1. Introduction
1. La commission sur l’égalité et la non-discrimination
de l’Assemblée parlementaire travaille depuis des années sur les
questions de prévention et de lutte contre la violence à l’égard
des femmes et la violence domestique. Elle a décidé de préparer
un rapport spécifique sur les auteurs de violences pour la première
fois dans le but de compléter ses travaux.
2. L’assistance aux victimes de violences et la prévention demeurent
des priorités. Les femmes victimes de violences sont au centre de
notre attention et de nos efforts mais il ne peut y avoir de véritable
changement sans l’implication des hommes. Une solution durable à
la violence à l’égard des femmes ne sera trouvée qu’en assurant
la participation des hommes, y compris ceux qui sont des auteurs
de violences, à des programmes de sensibilisation adressés au grand
public, et à des programmes spécifiques de traitement et d’intervention lorsque
cela s’avère nécessaire. Ce rapport permettra de mettre en lumière
de bonnes pratiques dans ce domaine.
3. La violence à l’égard des femmes est en effet profondément
enracinée dans l’inégalité entre les femmes et les hommes et elle
se perpétue par une culture d’acceptation et de déni. Il y a un
lien clair entre la vision de la femme dans la société et la violence
à l’égard des femmes. Une lutte efficace contre la violence à l’égard des
femmes ne peut se faire sans des activités de prévention et de lutte
contre les inégalités dès le plus jeune âge. Il est important d’impliquer
les garçons et les hommes dans la lutte contre les stéréotypes en
amont afin de pouvoir atteindre des résultats.
2. But et
portée du rapport
4. Mon rapport trouve son origine dans une proposition
de résolution déposée par Mme Nursuna Memecan
que je tiens à remercier pour son
initiative. Il a pour but d’analyser les méthodes spécifiques de prévention
de la violence à l’égard des femmes et de la violence domestique
se concentrant sur les auteurs. Il vise à faire état de la situation
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, présenter des informations
sur les meilleures pratiques existantes, leurs résultats et encourager
leur mise en œuvre dans d’autres pays.
5. Ce rapport s’appuie sur des recherches documentaires et sur
des informations obtenues lors de l’audition tenue par le Réseau
parlementaire pour «le droit des femmes de vivre sans violence»
et la commission sur l’égalité et la non-discrimination le 2 octobre
2013 à Strasbourg. Pendant cette audition, les membres du Réseau
et de la commission ont entendu le témoignage de Frédéric Matwies,
auteur de l’ouvrage «Il y avait un monstre en moi»,
et les présentations de Thangam Debbonaire, Directrice de recherche,
Respect, Royaume-Uni, et de Rosa Logar, co-fondatrice de Femmes
contre la violence Europe (WAVE).
6. Ce rapport s’intéresse aux programmes s’adressant aux auteurs
dans le cadre de la lutte contre la violence à l’égard des femmes.
La plupart des programmes à l’attention des auteurs de violences
s’adressent directement aux hommes mais certains peuvent accueillir
des femmes. Ce rapport ne traitera pas de la participation des femmes
à ces programmes, même si des hommes peuvent également être victimes
de violences.
3. Programmes préventifs
d’intervention et de traitement des auteurs dans la Convention d’Istanbul
7. L’importance de la prévention par des actions spécifiques
auprès des auteurs a été reconnue par la Convention du Conseil de
l’Europe sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (STCE n° 210, Convention d’Istanbul) qui
a consacré l’article 16 à cette question. La convention établit
l’obligation pour les autorités de soutenir des interventions préventives
auprès des auteurs de violences et des programmes de traitement
destinés à les aider à changer d’attitudes, adopter un comportement
non-violent et ne pas récidiver. Elle appelle les Etats Parties
à soutenir ce type de programmes s’ils existent déjà ou à les créer
si tel n’est pas encore le cas. La sécurité, le soutien et les droits
humains des victimes doivent être considérés comme une priorité.
L’article 16 vise deux catégories distinctes de programmes:
- les programmes destinés aux
auteurs de violence domestique;
- les programmes destinés aux auteurs d’infractions à caractère
sexuel.
8. Le rapport explicatif sur la Convention d’Istanbul apporte
des précisions supplémentaires. Les Etats Parties décident du contenu
des programmes, toutefois la Convention d’Istanbul les encourage
à utiliser les bonnes pratiques existantes et à mettre l’accent
sur la responsabilité des auteurs de leurs actes.
