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Rapport | Doc. 13651 | 16 décembre 2014

La situation humanitaire des réfugiés et des personnes déplacées ukrainiens

Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées

Rapporteur : M. Jim SHERIDAN, Royaume-Uni, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13550, Renvoi 4055 du 27 juin 2014. 2015 - Première partie de session

Résumé

La situation de toutes les personnes touchées par le conflit dans les régions du sud-est de l’Ukraine, notamment des personnes déplacées et des réfugiés, ainsi que de celles vivant dans les régions contrôlées par les forces séparatistes, est particulièrement préoccupante. De nombreux rapports font état de graves violations de droits de l’homme qui auraient été commises au cours des hostilités armées: ces violations doivent faire l’objet d‘enquêtes objectives et leurs auteurs doivent être traduits en justice. La situation des droits de l’homme en Crimée s’est également détériorée. Des centaines de milliers de personnes ont ainsi été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine ou ont fui vers la Fédération de Russie; plusieurs milliers ont cherché protection dans d’autres pays européens. Plus de deux millions de personnes sont restées dans les régions contrôlées par les forces séparatistes, exposées à l’insécurité, à de graves violations des droits de l’homme et à des conditions de vie inadéquates.

Le rapport se félicite de certaines mesures prises par les autorités ukrainiennes et russes pour répondre aux besoins des personnes déplacées et salue le travail d’organisations internationales, comme le HCR, tout en soulignant que seule une solution politique durable fondée sur le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine peut conduire à une amélioration de la situation humanitaire.

Le rapport exhorte toutes les parties au conflit à prendre des mesures spécifiques dans le contexte de la poursuite des combats et de ses conséquences pour les populations concernées. Il demande par ailleurs aux autorités ukrainiennes et russes de prendre des dispositions concrètes pour la protection des personnes déplacées et à la communauté internationale de continuer à les aider et à les soutenir. Enfin, le rapport invite la Banque de développement du Conseil de l'Europe à envisager d’intervenir.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 novembre
2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est fortement préoccupée par l’instabilité actuelle dans les régions du sud-est de l’Ukraine et la violation continue du cessez-le-feu signé à Minsk le 5 septembre 2014. La situation de toutes les personnes affectées par le conflit, notamment les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI) et les réfugiés, ainsi que celles vivant dans les régions contrôlées par les forces séparatistes, est particulièrement préoccupante.
2. Les nombreux rapports faisant état de graves violations des droits de l’homme qui auraient été commises au cours des hostilités armées et illustrées par le nombre élevé de victimes civiles, de disparitions et de fosses communes doivent faire l’objet d’enquêtes objectives et leurs auteurs doivent être traduits en justice. L’Assemblée souligne l’importance de ne pas tolérer l’impunité, comme l’une des conditions préalables à l’instauration de la sécurité dans la région.
3. Par ailleurs, l’Assemblée déplore la dégradation de la situation des droits de l’homme en Crimée dont a rendu compte le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à l’issue de sa visite en septembre 2014, marquée en particulier par des actes d’intimidation, de harcèlement et de discrimination à l’égard des personnes d’origine ukrainienne et des Tatars de Crimée.
4. En raison de l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et du conflit armé dans le sud-est de l’Ukraine, plus de 300 000 personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine et plus de 150 000 ont fui en Fédération de Russie. Plusieurs milliers de personnes ont cherché protection dans d’autres pays européens, surtout en Pologne et au Bélarus. Plus que deux millions de personnes sont restées dans les régions contrôlées par les forces séparatistes, exposées à l’insécurité, à de graves violations des droits de l’homme et à des conditions de vie inadéquates.
5. Le cessez-le-feu du 5 septembre 2014 et une amélioration relative de la sécurité ont donné lieu au retour de près de 50 000 personnes dans les zones du sud-est contrôlées par le gouvernement. Toutefois, la situation sécuritaire instable ainsi que les infrastructures et les biens publics et privés détruits ou endommagés restent sources de sérieuses préoccupations dans la région.
6. L’Assemblée félicite le Parlement ukrainien pour l’adoption, le 20 octobre 2014, de la loi sur les droits et libertés des personnes déplacées dans leur propre pays et de la législation connexe en matière de fiscalité et d’aide humanitaire, élaborées en coopération avec la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise).
7. L’Assemblée note avec satisfaction plusieurs mesures positives prises par les autorités russes en réponse à l’afflux croissant de réfugiés ukrainiens après le début des hostilités armées dans le sud-est de l’Ukraine, en particulier les résolutions établissant une procédure simplifiée d’octroi du statut de réfugié temporaire pour les Ukrainiens et autorisant la délivrance d’un permis de travail aux Ukrainiens qui arrivent dans des «circonstances urgentes et en masse».
8. L’Assemblée remercie le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour sa réponse louable et l’assistance fournie en vue de répondre aux besoins immédiats des personnes déplacées et l’invite à poursuivre ses efforts, à la lumière notamment des besoins accrus pendant les mois d’hiver.
9. Par ailleurs, le nombre croissant de personnes signalées comme disparues par toutes les parties au conflit militaire en Ukraine constitue une autre des principales préoccupations.
10. L’Assemblée insiste sur le fait que seule une solution politique durable fondée sur le respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine peut conduire à une amélioration de la situation humanitaire.
11. En conséquence, l’Assemblée exhorte toutes les parties au conflit :
11.1. à respecter et appliquer intégralement les dispositions du cessez-le-feu signé à Minsk le 5 septembre 2014 et à s’abstenir de tout recours à la force et à la violence, en particulier à l’égard des civils et des infrastructures civiles;
11.2. à se conformer sans conditions aux normes des droits de l’homme et du droit humanitaire international et, notamment, à la Convention de La Haye de 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre, aux Conventions de Genève de 1949 et à leurs protocoles additionnels, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5);
11.3. à libérer et échanger tous les prisonniers de guerre et les personnes emprisonnées en raison du conflit, et à échanger les dépouilles mortelles;
11.4. à accorder aux acteurs humanitaires et aux enquêteurs, y compris à la mission de surveillance de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’accès permanent immédiat et libre à toutes les régions du conflit;
11.5. à fournir aux autorités ukrainiennes compétentes et, s’il y a lieu, aux organes d'investigation internationaux, tous les éléments de preuve et toutes les informations disponibles facilitant la conduite d’enquêtes sur les atrocités et les violations des droits de l’homme qui auraient été commises sur le territoire de l’Ukraine;
11.6. à garantir à toutes les personnes déplacées par le présent conflit le droit de retourner chez elles de leur plein gré, ainsi qu’à veiller à ce qu’elles puissent le faire en toute sécurité et dans le respect de leur dignité; à permettre et faciliter le processus de reconstruction;
11.7. à prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour aider les familles des personnes disparues à trouver et, le cas échéant, à identifier les restes de leurs proches, en étroite coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR);
11.8. à prendre des mesures de protection efficaces des propriétés abandonnées par les PDI afin qu’elles puissent leur être restituées à l’avenir.
12. Par ailleurs, l’Assemblée appelle les autorités ukrainiennes compétentes :
12.1. à se conformer intégralement aux normes internationales définies dans les Principes directeurs de 1998 relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays;
12.2. à mettre en œuvre la loi sur les droits et libertés des PDI;
12.3. à veiller à ce que les PDI soient systématiquement informées de leurs droits et consultées à cet effet, à respecter leur droit de choisir librement si elles veulent rentrer dans leur foyer, s’intégrer localement ou se réinstaller dans une autre partie du pays, et à prendre des mesures pour les aider à réaliser leur choix;
12.4. à mettre fin à la discrimination envers les Roms qui n’ont pas de documents d’identité et rencontreraient à ce titre des difficultés pour s’enregistrer en tant que PDI;
12.5. à élaborer et mettre en place des politiques, des structures et des programmes pour les PDI qui seront en mesure de regagner leurs foyers en toute sécurité, ou à trouver d’autres solutions durables pour celles qui pourraient en être empêchées;
12.6. à veiller à la responsabilité et à la transparence des bénéficiaires de l’aide et à la distribution de l’aide, de l’assistance et des financements internationaux pour les PDI;
12.7. à diligenter des enquêtes indépendantes et impartiales sur toutes les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire et à engager des poursuites, et à coopérer pleinement aux enquêtes internationales, le cas échéant.
13. L’Assemblée appelle les autorités russes :
13.1. à s’abstenir de déstabiliser l’Ukraine et de soutenir militairement les séparatistes armés et à user de leur influence pour amener ces derniers à respecter et appliquer intégralement les dispositions du cessez-le-feu de Minsk;
13.2. à garantir la sécurité et le respect des droits de l’homme de toutes les personnes qui vivent sous le contrôle de la Fédération de Russie en Crimée;
13.3. à continuer d’offrir une protection aux réfugiés ukrainiens qui en font la demande;
13.4. à simplifier la procédure de soumission de demandes d’asile et à autoriser l’introduction de telles demandes aussi dans d’autres villes de la Fédération de Russie que celles avoisinantes de l’Ukraine, et notamment à Moscou et Saint-Pétersbourg;
13.5. à s’abstenir d’imposer des quotas dans le cadre de l’installation des demandeurs d’asile immédiats;
13.6. à veiller à ce que ceux qui se voient accorder le droit d’asile reçoivent systématiquement des documents d’identité leur permettant d’accéder aux services sociaux.
14. L’Assemblée appelle la communauté internationale:
14.1. à continuer de fournir une aide matérielle et organisationnelle aux PDI et aux réfugiés ukrainiens, notamment pendant les mois d’hiver, et à aider les autorités ukrainiennes à mettre en place des programmes d’assistance à long terme, y compris une aide matérielle, organisationnelle et médicale, pour les PDI qui seront en mesure de regagner leurs foyers en toute sécurité ainsi que pour celles qui en seraient empêchées;
14.2. à soutenir immédiatement et sur le long terme les efforts de reconstruction, les projets visant à rétablir l’approvisionnement en eau et d’autres services essentiels;
14.3. à veiller à la responsabilité et à la transparence des bénéficiaires de l’aide, qu’il s’agisse du gouvernement, d’autorités locales, d’organisations internationales, d’organisations non gouvernementales, ou d’autres.
15. L’Assemblée invite la Banque de développement du Conseil de l’Europe à envisager d’intervenir en vue d’aider les personnes déplacées en Ukraine et de faciliter le processus de reconstruction dans les zones dévastées.

