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Rapport | Doc. 13660 | 07 janvier 2015

Combattre l’intolérance et la discrimination en Europe, notamment lorsqu’elles visent des chrétiens

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Valeriu GHILETCHI, République de Moldova, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 12932, Renvoi 3877 du 30 novembre 2012. 2015 - Première partie de session

Résumé

La liberté de religion est un droit fondamental et l’un des fondements d’une société démocratique et pluraliste. L’intolérance et la discrimination fondée sur la religion ou la conviction touchent des groupes religieux minoritaires en Europe ainsi que des personnes appartenant aux groupes religieux majoritaires. Pourtant, les actes d’hostilité, de violence et de vandalisme contre des chrétiens et leurs lieux de culte sont insuffisamment pris en considération et condamnés.

Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient être appelés à promouvoir une culture du vivre ensemble. La liberté d’expression devrait être protégée ainsi que l’exercice pacifique de la liberté de réunion. Le principe de l’aménagement raisonnable devrait être utilisé afin de respecter les convictions religieuses des personnes, en particulier sur le lieu de travail et en matière d’éducation. Ce faisant, les Etats devraient veiller à ce que les droits d’autrui soient également protégés.

Il est fondamental que les Etats condamnent et sanctionnent le discours de haine et tout acte de violence, y compris à l’égard des chrétiens.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 décembre
2014.

(open)
1. L’intolérance et la discrimination fondées sur la religion ou la conviction touchent des groupes religieux minoritaires en Europe, mais aussi des personnes faisant partie des groupes religieux majoritaires. De nombreux actes d’hostilité, de violence et de vandalisme contre des chrétiens et leurs lieux de culte ont été recensés ces dernières années, mais ils sont souvent insuffisamment pris en considération par les autorités nationales. L’expression de la foi est parfois limitée de manière injustifiée par des lois et politiques nationales qui ne permettent pas de faire une place aux convictions et pratiques religieuses.
2. L’aménagement raisonnable pour les convictions et pratiques religieuses est un moyen pragmatique de garantir la jouissance pleine et effective de la liberté de religion. Appliqué dans un esprit de tolérance, ce concept permet à tous les groupes religieux de vivre en harmonie, dans le respect et l’acceptation de leur diversité.
3. L’Assemblée parlementaire a rappelé à plusieurs reprises la nécessité de promouvoir la coexistence pacifique des communautés religieuses dans les Etats membres, notamment dans sa Résolution 1846 (2011) «Combattre toutes les formes de discrimination fondées sur la religion», dans sa Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel et dans sa Résolution 1928 (2013) «Sauvegarder les droits de l’homme en relation avec la religion et la conviction, et protéger les communautés religieuses de la violence».
4. La liberté de pensée, de conscience et de religion est protégée par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et est considérée comme l’un des fondements d’une société démocratique et pluraliste. L’exercice de la liberté de religion ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique.
5. L’Assemblée est convaincue qu’il convient de prendre des mesures pour assurer la protection effective de la liberté de religion ou de conviction accordée à toute personne en Europe.
6. L’Assemblée appelle par conséquent les Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. à promouvoir une culture de la tolérance et du «vivre ensemble» fondée sur l’acceptation du pluralisme religieux et sur la contribution des religions à une société démocratique et pluraliste, mais aussi sur le droit de n’adhérer à aucune religion;
6.2. à promouvoir l’aménagement raisonnable dans le cadre du principe de la discrimination indirecte de manière:
6.2.1. à veiller à ce que le droit de toutes les personnes relevant de leur juridiction à la liberté de religion et de conviction soit respecté sans que quiconque ne soit lésé dans ses autres droits également garantis par la Convention européenne des droits de l’homme;
6.2.2. à défendre la liberté de conscience sur le lieu de travail tout en veillant à ce que l’accès aux services prévus par la loi soit maintenu et que le droit d’autrui à ne pas être discriminé soit protégé;
6.2.3. à respecter le droit des parents de donner à leurs enfants une éducation qui soit conforme à leurs convictions religieuses ou philosophiques, tout en garantissant le droit fondamental des enfants à une éducation critique et pluraliste conformément à la Convention européenne des droits de l’homme, à ses protocoles et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme;
6.2.4. à permettre aux chrétiens de participer pleinement à la vie publique;
6.3. à protéger l’exercice pacifique de la liberté de réunion, notamment par des mesures visant à garantir que les contre-manifestations ne portent pas atteinte au droit de manifester, dans le droit fil des lignes directrices sur la liberté de réunion de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH);
6.4. à défendre le droit fondamental à la liberté d’expression en veillant à ce que les lois nationales ne limitent pas abusivement les discours fondés sur des considérations religieuses;
6.5. à condamner publiquement le recours et l’incitation à la violence, ainsi que toutes les formes de discrimination et d’intolérance fondées sur des motifs religieux;
6.6. à combattre et prévenir les cas de violence, de discrimination et d’intolérance, en particulier en procédant à des enquêtes effectives pour éviter qu’un sentiment d’impunité se développe parmi leurs auteurs;
6.7. à encourager les médias à éviter les stéréotypes et à ne pas diffuser de préjugés sur les chrétiens au même titre que sur tout autre groupe;
6.8. à garantir la protection des communautés minoritaires chrétiennes et permettre à ces dernières de créer et de maintenir des lieux de réunion et des lieux de culte.

