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Rapport | Doc. 13661 | 07 janvier 2015

L'égalité et la crise

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Nikolaj VILLUMSEN, Danemark, GUE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13202, Renvoi 3973 du 24 juin 2013. 2015 - Première partie de session

Résumé

La majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe ont été touchés par la crise économique, dont les effets dépassent le cadre économique: chômage en hausse, plus grande pauvreté, écarts de revenus grandissants, montée de la discrimination et de l’intolérance, tensions sociales et soutien accru aux partis politiques et mouvements populistes. Les mesures d’austérité ont été la réaction principale à la crise et ont eu incontestablement un impact négatif sur la jouissance des droits humains et sur l’égalité. Elles ont touché de façon disproportionnée les catégories de personnes vulnérables, à savoir les femmes, les jeunes, les personnes handicapées, les personnes âgées et les migrants.

Les normes dans le domaine des droits humains comportent une obligation positive pour les Etats d’identifier les groupes potentiellement vulnérables et de tenir compte de la vulnérabilité de ces derniers dans l’élaboration des politiques. Elles sous-entendent que les restrictions budgétaires ne devraient pas ignorer les droits humains et l’égalité. A ce titre, il est essentiel d’examiner les répercussions sur l’égalité et les droits humains pour assurer une prise de décisions éclairées et atténuer, dans la mesure du possible, l’impact des mesures d’austérité sur les catégories de personnes vulnérables.

L’Assemblée parlementaire devrait appeler les Etats membres à investir dans l’égalité comme moyen de faire face à la crise, à faciliter une coopération accrue avec les partenaires sociaux et à organiser des consultations régulières avec des représentants d’institutions nationales des droits de l’homme, de partenaires sociaux et de la société civile en vue d’échanger sur une approche coordonnée de la crise économique et à mener des évaluations de l’impact sur les droits humains et l’égalité. L’Assemblée devrait également demander aux parlements nationaux d’exercer un contrôle parlementaire scrupuleux sur les réponses apportées par les gouvernements pour faire face à la crise économique.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 3 décembre
2014.

(open)
1. La majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe ont été touchés par la crise économique, dont les effets à long terme dépassent le cadre économique. Chômage en hausse, cohésion sociale en péril, plus grande pauvreté, inégalités et écarts de revenus grandissants, montée de la discrimination et de l’intolérance, tensions sociales et soutien accru aux partis politiques et mouvements populistes sont autant de répercussions de la crise.
2. Les mesures d’austérité ont été l’une des principales réactions à la crise. L’Assemblée parlementaire est profondément préoccupée par les répercussions négatives de la crise économique et des mesures d’austérité sur la jouissance des droits humains et sur l’égalité, lesquelles portent atteinte à l’égalité des chances et réduisent les financements dédiés aux programmes sociaux et aux organismes chargés de l’égalité. Les catégories de personnes vulnérables, dont les femmes, les jeunes, les personnes handicapées, les personnes âgées et les migrants, sont touchées de façon disproportionnée.
3. De plus, la crise économique a réduit le niveau de confiance dans le système politique et affaibli l’esprit de solidarité au sein de la société. Dans l’accomplissement de leur mission de contrôle démocratique, il importe que les parlements examinent l’impact sur les droits humains des mesures proposées par les gouvernements.
4. Pour faire face à la crise, il serait raisonnable de tenir compte de l’impact potentiel de celle-ci sur la population dans une perspective de long terme plutôt que de prendre uniquement des mesures à court terme. Les restrictions budgétaires ne devraient pas ignorer les droits humains et l’égalité. A ce titre, il est essentiel d’examiner les répercussions sur l’égalité et les droits humains pour assurer une prise de décisions éclairées et atténuer, dans la mesure du possible, l’impact des mesures d’austérité sur les catégories de personnes vulnérables.
5. Le maintien d’un niveau élevé de protection sociale et la lutte contre les inégalités peuvent contribuer à stimuler la croissance et à réduire la pauvreté sur le long terme. Les mesures positives pour la protection des catégories de personnes vulnérables et de leur participation à la société devraient être préservées autant que faire se peut de manière à garantir des seuils de protection sociale et la cohésion sociale, et éviter une régression des droits sociaux. L’Assemblée est convaincue que la justice sociale peut sur le long terme être bénéfique économiquement et socialement. En garantissant la responsabilisation des décideurs, en investissant dans l’égalité et en œuvrant pour l’inclusion et pour une approche participative, chacun peut contribuer à promouvoir une vision de la société fondée sur la solidarité et le respect des droits humains.
6. Les normes dans le domaine des droits humains comportent une obligation positive pour les Etats d’identifier les groupes à risque et de tenir compte de la vulnérabilité de ces derniers dans l’élaboration des politiques. A cet égard, la Charte sociale européenne (révisée) (STE no 163) est un instrument essentiel pour la protection des droits sociaux, y compris en temps de crise économique. L’Assemblée se félicite de la ratification de la Charte sociale européenne (révisée) par 33 Etats membres et espère que ces ratifications seront suivies par d’autres dans les meilleurs délais.
7. Au vu de ces considérations, l’Assemblée appelle les Etats membres:
7.1. à investir dans l’égalité comme moyen de faire face à la crise économique et à prendre des mesures pour atténuer l’impact de la crise économique sur les catégories de personnes les plus vulnérables;
7.2. à mener des évaluations d’impact sur les droits humains et l’égalité en coopération avec les institutions nationales des droits de l’homme, en tenant compte d’une perspective de long terme dans l’élaboration de réponses stratégiques à la crise en matière économique et sociale;
7.3. à faciliter une coopération accrue avec les partenaires sociaux et à organiser des consultations régulières avec des représentants d’institutions nationales des droits de l’homme, de partenaires sociaux et de la société civile en vue d’échanger sur une approche coordonnée de la crise économique et de moduler les politiques en fonction des besoins;
7.4. à mettre en place, s’il y a lieu, des structures basées sur le modèle islandais de «Welfare Watch» pour assurer le dialogue et faire face à l’impact disproportionné et aux effets cumulés de la crise et des mesures d’austérité sur les catégories de personnes vulnérables;
7.5. à promouvoir et encourager la participation de catégories de personnes vulnérables aux plans de reprise de l’activité économique;
7.6. à intensifier les efforts pour lutter contre la discrimination liée au genre, y compris à la maternité, sur le marché du travail;
7.7. à assurer un financement adéquat pour les services d’aide et de protection des victimes de violence domestique ou sexuelle;
7.8. à accorder une plus grande attention à l’action contre le chômage et l’exclusion sociale des jeunes et à investir dans ce sens;
7.9. à adopter des politiques à même de garantir les droits des personnes handicapées et d’assurer l’indépendance et la pleine inclusion de ces dernières dans la société;
7.10. à permettre aux personnes âgées de vivre dans la dignité en garantissant un revenu minimum, en favorisant l’inclusion sociale et en luttant contre les abus et la discrimination;
7.11. à intensifier l’action contre la montée du racisme et de la xénophobie et à condamner le discours de haine, quel que soit le contexte économique;
7.12. à assurer aux institutions nationales des droits de l’homme un financement adéquat leur permettant d’exercer leur mandat;
8. L’Assemblée appelle les parlements des Etats membres:
8.1. à engager sans tarder le processus de ratification de la Charte sociale européenne (révisée), s’ils ne l’ont pas déjà fait, et à veiller à sa mise en œuvre, y compris la procédure de réclamations collectives;
8.2. à exercer un contrôle parlementaire sur les réponses apportées par les gouvernements pour faire face à la crise économique, en demandant à ce que des évaluations d’impact sur les droits humains et l’égalité soient menées, si tel n’est pas déjà le cas;
8.3. à organiser des débats parlementaires concernant l’impact de la crise économique sur les catégories de personnes les plus vulnérables;
8.4. à veiller à ce que des suites législatives soient données aux décisions du Comité européen des Droits sociaux;
8.5. à accroître la coopération avec les institutions nationales des droits de l’homme et les partenaires sociaux et à les associer à l’élaboration des mesures de lutte contre la crise économique, et à intensifier le dialogue avec les organisations non gouvernementales au sujet de la réponse à la crise économique.
9. L’Assemblée encourage les organisations non gouvernementales actives dans ce domaine à poursuivre leur action en faveur du dialogue social ainsi que leurs activités de sensibilisation concernant la promotion et la protection des droits humains, notamment des droits économiques et sociaux, et l’impact de la crise économique sur les catégories de personnes les plus vulnérables.