B. Exposé des motifs, par M. Sheridan, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. L’Assemblée parlementaire suit de près la situation en Ukraine depuis le début de la crise politique, en novembre 2013. Elle a tenu deux débats d’urgence sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Ukraine lors de ses première et deuxième parties de session, en janvier et en avril 2014 respectivement. Les corapporteurs de la commission de suivi ont effectué plusieurs visites à Kiev et le Comité des Présidents, accompagné des corapporteurs sur l’Ukraine, s’est rendu à Kiev, Lviv et Donetsk fin mars 2014. De plus, lors de ses troisième et quatrième parties de session, en juin et en octobre 2014 respectivement, l’Assemblée a tenu deux débats d’actualité sur la crise en Ukraine.
2. En réaction aux événements en Ukraine, l’Assemblée a tenu un débat sur le réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe lors de la deuxième partie de session de 2014, en avril. Dans la Résolution 1990 (2014) adoptée à cette occasion, la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Fédération de Russie est vivement condamnée et l’annexion de la Crimée est considérée comme une violation du droit international. Dans le même temps, l’Assemblée se dit vivement préoccupée par la situation des minorités en Crimée, en particulier des Tatars de Crimée et des Ukrainiens de souche, et appelle instamment la Russie, qui contrôle ce territoire, à veiller à ce que leurs droits ne soient pas violés.
3. Dans le cadre de la mission internationale d’observation des élections, une délégation de l’Assemblée a observé l’élection présidentielle anticipée qui a eu lieu en Ukraine le 25 mai 2014. Dans leurs conclusions, les observateurs ont déclaré que l’élection était largement conforme aux normes démocratiques malgré l’insécurité régnant dans deux régions orientales du pays.
4. La délégation de l’Assemblée a également observé les élections législatives anticipées du 26 octobre 2014. D’après les conclusions préliminaires, les élections « ont marqué un pas important sur la voie de la consolidation de la démocratie conformément aux engagements internationaux et ont comporté de nombreux éléments positifs, dont une Commission électorale centrale impartiale et efficace, des listes concurrentes offrant aux électeurs un véritable choix et un respect général des libertés fondamentales » 
			(2) 
			Voir la déclaration
des observateurs internationaux: <a href='http://www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5267&lang=1&cat=31'>www.assembly.coe.int/nw/xml/News/News-View-FR.asp?newsid=5267&lang=1&cat=31</a>..
5. La commission des migrations, des réfugiés et de la démographie a, pour sa part, examiné les incidences du conflit actuel sur la situation humanitaire de la population ukrainienne. Le 10 avril 2014, elle a organisé une audition consacrée à la situation des réfugiés et des personnes déplacées de Crimée, avec la participation de M. Mustafa Dzhemiliev (Ukraine, PPE/DC), chef de la communauté tatare de Crimée, et M. Mykola Totchitsky, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire, Représentant permanent de l’Ukraine auprès du Conseil de l’Europe.
6. Compte tenu de l’instabilité actuelle dans les régions du sud-est de l’Ukraine et de ses incidences croissantes sur la population dans les zones concernées, ainsi que de la situation humanitaire en Ukraine en général, la commission a organisé deux auditions à ce sujet, avec la participation du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et de représentants de la société civile ukrainienne et russe s’occupant de la question des personnes déplacées et des réfugiés, lors des parties de session de juin et de septembre/octobre. Les conclusions de ces auditions ont été prises en compte dans le présent rapport.
7. En tant que rapporteur sur la situation humanitaire en Ukraine et ancien rapporteur sur les personnes disparues en Europe, j’ai fait une déclaration, à l’issue de l’audition organisée par la commission le 30 septembre 2014, dans laquelle j’ai exprimé ma préoccupation face au nombre croissant de personnes signalées comme disparues par toutes les parties au conflit militaire en Ukraine et j’ai appelé les autorités de l’Ukraine et la Fédération de Russie à prendre toutes les mesures nécessaires pour aider les familles des personnes disparues à trouver et, le cas échéant, à identifier sans délai les restes de leurs proches.
8. D’autres institutions et organes du Conseil de l’Europe ont également accordé une grande attention à la situation en Ukraine. En avril 2014, le Comité consultatif international a été créé par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pour superviser les enquêtes sur les violents incidents survenus lors des manifestations de la place Maidan à Kiev. Son mandat a par la suite été étendu aux enquêtes sur les événements tragiques qui se sont produits à Odessa, le 2 mai 2014. En outre, le Secrétaire Général a nommé un conseiller spécial pour l’Ukraine, chargé d’assister les autorités ukrainiennes dans le processus de réforme interne, dont la législation relative aux personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI).
9. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, a effectué une mission à Kiev, Moscou et Simferopol du 7 au 12 septembre 2014. Dans ses conclusions, il a évoqué des cas de violations graves des droits de l’homme, notamment des homicides, des disparitions forcées, des mauvais traitements physiques graves et des détentions arbitraires en Crimée depuis mars 2014 
			(3) 
			Voir: Communiqué de
presse, CommDH 032 disponible sur <a href='http://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/human-rights-abuses-in-crimea-need-to-be-addressed'>www.coe.int/fr/web/commissioner/-/human-rights-abuses-in-crimea-need-to-be-addressed</a>. Le rapport intégral de la mission devrait être publié
à la fin de l’année 2014..
10. Le présent rapport, qui découle d’une proposition de résolution déposée au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées en juin 2014 
			(4) 
			Proposition de résolution
sur la situation humanitaire en Ukraine, Doc. 13550., met l’accent sur la situation humanitaire des réfugiés et des personnes déplacées ukrainiens. Il traduit les préoccupations majeures résultant du déplacement d’une grande partie de la population ukrainienne, à la fois de Crimée et des régions du sud-est du pays à l’intérieur et à l’extérieur de l’Ukraine. Il analyse les réponses à court et long terme apportées par les autorités concernées face à la crise humanitaire. Il traite aussi de la situation de la population qui vit dans un environnement non sécurisé et dangereux dans les zones sous contrôle de milices armées. Enfin, le rapport attire l’attention sur les risques humanitaires potentiels pour la population ukrainienne dans son ensemble, si des solutions à court et à long terme ne sont pas mises en œuvre de toute urgence.
11. Pour mieux tenir compte de l’orientation spécifique de ce rapport, qui s’intéresse au sort de la population quel que soit le lieu de son déplacement, je propose d’en modifier le titre qui se lirait comme suit: «La situation humanitaire des réfugiés et des personnes déplacées ukrainiens». Ce titre correspondra mieux, selon moi, au contenu qui ne se limite pas à la situation en Ukraine même.
12. Comme c’est fréquemment le cas lorsque des problèmes humanitaires ne sont pas liés à une catastrophe naturelle, je n’ai pas pu faire totalement abstraction des aspects politiques inhérents à la situation. Toutefois, soucieux de ne pas empiéter sur le travail de mes collègues de la commission de suivi, je me suis imposé de strictes limites dans la considération de ces questions.
13. Lors de la préparation du présent rapport, je me suis appuyé sur les informations fournies par le HCR et par les organisations non gouvernementales nationales et internationales présentes en Ukraine et en Fédération de Russie. J’ai en outre tenu compte des conclusions du rapport sur la situation des droits de l’homme en Ukraine publié périodiquement par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, et en particulier du plus récent de ces rapports, paru en octobre 2014. J’ai également utilisé les conclusions du rapporteur spécial sur les droits de l’homme des personnes déplacées dans leur propre pays à la suite de sa visite en Ukraine à la fin septembre 2014 
			(5) 
			Le
rapport complet sur sa visite ne sera présenté qu’en juin 2015 au
Conseil des droits de l’homme de l’ONU.. D’autres sources importantes ont été les informations régulièrement mises à jour communiquées par la Mission de surveillance spéciale de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en Ukraine et son rapport thématique spécial sur le déplacement interne en Ukraine 
			(6) 
			Voir Sec.Fr/473/14
du 14 août 2014.. Inutile de dire que j’ai suivi attentivement toutes les déclarations officielles des autorités en Ukraine et en Fédération de Russie.
14. Afin de mieux appréhender les conditions de vie et les préoccupations quotidiennes de la population touchée, j’ai procédé à deux visites d’information: en Ukraine, du 16 au 19 novembre 2014, et en Fédération de Russie, du 7 au 10 décembre 2014, pour rencontrer les autorités responsables des PDI et des réfugiés, ainsi que les personnes déplacées elles-mêmes, et pour recueillir des informations de première main sur leur situation. Pour des raisons objectives (dates des visites, délais de traitement et de distribution de documents), il est impossible d’inclure les observations de ces visites dans le présent rapport. Par conséquent, lors de la présentation de ce rapport à la commission, j’ai rendu compte oralement de la mission en Ukraine, et j’inclurai mes conclusions en ce qui concerne les deux visites dans un addendum distinct à ce rapport qui sera soumis à la commission lors de la partie de session de janvier 2015. Le cas échéant, je présenterai à la commission des propositions d’amendements au projet de résolution.