9. Les participants à ces programmes doivent être encadrés par
des professionnels ayant reçu une formation spécifique en psychologie
et analysé les causes de la violence à l’égard des femmes. Ils doivent également
faire preuve de compétences linguistiques et interculturelles leur
permettant d’être en interaction avec des profils d’auteurs de violences
très variés. De plus, ces programmes devraient être «gérés en étroite collaboration
avec les services de soutien des femmes, les services répressifs,
les autorités judiciaires, les services de probation et les services
de protection de l'enfance ou d'aide sociale à l'enfance»
.
10. Je me dois de mentionner que la Convention d’Istanbul est
un instrument aspirant à changer les mentalités qui propose un cadre
global de lutte contre la violence à l’égard des femmes. La convention
engage l’ensemble des Etats Parties à prendre des mesures pour éliminer
les préjugés, les usages et les traditions qui reposent sur l’idée
de l’infériorité des femmes ou sur la répartition stéréotypée des
rôles entre femmes et hommes.
11. La Convention d’Istanbul est entrée en vigueur le 1er août
2014 dans 11 Etats membres du Conseil de l’Europe et entrera en
vigueur le 1er novembre 2014 en France,
à Malte et en Suède. Les Etats Parties devront s’attacher, si ce
n’est pas encore le cas, à mettre en place des programmes préventifs
d’intervention et de traitement des auteurs de violence domestique
et des auteurs d’infractions à caractère sexuel. Les Etats s’engagent
également à allouer des ressources suffisantes pour la création
de programmes d’intervention et de traitement lorsqu’ils n’existent
pas encore.
12. Le Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard
des femmes et la violence domestique (GREVIO), une fois établi,
étudiera la situation dans les Etats Parties et fera rapport de
la création de ce type de programmes, de leur mise en œuvre et de
leur efficacité dans ses rapports d’évaluation de la mise en œuvre de
la convention. Le GREVIO sera formé dans l’année suivant l’entrée
en vigueur de la Convention d’Istanbul.
4. Programmes mis
en œuvre dans quelques Etats membres du Conseil de l’Europe
13. L’enquête de l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne sur la violence à l’égard des femmes dans l’Union
européenne, effectuée auprès de 42 000 femmes, a trouvé que 13 millions
de femmes dans l’Union européenne avaient été victimes de violence
physique au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête, ce qui
correspond à 7 % des femmes âgées de 18 à 74 ans dans l’Union européenne.
Une femme sur 20 aurait été victime d’un viol depuis l’âge de 15
ans. Considérant l’étendue et la gravité de ce phénomène, aucun
moyen de lutte et de prévention de la violence à l’égard des femmes
ne peut être mis de côté ou ignoré.
14. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont pris des séries
de mesures à cette fin, dont la mise en place de programmes destinés
aux auteurs de violences. L’étude analytique des résultats du 4ème
cycle de suivi de la mise en œuvre de la Recommandation Rec(2002)5
du Comité des Ministres sur la protection des femmes contre la violence
nous informe que 37 Etats membres du Conseil de l’Europe sur les
46 ayant participé à ce cycle de suivi ont mis en place des programmes
d’intervention à l’intention des auteurs de violences à l’égard
des femmes
.
Vingt-neuf Etats ont des programmes qui s’adressent spécifiquement
aux auteurs d’agressions sexuelles.
15. Les programmes ont tendance à se ressembler et à se fonder
sur le modèle Duluth de traitement des auteurs de violence domestique
. La participation à ces programmes
peut être ordonnée par la justice ou être volontaire. Toutefois,
en Europe, la participation à ces programmes se fait pour l’essentiel
sur une base volontaire. Dans certains pays, comme la Lettonie,
la participation se fait exclusivement sur une telle base. Dans
des pays tels que l’Irlande et la Norvège, où coexistent les deux
modèles, le modèle «volontaire» est nettement prédominant (par exemple,
98 % des programmes en Norvège)
.
16. Des programmes dits de proximité sont destinés aux personnes
arrêtées dont la culpabilité n’a pas été reconnue par un tribunal,
souvent en raison d’un manque de preuves. Ces programmes peuvent
prévoir un travail spécifique auprès des victimes, des sessions
jointes avec l’auteur des violences et sa victime.
17. Les programmes peuvent combiner une thérapie individuelle
et une thérapie de groupe. Le suivi individualisé permet à l’auteur
de comprendre son comportement antérieur et de réfléchir à ses causes profondes.
La combinaison des deux thérapies peut permettre d’apprendre à l’auteur
des violences à utiliser différents moyens de communication des
émotions, tels que la verbalisation. Ces thérapies vont fournir
des clés permettant d’éviter une montée des tensions aboutissant
à la violence. Il est fondamental d’apprendre à prendre du recul
et à maîtriser ses émotions afin de contrôler d’éventuelles poussées
de violence.