B. Exposé des motifs, par M. Villumsen, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Chômage en hausse, plus grande pauvreté, inégalités de revenus grandissantes, montée de la discrimination et de l’intolérance, tensions sociales, soutien accru aux partis politiques et mouvements populistes: la grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe ont été touchés très durement par la crise économique, dont les conséquences dépassent largement le cadre économique. Les mesures d’austérité, qui se traduisent dans des coupes budgétaires drastiques, ont été la réaction la plus immédiate. Mais sont-elles la solution ou contribuent-elles à aggraver au contraire la situation? L’Europe sortira-t-elle de cette crise totalement transformée ou fidèle à ses valeurs de solidarité, d’égalité et de dignité pour tous?
2. Ces questions sont en plein cœur des préoccupations du Conseil de l’Europe. Les droits sociaux ne devraient pas être un luxe que l’on peut s’offrir uniquement en période de prospérité: il s’agit de droits humains consacrés par un certain nombre d’instruments juridiquement contraignants. En outre, la réaction face à la crise risque de mettre en péril non seulement le modèle social que de nombreux Etats ont mis plusieurs dizaines d’années à construire mais aussi leurs fondements démocratiques, marginalisant certains groupes, accentuant la désaffection de la population pour la politique et affaiblissant les organismes qui participent à la surveillance de la gouvernance démocratique.
3. En tant que membres de parlements nationaux, nous devrions également placer ces questions au cœur de nos préoccupations. Comme l’a affirmé M. Espen Barth Eide, ancien ministre norvégien des Affaires étrangères: «la crise est beaucoup plus qu’une simple question de chiffres et de données économiques. Elle touche les individus et la dramatique réalité sociale à laquelle ils sont confrontés au quotidien» 
			(2) 
			OCDE, L’Observateur, n° 296 Q1 2013, 
			(2) 
			<a href='http://www.oecdobserver.org/news/fullstory.php/aid/3988/It_92s_all_about_people.html'>www.oecdobserver.org/news/fullstory.php/aid/3988/It_92s_all_about_people.html</a>.. Une réponse responsable à la crise ne peut se limiter à l’ajustement des indicateurs économiques dans une perspective à court terme: elle doit tenir compte des répercussions sur les individus et être en cohérence avec notre vision de la société à long terme, une fois la crise terminée.
4. Je ne suis certes pas le premier à tirer la sonnette d’alarme: les politiques mises en place par les gouvernements de toute l’Europe pour faire face à la crise ont fait l’objet de vifs débats au niveau national. Dans certains Etats membres de l’Union européenne qui ont été le plus durement touchés, ces débats ont également viré à une critique ouverte du rôle de l’Union européenne et de certains autres Etats membres de l’Union européenne, accusés de prôner des mesures draconiennes, sans se soucier des répercussions sur la population. Le Fonds monétaire international (FMI), qui fait partie de ladite «Troïka», a lui aussi été visé par des critiques similaires.
5. Un certain nombre de personnalités éminentes, notamment le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks 
			(3) 
			Safeguarding
human rights in times of economic crisis, document thématique du
Commissaire aux droits de l’homme, novembre 2013 (en anglais), <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2130915 '>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=2130915.</a>, et l’ancienne Haute Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, Mme Navenethem Pillay 
			(4) 
			Allocution
d’ouverture du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de
l’homme, lors de la 23e session du Conseil
des droits de l’homme, Genève, 27 mai 2013, 
			(4) 
			<a href='http://www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=13358&LangID=E'>www.ohchr.org/en/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=13358&LangID=E</a>., ont attiré l’attention sur le fait que les coûts de la crise n’ont pas été assumés par ceux qui en étaient les premiers responsables mais imposés à ceux qui étaient le moins à même de les absorber.
6. J’analyserai, dans le présent rapport, l’impact de la crise et des mesures d’austérité sur certains groupes spécifiques qui sont au centre de l’attention de la commission sur l’égalité et la non-discrimination: les femmes, les personnes handicapées et les personnes âgées. Je m’attacherai également à la situation des jeunes, leur inclusion et leur participation à la société dans toutes les sphères étant essentielles pour jeter les bases solides des démocraties de demain. J’évoquerai aussi l’impact de la crise sur la société en général, s’agissant notamment de la résurgence des actes d’intolérance, de haine et de racisme.
7. Le présent rapport contient des informations et des observations que j’ai pu recueillir lors de trois visites d’information, respectivement au Portugal (17-18 mars 2014), en Islande (4-5 juin 2014) et en Grèce (15-16 septembre 2014). Je tiens à remercier les délégations du Portugal, de l’Islande et de la Grèce auprès de l’Assemblée parlementaire pour leur soutien et leur excellente coopération pendant les visites d’information. Le rapport s’appuie également sur les échanges de vues que la commission a tenus respectivement avec M. Des Hogan, directeur général délégué de la Commission irlandaise des droits de l’homme et de l’égalité (28 janvier 2014), M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (23 juin 2014), M. Alejandro Cercas 
			(5) 
			Rapporteur
sur le rôle et les opérations de la Troïka dans les pays du programme
de la zone euro – Emploi et aspects sociaux du rôle et des opérations
de la Troïka, membre du Parlement européen (23 juin 2014) et M. Luis Jimena Quesada, président du Comité européen des Droits sociaux (8 septembre 2014). J’ai tenu une réunion bilatérale avec M. Paulo Pinheiro, président du Conseil consultatif pour la jeunesse du Conseil de l’Europe (24 juin 2014) et assisté à la Conférence à haut niveau sur la Charte sociale européenne «L’Europe redémarre à Turin» (16-17 octobre 2014).

