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Résolution 1983 (2014) Version finale
Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe
1. La traite des êtres humains, une
des plus infâmes violations des droits de l’homme, affecte chaque année
entre 70 000 et 140 000 personnes en Europe. Les filles et les femmes
sont touchées de manière disproportionnée, ainsi que les personnes
transgenres, mais les hommes et les garçons sont également concernés.
Une grande partie des victimes sont des citoyens de l’Union européenne,
notamment des femmes de Bulgarie et de Roumanie que la traite destine
à l’exploitation sexuelle.
2. L’Assemblée parlementaire est vivement préoccupée par le fait
que, malgré les nombreux mécanismes et instruments juridiques nationaux
et internationaux mis en place pour la combattre, la traite des
êtres humains reste non seulement largement répandue en Europe mais
prend même de l’ampleur, tandis que le nombre de condamnations prononcées
en la matière diminue. Il faut intensifier les efforts pour mettre
un frein à ce fléau en investissant les moyens et les efforts nécessaires
en matière de prévention, d’enquêtes et de poursuites, tout en veillant
à ce que l’objectif premier des mesures prises reste la libération
des victimes de cette forme moderne d’esclavage et la restitution
de leurs droits et de leur dignité.
3. Même s’il s’agit de phénomènes distincts, la traite des êtres
humains et la prostitution sont étroitement liées. On estime qu’en
Europe 84 % des victimes de la traite sont destinées à être contraintes
à la prostitution; de même, les victimes de la traite représentent
une part importante des travailleurs(euses) du sexe. Etant donné
l’absence de statistiques précises et comparables sur la prostitution
et la traite, il est difficile d’évaluer précisément l’impact que
les diverses réglementations sur la prostitution peuvent avoir sur
la traite. Toutefois, comme les deux phénomènes sont imbriqués,
l’Assemblée estime que les lois et les politiques sur la prostitution
constituent des outils indispensables de lutte contre la traite.
4. Il conviendrait de mener des recherches et des collectes de
données sur la prostitution et la traite dans tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe. Elles devraient viser à rassembler des informations
à l’échelle nationale et être menées sur la base de standards harmonisés
à l’échelle européenne afin de garantir la comparabilité des données.
5. La législation et les politiques sur la prostitution varient
d’un pays à l’autre en Europe, et s’échelonnent de la légalisation
à des sanctions pénales pour les activités liées à la prostitution.
En 1999, la Suède a été le premier pays à ériger en infraction pénale
l'achat de services sexuels, avec des résultats positifs avérés
en termes de réduction de la demande de personnes soumises à la
traite. Depuis, d’autres pays se sont engagés sur la même voie ou
ont pris des mesures en ce sens. Parallèlement, d’autres Etats membres
ont décidé de légaliser tant la vente que l’achat de services sexuels,
dans le but d’en diminuer l’attrait pour la criminalité organisée
et d’améliorer les conditions de travail des travailleurs(euses)
du sexe, avec des résultats limités.
6. La prostitution forcée et l’exploitation sexuelle devraient
être considérées comme des violations de la dignité humaine et,
puisque les femmes représentent une part disproportionnée des victimes,
comme un obstacle à l’égalité de genre.
7. La prostitution est un sujet complexe, présentant plusieurs
facettes qui doivent être prises en considération. Elle a une incidence
sur la santé des travailleurs(euses) du sexe avec des conséquences
qui vont d’une exposition accrue aux maladies sexuellement transmissibles,
aux risques plus importants de dépendance aux drogues et à l’alcool,
aux traumatismes physiques et mentaux, à la dépression et à d’autres maladies
mentales. La prostitution est souvent liée à des activités criminelles,
telles que la petite délinquance et le commerce de drogue. En outre,
les organisations criminelles qui contrôlent la traite des êtres
humains sont souvent impliquées dans le trafic de drogue.
8. L’Assemblée reconnaît que, étant donné les différences d’approches
juridiques et de sensibilités culturelles, il est difficile de proposer
un modèle unique de réglementation de la prostitution qui conviendrait
à tous les Etats membres. Elle est néanmoins convaincue que les
droits humains devraient être le critère principal dans la conception
et l’application des politiques en matière de prostitution et de
traite.
9. Indépendamment du modèle choisi, les législateurs et les forces
de l’ordre devraient être conscients de leur responsabilité d’assurer
que les travailleurs(euses) du sexe peuvent, là où la prostitution
est légalisée ou tolérée, pratiquer leur activité dans la dignité,
libres de toute contrainte ou exploitation, et de garantir que les besoins
de protection des victimes de la traite sont dûment identifiés et
que des réponses adéquates sont données.
10. Dans la conception et l’application des législations et des
politiques sur la prostitution, les pouvoirs publics devraient renforcer
la coopération avec la société civile, notamment les organisations
non gouvernementales (ONG) qui prêtent assistance aux victimes de
prostitution forcée et de traite, puisque celles-ci ne sont pas
représentées par les organisations des travailleurs(euses) du sexe.
11. En outre, et dans tous les cas, il convient que les autorités
s’abstiennent d’envisager une réglementation de la prostitution
pour se dispenser de mettre en place un dispositif complet et spécifique
de lutte contre la traite des êtres humains, reposant sur un cadre
juridique et politique solide et effectivement mis en œuvre. La coopération
internationale, tant bilatérale que multilatérale, peut jouer un
grand rôle dans les efforts de lutte contre la traite en raison
de la nature transnationale de celle-ci et des intérêts économiques
concernés.