4.1. Espagne
18. En Espagne, la loi organique du 28 Décembre 2004
prévoit des mesures de prévention,
qu’elles soient éducatives (Articles 1 à 7 relatifs à des programmes
de sensibilisation à l’égalité de genre adapté au niveau d’étude,
de la maternelle aux études supérieures), ou qu’elles prennent la
forme de programmes à l’intention des auteurs mis en place par l’administration
pénitentiaire en contrepartie d’aménagements de peine (article 42)
. Un système de
suivi a été mis en place et consiste en une base de données unique
comprenant les informations pertinentes à la sécurité des victimes
de violence fondée sur le genre, accessible à tous les acteurs impliqués
(police, tribunaux, services pénitentiaires, etc.)
.
19. Il n’existe pas de fédération nationale regroupant les organisations
qui proposent de tels programmes, mais des réseaux informels permettant
aux professionnels de se rencontrer et d’échanger leurs expériences ont
vu le jour. Aussi, à défaut d’harmonisation quant à leur contenu,
on peut distinguer trois types de programmes: ceux mis en place
dans le milieu pénitentiaire; ceux constituant une alternative à
la peine d’emprisonnement; et ceux basés sur la participation volontaire.
20. L’accès aux programmes mis en place dans les prisons (article
42 de la loi de 2004) se fait sur une base volontaire mais s’effectue
en contrepartie d’aménagements de peine. Cinquante centres pénitentiaires,
parmi les 68 que compte l’Espagne, proposent de tels programmes,
et plus de 2 000 condamnés en ont bénéficié entre 2001 et 2010
.
21. Les programmes constituant une alternative à la peine d’emprisonnement
sont prévus à l’article 83 du Code pénal et consistent en une rééducation
et en un traitement psychologique pour les auteurs de violences. A
l’exception de la Catalogne, les institutions pénitentiaires sont
responsables de leur mise en œuvre. Ces derniers ont ainsi conclu
des partenariats avec des organisations non gouvernementales (ONG),
des facultés universitaires de psychologie ainsi que des communautés
autonomes.
22. Enfin, les programmes basés sur le volontariat sont proposés
par des ONG, des communautés autonomes ainsi que par des services
de santé. Le principal frein au travail avec les auteurs de violence
en Espagne est le manque de coordination des programmes, en particulier
ceux basés sur le volontariat. Ces derniers souffrent de surcroît
d’un manque de financements depuis le début de la crise
.
23. En 2006, près de 2 100 hommes ont participé aux programmes
à l’intention des auteurs, qui sont gratuits
.
70 % des programmes proposent un travail de groupe (86 % dans le
cadre pénitentiaire et 46 % dans le cadre volontaire), 93 % proposent
un travail individuel et 27 % des thérapies de couple. Le pourcentage
de récidive serait de 33 % selon les épouses dans l’année suivant
le programme, et de 75 % pour ceux n’ayant pas suivi de programme
.
4.2. France
24. En France, des initiatives de programmes de traitement
sont nées en premier lieu à l'échelle départementale, sous l'impulsion
des Services Pénitentiaires d'Insertion et de Probation (SPIP) et
des associations
.
25. Le rapport Coutanceau remis en 2006 au Sénat par le docteur
du même nom
a entraîné une discussion au niveau
national sur ce sujet et a mené à l’adoption d’un nouveau texte
législatif. La loi adoptée le 5 février 2008 impose un suivi socio-judiciaire
et une injonction de soins aux hommes condamnés et considérés après
expertise médicale comme susceptibles de faire l'objet d'un traitement.
Le juge peut également imposer une obligation de soins pour toute
peine supérieure
. Les SPIP sont chargés de la mise en
œuvre des programmes à l'échelle départementale.
26. La loi (article 15) pour l’égalité entre les femmes et les
hommes, adoptée le 23 juillet 2014, prévoit l’insertion de l’alinéa
«accomplir à ses frais un stage de sensibilisation à la prévention
et à la lutte contre les violences sexistes» dans les articles relatifs
aux obligations pouvant être imposées par le juge au titre d’une condamnation
pénale (article 41-1 du Code de Procédure pénale et articles 132-45
et 222-44 du Code pénal). Cet ajout est une conséquence directe
de la ratification de la Convention d’Istanbul par la France.