2. Situation actuelle et gravité des problèmes humanitaires

15. Lorsque Petro Porochenko, récemment élu Président de l’Ukraine, a pris ses fonctions le 7 juin 2014, le pays était confronté aux pires difficultés depuis son indépendance, au sortir de l’ère soviétique, il y a 23 ans. La péninsule de Crimée était toujours sous occupation russe à la suite du prétendu «référendum» illégal du 16 mars 2014 et de l’annexion ultérieure par la Fédération de Russie, et la situation dans les régions de Donetsk et de Lougansk, dans le sud-est du pays, était très instable.
16. Des milices armées de la «République populaire de Donetsk» et de la «République populaire de Lougansk», toutes deux autoproclamées, occupaient la plupart des principaux bâtiments publics et administratifs de nombreuses villes et les forces militaires ukrainiennes étaient incapables de reprendre le contrôle de ces deux régions, malgré l’opération lancée à la mi-avril. D’intenses combats opposaient régulièrement des groupes séparatistes prorusses et l’armée régulière ukrainienne.
17. Le nombre d’armes et de personnes armées dans ces deux régions ne cesse d’augmenter et, fait nouveau et très inquiétant, les séparatistes ont trouvé le moyen de se procurer des armements sophistiqués, notamment des pièces de DCA, des chars d’assaut et des véhicules blindés de transport de troupes. Illustrant clairement ces allégations, les séparatistes ont abattu des avions militaires ukrainiens et des hélicoptères. L’attaque déplorable de l’avion de ligne de la Malaysian Airlines par un missile anti-aérien le 17 juillet 2014 qui, de l’avis de tous, a été tiré depuis le territoire aux mains des séparatistes, est un autre exemple de la nature changeante du conflit.
18. Il a été confirmé publiquement par les représentants de la «République populaire de Donetsk » et de la «République populaire de Lougansk» et largement reconnu par la communauté internationale sur la base d’éléments de preuve fiables qu’un grand nombre de militants armés, ainsi que des armes – dont des armes lourdes – viennent de Russie et ont participé activement aux combats sur le territoire ukrainien.
19. Dans sa déclaration du 17 septembre 2014, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a exhorté la Fédération de Russie à «retirer toutes ses troupes d’Ukraine et à s’abstenir de toute autre ingérence militaire en Ukraine, y compris par la fourniture de moyens militaires à d’autres parties, ainsi qu’à sécuriser la frontière pour éviter le transfert illégal de tels moyens, dans le plein respect de la Charte des Nations Unies et de ses engagements au sein du Conseil de l’Europe, notamment concernant les principes du règlement pacifique des différends et du plein respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance des Etats, en rejetant toute menace d’emploi de la force». De même, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a adopté, le 16 octobre 2014, une déclaration condamnant l’intervention militaire de la Russie en Ukraine, ainsi que «toutes les formes de pressions exercées par la Russie sur ses voisins». Pour leur part, les autorités russes ont, à maintes reprises, démenti toute implication des troupes russes dans le conflit.
20. Le changement radical dans la nature du conflit et les violents combats qui ont éclaté à la mi-juin, ont fait de nombreuses victimes parmi la population civile prise dans les tirs croisés entre les séparatistes armés et les forces militaires ukrainiennes, les deux parties s’accusant mutuellement de crimes de guerre et de bombardements aveugles. De nombreux rapports sur les atrocités qui auraient été commises par les deux parties et avérées par le nombre élevé de victimes, de disparitions et de fosses communes doivent encore faire l’objet d’enquêtes objectives et leurs auteurs doivent être punis. Le climat croissant d’insécurité dans les régions de Donetsk et de Lougansk a provoqué une augmentation spectaculaire du nombre de personnes déplacées, qui est passé de 2 600 personnes le 6 juin 2014 à 86 600 personnes le 15 juillet 2014. Les personnes qui n’avaient pas quitté leur domicile sont restées non seulement dans un environnement dangereux, mais sont aussi confrontées à une situation humanitaire toujours plus déplorable du fait des infrastructures endommagées, des pénuries d’eau et de vivres, et de l’absence d’accès aux services sociaux de base comme les hôpitaux et les soins de santé.
21. Selon un rapport d’Amnesty International publié le 1er octobre 2014, les deux parties au conflit ont été responsables d’une série d’attaques menées sans discrimination contre des zones habitées, tuant et blessant des civils et détruisant leurs maisons. En outre, les deux parties ont utilisé des roquettes Grad – connues pour leur manque de précision – dans des zones civiles.
22. Pendant longtemps, les efforts de médiation internationaux n’ont pas apporté de résultats tangibles. L’application de la feuille de route établie le 17 avril 2014 à Genève par des représentants de l’Union européenne, des Etats-Unis, de l’Ukraine et de la Fédération de Russie, qui fixait des étapes pour désamorcer les tensions et restaurer la sécurité dans la région, n’a guère progressé. Le dialogue politique qui n’a pas réussi à apporter les résultats positifs escomptés a été partiellement remplacé par des sanctions économiques et politiques introduites successivement de part et d’autre. Le niveau de méfiance peut être bien illustré par l’incident du 22 août 2014, impliquant un convoi de plus d’une centaine de camions russes qui sont entrés en Ukraine sans autorisation, transportant, selon les autorités russes, une aide humanitaire pour la ville assiégée de Lougansk.
23. Fait positif, les efforts du Groupe de contact trilatéral de hauts représentants de l’Ukraine, de la Fédération de Russie et du Président en exercice de l’OSCE ont permis une rencontre entre le Président Porochenko et le Président Poutine qui s’est tenue à Minsk le 26 août 2014. Elle a été suivie par des réunions associant des représentants des séparatistes pro-russes, qui ont abouti à un échange de prisonniers. Enfin, le 5 septembre 2014, un cessez-le-feu a été signé à Minsk entre les responsables ukrainiens et des représentants des deux régions autoproclamées en présence de représentants de la Russie et de l’OSCE. La trêve était censée mettre fin à la longue effusion de sang qui durait depuis cinq mois.
24. Au moment de la rédaction du présent rapport (première quinzaine du mois de novembre 2014), la situation demeure extrêmement fragile et instable et il est difficile de prédire son évolution. Malgré l’absence d’actions offensives de grande envergure depuis l’annonce du cessez-le-feu, dans certaines régions, les échanges de tirs d’artillerie, de chars et d’armes légères se sont poursuivis presque tous les jours. Selon le rapport susmentionné d’Amnesty International, des attaques sans discrimination dans des zones résidentielles ont continué d’être menées par les deux parties au conflit.
25. Le 1er octobre 2014, au moins neuf civils ont été tués dans des frappes contre une école et un bus à Donetsk. Le 30 septembre 2014, six civils ont été tués dans le district de Kiev, d’autres ont été tués et blessés dans le secteur de Debaltseve et à Adiivka, au nord de l’aéroport de Donetsk, et dans la ville de Chtchastia, dans la région de Lougansk. Des personnes continuent d’être tuées ou blessées mais en nombre plus limité qu’avant la trêve. Selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies 
			(7) 
			Voir la
note n° 3., entre le 6 septembre et le 6 octobre, au moins 331 décès ont été enregistrés, même s’il se peut que certaines personnes aient été tuées avant le cessez-le-feu et que leurs données n’aient été enregistrées que plus tard.
26. Dans le communiqué publié le 8 octobre 2014, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, M. Zeid Ra’ad Al Hussein, a dénoncé le fait que le conflit continuait de tuer et de blesser des civils et de priver de leurs droits de l’homme les plus fondamentaux les habitants des zones directement touchées par la violence.
27. De plus en plus de signalements, confirmés par les observateurs de l’OSCE, font état de l’arrivée depuis la Fédération de Russie d’importants convois chargés d’armes lourdes et de troupes dans les zones contrôlées par les séparatistes. Lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies le 12 novembre 2014, le Sous-Secrétaire général par intérim aux affaires politiques, Jens Anders Toyberg-Frandzen, a souligné que le défaut de sécurisation de la frontière russo-ukrainienne continue d’entraver la voie vers la paix 
			(8) 
			7311e réunion
du Conseil de sécurité, SC/11645..
28. Une grande partie de la communauté internationale ainsi que le Secrétaire général des Nations Unies ont déploré les élections locales organisées par les séparatistes dans les zones sous leur contrôle, élections condamnées par l’Ukraine qui les a considérées anticonstitutionnelles et non conformes à l’accord de cessez-le-feu de Minsk. Le scrutin du 2 novembre 2014 fait écho au prétendu «référendum» et a malheureusement suscité une nouvelle vague d’hostilités armées.
29. D’un autre côté, les élections législatives qui ont récemment eu lieu dans tout le pays à l’exception de la Crimée et des zones contrôlées par les séparatistes, ainsi que les perspectives d’une coalition au pouvoir tournée vers les réformes, pourraient contribuer à la paix et la stabilité.
30. Alors que le cessez-le-feu est une étape très positive vers la fin du conflit armé dans l’est de l’Ukraine, toutes les parties doivent véritablement le respecter et le faire respecter, et arrêter toutes les attaques contre les civils et les infrastructures civiles. Le dialogue politique doit se poursuivre, et la rencontre entre le Président Porochenko et le Président Poutine à Milan le 17 octobre 2014 pourrait contribuer à un optimisme prudent à cet égard.