B. Exposé des motifs, par M. Ghiletchi, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. La liberté de pensée, de conscience et de religion est un droit fondamental, inscrit non seulement à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5) et à l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais aussi dans de nombreux instruments nationaux, internationaux et européens. C’est un droit fondamental de la plus haute importance. Le droit d’avoir des convictions religieuses, d’en changer ou de les abandonner en toute liberté, de les promouvoir et de les exprimer ouvertement et, à ces fins, de bénéficier de la protection de l’Etat, est un des droits civils les plus fondamentaux.
2. La base juridique du Conseil de l’Europe comprend la Convention européenne des droits de l’homme et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»). Les autres instruments internationaux pertinents incluent le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Déclaration des Nations Unies de 1981 sur l’élimination de toutes les formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction. Les documents ci-après adoptés par l’Assemblée parlementaire sont également pertinents dans ce contexte: la Résolution 1846 (2011) «Combattre toutes les formes de discrimination fondées sur la religion», la Résolution 1763 (2010) sur le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux et la Résolution 1928 (2013) «Sauvegarder les droits de l’homme en relation avec la religion et la conviction, et protéger les communautés religieuses de la violence». Le caractère inaliénable de la liberté de pensée, de conscience et de religion a également été rappelé par le Comité des Ministres dans sa Déclaration de 2011 sur la liberté religieuse.
3. Les cas de discrimination fondée sur la religion et la conviction qui touchent les groupes religieux minoritaires en Europe sont condamnés comme il se doit et suivis avec une grande attention par les institutions internationales, notamment le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), car ces discriminations menacent les fondements d’une société démocratique et pluraliste. De la même façon, il arrive que soient commis des actes d’intolérance, de discrimination voire de violence à l’encontre de personnes appartenant à un groupe religieux majoritaire. Tout appel à l’intolérance, à la discrimination et à la violence ou tout acte de cette nature doit nous inquiéter, quelque soit le groupe religieux visé. Partant, il est clair que les actes d’intolérance et de discrimination dirigés contre des chrétiens, qu’ils soient membres d’un groupe religieux majoritaire ou minoritaire, portent atteinte aux valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe.
4. A l’occasion de son allocution de 2012 aux membres du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le pape Benoît XVI a souligné que «dans de nombreux pays, les chrétiens sont privés des droits fondamentaux et mis en marge de la vie publique; dans d’autres, ils souffrent des attaques violentes contre leurs églises et leurs habitations. Parfois, ils sont contraints d’abandonner des pays qu’ils ont contribué à édifier, à cause des tensions continuelles et de politiques qui fréquemment les relèguent au rang de simples spectateurs de la vie nationale. Dans d’autres régions du monde, on trouve des politiques destinées à marginaliser le rôle de la religion dans la vie sociale, comme si elle était une cause d’intolérance, plutôt qu’une contribution appréciable à l’éducation au respect de la dignité humaine, de la justice et de la paix».
5. Selon une étude réalisée par des députés britanniques en 2012 («Clearing the Ground inquiry – Preliminary report into the freedom of Christians»), certaines collectivités locales britanniques font inutilement obstacle à une contribution plus étendue des chrétiens 
			(2) 
			Christians in Parliament
(Royaume-Uni), «Clearing the Ground inquiry – Preliminary report
into the freedom of Christians in the UK», février 2012.. D’après le député Gary Streeter, qui a émis le vœu que le gouvernement accorde toute son attention à cette étude, les chrétiens ne demandent pas un traitement de faveur, mais une égalité de traitement dans la législation et dans la société pour leurs convictions sincères.
6. Dans leur rapport «Clearing the Ground», les députés britanniques proposent de promouvoir l’idée d’un «aménagement raisonnable» pour les convictions religieuses dans l’espace public afin de mieux permettre aux chrétiens mais aussi aux autres croyants d’exprimer et de vivre leur foi dans leur vie, privée comme publique.
7. En août 2011, la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme du Royaume-Uni a publiquement indiqué que les chrétiens font davantage l’objet de discrimination que les autres groupes religieux sur le lieu de travail et a suggéré que, dans la mesure du possible, le concept d’aménagement raisonnable soit appliqué. Cependant, elle est par la suite revenue sur cette déclaration.
8. C’est dans cette optique que, le 29 avril 2012, j’ai déposé, avec d’autres membres de l’Assemblée, une proposition de résolution intitulée «Combattre l’intolérance et la discrimination en Europe, notamment lorsqu’elles visent des chrétiens». Cette proposition de résolution souligne que «lorsqu’on œuvre pour le respect et l’égalité, il est également nécessaire de mettre en lumière le développement des préjugés à l’encontre des chrétiens pratiquants». Une difficulté majeure dans la rédaction de ce rapport tient à l’absence d’étude à l’échelle de l’Europe concernant l’intolérance et la discrimination à l’encontre des chrétiens. Toutefois, différents types d’incidents survenus ces trois dernières années, d’après des rapports nationaux communiqués par des gouvernements, des organisations non gouvernementales (ONG) et d’autres organisations de la société civile, sont évoqués ici à titre indicatif. Le présent rapport entend mettre en lumière un phénomène largement négligé. J’examinerai les bonnes pratiques et les mesures préventives et, en particulier, le concept d’«aménagement raisonnable» qui permet à tous les groupes de vivre en harmonie dans le respect et l’acceptation de leur diversité.

2. Liberté de religion: un droit fondamental dans une société démocratique et pluraliste

9. La Cour européenne des droits de l’homme considère la liberté de religion comme l’un des fondements d’une société démocratique et pluraliste. La Cour a souligné dans l’affaire Kokkinakis c. Grèce 
			(3) 
			Arrêt du 25 mai 1993. le caractère fondamental des droits garantis à l’article 9 de la Convention et a établi une abondante jurisprudence qui a clarifié la portée de la protection prévue par la Convention. Le droit à la liberté de religion englobe la liberté de conscience et la liberté de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’enseignement, la pratique et l’accomplissement des rites; il est étroitement lié à d’autres droits fondamentaux tels que la liberté de réunion, la liberté d’expression et la liberté de choix éducatif.

