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Résolution 1966 (2014) Version finale
Refuser l'impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski
1. L’Assemblée parlementaire réaffirme
son adhésion indéfectible à la lutte contre l’impunité et la corruption
qui menacent l’Etat de droit, conformément à ses Résolution 1675 (2009) et Recommandation 1876 (2009),
et à ses Résolution 1943
(2013) et Recommandation
2019 (2013), ainsi qu’à la protection des donneurs d’alerte,
qu’elle a manifestée dans sa Résolution
1729 (2010) et sa Recommandation
1916 (2010).
2. Elle est consternée par le fait que Sergueï Magnitski, expert
en fiscalité et en comptabilité au sein d’un cabinet d’avocats établi
à Moscou, soit mort en détention provisoire à Moscou le 16 novembre
2009 et qu’aucune des personnes responsables de sa mort n’ait encore
été punie.
3. M. Magnitski avait mené une enquête pour le compte d’un client
sur une gigantesque fraude commise au détriment des autorités fiscales
russes. Les suspects qu’il avait identifiés avaient effectivement
obtenu le remboursement de l’impôt acquitté par les sociétés de
son client, qui avaient été frauduleusement réenregistrées au nom
de délinquants notoires.
4. Les plaintes ont été adressées aux hauts représentants des
forces de l’ordre russes, mais elles ont été transmises pour enquête
à ces mêmes fonctionnaires du ministère de l’Intérieur qui étaient
accusés de complicité. M. Magnitski a été placé en détention provisoire,
dans des conditions de plus en plus dures, pour une fraude fiscale
supposée, qui aurait été commise en 2001 avec son client de l’époque,
William Browder. Une pancréatite a été diagnostiquée à M. Magnitski
après six mois de détention. Peu de temps avant que le traitement
prévu ne lui soit administré, il a été transféré dans un autre établissement
pénitentiaire dépourvu d’installations médicales adéquates.
5. Au terme de près d’un an de détention, le 16 novembre 2009,
M. Magnitski, dont l’état de santé s’était encore détérioré, a été
ramené dans un centre de détention équipé des installations médicales
appropriées. Après son arrivée sur place, il a été frappé à coups
de matraque de caoutchouc. Il est mort le soir même. Les médecins
urgentistes civils, qui avaient été appelés par les fonctionnaires
pénitentiaires, ont dû attendre plus d’une heure, avant de trouver
le corps sans vie de M. Magnitski gisant sur le sol de la cellule
où il était détenu.
6. L’heure exacte et les causes de la mort de M. Magnitski n’ont
toujours pas été établies. Les témoignages et dossiers officiels
contradictoires n’ont pas encore fait l’objet d’une enquête complète.
7. Deux agents pénitentiaires ont été mis en accusation pour
négligence. Les poursuites engagées à l’encontre de l’un d’eux ont
été abandonnées le 2 avril 2012 en raison de leur prescription,
tandis que l’autre prévenu a été acquitté conformément à la demande
du ministère public le 28 décembre 2012. Aucune des personnes présentes
au moment de la mort de M. Magnitski, ni des personnes accusées
par sa famille d’avoir orchestré les pressions dont il s’était plaint,
n’a jamais été mise en accusation.
8. La procédure engagée à l’encontre de M. Magnitski, désormais
accusé d’avoir participé lui-même à la fraude qu’il avait dénoncée
et à la prétendue évasion fiscale de son client, se poursuit à titre
posthume, en dépit des nombreuses protestations de sa veuve et de
sa mère. Le droit russe autorise uniquement les procédures posthumes
à titre exceptionnel, à la demande de la famille, en vue d’une réhabilitation.
9. Les avocats qui ont agi pour le compte des véritables propriétaires
des sociétés frauduleusement réenregistrées, afin de leur permettre
d’en reprendre le contrôle, sont à présent poursuivis pour avoir
agi sur la base de faux mandats, parce que ces mandats ne leur avaient
pas été délivrés par les faux propriétaires des sociétés.
10. La Commission de surveillance publique russe, chargée par
l’Etat d’inspecter l’ensemble des lieux de détention de la Fédération
de Russie, a mené une enquête sur les circonstances des mauvais
traitements subis par M. Magnitski et de sa mort en détention. Elle
a souligné les nombreuses incohérences, omissions et contradictions
dans les dossiers officiels relatifs à cette affaire.
