la population en Europe
s’accentuera à n’en pas douter encore plus rapidement. Bien qu’elles
ne constituent pas une solution permanente à l’évolution démographique,
les migrations sont cependant l’un des moyens de compenser les baisses
de populations et d’augmenter la main-d’œuvre en Europe. La population
ukrainienne, par exemple, devrait enregistrer une diminution d’un
pour cent par an et l’Ukraine envisage donc de mettre en place des
mesures visant à attirer les travailleurs migrants tout en améliorant
ses revenus grâce aux transferts d’argent
.
21. Les migrants peuvent contribuer à la pérennisation des régimes
de retraite, à la prestation de soins de longue durée pour les personnes
âgées, ainsi qu’à combler des pénuries de main-d’œuvre et de compétences
, autant de conséquences d’une
Europe vieillissante. Alors que les marchés et les pays émergents
comme la Chine et la Corée du Sud enregistrent de fortes croissances
économiques, ceux-ci deviendront peut être de nouvelles destinations
bien plus attractives pour les migrants à l’avenir
. Les pays européens
devraient de ce fait veiller à ne pas dissuader les migrants de
venir. Dans un article paru dans le
World
Policy Journal, Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe, a déclaré que l’on ne pouvait pas échapper
à la réalité démographique d’une population européenne vieillissante
et il a reconnu les projections des économistes selon lesquelles
l’Europe aura besoin de 40 à 60 millions de travailleurs immigrés d’ici
2050 pour maintenir son niveau de prospérité et de bien-être
.
2.3. Sur le plan culturel
22. La diversité d’origine des migrants peut être source
d’enrichissement pour les sociétés d’accueil, et peut contribuer
au dialogue interculturel et interreligieux. Cet enrichissement
est perceptible dans la littérature, le cinéma, les arts, les sports,
la cuisine, la mode et de bien d’autres manières.
23. Cependant, les bénéfices des migrations sur le plan culturel
nécessitent comme préalable une bonne intégration des migrants aux
sociétés d’accueil, une question sur laquelle je reviendrai plus
tard dans ce rapport. L’intégration dépend d’une ouverture d’esprit
de la part aussi bien des migrants que des membres des sociétés
d’accueil. Elle ne peut réussir en cas de ghettoïsation ou de ségrégation
ethnique des migrants et de leurs descendants. Les mariages mixtes,
entre personnes d’origine ou de nationalité différentes, sont le meilleur
exemple de la richesse du mélange des cultures. Ils témoignent de
la bonne intégration des immigrants d’une part et constituent des
facteurs possibles d’évolution sociale et culturelle d’autre part.
2.4. Sur le plan politique
24. Dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe,
les migrants ont une incidence directe ou indirecte sur le discours
politique. S’agissant du droit de vote, quelques pays accordent
aux migrants un droit de vote aux élections locales uniquement.
Cependant, beaucoup de gouvernements ont mis au point des instruments
ou des organes traitant directement des questions de migration en
tant que réponse institutionnelle à leur présence. Bien qu’il soit
de notoriété publique que certains migrants affichent un faible niveau
de participation et que leur implication dans certains groupes politiques
ou religieux puisse paraître problématique, ils s’engagent aussi
activement dans diverses organisations de la société civile et sont
de plus en plus représentés dans des syndicats
. Les migrations peuvent également
mener à des échanges de concepts politiques entre pays d’origine
et de destination
. Par ailleurs, les migrants, et notamment
les étudiants internationaux, contribuent à forger des amitiés et
des liens entre les pays, beaucoup de dirigeants étrangers ayant
étudié en Europe
.
3. Des craintes infondées
3.1. Les craintes le
plus souvent ressenties
25. La situation économique est devenue un facteur exacerbant
la peur des migrants, engendrant ainsi la certitude que les migrants
ont une influence plus que négative sur la gestion des finances
publiques, sur les systèmes de sécurité sociale et sur le climat
social et que les mesures d’intégration entraîneraient des dépenses
qui grèveraient encore davantage le budget des Etats. Parallèlement,
selon certaines idées reçues, les migrants priveraient les citoyens
des emplois disponibles sur le marché du travail, feraient baisser
les rémunérations salariales et auraient grandement contribué à
la crise économique. Au plan social, les migrants constitueraient
une menace pour l’identité nationale traditionnelle des pays d’accueil
et une source de criminalité.