2.1. Liberté de conscience

10. Le droit à la liberté de conscience est protégé par l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
11. Dans son allocution de 2013 aux membres du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le pape Benoît XVI a souligné que «pour sauvegarder effectivement l’exercice de la liberté religieuse, il est essentiel de respecter le droit à l’objection de conscience. Cette “frontière” de la liberté touche à des principes de grande importance, de caractère éthique et religieux, enracinés dans la dignité même de la personne humaine. Ils sont comme “les murs porteurs” de toute société qui se veut vraiment libre et démocratique. Par conséquent, interdire l’objection de conscience individuelle et institutionnelle, au nom de la liberté et du pluralisme, ouvrirait paradoxalement au contraire les portes à l’intolérance et au nivellement forcé.»
12. L’objection de conscience est une question récurrente en lien avec la place des religions dans nos sociétés et la prise en compte des convictions religieuses. De plus en plus ces dernières années, les questions liées à la religion et aux convictions sur le lieu de travail sont d’actualité dans certains Etats membres du Conseil de l’Europe.
13. Concernant le secteur de la santé, l’Assemblée a noté dans sa Résolution 1763 (2010) sur le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux que, dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, l’objection de conscience est dûment réglementée. En particulier, l’Assemblée a observé que l’objection de conscience par les professionnels de la santé fait l’objet d’un encadrement juridique et politique exhaustif et précis, qui permet d’assurer que les intérêts et les droits des individus souhaitant accéder à des services médicaux légaux sont respectés, protégés et réalisés.
14. Reste qu’il convient de concilier différents droits, ce qui doit être fait avec circonspection pour ne pas attiser l’intolérance. Selon l’ancien secrétaire d’Etat au ministère norvégien de la Santé, Robin Kåss, de la même façon qu’une personne qui refuse d’effectuer une transfusion sanguine ne peut exercer la chirurgie, une personne qui refuse de prescrire un moyen de contraception à une patiente ou de l’orienter vers des services spécialisés en avortement ne peut exercer la médecine générale 
			(4) 
			The
Local, journal norvégien en anglais, «Doctors can’t opt
out of abortion duties: ministry», 14 février 2012.. De tels arguments ne font guère avancer les choses car ils nient la nécessité de concilier différents droits.
15. L’objection de conscience a également été invoquée dans plusieurs pays européens qui ont autorisé le mariage entre personnes de même sexe ou les unions civiles. Au Royaume-Uni, deux employés, Mme Ladele et M. McFarlane, ont été licenciés pour avoir opposé leur objection de conscience à exécuter une tâche dont ils estimaient qu’elle aurait pour effet de cautionner, d’approuver ou de faciliter un comportement homosexuel. Dans un cas comme dans l’autre, aucun service n’a jamais été refusé à quiconque. Mme Ladele et M. McFarlane ont fait appel devant les juridictions britanniques avant de déposer une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour a rappelé l’importance de la protection du droit à la liberté de religion et a admis que, dans le cas de Mme Ladele, l’obligation imposée par les autorités locales d’enregistrer les unions civiles au même titre que toutes les déclarations de naissance, mariage et décès, avait eu une incidence particulièrement néfaste sur cette employée du fait de ses convictions religieuses. Toutefois, la Cour a jugé que le Royaume-Uni n’avait pas excédé la marge d’appréciation dont il jouit après que les juridictions internes eurent donné tort aux requérants. Elle a ainsi rejeté la demande d’aménagement raisonnable déposée par les requérants 
			(5) 
			Eweida et autres c. Royaume-Uni,
Requêtes nos 48420/10, 59842/10, 51671/10
et 36516/10, arrêt du 15 janvier 2013..
16. Malgré cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, en juillet 2014 au Royaume-Uni, Margaret Jones, officier d’état civil du bureau de l’état civil de Bedford, licenciée pour faute grave pour avoir refusé de célébrer des mariages entre personnes de même sexe, a été réintégrée à la suite d’une procédure d’appel engagée avec succès. La commission d’appel (un jury formé de membres du Central Bedforshire Council) a estimé que les possibilités permettant de tenir compte de ses convictions religieuses n’avaient pas été suffisamment examinées et a noté que, dans d’autres cas, des aménagements informels dans les usages et les pratiques avaient été mis en place pour prendre en considération les situations individuelles de certains employés 
			(6) 
			Christian Concern,
«Victory for Christian registrar dismissed after refusing to conduct
same-sex marriages», 1er septembre 2014..
17. Cette décision constitue une avancée qui, espérons-le, ouvrira la voie à une meilleure prise en compte des convictions religieuses dans le cadre professionnel au Royaume-Uni. La raison en est notamment qu’elle tient compte des orientations émanant de la Commission pour l’égalité et les droits de l’homme du Royaume-Uni. En mars 2014, la Commission a publié un ensemble de documents d’orientation relatifs à l’application de la loi de 2013 sur le mariage (des couples de même sexe). La Commission a rappelé que, si la loi n’accorde pas de dérogation aux officiers de l’état civil quant à leurs obligations, ceux dont les convictions religieuses les empêchent de s’acquitter de toutes les tâches relevant de leur charge publique peuvent explorer avec leurs employeurs les options qui se présentent à eux 
			(7) 
			Commission pour l’égalité
et les droits de l’homme, «The Marriage (Same Sex Couples) Act 2013:
The Equality and Human Rights Implications for Workplaces and Service
Delivery», mars 2014, p. 6..
18. Un tel pragmatisme a longtemps caractérisé la façon de gérer la liberté de religion aux Pays-Bas. Lors de ma visite aux Pays-Bas (25-26 août 2014), j’ai appris que, jusqu’au début des années 1960, il existait une tradition d’aménagement appelée «pilarisation» (verzuiling) en vertu de laquelle chaque groupe politique ou religieux pouvait s’organiser dans le cadre de ses propres écoles, partis politiques, journaux, syndicats et hôpitaux. Pour le Professeur Vermeulen, il s’agissait là d’une façon pacifique de «vivre séparément», d’une forme de ségrégation volontaire selon les clivages religieux, sociaux et politiques 
			(8) 
			Voir Professeur Dr.
B. P. Vermeulen, «On freedom, equality and citizenship. Changing
fundamentals of Dutch minority policy and law (immigration, integration,
education and religion)», in M.-C.
Foblets, J.-F. Gaudreault et A. Dundes Renteln (éd.), The Response of State Law to the Expression
of Cultural Diversity, Bruylant (Editions Yvon Blais), Bruxelles,
2010, p. 45-143.. Toutefois, à partir des années 1960 aux Pays-Bas, la laïcité, l’individualisme et le multiculturalisme ont fait une rapide percée. Alors que la laïcité s’est imposée, les groupes religieux ont le sentiment que l’espace public qui leur était ouvert s’est restreint et que leurs visions sont parfois ridiculisées et présentées comme obsolètes. Tout cela nourrit des tensions concernant la place des religions au sein de la société.
19. Aux Pays-Bas, la loi autorisant le mariage entre personnes de même sexe a été adoptée en 2001. Comme au Royaume-Uni, un petit nombre de fonctionnaires (environ 80 personnes) ont invoqué leurs convictions religieuses pour ne pas participer à la célébration de mariages de personnes de même sexe. Dans la pratique, ces fonctionnaires pouvaient bénéficier d’une exception, au niveau local, au cas par cas. Depuis le 1er novembre 2014, cette exception n’est plus autorisée. Tous mes interlocuteurs ont confirmé que l’objection des fonctionnaires à célébrer des mariages entre personnes de même sexe n’avait jamais empêché la tenue de tels mariages. Pour autant, et malgré l’absence de tout problème pratique, les initiateurs de la loi de 2014 ont fait de cette objection une question de principe. L’interdiction de toute objection à célébrer un mariage entre personnes de même sexe a donc été perçue comme une attaque symbolique à l’encontre de la minorité chrétienne la plus traditionnelle. L’entrée en vigueur de cette nouvelle loi implique que la conscience d’un fonctionnaire n’a plus sa place sur le lieu de travail, même s’il existe des possibilités pratiques d’aménagement adaptées à ses convictions religieuses 
			(9) 
			The
Christian Institute, «Dutch officials to be quizzed each year on
gay marriage», 2 juin 2011.. Cela constitue un retour en arrière par rapport à la tradition de tolérance pragmatique qui a longtemps prévalu aux Pays-Bas.
20. L’emploi n’est pas le seul secteur dans lequel la liberté de conscience est contestée. Des cas similaires apparaissent de plus en plus dans d’autres domaines de la vie publique, notamment la fourniture de biens et services. Au Royaume-Uni, par exemple, des propriétaires de chambres d’hôte ayant refusé, au nom de leurs convictions religieuses, de fournir une chambre double à des couples non mariés ont perdu leur procès devant des tribunaux nationaux 
			(10) 
			Voir, en particulier:
Cour suprême du Royaume-Uni, Bull v.
Hall and Preddy [2013] UKSC 73..

