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Résolution 1983 (2014) Version finale

Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 8 avril 2014 (12e séance) (voir Doc. 13446, rapport de la commission sur l’égalité et la non-discrimination, rapporteur: M. José Mendes Bota). Texte adopté par l’Assemblée le 8 avril 2014 (12e séance).

1. La traite des êtres humains, une des plus infâmes violations des droits de l’homme, affecte chaque année entre 70 000 et 140 000 personnes en Europe. Les filles et les femmes sont touchées de manière disproportionnée, ainsi que les personnes transgenres, mais les hommes et les garçons sont également concernés. Une grande partie des victimes sont des citoyens de l’Union européenne, notamment des femmes de Bulgarie et de Roumanie que la traite destine à l’exploitation sexuelle.
2. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par le fait que, malgré les nombreux mécanismes et instruments juridiques nationaux et internationaux mis en place pour la combattre, la traite des êtres humains reste non seulement largement répandue en Europe mais prend même de l’ampleur, tandis que le nombre de condamnations prononcées en la matière diminue. Il faut intensifier les efforts pour mettre un frein à ce fléau en investissant les moyens et les efforts nécessaires en matière de prévention, d’enquêtes et de poursuites, tout en veillant à ce que l’objectif premier des mesures prises reste la libération des victimes de cette forme moderne d’esclavage et la restitution de leurs droits et de leur dignité.
3. Même s’il s’agit de phénomènes distincts, la traite des êtres humains et la prostitution sont étroitement liées. On estime qu’en Europe 84 % des victimes de la traite sont destinées à être contraintes à la prostitution; de même, les victimes de la traite représentent une part importante des travailleurs(euses) du sexe. Etant donné l’absence de statistiques précises et comparables sur la prostitution et la traite, il est difficile d’évaluer précisément l’impact que les diverses réglementations sur la prostitution peuvent avoir sur la traite. Toutefois, comme les deux phénomènes sont imbriqués, l’Assemblée estime que les lois et les politiques sur la prostitution constituent des outils indispensables de lutte contre la traite.
4. Il conviendrait de mener des recherches et des collectes de données sur la prostitution et la traite dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Elles devraient viser à rassembler des informations à l’échelle nationale et être menées sur la base de standards harmonisés à l’échelle européenne afin de garantir la comparabilité des données.
5. La législation et les politiques sur la prostitution varient d’un pays à l’autre en Europe, et s’échelonnent de la légalisation à des sanctions pénales pour les activités liées à la prostitution. En 1999, la Suède a été le premier pays à ériger en infraction pénale l'achat de services sexuels, avec des résultats positifs avérés en termes de réduction de la demande de personnes soumises à la traite. Depuis, d’autres pays se sont engagés sur la même voie ou ont pris des mesures en ce sens. Parallèlement, d’autres Etats membres ont décidé de légaliser tant la vente que l’achat de services sexuels, dans le but d’en diminuer l’attrait pour la criminalité organisée et d’améliorer les conditions de travail des travailleurs(euses) du sexe, avec des résultats limités.
6. La prostitution forcée et l’exploitation sexuelle devraient être considérées comme des violations de la dignité humaine et, puisque les femmes représentent une part disproportionnée des victimes, comme un obstacle à l’égalité de genre.
7. La prostitution est un sujet complexe, présentant plusieurs facettes qui doivent être prises en considération. Elle a une incidence sur la santé des travailleurs(euses) du sexe avec des conséquences qui vont d’une exposition accrue aux maladies sexuellement transmissibles, aux risques plus importants de dépendance aux drogues et à l’alcool, aux traumatismes physiques et mentaux, à la dépression et à d’autres maladies mentales. La prostitution est souvent liée à des activités criminelles, telles que la petite délinquance et le commerce de drogue. En outre, les organisations criminelles qui contrôlent la traite des êtres humains sont souvent impliquées dans le trafic de drogue.
8. L’Assemblée reconnaît que, étant donné les différences d’approches juridiques et de sensibilités culturelles, il est difficile de proposer un modèle unique de réglementation de la prostitution qui conviendrait à tous les Etats membres. Elle est néanmoins convaincue que les droits humains devraient être le critère principal dans la conception et l’application des politiques en matière de prostitution et de traite.
9. Indépendamment du modèle choisi, les législateurs et les forces de l’ordre devraient être conscients de leur responsabilité d’assurer que les travailleurs(euses) du sexe peuvent, là où la prostitution est légalisée ou tolérée, pratiquer leur activité dans la dignité, libres de toute contrainte ou exploitation, et de garantir que les besoins de protection des victimes de la traite sont dûment identifiés et que des réponses adéquates sont données.
10. Dans la conception et l’application des législations et des politiques sur la prostitution, les pouvoirs publics devraient renforcer la coopération avec la société civile, notamment les organisations non gouvernementales (ONG) qui prêtent assistance aux victimes de prostitution forcée et de traite, puisque celles-ci ne sont pas représentées par les organisations des travailleurs(euses) du sexe.
11. En outre, et dans tous les cas, il convient que les autorités s’abstiennent d’envisager une réglementation de la prostitution pour se dispenser de mettre en place un dispositif complet et spécifique de lutte contre la traite des êtres humains, reposant sur un cadre juridique et politique solide et effectivement mis en œuvre. La coopération internationale, tant bilatérale que multilatérale, peut jouer un grand rôle dans les efforts de lutte contre la traite en raison de la nature transnationale de celle-ci et des intérêts économiques concernés.