26. En 2011, le rapport «Vivre ensemble. Conjuguer diversité et
liberté dans l'Europe du XXIe siècle»
du Groupe d'éminentes personnalités du Conseil de l'Europe avait
déjà mis en lumière un certain nombre de ces préoccupations et souligné
les défis posés par la résurgence de l’intolérance et de la discrimination
en Europe.
27. En dépit de ces préoccupations, il est important de noter
que l’immigration ne fait pas partie des priorités dans les sondages
d’opinion. Selon une récente étude Eurobaromètre, les Européens
sont davantage préoccupés par le chômage et la situation économique
que par l’immigration
. Celle-ci n’est arrivée en tête des préoccupations
qu’à Malte (29 % des personnes interrogées) et en deuxième position
au Royaume-Uni (32 %). Dans tous les autres pays, l’immigration
ne figure pas aux trois premières places.
3.2. L’absence d’éléments
de preuve fiables susceptibles d’étayer ces craintes
28. Bien au contraire, toutes les études économiques
conduites
montrent une
absence d’effet significatif de la présence d’immigrés pour les
finances publiques. En 2009, par exemple, les immigrants en France
ont perçu € 47,9 milliards de prestations sociales, logement et
autres allocations, mais ont contribué à hauteur de € 60,4 milliards,
soit une contribution nette de € 12,4 milliards
. Concernant le marché du travail,
il est important d’avoir conscience que le travail n’est pas une
quantité finie et que l’effet négatif sur le niveau des salaires
n’est pas établi. Dans certains pays, la part plus importante dans
les statistiques de la criminalité s’explique par la composition
des rangs des migrants (majoritairement de jeunes adultes de sexe
masculin). Quant aux menaces perçues pour l’identité nationale des
pays d’accueil, tout est relatif et dépend de la conception de la
«nation» que l’on entretient. Par opposition, un nombre croissant
de pays européens reconnaissent les migrations comme une réalité
à long terme
.
29. Il convient cependant de noter que les migrants ne peuvent
pas être traités en tant que groupe homogène
.
En fait, l’impact des migrations dépend d’un certain nombre de variables.
Elles peuvent avoir trait aux migrants eux-mêmes, par exemple leur
type de titre de séjour ou de visa, leurs origines socio-économiques,
leur niveau d’instruction et de qualification; leur sexe, leur âge,
la durée de leur séjour, leur langue et leur origine géographique;
où s’ils ont migré eux-mêmes ou sont nés dans les sociétés d’accueil
de parents migrants (deuxième génération). Ces variables sont également
liées à la structure et à l’économie des sociétés d’accueil, ainsi
qu’à leurs politiques respectives en matière d’immigration, d’intégration/de multiculturalisme,
de protection sociale et d’emploi.
30. Par ailleurs, nous manquons cruellement de données comparables
et rigoureuses permettant de calculer l’impact des migrations sur
les sociétés d’accueil. Les études existantes sont essentiellement
axées sur les facteurs économiques de l’immigration, et ne nous
apprennent rien sur son impact social, culturel et politique sur
les pays d’envoi et de destination.
3.3. Des craintes instrumentalisées
31. Comme évoqué ci-dessus, ni les sondages d’opinion
ni les faits ne viennent corroborer les craintes largement répandues
à propos de l’immigration en Europe, si souvent mises en avant dans
les médias et parfois par les responsables politiques. D’où viennent
alors ces craintes? Comme l’a souligné le rapport du Conseil de
l’Europe «Vivre ensemble», certaines sont liées à «des images déformées
et des stéréotypes pénalisants sur les minorités» diffusés dans
les médias et par les responsables politiques extrémistes ou populistes.
3.3.1. Instrumentalisées
par les médias
32. Le sensationnalisme médiatique fait vendre, ce qui
explique l’attention spéciale portée aux faits divers mettant en
cause des migrants. Comme l’a noté l’Assemblée dans sa
Résolution 1889 (2012) sur l’image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant
les campagnes électorales, «les médias jouent un rôle primordial et
portent une grande responsabilité dans la construction de l’image
des migrants et de leurs descendants». Internet, les réseaux sociaux
et les médias jouent un rôle grandissant dans la diffusion d’attitudes
xénophobes et anti-immigrants. De ce fait, il est important d’encourager
les médias à utiliser une terminologie appropriée, un langage moins
passionnel et à rendre compte des incidents d’une manière juste
et responsable.
