1. Introduction
1. Le 10 octobre 2012, mon collègue, M. Alexey Pushkov,
et plusieurs autres membres de l’Assemblée parlementaire ont déposé
une proposition de résolution intitulée «L’utilisation abusive,
par les services sociaux des Etats membres du Conseil de l’Europe,
de leur pouvoir de retirer des enfants à leurs parents» (
Doc. 13054). Cette proposition concernait les inquiétudes suscitées
par le fait que les services sociaux interprétaient de plus en plus
souvent de manière excessivement large leur droit de retirer à des
parents la garde le leurs enfants. Selon la proposition, cette mesure
était souvent appliquée à des enfants de familles immigrées. Les auteurs
de la proposition ont donc invité l’Assemblée à mener une analyse
approfondie de ces cas et à prendre des mesures afin de «protéger
réellement les droits des enfants et des familles dans lesquelles
ils vivent».
2. La proposition a été adressée à notre commission pour rapport
(et à la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
pour avis). J’ai été nommée rapporteure le 24 janvier 2013 et, le
19 mars 2013, la commission des questions juridiques a désigné M. Volodymyr
Pylypenko (Ukraine, SOC) rapporteur pour avis. A ma suggestion,
notre commission a modifié le titre du rapport pour le rendre plus
«neutre», à l’occasion de sa réunion à Berlin le 15 mars 2013.
3. Ce qui m’intéresse ici est plutôt d’étudier la législation
et la pratique des décisions de retrait d’enfants à leur famille
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe afin de déterminer:
- s’il y a eu une augmentation
des décisions de retrait injustifiées ces dernières années;
- s’il existe des constantes dans ces décisions: les parents
immigrés, les parents appartenant à des minorités nationales ou
religieuses ou les parents issus d’un milieu socio-économique défavorisé
sont-ils disproportionnellement victimes de telles décisions injustifiées
de retrait;
- comment les législations nationales et leurs textes d’application
pourraient-ils être améliorés pour que les services sociaux prennent
de meilleures décisions;
- s’il y a, dans certains Etats membres, des bonnes pratiques
qui pourraient être utiles aux autres Etats membres.
4. Après l’examen de mon schéma de rapport en commission, j’ai
effectué trois visites d’information dont j’ai rendu compte oralement
à la commission à l’issue de chacune d’entre elles: en Finlande
(13-14 juin 2013), en Roumanie (14-15 octobre 2013) et au Royaume-Uni
(10-11 février 2014). Je tiens à remercier les délégations nationales
et les membres de leurs secrétariats d’avoir facilité mes visites
d’information, qui m’ont beaucoup aidé à élaborer le présent rapport.
5. Afin d’obtenir des informations sur un maximum d’Etats membres,
le Secrétariat a diffusé, à l’automne 2013, une enquête sur la législation
et les pratiques en matière de retrait d’enfants à leur famille,
par l’intermédiaire du réseau du Centre européen pour la recherche
et la documentation parlementaires (CERDP). Au 24 janvier 2014,
30 réponses avaient été reçues des parlements de 29 Etats membres
et d’un parlement observateur
.
Une analyse quantitative et qualitative des réponses a été présentée
à la commission en janvier et en avril 2014.
6. Enfin, pendant la partie de session d’avril 2014, la commission
a organisé une audition jointe avec la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme sur la question
avec la participation
de deux éminents experts, Mme Karen Reid,
Greffière de la section de filtrage de la Cour européenne des droits
de l'homme et Mme Maria Herczog, rapporteure
du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.
7. Je saisis également cette occasion pour souligner qu’il s’agit
d’un rapport général, qui n’est dirigé contre les services sociaux
d’aucun Etat membre, visité ou non. Cependant, afin de rendre certaines
tendances visibles, j’ai utilisé l’information collectée lors de
mes visites, à partir des réponses au questionnaire CERDP et des
documents du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies et
des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.
2. Exposé
des principaux enjeux
8. Retirer un enfant à sa famille constitue une décision
difficile à prendre pour les services sociaux des Etats membres
du Conseil de l’Europe, cela pour des raisons évidentes: si les
services sociaux ne prennent pas cette décision lorsqu’elle est
nécessaire, l’enfant peut subir un préjudice grave et ses droits
les plus fondamentaux peuvent être violés. Cependant, si les services
sociaux prennent cette décision alors qu’elle est inutile, cela
peut aussi être préjudiciable à l’enfant et porter atteinte à ses
droits – ainsi qu’aux droits de ses parents. Dans la mesure où la
décision de placer un enfant fait normalement l’objet d’une décision
de justice et/ou d’un contrôle juridictionnel, pratiquement toutes
les affaires sont, au final, tranchées devant les tribunaux; les
décisions de justice donnent souvent lieu à un recours devant la
plus haute juridiction du pays et certaines ont été portées devant
la Cour européenne des droits de l’homme
.
Mais c’est néanmoins la décision initiale de retrait qui est extrêmement
importante: une fois qu’un enfant a été retiré à sa famille, même
si le retrait s’avère injustifié, il est souvent difficile
,
voire impossible
, de réparer le mal qui a été
fait.
9. La difficulté essentielle réside dans le fait que si certaines
affaires sont faciles à trancher, beaucoup ne le sont pas. Bien
que le processus décisionnel soit souvent minutieusement réglementé
par la loi (et par les textes d’application), il peut aussi être
influencé par l’émotion, par exemple lorsqu’un autre enfant est
mort ou a été grièvement blessé en raison d’un manque de protection
des services sociaux et que l’affaire a fait l’objet d’une large
couverture médiatique. Dans ce cas, les services sociaux peuvent
pécher par excès de prudence. En outre, même s’ils sont bien formés,
compétents et professionnels, les travailleurs sociaux ne sont que
des êtres humains: ils peuvent eux aussi être victimes de préjugés,
ce qui peut influer sur leur décision de retirer un enfant de la
garde de son ou ses parents s’ils ne correspondent pas au schéma
«normal»: parents immigrés, appartenant à des minorités nationales,
d’un milieu socio-économique défavorisé, d’une religion différente,
etc
.
3. La situation juridique
3.1. Au niveau international
10. La situation juridique est relativement claire sur
le plan du droit international, qui se fonde sur la Convention des
Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989, dont l’article
3.1 dispose:
«Dans toutes les
décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux,
des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt
supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.»
11. Comme l’indique l’article 24.3 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne, «[t]out enfant a le droit d’entretenir régulièrement
des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents,
sauf si cela est contraire à son intérêt».