2.2. Liberté d’expression

21. La liberté d’expression est protégée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, dans certains Etats membres, des chrétiens sont harcelés pour avoir publiquement promu et défendu des valeurs religieuses, y compris le mariage traditionnel. Qui plus est, des chrétiens ont fait l’objet d’enquêtes, ont été suspendus de leurs fonctions et licenciés pour avoir porté des signes religieux sur le lieu de travail, à l’école ou dans l’espace public, en violation de leur droit à manifester leur religion en public.
22. Une affaire importante en relation avec le port de symboles religieux sur le lieu du travail a récemment été portée devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cette affaire, Eweida et autres c. Royaume-Uni, impliquait deux chrétiennes sommées par leurs employeurs respectifs de dissimuler ou d’enlever leur collier orné d’une croix 
			(11) 
			Mme Eweida,
la première requérante, employée de la compagnie British Airways,
a été empêchée de demeurer à son poste du fait qu’elle portait une
croix en évidence. Mme Chaplin, l’autre
requérante, infirmière gériatrique en hôpital public, a également
été sommée d’ôter sa croix durant son temps de service.. Dans le cas de Mme Eweida, la Cour a jugé que le tribunal britannique accordait trop de poids à l’image de marque de l’employeur aux dépens du souhait de la requérante de manifester sa religion et que, par conséquent, le critère de proportionnalité n’était pas satisfait. En outre, la Cour a noté que rien ne montrait que le port d’autres éléments vestimentaires religieux auparavant autorisés (turbans et voiles, par exemple) avait nui à l’image ou à la marque de la compagnie British Airways. De ce fait, la Cour a conclu à la violation de l’article 9 de la Convention. En revanche, dans le cas de Mme Chaplin, la Cour a estimé que la raison justifiant la demande de retrait de la croix, à savoir la protection de la santé et de la sécurité dans un service hospitalier, était en soi plus importante qu’une image de marque. La Cour a fait remarquer que deux infirmières sikhs avaient été priées de ne pas porter de bracelet ni de kirpan, et que les voiles flottants étaient interdits. En conséquence, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 9 de la Convention.
23. Il est bien établi que la liberté d’expression comprend la possibilité de critiquer les convictions et les opinions d’autrui. Il ne s’agit toutefois pas d’un droit absolu et des limites peuvent être imposées afin de protéger la jouissance d’autres droits, et notamment le droit d’avoir des convictions religieuses et de les exprimer.
24. La Cour européenne des droits de l’homme a établi une abondante jurisprudence sur la liberté de religion et la liberté d’expression, et a défini les obligations des Etats à cet égard. La Cour fait obligation aux Etats Parties d’être neutres et impartiaux à l’égard des religions et des convictions, mais également d’assurer la protection contre les offenses gratuites, l’incitation à la violence et à la haine contre une communauté religieuse. Dans l’affaire Otto-Preminger-Institut c. Autriche, la Cour a précisé que l’Etat a «l’obligation d’éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui (…) et qui dès lors ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain» 
			(12) 
			Otto-Preminger-Institut c. Autriche,
Requête n° 13470/87, arrêt du 20 septembre 1994. Le requérant, une
association privée qui gère un cinéma à Innsbruck, s’est plaint
de la saisie et de la confiscation du film Das
Liebeskonzil qu’il avait prévu de projeter. La saisie
du film avait été ordonnée sur la base de l’article 188 du Code
pénal autrichien qui interdit l’acte de «dénigrement de doctrines
religieuses». La Cour a conclu que la saisie ne constituait pas
une violation de l’article 10 de la Convention..
25. Dans son rapport sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, Mme Anne Brasseur a noté que «dans des cas extrêmes, le recours à des méthodes particulières d’opposition à des convictions religieuses ou de dénigrement de celles-ci peut aboutir à dissuader ceux qui les ont d’exercer leur liberté de les avoir et de les exprimer. L’Etat a la responsabilité d’empêcher ces comportements abusifs et d’assurer aux croyants la paisible jouissance du droit garanti par l’article 9. Ainsi, il peut estimer nécessaire de prendre des mesures pour réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d’informations et d’idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui» 
			(13) 
			Doc. 12553, rapport sur la dimension religieuse du dialogue interculturel
(rapporteure: Mme Anne Brasseur, Luxembourg,
ADLE), 25 mars 2011, paragraphe 80..
26. Dans un rapport sur les relations entre la liberté d’expression et la liberté de religion, préparé à la demande de l’Assemblée parlementaire, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a fait valoir que «dans une véritable démocratie, la possibilité d’imposer des restrictions à la liberté d’expression ne doit pas être utilisée comme moyen de préserver la société contre des points de vue divergents, voire extrêmes. La protection de valeurs fondamentales et inaliénables telles que la liberté d’expression et de religion, et parallèlement la protection de la société et des individus contre la discrimination, doit passer en premier lieu par l’instauration et la protection d’un débat public ouvert. Les seules idées dont la publication ou la proclamation doivent être interdites sont celles dont l’incompatibilité fondamentale avec les principes démocratiques provient de ce qu’elles incitent à la haine» 
			(14) 
			CDL-AD(2008)026,
Rapport sur les relations entre liberté d’expression et liberté
de religion: réglementation et répression du blasphème, de l’injure
à caractère religieux et de l’incitation à la haine religieuse,
adopté par la Commission de Venise à sa 76e session
plénière (17-18 octobre 2008), paragraphe 46..
27. Ces derniers temps, les médias et les tribunaux ont traité un certain nombre de cas dans lesquels des chrétiens ont été arrêtés voire emprisonnés pour avoir exprimé leur point de vue religieux sur différents sujets. Par exemple, plusieurs évêques catholiques ont été inculpés ou visés par des enquêtes pénales pour des violations présumées liées au discours de haine dans le cadre d’homélies ou d’autres expressions de valeurs chrétiennes doctrinales 
			(15) 
			Voir par exemple les
cas de l’évêque André-Mutien Léonard (Belgique), de l’évêque Philip
Boyce (Irlande), de l’évêque Juan Antonio Reig Plà (Espagne) et
du cardinal élu Fernando Sebastian Aguilar (Espagne).. Bien d’autres prédicateurs chrétiens ont été arrêtés pour avoir prêché publiquement dans la rue 
			(16) 
			Voir par exemple les
cas d’Harry Hammond, de Dale McAlpine, de Tony Miano et d’Anthony
Rollins (Royaume-Uni).. Il semble qu’un grand nombre de ces poursuites judiciaires reposent sur des lois vagues ou mal définies ayant trait au «discours de haine» qui permettent à des représentants de la loi faisant de l’excès de zèle d’étouffer le débat public 
			(17) 
			Voir
Paul B. Coleman, Censored: How European
«hate speech» Laws are Threatening Freedom of Speech,
Kairos Publications, Vienna, 2012..
28. Enfin, je voudrais mentionner l’approche particulièrement pertinente à cet égard adoptée par le Royaume-Uni. La loi sur l’ordre public protège le droit des individus d’exprimer leur opinion sur le comportement sexuel en prévoyant que «pour prévenir tout doute, la discussion ou la critique du comportement ou des pratiques sexuels ou le fait d’inciter des personnes à s’abstenir de ce comportement ou de ces pratiques ou à modifier ce comportement ou ces pratiques ne peuvent en soi être considérés comme une menace ou comme une intention d’attiser la haine» 
			(18) 
			Article
29JA(2) de la loi de 1986 sur l’ordre public.. Cette disposition mesurée, de mon point de vue, mériterait d’être soigneusement examinée par les Etats membres du Conseil de l’Europe au moment où ils s’efforcent de concilier des droits potentiellement en conflit, comme la liberté d’expression religieuse et le droit à ne pas faire l’objet de discrimination.

2.3. Liberté de réunion

29. La liberté de réunion est garantie par l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 21 du Pacte international des droits civils et politiques et l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pourtant, des offices, réunions de prière et autres manifestations de chrétiens sont perturbés par des agressions – insultes verbales, incitation à la violence, destructions matérielles voire attaques physiques – de la part de groupes qui désapprouvent différents points de vue exprimés par les groupes chrétiens. De tels incidents se sont déroulés en Allemagne 
			(19) 
			Life
Site News, «German pro-life groups complain to UN Human Rights Council
about attacks, harassment», 19 octobre 2012. , en Autriche 
			(20) 
			Observatoire
de l’intolérance et de la discrimination envers les chrétiens, «Violence
and Damages in Aggressive Disruption of a Pro-Life Manifestation»,
juillet 2012., en Belgique, en Espagne, en Italie et aux Pays-Bas.
30. J’ai également appris que certains collèges d’Oxford avaient interdit un séminaire de formation chrétien destiné aux jeunes responsables, appelé «The Wilberforce Academy», au motif qu’il enfreindrait les codes «de l’égalité et de la diversité» en affirmant que le mariage doit unir un homme et une femme 
			(21) 
			Après la conférence
«Wilberforce Academy» en 2012, le Collège d’Exeter a empêché la
tenue de la conférence en 2013. La conférence a été déplacée au
Collège Trinity mais, à la suite d’une opposition croissante, ce
dernier a empêché de futures réservations. La conférence s’est ainsi
tenue à Cambridge en 2014. Voir: Christian Concern, «Wilberforce Academy
2012», 3 avril 2012; Cherwell, «Trinity President apologises for
hosting Christian Concern», 18 avril 2013.. De même, l’ordre des avocats et le centre de conférence du gouvernement britannique (Queen Elizabeth II Conference Centre) ont interdit une grande conférence à Londres en 2012 parce qu’elle défendait l’idée que le mariage doit unir un homme et une femme 
			(22) 
			John Bingham, «Storm
as Law Society bans conference debating gay marriage», The Telegraph, 11 mai 2012..
31. Les lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique préparées par la Commission de Venise et le Groupe consultatif du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’OSCE sur la liberté de réunion ont rappelé que la protection de la liberté de réunion est indispensable à l’avènement d’une société pluraliste et tolérante dans laquelle des groupes avec différentes convictions, pratiques ou encore politiques peuvent coexister pacifiquement. Concernant les contre-manifestations, les lignes directrices prévoient que: «Le droit de contre-manifester ne va pas jusqu’à paralyser l’exercice du droit d’autrui de manifester. En fait, les contre-manifestants devraient respecter le droit des tiers de manifester. Il convient d’insister sur le devoir de l’Etat de protéger et de faciliter chaque événement dès lors qu’une contre-manifestation est organisée ou se déclare spontanément et sur le fait que les autorités devraient envoyer sur place des forces de police suffisantes pour faciliter la tenue de ces réunions simultanées corrélatives, dans la mesure du possible, à portée de vue et d’ouïe l’une de l’autre.» 
			(23) 
			CDL-AD(2010)020, «Lignes
directrices sur la liberté de réunion pacifique», 2e édition,
adoptées par la Commission de Venise à sa 83e session
plénière (4 juin 2010), p. 11.