12. Considérant ce qui précède, l’Assemblée appelle les Etats
membres et observateurs du Conseil de l'Europe, les Etats observateurs
et les partenaires pour la démocratie de l’Assemblée parlementaire:
12.1. en ce qui concerne les politiques
en matière de prostitution:
12.1.1. à envisager la criminalisation
de l'achat de services sexuels, fondée sur le modèle suédois, en
tant qu’outil le plus efficace pour prévenir et lutter contre la
traite des êtres humains;
12.1.2. à interdire la publicité, y compris déguisée, pour les
services sexuels;
12.1.3. à ériger le proxénétisme en infraction pénale, s’ils ne
l’ont pas déjà fait;
12.1.4. à établir des centres de conseil offrant aux prostitué(e)s
une aide juridique et de santé, indépendamment de leur statut légal
ou d'immigration;
12.1.5. à mettre en place des «programmes de sortie» visant à
la réhabilitation de celles et ceux qui souhaiteraient quitter la
prostitution, en prévoyant une approche globale comprenant des services
de santé, tant mentale que physique, l’aide au logement, l’éducation,
la formation et l’emploi;
12.1.6. dans les pays où la prostitution a été légalisée:
12.1.6.1. à envisager de porter l’âge minimum légal pour la prostitution
à 21 ans;
12.1.6.2. à veiller à ce que l'ensemble de la législation et de
la réglementation pertinentes – y compris celles qui concernent
la santé et la sécurité, la sécurité sociale et les impôts – soit
passé en revue et mis en œuvre de façon efficace, à tous les niveaux de
l'administration;
12.1.6.3. à veiller à ce que la réglementation en matière de prostitution
s’applique à toutes les formes de commerce du sexe, y compris la
prostitution accessible par internet;
12.1.6.4. à appliquer des critères administratifs et techniques
stricts pour l’exercice du commerce du sexe, visant à assurer un
suivi et des contacts réguliers de l’administration publique avec
les établissements de prostitution («système de garde-fous»);
12.1.6.5. à exiger que les informations sur les droits des travailleurs(euses)
du sexe ainsi que les contacts des services antitraite soient affichés
de façon visible dans les établissements de prostitution;
12.1.6.6. à échanger des bonnes pratiques afin de réduire les méfaits
de la prostitution;
12.1.6.7. à sensibiliser davantage le grand public à la nécessité
de changer d’attitude envers l’achat de services sexuels et de réduire
la demande, y compris en luttant contre l’encouragement social,
notamment sur le lieu de travail;
12.1.7. à renforcer la coopération avec la société civile, y compris
avec les associations de travailleurs(euses) du sexe et les organisations
non gouvernementales qui assistent les victimes de traite et de
prostitution forcée, et à consulter celles-ci lors de l'élaboration
ou de la révision des politiques en matière de prostitution;
12.1.8. à instituer des forces de police spécialisées pour l’application
de la réglementation en matière de prostitution et de traite des
êtres humains;
12.2. en ce qui concerne les politiques en matière de traite
des êtres humains:
12.2.1. à signer, à ratifier et à mettre
en œuvre la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre
la traite des êtres humains (STCE no 197) (s’ils ne l’ont pas déjà
fait) et à coopérer pleinement avec son mécanisme de suivi;
12.2.2. à mettre en place des plans d'action sur la traite des
êtres humains en impliquant étroitement le parlement dans leur élaboration,
leur application et le suivi de leur mise en œuvre;
12.2.3. à doter de moyens adéquats tous les organismes et services
œuvrant à la prévention de la traite des êtres humains, ou participant
aux enquêtes et aux poursuites;
12.2.4. à renforcer la coopération avec Europol et à augmenter
substantiellement les moyens humains et financiers qui lui sont
octroyés;
12.2.5. à créer des centres d'accueil pour les victimes de la
traite des êtres humains;
12.2.6. à instaurer une coopération bilatérale avec les pays d’origine,
y compris les pays en voie de développement, dans un souci de prévention
de la traite, et à veiller à ce que les victimes renvoyées dans
les pays d’origine bénéficient des moyens nécessaires à leur réinsertion
sociale;
12.2.7. à renforcer la coopération entre les autorités de lutte
contre la traite et les services de répression, d’une part, et les
organisations non gouvernementales, d’autre part, dans le cadre des
activités antitraite et d'assistance aux victimes;
12.3. en ce qui concerne les enquêtes et la collecte de données:
12.3.1. à promouvoir les recherches quantitatives et qualitatives
sur la prostitution: prévalence, types/marchés de la prostitution,
ventilation des personnes impliquées par sexe, âge et origine nationale;
12.3.2. à promouvoir les recherches quantitatives et qualitatives
sur la traite des êtres humains: prévalence, pays d'origine, but
de la traite et prévalence des victimes parmi les prostitué(e)s;
12.3.3. à charger des organes indépendants d'évaluer régulièrement
l'impact de la réglementation en matière de prostitution sur la
traite des êtres humains;
12.4. en ce qui concerne la sensibilisation, l’information
et la formation:
12.4.1. à sensibiliser davantage, à travers
les médias et l’instruction scolaire, notamment les enfants et les
jeunes, à une sexualité respectueuse, fondée sur l’égalité de genre
et sans violence;
12.4.2. à sensibiliser davantage au lien entre la prostitution
et la traite des êtres humains au moyen de campagnes d'information
visant le grand public, la société civile et les établissements d'enseignement;
12.4.3. à mettre en place davantage de programmes de formation
sur la prostitution et la traite à l'intention des forces de l’ordre,
des magistrats, des travailleurs sociaux et des professionnels de
la santé publique.