12. La Cour européenne des droits de l’homme, fondée sur la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5),
a bien résumé la situation juridique dans l’affaire
Neulinger et Shuruk c. Suisse (arrêt
du 6 juillet 2010)
:
«134. Dans ce domaine, le point
décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre
les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux
parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites
de la marge d’appréciation dont jouissent les Etats en la matière
(…), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de
l’enfant doit constituer la considération déterminante (…). L’intérêt
supérieur de l’enfant peut, selon sa nature et sa gravité, l’emporter
sur celui des parents (…) L’intérêt de ces derniers, notamment à
bénéficier d’un contact régulier avec l’enfant, reste néanmoins
un facteur dans la balance des différents intérêts en jeu (…)
L’intérêt de l’enfant présente un double aspect. D’une
part, il prévoit que les liens entre lui et sa famille soient maintenus,
sauf dans les cas où celle-ci se serait montrée particulièrement
indigne. En conséquence, seules des circonstances tout à fait exceptionnelles
peuvent en principe conduire à une rupture du lien familial et tout
doit être mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles
et, le cas échéant, le moment venu, “reconstituer” la famille (…)
D’autre part, il est certain que garantir à l’enfant une évolution
dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article
8 ne saurait autoriser un parent à prendre des mesures préjudiciables
à la santé et au développement de son enfant (…).»
13. La Cour note qu’il existe actuellement un large consensus
– y compris en droit international – autour de l’idée que, dans
toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur
doit primer. Le concept d’«intérêt supérieur de l’enfant» est un
élément central de toutes les recommandations et de tous les traités internationaux
et européens. Cependant, l’application de ce concept dans la pratique
est une source d’inquiétude, comme le Comité des droits de l’enfant
des Nations Unies l’a fréquemment déploré dans ses rapports. Ce
concept est aussi l’un des concepts le plus largement mal utilisé
ce qui l’a conduit à publier,
l’an dernier, l’«Observation générale n° 14 (2013) sur le droit
de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération
primordiale (article 3, paragraphe 1)
».
14. Il me semble utile de citer ici les paragraphes essentiels
de cette observation générale, dans la mesure où ils portent sur
le retrait et le placement des enfants:
«60. La prévention de la séparation de la famille et la
préservation de l’unité familiale, qui sont des pans importants
du système de protection de l’enfance, ont pour fondement le droit
énoncé au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention, aux termes
duquel “l’enfant [n’est] pas séparé de ses parents contre leur gré,
à moins que (…) cette séparation [soit] nécessaire dans l’intérêt
supérieur de l’enfant”. En outre, l’enfant séparé de ses deux parents
ou de l’un d’eux a le droit “d’entretenir régulièrement des relations personnelles
et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est
contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant” (article 9, paragraphe
3). …
Vu la gravité des répercussions d’une séparation d’avec
ses parents pour un enfant, cette mesure ne devrait être prise qu’en
dernier ressort, par exemple si l’enfant est exposé à un risque
imminent de préjudice ou pour toute autre raison impérieuse; la
séparation ne devrait pas intervenir si une mesure moins intrusive
permet de protéger l’enfant. L’Etat doit, avant d’opter pour la
séparation, aider les parents à exercer leurs responsabilités parentales
et restaurer ou renforcer l’aptitude de la famille à s’occuper de
l’enfant, à moins que la séparation ne soit indispensable pour protéger
l’enfant. Des raisons économiques ne sauraient justifier la séparation
d’un enfant d’avec ses parents. (…)
De même, un enfant ne doit pas être séparé de ses parents
en raison de son handicap ou du handicap de ses parents. La séparation
ne peut être envisagée que dans les seuls cas où l’assistance dont
la famille a besoin pour préserver son unité ne permet pas de prévenir
tout risque de négligence ou d’abandon de l’enfant ou tout risque
pour sa sécurité.
En cas de séparation, l’Etat est tenu de s’assurer que
la situation de l’enfant et de sa famille a été évaluée, si possible,
par une équipe pluridisciplinaire de professionnels dûment formés
et avec la participation de l’autorité judiciaire, conformément
à l’article 9 de la Convention, et qu’aucune autre solution ne peut
répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Si la séparation est nécessaire, les décisionnaires doivent
veiller à ce que l’enfant maintienne ses liens et relations avec
ses parents et sa famille (fratrie, parentèle, personnes avec lesquelles
l’enfant à une solide relation personnelle), à moins que ce ne soit
contraire à son intérêt supérieur. La qualité des relations et la
nécessité de les maintenir doivent être prises en considération
dans les décisions concernant la fréquence et la durée des visites
et autres contacts lorsque l’enfant est placé hors de sa famille.»
15. Lors de la 18e réunion du Réseau
des parlementaires de référence de l’Assemblée parlementaire contre la
violence sexuelle à l'égard des enfants, tenue à Nicosie (Chypre)
le 13 mai 2014, M. Antonios St. Stylianou, Directeur de la UNic
Law Clinic, Université de Nicosie, membre du Conseil consultatif
supérieur de «Hope for Children», Centre national du Comité sur
les droits de l’enfant des Nations Unies, a judicieusement fait observer
qu’il fallait «adopter des approches globales fondées sur les principes
suivants: d’une part, l’appréciation par un adulte de l’intérêt
supérieur de l’enfant ne [pouvait] pas primer sur l’obligation de
respecter tous les autres droits de l’enfant au titre de la Convention
et, d’autre part, nul ne [pouvait] faire une interprétation négative
de l’intérêt supérieur de l’enfant
».
16. A cet égard, je souhaiterais faire référence à l’arrêt rendu
par la Cour européenne des droits de l'homme en l’affaire Wallová et Walla c. République tchèque (du
26 octobre 2006). Dans cet arrêt, la Cour a indiqué très clairement
que les enfants n’auraient pas dû être séparés de leur famille au
seul motif que celle-ci occupait un logement inadéquat pour une
famille nombreuse, car les autorités auraient pu prendre d’autres
mesures, moins radicales, pour garantir le respect de l’intérêt
supérieur de ces enfants.
3.2. Au niveau national
17. La législation nationale dans la plupart des pays
du Conseil de l’Europe est conforme au droit international. Le processus
décisionnel est souvent régulé par la loi dans les moindres détails
(et mis en œuvre par des lignes directrices).
18. Par conséquent, pour que les services sociaux puissent prendre
la décision de retirer un enfant à sa famille, la barre est généralement
placée très haut dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe,
et il faut habituellement qu’entre en jeu la notion de préjudice
grave. Dans la majorité des pays ayant répondu au questionnaire
(20), les décisions de retrait sont prises si l’enfant a subi, est
en danger de subir, ou de subir de manière imminente, un préjudice
grave (le libellé exact pouvant toutefois varier d’un pays à l’autre).
19. La notion de préjudice grave diffère d’un Etat à l’autre et
elle a souvent évolué avec le temps pour finir par englober non
pas seulement la maltraitance physique, mais aussi la maltraitance
sexuelle, affective ou psychologique. Certains pays ajoutent d’autres
motifs possibles tels que la «violence économique», la commission
d’une infraction pénale par l’enfant, l’usage par celui-ci de stupéfiants
ou d’autres substances toxiques ou l’incapacité pour les parents
de contrôler leur enfant.
20. Pratiquement dans tous les cas, la dernière décision de placer
un enfant est au final, tranchée devant les tribunaux.
21. Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe,
ce sont les services sociaux compétents qui prennent la décision
initiale de retirer un enfant à sa famille (notamment lorsqu’ils
estiment qu’il est en danger immédiat), ou qui demandent à la juridiction
compétente de prendre ce type de décision.