27. Des thérapies individuelles et des thérapies de groupe sont
proposées. La thérapie de groupe est encouragée afin d’écouter les
autres, d’apprendre à exprimer des émotions et de bénéficier d’une
dynamique de groupe. Le rappel à la loi est utilisé dans le processus
menant à la prise de conscience de l’auteur
. Les équipes d’encadrement sont composées
d’une femme et d’un homme, souvent d’un sociologue et d’un psychiatre
ou psychologue. Un programme de six séances est le minimum avant
un jugement. Un programme plus long peut être mis en place après
le jugement. Une période de six mois à un an est recommandée.
28. Frédéric Matwies, ancien auteur de violences, a décidé de
partager son expérience afin de sensibiliser la population et d’encourager
les agresseurs à suivre de tels programmes les aidant à reconnaître
leur responsabilité. «En suivant une thérapie de groupe et une thérapie
individuelle, j’ai appris à mieux gérer les conflits, à éviter l’escalade
des tensions et à m’exprimer uniquement à l’aide de mots», a-t-il
souligné lors de notre audition en octobre 2013 à Strasbourg.
29. Les programmes destinés aux auteurs d’agressions sexuelles
et de viols sont expressément conçus pour que, tant en milieu carcéral
qu’à l’extérieur, les délinquants sexuels condamnés suivent un traitement visant
à réduire au maximum la récidive et à les réinsérer avec succès
dans la société.
30. Les programmes sont supervisés à l'échelle nationale par la
Fédération nationale des associations et des centres de prise en
charge des auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV)
. La FNACAV a ouvert 22 centres régionaux
et propose des stages de 14 jours sur deux ans pour former les professionnels
à animer des groupes de parole. Les associations rattachées à la
fédération qui proposent et animent les groupes en question sont
au nombre de 30 et sont réparties équitablement sur le territoire
.
31. Dans le cadre du programme européen STARR (Strengthening Transnational
Approaches to Reducing Re-offending (Renforcer les approches transnationales
de lutte contre la récidive)), visant à lutter contre la récidive
en général, un projet pilote a été mis en place en 2009 dans le
ressort du tribunal de grande instance de Mulhouse, et des résultats
ont ainsi pu être publiés en ce qui concerne la pratique des groupes
de parole. 50% des auteurs de violences conjugales participant ont
bien adhéré aux travaux et bien évolué, 20% ont connu une évolution
positive, 10% une évolution faible ou quelques incidents, et 20%
ont commis de nouvelles infractions
.
32. Des campagnes de sensibilisation adressées aux hommes peuvent
également être efficaces. La campagne organisée en Seine-Saint-Denis
(France) avec le slogan «Tu n’es pas un homme si tu la bats» a eu
un impact fort et a pu contribuer à faire évoluer les mentalités.
4.3. Géorgie
33. Le Gouvernement géorgien a adopté un document conceptuel
sur la réhabilitation des auteurs de violence domestique le 24 février
2011. Il présente les expériences internationales et des principes
et lignes directrices pour la réhabilitation des auteurs de violence
domestique. Ce document, signé par le Premier Ministre, est entré
en vigueur le 1er juin 2011
.
4.4. Islande
34. En Islande, la loi n°85/2011 préconise l’éloignement
du domicile de l’auteur de violences mais n’impose pas de traitement
à celui-ci.
35. Selon le rapport national de 2013 à l’attention du Work With
Perpetrators European Network (Réseau européen «travailler avec
les auteurs»)
, une initiative gouvernementale
a mis en place dès 1998 un traitement psychologique à l’attention
des auteurs de violence domestique. Le programme Men Take Responsibility
(«Les hommes prennent leurs responsabilités») a été stoppé en 2003
faute de financements, puis a repris sous la tutelle du Ministère
des affaires sociales en 2006, à l’occasion du Plan d’action contre
les violences domestiques et sexuelles pour 2006-2011. Cependant,
depuis le début de la crise, il a cessé de bénéficier de publicité.
Un rapport de 2012 a mis en exergue le coût des programmes et aucun
nouveau plan d’action n’a été soumis au gouvernement
.
36. Le programme repose sur la participation volontaire, sauf
demande expresse des services de protection de l’enfance. Dirigé
par deux psychologues, il débute avec des rendez-vous individuels,
et si l’auteur de violence y réagit correctement il intègre un groupe
de parole, principale phase du traitement, et qui consiste à faire
prendre conscience à l’auteur de son entière responsabilité dans
les actes de violence dont il fait preuve. Deux sessions ont lieu
en présence de la conjointe, au début et à la fin du traitement.
La conjointe y a l’occasion de décrire les violences subies. De
2006 à 2010, 122 personnes ont assisté à au moins une session, et
si aucun chiffre clair n’est cité, les résultats restent considérés
comme très satisfaisants
. Le programme ne couvre pas tout
le pays est n’est accessible qu’à Reykjavik. Les auteurs peuvent
recevoir leur programme de traitement au Centre pour l’égalité de
genre.