3. Déplacement de populations à l’intérieur de l’Ukraine

31. D’après le recensement effectué en 2001, la population totale de l’Ukraine comptait 47,2 millions de personnes. Environ 1,9 million d’entre elles vivaient en Crimée et plus de cinq millions dans les régions de Donetsk et de Lougansk – les régions orientales du pays touchées par le conflit armé.
32. Le nombre de personnes déplacées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Ukraine, a changé chaque jour pendant le conflit armé et continue de changer après le cessez-le-feu du 5 septembre 2014. Par conséquent, tous les chiffres doivent être considérés dans le contexte des développements sur le terrain que j’ai décrits dans la section précédente. Il importe, cependant, de mener une réflexion sur la configuration des déplacements et l’évolution des chiffres, afin de mieux prendre la mesure de la tragédie humanitaire dans l’ensemble de la nation.
33. D’après les statistiques du HCR au 18 septembre 2014, le nombre total de PDI en Ukraine se montait à 295 000. Près de 94 % (277 695 personnes) viennent des régions de l’est de l’Ukraine et 6 % (plus de 18 000) de Crimée. Au moins 163 000 personnes ont été déplacées dans la deuxième quinzaine d’août et au début de septembre. Les PDI restent, pour la plupart, dans la région de Donetsk (55 000) et à Kiev (43 000).
34. Les données publiées par le Service d’urgence de l’Ukraine le 2 octobre font état de 375 792 PDI. Des différences importantes dans les chiffres s’expliquent entre autres par la poursuite des déplacements, mais sur une plus petite échelle, entre le 18 septembre et le 2 octobre, malgré le cessez-le-feu (dans le même temps, des retours dans certaines zones ont pu être observés), par l’enregistrement tardif de personnes déplacées antérieurement et enfin par les problèmes ayant trait aux procédures d’enregistrement. Je traiterai ce dernier point ci-après.
35. Cependant, le HCR comme les autorités ukrainiennes reconnaissent que les chiffres réels pourraient être deux ou trois fois plus élevés car beaucoup de personnes déplacées ne cherchent aucunement à faire reconnaître leur situation et ne demandent pas d’assistance officielle. Elles font souvent appel à des parents ou à des amis.

3.1. Personnes déplacées de Crimée

36. Depuis l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie en mars 2014, des milliers de personnes, principalement des Tatars de Crimée qui, en 2012, constituaient jusqu’à 12,1 % de la population de la péninsule, ont fui vers l’Ukraine continentale.
37. Dans sa Résolution 1988 (2014) «Développements récents en Ukraine: menaces pour le fonctionnement des institutions démocratiques», adoptée en avril 2014, l’Assemblée s’est dite préoccupée par la multiplication d’informations crédibles faisant état de violations des droits humains des minorités de souche ukrainienne et tatare en Crimée, après son annexion par la Russie.
38. Malheureusement, les signalements de cas d’intimidation, de harcèlement et de discrimination à l’égard de la population «pro-ukrainienne», en particulier dans les domaines de l’emploi et de l’éducation, continuent de s’accumuler. Dans sa déclaration publiée le 12 septembre 2014 à l’issue de sa visite en Crimée, M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme, a indiqué que «depuis mars 2014 se produisent en Crimée des violations graves des droits de l’homme, dont des exécutions, des disparitions forcées, des mauvais traitements physiques graves et des détentions arbitraires». Selon le Commissaire, ce ne sont pas seulement les Tatars de Crimée, mais aussi les personnes d’origine ukrainienne et celles qui critiquent l’évolution politique récente qui sont visés.
39. Les observations du Commissaire ont été confirmées par la Haut-Commissaire de l’OSCE pour les minorités nationales, Mme Astrid Thors, qui à la fin de sa visite en Ukraine, effectuée du 15 au 17 septembre 2014, a exprimé sa préoccupation croissante quant à la situation en Crimée. Dans sa déclaration en date du 19 septembre 2014, elle déclarait: «Je suis alarmée par les informations faisant état d’une multiplication des intimidations visant des Ukrainiens de souche, ainsi que de fouilles intrusives dans les domiciles, les entreprises et les organisations publiques et religieuses des Tatars de Crimée, y compris des locaux de la Meijlis. J’exhorte les autorités de contrôle de fait de la Crimée à respecter le droit international et les engagements vis-à-vis de l’OSCE, et à garantir les droits de l’homme, dont les droits des minorités, sur le territoire sur lequel elles exercent leur contrôle effectif». (traduction non officielle)
40. Dans ce même ordre d’idées, dans son tout dernier rapport 
			(9) 
			Voir note n° 3., le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies note que la situation des droits de l’homme en Crimée demeure marquée par des violations multiples et continues, dont des atteintes à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association et de religion ou de conviction, et un recours croissant à l’intimidation contre les Tatars de Crimée, sous prétexte de lutter contre le terrorisme.
41. Ces allégations ont été pleinement confirmées par M. Alim Aliyev, responsable de l’initiative d’aide SOS Crimée, qui relaie de nombreux témoignages de personnes ayant fui la Crimée, craignant pour leur sécurité; elles racontent notamment avoir reçu des menaces les visant personnellement par téléphone, dans les médias sociaux ou dans des messages retrouvés à leur domicile.
42. D’après les statistiques du HCR, au 24 septembre 2014, le nombre de personnes qui ont fui la Crimée s’élèverait à 17 928, dont 5 068 enfants, 1 269 personnes handicapées et personnes âgées. Il s’agit essentiellement de Tatars, mais il y a aussi des personnes exerçant certaines activités, telles que des journalistes, des militants des droits de l’homme et des intellectuels, qui fuient de crainte d’être persécutés en raison de leur origine ethnique, de leur confession ou de leur action militante en faveur des droits de l’homme. Il convient de noter que le nombre de personnes déplacées en provenance de Crimée ne cesse de croître et que les habitants continuent de quitter la péninsule, bien qu’en nombre limité.
43. Près de la moitié des PDI de Crimée ont pris la direction de l’Ukraine centrale, tandis qu’environ un quart ont gagné la partie occidentale du pays. Ces personnes ont été hébergées dans des abris mis à disposition par les autorités locales ou ont été admises dans des lieux privés, notamment des sanatoriums et des hôtels. D’autres ont été accueillies au domicile de particuliers.
44. Notre commission a étudié la situation des Tatars de Crimée par le passé: en 2000, elle a publié un rapport sur leur rapatriement et leur intégration. Il faut rappeler que plus de 200 000 Tatars avaient été déportés en mai 1944, sur ordre de Staline. Quelque 40 % sont morts au cours des deux premières années de leur exil. Ils sont environ 260 000 à être rentrés en Crimée depuis les années 1980, où ils constituaient jusqu’à 10 % de la population avant l’annexion par la Russie, en mars 2014.