2.4. Actes de vandalisme et de profanation

32. Bien que les chrétiens n’en soient pas les seules victimes, il règne dans les pays européens une hostilité antireligieuse qui se traduit par de nombreux faits de vandalisme, de destruction de biens et d’affichage de messages diffamatoires, tous actes portant notamment sur des symboles chrétiens, des lieux de culte et des cimetières ou sépultures présentant un intérêt du point de vue de l’histoire ou du patrimoine culturel. De tels incidents, lorsqu’ils visent directement les chrétiens, sont trop souvent insuffisamment pris en considération par les pouvoirs publics.
33. L’OSCE/BIDDH et l’Observatoire de l’intolérance et de la discrimination envers les chrétiens, basé à Vienne (Autriche), ont recensé des incidents de profanation de cimetières, de vandalisme d’églises, de dégradation de biens, d’incendie volontaire et d’agression physique dans de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(24) 
			OSCE/BIDDH, «Hate crimes
in the OSCE region: incidents and responses», rapports annuels sur
2011 et 2012..
34. En France, en 2010, 84 % des actes de vandalisme ont visé des sites chrétiens, selon l’ancien ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux 
			(25) 
			Ministère
français de l’Intérieur, communiqué de presse, 3 novembre 2010.. En Suède, les statistiques officielles des services répressifs ont fait état en 2012 de 785 infractions pénales antireligieuses au total (651 en 2011), dont 200 (162 en 2011) motivées par des préjugés à l’encontre des chrétiens 
			(26) 
			Conseil
national suédois pour la prévention de la criminalité (Brå), Hate
crime 2012, Statistics on self-reported exposure to hate crime and
police reports with identified hate crime motives, English summary
No. 2013:16, p. 20.. En Italie, l’observatoire «No Cristianofobia» a relayé les conclusions du rapport de Radio Vatican, selon lesquelles 2012 a été la pire année pour la liberté religieuse en Espagne, compte tenu des nombreuses attaques ayant visé des symboles religieux ou le clergé. Plus récemment, dans son rapport de juillet 2014 sur la situation des droits de l’homme en Ukraine, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme signalait un nombre croissant d’attaques dirigées contre les églises protestantes et catholiques romaines dans les zones contrôlées par les groupes armés 
			(27) 
			Haut-commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme, Report on the human rights
situation in Ukraine, 15 juillet 2014, paragraphe 156..
35. Dans son rapport publié en avril 2014, l’Observatoire de l’intolérance et de la discrimination envers les chrétiens a fourni des informations concernant quelque 158 incidents survenus en 2013 dans les Etats membres de l’Union européenne, ainsi qu’à Saint-Marin et en Suisse 
			(28) 
			Observatoire de l’intolérance
et de la discrimination envers les chrétiens, “Data Collection and
Submission to the Office for Democratic Institutions and Human Rights
(ODIHR), 2013 Annual Report on Hate Crimes”, 9 avril 2014.. Lors d’une audition organisée par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, le 5 mars 2014 à Vienne, le Dr Gudrun Kugler, directrice de l’Observatoire, a souligné que le vandalisme de sites religieux était très répandu en Europe et que de nombreux cas concernaient des sites chrétiens. Le Dr Kugler a précisé que, même si l’on ne peut parler de persécution des chrétiens en Europe, ceux-ci font l’objet de stéréotypes négatifs et l’on voit apparaître des formes d’intolérance.
36. Face à une montée des actes de vandalisme et de profanation dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, en 2010 l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a qualifié ces actes de crimes de haine, soulignant qu’ils constituaient une menace directe pour les droits de l’homme 
			(29) 
			Thomas Hammarberg,
«Les profanations de cimetières sont des crimes de haine qui exacerbent
l’intolérance», 30 novembre 2010.. De son côté, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a signalé des attaques contre des sites et des biens religieux, notamment en Bosnie-Herzégovine 
			(30) 
			Rapport de l’ECRI publié
le 8 février 2011, CRI(2011)2, paragraphe 56., en Pologne 
			(31) 
			Rapport
de l’ECRI publié le 15 juin 2010, CRI(2010)18, paragraphe 115., dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» 
			(32) 
			Rapport de l’ECRI publié
le 15 juin 2010, CRI(2010)19, paragraphe 100. et en Turquie 
			(33) 
			Rapport
de l’ECRI publié le 8 février 2011, CRI(2011)5, paragraphe 137.. Au vu de rapports signalant que, dans certains cas, les autorités tendent à minimiser ce type d’incident, l’ECRI a exprimé son inquiétude, insistant sur la nécessité d’agir résolument en condamnant les agressions racistes où qu’elles surviennent et en enquêtant comme il se doit sur toutes ces affaires. Je suis tout à fait d’accord sur le fait que les crimes de haine à l’encontre de groupes religieux doivent être publiquement condamnés et que les autorités devraient faire en sorte que leurs auteurs soient identifiés et poursuivis.