2. Les droits humains et la crise

8. «Les normes juridiques dans le domaine des droits de l’homme imposent une obligation positive aux Etats d’identifier les groupes à risque et d’élaborer des politiques, notamment économiques, prenant en considération la vulnérabilité de ces derniers et atténuant les répercussions des décisions gouvernementales. Les Etats peuvent y parvenir en mettant en œuvre les principes de non-discrimination, d’égalité, de transparence, de participation et de responsabilité, en tenant compte en particulier des besoins des catégories à risque 
			(6) 
			Dr Des Hogan, audition
sur les effets de la crise sur l’égalité, commission sur l’égalité
et la non-discrimination, Strasbourg, 28 janvier 2014.
9. La Charte sociale européenne (révisée) (STE n° 163) est un instrument essentiel pour l’examen des rapports entre égalité et crise économique, en ce qu’elle énonce des principes clés de la protection des droits humains, mettant l’accent sur les droits économiques et sociaux et la non-régression de la sécurité sociale (article 12.3) 
			(7) 
			Article
12.3 de la Charte: les membres «s’efforcent de porter progressivement
le régime de sécurité sociale à un niveau plus haut».. A l’occasion de la publication du rapport annuel du Comité européen des Droits sociaux le 29 janvier 2014, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a souligné que «la crise et l’austérité ne devraient pas nous amener à accepter le sacrifice des plus vulnérables» et a appelé à une meilleure protection des droits en période d’austérité 
			(8) 
			Le Secrétaire Général
demande une meilleure protection des droits sociaux en période d’austérité, 
			(8) 
			<a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=DC-PR011(2014)&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=F5CA75&BackColorIntranet=F5CA75&BackColorLogged=A9BACE'>https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=DC-PR011(2014)</a>.. Le Comité européen des Droits sociaux a recensé 180 violations des dispositions de la Charte sociale européenne en matière d’accès à la santé et à la protection sociale dans 38 pays européens 
			(9) 
			Conclusions
annuelles du Comité européen des Droits sociaux, 29 janvier 2014, 
			(9) 
			<a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/conclusions/conclusionsindex_FR.asp'>www.coe.int/t/dghl/monitoring/socialcharter/conclusions/conclusionsindex_FR.asp</a>. et déclaré que plusieurs lois anticrise mises en œuvre dans des Etats membres du Conseil de l’Europe étaient en contradiction avec la Charte. Au nombre de ces textes figurent la loi portant sur la réforme du marché du travail en Grèce en 2012, susceptible de donner lieu à une discrimination fondée sur l’âge pour les travailleurs de moins de 25 ans, et la loi relative aux réductions dans les pensions.
10. M. Jimena Quesada, président du Comité européen des Droits sociaux, a souligné l’importance du principe de non-discrimination dans la Charte sociale européenne et le fait que le Comité européen des Droits sociaux s’efforçait d’assurer le respect de l’égalité y compris dans un contexte de crise économique. De plus, la crise économique pourrait aussi être à l’origine d’une certaine discrimination concernant les changements dans la répartition des ressources financières affectées aux prestations sociales.
11. Selon le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les Etats Parties ont l’obligation d’améliorer l’accès universel aux biens et aux services, comme la santé, l’éducation, le logement et la sécurité sociale, et de garantir des conditions de travail justes et favorables, sans discrimination. Je ne peux que saluer les initiatives comme la lettre adressée en 2012 par le président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies à tous les Etats Parties au Pacte afin de leur rappeler d’éviter de prendre des décisions qui pourraient provoquer des atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels 
			(10) 
			Lettre du 16 mai 2012
adressée par le président du Comité des droits économiques, sociaux
et culturels aux Etats Parties au Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels, <a href='http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCESCR%2fSUS%2f6395&Lang=en'>http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCESCR%2fSUS%2f6395&Lang=en</a>.	.
12. Les instruments juridiques nationaux, comme les Constitutions nationales, jouent un rôle essentiel pour la protection des droits humains puisqu’ils reconnaissent les droits civils, politiques, économiques et sociaux. La crise économique ne devrait pas être envisagée comme le moyen de remettre en cause les acquis sociaux. Comme l’a souligné M. de Sousa Ribeiro, président de la Cour constitutionnelle portugaise, «la crise n’a pas suspendu la Constitution ni les obligations de l’Etat. Tout amenuisement de la protection doit être justifié» 
			(11) 
			Réunion à Lisbonne,
18 mars 2014..
13. Le respect des droits humains a été miné par une tendance à la hausse des inégalités qui a commencé déjà avant la crise en Europe. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le revenu des 10 % les plus pauvres de la population est en moyenne neuf fois inférieur à celui des 10 % les plus riches au sein de ses Etats membres. Ce ratio est de 1 pour 10 en Italie et au Royaume-Uni, de 1 pour 14 en Turquie et inférieur à 9 dans les pays du Nord de l’Europe 
			(12) 
			Divided
We Stand – Why Inequality Keeps Rising, OCDE, 2011, p. 22, <a href='http://www.oecd.org/els/soc/49499779.pdf'>www.oecd.org/els/soc/49499779.pdf</a>..
14. Qu’un niveau élevé d’inégalités nuise à l’économie est un fait reconnu. D’après le FMI, «Il est de plus en plus prouvé qu’une forte inégalité de revenu peut empêcher d’atteindre la stabilité macroéconomique et la croissance» 
			(13) 
			IMF policy paper on
fiscal policy and income inequality, 23 janvier 2014, 
			(13) 
			<a href='http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2014/012314.pdf'>www.imf.org/external/np/pp/eng/2014/012314.pdf</a>..
15. Dans certains pays, les politiques d’austérité ont contribué à augmenter le niveau des inégalités en creusant l’écart entre la frange la plus riche de la population et la frange la plus pauvre. Selon le Professeur Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d’économie et ancien économiste en chef à la Banque mondiale, «[l]’austérité affaiblit l’économie. Elle augmente le chômage, diminue les salaires et creuse les inégalités. Il n’existe aucun exemple de grande économie pour laquelle l’austérité a permis la reprise de la croissance» 
			(14) 
			J. Smialek (2013),
«Stiglitz says more fiscal stimulus needed in U.S.: Tom Keene»,
Bloomberg, 
			(14) 
			<a href='http://www.bloomberg.com/news/2013-04-09/stiglitz-says-more-fiscal-stimulus-needed-in-u-s-tom-keene.html'>www.bloomberg.com/news/2013-04-09/stiglitz-says-more-fiscal-stimulus-needed-in-u-s-tom-keene.html</a>..
16. L’Organisation internationale du travail (OIT) a consacré l’un de ses derniers rapports à la reprise économique et à la justice sociale et souligné que «les réussites du modèle social européen, qui a réduit considérablement la pauvreté et stimulé la prospérité après la Seconde Guerre mondiale, ont été érodées par les réformes d’ajustement à court terme» 
			(15) 
			ILO
World Protection Report 2014/15, Building economic recovery, inclusive
development and social justice, 
			(15) 
			<a href='http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/publication/wcms_245201.pdf'>www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcomm/documents/publication/wcms_245201.pdf</a>.. Sylvie Goulard, membre du Parlement européen, a souligné à la conférence de Turin que les problèmes économiques étaient cycliques et ne devraient donc pas entraîner de changements irréversibles dans la législation sociale.
17. Au cours de mes travaux, la question de la responsabilité de la Troïka vis-à-vis des mesures d’austérité et de leurs répercussions sur les populations sous le coup d’un programme d’ajustement s’est posée à maintes reprises. Les représentants de la Troïka à Lisbonne m’ont indiqué durant notre entretien que la Troïka n’avait pas pour mission d’imposer une réduction spécifique des dépenses et laissait aux gouvernements la responsabilité de choisir où opérer les coupes budgétaires; les restrictions budgétaires répondaient dès lors à des choix politiques. De leur côté, les gouvernements ont tendance à placer la responsabilité des coupes sur la Troïka. Selon moi, plutôt que de responsabilité unique, nous devrions commencer à parler de responsabilité partagée. Le Parlement européen a adopté deux résolutions 
			(16) 
			Résolution du Parlement
européen sur l’emploi et les aspects sociaux du rôle et des opérations
de la Troïka, 13 mars 2014, <a href='http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2014-0240&language=EN&ring=A7-2014-0135'>www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2014-0240&language=EN&ring=A7-2014-0135</a>; et Résolution du Parlement européen sur le rapport
d'enquête sur le rôle et les activités de la troïka dans les pays sous
programme de la zone euro, 13 mars 2014, <a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.C_.2010.083.01.0001.01.FRA'>http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=uriserv:OJ.C_.2010.083.01.0001.01.FRA</a> le 13 mars 2014 critiquant le manque de responsabilisation démocratique de la Troïka et a appelé à la création d’un mécanisme européen de suivi financier pour aider les pays endettés. Ce mécanisme devrait être tenu de rendre compte de ses actions. M. Alejandro Cercas, l’un des rapporteurs, a insisté sur le fait que les mesures d’austérité représentaient une menace pour les valeurs et principes fondamentaux de l’Union européenne. Il a réitéré l’importance de la Charte sociale européenne et déploré que les droits fondamentaux ne soient pas pris en compte au moment de décider comment affronter la crise. Selon lui, les mesures proposées par la Troïka sont contraires à l’article 9 du Traité sur l’Union européenne 
			(17) 
			«Dans
toutes ses activités, l'Union respecte le principe de l'égalité
de ses citoyens, qui bénéficient d'une égale attention de ses institutions,
organes et organismes. Est citoyen de l'Union toute personne ayant
la nationalité d'un Etat membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute
à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. (…)», 
			(17) 
			<a href='http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2010:083:FULL&from=EN'>http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=OJ:C:2010:083:FULL&from=EN</a>.
18. Je tiens à souligner l’importance d’ajouter un chapitre sur l’assistance sociale dans les futurs programmes d’assistance afin d’aider à préserver les services sociaux. De même, le lien entre égalité et croissance devrait être clairement présenté et mis en avant dans la conception et la mise en œuvre des programmes de ce type. Dans le cas spécifique de la Grèce, le gouvernement et les organisations internationales avaient sous-estimé les difficultés quant à la réforme des institutions, notamment le système de recouvrement des impôts. Les flux anticipés de privatisation semblaient trop optimistes eux aussi. Au cours de ma visite d’information, plusieurs interlocuteurs ont déploré l’absence de dialogue social et le fait qu’il n’y a pas de répartition égale du fardeau de la crise économique, tout en affirmant comprendre les mesures prises vu l’ampleur et la gravité de la crise.
19. L’augmentation de la pauvreté et la réduction des aides accordées par l’Etat peuvent exacerber le sentiment de marginalisation dans la société, qui peut retentir sur la cohésion sociale dans son ensemble. La réduction de l’Etat providence conjuguée à une augmentation des inégalités peut générer des tensions sociales. Par ailleurs, l’inégalité de revenus exerce une influence sur l’engagement et la participation politiques. Des études montrent que dans les pays qui enregistrent une inégalité de revenus plus forte, les personnes pauvres ont tendance à moins s’investir dans la vie politique, ce qui signifie que leurs intérêts seront moins représentés 
			(18) 
			What to do about rising
inequality, Horizon 2020, programme-cadre de l’Union européenne
pour la recherche et l’innovation, <a href='http://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/en/news/what-do-about-rising-inequality'>http://ec.europa.eu/programmes/horizon2020/en/news/what-do-about-rising-inequality</a>.. Ce phénomène peut favoriser le mécontentement au sein de la population.
20. Dans le rapport «L’exclusion sociale – un danger pour les démocraties européennes», M. Mike Hancock, rapporteur de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, a souligné que l’exclusion sociale portait atteinte à la participation démocratique et présenté des moyens d’action afin de lutter efficacement contre l’exclusion sociale et d’encourager la participation, notamment des personnes menacées d’exclusion et des groupes nécessitant un soutien spécifique 
			(19) 
			Résolution 2024 (2014) et Recommandation
2058 (2014) de l’Assemblée «L’exclusion sociale – un danger pour
les démocraties européennes»..
21. Les mesures d’austérité sont souvent présentées comme un moindre mal et la seule voie possible pour sortir de la crise. Mais selon moi, il n’y pas qu’une seule façon de les concevoir et le fait qu’elles écornent l’Etat providence ne doit être pas considéré comme une fatalité. Les consultations entre représentants du gouvernement et de la société civile sont essentielles pour une approche structurée de la crise économique tenant compte des différents besoins.