3.2. Personnes déplacées de l’est de l’Ukraine

45. Des mouvements de populations quittant les régions de Donetsk et de Lougansk ont débuté dans les jours précédant le prétendu «référendum» organisé dans ces deux régions le 11 mai 2014. A ce moment-là, les journalistes, les élus, les responsables politiques locaux, les fonctionnaires et les militants de la société civile sont devenus les cibles privilégiées de violations graves des droits de l’homme, notamment d’enlèvements, de séquestrations, de mauvais traitements, d’actes de torture et de meurtres. Des habitants ont aussi fui les quartiers en proie aux violences de rue, en particulier à Sloviansk et Kramatorsk.
46. Toutefois, la majorité de ces personnes sont restées dans les zones rurales de l’est du pays, craignant de s’en aller en raison du harcèlement exercé par les groupes armés aux points de contrôle. Ces PDI n’ont pas été recensées et n’ont pas reçu d’aide. Pour des raisons de sécurité, la majorité des acteurs humanitaires internationaux étaient dans l’impossibilité d’atteindre les personnes déplacées dans les régions de Donetsk et de Lougansk. Il était donc impossible d’en connaître le nombre exact. Les personnes qui avaient le courage de quitter la région tentaient généralement de masquer le but de leur voyage, par exemple en emportant très peu d’effets personnels. De ce fait, elles avaient besoin d’une assistance immédiate à l’arrivée dans d’autres régions du pays. La mobilisation et l’hospitalité extraordinaires de la population d’accueil ont largement contribué à répondre à leurs préoccupations immédiates.
47. A la suite du prétendu «référendum», il y a eu une augmentation notable de l’activité criminelle des groupes séparatistes armés et une intensification de la violence qui ne s’est plus limitée à des catégories ciblées mais a touché l’ensemble de la population. Les PDI des régions orientales interrogées par le HCR ont signalé que les enlèvements, les extorsions et le harcèlement se banalisaient. Le grave impact social et économique du conflit est également devenu tangible. Les flux de personnes tentant de quitter la région n’ont cessé de croître de manière systématique.
48. Comme mentionné au chapitre précédent, depuis juin 2014, la région était touchée par des combats réguliers et intenses alors que l’armée ukrainienne tentait de reprendre le contrôle des régions de Donetsk et de Lougansk. La population locale était de plus en plus sous le feu croisé des forces militaires et des séparatistes armés. Les deux camps étant en possession d’équipements lourds, les combats faisaient peser une grave menace sur la sécurité des civils. Le nombre de civils tués et blessés a connu une augmentation rapide. Au total, au moins 3 660 personnes ont été tuées depuis le début du conflit armé jusqu’au 6 octobre 2014 dans les régions de Donetsk et de Lougansk, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme 
			(10) 
			Voir <a href='http://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/OHCHR_sixth_report_on_Ukraine.pdf'>www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/OHCHR_sixth_report_on_Ukraine.pdf.</a>.
49. Les destructions de plus en plus nombreuses d’infrastructures ont engendré des risques graves en termes d’hygiène, encore accrus par les pénuries d’eau et de nourriture et le manque d’accès aux services sociaux de base, y compris les hôpitaux et les médicaments.
50. Les flux de civils en fuite se sont multipliés. Cependant, fuir à cette époque impliquait des risques graves pour sa sécurité physique à cause des bombardements et des combats intenses. Le 10 juin 2014, le Président Porochenko a annoncé la création d’un corridor humanitaire (c’est-à-dire d’un passage sûr) pour les civils, ce qui s’est révélé utile lorsque des PDI ont commencé à fuir la région en masse. Cela n’a toutefois pas empêché la tragédie du 18 août, quand un convoi de réfugiés de la région de Lougansk a été touché par des roquettes qui ont tué bon nombre de femmes et d’enfants.
51. Selon les statistiques officielles, quelque 300 000 personnes, dont plus de 85 000 enfants et près de 40 000 personnes handicapées ont quitté la région à cette période. Toutefois, leur nombre réel serait très probablement deux ou trois fois plus élevé.
52. Les PDI se sont installées un peu partout dans le pays, mais les régions orientales de Kharkov (107 700), Donetsk (55 800), Zaporozhia (32 400), Dniepropetrovsk (30 000) et Lougansk (28 000) ont accueilli près des deux tiers de l’ensemble des PDI des régions du sud-est. Il se peut que certaines d’entre elles aient été comptées plus d’une fois au cours de leur déplacement d’une région à l’autre.
53. Selon les estimations du HCR, 80 % des PDI de l’est de l’Ukraine vivent avec des proches, des amis, d’autres familles d’accueil ou dans des appartements loués. Les autres 20 % vivent dans divers centres collectifs, y compris des camps d’été et des hangars industriels reconstruits. Ces locaux sont généralement dépourvus de chauffage et d’eau chaude. Ils sont en partie contrôlés par les autorités locales. Toutefois, la société civile, les Eglises et les bénévoles appuyés par les organismes des Nations Unies et les organisations non gouvernementales (ONG) internationales contribuent largement aux efforts collectifs déployés pour venir en aide aux personnes déplacées.
54. Le cessez-le-feu du 5 septembre 2014, et une amélioration relative de la sécurité, ont donné lieu à des retours prudents. Dans la deuxième quinzaine de septembre, les PDI ont commencé à rentrer chez elles dans les zones contrôlées par le gouvernement dans les régions de Donetsk et de Lougansk. Selon les autorités, près de 50 000 personnes étaient rentrées chez elles au 24 septembre 2014. De son côté, le HCR a observé une augmentation de 15 000 PDI, qui serait cependant due à des inscriptions tardives de personnes déplacées antérieurement.
55. Les personnes qui rentrent chez elles sont confrontées à de grandes difficultés. L’insécurité est évidemment la principale préoccupation, mais est loin d’être la seule. Les infrastructures et les biens publics et privés détruits ou endommagés rendent les conditions de vie extrêmement pénibles. En particulier, 11 325 locaux ont été endommagés, dont 4 501 immeubles résidentiels, appartements et maisons d’habitation. Quelque 2 733 installations d’approvisionnement en énergie, eau et chaleur ont été endommagées. Des mines et des usines ne fonctionnent plus. Plus de 260 000 enfants n’ont pas pu reprendre l’école le 1er septembre à cause de la destruction de 217 établissements scolaires. Quarante-cinq hôpitaux ont été démolis; l’eau manque et l’accès aux soins de santé est limité. Les pénuries de gaz annoncées sont particulièrement inquiétantes à l’approche de l’hiver et vu le nombre de PDI vivant dans des abris temporaires et mal équipés. Quelque 40 000 petites et moyennes entreprises des régions de Donetsk et de Lougansk ont cessé leur activité en raison des combats, laissant un grand nombre de personnes sans revenu.