22. Dans la plupart des pays, les services sociaux et les tribunaux
travaillent main dans la main en ce qui concerne les décisions de
retrait, et souvent, une ordonnance de justice sera ou non nécessaire
en fonction des circonstances, par exemple dans le cas où les parents
consentent à ce que l’enfant leur soit retiré.
4. Présentation sommaire
des faits et des chiffres
23. Le nombre d’enfants placés est très variable d’un
pays à l’autre. Sur les 30 réponses au questionnaire reçues, seul
un pays n’a pas pu fournir de statistiques (et un autre ne dispose
pas de statistiques officielles au niveau national). Etant donné
que de nombreuses réponses n’indiquent que des totaux (et non des pourcentages
par rapport au nombre d’enfants dans le pays), il est parfois difficile
de savoir si le nombre d’enfants placés est faible, moyen ou élevé.
De même, les statistiques communiquées concernaient parfois le nombre
total d’enfants placés, et parfois le nombre de nouveaux enfants
placés pour l’année considérée.
24. La Slovénie est un cas à part, puisque les droits parentaux
d’un ou des deux parents n’y sont que très rarement retirés ou restreints
. Selon les réponses données
au questionnaire, les autres pays se situant dans le bas du classement
(moins de 0,5 % d’enfants placés) sont l’Andorre, Chypre, l’Estonie,
la Géorgie, la Grèce, le Luxembourg, le Monténégro, la Norvège,
la Serbie et la Turquie.
25. Au milieu du classement (entre 0,5 % et 0,8 % d’enfants placés)
figurent l’Autriche, la Croatie, l’Espagne, la Lettonie, le Royaume-Uni,
la Suède, la Suisse et le Canada (un Etat observateur dont le Parlement
a le statut d’observateur auprès de l’Assemblée).
26. Dans le haut du classement, avec entre 0,8 % et 1,66 % d’enfants
placés, nous trouvons l’Allemagne, la Finlande, la France, la Hongrie,
la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie et la Russie.
27. Les évolutions ne sont pas les mêmes dans les différents pays:
si le nombre d’enfants placés a diminué de manière assez spectaculaire
en Estonie (de plus de deux tiers durant la décennie 2002-2012),
en Roumanie (de plus de la moitié depuis la chute du communisme)
et en Turquie (de près de la moitié entre 2008 et 2012), il a augmenté
en Allemagne (39 400 enfants âgés de 3 à 18 ans ont été placés en
2012) et en Hongrie (où le nombre d’enfants placés a triplé depuis
1998).
28. Peu de pays disposent de statistiques indiquant si les enfants
placés appartiennent à des minorités ethniques ou religieuses ou
sont issus de l’immigration et quelle est leur situation socio-économique.
En Andorre, environ la moitié des enfants placés sont d’origine
immigrée, et la plupart viennent de milieux défavorisés. En Finlande,
il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre d’enfants
issus de minorités ou de l’immigration ayant fait l’objet d’un placement,
ou sur la situation socio-économique de leur famille. Cependant,
d’après des données fournies par des experts, il semble que les
enfants de familles issues de l’immigration ne soient pas surreprésentés.
En revanche, la majorité des parents auxquels les enfants ont été retirés
se trouvent dans une situation socio-économique défavorisée et les
familles divorcées et les parents isolés sont surreprésentés
.
29. En Allemagne, entre 17,5 % et 26,7 % des enfants placés ces
dernières années n’étaient pas de nationalité allemande (en comparaison,
la population étrangère d’Allemagne – ne possédant pas la citoyenneté
allemande – représente moins de 9 % de la population). En Norvège,
les enfants nés en Norvège de parents immigrés sont ceux qui ont
le taux le plus faible de placement (0,6 %), contre 0,74 % pour
les enfants n’étant pas issus de l’immigration et 1,93 % pour les
enfants immigrés. La Roumanie ne recueille pas de statistiques sur
le statut des enfants placés, mais selon les organisations non gouvernementales
(ONG) que j’ai rencontrées, près de 70 % d’entre eux étaient issus
de la minorité rom. En revanche, le Royaume-Uni dispose de données
détaillées sur l’origine ethnique des enfants placés: les enfants
«noirs» ou «métis» sont surreprésentés parmi les enfants placés
(quatre fois plus nombreux) tandis que les enfants originaires d’Inde, du
Pakistan et du Bangladesh sont trois fois moins nombreux.
30. Les 30 pays ayant répondu au questionnaire ont confirmé que
l’enfant était entendu avant toute prise de décision de retrait.
La plupart des pays tiennent compte de la maturité et des capacités
de discernement de l’enfant, mais certains ont fixé des limites
d’âge légales à partir duquel l’enfant est entendu.
31. Dans la majorité des pays, aussi bien les enfants que les
parents jouissent d’un droit de recours auprès des juridictions
compétentes. Ce droit n’est pas accordé aux enfants dans six Etats:
l’Allemagne, l’Estonie, l’Italie, la Lituanie, la Pologne et la
Serbie (avec toutefois des exceptions)
. Dans certains Etats, les enfants (et
parfois les parents) peuvent s’adresser à d’autres instances que
les tribunaux, par exemple le Commissaire aux droits de l’enfant.
32. Dans la plupart des pays, les enfants sont confiés à des membres
de la famille, à des familles d’accueil, à des institutions ou à
l’adoption (bien que d’autres solutions aient aussi été mentionnées,
comme les foyers ou la possibilité pour les adolescents de vivre
seuls) et les pourcentages varient largement d’un pays à l’autre. Ainsi,
le pourcentage d’enfants confiés à des membres de la famille peut
aller de 3 % (Finlande) ou 5 % (Suède, Royaume-Uni), à 63 % en Lettonie
ou à 75 % au Portugal. Les familles d’accueil prennent en charge 0,5 %
des enfants au Portugal et 10 % en Estonie, mais plus de 50 % en
France et en Espagne, 69 % en Norvège et 75 % au Royaume-Uni. Les
institutions accueillent 10 % des enfants en Norvège, au Portugal
et au Royaume-Uni, et un peu plus de 50 % en Hongrie et en Suède.
33. Les pourcentages d’enfants retirés puis adoptés sont de 1,5 %
au Portugal, 4 % en Estonie, 5 % au Royaume-Uni (soit 3 350 enfants),
9 % en Croatie et en Hongrie et peuvent aller jusqu’à 20 % en Andorre
(soit quatre enfants).
34. En Autriche, il n’est pas possible d’adopter un enfant venant
d’être retiré à sa famille et aucune adoption de ce type n’a été
signalée en Finlande (où le retrait des droits parentaux est impossible)
et en Lituanie. La Norvège mentionne très peu d’adoptions (par des
parents nourriciers).
