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Résolution 2034 (2015) Version finale

Contestation, pour des raisons substantielles, des pouvoirs non encore ratifiés de la délégation de la Fédération de Russie

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 janvier 2015 (6e séance) (voir Doc. 13685, rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe (commission de suivi), rapporteur: M. Stefan Schennach; et Doc. 13689, avis de la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, rapporteur: M. Hans Franken). Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 2015 (6e séance).

1. Le 26 janvier 2015, les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation russe ont été contestés sur la base des articles 8.1 et 8.2 du Règlement de l’Assemblée parlementaire au motif que le rôle et la participation de la Fédération de Russie dans le conflit qui touche l’est de l’Ukraine, ainsi que le maintien de son annexion illégale de la Crimée, représentent une violation du Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) ainsi que des engagements qu’elle a contractés lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, ce qui, d’une manière générale, remet en cause le respect par la délégation russe des principes de l’Organisation et des obligations imposées à ses Etats membres.
2. L’Assemblée rappelle sa Résolution 1990 (2014) sur le réexamen, pour des raisons substantielles, des pouvoirs déjà ratifiés de la délégation russe. Dans cette résolution, l’Assemblée estimait que l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie ainsi que sa participation et ses actions qui ont conduit à cette annexion constituaient une grave violation du droit international et étaient en contradiction flagrante avec le Statut du Conseil de l’Europe et les engagements contractés par la Russie lors de son adhésion. L’Assemblée a condamné avec force la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Fédération de Russie, considérant que cet acte exigeait de sa part un message fort de désapprobation. En même temps, elle a souligné la nécessité de poursuivre le dialogue avec la Fédération de Russie, y compris au sujet de ses obligations et de son adhésion aux valeurs et aux principes du Conseil de l’Europe. L’Assemblée a donc décidé de ne pas annuler les pouvoirs de la délégation russe mais de suspendre, jusqu’à la fin de la session de 2014, son droit de vote ainsi que son droit d’être représentée au sein du Bureau, du Comité des Présidents et de la Commission permanente de l’Assemblée, et celui de participer à des missions d’observation électorales. En outre, dans cette résolution, l’Assemblée s’est réservé le droit d’annuler les pouvoirs de la délégation russe si la Fédération de Russie n’amorçait pas une désescalade de la situation et ne faisait pas marche arrière sur l’annexion de la Crimée.
3. L’Assemblée condamne l’annexion illégale de la Crimée et la poursuite de son intégration dans la Fédération de Russie. Elle est préoccupée par les déclarations de responsables politiques russes qui laissent manifestement entendre qu’un règlement de cette question conformément au droit et aux principes internationaux ne sera pas possible dans un avenir prévisible. L’Assemblée réaffirme que l’annexion illégale de la Crimée par la Fédération de Russie constitue une violation grave du droit international, dont la Charte des Nations Unies, l’Acte final d’Helsinki de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ainsi que le Statut du Conseil de l’Europe, et des engagements contractés par la Russie lors de son adhésion à cette Organisation.
4. L’Assemblée est vivement préoccupée par la dégradation de la situation des droits de l’homme en Crimée, notamment par la mort et la disparition de militants politiques qui avaient critiqué l’annexion de la Crimée par la Russie. Elle est également inquiète au sujet des menaces et des actions menées contre des organismes de presse indépendants et critiques. A cet égard, l’Assemblée demande instamment aux autorités russes:
4.1. d’annuler l’annexion illégale de la Crimée;
4.2. de mener des enquêtes approfondies et transparentes sur ces morts et disparitions ainsi que sur les allégations d’abus et de violations des droits de l’homme par la police et les forces (para)militaires actives dans cette région;
4.3. de démanteler toutes les forces paramilitaires de la région;
4.4. de s’abstenir de toute pression et de toute menace de fermeture d’organismes de médias indépendants, et de rouvrir l’ATR, la chaîne des Tatars de Crimée.