3.3. Réponse des autorités ukrainiennes

56. Dès le tout début du processus de déplacements massifs, les autorités ukrainiennes ont été confrontées à des défis majeurs auxquels elles n’étaient pas bien préparées. Par exemple, dans les premiers mois de la crise, les autorités centrales n’ayant pas émis d’instructions formelles pour enregistrer et aider les personnes déplacées, des pratiques hétérogènes ont été appliquées d’un endroit à l’autre du pays. C’est l’une des raisons pour lesquelles il était difficile d’obtenir des statistiques fiables sur les populations déplacées en Ukraine. De plus, il n’y avait aucune instruction pour l’octroi d’aides financières aux PDI. Il n’y avait pas de camps de réfugiés et les personnes concernées étaient hébergées dans des logements provisoires, qui sont en nombre insuffisant dans de nombreuses régions.
57. Dans les premiers mois de 2014, la plupart des personnes fuyant la Crimée ont été aidées et assistées par des proches ou ont subvenu à leurs besoins par leurs propres moyens. Comme susmentionné, la population ukrainienne s’est fortement mobilisée et a fait preuve d’une solidarité exemplaire en accueillant les PDI dans des logements privés et en leur fournissant des moyens de transport, de la nourriture et même de l’argent. Les volontaires s’organisaient eux-mêmes par l’intermédiaire des réseaux sociaux, notamment Facebook.
58. Cependant, avec le nombre croissant de PDI en provenance des parties orientales de l’Ukraine, cette aide spontanée a atteint ses limites, et le gouvernement a dû faire face à son obligation de se conformer intégralement aux normes internationales reconnues dans les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (1998), dont l’Ukraine est signataire.
59. Parmi les nombreuses difficultés rencontrées au cours de cette période, il faut relever la portée restreinte du système d’enregistrement, qui a eu une grande incidence sur le processus d’assistance dans son ensemble, à court et à long terme. Dans chaque région, les responsables de la politique sociale ont constitué des listes de personnes déplacées ayant sollicité de l’aide (hébergement, pensions, emplois, etc.). Ces listes étaient certes communiquées régulièrement au ministère de la Politique sociale mais aucune information n’était recueillie sur les personnes qui séjournaient chez leurs proches ou qui s’étaient installées en utilisant leurs propres ressources. En conséquence, les chiffres officiels ne reflétaient pas la réalité.
60. Certaines personnes étaient réticentes à s’enregistrer, craignant qu’une fuite de l’information ne mette en danger leurs proches restés à la maison. En outre, faute d’informations suffisantes, certaines PDI ne savaient pas qu’elles avaient la possibilité de s’enregistrer, ou que le fait de s’enregistrer pouvait leur apporter des avantages.
61. Un autre problème majeur est l’absence d’harmonisation des données recueillies par les autorités locales et de ventilation de ces données selon l’âge/le sexe/les besoins spécifiques, ce qui limite fortement leur utilité pour déterminer les besoins d’assistance. L’enregistrement de toutes les PDI et leur profil complet des PDI, y compris l’évaluation de leurs besoins, sont essentiels pour que l’aide soit efficace.
62. Selon le HCR, certains Roms, notamment ceux qui n’avaient pas de documents d’identité, auraient rencontré des difficultés pour s’enregistrer en tant que personnes déplacées.
63. Ce n’est que le 1er octobre 2014 que le Conseil des ministres a adopté une résolution sur l’enregistrement des PDI. Conformément à ses dispositions, le ministère de la Politique sociale a pris l’initiative dans l’organisation de l’enregistrement et la tenue à jour d’une base de données unifiée des PDI enregistrées et de leur délivrer un certificat type. Le ministère travaille en collaboration avec le HCR à l’élaboration d’outils d’enregistrement et de collecte de données, ainsi qu’à la mise en place d’un système de traitement des prestations sociales. L’ensemble du système devrait être opérationnel très prochainement.
64. Cependant, de nouvelles améliorations sont encore nécessaires pour que le système d’enregistrement fonctionne bien (par exemple, introduction de formulaires de demande en ligne et mobilisation de bénévoles pour contribuer au processus).
65. Le 1er octobre également, le Conseil des ministres a adopté une résolution sur l’assistance financière pour le logement temporaire. En conséquence, tous les adultes enregistrés en tant que PDI reçoivent une subvention mensuelle de 442 UAH (environ $US 34) si elles recherchent activement un emploi ou ont trouvé un emploi dans leur lieu d’accueil, tandis que celles qui ne sont pas en mesure de travailler (enfants, personnes âgées, personnes handicapées) reçoivent 884 UAH (environ $US 68) pendant six mois.
66. Même si le programme d’aide financière sera d’un grand secours pour les individus, il est néanmoins nécessaire d’adopter une résolution sur le paiement des factures accumulées par les centres collectifs au cours des derniers mois. Une résolution du Conseil des ministres prévoyait le paiement de ces frais pour les PDI de Crimée, mais les centres hébergeant des PDI de l’est de l’Ukraine n’ont pas été remboursés.
67. Toutefois, le paiement des factures des centres collectifs ne permettra pas de régler les problèmes les plus urgents en matière d’hébergement. Les centres collectifs sont, pour la plupart, des camps d’été et des hangars industriels, inadaptés pour l’hiver, car ils sont sans chauffage et eau chaude. Outre un hébergement convenable, les PDI ont besoin de matériel de base, notamment de matelas, d’oreillers, de couvertures, de draps, de générateurs électriques mobiles (2-15 kW et 30-150 kW) avec divers matériels de câblage, de chauffe-eau électriques et de stations de traitement de l’eau.
68. En coopération avec le HCR, les autorités régionales des régions de Kharkov, de Dniepropetrovsk et de Zaporozhia, de Marioupol et des parties accessibles des régions de Donetsk et de Lougansk ont remis en état un grand nombre d’installations se prêtant à des conditions hivernales. En outre, le HCR a signé des accords avec les autorités locales pour entreprendre des travaux permettant d’adapter les centres collectifs pour PDI à des conditions hivernales.
69. En ce qui concerne les secours non alimentaires, le HCR a envoyé plus de 10 000 couvertures en laine, 2 000 draps, 4 200 serviettes, 1 800 trousseaux de vêtements, 2 200 kits d’ustensiles de cuisine (en plus de 6 700 colis alimentaires) pour faire face aux besoins urgents des PDI dans les régions de Kharkov, Dniepropetrovsk et Zaporozhia. La distribution est en cours dans les principales zones d’accueil et comprend des vêtements chauds pour l’hiver.
70. Les autorités locales font de plus en plus appel à l’assistance des organismes des Nations Unies car le recours à leurs propres moyens et aux organisations caritatives a atteint ses limites.
71. Fait positif, le 20 octobre 2014, le Parlement ukrainien a adopté la loi sur les droits et libertés des personnes déplacées dans leur propre pays. L’adoption de cette loi, y compris la législation connexe en matière de fiscalité et d’aide humanitaire, constitue une étape importante dans le processus de prise en charge du déplacement en Ukraine. La loi définit l’ensemble des droits des PDI, simplifie les procédures administratives, améliore l’accès à l’aide humanitaire et établit le cadre pour l’élaboration de solutions à long terme. La loi permettra aussi une politique gouvernementale plus large en matière de réinstallation des PDI ou d’aide au retour.
72. En réaction au nombre toujours plus grand de retours, le 10 octobre 2014, un décret gouvernemental a été promulgué pour faciliter l’octroi aux ressortissants ukrainiens bénéficiant d’un statut de réfugié temporaire en Fédération de Russie de documents pour participer au programme national de retour de compatriotes en provenance de l’étranger.
73. Le retour massif est toutefois tributaire du processus de reconstruction qui constitue un problème énorme, compte tenu de l’économie affaiblie de l’Ukraine et de l’insécurité qui prévaut dans certaines zones.
74. L’Ukraine devrait tirer parti de l’expérience d’autres pays qui ont été confrontés à des problèmes similaires et mettre en place des politiques, des cadres, des structures de soutien et des programmes vitaux pour les PDI qui pourront rentrer en toute sécurité dans leurs foyers, ou trouver d’autres solutions durables pour ceux qui en seraient empêchés. Il va sans dire que ces programmes sur le long terme, ainsi que l’aide matérielle, organisationnelle et médicale, requièrent d’importants moyens financiers.