35. Les adoptions sans l’accord des parents ne sont pas possibles
en France, en Grèce, au Luxembourg et en Espagne. Elles sont rares
(pratiquées seulement à titre exceptionnel) à Chypre, en Lituanie,
aux Pays-Bas, en Roumanie, en Serbie, en Suisse et au Canada. Dans
certains pays qui proscrivent les adoptions sans le consentement
des parents (par exemple en Russie), l’enfant peut être confié pour
être adopté si ses parents sont inconnus, se trouvent dans l’incapacité
juridique ou reconnus disparus par une cour. Elles sont possibles en
Allemagne (en 2010, 250 enfants ont été confiés à l’adoption sans
le consentement des parents), dans la Principauté d’Andorre, en
Croatie, en Estonie, en Géorgie, en Hongrie, en Italie, au Monténégro,
en Norvège, en Pologne, au Portugal, en Slovénie, en Suède, en Turquie
et au Royaume-Uni (en 2013, 3 020 enfants ont été confiés à l’adoption
sans le consentement des parents)
36. Vingt-et-un pays ne disposent pas de statistiques sur le taux
de retours réussis des enfants dans leur famille d’origine. En Estonie,
10 % des enfants retirés à leur famille en 2012 l’ont retrouvée
la même année. En Croatie, le taux de retours réussis était de 18 %,
en Allemagne de 53 %, en Grèce de 70 %, en Andorre de 71 % et au
Portugal de plus de 90 %. En Roumanie, près de 4 300 enfants ont
été rendus à leur famille en 2012. En Autriche, sur le pourcentage
d’enfants rendus à leur famille en 2012, 60 % étaient placés depuis moins
de 12 mois et 10 % depuis plus de cinq ans. En Russie, le nombre
de parents dont les droits parentaux ont été restitués a augmenté
de 1,4 fois au cours des cinq dernières années (ils étaient 2 256
en 2012).
37. La plupart des pays exigent des travailleurs sociaux chargés
des cas de retrait d’enfants qu’ils aient effectué trois à quatre
années d’études universitaires et obtenu un diplôme dans des disciplines
telles que «l’action sociale», «l’éducation sociale», «la protection
sociale» ou la psychologie. Les pays suivants exigent également
au moins une année d’expérience professionnelle en plus: la Géorgie,
la Grèce, la Lituanie, la Slovénie et la Suède. Dans la Principauté
d’Andorre, en Italie, au Luxembourg et au Royaume-Uni, des équipes
pluridisciplinaires sont constituées pour remplir ce type de fonctions.
38. Il est à noter que l’analyse des faits et chiffres est difficile
du fait de l’hétérogénéité et de l’ambiguïté des données statistiques,
du manque de correspondance terminologique (y compris pour la terminologie
juridique) et du manque de données sur l’annulation de décisions
de retirer un enfant de sa famille. Par conséquent, il ne semble
pas possible d’estimer le nombre des décisions de retrait justifiées
ou injustifiées.
5. Problèmes rencontrés
dans la pratique
39. J’expliquerai dans les prochains chapitres pourquoi
il est si important que le principe de l’«intérêt supérieur de l’enfant»
soit appliqué de telle manière que non seulement les lois et les
règlements, mais aussi les acteurs de terrain (par exemple les services
sociaux) fassent véritablement primer l’intérêt supérieur de l’enfant
dans les décisions de retrait, de placement et de retour.
5.1. Manque de soutien
aux familles
40. De nombreuses circonstances peuvent rendre difficile
pour des parents de répondre au besoin qu’a un enfant d’être élevé,
reconnu, rendu autonome et structuré, lorsque, en principe, ils
aimeraient être de bons parents. Ces circonstances peuvent être
d’ordre personnel, comme l’alcoolisme, la toxicomanie ou les problèmes
psychologiques (voire «la fatigue parentale», selon l’un de nos
interlocuteurs), mais aussi d’ordre socio-économique, comme la pauvreté
extrême (qui peut résulter de facteurs sur lesquels les parents
n’ont aucun contrôle, tels que le chômage et la discrimination).
5.1.1. Les problèmes personnels
41. La Recommandation CM/Rec(2011)12 du Comité des Ministres
sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés aux enfants
et aux familles, dans son annexe C sur «Le droit de l’enfant à la
protection», dispose que:
«1.
Les services sociaux pour les enfants et les familles devraient
assurer la protection des enfants contre toutes les formes de négligence,
d’abus, de violence et d’exploitation par des mesures préventives
ainsi que des interventions appropriées et efficaces. Ils devraient
avoir pour but de préserver l’unité et la force de la famille, et
notamment des familles confrontées à des difficultés.
2. En cas de mauvais traitements et d’actes de négligence,
une intervention de soutien appropriée est nécessaire afin d’éviter
la séparation de la famille (...)»
42. Conformément à cette recommandation, il faudrait davantage
aider les parents à faire face à leurs problèmes psychologiques,
à l’alcoolisme ou à la toxicomanie.
43. Les nouveaux parents (en particulier les jeunes parents ou
les familles monoparentales) devraient bénéficier d’une aide très
tôt afin de développer de meilleures techniques éducatives – l’Allemagne,
qui a mis en place un dispositif d’«aides familiaux», dans le cadre
duquel des professionnels formés aident les familles à risque à
adopter une routine quotidienne, pourrait partager ses bonnes pratiques
en la matière. En effet, il est également très important de continuer
à soutenir les familles pendant qu’un enfant est placé, afin d’accroître
les chances que son retour dans sa famille soit réussi.
44. Pendant ma visite au Royaume-Uni, j’ai été informée d’un problème
particulier, qui pourrait cependant se poser également dans de nombreux
autres pays: de nombreuses mères victimes de violences domestiques semblent
être doublement pénalisées par le système de protection de l’enfance,
dans la mesure où l’enfant qui a été témoin de violences (ou de
menaces de violences) domestiques est considéré comme victime de violence
psychologique et, par conséquent, d’un préjudice important. Cela
signifie que, si la mère n’a nulle part où se tourner, son enfant
peut lui être retiré. C’est un problème qui ne devrait pas être
sous-estimé, car du fait de l’impact de la crise et des mesures
d’austérité appliquées aux services sociaux, de plus en plus de
mères se trouvent aujourd’hui piégées dans une relation violente
(avec la fermeture des foyers) et craignent de signaler les violences
domestiques de peur que leurs enfants leur soient retirés.
45. De même, des mères souffrant de grave dépression postnatale
peuvent apparemment se voir retirer leurs enfants de manière permanente,
alors qu’elles pourraient se remettre relativement rapidement et
être à même de bien élever leurs enfants si elles étaient soignées.
46. Je pense que les parents isolés ont tout particulièrement
besoin d’être davantage soutenus afin de leur éviter des situations
où il devient nécessaire, dans l’intérêt supérieur de l’enfant,
de leur en retirer la garde.
47. Bien entendu, il existe malheureusement aussi des parents
qui maltraitent volontairement (et criminellement) leurs enfants
en se montrant notamment violents ou négligents, auquel cas le retrait
de l’enfant à sa famille – y compris de manière permanente – est
évidemment dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
5.1.2. Les problèmes économiques
48. La Résolution de l’Assemblée générale des Nations
Unies, A/RES/64/142 «les Lignes directrices sur les soins alternatifs»,
a souligné dans son paragraphe 15 que «la pauvreté financière ou
matérielle, ou des conditions uniquement et exclusivement imputables
à cet état de pauvreté, ne devraient jamais servir de justification
pour retirer un enfant à la garde de ses parents», mais «devraient
plutôt être interprétées comme un signe qu’il convient d’apporter
une assistance appropriée à la famille». La Recommandation CM/Rec(2011)12
contient des dispositions similaires
.
