1. Introduction
1. Lors de leur 1194e réunion
(12-14 mars 2014), les Délégués des Ministres ont décidé de transmettre
à l’Assemblée parlementaire, pour avis, le projet de convention
du Conseil de l’Europe sur la manipulation des compétitions sportives
(ci-après «projet de convention»).
2. A sa réunion du 11 mars 2014, la commission de la culture,
de l’éducation, de la science et des médias m’a désigné rapporteur
en anticipant la saisine attendue de la commission. Le 7 avril 2014,
l’Assemblée a saisi notre commission de la demande d’avis du Comité
des Ministres pour rapport.
3. L’Assemblée a été associée aux travaux d’élaboration du projet
de convention par l’entremise de son actuelle Présidente, Mme Anne
Brasseur, qui, jusqu’en décembre 2013, a été rapporteure sur «La
nécessité de combattre le trucage de matchs».
2. Appréciation
générale du projet de convention
5. Dans sa
Recommandation
1997 (2012), l’Assemblée a invité le Comité des Ministres «à appuyer
les travaux des membres de l’Accord partiel élargi sur le sport
(APES) visant l’élaboration d’une convention européenne sur le trucage
des matchs, fondée sur la Recommandation CM/Rec(2011)10», et elle
soulignait l’urgence d’une telle convention.
6. Le groupe de rédaction a su remplir dans un délai relativement
bref une tâche difficile, tout en se donnant le temps d’écouter
les divers partenaires pour pouvoir tenir compte de leurs exigences
respectives, parfois divergentes.
7. Pour évaluer si la future convention est une réponse adéquate
au besoin d’un instrument international permettant de combattre
efficacement la manipulation des compétitions sportives, trois paramètres
ont une importance particulière: le champ d’application de la convention,
la coopération qu’elle vise à développer entre les Etats et les
autres parties prenantes, et l’effort d’harmonisation des législations
et pratiques nationales qu’elle demande. Ces aspects sont analysés
ci-après de façon plus détaillée.
2.1. Le champ d’application:
notion de «manipulation de compétitions sportives»
8. S’agissant d’un sujet aussi complexe, un premier
écueil était de trouver un accord sur le champ d’application de
la future convention. Une définition étroite de «manipulation de
compétitions sportives» aurait pu saper à la fois la portée et l’efficacité
de la convention. Cela n’a pas été le cas. Le préambule du projet
de convention précise que «la manipulation de compétitions sportives
peut être liée ou non aux paris sportifs, liée ou non à des infractions
pénales, et que tous les cas de figure doivent être traités».
9. L’article 3.4 concorde avec cette affirmation de principe:
«‘Manipulation de compétitions sportives’ désigne un arrangement,
un acte ou une omission intentionnels visant à une modification
irrégulière du résultat ou du déroulement d’une compétition sportive
afin de supprimer tout ou partie du caractère imprévisible de cette
compétition, en vue d’obtenir un avantage indu pour soi-même ou
pour autrui.»
10. Cette définition permet d’appréhender tous les comportements
intentionnels – individuels ou collectifs, positifs ou négatifs
– qui visent à influencer indûment l’aléa sportif à son propre avantage
ou à l’avantage d’autrui. C’est le résultat que nous attendions.
Par ailleurs, l’article 3 donne une définition claire d’autres termes-clé
pouvant prêter à discussion, comme ceux de compétition sportive,
de pari sportif (en détaillant les notions de pari sportif illégal,
atypique et suspect) et d’information d’initié.
2.2. Le renforcement
de la coopération entre les parties prenantes
11. Dans le rapport sur «La nécessité de combattre le
trucage de matchs», notre rapporteure, Mme Brasseur, avait insisté
sur la nécessité d’une coopération élargie et renforcée entre toutes
les parties prenantes. Coopération est le maître-mot du projet de
convention.
12. Il s’agit, tout d’abord, de la coopération entre Etats, indispensable
pour combattre les organisations criminelles qui agissent au niveau
transnational y compris à l’aide d’internet. La manipulation des
compétitions sportives, affirme le préambule, «constitue une menace
d’ampleur mondiale (…) et requiert une réponse elle aussi mondiale,
qui doit avoir le soutien de pays non membres du Conseil de l’Europe».