4. Réfugiés ukrainiens à l’extérieur de l’Ukraine

4.1. Fédération de Russie

75. Un nombre considérable de citoyens ukrainiens des zones touchées par le conflit armé dans les régions de Donetsk et de Lougansk ont franchi la frontière russe et se sont essentiellement réfugiés dans les localités voisines. Une fois de plus, il n’est pas facile d’établir des chiffres exacts. Les Ukrainiens n’ont pas besoin de visa pour entrer en Russie et de nombreuses personnes choisissent de ne pas se faire inscrire comme réfugiées parce qu’elles estiment que leur déplacement est temporaire.
76. A l’inverse, la question des réfugiés a été largement couverte par les médias russes, souvent de manière trompeuse. En avril 2014, le rapport de l’Assemblée sur «Le réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe» cite des informations diffusées le 1er mars 2014 par la chaîne de télévision russe ORT, montrant des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens prétendument en train de fuir vers la Russie. Au cours d’une interview, un responsable du Service fédéral des gardes-frontières de Russie a déclaré qu’environ 675 000 Ukrainiens avaient déjà fui l’Ukraine et qu’on craignait une aggravation de cette crise humanitaire. Cependant, il s’est avéré que les images des files d’attente à la frontière utilisées pour illustrer ces affirmations étaient des photos des files d’attente habituelles du poste de Chegni-Medyka, à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne. Le HCR n’a confirmé aucun déplacement irrégulier de personnes entre l’Ukraine et la Russie et l’on n’a pas trouvé la moindre trace de ces réfugiés présumés jusqu’en juin 2014, lorsque des combats violents ont éclaté dans l’est de l’Ukraine. La chaîne de télévision ORT n’a jamais rectifié cette fausse information.
77. Selon les statistiques du Service fédéral russe des migrations (FMS), au 10 septembre 2014, 5 500 personnes avaient déjà présenté des demandes d’asile et 115 avaient mené à terme la procédure et obtenu le droit d’asile. En outre, 150 000 personnes avaient demandé l’asile temporaire et 110 000 s’étaient vu accorder cette forme de protection. Environ 60 000 réfugiés ont été hébergés dans des camps.
78. Ces chiffres correspondent aux estimations communiquées par des ONG travaillant avec les réfugiés, selon lesquelles 150 000 à 170 000 réfugiés ukrainiens auraient besoin de protection en Russie.
79. Face à l’augmentation des flux de réfugiés, les autorités russes ont pris un certain nombre de mesures positives. Le 22 juillet 2014, la Résolution n° 690 a établi une procédure simplifiée d’octroi du statut de réfugié temporaire pour les Ukrainiens, qui réduit le délai d’attente de trois mois à trois jours.
80. Le 2 septembre 2014, la Résolution n° 866 a autorisé la délivrance d’un permis de travail aux Ukrainiens qui arrivent dans des «circonstances urgentes et en masse» et supprimé le système de quotas antérieur. Il est trop tôt pour savoir si les dispositions de la résolution seront mises en œuvre de manière non restrictive, mais leur adoption est en tout état de cause une mesure qu’il convient de saluer.
81. Autre fait positif, le FMS a autorisé une coopération accrue avec les organisations de la société civile s’occupant des réfugiés, en les associant à divers programmes d’intégration. Les ONG contribuent aussi activement à aider les réfugiés à différents stades de la procédure de détermination du statut.
82. La situation demeure cependant préoccupante à maints égards. Tout d’abord, l’accès à la procédure de détermination du statut de réfugié est entravé par le fait que la présentation d’une demande d’asile suppose de prendre un rendez-vous dans un des centres du FMS spécialement créés. Le temps d’attente peut être de plusieurs mois; selon les dernières informations, en septembre 2014, les centres étaient complets jusqu’en mai 2015. En conséquence, aux trois jours prévus par la procédure accélérée pour la détermination du statut, il faut ajouter une longue période d’attente pour avoir la possibilité de présenter une demande.
83. En outre, il n’est pas possible de demander le droit d’asile dans certaines zones, notamment à Moscou et Saint-Pétersbourg.
84. Depuis août 2014, ceux qui ont terminé avec succès la procédure de détermination du statut et qui ont obtenu le droit d’asile ont été empêchés de s’installer aux abords de Moscou, à Saint-Pétersbourg ou dans la région de Rostov, et à la place, ils ont été dirigés vers des régions éloignées de la Russie. Cette mesure est en contradiction avec la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés et la loi fédérale russe sur les réfugiés, qui permet de répartir les personnes ayant besoin d’assistance entre différentes régions, mais ne permet pas d’instaurer des quotas pour les demandeurs d’asile immédiats. En conséquence, des candidats ukrainiens qui sont hébergés par des proches ou des amis ou qui ont eu une offre d’emploi à Moscou ou à Saint-Pétersbourg ont dû rejoindre des zones reculées où l’espoir de trouver un emploi pour certaines professions est très faible.
85. L’examen médical obligatoire que les demandeurs d’asile doivent subir à leurs frais demeure un autre sujet de préoccupation.
86. Ceux qui se voient accorder le droit d’asile ne reçoivent pas systématiquement une pièce d’identité valide confirmant leur statut, ce qui risque d’accroître leur vulnérabilité juridique. Ils rencontrent également des obstacles pour accéder à certains services, comme l’école pour les enfants ou les soins de santé publique. Selon les statistiques officielles, en septembre 2014, 110 000 personnes avaient déjà obtenu un statut de réfugié temporaire, mais seulement 64 000 documents d’identité avaient été délivrés.
87. Depuis l’accord de cessez-le-feu du 5 septembre, des mouvements accrus de population de la Fédération de Russie vers l’Ukraine ont été observés. Cependant, il semble que des personnes se déplacent dans les deux sens, avec l’intention soit de revenir en Ukraine soit de se rendre en Russie.

4.2. Autres pays européens

88. D’après les statistiques du HCR, depuis le début de 2014, au 25 septembre 2014 pas moins de 3 397 citoyens ukrainiens avaient demandé une protection internationale dans 38 pays européens autres que la Fédération de Russie, dont 1 661 en Pologne, 484 au Bélarus, 80 en République de Moldova et 30 en Hongrie. Bon nombre ont sollicité d’autres formes de permis de séjour, principalement au Bélarus (25 000), en Pologne (18 416), en Hongrie (5 586) et en République de Moldova (5 344).

5. Population vivant dans des zones contrôlées par les séparatistes

89. Avant le début des hostilités armées, près de cinq millions de personnes vivaient sur le territoire aujourd’hui contrôlé par les séparatistes. Il est difficile de déterminer le nombre de personnes qui sont restées. Beaucoup de celles qui n’ont pas fui appartiennent aux catégories les plus vulnérables de la population, à savoir les personnes âgées ou handicapées, et rares sont les informations fiables concernant leur situation. Des ONG internationales viennent à peine d’arriver et d’obtenir les autorisations requises pour établir une présence et démarrer des activités. Cependant, la situation extrêmement instable en matière de sécurité risque de freiner l’assistance en cours.
90. Une mission d’experts de l’ONU s’est rendue à Donetsk du 10 au 12 novembre 2014 afin d’identifier des partenaires fiables pour assurer à l’avenir la distribution de l’aide. La mission a constaté que les besoins humanitaires sont considérables et en augmentation constante ainsi que l’insuffisance de capacités sur le terrain pour mettre en œuvre les programmes humanitaires. Les conclusions seront prises en considération lors de la préparation du Plan de réponse stratégique 2015 coordonné par les Nations Unies 
			(11) 
			Voir Ukraine, rapport
de situation n° 19 au 14 novembre 2014, Bureau de la coordination
des affaires humanitaires (BCAH)..
91. Les semaines de combat ont dévasté la région et entraîné la destruction de nombreuses habitations et infrastructures. Il n’y a plus d’électricité ni d’eau, l’approvisionnement en eau potable étant assuré de manière sporadique par camions. La population est fortement tributaire de l’aide humanitaire. La santé reste l’une des principales sources de préoccupation compte tenu de la pénurie de médicaments essentiels et de la fermeture de nombreux hôpitaux et cliniques qui ne sont plus en état de fonctionner.
92. Selon les rapports de l’OSCE, cinq convois russes sont entrés en Ukraine et en sont ressortis. Ils ont été contrôlés uniquement par les services de surveillance des frontières et douaniers russes et non par les autorités ukrainiennes.
93. Le 5 novembre 2014, le Premier ministre ukrainien a annoncé le gel des paiements, principalement des salaires et pensions de la fonction publique que le gouvernement versait dans certaines parties orientales de l’Ukraine contrôlées par les séparatistes. Cette décision, perçue comme une réaction aux élections illégales organisées par les séparatistes, risque d’aggraver les conditions déjà désastreuses dans lesquelles vit la population.