11. Le Conseil présidentiel pour les droits de l’homme a procédé,
sur la base des conclusions de la Commission de surveillance publique,
à une appréciation complète du cas de M. Magnitski et a invité instamment
les autorités russes compétentes à amener les responsables de sa
mort à rendre des comptes.
12. L’ancien client de M. Magnitski, William Browder, qui est
à présent recherché par les autorités russes pour fraude fiscale,
mène une campagne mondiale en faveur de l’interdiction de visa et
du gel des comptes des personnes qui partageraient la responsabilité
de la mort de M. Magnitski et des démarches faites ensuite pour
étouffer cette affaire. A la suite de l’adoption de la «loi Magnitski»
aux Etats-Unis d’Amérique, il fait campagne pour l’application de
sanctions similaires en Europe.
13. En réaction à la loi Magnitski, la Douma d’Etat russe a adopté
une loi qui prévoit l’application de mesures similaires aux fonctionnaires
américains impliqués dans des actes de violation des droits de l’homme.
La loi interdit également l’adoption d’orphelins russes par les
familles américaines, et les hauts représentants du gouvernement
ont publiquement félicité les fonctionnaires visés par les sanctions
prévues par la loi Magnitski pour leur action.
14. Au vu de ce qui précède, l’Assemblée invite instamment les
autorités russes compétentes:
14.1. à
mener une enquête complète sur les circonstances et le contexte
de la mort de M. Magnitski et l’éventuelle responsabilité pénale
de tous les fonctionnaires concernés, et notamment:
14.1.1. sur
les témoignages contradictoires des fonctionnaires pénitentiaires
et des autres témoins au sujet des événements qui ont suivi l’admission
de M. Magnitski au centre de détention provisoire de Matrosskaya
Tishina le 16 novembre 2009;
14.1.2. sur l’existence de deux versions différentes de l’«acte
de décès» du 16 novembre 2009, signé par le Dr Gaus et d’autres
personnes;
14.1.3. sur les raisons du transfert de M. Magnitski à la prison
de Butyrka une semaine avant la deuxième échographie et l’opération
prévues à la prison de Matrosskaya Tishina;
14.1.4. sur le fait qu’une simple spécialiste de l’hygiène ait
été chargée de dispenser des soins médicaux à M. Magnitski, auquel
avaient été diagnostiquées auparavant de graves pathologies, notamment
une pancréatite;
14.1.5. sur la prescription et l’administration, à M. Magnitski,
du médicament Diclofenac, qui est suspecté notamment d’aggraver
la pancréatite dans certaines situations;
14.1.6. sur l’indisponibilité de la séquence de vidéosurveillance
de l’admission de M. Magnitski à la prison de Matrosskaya Tishina
le jour de sa mort, à la lumière du témoignage selon lequel des
enquêteurs ont emporté l’enregistrement;
14.1.7. sur le caractère incomplet du registre des plaintes imposé
par la loi, tenu pendant une période cruciale à la prison de Butyrka,
à la lumière du témoignage selon lequel les extraits du registre
présentés au cours de la procédure semblaient avoir été réécrits
d’une traite;
14.1.8. sur les relations personnelles qui existent entre les
personnes soupçonnées d’avoir participé à l’entente délictuelle
dénoncée par M. Magnitski, y compris certains fonctionnaires et anciens
fonctionnaires du ministère de l’Intérieur et des services fiscaux
impliqués dans le remboursement d’impôt frauduleux, le propriétaire
de la banque utilisée pour le blanchiment des produits de l’infraction
et les avocats qui ont pris part aux actions en justice fictives,
et notamment les cas de voyages communs à Dubaï, Chypre et Londres;
14.1.9. sur l’origine de l’enrichissement considérable de certains
fonctionnaires à la retraite du ministère de l’Intérieur et du fisc;
14.1.10. sur les actions en justice frauduleuses intentées devant
les tribunaux d’arbitrage de Saint‑Pétersbourg, Moscou et Kazan,
qui ont admis l’existence de dettes fictives annulant prétendument
les bénéfices réalisés par les sociétés frauduleusement réenregistrées,
en vue de préparer le remboursement d’impôt frauduleux dénoncé par
M. Magnitski;
14.1.11. sur la procédure suivie par les deux services fiscaux
impliqués dans la fraude dénoncée par M. Magnitski pour l’approbation
de remboursements d’un montant équivalant à 230 millions de dollars
des Etats-Unis dans un délai de vingt-quatre heures à compter de
la demande, en déterminant notamment si les vérifications essentielles