3.3.2. Instrumentalisées
par certains responsables politiques
33. L’immigration est une question hautement politisée
et sensible dans bien des pays et elle est de plus en plus avancée
par les partis extrémistes ou populistes pour expliquer les problèmes
économiques actuels. En réponse, beaucoup de responsables des partis
traditionnels se sont livrés à de tels débats, préférant reprendre l’idée
que les migrants posent problème, plutôt que d’expliquer l’échec
des politiques actuelles ou passées ou de formuler des propositions
solides. Cette attitude ne fait qu’encourager bassement le nationalisme
et les idées reçues. Si cette exploitation politique de la peur
de l’étranger immigré s’exprime en particulier à l’occasion des
campagnes électorales, elle risque de devenir le fonds de commerce
de trop nombreux mouvements politiques conscients que les migrants
ne participent pas aux élections nationales et pour qui la peur
des migrants est un moyen facile de gagner des voix, notamment avec
la résurgence des partis d’extrême droite.
34. A l’opposé, il existe de multiples arguments qui doivent servir
à combattre les idées reçues et les stéréotypes xénophobes. Il devient
absolument nécessaire d’informer et de sensibiliser l’opinion publique.
Il est essentiel que les parlementaires mettent fin aux idées reçues
ancrées dans l’opinion publique plutôt que de se contenter de les
suivre.
4. L’importance de
l’intégration pour optimiser les bénéfices que les migrants peuvent
apporter
35. Les migrants apporteront davantage à la société d’accueil
s’ils sont bien intégrés. Plus ce processus d’intégration sera rapide
et fructueux et plus l’expérience de la migration aura de chance
d’être positive pour tous les intéressés.
36. Cependant, l’intégration n’est pas le fruit du hasard. Elle
est la résultante de nombreux facteurs, dont les pays d’origine
et de destination des migrants, le lieu d’installation, leurs origine,
langue, éducation, compétences et expériences. Elle dépend également
de la législation, des pratiques, du soutien et des attitudes de
la société d’accueil et de tout un éventail d’autres facteurs.
37. L’intégration suppose une série de mesures s’adressant tant
aux migrants qu’à la société d’accueil, et la nécessité d’entreprendre
différentes actions au plan local et national pour promouvoir l’intégration
est de plus en plus reconnue. L’index de politique d’intégration
des migrants (Migrant Integration Policy Index – MIPEX)
couvrant 31 pays d’Europe et d’Amérique
du Nord est un outil fort utile pour analyser les législations et
les pratiques relatives à l’intégration dans les divers Etats membres
du Conseil de l’Europe.
38. Dans le contexte de la crise économique et des réactions hostiles
à l’égard des migrants qui ont suivi, il n’est pas surprenant que
de nombreux Etats soient moins enclins à investir dans des mesures
d’intégration. En période d’austérité pour les ressortissants nationaux,
il est compréhensible qu’il soit difficile de trouver des finances
pour l’intégration des migrants. Il s’agit cependant d’une approche
à court terme dangereuse, présentant des risques à long terme
.
39. Lors de la réunion de la commission à Genève en octobre 2012,
un représentant du ministère suisse de l’Intégration a débuté son
intervention en déclarant que chaque franc suisse investi dans l’intégration
rapportait à terme trois francs suisses. C’est de cette approche
à long terme dont nous avons besoin. Dans le passé, l’Allemagne
a très mal calculé l’importance de l’intégration, mais depuis 2005,
avec l’adoption de vastes réformes puis l’introduction en 2007 d’un
plan national d’intégration, elle a commencé à changer de politique et
est aujourd’hui l’un des pays européens cherchant le plus activement
à attirer les migrants.
40. Plusieurs indicateurs témoignent de l’importance de l’intégration
pour faire de la migration une expérience bénéfique tant pour les
migrants que pour les sociétés d’accueil. La commission les examinera
plus en détail dans son rapport intitulé «Intégration des immigrés:
l’Europe en échec?»
.
Il est cependant important de mettre en lumière déjà ici certains
indicateurs qui s’avèrent essentiels pour l’intégration et pour
faire en sorte que les migrants puissent contribuer pleinement à
la société.