37. Une initiative de la société civile (un groupe d’hommes de
l’Association Féministe Islandaise –Femínistafélag Íslands) a également
vu le jour et consiste à distribuer au cours de festivals des brochures
et tee-shirts pour sensibiliser les hommes quant à leur responsabilité,
ainsi qu’à organiser des discussions sur les thèmes du viol et de
la violence domestique.
4.5. Norvège
38. Depuis 1983, de nombreux plans d’action contre les
violences domestiques ont été mis en place, et s’appuient généralement
sur les enquêtes effectuées par le Norwegian Center for Violence
and Traumatic Stress Studies (NKVTS)
.
39. Les programmes à l’attention des auteurs de violences suivent
deux modèles principaux: le modèle Brøset, qui se concentre sur
les caractéristiques individuelles afin de proposer des thérapies
de gestion de la colère, et le modèle «Alternatives à la violence»
. Le modèle Brøset propose plusieurs
types de thérapies. L’une d’entre elles est une thérapie générale
adressée aux hommes et femmes auteurs de violence et basée sur le
volontariat. Cette thérapie s’étale sur 34 sessions, avec des groupes
de 4 à 6 participants, encadrés par deux thérapeutes. Elle a été
mise en place avec l’aide des autorités de santé. Un autre programme
est adapté aux prisons et accrédité par les services correctionnels.
Une autre thérapie est basée sur le volontariat pour les hommes
violents à l’égard de leur famille, elle consiste en deux réunions
de groupe de six à huit hommes, deux fois par an. Une autre thérapie,
basée sur le volontariat et adressée aux hommes et femmes auteurs
de violence à l’égard de leur conjoint(e)/famille, consiste en trois
rendez-vous individuels suivis de 30 heures de travail de groupe.
40. Depuis 1987, «Alternatives à la violence» propose des programmes
de traitement pour les hommes violents envers leur partenaire et/ou
leurs enfants
. Les traitements y sont individuels
ou en groupe, et peuvent durer entre 12 et 24 semaines. Un autre
programme est destiné aux hommes et femmes condamnés, et ayant des
problèmes de violence et de drogue (programme commissionné par le
ministère de la Justice et de la Police), avec 12 séances de conversation
et d’exercices.
41. De plus, différentes ONG et autorités publiques proposent
un nombre varié de programmes, allant du groupe de parole pour femmes
condamnées pour des faits de violence (Services correctionnels norvégiens), aux
thérapies individuelles pour adolescents commettant des violences
à l’égard de leur famille (Reform – resource centre for men, qui
propose également des thérapies pour hommes violents basées sur
le volontariat), en passant par les services nationaux de médiation,
qui offrent un cadre de dialogue entre victimes et auteurs de violences.
4.6. Pologne
42. Les programmes s’adressant aux auteurs de violence
sont encadrés en Pologne par deux lois
. La première date de 2005
.
La seconde loi, en 2011
, a mis en place des standards
de base concernant ce service, avec en particulier l’obligation
de généraliser les programmes de prévention et de protection à l’échelle locale:
en conséquence, chaque année, pas moins de 200 centres accueillent
plus de 3 500 auteurs de violence à travers le pays.
43. En plus de ces mesures, les programmes polonais bénéficient
d’une importante coordination avec les services de probation ainsi
que d’autres autorités locales
. Ainsi, la police et les juges sont
habitués (et parfois même formés, comme c’est le cas au sein du
Centre de santé de Wroclaw) à réorienter les auteurs vers des programmes
lorsqu’ils le jugent nécessaire, de l’interpellation au jugement.
Il est d’ailleurs courant que, lors de l’interpellation, la police
soit assistée d’un psychologue en vue d’engager le dialogue avec
l’auteur de violences.
44. Le Centre de santé de Wroclaw est une des organisations les
plus importantes en matière d’intervention auprès des auteurs de
violence. Le centre a mis en place le programme changement et protection,
qui consiste en plusieurs séances individuelles, ainsi qu’en des
ateliers et thérapies de groupe.
4.7. Royaume-Uni
45. Au Royaume Uni, l’Integrated Domestic Abuse Programme (IDAP)
permet à des hommes condamnés pour des faits de violence domestique
de composer leur peine en y intégrant une formation de 27 séances
sur deux ans. Ce programme est accrédité par le ministère de l’Intérieur.