13. Je partage sans réserve cette analyse et je salue le fait
que la future convention sera ouverte à la signature et à la ratification
de l’Union européenne et des Etats non membres qui ont participé
à son élaboration
ou
qui ont le statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe et
que d’autres Etats pourront y accéder sur invitation du Comité des
Ministres. A cet égard, j’estime que nous devrions encourager nos gouvernements
à chercher activement l’implication d’Etats tels que les Etats-Unis
et la Chine. En effet, leur participation aux mécanismes de la convention
renforcerait considérablement leur efficacité.
14. Le projet de convention se réfère également à la coopération,
tant au niveau international que dans le cadre étatique, entre les
autorités publiques et les autres acteurs: organisations sportives,
organisateurs de compétitions sportives et opérateurs de paris sportifs.
15. La coopération avec les organisations sportives doit se fonder
sur le principe d’autonomie sportive, mais aussi sur la responsabilité
des organisations sportives et l’obligation pour les Etats de protéger
l’intégrité du sport.
16. Le préambule du projet de convention rappelle, à cet égard,
«que les organisations sportives, conformément au principe de l’autonomie
du sport, sont responsables du sport, et sont dotées de responsabilités
en matière d’autorégulation et de sanctions disciplinaires dans
la lutte contre la manipulation de compétitions sportives, mais
que les autorités publiques, autant que de besoin, protègent l’intégrité
du sport». Le préambule affirme aussi que «les organisations sportives
ont la responsabilité de détecter et de sanctionner les manipulations
de compétitions sportives commises par des personnes relevant de
leur autorité».
17. L’article 1.1 du projet de convention indique que: «Le but
de la présente Convention est de combattre la manipulation de compétitions
sportives, afin de protéger l’intégrité du sport et l’éthique sportive,
dans le respect du principe de l’autonomie du sport.»
18. Cette approche fait écho à la position exprimée par l’Assemblée dans
la
Résolution 1875 (2012) sur la bonne gouvernance et l’éthique du sport: «L’intervention
des Etats (…) doit tenir compte de la nécessité de préserver l’autonomie
du mouvement sportif, mais aussi de l’exigence d’assurer que cette
autonomie ne devienne pas un écran pour justifier l’inaction face
aux dérives qui battent en brèche l’éthique sportive et aux agissements
qui relèvent, ou devraient relever, du droit pénal.»
19. Le préambule insiste aussi sur le lien indispensable entre
coopération et lutte efficace. On peut y lire «qu’une lutte efficace
contre la manipulation de compétitions sportives requiert une coopération
nationale et internationale renforcée, rapide, soutenue et fonctionnant
correctement»; et «qu’un dialogue et une coopération
entre les autorités publiques, les organisations sportives, les
organisateurs de compétitions et les opérateurs de paris sportifs
(…) sont essentiels à la recherche de réponses efficaces communes
aux défis posés par le problème de la manipulation de compétitions
sportives».
20. Ainsi, pour atteindre son but, la convention vise «à promouvoir
la coopération nationale et internationale contre la manipulation
de compétitions sportives, entre les autorités publiques concernées,
et avec les organisations impliquées dans le sport et dans les paris
sportifs» (article 1.2.b).
21. Cette affirmation de principe se décline ensuite en plusieurs
dispositions spécifiques sur le contenu et les mécanismes de coopération.
En effet, la coopération est un thème central des chapitres II,
IV et VII du projet de convention, concernant respectivement: «Prévention,
coopération et autres mesures»; «Droit pénal matériel et coopération
en matière d’exécution»; «Coopération internationale en matière
judiciaire et autre». De plus, le chapitre III est consacré aux
«Echanges d’informations», qui sont à la base de toute collaboration.
22. Parmi les dispositions concernant la coopération, je voudrais
en souligner deux:
- l’article
26 exige que, s’agissant des infractions relatives à la manipulation
de compétitions sportives visées par la convention, «Les Parties coopèrent
dans toute la mesure du possible (…) aux fins d’investigation, de
poursuites et de procédures judiciaires (…), y compris pour ce qui
est de la saisie et de la confiscation» (article 26.1) ainsi «qu’en
matière d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale»
(article 26.2);
- l’article 28 établit que «Chaque Partie, dans le respect
de son droit interne, coopère avec les organisations sportives internationales
dans la lutte contre la manipulation de compétitions sportives».