requises ont été effectuées auprès du ministère de l’Intérieur,
étant donné que celui-ci avait auparavant reçu des informations
détaillées établies par M. Magnitski sur le réenregistrement frauduleux
des sociétés qui demandaient ce remboursement;
14.2. à coopérer pleinement avec les autorités compétentes de
tous les pays, y compris Chypre, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie,
la Lituanie, la République de Moldova et la Suisse, qui ont ouvert
des enquêtes judiciaires pour blanchiment de capitaux à la lumière
des informations qu’elles ont reçues au sujet des transferts de
fonds suspects et qui permettent de remonter jusqu’à la fraude dénoncée
par M. Magnitski ou jusqu’à des délits similaires, commis auparavant
ou par la suite;
14.3. à amener à rendre des comptes pour leurs actes et omissions
toutes les personnes qui partagent la responsabilité de la mort
de M. Magnitski, notamment celles qui ont ordonné ses fréquents
transferts d’établissements pénitentiaires et de cellules, qui se
sont accompagnés d’une dégradation toujours plus importante des
conditions de détention, de l’absence du traitement médical nécessaire
et, juste avant sa mort à la prison de Matrosskaya Tishina, des
coups qui lui ont été portés, et pour la manière dont on a laissé
M. Magnitski seul dans une cellule, dans un état apparemment grave;
14.4. à clore la procédure engagée à titre posthume à l’encontre
de M. Magnitski et à cesser d’exercer des pressions sur sa mère
et sa veuve pour qu’elles participent à cette procédure;
14.5. à cesser de persécuter les autres avocats qui agissent
pour le compte des véritables propriétaires des sociétés frauduleusement
réenregistrées.
15. L’Assemblée félicite la Fédération de Russie d’avoir mis en
place, en lui confiant un mandat solide et en assurant son indépendance,
la Commission de surveillance publique, qui peut servir de modèle
à de nombreux autres Etats membres du Conseil de l’Europe. Afin
de renforcer encore ce précieux mécanisme de surveillance des établissements
pénitentiaires, il convient d’accroître les moyens dont elle dispose
et de permettre aux détenus d’y avoir plus facilement accès à des
fins de prévention.
16. Elle appelle les autorités compétentes russes à persister
dans la lutte menée contre la corruption à tous les niveaux:
16.1. en améliorant la coordination
entre les instances qui détiennent des informations pertinentes, comme
la Banque centrale, et les autres instances habilitées à mener des
enquêtes judiciaires et à engager des poursuites à l’encontre des
auteurs d’infraction;
16.2. en promouvant davantage la transparence des relations
d’affaires, surtout en améliorant l’accès du public aux informations
relatives aux sociétés (bénéficiaires effectifs, directeurs, bilans
et dossiers judiciaires et fiscaux) et en imposant à l’ensemble
des banques d’informer la Banque centrale de tous les transferts
de fonds supérieurs à un certain seuil;
16.3. en promouvant une éthique de service public moderne, fondée
sur la transparence (y compris pour les recrutements et les promotions),
une rémunération équitable et une tolérance zéro à l’égard de l’extorsion,
de la corruption et du trafic d’influence.
17. L’Assemblée invite tous les autres Etats membres du Conseil
de l’Europe à réfléchir aux moyens d’encourager les autorités russes
à amener les responsables de la mort de M. Magnitski à rendre des
comptes et à mener une enquête complète sur les malversations qu’il
avait dénoncées, dans l’intérêt de la Fédération de Russie et de
l’ensemble de ses citoyens, qui travaillent durement et paient leurs
impôts.
18. L’Assemblée s’engage à suivre attentivement la mise en œuvre
des propositions ci-dessus. Elle rappelle sa Résolution 1597 (2008) et sa Recommandation 1824 (2008) sur
les listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de
l’Union européenne. Elle décide en outre que si, dans des délais
raisonnables, les autorités compétentes n’ont pas apporté de réponse,
ou pour le moins de réponse satisfaisante, à la présente résolution,
l'Assemblée devrait recommander aux Etats membres du Conseil de
l'Europe de suivre en dernier ressort l’exemple des Etats-Unis,
en adoptant des sanctions ciblées à l’encontre de personnes particulières (interdiction
de visa et gel de comptes bancaires), après avoir donné à ces personnes
nommément désignées la possibilité de présenter des arguments appropriés
pour leur défense.