Un juge peut également imposer le suivi de ce programme. Si l’auteur
condamné manque deux séances, l'exécution de sa peine sera considérée comme
violée et son jugement sera alors révisé.
46. Il existe également un programme mis en place par le service
des prisons et des probations (Prison Service and Probation Service):
le Healthy Relationships Programme (programme pour des relations
saines), consiste, en prison ou dans des centres communautaires,
à proposer des cours, adaptés à la dangerosité de l'auteur des violences.
Un programme est destiné aux auteurs à la «dangerosité modérée»
(28 séances de groupe et trois séances individuelles réparties sur
deux mois) et un autre aux auteurs «hautement dangereux» (68 séances
de groupe et 10 séances individuelles réparties sur cinq mois).
Ce programme est également accrédité par le gouvernement
.
47. Nombre d'initiatives privées ont vu le jour depuis la fin
des années 1980. L’ONG Respect
gère
des programmes de 20 à 48 semaines employant une combinaison de
techniques (thérapie comportementale cognitive, discussion, engagement
thérapeutique). Les programmes de cette ONG sont animés par des professionnels
femmes et hommes, ce qui permet aux auteurs de voir une femme dans
une position d’égalité avec un homme. Cette pratique a été reconnue
comme une bonne pratique et est utilisée dans d’autres pays et par
d’autres organisations. Les discussions avec les participants au
programme les aident à comprendre ce qui peut déclencher une montée
de violence et à apprendre à se maîtriser. Les participants apprennent
les codes de la communication non-abusive.
48. Les participants sont en contact avec leur formateur tout
au long du programme et peuvent aussi le/la contacter après la fin
du programme. Un suivi est effectué avec un dialogue continu, des
visites à domicile et des consultations quand cela semble nécessaire.
49. Respect a sous sa tutelle les programmes de plusieurs organisations
telles que Hampton Trust
et le programme «Make the change»
dans le Somerset
. Les programmes à l’attention des
auteurs supervisés par Respect
établissent clairement qu’ils visent
à expliquer la violence et en découvrir les causes profondes, apprendre
à l’individu qu’il a le contrôle de son comportement violent et
peut choisir de ne pas l’être, faire prendre conscience à l’auteur
qu’il est responsable de ses actes et lui faire comprendre l’impact
de la violence sur les victimes, apprendre à s’arrêter quand le
comportement devient abusif, apprendre à écouter et à dialoguer
en vue de régler des différends.
50. Le «Freedom Programme» de Pat Craven propose des week-ends
de formation, forme des professionnels à gérer une thérapie, propose
des cours en ligne et dispense des conseils aux femmes et aux hommes
. Il aide les participants à comprendre
les caractéristiques psychologiques des auteurs de violences et
permet de faire réaliser aux victimes l’étendue des violences et
leur impact. J’ai trouvé le schéma présentant les caractéristiques
d’un dominateur particulièrement éloquent
.
5. Travaux de recherche
et réseaux européens
51. Le Conseil de l’Europe est en train de réaliser une
étude afin d’aider les Etats membres à mettre en place des programmes
à l’attention des auteurs de violences sexuelles et de violence
domestique en vue de respecter les obligations imposées par la Convention
d’Istanbul. Cette étude sera rendue publique au cours du mois de
septembre 2014
.
52. Financé par le programme Daphné de l’Union européenne, le
projet Impact mené par l’ONG
Dissens est en train d’évaluer des programmes pour auteurs de violences
dans toute l’Europe. Les résultats devraient être publiés dans les
prochains mois.
53. Je souhaite ajouter quelques mots sur le Réseau européen «travailler
avec les auteurs» (Work with perpetrators European Network) créé
en 2009 et financé par la Commission européenne via son programme Daphné.
Ses membres viennent de plus de 20 Etats européens. Son comité directeur
est composé de sept organisations: Dissens – Institut für Bildung
und Forschung e.V. (Allemagne) (coordination), Respect (Royaume-Uni),
Men´s Counseling Center (Autriche), Conexus (Espagne), AskovFonden
(Danemark), FNACAV (France) et le Réseau WAVE (Autriche)
.
54. Le Réseau vise à promouvoir un travail de fond avec les auteurs
de violences selon des standards internationaux. Ses membres ont
préparé des lignes directrices pour les programmes à l’attention
des auteurs de violences, disponibles dans 17 langues
.
55. Ces lignes directrices mettent l’accent sur la coopération
avec les services d’aide aux victimes et les systèmes d’intervention,
la responsabilisation des auteurs et la prise de conscience de la
violence, l’importance de discuter d’une définition de la violence
et des inégalités et des facteurs déterminants (socioculturels, émotionnels,
comportementaux). Elles soulignent également l’importance d’un contact
volontaire entre partenaires. Les partenaires doivent être averties
si l’auteur des violences quitte le programme ou s’il y a un risque
de danger.