23. Dès lors, le projet de convention répond de façon adéquate
à l’exigence de promouvoir la coopération, tout en reconnaissant
aux Parties une marge de manœuvre qui permet de tenir compte des
spécificités nationales, et en respectant l’autonomie du sport.
2.3. Harmonisation des
législations et des pratiques nationales
24. La coopération en matière de lutte contre la manipulation
de compétitions sportives pourrait être affaiblie par une trop grande
disparité entre les législations des Parties et les modalités pratiques
de leur mise en œuvre. A cet égard, le projet de convention contient
une série de dispositions qui, en demandant l’adoption de mesures
législatives ou autres visant certains résultats spécifiques, devraient
favoriser un rapprochement des législations et des pratiques nationales,
sans pour autant exiger leur uniformisation.
25. Les dispositions plus importantes sont sans doute celles qui
figurent aux chapitres V (compétence, droit pénal procédural et
répression) et VI (sanctions et mesures). Je reviendrai par la suite
sur certaines de ces dispositions. Il convient néanmoins de souligner
ici que, malgré certaines réticences – que la formulation prudente
de certaines dispositions laisse transparaître – le projet de convention
comporte des avancées significatives.
26. Il exige en particulier que les Parties érigent en infraction
pénale:
- la manipulation de
compétitions sportives, dès lors que les faits comprennent des éléments
de contrainte, de corruption ou de fraude (article 15);
- les actes de blanchiment du produit de la manipulation
de compétitions sportives (article 16);
- la complicité dans les actes de manipulation de compétitions
sportives (article 17).
27. D’autres dispositions importantes concernent:
- la détermination de la compétence
des Parties (article 19);
- la responsabilité des personnes morales (article 18);
- la prévision de sanctions dissuasive (articles 22 à 25);
- la protection des données à caractère personnel (article
14);
- la préservation des preuves électroniques (article 20).
28. Il faut aussi préciser que, de manière indirecte, le projet
de convention vise à définir des obligations minimales pour les
partenaires, voire des obligations que les Parties devraient leur
imposer. Ainsi, par exemple, l’article 16.3 prévoit que: «Chaque
Partie envisage d’inclure les manipulations de compétitions sportives
dans le cadre de la prévention contre le blanchiment d’argent, en
exigeant des opérateurs de paris sportifs d’appliquer des exigences
de diligence due à l’égard des consommateurs, de tenue des registres
et de déclarations.»
29. Les futures Parties à la convention devront adapter, si nécessaire,
leurs législations préalablement à l’entrée en vigueur de la convention
à leur égard. Naturellement, il n’est pas possible de fixer un délai,
mais je propose de presser nos gouvernements afin que le processus
d’adaptation – et la ratification – soit rapide.
30. Enfin, le projet de convention invite les Parties à «intégrer
(…) la prévention et la lutte contre la manipulation de compétitions
sportives dans les programmes d’assistance conduits au profit d’Etats
tiers» (voir article 27). A cet égard, le Conseil de l’Europe a
– me semble-t-il – un rôle important à jouer et il conviendrait de
prévoir des programmes de coopération ciblés pour soutenir les Parties
qui pourraient souhaiter bénéficier de l’expertise du Conseil de
l’Europe pour réformer leurs systèmes. Je propose donc de formuler
une recommandation à cet égard.
3. Recommandations
spécifiques contenues dans la Résolution
1876 (2012)
31. Dans sa
Résolution
1876 (2012), l’Assemblée a adressé des recommandations précises
aux Etats membres notamment concernant le renforcement des mécanismes
de prévention, de détection et de sanction. Il est important de
vérifier dans quelle mesure les dispositions du projet de convention
en tiennent compte.
3.1. Mesures de prévention
32. Concernant les actions de prévention, la
Résolution 1876 (2012) contient deux recommandations concrètes:
- veiller à la mise en place de
programmes de formation et de sensibilisation des jeunes sportifs
amateurs et professionnels (voir paragraphe 6.4);
- interdire les paris sur les compétitions les plus vulnérables
à des tentatives de corruption, et notamment les compétitions réservées
aux sportifs de moins de 18 ans, les compétitions amateurs et, pour
certains sports comme le football, les compétitions professionnelles
de divisions inférieures (voir paragraphe 6.5).
33. Le projet de convention contient plusieurs dispositions visant
la prévention, dont deux sont en rapport direct avec les recommandations
susmentionnées.