Etude de cas: Islande

Bien que le niveau de la pauvreté reste élevé en Islande, plusieurs initiatives adoptées en réaction à la crise économique sont largement reconnues en tant que bonnes pratiques, à l’instar de «Welfare Watch» et de la coopération accrue entre les partenaires sociaux. «Welfare Watch» regroupe près de 40 représentants du gouvernement et de la société civile et se consacre principalement aux jeunes, aux personnes handicapées et aux femmes, et travaille sur certaines questions considérées auparavant comme taboues ou marginales (par exemple, la violence à l’égard des femmes, notamment les femmes handicapées). «Welfare Watch», a proposé des améliorations et suivi les effets de la crise économique sur ces groupes, et est considéré comme une bonne pratique car il a institutionnalisé le dialogue dans une conjoncture difficile, permis d’intensifier la coopération, raccourci les circuits de communication et mis l’accent sur les catégories de personnes vulnérables en adoptant une approche collective des problèmes. La mise en place de structures telles que «Welfare Watch» devrait être encouragée aussi souvent que possible et peut contribuer à faire face à l’impact disproportionné et aux effets cumulés de la crise et des mesures d’austérité sur les catégories vulnérables.

L’institution du médiateur en charge de la protection des personnes endettées a été créée en réponse immédiate à la crise économique en Islande, en vue d’aider les personnes incapables d’assumer leurs dettes suite à une forte augmentation de leurs prêts. Cette institution relevant du ministère des Affaires sociales met à disposition des avocats qui viennent gratuitement en aide aux individus en proie à de graves difficultés financières et sert d’intermédiaire, guidé par les intérêts des débiteurs, avec les créanciers. Le médiateur a insisté sur le fait qu’il importait d’envisager la crise économique dans une approche solidaire, ce qui me paraît fondamental pour qu’une cohabitation harmonieuse se poursuive, notamment en temps de crise économique.

3. Les femmes

22. La crise économique a eu des répercussions sur les femmes, qui se sont manifestées sous diverses formes et de façon différente selon les pays. Le plus souvent négatives, ces répercussions ont toutefois, à de rares occasions, ouvert des possibilités aux femmes qui n’auraient pas existé dans d’autres circonstances, mais leurs effets à long terme demeurent incertains 
			(20) 
			He-cession, she-cession, The Economist, 7 octobre 2009, 
			(20) 
			<a href='http://www.economist.com/blogs/freeexchange/2009/10/hecession_shecession'>www.economist.com/blogs/freeexchange/2009/10/hecession_shecession</a>..

3.1. Une précarité et une insécurité accrues pour les femmes sur le marché du travail

23. A ses débuts en 2008, il semblerait que la crise ait davantage touché les hommes. On a alors parlé de récession au masculin («he-cession»), mais elle est rapidement devenue une «récession au féminin» («she-cession»), avec des répercussions sur l’accès des femmes à l’emploi et sur les conditions de travail pour celles qui avaient un emploi.
24. Quatre ans plus tard, les données présentées par Mme Nursuna Memecan 
			(21) 
			Résolution 1719 (2010) et Recommandation
1911 (2010) de l’Assemblée sur les femmes et la crise économique
et financière. Voir aussi le Doc.
12195. dans son rapport de 2010 sont toujours d’actualité. Elle s’était dite préoccupée par l’impact différent de la crise économique sur les femmes par rapport aux hommes et appelait à des mesures favorisant l’accès des femmes à des postes de décision dans l’économie, la finance et la politique comme moyen de lutter contre l’impact disproportionné de la crise sur les femmes.
25. Je souhaiterais également évoquer la résolution sur l’impact de la crise économique sur l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des femmes adoptée par le Parlement européen le 12 mars 2013: cette résolution insiste sur le fait que, «malgré des taux de chômage comparables entre hommes et femmes, la crise a eu des effets différents sur celles-ci; souligne que les femmes subissent une précarisation plus importante de leurs conditions de travail, en particulier en raison du développement de formes de contrats atypiques, et que leurs revenus ont baissé de manière significative du fait de plusieurs facteurs, tels que la persistance d’inégalités de salaires (près de 17 %) entre hommes et femmes et d’inégalités dans l’indemnisation du chômage qui en découle, l’essor du travail à temps partiel subi ou la multiplication des emplois précaires ou à durée déterminée au détriment des emplois plus stables» 
			(22) 
			Résolution du Parlement
européen du 12 mars 2013 sur les répercussions de la crise économique
sur l’égalité entre les hommes et les femmes et les droits des femmes
(2012/2301(INI)), <a href='http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0073+0+DOC+XML+V0//FR'>www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0073+0+DOC+XML+V0//FR</a>.
26. Selon Eurostat, les femmes étaient historiquement plus touchées par le chômage que les hommes (moins de 8 % pour les hommes et 10 % pour les femmes en 2000). Les taux de chômage ont toutefois convergé en 2009, le taux de chômage augmentant pour les hommes dans l’Union européenne des 28 au deuxième trimestre 2009. Eurostat indique que les taux de chômage des femmes et des hommes ont baissé au second semestre 2013, passant respectivement à 10,8 % et 10,6 % à la fin de l’année dans l’Union européenne 
			(23) 
			<a href='http://epp.eurostat.ec.europa.eu/statistics_explained/index.php/Unemployment_statistics'>http://epp.eurostat.ec.europa.eu/statistics_explained/index.php/Unemployment_statistics</a>.. Les taux de chômage sont aujourd’hui globalement les mêmes pour les femmes que pour les hommes dans l’Union européenne, sachant que d’importantes différences subsistent d’un pays à l’autre.
27. Dans l’ensemble de l’Union européenne, les réductions budgétaires opérées dans les secteurs publics touchent en premier les femmes, lesquelles représentent 69 % des travailleurs dans ce domaine et la majorité des employés de l’éducation et de la santé 
			(24) 
			«The price of austerity
– the impact on women’s rights and gender equality in Europe», Lobby
européen des femmes, octobre 2012, <a href='http://www.womenlobby.org/news/ewl-news/article/ewl-publishes-report-on-impact-of'>www.womenlobby.org/news/ewl-news/article/ewl-publishes-report-on-impact-of</a>..
28. La crise économique a également des répercussions sur le niveau des revenus en raison du gel des salaires pratiqué. Si les hommes comme les femmes sont touchés, ces phénomènes entretiennent les écarts de salaires, quand ils ne les aggravent pas. On constate également une augmentation du travail non rémunéré, comme la prise en charge des personnes âgées en famille ou des enfants, la hausse des tarifs de garde d’enfants poussant certaines femmes à quitter leur emploi. «Les personnes ayant des personnes à charge – principalement des femmes – sont contraintes de réduire ou de quitter leur activité salariée pour assurer des services qui ne sont plus fournis par l’Etat ou qu’elles n’ont plus les moyens de payer» 
			(25) 
			Ibid..
29. La crise entraîne des changements de comportement qui menacent l’égalité et la participation des femmes au marché de l’emploi. Le Lobby européen des femmes a publié des informations sur l’impact de la récession sur les femmes et observé une plus grande «précarité de l’emploi et des conditions de travail touchant plus particulièrement les femmes, notamment le licenciement des travailleuses enceintes ou en congé de maternité et la conversion des contrats à durée indéterminée en contrats à durée déterminée, plus particulièrement pour les femmes qui reviennent d’un congé maternité» 
			(26) 
			Publication conjointe
Lobby européen des femmes (LEF)/Oxfam en 2010 sur les effets de
la récession sur la pauvreté et l’exclusion sociale des femmes dans
l’UE, conclusions fondées sur les entrevues tenues avec les organisations
membres du LEF, <a href='http://www.womenlobby.org/news/ewl-news/article/pregnancy-and-maternity-leave-are?lang=fr'>www.womenlobby.org/news/ewl-news/article/pregnancy-and-maternity-leave-are?lang=fr</a>.. Les femmes sont davantage exposées au risque de discrimination dans leur emploi et lorsqu’elles recherchent un emploi. D’après Stella Kasdagli, co-fondatrice de Women on Top, en Grèce, on demande parfois aux femmes de faire connaître leur intention de fonder une famille lors d’un entretien d’embauche.
30. L’OIT a signalé que l’Estonie et la Lituanie avaient raccourci la durée du congé maternité et paternité en conséquence de la crise économique. L’OIT a fait Etat en outre d’une aggravation de la discrimination liée à la maternité à l’échelle mondiale dans le contexte de la crise 
			(27) 
			Rapport
de l’OIT, Maternity and Paternity at Work: Law and practice across
the world, mai 2014, 
			(27) 
			<a href='http://www.ilo.org/global/publications/books/WCMS_242615/lang--en/index.htm'>www.ilo.org/global/publications/books/WCMS_242615/lang--en/index.htm</a>. . «En Croatie et en Italie, on signale l’utilisation de “lettres de démission en blanc” – lettres de démission non datées que les travailleurs sont contraints de signer lorsqu’ils se voient offrir un poste. Ces lettres sont utilisées par la suite pour licencier les employés en cas de maternité, de longue maladie ou de responsabilités familiales» 
			(28) 
			Ibid. .
31. En Grèce, le Médiateur a indiqué que la crise économique affectait la participation des femmes au marché du travail. La crise a eu pour conséquence directe le licenciement de certaines femmes pendant ou peu après leur congé maternité ou l’obligation qui leur a été faite de travailler à temps partiel.
32. La crise économique peut aussi impacter sur la décision des femmes d’avoir des enfants. «Du fait de l’incertitude quant au prochain emploi, les jeunes femmes décident parfois de retarder le moment d’avoir des enfants – ce qui réduit en outre la période totale de reproduction chez la femme 
			(29) 
			Matilda
Flemming, Conseil consultatif pour la jeunesse, 27 octobre 2014,
en référence à un rapport de la Commission européenne – Direction
générale de la justice: The impact of the economic crisis on the
situation of women and men and on gender equality policies.
33. La Commission européenne considère que les crises économiques ont tendance à augmenter le risque de voir les emplois de qualité diminuer en nombre. Les employés sont plus enclins à accepter une détérioration de leurs conditions de travail pour conserver leur emploi 
			(30) 
			The impact
of the economic crisis on the situation of women and men and on
gender equality policies, 2013, Commission européenne, <a href='http://ec.europa.eu/justice/gender-equality/files/documents/130410_crisis_report_en.pdf'>http://ec.europa.eu/justice/gender-equality/files/documents/130410_crisis_report_en.pdf</a>. . La sécurité de l’emploi n’est plus assurée ce qui peut engendrer des tensions au travail. Une pression de plus en plus forte est exercée pour introduire une flexibilité du travail, touchant davantage les emplois faiblement rémunérés et précaires, souvent occupés par des femmes et des jeunes. Lorsqu’on a perdu son emploi, on est plus susceptible d’accepter des contrats temporaires ou à temps partiel.
34. A titre d’exemple, en Islande, on a demandé à davantage de femmes de réduire leur temps de travail hebdomadaire. Avant la crise économique, 17 % des femmes travaillaient à temps partiel; elles sont aujourd’hui 35 % dans cette situation (contre 10 % d’hommes) 
			(31) 
			Informations fournies
par Mme Rósa Guðrún Erlingsdóttir, conseillère
spéciale, et Mme Rán Ingvarsdóttir, Département
des Affaires sociales et du Travail, ministère islandais des Affaires
sociales, Reykjavík, 4 juin 2014..
35. Cependant, je souhaiterais faire observer que, aussi surprenant que cela puisse paraître, la crise économique peut avoir un effet positif sur le rôle de la femme dans la société. J’ai par exemple été surpris de constater que la participation politique des femmes avait augmenté en Islande. Plusieurs de mes interlocuteurs ont insisté sur le fait que la crise économique avait contribué à augmenter la participation des femmes à la vie politique, étant donné que la responsabilité de la crise était avant tout attribuée aux hommes et qu’il y avait une volonté de voir la situation gérée différemment.
36. La crise peut offrir des possibilités de renforcer l’égalité dès lors qu’il existe une prise de conscience de la nécessité de s’adapter à la situation et une volonté de saisir une occasion lorsqu’elle se présente. Je suis convaincu qu’en investissant dans l’égalité, nous pourrons contrer les effets de la crise. Les femmes peuvent aussi envisager de chercher un emploi dans des secteurs traditionnellement considérés comme des bastions masculins. Elles sont parfois jugées plus fiables que les hommes et associées dans une moindre mesure aux causes profondes de la crise. Il est intéressant de noter que beaucoup de femmes portugaises sont devenues la principale source de revenu de leur famille et le chef de famille, inversant les rôles traditionnellement dévolus à chacun des deux sexes.