5. La situation des minorités en Crimée, notamment de la communauté tatare de Crimée, préoccupe vivement l’Assemblée. Cette dernière est consternée par les descentes de police dont ont fait l’objet des organisations et institutions tatares, dont les bureaux du Mejlis (le Conseil des représentants des Tatars de Crimée), ainsi que par l’interdiction d’entrer sur le territoire de la Crimée dont sont frappés les chefs tatars Mustafa Djemilev et Refat Tchoubarov. En outre, l’Assemblée se dit préoccupée par les rumeurs selon lesquelles, en Crimée, l’enseignement serait de moins en moins dispensé en langue ukrainienne. A cet égard, l’Assemblée appelle les autorités russes:
5.1. à s’abstenir de tout harcèlement et de toute pression à l’égard des institutions et organisations tatares de Crimée;
5.2. à permettre le retour en Crimée de MM. Mustafa Djemilev et Refat Tchoubarov, et à les autoriser à circuler librement de part et d’autre de la ligne de démarcation administrative;
5.3. à prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’un enseignement continue d’être dispensé en langue ukrainienne.
6. L’Assemblée se réjouit que, à quelques exceptions près, les civils puissent continuer à circuler librement de part et d’autre de la frontière administrative entre la Crimée et le reste de l’Ukraine. Elle appelle toutes les autorités concernées à s’abstenir de prendre toute mesure injustifiée qui pourrait entraver ou empêcher cette libre circulation des civils.
7. L’Assemblée est vivement préoccupée par les événements survenus dans l’est de l’Ukraine et condamne le rôle joué par la Russie dans l’instigation et l’exacerbation de ces événements, notamment par la fourniture d’armes aux forces insurgées et par la couverture de l’action militaire des troupes russes sur le territoire oriental de l’Ukraine, ce qui constitue une violation grave du droit international, dont le Statut du Conseil de l’Europe ainsi que le Protocole de Minsk auquel la Fédération de Russie est Partie. En outre, l’Assemblée se déclare consternée par la participation d’un grand nombre de «volontaires» russes au conflit dans l’est de l’Ukraine sans que les autorités russes fassent apparemment quoi que ce soit pour mettre fin à cette participation, bien qu’il s’agisse d’une violation du Code pénal de la Fédération de Russie elle-même. L’Assemblée prend note des rapports crédibles faisant état d’enterrement de soldats sur le territoire russe. L’Assemblée condamne la violation de l’intégrité territoriale et des frontières d’un Etat membre du Conseil de l’Europe par la Fédération de Russie. L’Assemblée appelle donc immédiatement la Russie:
7.1. à retirer du territoire ukrainien toutes ses troupes, y compris les forces qu’elle y a déployées clandestinement;
7.2. à s’abstenir de fournir des armes aux forces insurgées;
7.3. à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à l’afflux de «volontaires» russes sur la scène du conflit dans l’est de l’Ukraine;
7.4. à adopter des amendements au Code pénal pour ériger en infraction la participation de civils russes à des conflits armés à l’étranger, même s’ils ne sont pas rémunérés pour leurs interventions;
7.5. à poursuivre en justice, dans toute la mesure permise par le droit russe, tous les citoyens russes qui ont participé à titre de «volontaires» au conflit armé dans l’est de l’Ukraine;
7.6. à apporter sa pleine et entière coopération à l’enquête relative à la destruction de l’appareil de la Malaysia Airlines qui assurait le vol MH17;
7.7. à rendre la loi fédérale sur la défense de la Fédération de Russie conforme à l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) rendu sur cette loi;
7.8. à assurer le contrôle permanent ukrainien et russe de leur frontière commune;
7.9. à libérer tous les otages, prisonniers de guerre et personnes détenues illégalement.
8. Selon l’Assemblée, le conflit en Ukraine orientale ne peut être réglé que par des moyens politiques. Elle se félicite, par conséquent, des Protocole et Mémorandum de Minsk signés par la Fédération de Russie et l’Ukraine ainsi que par les républiques populaires autoproclamées de Donetsk et Louhansk. Mais elle est vivement préoccupée par le fait que la Fédération de Russie nie désormais être Partie aux Protocole et Mémorandum de Minsk, affirmant être un simple observateur. L’Assemblée déplore les violations répétées du cessez-le-feu par toutes les parties au conflit. Elle appelle l’ensemble des signataires à respecter le cessez-le-feu et à appliquer pleinement le Protocole de Minsk. Elle demande en particulier aux autorités russes d’autoriser et d’aider les autorités ukrainiennes à contrôler pleinement, sous supervision internationale, l’ensemble de sa frontière avec la Russie, ce qui est la base de toute solution politique au conflit, comme prévu dans le Protocole de Minsk.