34. L’article 6.1 établit que: «Chaque Partie encourage la sensibilisation,
l’éducation, la formation et la recherche pour renforcer la lutte
contre la manipulation de compétitions sportives.» L’emploi du verbe «encourager»
implique un «engagement faible». Une terminologie prudente peut
se justifier puisque les programmes de sensibilisation, éducation,
formation et recherche doivent être développés dans le cadre d’une collaboration
avec les autres partenaires et qu’ils demandent un effort financier.
Il est utile de noter que cette disposition est complétée par d’autres,
y compris l’article 7.2.d.
Néanmoins, la mise en place de programmes de formation et de sensibilisation
pour les jeunes sportifs n’est pas mentionnée explicitement. Dès
lors, je propose de renforcer dans ce sens le paragraphe 72 du rapport
explicatif (qui se réfère à l’article 6) et l’article 7.2.d du projet de convention.
35. L’article 9 prévoit que chaque Partie désigne la ou les autorités
«chargées de mettre en œuvre la régulation des paris sportifs et
d’appliquer toutes mesures pertinentes pour combattre la manipulation
de compétitions sportives en lien avec les paris sportifs». Parmi
ces mesures, le projet de convention mentionne «la limitation, lorsque
nécessaire, de l’offre de paris sportifs, après consultation des
organisations sportives nationales et des opérateurs de paris sportifs,
en excluant notamment les compétitions sportives:
- destinées spécifiquement aux
moins de 18 ans, ou
- dont les conditions d’organisation et/ou les enjeux sportifs
sont insuffisants».
36. Cette disposition n’est peut-être pas aussi ambitieuse que
la recommandation de l’Assemblée, mais elle s’inscrit clairement
dans la droite ligne de celle-ci et en reprend l’essentiel. Le Comité
de suivi de la convention (voir section 4 ci-après) aura un rôle
important concernant la clarification des critères de limitation
de l’offre de paris sportifs. Néanmoins, la liste des mesures dans
l’article 9.1 est introduite par les mots «telles que». Cela peut
conduire à l’interprétation que les Parties peuvent considérer comme
pertinentes seulement certaines des mesures listées, voire aucune.
Une telle interprétation devraient être évitée. Dès lors, je propose
de recommander que les mots «telles que» soient remplacés par «y
compris notamment».
37. La nécessité d’améliorer la prévention est prise en compte
par d’autres dispositions, notamment en matière de prévention du
conflit d’intérêts.
38. Ainsi, l’article 7 du projet de convention prévoit que chaque
Partie encourage l’adoption par les organisations sportives et les
organisateurs de compétitions sportives de règles et de principes
de bonne gouvernance visant, entre autres:
- la prévention des conflits d’intérêts (interdiction aux
acteurs de la compétition sportive de parier sur les compétitions
auxquelles ils participent; interdiction de l’utilisation abusive
ou de la diffusion d’informations d’initié);
- la sensibilisation des acteurs de la compétition au risque
de manipulation de compétitions sportives et les efforts pour le
combattre, par l’éducation, la formation et la diffusion d’informations;
- la désignation la plus tardive possible des officiels
compétents pour une compétition sportive, notamment les juges et
les arbitres.
39. Par ailleurs, l’article 10.1 prévoit que «Chaque Partie adopte
les mesures législatives ou autres qui se révèlent nécessaires pour
prévenir les conflits d’intérêts et l’utilisation abusive d’informations
d’initié par des personnes physiques ou morales impliquées dans
la fourniture d’offres de paris sportifs» et indique de manière spécifique
certaines situations de conflit d’intérêts auxquelles il faut avoir
égard de manière particulière.
40. Enfin, les mesures de surveillance et de sanction, que j’examinerai
dans les sections suivantes, ont aussi un rôle important de dissuasion.
3.2. Surveillance et
détection
41. Concernant les mécanismes de surveillance et de détection,
dans la
Résolution 1876
(2012), l’Assemblée a recommandé aux Etats membres:
- de créer dans chaque pays une
autorité nationale de régulation des paris et d’étudier la création
dans chaque pays d’un observatoire «intégrité du sport» et d’un
groupe de travail «paris sportifs», en vue d’une mise en réseau
des données au niveau européen (paragraphe 6.6);
- de travailler avec les opérateurs de paris nationaux et
internationaux pour mettre en place des procédures efficaces de
détection des paris suspects (paragraphe 6.10).