2.5. Liberté de choix éducatif

37. Dans certains pays européens, il existe des restrictions au droit des parents à obtenir que leurs enfants ne suivent pas certains cours ou certaines disciplines lorsque ces parents les jugent contraires à leurs convictions religieuses, morales et éthiques (par exemple, certains types de cours d’éducation sexuelle).
38. Tel était le cas en Espagne, jusqu’en 2012, lorsque le gouvernement a finalement décidé de mettre un terme à l’éducation obligatoire à la citoyenneté, à laquelle près de 55 000 parents opposaient une objection de conscience parce qu’elle contenait des approches de la sexualité et l’avortement qui leur étaient inacceptables 
			(34) 
			Alliance defending
freedom, communiqué de presse du 2 février 2012, «Spain abandons
anti-Christian classes».. Ils avaient recouru à la Cour européenne des droits de l’homme dans le but de demander à l’Etat espagnol de respecter la neutralité idéologique dans le système éducatif afin de prévenir de futures violations de droits, insistant pour que les écoles retrouvent la tranquillité, le consensus et le respect de la liberté de tous pour pouvoir mener à bien leur mission 
			(35) 
			EurActiv,
«Catholics sue Spain over sex education classes», 26 mars 2010.
La requête a été rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme
en février 2013..
39. En Allemagne, des parents souhaitant éduquer leurs enfants selon une conception chrétienne du monde ont été poursuivis en justice pour avoir tenté de soustraire leurs enfants aux programmes nationaux d’éducation. Ils demandaient une dispense car ils jugeaient le contenu de cet enseignement contraire à la morale sexuelle chrétienne. L’établissement scolaire rejeta leur demande au motif que ces cours étaient obligatoires. Les parents empêchèrent leurs enfants d’assister aux cours nationaux d’éducation et reçurent des amendes de l’école. Les tribunaux allemands confirmèrent les amendes, puis condamnèrent les parents à des peines d’emprisonnement pour non-paiement. En 2008, les parents déposèrent une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de leur droit à la liberté de religion et de leur droit d’éduquer leurs enfants dans le respect de leurs convictions religieuses. Dans son arrêt de 2011 (Dojan c. Allemagne), la Cour a conclu que l’Allemagne n’avait pas outrepassé la marge d’appréciation dont elle jouit en fixant et en interprétant des règles concernant son système éducatif. Elle a considéré que «rien n’indique que l’enseignement dispensé a remis en cause l’éducation sexuelle donnée par les parents à leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, ni que les enfants ont été influencés en vue d’approuver ou de rejeter un comportement sexuel spécifique contraire aux convictions religieuses et philosophiques de leurs parents» 
			(36) 
			Dojan
c. Allemagne et autres, Requête n° 319/08, arrêt du 13 septembre
2011..
40. La fréquentation obligatoire de l’école implique également que l’enseignement à la maison reste interdit en Allemagne, indépendamment des raisons religieuses ou culturelles incitant les parents à favoriser cette forme d’enseignement. A cet égard, après une mission menée en Allemagne en 2006, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’éducation a noté que les méthodes d’enseignement à distance et à domicile représentaient des options valables à envisager dans certaines circonstances, étant donné que les parents ont le droit de choisir le type d’éducation adéquat pour leurs enfants, comme le prévoit l’article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le Rapporteur spécial a ajouté que la promotion et le développement d’un système scolaire public ne devaient pas entraîner la suppression de formes d’enseignement ne nécessitant pas de fréquenter une école, et il a précisé avoir reçu des plaintes concernant des menaces de retrait des droits parentaux à des parents qui choisissaient pour leurs enfants des méthodes de scolarité à domicile 
			(37) 
			Conseil
des droits de l’homme, A/HRC/4/29/Add.3 du 9 mars 2007, Application
de la Résolution 60/251 de l’Assemblée générale du 15 mars 2006
intitulée «Conseil des droits de l’homme», rapport du Rapporteur
spécial sur le droit à l’éducation, M. Vernor Muñoz, Mission en
Allemagne (13-21 février 2006), paragraphe 62..
41. Cependant, dans l’affaire Konrad c. Allemagne (2006), la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas remis en question la pratique allemande de la scolarité obligatoire et a noté qu’il n’existait pas de consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe sur la fréquentation obligatoire de l’école primaire 
			(38) 
			Konrad c. Allemagne (déc.), Requête
n° 35504/03, décision du 11 septembre 2006.. Dans sa décision, elle est allée dans le même sens que la Cour constitutionnelle allemande, qui avait évoqué «l’intérêt général de la société à prévenir l’émergence de sociétés parallèles fondées sur des convictions philosophiques distinctes et l’importance de l’intégration des minorités dans la société». Cet argument de «sociétés parallèles» a été jugé fallacieux, notamment parce que les droits et libertés fondamentaux garantissent précisément la possibilité de vivre de différentes manières, même en marge de la société 
			(39) 
			Franz
Reimer, «School attendance as a civic duty v. home education as
a human right», International Electronic Journal
of Elementary Education, Vol. 3, Issue 1, octobre 2010,
p. 12..
42. Dans sa Résolution 1904 (2012) sur le droit à la liberté de choix éducatif en Europe, l’Assemblée a rappelé que le droit à la liberté de choix en matière d’éducation est intimement lié à la liberté de conscience. Ce droit est inscrit à l’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9), qui dispose que: «Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques.»
43. Dans l’affaire Folgerø et autres c. Norvège, la Cour a rappelé que la seconde phrase de l’article 2 du Protocole «n’empêche pas les Etats de répandre par l’enseignement ou l’éducation des informations ou connaissances ayant, directement ou non, un caractère religieux ou philosophique» et qu’elle «n’autorise pas même les parents à s’opposer à l’intégration de pareil enseignement ou éducation dans le programme scolaire, sans quoi tout enseignement institutionnalisé courrait le risque de se révéler impraticable» 
			(40) 
			Folgerø et autres c. Norvège, Requête
n° 15472/02, arrêt du 29 juin 2007.. Toutefois, la Cour a aussi considéré, dans une affaire contre la Turquie, que l’Etat doit s’abstenir de poursuivre un but d’endoctrinement qui puisse être considéré comme ne respectant pas les convictions religieuses et philosophiques des parents 
			(41) 
			Hasan et Eylem Zengin c. Turquie,
Requête n° 1448/04, arrêt du 9 octobre 2007. La Cour a confirmé
sa position dans l’affaire Mansur Yalçin
et autres c. Turquie (Requête n° 21163/11, arrêt du 16 septembre
2014), dans laquelle elle a jugé que, malgré les changements apportés
au programme de culture et d’éthique religieuses en 2011-2012, le
système éducatif turc ne respectait toujours pas pleinement les
convictions des parents.. Dans cette affaire, le requérant de confession alévie s’était plaint que, dans les établissements scolaires publics, les classes obligatoires de morale et de culture religieuse n’enseignaient que l’islam dans sa conception sunnite.
44. Dans sa Résolution 1904 (2012), l’Assemblée a recommandé aux Etats membres de reconnaître clairement par la loi, lorsque cela n’a pas encore été fait, le droit d’ouvrir et de gérer des établissements d’enseignement privés, ainsi que la possibilité pour ces établissements de faire partie du système national d’éducation. Un bon exemple est l’approche des Pays-Bas, où la liberté et la neutralité de l’éducation sont garanties par la Constitution (article 23). Il existe deux types d’écoles aux Pays-Bas: les écoles publiques et les écoles «spéciales» qui englobent les écoles religieuses et les écoles neutres ou d’enseignement général (par exemple, les écoles Montessori). Les écoles dites «spéciales» représentent les deux tiers des établissements aux Pays-Bas. Toutes sont subventionnées par l’Etat et jouissent d’un niveau élevé d’autonomie, en particulier en ce qui concerne le contenu pédagogique et le choix des enseignants. Les écoles religieuses sont autorisées, en vertu de la loi générale sur l’égalité de traitement, à recruter leurs enseignants en fonction de leurs convictions religieuses, à la condition que les exigences qui leur sont imposées n’induisent pas une discrimination au «seul» motif de l’orientation sexuelle, de l’état civil, de la sensibilité politique, etc.
45. Cependant, lors de ma visite aux Pays-Bas (25-26 août 2014), j’ai appris qu’une question litigieuse est de savoir si les écoles chrétiennes peuvent renvoyer des enseignants en raison de leur comportement privé, et plus précisément sexuel, en s’appuyant sur l’exception autorisée par la loi générale sur l’égalité de traitement. Un projet de loi visant à supprimer de cette loi le principe du «seul motif» est en cours d’examen.