6. Les programmes
de réadaptation sont‑ils efficaces?
56. La volonté de reconnaître sa responsabilité et la
détermination de l’auteur de violence à participer aux programmes
sont des éléments clés pour leur réussite. Il est indispensable
que les hommes soient étroitement associés à la conception et à
la mise en œuvre des programmes. Les auteurs de violences ne sont
pas seulement une partie du problème; ils doivent aussi être reconnus
comme étant une partie potentielle de la solution. Les programmes
doivent leur permettre de travailler sur leur conception des rapports
femmes–hommes afin de les aider à changer durablement de comportement
et d’attitude. Il est très important de s’assurer que les auteurs
participent au programme en entier afin de pouvoir atteindre des
résultats.
57. Il peut être difficile de mesurer l’impact de ces programmes
sur le long terme. Selon l’étude de M. Gondolf datant de 2002, plus
de 80 % des hommes s’abstiennent encore de toute violence après
quatre ans et, dans leur majorité, les femmes déclarent qu’elles
se sentent bien plus en sécurité grâce au programme
.
58. Thangam Debbonaire de l’ONG Respect
a
confirmé que la plupart des hommes continuent à ne pas se montrer
violents quatre ans après la fin des programmes. Elle recommande
une combinaison de mesures afin de prévenir et de lutter efficacement
contre les violences: des sanctions pour les auteurs, l’utilisation
de plans de sécurité, l’évaluation des risques et la mise en œuvre
de programmes au niveau local. Ces programmes permettent d’assurer
un suivi des auteurs pendant une période prolongée pendant laquelle
ils peuvent être particulièrement vulnérables.
59. Il est essentiel que ces programmes ne soient pas mis en place
de façon isolée mais qu’ils soient étroitement coordonnés avec les
services d’aide aux femmes, les services répressifs, le pouvoir
judiciaire, les services de probation et les services de protection
de l’enfance. Il y a une meilleure gestion des risques lorsque l’on
s’occupe à la fois des auteurs et des victimes, surtout en ce qui
concerne les risques post-séparation. Le travail avec les auteurs
pourrait se développer en réseau ce qui assurerait une interaction
entre les différents acteurs, qui peuvent développer ensemble des
protocoles de prévention, de répression et de suivi des victimes et
des auteurs de violences.
60. Selon Rosa Logar, Présidente de WAVE, la sécurité des victimes
est la clé du succès des programmes destinés aux auteurs de violences.
La première des priorités consiste par conséquent à aider et à protéger
les victimes, avec des foyers d’accueil, une assistance et du soutien.
A l’heure actuelle, il manque en Europe 80 000 places dans les foyers
d’accueil pour les victimes. Le taux de condamnation des auteurs
reste relativement faible et l’abandon des poursuites est fréquent.
7. Prévention de la
violence: un rôle spécifique pour les hommes
61. Les hommes peuvent jouer un rôle particulier dans
la prévention de la violence, en sensibilisant leur entourage, leurs
amis, et en mobilisant leurs réseaux. Il peut leur être plus facile
d’intervenir auprès d’auteurs de violences et de dialoguer avec
eux.
62. En Bosnie-Herzégovine, en Croatie et en Serbie, l’initiative
«Young Men» est un programme de prévention de la violence à l’intention
des jeunes hommes et des garçons. Des ONG locales et internationales y
participent. Cette initiative vise à promouvoir l’égalité femmes–hommes
via des campagnes sur les réseaux sociaux et un programme dans les
écoles, qui permet de réfléchir sur les relations femmes–hommes
et la question de la masculinité
.
63. A l’initiative de son Secrétaire général, Ban Ki-Moon, les
Nations Unies ont mis en place en 2009 un réseau de leaders de sexe
masculin engagés dans la lutte contre la violence à l’égard des
femmes
. Le réseau comprend des personnalités
politiques en poste ou d’anciennes figures politiques, des activistes
de la société civile, des représentants religieux, des personnalités
du monde de la culture qui s’engagent à mener des actions spécifiques
afin de mettre fin à la violence à l’égard des femmes, à sensibiliser
l’opinion publique et à rencontrer des jeunes hommes et garçons
afin de lutter contre la violence.
64. La campagne du ruban blanc (White Ribbon campaign) a été lancée
par un groupe d’hommes au Royaume-Uni et appelle directement les
hommes à s’engager à lutter contre la violence à l’égard des femmes
. Le site de la campagne présente
également les programmes à l’attention des auteurs de violence et
le travail de l’organisation Respect, avec ses coordonnées.