42. Le projet de convention répond bien aux attentes, voire les
dépasse. En particulier, non seulement l’article 9 du projet de
convention requiert que chaque Partie désigne l’autorité ou les
autorités de régulation des paris sportifs, mais aussi l’article
13.1 établit que «Chaque Partie identifie une plateforme nationale chargée
de traiter de la manipulation de compétitions sportives».
43. Cette plateforme devrait servir de centre d’information et
s’acquitter de fonctions importantes notamment en matière de gestion
des flux d’informations entre les partenaires, d’alerte, de coordination
de la lutte contre la manipulation des compétitions sportives et
de coopération aux niveaux national et international.
44. Il convient également de noter qu’aux termes de l’article
10.3 «Chaque Partie adopte les mesures législatives ou autres nécessaires
pour obliger les opérateurs de paris sportifs à signaler sans délai
les paris atypiques ou suspects à l’autorité de régulation des paris,
à la ou aux autres autorités responsables, ou à la plateforme nationale».
3.3. Poursuite et sanctions
45. Concernant les procédures de poursuite et les sanctions
applicables en matière de manipulation des compétitions sportives,
la
Résolution 1876 (2012) demande aux Etats membres:
- de développer, en collaboration avec les institutions
sportives, des règles et des mécanismes adaptés pour faire en sorte
que les sanctions disciplinaires prises par les commissions des
fédérations ainsi que les sanctions pénales pour corruption soient
suffisamment dissuasives et effectivement appliquées (paragraphe
6.7);
- de promouvoir la reconnaissance mutuelle entre pays et
fédérations sportives des sanctions pénales, administratives, disciplinaires
et sportives (paragraphe 6.8);
- de veiller à la coopération entre les autorités judiciaires
et de police nationales et internationales pour améliorer l’efficacité
des investigations et des poursuites dans les affaires de trucage
de matchs (paragraphe 6.9).
46. Ici le projet de convention impacte directement les compétences
des Etats en matière pénale. En analysant la question de l’harmonisation
des droits nationaux, j’ai déjà évoqué quelques dispositions centrales,
mais il convient d’approfondir leur analyse.
47. Comme le rapport explicatif le clarifie, le projet de convention
n’impose pas aux Parties d’introduire dans leurs ordres juridiques
respectifs une infraction pénale spéciale harmonisée en matière
de manipulation de compétitions sportives. Les Parties doivent néanmoins
s’assurer que les comportements relevant de la notion de manipulation
de compétitions sportives soient couverts par leur droit pénal de
manière appropriée et elles doivent donc identifier les actes qui
seront poursuivis à ce titre; cela est, en effet, une condition
de l’efficacité de la coopération judiciaire et policière entre
les Parties.
48. A cet égard, le projet de convention se réfère spécifiquement
aux faits de manipulation qui comprennent des éléments de contrainte,
de corruption ou de fraude (article 15), à la complicité intentionnelle
dans ces actes de manipulation (article 17) et au blanchiment du
produit de ces infractions (article 16).
49. Il est demandé aux parties de prévoir également la responsabilité
des personnes morales lorsque les infractions en question «sont
commises pour leur compte par toute personne physique, agissant
soit individuellement, soit en tant que membre d’un organe de la
personne morale, qui exerce un pouvoir de direction au sein de celle-ci»
(article 18). Cette dernière disposition est d’une grande importance,
car si la responsabilité des personnes morales n’était pas affirmée,
derrière l’écran de ces entités (et compte tenu de la séparation
de leur patrimoine) la criminalité organisée continuerait de prospérer.
50. Le système ainsi conçu cherche à réconcilier le besoin d’un
cadre commun et la marge de manœuvre des Etats. Le point d’équilibre
retenu par le groupe de rédaction me semble acceptable. Néanmoins,
dans le paragraphe 5.3.4 de la
Recommandation 1997 (2012), nous avons demandé au Comité des Ministres de «définir
un cadre minimal pour ériger la fraude sportive en infraction pénale
dans les différents pays». L’introduction dans les ordres juridiques
des Parties d’une infraction spéciale harmonisée faciliterait la collaboration
entre les Etats et celle entre les autorités publiques et les autres
parties prenantes. Je proposerai donc que le Comité de suivi de
la convention (voir section 4 ci-après) soit explicitement chargé
de l’élaboration de dispositions-modèle, dont l’introduction dans
les ordres juridiques nationaux resterait néanmoins facultative.