41. L’intégration sous l’angle du travail est primordiale. Les
données de l’OCDE laissent entendre qu’une augmentation du taux
d’emploi des immigrants pourrait avoir des retombées budgétaires
importantes, et que les encouragements apportés aux migrants entrepreneurs
permettraient la création de nouveaux emplois. Trop d’obstacles
continuent d’entraver l’accès à l’emploi des migrants. Certains
sont d’ordre juridique, parfois politiques et d’autres découlent
encore de la discrimination directe ou indirecte. Les conseils en
matière d’emploi, la reconnaissance des qualifications
, la formation professionnelle et
l’apprentissage de la langue sont autant d’exemples de mesures susceptibles
d’aider les migrants à trouver ou à garder un emploi. Pour donner
une idée des difficultés auxquelles les migrants sont confrontés,
rappelons que dans les pays de l’OCDE, le taux de chômage des immigrés
est 1,5 fois plus élevé que celui des autochtones
.
Les bénéfices des migrations ne se concrétiseront qu’à condition
que les migrants aient un emploi. Comme évoqué précédemment, le
travail n’est pas une quantité finie et les migrants ne constituent
pas en soi une menace pour l’emploi des nationaux.
42. Si les pays exercent un contrôle des arrivées des travailleurs
migrants et sont à même de mettre en place des politiques permettant
d’adapter l’immigration à la demande, il est important de rappeler
que la venue de demandeurs d’asile et de réfugiés est régie par
la Convention de Genève de 1951 et repose sur les principes humanitaires.
D’où l’importance de prêter attention à la situation des demandeurs
d’asile en Europe, qui n’ont pas le droit de travailler dans bon
nombre de pays
et
dépendent de l’Etat providence. Dans certains cas, ils ne seront
pas en mesure de travailler pendant plusieurs années, ce qui peut
réduire d’autant leurs perspectives d’intégration et leurs chances
de trouver un emploi une fois s’être vus octroyer le statut de réfugié. Cette
situation a des implications négatives tant pour la société d’accueil
que pour les demandeurs d’asile. La commission examinera cette question
plus en détail dans un rapport actuellement en cours de préparation
.
43. Intégration et impact de l’éducation. Il s’agit là encore
d’un défi important. Alors que les migrants qui suivent des études
supérieures sont généralement au même niveau que les étudiants nationaux,
il n’en va pas de même dans l’enseignement secondaire, où les taux
de réussite des migrants chutent considérablement. Seuls 38 % des
migrants nés hors de l’Union européenne atteignent ce niveau, alors
que le taux est de 49 % pour la population totale
.
Si les pays d’accueil souhaitent que les migrants apportent une
pleine contribution, il convient de leur assurer des chances de
réussite égales dans leurs études.
44. L’Assemblée a souligné à maintes occasions qu’il est important
que les migrants aient une «voix égale» dans le processus démocratique
.
Si les migrants n’ont pas le sentiment d’avoir voix au chapitre
sur les questions qui les concernent, leurs perspectives d’intégration
seront entravées. L’accès à la nationalité et le droit de vote,
ne serait-ce qu’au niveau local, sont de ce fait des facteurs essentiels.
Le Conseil de l’Europe dispose de deux conventions consacrées à
ces questions, la Convention européenne sur la nationalité (STE n°
166) et la Convention sur la participation des étrangers à la vie
publique au niveau local (STE n° 144), et il faudrait que davantage
d’Etats membres ratifient ces instruments
.
Ces derniers sont des outils d’intégration importants et contribuent
à faire en sorte que les migrants et les communautés d’accueil jouissent
d’un niveau plus élevé de participation démocratique de toutes les
personnes concernées dans la société.
45. En cette période de crise économique, alors que les Etats
surveillent attentivement les statistiques de l’immigration, le
regroupement familial est l’un des défis majeurs posés à l’intégration.
Il convient de garder à l’esprit que pour beaucoup de personnes,
le regroupement familial est la première étape sur la voie de l’intégration.
Des familles éclatées ne seront probablement jamais pleinement intégrées.
Au cours des dernières années, les Etats ont malheureusement mis
en place une série de mesures qui ont eu pour conséquence de diminuer
les regroupements familiaux, dont les tests de langue et de citoyenneté.