3.2. La violence à l’égard des femmes

37. «Quand la pauvreté entre par la porte, l’amour s’enfuit par la fenêtre» a déclaré Titina Pantazi, présidente de l’Union des femmes en Grèce, reprenant un vieux dicton grec 
			(32) 
			«Greek crisis hits
women especially hard», The Guardian,
15 juin 2012, 
			(32) 
			<a href='http://www.theguardian.com/world/greek-election-blog-2012/2012/jun/15/greek-crisis-women-especially-hard'>www.theguardian.com/world/greek-election-blog-2012/2012/jun/15/greek-crisis-women-especially-hard</a>. . La dépendance économique est souvent le premier obstacle qui empêche de briser le cycle de la violence. La précarité économique peut dissuader les victimes de porter plainte, qui craignent de ne plus pouvoir subvenir aux besoins de leur famille si elles venaient à se séparer de leur conjoint. La crise économique a globalement eu des répercussions négatives sur les femmes victimes de violence, qui hésitent davantage à quitter leur domicile ou à demander à leur partenaire de partir et qui sont réticentes à porter plainte.
38. La peur de perdre son emploi ou de passer à côté d’une embauche éventuelle peut amener à supporter un climat de harcèlement sexuel 
			(33) 
			Marylin Baldeck, secrétaire
générale de l’Association européenne des violences faites aux femmes
au travail (AVFT) dans un entretien pour Le
Figaro, 8 janvier 2014..
39. La préservation des systèmes d’aide et de protection est essentielle pour faire respecter les droits des femmes. Or, non seulement la crise a provoqué une augmentation des cas de violence domestique, mais elle s’accompagne également d’une baisse des budgets accordés aux programmes de prévention et d’aide aux victimes de violence. Au Royaume-Uni, les financements ont été réduits au niveau central et local, mettant en péril la solidité financière et la stabilité des organisations non gouvernementales (ONG) qui viennent en aide aux victimes de violence. De ce fait, le nombre de lits disponibles pour les victimes a été réduit et certains centres d’hébergement ont dû fermer ou risquent de le faire. Les restrictions touchent aussi les organisations qui apportent une aide juridique aux victimes. Des centres d’aide aux victimes ont également fermé en Grèce et en Espagne. En Irlande, le Conseil national des femmes a vu son budget chuter radicalement (-38 % en 2012). Les autorités irlandaises de la santé ont également revu à la baisse les subventions au Rape Crisis Network et les dons privés aux ONG ont eux aussi baissé. Mme Rachida Manjoo, rapporteure spéciale des Nations Unies chargée de la question de la violence contre les femmes, ses causes et conséquences, a confirmé que les mesures d’austérité avaient eu un impact disproportionné sur la disponibilité et la qualité des services proposés aux femmes et aux filles victimes de violence 
			(34) 
			«UN
expert calls for a legally binding global treaty for the elimination
of violence against women», 24 octobre 2014, <a href='http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=15211&LangID=E'>www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=15211&LangID=E#sthash.BNVbQ0oz.dpuf</a>.
40. Le nombre de cas de violence domestique signalés en Islande a augmenté, ce que les travailleurs sociaux attribuent aux effets des campagnes de sensibilisation menées par les ONG. La crise économique a permis ici de lever un tabou, amenant des sujets tels que la violence à l’égard des femmes et la violence domestique dans le débat public.
41. Il m’a été dit lors de ma visite d’information en Islande que les femmes immigrées qui sont victimes de violence domestique sont elles aussi dans une situation particulièrement difficile, hésitant à quitter l’auteur des violences lorsque leur permis de séjour dépend de celui de leur partenaire.
42. En Grèce, j’ai reçu des informations selon lesquelles les femmes se heurtent indéniablement à de plus grandes difficultés pour se sortir de situations de violence et pour trouver un emploi qui garantit leur indépendance financière. Un programme de prévention et de lutte contre la violence à l’égard des femmes a été lancé à grande échelle avec le concours de la Commission européenne en 2009. Ce programme a permis d’ouvrir et de gérer 15 centres d’aide aux victimes dans tout le pays. Une ligne d’assistance téléphonique nationale, joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, a été créée pour les victimes de violence, proposant des services de conseil en anglais et en grec. Il n’y a cependant aucune certitude quant à la pérennité, après 2015, de ce programme, qui est tributaire de ressources affectées par la Commission européenne.
43. Au Portugal, le nombre de plaintes déposées auprès des services de police était de 27 318 en 2013, soit une augmentation de 2,4 % par rapport à 2012 (640 plaintes supplémentaires) 
			(35) 
			Relatório Annual de
Segurança Interna 2013, Sistema de Segurança Interna, 
			(35) 
			<a href='http://www.portugal.gov.pt/pt/documentos-oficiais/20140401-rasi-2013.aspx'>www.portugal.gov.pt/pt/documentos-oficiais/20140401-rasi-2013.aspx</a>. .
44. Mme Teresa Morais, secrétaire d’Etat aux affaires parlementaires et à l’égalité (Portugal), m’a informé de l’attribution, depuis 2012, d’une partie des bénéfices de la loterie nationale au financement de programmes visant à prévenir et à combattre la violence à l’égard des femmes, initiative qui a permis de maintenir le même niveau de financement ces dernières années. Je salue l’engagement du Gouvernement portugais dans la prévention et la lutte contre la violence faite aux femmes et la violence domestique, qui n’a pas faibli des suites de la crise.