65. En France, une «charte des hommes contre les violences faites
aux femmes», préparée par le ministère de la Parité et de l’Egalité
professionnelle, a été signée le 25 novembre 2003 par une trentaine
de personnalités de sexe masculin (artistes, juristes, médecins…)
. Cette charte affirme que «la violence
est incompatible avec une démocratie en phase avec son temps et
que le combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes et pour
la dignité de la personne, le combat pour zéro violence dans notre
société est le combat de la modernité».
66. Je tiens à ajouter que M. Mendes Bota, rapporteur général
de l’Assemblée parlementaire sur la lutte contre la violence à l’égard
des femmes a à maintes reprises souligné l’importance du rôle des
hommes dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
les a appelés à s’engager dans des activités de prévention, que
ce soit dans leurs pays ou sur la scène internationale. Je souhaite
également mentionner la
Résolution 1641
(2008) et la
Recommandation
1853 (2008) «Impliquer les hommes pour réussir l’égalité entre les
femmes et les hommes» adoptées par l’Assemblée
.
8. Conclusions
67. Il y a indéniablement une tendance à la hausse du
nombre de programmes pour les auteurs de violences dans les Etats
membres du Conseils de l’Europe. Ils ont des résultats relativement
positifs en ce qui concerne la sécurité des victimes et la plupart
des participants à ces programmes ne feraient pas de récidive.
68. Les programmes préventifs d’intervention et de traitement
des auteurs de violence domestique et d’infractions à caractère
sexuel font partie d’un ensemble d’actions visant à prévenir et
à lutter contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique. Ce type de programme doit par conséquent être organisé
de façon coordonnée avec les services apportant de l’aide aux victimes
et les autorités judiciaires.
69. La combinaison d’une thérapie de groupe et d’une thérapie
individuelle sur une longue durée, avec un suivi sur une période
d’au moins deux ans, permettent un travail de fond sur les causes
profondes des poussées de violence et un apprentissage du contrôle
des émotions. Leur but principal est d’amener l’auteur de violences
à admettre qu’il est responsable de sa propre violence et de prévenir
de futures violences. La prise de conscience de la violence et la
responsabilisation de l’auteur doivent être au cœur de tout programme.
70. L’efficacité relative de ces programmes a été établie sur
le court terme
mais il n’a pas encore été possible
d’effectuer une évaluation sur le long terme, par exemple 5 à 10
ans après les violences.
71. Les programmes s’intéressant aux auteurs de violences peuvent
permettre de protéger des victimes et de contribuer à changer durablement
des comportements. Ils ne sauraient toutefois se substituer à des sanctions
pénales proportionnelles à la gravité des actes.
72. Ils ne sauraient également se substituer à des activités de
prévention telles des campagnes de sensibilisation et des programmes
de lutte contre les inégalités femmes–hommes, dans lesquels nous
devons continuer à investir afin de combattre efficacement la violence
à l’égard des femmes.
73. La crise économique actuelle a de graves conséquences budgétaires
et des incidences sur le financement des programmes destinés aux
auteurs de violences et des programmes de prévention de la violence
à l’égard des femmes et de la violence domestique. De nombreuses
organisations proposant des programmes préventifs d’intervention
et de traitement des auteurs ont déploré un manque de financement
ces dernières années. Je souhaite par conséquent inviter les Etats
membres du Conseil de l’Europe à minimiser les restrictions budgétaires
affectant ces programmes et à s’assurer que leur financement ne
se fasse pas au détriment des services d’assistance aux victimes.
74. Il a été prouvé qu’une prévention et une lutte efficaces contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique étaient
porteurs d’économies à long terme pour le budget des Etats, ayant
un coût bien moindre que l’assistance et le soutien aux victimes
de violences.
75. Les programmes à l’attention des auteurs de violences ne peuvent
représenter une solution unique et isolée. Ils ne seront véritablement
efficaces qu’en faisant partie d’une lutte globale contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique. L’accent doit être
mis sur la prévention de la violence dès le plus jeune âge. Un véritable
changement ne pourra pas se produire tant qu’il n’y aura pas de
changement d’attitude à l’égard des femmes, avec une lutte contre
les stéréotypes de genre. Il faudrait s’attaquer aux causes profondes de
la violence perpétrée par les hommes, en cherchant à comprendre
la nature du statut des hommes et des femmes dans la société et
en s’engageant pour une égalité femmes–hommes réelle et à tous les
niveaux.