3. Bonnes pratiques et mesures préventives

3.1. La Résolution de l’OSCE sur la lutte contre l’intolérance et la discrimination à l’égard des chrétiens dans l’espace de l’OSCE

46. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, y compris son Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH), a attiré l’attention sur le problème de l’intolérance et de la discrimination à l’encontre des chrétiens. Dans sa Résolution sur la lutte contre l’intolérance et la discrimination à l’égard des chrétiens dans l’espace de l’OSCE, adoptée à Belgrade en juillet 2011, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE a recommandé «que soit lancé un débat public sur l’intolérance et la discrimination à l’égard des chrétiens et que soit garanti leur droit de participer pleinement à la vie publique» (paragraphe 12); et «d’évaluer la législation des Etats participants (…), y compris la législation du travail, la loi garantissant l’égalité, les lois sur la liberté d’expression et de réunion, ainsi que les lois applicables aux communautés religieuses et le droit d’objection de conscience», sous l’angle de la discrimination et de l’intolérance à l’égard des chrétiens (paragraphe 13). Par ailleurs, dans la même résolution, l’Assemblée parlementaire de l’OSCE a «encouragé les médias à ne pas émettre de préjugés contre les chrétiens et à lutter contre le stéréotypage négatif» (paragraphe 15) 
			(42) 
				Assemblée
parlementaire de l’OSCE, AS(11)R F, résolution adoptée à la 20e session
annuelle, Belgrade, 6-10 juillet 2011..
47. Selon l’ambassadeur Janez Lenarčič, directeur du BIDDH, des crimes motivés par la haine à l’encontre de personnes en raison de leur adhésion réelle ou perçue au christianisme ont indéniablement cours dans l’espace de l’OSCE, et ce phénomène instille la peur non seulement chez les individus directement visés mais aussi dans l’ensemble de la communauté 
			(43) 
			Réunion
à haut niveau de l’OSCE, «Preventing and Responding to Hate Incidents
and Crimes against Christians», discours de l’ambassadeur Janez
Lenarčič, Rome, 12 septembre 2011..

3.2. La Charte mondiale de la conscience

48. Partant du constat que les tensions croissantes impliquant la religion, la vision du monde et l’idéologie sont devenues un problème majeur à l’échelle mondiale, un groupe international d’universitaires et de militants de premier plan ont lancé, en juin 2012, la Charte mondiale de la conscience 
			(44) 
			<a href='http://www.charterofconscience.org/'>www.charterofconscience.org</a>.. Il s’agit d’une déclaration qui réaffirme et appuie l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (sur la liberté de pensée, de conscience et de religion). Elle a été élaborée, au cours d’un processus qui a duré trois ans, par des personnes de confessions diverses ou non croyantes, y compris plus de 50 universitaires, responsables politiques de sensibilités diverses et ONG adhérant tous à l’idée d’un partenariat aux fins de promouvoir la liberté de pensée, de conscience et de religion pour tous. Ainsi que l’a souligné M. Thomas Schirrmacher, sociologue allemand des religions qui a supervisé la rédaction du texte de la Charte, il est nécessaire d’élaborer une solution pour en finir avec les polarisations et l’animosité dont la religion fait de plus en plus l’objet dans la vie publique – comme dans les prétendues guerres de culture. La Charte mondiale de la conscience encourage une nouvelle culture de la civilité, dans laquelle un débat public consistant et animé est perçu comme bon pour la société.
49. Les articles, valeurs et principes de la Charte et, bien entendu, leur promotion, ont déjà permis d’ouvrir des espaces de compréhension et de dialogue, ainsi que de prévenir des attaques contre la liberté de pensée, de conscience et de religion ou conviction pour tous en Europe, y compris les chrétiens. Cela s’est produit en Allemagne, en Suède et au Royaume-Uni, depuis l’adoption de la Charte en juin 2012. La Charte ouvre la voie à l’élaboration de lignes directrices pour résoudre les problèmes qui touchent la religion dans la sphère publique, en visant à créer une place publique civile et cosmopolite qui serait ouverte aux différentes perceptions du monde des individus et à leurs façons de se manifester en public. Sur cette place publique civile, les individus et les communautés seraient attentifs à la paix sociale, à l’ordre public et aux droits des autres lorsqu’ils manifestent leurs convictions isolément ou en communauté avec les autres. La liberté de conscience serait reconnue par tous comme un droit fondamental, dont la jouissance ne serait limitée que dans des circonstances exceptionnelles exigeant des mesures restrictives, ce que prévoient des instruments internationaux tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
50. La Charte contribue aussi à l’émergence de débats sur la promotion de l’éducation et sur la compréhension de différentes visions du monde, notamment par le biais de l’éducation civique axée sur les religions et les convictions, et sur les libertés civiles associées. Enfin, elle a permis de former les agents du secteur public à mieux comprendre, évaluer et traiter les réalisations et les défis ayant trait à la liberté de pensée, de conscience et de religion.
51. Dans une recommandation spéciale relative au texte en question, M. Heiner Bielefeldt, rapporteur spécial des Nations Unions sur la liberté de religion ou de conviction, a souligné que la Charte mondiale de la conscience était un instrument puissant, propre à inspirer un engagement pratique au nom de la liberté de pensée, de conscience et de religion ou de conviction, ainsi qu’à contribuer à une meilleure compréhension des droits de l’homme en général. Il a ajouté que, dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Charte souligne l’universalité de la liberté de religion ou de conviction en tant que partie inaliénable d’un programme global des droits de l’homme, programme où les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels peuvent se renforcer mutuellement.