4. L’impact à long terme sur les jeunes

45. Le chômage des jeunes a atteint des niveaux sans précédent en Europe ces dernières années. Selon Eurostat, cinq millions de jeunes (moins de 25 ans) étaient au chômage dans les 28 Etats membres de l’Union européenne en juillet 2014 (21,7 %) 
			(36) 
			«Euro area unemployment
rate at 11.5 %», 29 août 2014, <a href='http://ec.europa.eu/eurostat/home?p_auth=feS7cSHj&p_p_id=estatsearchportlet_WAR_estatsearchportlet&p_p_lifecycle=1&p_p_state=maximized&p_p_mode=view&_estatsearchportlet_WAR_estatsearchportlet_action=search'>http://ec.europa.eu/eurostat/home?p_auth=feS7cSHj&p_p_id=estatsearchportlet_WAR_estatsearchportlet&p_p_lifecycle=1&p_p_state=maximized&p_p_mode=view&_estatsearchportlet_WAR_estatsearchportlet_action=search.</a>. Toujours d’après Eurostat, les taux de chômage les plus élevés ont été observés en Espagne (53,8 %), en Grèce (53,1 % en mai 2014), en Italie (42,9 %) et en Croatie (41,5 % au deuxième trimestre 2014) 
			(37) 
			Ibid.. Le chômage des jeunes atteint de tels sommets que l’on peut le qualifier de «chronique». Il nuit à la société dans son ensemble et aura à long terme des répercussions sur les systèmes de retraite.
46. Ce phénomène incite de plus en plus les jeunes, souvent les plus diplômés, à quitter leur pays à la recherche d’opportunités professionnelles à l’étranger 
			(38) 
			Young
and Educated in Europe, but Desperate for Jobs, The New York Times, 15 novembre
2013, 
			(38) 
			<a href='http://www.nytimes.com/2013/11/16/world/europe/youth-unemployement-in-europe.html?_r=0'>www.nytimes.com/2013/11/16/world/europe/youth-unemployement-in-europe.html?_r=0</a>.. L’importance de ce taux d’émigration et de cette fuite des cerveaux pourrait avoir des conséquences à long terme et priver les pays concernés de ressources et de compétences essentielles à leur redressement.
47. D’après le ministère du Travail de la Grèce, c’est la forte hausse du taux de chômage qui pousse beaucoup de jeunes à émigrer, sachant que ce taux était déjà élevé avant la crise économique.
48. M. Paulo Pinheiro, président du Conseil consultatif pour la jeunesse, m’a indiqué que l’on pouvait considérer la jeune génération européenne comme une «génération sandwich», qui subit la pression des décisions prises par le passé et s’inquiète de leur incidence sur les générations futures. La crise économique les touche de façon disproportionnée et les prive de certaines possibilités. Il a souligné que les jeunes étaient en général bien informés mais ne souhaitaient pas participer au système politique car ils ne parvenaient pas à s’y identifier. Ils ont tendance à rester plus longtemps chez leurs parents et à différer leur décision de fonder une famille, parce qu’ils ne sont pas autonomes financièrement et n’ont pas les moyens de faire autrement. M. Pinheiro a évoqué également le cas de jeunes qui acceptent d’être exploités dans leur travail pour pouvoir garder leur emploi. Matilda Flemming, membre du Conseil consultatif pour la jeunesse, a mis en garde contre le fait qu’une «génération entière était confrontée à une hausse des niveaux de pauvreté, une aggravation des problèmes de santé et une exclusion sociale plus marquée en conséquence de la crise (…) L’augmentation du taux de chômage des jeunes risque d’avoir accentué la pauvreté chez les jeunes européens; les répercussions sur le tissu social peuvent être profondes, en ce que la pauvreté empêche les jeunes de réaliser pleinement leur potentiel et d’être totalement autonomes». 
			(39) 
			Contribution écrite
de Matilda Flemming concernant l’impact à long terme de la crise
économique sur les jeunes, 27 octobre 2014.
49. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans son commentaire «La crise menace les droits de l’homme des jeunes» a attiré l’attention sur le fait que la crise avait eu des répercussions négatives non seulement sur les droits sociaux et économiques des jeunes mais aussi sur «leur droit à l’égalité de traitement et leur droit à la participation, ainsi que leur place dans la société et, plus largement, en Europe. Face à un chômage chronique, beaucoup de jeunes cessent d’espérer un avenir meilleur dans leur pays, de faire confiance à la classe politique et de croire en l’Europe 
			(40) 
			3 juin 20104, <a href='http://humanrightscomment.org/2014/06/03/youth-human-rights-at-risk-during-the-crisis/'>http://humanrightscomment.org/2014/06/03/youth-human-rights-at-risk-during-the-crisis/</a>.». Nous devons accorder plus d’importance à ce phénomène qui peut avoir des conséquences dramatiques pour l’Europe démocratique que nous avons mis tant d’années à bâtir. Il est de notre responsabilité de veiller à ne pas mettre en danger l’avenir de l’Europe en marginalisant la jeunesse.

5. Personnes handicapées

50. «Nous devons veiller à ce que les progrès réalisés en rapport avec les droits des personnes handicapées ne soient pas compromis par les baisses des financements publics. Ensemble, les pays de l’Union européenne doivent veiller à ce que les personnes handicapées ne paient pas le prix de la crise économique à cause de la réduction des aides et des services», a déclaré Morten Kjærum, directeur de l’Agence des droits fondamentaux 
			(41) 
			<a href='http://fra.europa.eu/en/news/2012/economic-crisis-threatens-participation-and-inclusion-people-disabilities'>http://fra.europa.eu/en/news/2012/economic-crisis-threatens-participation-and-inclusion-people-disabilities</a>.. En dépit de plusieurs mises en garde de ce type, plusieurs pays ont décidé de réduire les budgets des programmes sociaux qui comportaient des programmes d’aide aux personnes handicapées.
51. La crise économique et les mesures d’austérité grèvent non seulement les programmes d’aide, mais ont aussi des conséquences sur la participation des personnes handicapées dans la société ainsi que sur leur accès aux services et au marché du travail. Le Commissaire aux droits de l’homme a établi que la participation des personnes handicapées au marché du travail avait diminué depuis le début de la crise économique en Europe 
			(42) 
			Safeguarding
human rights in time of crisis, document thématique, novembre 2013..
52. La désinstitutionalisation des personnes handicapées est une des clés de leur inclusion dans la société et un principe de base de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. La baisse des financements des services publics et de santé peut malheureusement conduire à une reprise des placements, qui peuvent sembler moins chers à court terme, mais qui sont une régression du point de vue de l’intégration sociale des personnes handicapées. La réinstitutionalisation peut toutefois s’avérer plus coûteuse à long terme et le fonctionnement parallèle des deux systèmes risque lui aussi de coûter très cher. Pour Donata Vivanti, vice-présidente du Forum européen des personnes handicapées (FEPH), «les restrictions budgétaires des politiques sociales empêchent les personnes handicapées d’exercer leur droit à être indépendantes» 
			(43) 
			The impact of the economic
on the lives of people with disabilities across the EU, Forum européen
des personnes handicapées, Lucca, 18 octobre 2013, 
			(43) 
			<a href='http://www.lhac.eu/resources/toolip/doc/2013/10/23/vivanti-impact-of-economic-crisis-2013.pdf'>www.lhac.eu/resources/toolip/doc/2013/10/23/vivanti-impact-of-economic-crisis-2013.pdf</a>..
53. En Espagne, le Commissaire aux droits de l’homme s’est inquiété des coupes budgétaires opérées dans les programmes d’insertion sociale des personnes handicapées et a demandé que leurs répercussions soient évaluées. Il a également demandé aux autorités espagnoles de veiller à ce que les écoles classiques soient dotées des équipements nécessaires pour accueillir les élèves handicapés 
			(44) 
			Rapport du Commissaire
aux droits de l’homme à la suite de sa visite en Espagne (3-7 juin 2013), <a href='https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=2389885&SecMode=1&DocId=2077824&Usage=2'>https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=2389885&SecMode=1&DocId=2077824&Usage=2</a>..
54. En Islande, le gouvernement a adopté une politique censée éviter les réductions de services destinés aux personnes handicapées. Certaines réductions ont toutefois été opérées et les personnes handicapées ont rencontré des difficultés pour exercer leur droit à un niveau de vie décent, selon des représentants de la société civile. La plupart des personnes qui vivent de manière autonome sont aidées par un proche plutôt que par un professionnel. L’Association islandaise des personnes handicapées est financée par la loterie et a vu son financement augmenter ces dernières années.
55. En Grèce, M. Leonidas Grigorakos, vice-ministre de la Santé, a confirmé que les ressources affectées à son ministère avaient été réduites de moitié, ce qui a entraîné une réorganisation des services hospitaliers, des réductions de personnel, un contrôle des coûts plus strict, la diminution d’une partie des services proposés à la population et un investissement moindre dans les nouveaux équipements et infrastructures. Trois millions de personnes n’ont pas accès aux soins de santé primaires en Grèce.
56. Une attention spéciale a été accordée pour ne pas réduire les prestations allouées aux personnes handicapées et les fonds d’aide spécifiques de l’Etat; en revanche, les coûts des services de santé ont augmenté, entraînant de fait une diminution des ressources disponibles. Mme Pelagia Papanikolaou, spécialiste des questions de handicap, a mis l’accent sur le fait que les personnes handicapées se heurtaient à des difficultés pour accéder au marché du travail en dépit de l’adoption d’une loi imposant aux entreprises de plus de 50 salariés de recruter un certain quota de personnes handicapées, à condition d’avoir un bilan positif à la fin de l’année. La commission nationale grecque des droits de l’homme a indiqué que le financement des programmes pilotes de désinstitutionalisation permettant aux personnes handicapées de vivre dans des logements adaptés avait été réduit.
57. Au Danemark, l’Etat a réduit les aides financières pour les personnes handicapées et restreint l’accès à ces aides. En France également, des réductions ont été appliquées aux services de transport pour les personnes handicapées. Sans ce type de services, les personnes handicapées sont davantage exposées au risque d’isolement.
58. Les programmes d’aide aux personnes handicapées sont parfois présentés comme trop onéreux et inutiles en temps de crise. Trop souvent, les réductions de prestations sociales et de prise en charge nuisent à la participation de ces personnes à la société et sur le marché du travail et les empêchent donc de mener une vie indépendante 
			(45) 
			Irena Kowalczyk-Kedziora,
Secrétaire du Comité d’experts du Conseil de l’Europe sur les droits
des personnes handicapées, réunion de la sous-commission sur les
droits des personnes handicapées, Strasbourg, 25 juin 2014.. Les mesures positives assurant leur participation à la vie sociale ne devraient pas être réduites car, à long terme, cela coûterait plus cher.
59. Avec ce rapport, j’ai l’intention de demander aux Etats membres d’adopter des politiques qui garantiront les droits des personnes handicapées et leur permettront de mener une vie autonome et de participer pleinement à la société.