51. Le projet de convention envisage un éventail de sanctions,
de nature pénale, administrative et disciplinaire qui répond à nos
attentes. En particulier:
- l’article
22 demande que les sanctions pénales à l’encontre des personnes
physiques soient «effectives, proportionnées et dissuasives», et
elles devraient inclure des sanctions pécuniaires et des peines
de privation de liberté pouvant donner lieu à l’extradition;
- l’article 23 s’exprime dans des termes analogues concernant
les sanctions à l’encontre des personnes morales;
- l’article 25 requiert de prévoir la saisie et la confiscation
tant des biens, documents et autres instruments utilisés ou destinés
à être utilisés pour commettre la manipulation que des produits
de l’infraction, ou de biens d’une valeur équivalente à ces produits.
52. Il me semble important de prendre position sur le choix fait
par le groupe de rédaction d’inclure dans le projet la question
de la lutte contre les paris sportifs illégaux. D’aucuns ont hésité
et d’autres n’ont pas manqué, y compris devant le Comité des Ministres,
d’exprimer de fortes réserves en ce qui concerne les dispositions
du projet de convention à cet égard. Pour ma part, je considère
que ce choix est non seulement parfaitement justifié, mais également
inévitable. Il ne ferait aucun sens de prendre en considération
les paris sportifs légaux mais d’oublier les paris illégaux, de
demander la coopération des opérateurs de paris qui agissent de
manière transparente et dans le respect de l’ordre juridique et
de laisser les autres agir impunément.
53. Au contraire, je crois qu’en cherchant à vaincre les réticences,
le groupe de rédaction a finalement abouti à une disposition peu
utile. Je me réfère à l’article 11.1 du projet de convention, qui
demande que «chaque Partie étudie les moyens les plus adaptés de
lutte contre les opérateurs de paris sportifs illégaux et envisage l’adoption
de mesures dans le respect du droit applicable à la juridiction
concernée».
54. S’agissant de la lutte contre les paris illégaux, il est difficile
de comprendre pourquoi les Parties ne prendraient pas un engagement
plus ferme que celui d’«étudier», terme vague et qui au fond n’oblige
à aucun résultat. Ce que nous souhaitons est que les Parties prévoient
et appliquent des mesures adaptées. Il faudrait donc proposer une
formulation différente pour demander que chaque Partie «adopte des
mesures efficaces» telles que celles listées ensuite dans le même
article.
55. Enfin, le système a une brèche: la possibilité pour une Partie
de déclarer qu’elle se réserve le droit de ne pas établir sa compétence
(ou de le faire mais dans des cas ou conditions spécifiques) lorsqu’une
infraction relevant des articles 15 à 17 est commise «par une personne
ayant sa résidence habituelle sur son territoire» (voir article
19.2 en lien avec l’article 19.1.e).
56. Le rapport explicatif indique que l’on couvre ainsi «le cas
de sportifs de nationalité étrangère qui ont leur lieu de résidence
habituel dans un pays mais qui se livreraient à des activités criminelles
à l’occasion des compétitions se déroulant dans d’autres pays».
Je note que ce cas concerne souvent des sportifs de haut niveau.
57. Je ne vois aucune raison d’assurer une sorte d’impunité à
des sportifs qui trichent en renonçant à la compétence pour les
poursuivre et je considère tout simplement aberrant qu’on ouvre
ainsi les mailles du filet en permettant non seulement à des sportifs
peu scrupuleux, mais aussi à toute autre personne malintentionnée,
voire à des organisations criminelles de s’établir – et notamment
de créer des sociétés écran – sur le territoire d’un Etat qui n’aurait
pas de juridiction à leur égard lorsqu’il s’agit des infractions
liées à la manipulation de compétitions sportives commises dans
un autre pays. En outre, le manque de compétence affaiblit également
l’efficacité de la règle «aut dedere,
aut iudicare» (extrader ou poursuivre) prévue à l’article 19.3.
Je propose donc que l’article 19.2 soit supprimé.