3.3. Le concept d’aménagement raisonnable pour raisons religieuses

52. Le concept d’«aménagement raisonnable» permet de traiter avec bon sens une grande part des difficultés que rencontrent les chrétiens, mais aussi d’autres groupes religieux, sur le lieu de travail. L’aménagement raisonnable oblige l’employeur, sous réserve que cela ne lui soit pas une charge excessive, à prendre en compte les pratiques religieuses des employés. En Europe, ce concept sert depuis de nombreuses années dans les cas de discrimination fondée sur le handicap et, en Amérique du Nord, il est appliqué de manière probante en matière de religion ou de convictions.
53. Ce concept est né aux Etats-Unis et au Canada comme moyen juridique de gérer la diversité religieuse dans une perspective d’égalité 
			(45) 
			E. Bribosia,
I. Rorive, L. Waddington, Reasonable Accommodation beyond Disability
in Europe?, Commission européenne, 2013, p. 5.. Il s’est ensuite appliqué à d’autres motifs de discrimination, en particulier au handicap. Il suppose la mise en place de mesures pour assurer une réelle égalité et la pleine jouissance des droits. Lors de l’audition organisée par la commission sur l’égalité et la non-discrimination, à Vienne, le 5 mars 2014, M. Stefan Hammer (Département de philosophie juridique, droit des religions et de la culture, université de Vienne) a expliqué que ce concept ne s’applique pas à des groupes ou à des catégories d’individus, mais au cas par cas, à des personnes prises individuellement qui sont spécifiquement lésées par un règlement ou une mesure qui les empêche de jouir pleinement de leurs droits. Par conséquent, l’objectif du concept d’aménagement raisonnable n’est pas d’exclure l’application générale de la loi, mais de lever les obstacles que rencontrent les personnes en situation de discrimination du fait de leur religion, de leur âge, de leur santé ou d’autres motifs.
54. En Europe, l’obligation d’aménagement raisonnable est généralement admise par les Etats membres du Conseil de l’Europe lorsqu’elle s’applique au handicap, en tant que corollaire de l’interdiction de la discrimination indirecte. Dans l’affaire Glor c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme, s’appuyant sur l’article 14 de la Convention (interdiction de la discrimination), a pris en compte l’obligation d’aménagement raisonnable, mais sans la nommer expressément en tant que telle 
			(46) 
			Glor c. Suisse, Requête n° 13444/04,
arrêt du 30 avril 2009. Voir aussi l’arrêt du 6 février 2014 rendu
dans l’affaire Semikhvostov c. Russie,
où la Cour a jugé que les conditions de détention du requérant compte
tenu de son handicap physique et du manque d’aménagement raisonnable
constituaient un traitement inhumain et dégradant.. En l’espèce, le requérant se plaignait de traitement discriminatoire parce que, bien que disposé à le faire, il était empêché d’accomplir son service militaire et que, en compensation, il devait acquitter la taxe d’exemption du fait que son handicap (diabète) était jugé mineur par les autorités compétentes. La Cour a rappelé que «l’article 14 n’empêche pas une différence de traitement si elle repose sur une appréciation objective des circonstances de fait essentiellement différentes et si, s’inspirant de l’intérêt public, elle ménage un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis par la Convention». La Cour a alors noté que «des formes particulières de service civil, adaptées aux besoins des personnes se trouvant dans la situation du requérant, sont parfaitement envisageables», concluant à la violation de l’article 14 du fait que les autorités suisses n’avaient «pas ménagé un juste équilibre entre la sauvegarde des intérêts de la communauté et le respect des droits et libertés garantis au requérant».
55. Pour l’heure, la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe n’acceptent pas l’extension de l’obligation d’aménagement raisonnable à la religion, à l’âge et à d’autres motifs. Rares sont ceux qui appliquent officiellement cette obligation pour des motifs autres que le handicap (Bulgarie et Suède, par exemple). Dans l’affaire concernant quatre chrétiens britanniques portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (Eweida et autres c. Royaume-Uni), les requérants et plusieurs intervenants tiers ont mis en avant ce concept juridique. En l’espèce, la Cour a choisi de ne pas tenir compte du concept juridique dans sa décision; cependant, rien n’empêche que le concept d’aménagement raisonnable soit adopté plus largement dans le cadre européen.
56. Il faut toutefois noter que, dans la pratique, de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe appliquent l’aménagement en matière d’emploi – horaires flexibles et congés pour fêtes religieuses – et de régimes alimentaires. S’agissant du dernier aspect, la Cour européenne des droits de l’homme a récemment conclu à une violation de l’article 9 dans une affaire où les autorités pénitentiaires avaient refusé de fournir au requérant un régime végétarien conforme à ses convictions bouddhistes. Dans son jugement, la Cour s’est référée, en particulier, à une obligation positive de l’Etat de prendre des mesures raisonnables et adéquates pour garantir les droits du requérant en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention 
			(47) 
			Vartic
c. Roumanie (n° 2), Requête n° 14150/08, arrêt du 17 décembre 2013..
57. Un autre exemple intéressant d’aménagement pour des motifs de conviction religieuse m’a été rapporté lors de ma visite aux Pays-Bas (25-26 août 2014). Un groupe chrétien traditionnel s’opposait au règlement d’une assurance médicale obligatoire au motif de ses convictions religieuses. En guise d’arrangement, il a été proposé que les membres de ce groupe s’acquittent d’un impôt supplémentaire sur le revenu ou sur les rémunérations (au lieu des primes mensuelles déduites de leur salaire), qui serait affecté à un fonds spécial. Ces personnes paieraient alors leurs soins de santé et seraient remboursées en fonction de la contribution versée. Cet arrangement a été permis par l’Etat en coopération avec le groupe concerné. Il offre l’exemple d’un aménagement réussi prenant en compte, d’une part, les intérêts du système de santé publique et, d’autre part, les convictions religieuses d’un groupe minoritaire. En outre, il est intéressant de noter que les Néerlandais ont la possibilité d’exclure de leur couverture médicale un nombre prédéfini d’actes médicaux, comme l’euthanasie ou le changement de sexe.
58. Enfin, il faut rappeler que, dans sa Résolution 1928 (2013) «Sauvegarder les droits de l’homme en relation avec la religion et la conviction, et protéger les communautés religieuses de la violence», l’Assemblée a quasi unanimement invité les Etats membres à veiller à ce que les croyances religieuses aient une place dans la sphère publique, à garantir le droit à une objection de conscience bien définie en rapport avec des questions sensibles du point de vue éthique, à respecter le droit des parents d’assurer une éducation et un enseignement d’une manière qui soit conforme à leurs propres convictions religieuses et philosophiques, à réviser leurs textes juridiques chaque fois qu’ils vont à l’encontre de la liberté d’association pour les groupes (y compris les communautés religieuses) définis par leur religion ou leurs croyances et, lorsque la restitution des biens d’église n’est pas encore achevée, à accélérer ce processus et à le conclure à court ou moyen terme.

4. Conclusions

59. La liberté de religion est un droit fondamental protégé par les traités et instruments internationaux. Pourtant, depuis quelques années, l’hostilité envers la religion en Europe donne lieu à de nombreux actes de violence et de vandalisme et à des restrictions touchant l’expression de la foi. Ce phénomène concerne les groupes religieux minoritaires, mais aussi les groupes religieux majoritaires. Il nie la contribution de la religion à nos sociétés et porte atteinte au caractère démocratique et pluraliste de nos Etats.
60. Même si la réponse juridique demeure importante, la législation n’est qu’un élément dans l’ensemble d’instruments permettant de relever les défis de l’intolérance et de la discrimination à l’encontre des chrétiens. Toute législation dans ce domaine devrait s’accompagner d’initiatives émanant de différents secteurs de la société et participant d’un ensemble de politiques, pratiques et mesures diverses visant à développer la conscience sociale, la tolérance, la compréhension, le changement et le débat public. Le but final est de créer et de renforcer une culture de la paix, de la tolérance et du respect mutuel chez les citoyens, les agents publics et les membres de la magistrature, ainsi que de développer le sens éthique et le sens de responsabilité sociale des médias et des dirigeants religieux ou communautaires.
61. Les Etats, les médias et la société ont ensemble la responsabilité de s’assurer que les actes d’incitation à l’intolérance et à la discrimination, y compris lorsqu’ils visent les chrétiens, sont dénoncés et sanctionnés par des mesures appropriées conformément au droit.
62. Le recours à l’aménagement raisonnable pour les convictions religieuses permettrait de faire en sorte que la protection accordée à la liberté de religion par le droit international des droits de l’homme soit effectivement appliquée dans les Etats membres du Conseil de l’Europe et que le droit de pratiquer sa religion ne soit pas un vain mot. A cet égard, le pragmatisme devrait prévaloir. L’aménagement pour motif de convictions religieuses devrait être envisagé par les Etats membres du Conseil de l’Europe, dans un esprit de tolérance, dans le cadre des frontières tracées par le droit et au cas par cas. Je suis convaincu que l’application du concept d’aménagement raisonnable aux convictions religieuses dans les Etats membres du Conseil de l’Europe permettrait à tous les groupes religieux de vivre en harmonie, dans le respect et l’acceptation de leur diversité.