6. Personnes âgées

60. Les personnes âgées sont elles aussi victimes de la crise économique, subissant des réductions de leurs prestations de retraite, une paupérisation grandissante, une hausse du coût des soins de santé et de la prise en charge de longue durée et des coupes budgétaires pour les services qui leur viennent en aide. Elles doivent souvent payer plus cher et sur leurs propres derniers pour obtenir les mêmes services qu’auparavant. Un revenu minimum ne leur est pas toujours garanti et notre société risque de laisser des personnes âgées marginalisées sur le bord du chemin.
61. Les travailleurs plus âgés deviennent également plus vulnérables sur le marché du travail en conséquence de la crise économique, les perspectives d’emploi étant plus minces et le risque d’exclusion sociale plus élevé.
62. Dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, des retards de paiement des retraites et des baisses du niveau des pensions ont des répercussions négatives sur le niveau de vie des personnes âgées.
63. Le soutien familial apporté aux personnes âgées est crucial en temps de crise économique, sachant que cette forme de solidarité peut s’exprimer de plusieurs façons. Les retraites sont parfois le seul revenu, ou le seul revenu stable, pour les familles frappées par le chômage. Dans d’autres familles, les jeunes générations doivent subvenir aux besoins des personnes âgées en raison du faible niveau des retraites, qui ne permet pas à ces dernières de vivre dans la dignité.
64. Les familles sont de plus en plus nombreuses à assumer avec difficulté les frais de maisons d’accueil, notamment lorsqu’un ou deux de leurs membres se retrouvent au chômage, et à vouloir retirer leurs aînés de ces structures pour s’en occuper à domicile 
			(46) 
			AGE Platform, «Older
people also suffer because of the crisis», décembre 2012, 
			(46) 
			<a href='http://www.age-platform.eu/images/stories/EN/olderpeoplealsosufferbcofthecrisis-en.pdf'>www.age-platform.eu/images/stories/EN/olderpeoplealsosufferbcofthecrisis-en.pdf</a>..
65. Le Commissaire aux droits de l’homme nous a indiqué qu’il avait reçu des informations faisant Etat de niveaux de négligence et de violence plus élevés à l’égard des personnes âgées en raison de la crise économique 
			(47) 
			Audition
tenue à Strasbourg le 23 juin 2014..
66. La situation des femmes âgées mérite également qu’on y accorde une attention particulière; en effet, dans certains pays européens, elles présentent un taux de risque de pauvreté de près du double de celui des hommes 
			(48) 
			Document
conjoint AGE-LEF, Improving the situation of older women in the
EU in the context of an ageing society and rapidly changing socio-economic
environment, mars 2014, 
			(48) 
			<a href='http://www.age-platform.eu/images/stories/Publications/papers/EWL_AGE_gender_paper_2014_FINAL.pdf'>www.age-platform.eu/images/stories/Publications/papers/EWL_AGE_gender_paper_2014_FINAL.pdf</a>. . Compte tenu de leurs salaires plus faibles, de leur carrière écourtée pour s’occuper de leurs enfants et bien souvent de leur retraite anticipée, les femmes âgées sont exposées à un risque accru de paupérisation 
			(49) 
			AGE Platform, Older
people also suffer because of the crisis, op.
cit. 
			(49) 
			..

7. La crise économique exacerbe les tensions et les discriminations en Europe

67. En temps de crise, et souvent lors des campagnes électorales, quand le besoin de trouver un bouc émissaire se fait sentir, la peur de l’autre et la méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics grandissent. Le discours xénophobe, hostile et discriminatoire joue sur cette peur.
68. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a mis en garde à maintes reprises contre les risques d’une montée du racisme, de la xénophobie et de la discrimination en temps de crise. «Dans ce contexte, les partis politiques extrémistes voient dans les personnes vulnérables, dont les minorités, les émigrés, les réfugiés et les demandeurs d’asile, une menace pour le niveau de vie de la population générale et les rendent responsables de l’augmentation du chômage et de la dette publique 
			(50) 
			Symposium ENAR-OSF
(Réseau européen contre le racisme–Open Society Foundations) intitulé
«Varieties of European racism(s)», Bruxelles, 27 septembre 2012,
allocution de Mutuma Ruteere, Rapporteur spécial des Nations Unies
sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale,
de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée.
69. Le discours de haine au sein de la classe politique et de la population ne vise pas seulement les immigrés et les Roms; on assiste également à des manifestations d’intolérance envers des catégories vulnérables, telles que les personnes handicapées, les femmes ou les personnes âgées. Des tensions exacerbées en période de crise peuvent aussi entraîner une augmentation de la violence. Caritas Grèce a confirmé que la crise a eu pour effet l’augmentation du nombre d’agressions contre des immigrés et des réfugiés 
			(51) 
			Rapport de suivi de
la crise de Caritas Europa pour l’année 2014, The European crisis
and its human cost, a call for fair alternatives and solutions. . La crise économique et l’austérité peuvent alimenter la montée des partis populistes qui rendent les étrangers responsables de la situation. «L’exclusion sociale et l’incertitude quant à l’avenir profitent aux populistes qui prônent l’autosuffisance nationale comme remède à tous les maux. Nous devrions nous inquiéter de la montée en puissance de l’extrême droite en Europe» 
			(52) 
			«Vers la croissance
et un “contrat social” pour l’Europe», Bernadette Ségol, secrétaire
générale de la Confédération européenne des syndicats (CES), OCDE, L’observateur, n° 290-291 Q1-Q2
2012..
70. En Islande, le taux de chômage de la population immigrée atteint 13 %, se situant dès lors au-dessus de la moyenne de la population islandaise. Le secteur d’activité de la plupart des immigrés – à savoir le bâtiment – qui accuse un recul ces dernières années, pourrait être l’une des explications à cela. La méconnaissance de la langue et l’absence de réseaux ont été présentés comme les principales raisons expliquant le faible niveau de participation des immigrés sur le marché de l’emploi. Il importe de noter qu’en raison de la crise économique, le gouvernement islandais a mis fin aux cours d’islandais gratuits qu’il proposait aux immigrés.
71. Au Portugal, bon nombre d’immigrés travaillaient dans le secteur du bâtiment, lourdement touché par la crise dès ses débuts. On ne peut pas dire que le racisme et l’intolérance aient augmenté en raison de la crise au Portugal. Les institutions apportant leur soutien et leur aide aux immigrés, comme le bureau de la haut-commissaire pour l’immigration et le dialogue interculturel, ont toutefois connu une baisse de leur financement qui a eu des répercussions sur leurs activités. Les programmes de sensibilisation aux droits des immigrés et de promotion de la tolérance ont donc subi de sévères restrictions budgétaires. Néanmoins, la haut-commissaire portugaise à l’immigration, Mme Rosário Farmhouse, m’a fait part de l’existence d’un excédent de € 316 millions sur les cotisations sociales des immigrés, ce qui contribue à combattre les préjugés. Il importe selon moi de sensibiliser l’opinion à la valeur ajoutée qu’apportent les immigrés à la société afin de lutter efficacement contre les stéréotypes et le discours de haine.