Dans un rapport intitulé «Les tests d’intégration: aide ou entrave
à l’intégration», la commission examine les effets de ces tests
et leur impact sur l’intégration. Elle conclut que «lorsque les
tests d’intégration constituent une mesure à peine voilée de gestion
des migrations, ils entravent l’intégration et la desservent et
devraient être supprimés»
.
46. La lutte contre la discrimination et la promotion de l’égalité
sont à l’évidence des facteurs importants pour l’intégration. Les
Etats ont réalisé de grands progrès au cours des dernières années
avec l’introduction de lois contre le racisme et en faveur de l’égalité,
imputables en partie à l’action d’organes comme la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe
et à des instruments législatifs de l’Union européenne tels que
la Directive sur l’égalité des races. Malheureusement, la pratique
n’a pas suivi le droit et la résurgence du racisme, des discours
de haine et d’autres formes d’intolérance, y compris contre les groupes
religieux, reste un problème constant. La violence raciste à l’égard
des migrants, constatée récemment dans certains pays comme la Grèce,
témoigne de la nécessité pour l’Europe de se prémunir contre toutes
les formes de discours de haine et de crime. Cependant, les discriminations
ne sont pas toujours aussi évidentes, et le racisme institutionnel
au sein de la société
continue d’être un obstacle majeur pour l’intégration des migrants,
et les empêche de contribuer pleinement à la société.
47. Pour conclure sur l’importance de l’intégration, je souhaiterais
souligner le premier principe de base commun en matière de politique
d’intégration des migrants dans l’Union européenne
:
«L'intégration est un processus dynamique, à double sens, de compromis
réciproque entre tous les immigrants et résidents des Etats membres».
Une collaboration étroite des deux parties sera le gage de la réussite
de l’expérience d’intégration et de bénéfices optimums pour tous.
5. Conclusion
48. Dans le présent rapport, j’ai mis en lumière en quoi
les migrations peuvent être une richesse pour la société d’accueil
et pour les migrants eux mêmes dans les trois grands domaines que
sont l’économie, la communauté des citoyens et le système politique,
et j’ai examiné en quoi les migrations sont liées au développement
et au tourisme. Sans vouloir sous-estimer ou minimiser les préoccupations
en matière de cohésion sociale et l’intolérance grandissante à l’égard
des migrants, les éléments passés en revue dans ce rapport laissent
clairement entendre que dans l’ensemble, les migrants apportent
une contribution positive sur le plan économique et démographique.
Les impacts sociaux, culturels et politiques sont moins évidents
et des difficultés sont à noter. Ce sont précisément dans ces domaines
qu’il est fait état de préoccupations concernant la cohésion sociale
et le manque d’intégration. Des recherches complémentaires s’avèrent
nécessaires pour mieux comprendre l’impact des migrations et la
réponse politique qu’il convient d’y apporter. Cependant, j’aimerais
souligner qu’il appartient aux Etats membres de choisir d’optimiser
les bénéfices des migrations et de ne pas succomber à un raisonnement
à court terme susceptible de conduire à une aliénation des migrants et
d’entraver leur intégration.
49. Les politiques d’intégration sont, à cet égard, un facteur
clé. Il va sans dire que les migrations sont plus bénéfiques si
les migrants trouvent des emplois: leur accès au marché du travail
doit donc être un objectif central. Par ailleurs, il appartient
aux gouvernements des Etats membres de concevoir des politiques
pour répondre aux demandes du marché de l’emploi, et d’offrir aux
migrants des possibilités d’éducation et de formation et d’élargir
leur participation politique.
50. En dépit d’une couverture médiatique souvent hostile aux migrants
dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe et de la
montrée de groupes extrémistes ou populistes promouvant des sentiments
anti-immigrants, les chiffres démontrent le caractère infondé des
inquiétudes liées aux migrations. De plus, les sondages d’opinion
laissent clairement entrevoir que le public se soucie moins de l’immigration
que du chômage et de l’économie. Comme déclarait récemment la Commissaire
européenne Malmström: «Les responsables politiques portent la responsabilité
particulière de mener le combat contre le racisme et la xénophobie
…[et] de dire toute la vérité sur la valeur ajoutée qu’apportent
les migrants»
(traduction
non officielle).