49. Dans ce contexte, je souhaiterais évoquer l’expérience roumaine.
En Roumanie, le principal motif de placement des enfants semble
être la pauvreté (il y avait un consensus à ce sujet: c’était, en
effet, l’avis du ministre, du médiateur des enfants, des parlementaires
et des ONG). Dans la région que j’ai visitée, à 120 km de Bucarest,
le principal motif de retrait était la négligence, due à une grande
pauvreté. Nous parlons ici d’extrême pauvreté: des enfants qui appellent
les services d’assistance téléphonique mis en place à leur intention
parce qu’il n’y a pas assez à manger à la maison. La pauvreté peut
être très extrême dans les zones rurales (également par manque de
services). Les familles roms, en particulier, sont très durement
touchées, notamment du fait de leurs mauvaises conditions de logement
et du chômage.
50. A cet égard, tous mes interlocuteurs ont évoqué le phénomène
des enfants abandonnés: 300 000 parents roumains sont partis travailler
à l’étranger, et auraient totalement abandonné à leur sort plus
de 100 000 enfants, les autres ayant été confiés à l’un des parents,
aux grands-parents ou à des amis de la famille qui ne peuvent pas
tout apporter aux enfants. C’est un problème grave qui peut aussi
être observé dans d’autres pays de l’Europe de l’est et qui devrait
être traité avec toute l’attention nécessaire.
51. Je tiens également à attirer l’attention sur les effets d’une
éventuelle discrimination multiple: la capacité des parents à veiller
au bien-être de leurs enfants sur le plan économique peut être affectée
par le chômage ou l’absence de logement, qui peuvent eux-mêmes résulter
d’une discrimination fondée sur leur appartenance à une minorité
ethnique comme celle des Roms, laquelle peut à son tour favoriser
le développement de problèmes personnels comme la toxicomanie, la
négligence, etc.
52. Placer les enfants des familles en situation d’extrême pauvreté
n’est pas la bonne solution. En effet, la bonne solution est d’apporter
un meilleur soutien et de meilleurs services à ces familles, notamment
un soutien financier et matériel. Dans un pays comme la Roumanie,
qui a été gravement touché par la crise financière et économique,
c’est bien entendu plus facile à dire qu’à faire – bien que le coût
d’un placement convenable soit certainement supérieur à celui d’un
meilleur soutien aux familles. Davantage d’efforts doivent être
faits en ce sens: comme l’a fait observer le juge auquel j’ai parlé,
l’amour est un lien très fort, et de nombreux enfants préfèrent
avoir faim que d’être séparés de leur famille.
53. Je pense que l’Etat devrait avoir pour obligation première
de veiller à ce qu'aucun enfant n’ait faim, par exemple en instituant
un programme de «bons d’alimentation» et en offrant des repas gratuits
dans les écoles, plutôt que de retirer les enfants à leur famille
en raison de leur pauvreté.
5.2. Discrimination
54. Prétendre que certaines décisions de retrait peuvent
être discriminatoires revient à aborder un sujet très sensible.
Cependant, lorsque un pays présente un pourcentage élevé de certains
groupes vulnérables parmi sa population placée – personnes extrêmement
pauvres, jusqu’à 70 % de Roms ou jusqu’à 25 % d’immigrés – les stéréotypes
et les préjugés peuvent être un facteur contributif.
55. Ce que l’on considère comme relevant de la maltraitance infantile
a fortement évolué au cours des 50-100 dernières années
,
et souvent à un rythme différent selon les pays et les cultures.
Ainsi, les notions de «risque de violence psychologique» ou de «punition
excessive» peuvent être vagues et aisément mal comprises par des
familles qui n’appartiennent pas à la culture majoritaire. Si l’on
ajoute à cela une conception différente du rôle que doit jouer l’Etat
dans la protection de l’enfance, éventuellement aggravée par les barrières
linguistiques, on peut comprendre que certaines familles d’origine
immigrée ou appartenant à des minorités ethniques aient le sentiment
d’être injustement «prises pour cible».
56. Cette situation est particulièrement problématique parce que,
si la méfiance et la crainte de la discrimination règnent, il devient
difficile pour les services sociaux d’aider de façon satisfaisante
les enfants et leur famille, et d’éviter ainsi les décisions délicates
de retrait. Cela étant, la crainte de la discrimination peut également
favoriser la discrimination, telle une prédiction qui engendrerait
sa propre réalisation, lorsque le comportement méfiant d’une famille
dans ses relations avec les autorités renforce les stéréotypes et
les préjugés déjà existants.
57. Il est fréquent que les familles de migrants, ou de membres
des minorités nationales, ne bénéficient pas d’une assistance adéquate
de la part des services sociaux du fait de la barrière linguistique:
ces familles ne parlent pas (ou maîtrisent mal) la langue officielle
du pays où elles vivent, et les services sociaux ne disposent pas
d’interprètes. Cette situation a souvent pour effet que les travailleurs
sociaux ne peuvent pas apporter l’assistance nécessaire aux familles
en question en temps utile, ce qui aboutit parfois au retrait des
enfants de leur famille, avec toutes les conséquences que cela entraîne
58. Afin de rendre visible l’influence des préjugés et de la discrimination
dans les décisions de retrait, une meilleure collecte de données
est nécessaire dans la plupart des pays, comme je l’ai souligné
précédemment. Par ailleurs, je n’insisterai jamais assez sur la
nécessité d’entrer très tôt en relation avec les enfants à risque et
leur famille et de leur offrir un soutien approprié, plutôt que
de recourir dès le départ au retrait et au placement (alors que
cela devrait être une mesure de dernier ressort).
5.3. Manque de ressources
et/ou de personnel qualifié
59. Dans tous les pays que j’ai visités – et, je suppose,
dans la plupart, sinon dans tous les Etats membres – la surcharge
de dossiers à traiter semble être un problème persistant. Par exemple,
un travailleur social en Angleterre suit entre 16 et 45 familles
en même temps selon son secteur d’affectation. Par ailleurs, le
système de rémunération en Angleterre n’encourage pas les travailleurs
sociaux à exercer durablement cette profession, de sorte que de
nombreux services sociaux sont en sous-effectifs ou fonctionnent
avec un personnel en grande partie temporaire. Cette situation a
un impact sur le système: en effet, il semblerait que le risque
qu’un enfant suivi par un travailleur social subisse un préjudice
grave varie aussi en fonction de la charge de travail et du manque
d’effectifs des services de protection de l’enfance.
60. Tous les pays que j’ai visités, et, je suppose, tous les autres
Etats membres, ont été confrontés à des cas atroces d’enfants ayant
été tués par l’un de leurs parents (ou par le/la partenaire de leurs
parents), souvent après leur avoir infligé des mauvais traitements
des plus effroyables. Dans la plupart des cas, les services sociaux
et/ou la police avaient été informés du drame que vivait l’enfant
avant sa mort, mais les mesures nécessaires pour le protéger n’avaient
pas été prises à temps. Je pense que cette réalité doit être prise
en compte lorsque des ressources sont allouées aux services sociaux
(sans vouloir accuser quiconque).