4. Mécanisme de suivi
58. Pour garantir la mise en œuvre efficace de la convention,
le projet prévoit l’établissement d’un «Comité de suivi» composé
des représentants des Parties.
59. L’article 30.3 précise que «L’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe, ainsi que les comités intergouvernementaux ou scientifiques
compétents du Conseil de l’Europe désignent chacun un représentant au
Comité de suivi de la Convention afin de contribuer à une approche
plurisectorielle et pluridisciplinaire», sans droit de vote. Cela
permet d’envisager la participation régulière d’organes comme le
Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) ou le Comité européen
pour les problèmes criminels (CDPC).
60. Par ailleurs, il est prévu que le Comité de suivi puisse inviter,
par décision unanime, tout Etat non Partie à la convention ou toute
organisation ou organisme international, à se faire représenter
(comme observateur) lors des réunions. Il pourra ainsi bénéficier
de l’expertise et de l’expérience d’organisations déjà impliquées dans
la lutte contre la manipulation de compétitions sportives ou autres
activités pertinentes.
61. Les fonctions du Comité de suivi sont énumérées à l’article
31 du projet de convention. Il pourra, entre autres, «adresser aux
Parties des recommandations concernant les mesures à prendre pour
la mise en œuvre de la présente Convention, notamment en matière
de coopération internationale» (article 31.2.b) mais
aussi formuler des recommandations sur des questions très techniques,
comme sur les critères de limitation de l’offre de paris sportifs
et les critères définissant les paris sportifs atypiques et suspects
(article 31.2.c). Le texte suggère
que les fonctions ne sont pas obligatoires: le Comité de suivi «peut»
les accomplir. Cela est acceptable, sauf pour la fonction mentionnée
à l’article 31.2.a. L’adoption
et la mise à jour de la liste des organisations sportives est clairement
une condition préalable à la mise en œuvre effective de la convention. Dès
lors, nous devrions recommander de reformuler l’article 31.2 afin
qu’il prévoie que le Comité de suivi «doit» adopter et modifier
la liste.
62. Il incombera aussi au Comité de suivi d’«assurer l’information
des organisations internationales compétentes et du public sur les
travaux entrepris dans le cadre de la présente Convention» (article
31.2.d). Enfin, il convient de souligner que
ce Comité pourra effectuer des visites dans les Etats parties, sous
réserve de leur accord (article 31.4)
63. L’article 30.6 prévoit que «Le Comité de suivi de la Convention
est assisté dans l’exercice de ses fonctions par le Secrétariat
du Conseil de l’Europe». Il faut alors assurer que des ressources
suffisantes soient allouées à cet effet et veiller à ce que l’efficacité
du mécanisme ne soit pas compromise par le manque de moyens.
64. Enfin, l’article 29 établit que: «Chaque Partie transmet au
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, dans l’une des langues
officielles du Conseil de l’Europe, toutes les informations pertinentes
relatives à la législation et aux autres mesures qu’elle aura prises
dans le but de se conformer aux dispositions de la présente Convention.»
Le projet ne prévoit pas explicitement la fréquence de ces communications,
mais le rapport explicatif indique à cet égard que le Comité de
suivi pourra spécifier la nature des informations, ainsi que la
fréquence et les modalités de collecte d’informations.
5. Remarques conclusives
65. Le groupe de rédaction a fait un excellent travail.
Nous devons le saluer et demander une conclusion rapide des travaux
et l’ouverture à la signature et à la ratification de la convention,
si possible avant la fin de l’année 2014.
66. Dès lors, il faut éviter que nos propositions puissent offrir
un prétexte pour ralentir le processus. Néanmoins, il me semble
important d’attirer l’attention du Comité des Ministres sur quelques
dispositions qui méritent d’être reconsidérées, en vue de renforcer
le système envisagé. J’ai repris mes propositions à cet égard dans
le projet d’avis. J’ai également ajouté quelques propositions d’amendements
ayant un caractère technique, que je considère utiles.
67. Surtout, il faut absolument prévenir que, sous la pression
de quelques Etats récalcitrants, le Comité des Ministres cède à
la tentation de revenir en arrière sur certaines solutions. Il faut
donc insister sur l’importance que nous accordons aux engagements
envisagés, et recommander qu’ils ne soient revus que pour les renforcer
et certainement pas pour les affaiblir, car cela nuirait à l’efficacité
du système.