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Résolution 2068 (2015)

Vers un nouveau modèle social européen

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 25 juin 2015 (26e séance) (voir Doc. 13795, rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable, rapporteure: Mme Maria de Belém Roseira). Texte adopté par l’Assemblée le 25 juin 2015 (26e séance).

1. Le modèle social européen est un ensemble évolutif de principes et de politiques répondant aux aspirations et à la volonté des peuples européens, telles qu’exprimées dans le cadre de scrutins démocratiques. Il est indissociable du processus de renforcement de l’unité européenne lancé à l’issue de la seconde guerre mondiale, incarné par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, tous deux attachés à défendre les valeurs de la dignité humaine, des libertés individuelles, de la solidarité sociale, de la liberté politique et de l’Etat de droit, fondements de toute véritable démocratie.
2. Bien que les caractéristiques du modèle social européen aient évolué de façon très différente selon les pays, sa contribution au progrès économique et social a fini par être considérée comme une composante à part entière de l’identité européenne et est devenue une référence pour les pays autrefois soumis à des régimes autoritaires.
3. Conçu en Europe occidentale dans une période de croissance économique et démographique rapide, le modèle social européen a commencé à être remis en cause au cours des années 1970, en raison de l’accélération de la mondialisation, de la délocalisation de la production, de l’impact des nouvelles technologies de l’information dans tous les domaines économiques et sociaux, du vieillissement de la population, de la modification des structures familiales et des modes de vie, de l’augmentation des flux migratoires et de l’éclatement d’un consensus politique minimal à la suite de l’effondrement des régimes communistes en Europe centrale et orientale.
4. Comme l’ont noté diverses organisations internationales comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Organisation internationale du travail (OIT), ces défis sont allés de pair, en particulier ces dernières années, avec le creusement des inégalités sociales et économiques, la corruption et un développement à grande échelle de la fraude et de l’évasion fiscales mettant en question la cohésion sociale et menaçant la stabilité politique dans plusieurs pays. Les mesures d’austérité mises en œuvre dans bon nombre de pays européens après la crise financière de 2008 sont venues aggraver certains problèmes préexistants.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire déplore notamment la dégradation continue des conditions d’emploi et de travail, les difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder au marché du travail, l’affaiblissement des procédures de négociation et des conventions collectives, et la réduction de l’étendue et de la qualité des services publics, notamment ceux destinés aux personnes les plus vulnérables (enfants, minorités ethniques, migrants ou personnes handicapées).
6. A cet égard, l’Assemblée parlementaire rappelle certaines de ses résolutions sur ces questions, telles que la Résolution 1885 (2012) sur la jeune génération sacrifiée: répercussions sociales, économiques et politiques de la crise financière, la Résolution 1993 (2014) sur un travail décent pour tous, la Résolution 2032 (2015) sur l’égalité et la crise, et la Résolution 2033 (2015) sur la protection du droit de négociation collective, y compris le droit de grève. L’Assemblée estime qu’il convient de conserver des normes élevées, en particulier en ce qui concerne le maintien d’emplois et de conditions de travail décents pour tous, l’universalité et la pérennité des systèmes de protection sociale, le caractère inclusif des marchés du travail, le bon fonctionnement du dialogue social à divers niveaux et la qualité des services publics. En outre, la cohésion sociale et la solidarité devraient être promues en tant que valeurs transversales à la base de toute action politique.
7. Toutefois, pour être efficace à l’avenir, le modèle social européen ne devrait pas seulement compenser les dysfonctionnements et les insuffisances du marché, mais aussi promouvoir de nouvelles approches de l’éducation et de la formation, la participation sociale et économique, et la durabilité de l’environnement, ainsi que de nouvelles formes de prestation de services publics faisant appel aux nouvelles technologies et tenant compte de l’évolution des structures familiales et des modes de vie. Ce nouveau modèle social européen devrait non seulement constituer un filet de sécurité, mais aussi contribuer positivement à la création de richesse par le biais de l’investissement social.
8. Compte tenu de ces considérations, l’Assemblée appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre les mesures suivantes:
8.1. concernant les droits sociaux en général:
8.1.1. à garantir la compatibilité des nouvelles mesures politiques avec les droits sociaux individuels et collectifs, notamment en consultant à l’avance les institutions nationales de droits humains;
8.1.2. à améliorer la mise en œuvre des droits sociaux en renforçant les mécanismes de contrôle, en particulier en ratifiant le Protocole de 1991 portant amendement à la Charte sociale européenne concernant la réforme de son mécanisme de contrôle (STE no 142, «Protocole de Turin») et son Protocole additionnel de 1995 prévoyant un système de réclamations collectives (STE no 158);
8.2. concernant les politiques économiques et sociales nationales, à promouvoir un accès non discriminatoire au marché du travail et des conditions d’emploi décentes pour tous, et:
8.2.1. à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies globales contre la pauvreté des enfants;
8.2.2. à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies en faveur de l’emploi des jeunes, en remédiant en particulier aux difficultés que rencontrent actuellement ces derniers pour accéder au marché du travail;
8.2.3. à continuer à renforcer la participation des femmes et à les intégrer dans le marché du travail en proposant des services de garde d’enfants qui soient abordables, fiables et de qualité;
8.2.4. à mettre en œuvre des solutions novatrices pour continuer à employer les personnes âgées dans une société vieillissante (par exemple par le biais de travail à temps partiel, du mentorat, etc.);
8.2.5. à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies spécifiques en matière d’emploi pour favoriser l’inclusion de groupes qui sont régulièrement victimes de discrimination (minorités ethniques, migrants, personnes handicapées);
8.2.6. à proposer des mesures d’incitation ou à investir directement dans de nouvelles activités pour stimuler la création d’emplois (dans des secteurs comme les énergies renouvelables, les infrastructures de technologies numériques et les services sociosanitaires novateurs);
8.3. concernant les politiques nationales relatives à l’éducation et à la formation:
8.3.1. à concevoir des politiques et des systèmes d’éducation visant à assurer l’égalité des chances dès le plus jeune âge (pour briser le «cercle vicieux de l’inégalité» en intervenant à un stade précoce) et englobant des stratégies d’apprentissage tout au long de la vie;
8.3.2. à assurer des formations professionnelles initiales et continues qui tiennent compte des dernières avancées technologiques (technologies numériques, biotechnologies, etc.);
8.3.3. à renforcer les systèmes éducatifs qui ont fait leurs preuves dans certains contextes nationaux (par exemple les systèmes de formation en alternance combinant la formation en entreprise et l’enseignement théorique);
8.3.4. à orienter les jeunes dans leur passage du système éducatif au marché du travail pour éviter le risque d’inadéquation entre les profils existants et les emplois disponibles, et à favoriser l’entrepreneuriat;
8.4. concernant la législation et les politiques fiscales:
8.4.1. à renforcer les effets redistributifs des régimes de taxation au moyen de réformes pertinentes (notamment en réévaluant les impôts fonciers et sur la fortune, et les taxes sur les transactions financières);
8.4.2. à améliorer le respect des obligations fiscales en luttant contre la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux, et à affecter les recettes à des investissements économiques et sociaux, de façon à créer des possibilités d’emploi de qualité;
8.5. concernant les systèmes de protection sociale et les prestations sociales:
8.5.1. à améliorer la pérennité des systèmes de protection sociale, y compris en veillant à ce que les prestations sociales soient accordées de façon ciblée;
8.5.2. à garantir la bonne gouvernance des systèmes de prestations sociales et à lutter contre toutes les formes de corruption pour maximiser les effets redistributifs de ces systèmes;
8.6. concernant les services et l’investissement publics:
8.6.1. à mettre un terme aux politiques actuelles d’austérité et à élaborer des mesures plus durables pour sortir de la crise persistante, y compris par la réaffectation des économies réalisées grâce à d’autres mesures en faveur de politiques «d’investissement social», en mettant l’accent sur de nouveaux types d’infrastructures et de services (y compris dans les secteurs des énergies renouvelables, des technologies numériques et des soins et méthodes de prévention innovants en matière de santé);
8.6.2. à moderniser la prestation de services publics en ayant recours aux nouvelles technologies numériques, en développant les compétences des citoyens à cet égard et en décentralisant l’élaboration des politiques, tout en garantissant un accès universel à ces services;
8.6.3. à aider les autorités locales et régionales à s’acquitter de leurs responsabilités respectives en matière de prestation de services publics à leurs citoyens.