61. Le manque de personnel qualifié pose problème en Roumanie,
en particulier dans les zones rurales. Cette situation s’explique
également par la faiblesse des salaires versés dans la profession,
mais elle est aussi due au gel des postes et à la réduction générale
de 25 % des salaires de l’ensemble des salariés de l’Etat pendant
la crise économique. Le système s’en trouve aussi impacté, mais
différemment: il semble que parfois, les enfants ne soient pas correctement
renvoyés dans leur famille d’origine sans l’instauration préalable
de conditions appropriées pour leur retour (formation des parents
par exemple), certains étant alors repris en charge par le système
de protection de l’enfance, et d’autres se retrouvant simplement
à la rue. Même en Finlande, les services sociaux étaient affectés
à un certain degré par la crise financière et économique au moment
de ma visite.
62. C’est pourquoi, j’estime qu’il est crucial de veiller à ce
que le personnel intervenant dans les décisions de retrait et de
placement possède les qualifications requises, dispose de ressources
suffisantes pour prendre ses décisions en temps utile (sans précipitation
ni retard) et ne soit pas surchargé par un nombre de dossiers trop
important à traiter. Le Conseil de l’Europe a également demandé,
dans sa Recommandation CM/Rec(2011)12, qu’un investissement financier,
en infrastructures et humain suffisants soient assurés pour réaliser
les objectifs fixés.
5.4. Pratiques abusives
63. Malheureusement, certains pays ont des pratiques
que l’on ne peut qualifier autrement que d’abusives, même si elles
sont animées de bonnes intentions. La plus fréquente est la rupture
injustifiée et complète des liens familiaux, qui va souvent de pair
avec un retrait de l’enfant à ses parents dès la naissance, des
décisions de placement justifiées par l’écoulement du temps et le
recours à l’adoption sans le consentement des parents.
5.4.1. La rupture injustifiée
et complète des liens familiaux
64. Comme je l’ai déjà souligné dans le troisième chapitre
du présent rapport, les enfants ont le droit, garanti par l’article
9.3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant,
d’entretenir des relations personnelles avec leurs parents:
«Les Etats parties respectent le
droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement
des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux
parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant.»
65. Au cours des vingt-cinq dernières années, le Comité des droits
de l’enfant des Nations Unies a largement interprété ce droit afin
d’inclure d’autres membres de la famille («fratrie, parentèle et
personnes avec lesquelles l’enfant a une solide relation personnelle
»).
Le Comité des droits de l’enfant a également, dans sa dernière Observation
générale, posé le principe que «la qualité des relations et la nécessité
de les maintenir doivent être prises en considération dans les décisions
concernant la fréquence et la durée des visites et autres contacts
lorsque l’enfant est placé hors de sa famille
».
66. Dans la même veine, les enfants qui font l’objet d’un autre
type de prise en charge ont le droit de faire l’objet d’un suivi
régulier en vue de leur réintégration dans la famille et la société
par des prestations de postcure (Recommandation CM/Rec(2011)12).
De même, selon la Cour européenne des droits de l’homme, «il est
dans l’intérêt supérieur de l’enfant que les liens entre lui et
sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci se serait
montrée particulièrement indigne (…) Il ressort clairement de ce
qui précède que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles
peuvent conduire à une rupture du lien familial et que tout doit
être mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et,
le cas échéant, “reconstituer” la famille. Il ne suffit pas de démontrer
qu’un enfant pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique
à son éducation
».
67. Bien entendu, il existe des situations dans lesquelles il
est évidemment dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rompre ses
liens avec des parents qui le maltraitent volontairement (et souvent
criminellement) en se montrant notamment violents ou négligents.
Cependant, il me semble que ces situations ne sont pas aussi courantes
que la fréquence des recours à la rupture complète des liens familiaux
pourrait le suggérer: dans de nombreux cas, les parents peuvent
changer (et changent) leur comportement, en particulier s’il est
dû à des circonstances extérieures comme l’extrême pauvreté, la
violence du partenaire intime, la maladie mentale qui peut être
soignée ou la toxicomanie à laquelle il peut être mis fin. Effectivement,
le retrait temporaire d’un enfant peut servir d’avertissement et
amener le parent à demander enfin de l’aide dans l’espoir de récupérer son
enfant. C’est pourquoi il est si important de recueillir et d’analyser
des données sur le pourcentage de retours réussis, précisant la
durée du placement (comme le fait l’Autriche, par exemple).
5.4.2. Le recours fréquent
au retrait d’enfants à leurs parents dès la naissance
68. Le recours fréquent au retrait d’enfants à leurs
parents dès la naissance devrait être un signal d’alarme. En effet,
la Cour européenne des droits de l’homme a qualifié ce type de retrait
de «mesure extrêmement dure» et «radicale», et a estimé qu’il fallait
des «raisons extraordinairement impérieuses» pour qu’un bébé puisse être
soustrait aux soins de sa mère
.
69. Mon attention a été attirée par quelques affaires dans lesquelles
une mère dont un enfant avait déjà été placé (par exemple parce
qu’elle avait été jugée inapte à l’élever en raison de son très
jeune âge, qu’elle entretenait une relation violente avec le père,
qu’elle était toxicomane, qu’elle souffrait de troubles mentaux) s’était
vue retirer un autre enfant à la naissance plusieurs années plus
tard, malgré un changement total de circonstances.
5.4.3. Justifier les décisions
de placement par l’écoulement du temps
70. De même, la Cour européenne des droits de l’homme
abhorre les décisions de placement justifiées par l’écoulement du
temps. Par exemple, placer un jeune enfant dans une famille d’accueil
en limitant sévèrement ses contacts avec sa famille biologique,
puis, quelques années plus tard, permettre à la famille d’accueil d’adopter
l’enfant simplement parce qu’il est désormais «installé» dans la
famille alors que la famille biologique est, entre-temps, devenue
capable d’offrir un environnement parfaitement sécurisant et satisfaisant
pour élever l’enfant, constitue un outrage aussi bien aux droits
de l’enfant que des parents. Heureusement, je n’ai pas eu connaissance
de beaucoup de décisions de ce type lors de mes recherches.
5.4.4. Le recours fréquent
à l’adoption sans le consentement des parents
71. A l’instar du recours fréquent au retrait d’enfants
à leurs parents dès la naissance, le recours fréquent aux adoptions
sans le consentement des parents devrait aussi être un signal d’alarme.
En effet, certains pays interdisent expressément l’adoption suivant
le retrait d’un enfant à sa famille biologique, comme indiqué précédemment.
72. L’Angleterre et le pays de Galles
sont réellement les seuls en Europe
à confier tant d’enfants à l’adoption, en particulier de jeunes
enfants, qui sont très «recherchés» sur le marché de l’adoption.
Les statistiques montrent que moins de 20 % des enfants retirés
de force à leurs parents dont le placement prend fin avant l’âge
de cinq ans retournent chez leurs parents. L’ancien Premier ministre
Tony Blair est allé jusqu’à fixer des «objectifs d’adoption» aux
pouvoirs locaux entre 2001 et 2008
.