Etude de cas: Grèce

En Grèce, les manifestations de racisme et de xénophobie semblaient gagner du terrain pendant les années qui ont suivi le début de la crise économique. Des représentants du Forum grec pour les réfugiés ont souligné que le discours de haine contre les migrants s’était amplifié et que la crise économique avait rendu les migrants plus vulnérables. La crise économique n’a pas mis au jour le phénomène du racisme mais a contribué à faire entrer au parlement des forces politiques hostiles aux immigrés.

Plusieurs interlocuteurs ont confirmé que l’attitude de la population et de la police avait évolué ces derniers mois, à la suite de l’assassinat du musicien Pavlos Fyssas par des partisans d’Aube dorée en septembre 2013. La condamnation de plusieurs chefs du parti «Aube Dorée» pour actes de violence racistes a mis en lumière le phénomène et suscité un débat public sur la question. La représentation des migrants dans les médias aurait aussi évolué au cours des derniers mois. Toutefois, les migrants restent méfiants à l’égard des institutions policières et judiciaires et hésitent à porter plainte pour des incidents à caractère raciste.

72. Outre un sentiment anti-immigrés, je souhaiterais également faire part de mon inquiétude quant à la montée du sentiment anti-Roms en Europe. Certains estiment que les fonds destinés à encourager la participation des Roms et leur inclusion dans la société devraient être utilisés à d’autres fins et seraient même discriminatoires vis-à-vis de la population majoritaire 
			(53) 
			Contribution écrite
du Forum européen des Roms et des gens du voyage, reçue le 24 février
2014.. Je ne saurais trop insister sur le fait que la cohésion sociale, pilier fondamental de nos sociétés démocratiques, ne peut exister sans que des efforts soient déployés pour inclure, autant que faire que se peut, tous les groupes.
73. La crise touche plus durement ceux qui sont déjà victimes de discriminations multiples (femmes immigrées, personnes handicapées d’origine immigrée) et menace leur accès aux services de base. Les responsables politiques devraient, autant que possible, contribuer à promouvoir la tolérance et une cohabitation pacifique en expliquant la valeur de l’autre et sa contribution à la société. En tant que responsables politiques, il est de notre responsabilité de rappeler que le racisme est intolérable, quelle que soit la conjoncture économique. J’attends avec impatience d’approfondir cette question avec l’Alliance parlementaire contre la haine.

8. Conclusions et recommandations

74. Ces dernières années, la crise économique et les mesures d’austérité ont sans conteste eu un impact négatif sur l’exercice des droits humains et l’égalité, portant notamment atteinte à l’égalité des chances et réduisant les financements dédiés aux programmes sociaux et aux organismes chargés de l’égalité. Ces mesures ont touché les catégories vulnérables de manière disproportionnée.
75. Nous disposons désormais de suffisamment d’éléments pour analyser les conséquences de la crise économique et des mesures d’austérité et pour réfléchir à ce qui pourrait être amélioré dans notre réponse à la crise de manière à assurer la protection des droits humains et l’égalité. En garantissant la responsabilisation, en investissant dans l’égalité et en œuvrant pour l’inclusion et une approche participative, nous pouvons contribuer à promouvoir une vision de la société fondée sur la solidarité et le respect des droits humains.
76. Avec ce rapport, j’entends promouvoir le concept de l’investissement dans l’égalité comme un moyen de faire face à la crise économique. Les responsables politiques devraient veiller à préserver l’Etat providence, la crise pouvant avoir des répercussions sur le sentiment de solidarité dans la société. M. Steingrímur Sigfússon, ancien ministre islandais des Finances, a souligné lors de son allocution devant l’Assemblée parlementaire le 26 juin 2012 que les structures d’aide sociale devraient être préservées en temps de crise et que les autorités devraient s’efforcer de protéger les personnes ayant de faibles revenus et celles qui sont les plus fragiles. Une société individualiste peut à long terme s’avérer très coûteuse et il pourrait être très coûteux et très long d’avoir à reconstruire un Etat social dans un contexte d’après-crise.
77. La justice sociale peut être bénéfique sur le long terme au plan économique comme au plan social. Le maintien d’un niveau élevé de protection sociale et la lutte contre les inégalités peuvent contribuer à stimuler la croissance et à réduire la pauvreté. Les mesures positives pour la protection des catégories vulnérables et leur participation à la société ne devraient pas être les premières à subir des restrictions mais devraient au contraire être préservées autant que faire se peut de manière à garantir des seuils de protection sociale, la cohésion sociale et éviter une régression des droits sociaux. La crise ne pourra être résolue par des mesures à court terme et doit l’être de manière responsable et dans une perspective à long terme. Les restrictions budgétaires ne devraient pas ignorer les droits humains et l’égalité.
78. Une évaluation de l’impact sur l’égalité et les droits humains procure des données essentielles qui permettent de prendre des décisions éclairées et d’atténuer autant que possible l’impact sur les catégories vulnérables. Les mesures d’austérité devraient intervenir après ce type d’évaluation par les autorités, en coopération avec les institutions nationales des droits de l’homme (INDH).
79. Les INDH peuvent en effet jouer un rôle essentiel et proposer une analyse et des conseils sur la protection des droits des catégories vulnérables de personnes. Je recommande que nous intensifiions notre coopération avec les INDH lesquelles peuvent donner des conseils sur la manière d’éviter un effet disproportionné de la crise sur des groupes spécifiques. Je souhaite mettre en garde contre les effets des coupes dans les budgets de ces institutions, en raison de la crise, qui nuisent à leur capacité d’accomplir leur mission.
80. Les décideurs politiques ont pour responsabilité de garantir que nous avancions vers une Europe des personnes et une Europe des droits. Les parlements doivent à cet égard remplir leur mission de contrôle démocratique et doivent être en première ligne pour défendre les droits humains, promouvoir l’égalité et lutter contre la discrimination, qui plus est dans un contexte de crise et d’après-crise. J’encourage les députés à adopter une approche proactive et à ne pas hésiter à interpeller leurs gouvernements quant aux répercussions des mesures proposées pour faire face à la crise, à solliciter une évaluation de l’impact des mesures d’austérité sur l’égalité et les droits humains et à organiser des débats parlementaires sur la situation des catégories de personnes les plus vulnérables.
81. Evoquons également le rôle des ONG. Le représentant du FMI que j’ai rencontré à Lisbonne a reconnu que «les activités des ONG et le soutien aux personnes les plus vulnérables ne peuvent être que complémentaires du rôle de l’Etat, lequel, dans un modèle classique d’Etat providence européen, sera toujours la première ligne de défense pour répondre aux besoins des personnes les plus vulnérables». Le secteur bénévole peut selon moi jouer un rôle important mais il ne saurait décharger les autorités de leurs responsabilités ni être tenu d’atténuer les effets des politiques gouvernementales.
82. L’austérité peut être parfois nécessaire mais les mesures d’austérité ne sont pas toutes compatibles avec les normes et les valeurs des droits humains. D’après M. Jimena Quesada, les réductions budgétaires, si elles s’avèrent nécessaires, devraient être justifiées et mesurées à l’aune du risque de discrimination et de la vulnérabilité des groupes concernés. M. Angel Gurría, secrétaire général de l’OCDE, a souligné que «lorsque des réductions s’imposent, il est impératif que ces mesures soient prises d’une manière qui ne nuise pas aux perspectives des plus vulnérables ni au bien-être sur le long terme des enfants et des jeunes» 
			(54) 
			«Panorama
de la Société 2014, Les indicateurs sociaux de l’OCDE», <a href='http://www.oecd.org/els/societyataglance.htm'>www.oecd.org/els/societyataglance.htm</a>. . Si l’on continue à appliquer de telles mesures sans examiner au préalable leurs conséquences sociales, sur les droits humains et sur l’égalité, elles mettront inévitablement en péril les normes en matière des droits humains.
83. La crise économique est devenue une crise sociale qui peut avoir des répercussions à long terme sur l’égalité et sur la lutte contre les discriminations. De mon point de vue, la crise ne saurait justifier une diminution des niveaux de protection. Il est donc nécessaire de donner la priorité aux droits humains dans l’affectation de ressources et d’assurer qu’il n’y aura pas de régression des droits, mais aussi de veiller à l’indivisibilité des droits humains et au respect des obligations fondamentales minimales en matière de droits humains, afin d’atténuer l’impact de la crise sur les catégories les plus vulnérables. Notre réponse à la crise économique reflète notre vision de la société, tout autant que notre engagement à protéger l’égalité et à garantir le respect des personnes et de leur travail.