9. L’Assemblée est vivement préoccupée par les nombreux comptes-rendus crédibles faisant état de violations des droits de l’homme, voire de crimes de guerre, commis par des insurgés armés et par des bataillons volontaires qui combattent aux côtés des forces militaires ukrainiennes. A chaque fois que des violations des droits de l’homme et des crimes de guerre commis par leurs ressortissants leur sont signalés, les autorités russes et ukrainiennes se devraient d’ouvrir une enquête approfondie et transparente, et, si les faits sont établis, poursuivre leurs auteurs dans le plein respect de la loi.
10. Soulignant la nécessité d’une solution négociée au conflit, l’Assemblée ne peut que condamner les déclarations faites, le 23 janvier 2015, par le chef rebelle prorusse Alexander Zakharchenko; il a, en effet, affirmé que ses forces ne respecteraient plus d’accord de cessez-le-feu, qui ne les intéresse plus, et décidé de lancer une offensive visant à occuper le reste de la région de Donetsk ainsi que la ville de Marioupol. Une telle initiative représente une grave escalade du conflit dans l’est de l’Ukraine. L’Assemblée condamne également les tirs de roquettes par les forces séparatistes sur la ville de Marioupol, qui ont causé la mort d’au moins trente civils. Elle exhorte la Russie à user de son influence pour s’assurer que les forces rebelles retournent à la table des négociations et adhèrent pleinement à l’accord de cessez-le-feu, comme le prévoit le Protocole de Minsk.
11. L’Assemblée exprime sa vive inquiétude concernant l’incarcération et l’inculpation par la Fédération de Russie de Mme Nadiia Savchenko, qui est à présent membre de l’Assemblée. L’Assemblée estime que son transfert par des insurgés ukrainiens vers la Fédération de Russie et son emprisonnement ultérieur par les autorités russes constituent une violation du droit international que l’on peut qualifier, de facto, d’enlèvement. Elle demande que la Fédération de Russie respecte ses obligations de droit international, en tant que Partie à l’Accord général sur les privilèges et immunités du Conseil de l'Europe (STE n° 2) et son protocole, en vertu desquels Mme Nadiia Savchenko, membre de l’Assemblée parlementaire, jouit de l’immunité parlementaire européenne. L’Assemblée appelle les autorités russes à libérer Mme Savchenko dans les vingt-quatre heures et à garantir son retour en Ukraine, ou à la remettre à un pays tiers.
12. Les actions de la Russie en Ukraine démontrent son manque de volonté d’honorer les engagements contractés lors de son adhésion s’agissant de ses relations avec les pays voisins. L’Assemblée invite, par conséquent, les autorités russes à dissiper ces inquiétudes:
12.1. en appliquant la Résolution 1633 (2008) sur les conséquences de la guerre entre la Géorgie et la Russie, la Résolution 1647 (2009) sur la mise en œuvre de la Résolution 1633 et la Résolution 1683 (2009) sur la guerre entre la Géorgie et la Russie: un an après; en cessant le nettoyage ethnique et l’occupation des provinces géorgiennes de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, et en autorisant l’accès d’observateurs de l’Union européenne à ces régions;
12.2. en éliminant tous les obstacles à la libre circulation des civils de part et d’autre des lignes de démarcation administratives entre l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, et le reste de la Géorgie;
12.3. en honorant sans tarder l’engagement contracté lors de son adhésion de retirer la XIVe armée et son équipement du territoire de la République de Moldova;
12.4. en mettant en œuvre rapidement l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Catan et autres c. Moldova et Russie concernant le droit à l’éducation dans des établissements scolaires utilisant l’alphabet latin en Transnistrie et en s’abstenant de boycotter les produits moldoves dans le but d’influencer indûment les choix de politique étrangère de la République de Moldova;
12.5. en maintenant son engagement constructif au sein du Groupe de Minsk de l’OSCE afin de trouver une solution pacifique au conflit du Haut‑Karabakh et en suspendant les ventes d’armes offensives à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan jusqu’au règlement de ce conflit.