73. Si ces objectifs ont été officiellement supprimés, Michael
Gove, Secrétaire à l’éducation au moment de notre visite d’information,
lui-même adopté, a aussi beaucoup insisté sur la nécessité d’augmenter
le nombre d’adoptions afin que les 7 000 enfants inscrits sur liste
d’attente en Angleterre soient adoptés et a autorisé 30 grandes
agences d’adoption privées et une pléthore de petites à participer
au processus. Identifier très tôt d’autres personnes susceptibles
de prendre en charge un enfant au sein du cercle familial par le
biais d’un dispositif de «concertation familiale» pourrait être
un meilleur moyen de mettre fin à la dépendance excessive à l’adoption
par des tiers et pourrait être véritablement la solution de dernier
recours, «lorsqu’il n’y a plus rien d’autre à faire» – ce qui est
le seuil fixé par la législation anglaise/galloise et devrait être
appliqué par les tribunaux anglais/gallois.
74. Mon attention a été attirée sur une poignée de cas extrêmement
tragiques liés à des erreurs judiciaires. Dans plusieurs de ces
cas, un problème de santé sous-jacent de l’enfant, comme la maladie
des os de verre ou le rachitisme, est passé inaperçu et l’enfant
a été confié à l’adoption (sans l’accord des parents). La tragédie est
que même lorsque les parents ont finalement obtenu gain de cause
en justice, et ont pu prouver leur innocence, ils n’ont pu récupérer
leur enfant, parce qu’une faille dans le système juridique anglais/gallois prévoit
que les ordonnances d’adoption ne peuvent être annulées quelles
que soient les circonstances – suite à une interprétation erronée
de la notion d’«intérêt supérieur de l’enfant», qui a en fait le
droit de retourner dans sa famille biologique.
5.5. Collecte de données
insuffisante
75. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies
publie régulièrement des rapports sur la mise en œuvre de la Convention
des Nations Unies relative aux droits de l’enfant par les Etats
Parties. A cette occasion, il déplore régulièrement «l’insuffisance
de la collecte de données sur les conditions de vie des enfants
se trouvant dans des situations vulnérables, sur la maltraitance,
la négligence et les violences dont font l’objet les enfants, ainsi
que sur les services qui leur sont offerts
».
76. Je n’insisterai jamais assez sur l’importance d’une bonne
collecte de données. Permettez-moi de prendre l’exemple du Royaume-Uni
concernant la collecte de données sur l’origine ethnique des enfants placés:
comme indiqué au paragraphe 29, les enfants de certaines origines
ethniques sont largement surreprésentés dans le système de placement
britannique, tandis que d’autres sont largement sous-représentées.
77. Comme l’a fait observer le responsable des politiques de l’ONG
Société nationale pour la prévention de la cruauté à l’égard des
enfants (NSPCC) que j’ai rencontré, la surreprésentation, tout comme
la sous-représentation, peuvent être problématiques: des services
qui devraient être à la disposition de tous sont souvent moins bien
développés pour les communautés de minorités. En conséquence, les
familles ne sont signalées aux autorités que lorsqu’il est trop
tard et qu’elles sont en pleine crise (ce qui conduit à la surreprésentation).
Elles peuvent aussi ne pas être signalées du tout, parce que la
communauté est trop fermée et que personne ne sait quoi faire face
à des menaces spécifiques à certaines cultures, comme la violence
fondée sur l’«honneur», pour lesquelles les autorités locales sont
réticentes à intervenir (ce qui mène à la sous-représentation).
Mais puisque ce type de données sont collectées, le Royaume-Uni
a la possibilité d’identifier le problème et de commencer à y remédier
– ce qui n’est pas le cas lorsqu’un pays est «aveugle» parce qu’il
ne recueille pas les données nécessaires.
78. Il semble que tous les pays aient leurs propres «points aveugles»
en raison d’une collecte de données insuffisante: même le Royaume-Uni
ne recueille pas systématiquement de données sur d’autres «points aveugles»
courants, comme la situation socio-économique des enfants placés
ou leur statut d’immigré. La plupart des pays ayant répondu au questionnaire
(21 sur 30) ne disposent pas non plus de statistiques sur le taux
de retours réussis dans la famille biologique. Sur ce point, les
bonnes pratiques de l’Autriche, qui recueille également des données
sur la durée du placement des enfants avant le retour au sein de
leur famille, pourraient être utiles aux autres pays.
79. J’exhorte donc les gouvernements à recueillir des données
sur la population placée dans les Etats membres, ventilées non seulement
par âge, sexe et type de placement, mais aussi en fonction de l’origine ethnique/religieuse,
du statut d’immigré, de la situation socio-économique et de la durée
du placement avant le retour dans la famille.
5.6. Divers
80. L’organisation des services sociaux, souvent très
décentralisés, par exemple au niveau des communes, est un autre
aspect problématique dans de nombreux pays. Lorsqu’il n’existe pas
de normes nationales unifiées établissant des critères pour le placement,
la planification de la prise en charge et le réexamen régulier des
décisions de placement des enfants retirés à leur famille, cela
peut mener à des décisions subjectives de la part des travailleurs
sociaux. Si à cela s’ajoute un système de contrôle relativement
faible au niveau national, le placement peut s’apparenter à une
sorte de loterie en fonction du lieu de résidence, qui est encore
aggravée par les contraintes budgétaires imposées par la crise économique
actuelle.
81. Enfin, il convient de noter que la Cour européenne des droits
de l’homme se montre particulièrement critique lorsque des fratries
sont séparées. Dans l’arrêt
Olsson c.
Suède (1988), la Cour a conclu à la violation de l’article
8 de la Convention, au motif que des frères et sœurs avaient été
séparés et placés dans des foyers d’accueil distants l’un de l’autre
et du domicile de leurs parents:
«81.
Quant aux autres aspects de la mise en œuvre de la décision de prise
en charge, la Cour relève d’abord qu’il semble ne pas avoir été
question d’adopter les enfants. Dès lors, il fallait considérer
ladite décision comme une mesure temporaire, à suspendre dès que
les circonstances s’y prêteraient, et tout acte d’exécution aurait
dû concorder avec un but ultime: unir à nouveau la famille Olsson.
Or les dispositions arrêtées par les autorités suédoises
allaient à l’encontre d’un tel objectif. Les liens entre les membres
d’une famille et les chances de regroupement réussi se trouveront
par la force des choses affaiblis si l’on dresse des obstacles empêchant
des rencontres faciles et régulières des intéressés. A lui seul,
le placement d’Helena et Thomas si loin de leurs parents et de Stefan
(paragraphe 18 ci-dessus) n’a donc pu manquer de nuire à la possibilité
de contacts entre eux. Les restrictions imposées aux visites des
parents ont aggravé la situation; si l’attitude de ceux-ci envers
les familles d’accueil (paragraphe 26 ci-dessus) a pu dans une certaine
mesure les justifier, on ne saurait exclure que le non-établissement
de relations harmonieuses résultât en partie de l’éloignement. A
la vérité, Helena et Thomas continuaient à se voir fréquemment,
mais les raisons – indiquées par le Gouvernement – de ne pas les
placer ensemble (paragraphe 79 ci-dessus) n’emportent pas la conviction
(…)»
6. Conclusions
et recommandations
82. Les questions auxquelles j’ai entrepris de répondre
au début du présent rapport sont les suivantes:
- Y a-t-il une augmentation des
décisions injustifiées de retrait dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe?