6. Préoccupations majeures d’ordre humanitaire et perspectives d’avenir

94. Toute solution durable à la situation actuelle des personnes déplacées passe par la stabilité et la sécurité sur l’ensemble du territoire ukrainien. Tant que la violence perdurera dans certaines régions, toute perspective de retour durable et de reconstruction demeure illusoire. L’Assemblée a toujours privilégié les solutions politiques et devrait donc appeler à intensifier le dialogue politique en cours et à appliquer intégralement le cessez-le-feu du 5 septembre 2014.
95. En ce qui concerne la Crimée, le Conseil de l’Europe a à maintes reprises réaffirmé sa position sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La situation des droits de l’homme sur la péninsule doit être améliorée de toute urgence et il faut créer les conditions de retour pour ceux qui ont fui.
96. Toutes les violations du droit international des droits de l’homme et les atteintes aux libertés fondamentales doivent scrupuleusement faire l’objet d’enquêtes et donner lieu à des poursuites, notamment les bombardements sans discrimination de civils, les assassinats, les allégations de violences sexuelles, la saisie illégale de biens et les mauvais traitements de détenus.
97. En particulier, les enquêtes en cours sur les incidents tragiques de Maidan, d’Odessa, sur les fosses communes et les cas de personnes disparues doivent être menées à terme et les coupables doivent être traduits en justice. Le Comité consultatif international travaille activement à cette fin.
98. Il est clair que l’Ukraine n’était pas préparée à faire face à un déplacement massif de ses citoyens et n’est pas en mesure d’en prendre en charge seule les conséquences. Dans le contexte économique actuel, le pays aura du mal à offrir des conditions correctes et une assistance aux PDI, ainsi qu’à mettre en œuvre des solutions à court et à long terme.
99. Pour la prise en charge du déplacement interne, les autorités centrales et locales en Ukraine sont soutenues par le HCR et d’autres organismes des Nations Unies ainsi que par un certain nombre d’ONG et d’organisations communautaires de différentes régions de l’Ukraine. La demande totale de financement s’élève à ce jour à $US 11,3 millions, dont seulement 69 % ont été accordés, ce qui entraîne un déficit de financement de 31 %. La communauté internationale devrait être invitée instamment à soutenir immédiatement et sur le long terme les efforts de reconstruction essentiels, les projets visant à rétablir l’approvisionnement en eau, en électricité, et d’autres services essentiels. L’Assemblée devrait inviter les Etats membres du Conseil de l’Europe et d’autres donateurs à financer cette aide.
100. L’économie des régions orientales décline régulièrement depuis le mois d’avril 2014. Les dégâts causés aux infrastructures – mines, ponts, routes, chemins de fer, gares, châteaux d’eau, tuyauteries sous pression et terres agricoles incendiées – rendent toute perspective de reprise très compliquée et coûteuse. Aujourd’hui, de nombreux civils vivent privés de gaz, d’eau courante, d’électricité, de moyens de communication, de médicaments, de carburant et de vivres. La destruction des biens publics et privés crée des obstacles considérables pour des retours durables et des investissements énormes sont nécessaires. Les institutions financières, les bureaux de poste et d’autres établissements publics étant fermés, les habitants ne perçoivent plus leurs pensions ou allocations.
101. A l’approche de l’hiver, les efforts devraient consister à apporter une assistance aux principales zones d’accueil: régions de Kharkov, Dniepropetrovsk, Zaporozhia et Donetsk. Selon le HCR, pour se préparer à l’hiver, 40 centres collectifs seront réparés et remis à neuf pour héberger les PDI. Des vêtements d’hiver (10 000) et des couvertures (100 000) seront distribués. Les programmes d’aide en espèces seront étendus à six autres régions dans le prolongement des programmes pilotes qui ont bénéficié à 1 600 PDI parmi les plus vulnérables.
102. D’une manière plus générale, les événements récents ont durement affecté l’économie et le système bancaire du pays. Au cours du premier trimestre 2014, la monnaie nationale a perdu 27 % de sa valeur et le prix des denrées alimentaires a augmenté de 8,2 % par rapport aux niveaux de 2013. La poursuite du différend avec la Russie sur l’approvisionnement en gaz constitue une menace supplémentaire pour l’économie ukrainienne. Parallèlement, l’Ukraine a signé un accord d’association avec l’Union européenne le 27 juin 2014. La communauté internationale et l’Union européenne en particulier devraient contribuer au redressement de l’économie ukrainienne.
103. L’amélioration des relations de voisinage avec la Russie est une condition nécessaire pour l’avenir du pays. Cela requiert évidemment que les autorités russes ne jouent pas un rôle ambigu dans le règlement du conflit. Les deux pays sont enlisés dans un litige portant sur les livraisons de gaz. La lenteur des investigations sur les événements de Maidan et les tragiques incidents survenus à Odessa le 2 mai 2014 ne contribuent pas à rapprocher les appréciations divergentes des événements récents en Ukraine. Toutefois, le dialogue politique est la seule façon de sortir de la crise.
104. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (BCAH), le nombre de blessés dans le conflit armé, au 26 septembre 2014, s’élevait à 8 198 personnes, dont 82 enfants, dont bon nombre ont besoin d’une aide spécialisée impossible à obtenir dans le contexte actuel de l’Ukraine.
105. Toutefois, indépendamment de l’aide financière internationale, de nombreux problèmes doivent être traités par les autorités nationales. Selon les rapports du HCR, les PDI de l’est du pays continuent de signaler la discrimination qui prévaut sur les marchés de la location de logements et du travail. Le HCR et ses partenaires ont organisé une table ronde avec la presse nationale, au cours de laquelle plusieurs PDIs ont parlé de leur expérience, afin de sensibiliser le public à ce problème. Une formation a également été dispensée aux PDI pour les informer de leurs droits.
106. Avec son partenaire SOS Crimée, le HCR a examiné les difficultés rencontrées par les PDI pour s’inscrire aux récentes élections législatives. Grâce à leurs efforts, la commission électorale centrale a simplifié les procédures, afin que les personnes dont le domicile est enregistré à Donetsk et Lougansk puissent s’inscrire pour voter temporairement dans un autre endroit sans avoir à fournir de nombreux documents. Cependant, elles ont pu voter uniquement pour les listes de partis, pas dans les circonscriptions uninominales.
107. La situation des personnes placées en institution constitue une préoccupation majeure. Les personnes handicapées, les orphelins, les personnes âgées et les patients des établissements psychiatriques ont tous été déplacées hors des zones touchées par le conflit. Le HCR a identifié plusieurs institutions qui prennent en charge ces personnes qui ont besoin d’une aide non alimentaire.
108. Récemment, l’Ukraine était encore une destination et un pays de transit pour les réfugiés et les demandeurs d’asile originaires de pays extérieurs à l’Europe. Les récents événements ont incontestablement eu un fort impact sur leur situation. Un point positif mérite d’être signalé: le 13 mai 2014, le Parlement ukrainien a modifié la législation sur les réfugiés, élargissant la définition de la protection complémentaire aux personnes fuyant les conflits armés et d’autres violations graves des droits de l’homme. Le parlement a ainsi rendu la définition de la protection complémentaire conforme aux normes du Conseil de l’Europe.
109. Toutefois, certaines lacunes juridiques subsistent; elles concernent principalement la procédure de demande d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. La qualité de la procédure de traitement des demandes d’asile reste également préoccupante. Dans ce contexte, une attention particulière devrait être accordée aux procédures de réadmission.
110. Un mouvement séparatiste armé soutenu par un pays voisin a engendré une crise humanitaire en Ukraine. Pour la résoudre, les autorités nationales ont besoin de l’aide de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.