13. De l’avis de l’Assemblée, aucune solution ne pourra être trouvée au conflit ukrainien sans la pleine participation et la volonté politique correspondante de la Fédération de Russie. Aussi la Fédération de Russie doit-elle engager un véritable dialogue avec l’Assemblée sur cette question, ainsi que sur le respect de ses engagements et obligations à l’égard du Conseil de l’Europe. Pour autant, l’Assemblée tient à souligner qu’un tel dialogue n’est possible qu’à la condition que les autorités russes acceptent de participer, en toute bonne foi et sans condition préalable, à un dialogue constructif et ouvert avec l’Assemblée, y compris sur des points à propos desquels les vues de l’Assemblée et de la Russie divergent. Si la Douma a, au grand regret de l’Assemblée, rejeté dans un premier temps la proposition d’un tel dialogue qui avait été formulée dans la Résolution 1990 (2014), des signes clairs montrent que la Douma est à présent prête à l’accepter.
14. Afin de favoriser le dialogue avec la Fédération de Russie, l’Assemblée décide, pour l’instant, de ratifier les pouvoirs de la délégation russe. Mais, dans le même temps, soucieuse d’exprimer clairement qu’elle condamne la poursuite des graves violations du droit international commises par la Fédération de Russie en Ukraine, notamment à l’égard du Statut du Conseil de l’Europe et des engagements pris par la Russie au moment de son adhésion à l’Organisation, elle décide de suspendre les droits suivants des membres de la délégation russe pour la durée de la session 2015 de l’Assemblée:
14.1. le droit d’être désigné comme rapporteur;
14.2. le droit d’être membre d’une commission ad hoc d’observation des élections;
14.3. le droit de représenter l’Assemblée dans les instances du Conseil de l’Europe ainsi qu’auprès d’institutions et d’organisations extérieures, tant au niveau institutionnel qu’à titre occasionnel.
15. Outre les sanctions énoncées aux paragraphes 14.1 à 14.3, l’Assemblée décide de suspendre les droits de vote et de représentation au Bureau de l’Assemblée, au Comité des Présidents et à la Commission permanente de la délégation russe auprès de l’Assemblée. Elle décide toutefois de réexaminer cette question en vue de rétablir ces deux droits lors de sa partie de session d’avril 2015, s’il devait s’avérer que la Russie a fait des progrès tangibles et mesurables pour donner suite aux exigences formulées par l’Assemblée aux paragraphes 4.1 à 4.4, 5.1 à 5.3, 7.1 à 7.9, 11 et 12.1 à 12.4 de la présente résolution, et qu’elle a apporté sa pleine et entière coopération au groupe de travail mentionné au paragraphe 17 de cette résolution.
16. L’Assemblée décide d’annuler les pouvoirs de la délégation russe lors de sa partie de session de juin 2015 si aucun progrès n’est constaté pour ce qui concerne la mise en œuvre du Protocole et du Mémorandum de Minsk ainsi que les demandes et recommandations de l’Assemblée qui figurent dans la présente résolution, en particulier celles relatives au retrait immédiat des troupes russes de l’est de l’Ukraine.
17. L’Assemblée invite le Bureau de l’Assemblée à envisager d’instituer, dans l’attente de l’accord des parlements concernés, un groupe de travail spécial auxquels participeraient les Présidents de la Douma russe et de la Verkhovna Rada ukrainienne, ou leurs représentants, groupe qui serait chargé de contribuer à la mise en œuvre de toutes les propositions figurant dans la présente résolution et de proposer d’éventuelles initiatives supplémentaires de l’Assemblée parlementaire pour favoriser l’application du Protocole de Minsk.