- Existe-t-il des constantes dans ces décisions? Plus précisément,
les parents immigrés, les parents appartenant à des minorités nationales
ou religieuses ou les parents issus d’un milieu socio-économique défavorisé
sont-ils disproportionnellement victimes de telles décisions injustifiées
de retrait?
- Comment les législations nationales et leurs textes d’application
pourraient-ils être améliorés pour que les services sociaux prennent
de meilleures décisions?
- Y a-t-il, dans certains Etats membres, des bonnes pratiques
qui pourraient être utiles aux autres Etats membres?
6.1. Conclusions
83. Pour la première question, compte tenu du manque
de données collectées et d’analyses dans les Etats membres, il est
impossible de répondre catégoriquement à la question de savoir s’il
y a une augmentation des décisions de retrait injustifiées dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe. Cependant, les informations et
les preuves que j’ai pu recueillir laissent entrevoir deux tendances
majeures et conclusions possibles pour le présent rapport:
83.1. D’une part, dans certains pays
(ou certaines de leurs régions), les services sociaux placent certains
enfants de manière inconsidérée, et ne font pas suffisamment d’efforts
pour aider les familles avant et/ou après la décision de retrait
et de placement. Ces décisions injustifiées sont généralement – bien
que parfois involontairement – discriminatoires et peuvent constituer
de graves violations des droits de l’enfant et de ses parents, et
sont d’autant plus tragiques lorsqu’elles sont irréversibles (par
exemple, en cas d’adoption sans le consentement des parents).
83.2. D’autre part, dans certains pays (ou certaines de leurs
régions), les services sociaux ne placent pas les enfants suffisamment
rapidement et les rendent trop imprudemment à des parents violents
ou négligents. De telles décisions peuvent également constituer
des violations graves – voire plus graves encore – des droits de
l’enfant et mettre sa vie et sa santé en danger.
84. Concernant la deuxième question, la plupart des pays manquent
de chiffres et d’une analyse statistique du retrait d’enfants des
familles appartenant aux minorités ethniques ou religieuses, des
familles de migrants ou des familles issues de milieux défavorisés
sur le plan socio-économique. De ce fait, il est plus difficile
de conduire une analyse qualitative des causes et d’adopter des
politiques publiques efficaces dans les domaines de la prévention
et de l’assistance aux familles.
85. Concernant la troisième question, la législation des Etats
membres du Conseil de l’Europe dans leur ensemble correspond aux
normes internationales, mais sa mise en œuvre est insuffisante.
Dans les pays que j’ai visités, la législation nationale (et en
général, ses textes d’application) ne constituait pas le principal problème
– le problème résidait surtout dans la manière dont les lois et
leurs textes d’application étaient interprétés et mis en œuvre par
les acteurs de terrain chargés de prendre (ou non) les décisions
initiales de retrait, de placement et de retour. Si elles étaient
certainement bien intentionnées dans la plupart des cas, ces décisions
étaient parfois marquées par une incompréhension du principe de
l’«intérêt supérieur de l’enfant», par le cercle vicieux des stéréotypes
et des préjugés qui se renforcent d’eux-mêmes et mènent à la discrimination,
ou simplement par la surcharge de travail ou le manque d’expérience
du personnel décisionnaire. Comme je l’ai précisé ci-dessus, de
rares cas de pratiques abusives ont aussi été portés à mon attention.
86. Concernant la quatrième question, il existe, dans certains
Etats membres, de bonnes pratiques qui pourraient être utiles aux
autres Etats membres, comme je l’ai indiqué dans le rapport.
6.2. Recommandations
87. Je suis fermement convaincue que la première chose
à faire par chaque Etat membre serait d’améliorer sa collecte de
données. Les données sur la population placée dans les Etats membres,
devraient être ventilées non plus seulement par âge, sexe et type
de placement, mais aussi en fonction de l’origine ethnique et religieuse
des familles concernées, du statut d’immigré de la situation socio-économique
et de la durée du placement avant le retour dans la famille.
88. Ma deuxième recommandation est de soutenir les familles davantage:
si on apportait très tôt un soutien approprié et durable aux familles
(y compris un soutien financier et matériel aux familles défavorisées,
et un soutien psychologique aux parents qui ont un des problèmes
personnels). A cet égard, je recommanderais aux Etats membres d’élaborer
des programmes nationaux d’aide sociale pour des groupes particulièrement vulnérables
(très jeunes parents, mères isolées, victimes de violences domestiques
et parents atteints d’un handicap ou de troubles mentaux) afin de
s’assurer que de plus nombreux enfants puissent rester dans leur famille
en premier lieu ou, après une période de placement, retourner avec
succès dans leur famille.
89. Ma troisième recommandation concerne le fait que la qualité
des décisions prises dépend des personnes qui les prennent. Des
fonds plus importants doivent être consacrés aux mesures suivantes:
- une qualification professionnelle
adéquate et une formation spécifique des travailleurs sociaux;
- des effectifs suffisants pour les services sociaux afin
que les travailleurs sociaux n’aient pas un trop grand nombre de
dossiers à traiter;
- une rémunération adéquate des travailleurs sociaux;
- l’établissement de normes et de critères appropriés pour
le retrait d’enfants de leur famille, afin d’éviter toute erreur
liée à la subjectivité.
90. Ma quatrième recommandation est d’éviter soigneusement les
pratiques abusives, qui devraient constituer un signal d’alarme
indiquant que quelque chose ne va pas dans le système, comme le
recours fréquent à la rupture complète des liens familiaux, au retrait
d’enfants à leurs parents dès la naissance, à la justification des
décisions de placement par l’écoulement du temps et à l’adoption
sans le consentement des parents.
91. Si nous parvenons à faire en sorte que ces recommandations
soient mises en pratique, nous aurons fait un pas important vers
l’établissement de services sociaux, de lois et de règlements, et
de pratiques qui donnent véritablement la priorité à l’intérêt supérieur
de l’enfant dans les décisions de retrait, de placement et de retour –
pour le bénéfice de tous les enfants.
92. Les progrès accomplis sur ce terrain devraient être suivis
par le secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe: le Comité
des Ministres, dans le cadre de la prochaine stratégie sur les droits
de l’enfant (2016-2019), devrait mettre en place des activités de
suivi pour s’assurer que les Etats membres appliquent les normes
internationales et européennes en matière de retrait d’enfants à
leur famille, notamment les «Lignes directrices relatives à la protection
de remplacement pour les enfants», adoptées par l’Assemblée générale
des Nations Unies A/RES/64/142 (2010), la Recommandation CM/Rec(2011)12
du Comité des Ministres sur les droits de l’enfant et les services
sociaux adaptés aux enfants et aux familles et l’Observation générale
n° 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies
sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une
considération primordiale.