12. Considérant ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe, les Etats observateurs et les partenaires pour la démocratie de l’Assemblée parlementaire:
12.1. en ce qui concerne les politiques en matière de prostitution:
12.1.1. à envisager la criminalisation de l'achat de services sexuels, fondée sur le modèle suédois, en tant qu’outil le plus efficace pour prévenir et lutter contre la traite des êtres humains;
12.1.2. à interdire la publicité, y compris déguisée, pour les services sexuels;
12.1.3. à ériger le proxénétisme en infraction pénale, s’ils ne l’ont pas déjà fait;
12.1.4. à établir des centres de conseil offrant aux prostitué(e)s une aide juridique et de santé, indépendamment de leur statut légal ou d'immigration;
12.1.5. à mettre en place des «programmes de sortie» visant à la réhabilitation de celles et ceux qui souhaiteraient quitter la prostitution, en prévoyant une approche globale comprenant des services de santé, tant mentale que physique, l’aide au logement, l’éducation, la formation et l’emploi;
12.1.6. dans les pays où la prostitution a été légalisée:
12.1.6.1. à envisager de porter l’âge minimum légal pour la prostitution à 21 ans;
12.1.6.2. à veiller à ce que l'ensemble de la législation et de la réglementation pertinentes – y compris celles qui concernent la santé et la sécurité, la sécurité sociale et les impôts – soit passé en revue et mis en œuvre de façon efficace, à tous les niveaux de l'administration;
12.1.6.3. à veiller à ce que la réglementation en matière de prostitution s’applique à toutes les formes de commerce du sexe, y compris la prostitution accessible par internet;
12.1.6.4. à appliquer des critères administratifs et techniques stricts pour l’exercice du commerce du sexe, visant à assurer un suivi et des contacts réguliers de l’administration publique avec les établissements de prostitution («système de garde-fous»);
12.1.6.5. à exiger que les informations sur les droits des travailleurs(euses) du sexe ainsi que les contacts des services antitraite soient affichés de façon visible dans les établissements de prostitution;
12.1.6.6. à échanger des bonnes pratiques afin de réduire les méfaits de la prostitution;
12.1.6.7. à sensibiliser davantage le grand public à la nécessité de changer d’attitude envers l’achat de services sexuels et de réduire la demande, y compris en luttant contre l’encouragement social, notamment sur le lieu de travail;
12.1.7. à renforcer la coopération avec la société civile, y compris avec les associations de travailleurs(euses) du sexe et les organisations non gouvernementales qui assistent les victimes de traite et de prostitution forcée, et à consulter celles-ci lors de l'élaboration ou de la révision des politiques en matière de prostitution;
12.1.8. à instituer des forces de police spécialisées pour l’application de la réglementation en matière de prostitution et de traite des êtres humains;
12.2. en ce qui concerne les politiques en matière de traite des êtres humains:
12.2.1. à signer, à ratifier et à mettre en œuvre la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197) (s’ils ne l’ont pas déjà fait) et à coopérer pleinement avec son mécanisme de suivi;
12.2.2. à mettre en place des plans d'action sur la traite des êtres humains en impliquant étroitement le parlement dans leur élaboration, leur application et le suivi de leur mise en œuvre;
12.2.3. à doter de moyens adéquats tous les organismes et services œuvrant à la prévention de la traite des êtres humains, ou participant aux enquêtes et aux poursuites;
12.2.4. à renforcer la coopération avec Europol et à augmenter substantiellement les moyens humains et financiers qui lui sont octroyés;
12.2.5. à créer des centres d'accueil pour les victimes de la traite des êtres humains;
12.2.6. à instaurer une coopération bilatérale avec les pays d’origine, y compris les pays en voie de développement, dans un souci de prévention de la traite, et à veiller à ce que les victimes renvoyées dans les pays d’origine bénéficient des moyens nécessaires à leur réinsertion sociale;
12.2.7. à renforcer la coopération entre les autorités de lutte contre la traite et les services de répression, d’une part, et les organisations non gouvernementales, d’autre part, dans le cadre des activités antitraite et d'assistance aux victimes;
12.3. en ce qui concerne les enquêtes et la collecte de données:
12.3.1. à promouvoir les recherches quantitatives et qualitatives sur la prostitution: prévalence, types/marchés de la prostitution, ventilation des personnes impliquées par sexe, âge et origine nationale;
12.3.2. à promouvoir les recherches quantitatives et qualitatives sur la traite des êtres humains: prévalence, pays d'origine, but de la traite et prévalence des victimes parmi les prostitué(e)s;
12.3.3. à charger des organes indépendants d'évaluer régulièrement l'impact de la réglementation en matière de prostitution sur la traite des êtres humains;
12.4. en ce qui concerne la sensibilisation, l’information et la formation:
12.4.1. à sensibiliser davantage, à travers les médias et l’instruction scolaire, notamment les enfants et les jeunes, à une sexualité respectueuse, fondée sur l’égalité de genre et sans violence;
12.4.2. à sensibiliser davantage au lien entre la prostitution et la traite des êtres humains au moyen de campagnes d'information visant le grand public, la société civile et les établissements d'enseignement;
12.4.3. à mettre en place davantage de programmes de formation sur la prostitution et la traite à l'intention des forces de l’ordre, des magistrats, des travailleurs sociaux et des professionnels de la santé publique.