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Résolution 2068 (2015)
Vers un nouveau modèle social européen
1. Le modèle social européen est un
ensemble évolutif de principes et de politiques répondant aux aspirations
et à la volonté des peuples européens, telles qu’exprimées dans
le cadre de scrutins démocratiques. Il est indissociable du processus
de renforcement de l’unité européenne lancé à l’issue de la seconde
guerre mondiale, incarné par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne,
tous deux attachés à défendre les valeurs de la dignité humaine,
des libertés individuelles, de la solidarité sociale, de la liberté politique
et de l’Etat de droit, fondements de toute véritable démocratie.
2. Bien que les caractéristiques du modèle social européen aient
évolué de façon très différente selon les pays, sa contribution
au progrès économique et social a fini par être considérée comme
une composante à part entière de l’identité européenne et est devenue
une référence pour les pays autrefois soumis à des régimes autoritaires.
3. Conçu en Europe occidentale dans une période de croissance
économique et démographique rapide, le modèle social européen a
commencé à être remis en cause au cours des années 1970, en raison
de l’accélération de la mondialisation, de la délocalisation de
la production, de l’impact des nouvelles technologies de l’information
dans tous les domaines économiques et sociaux, du vieillissement
de la population, de la modification des structures familiales et
des modes de vie, de l’augmentation des flux migratoires et de l’éclatement
d’un consensus politique minimal à la suite de l’effondrement des
régimes communistes en Europe centrale et orientale.
4. Comme l’ont noté diverses organisations internationales comme
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
et l’Organisation internationale du travail (OIT), ces défis sont
allés de pair, en particulier ces dernières années, avec le creusement
des inégalités sociales et économiques, la corruption et un développement
à grande échelle de la fraude et de l’évasion fiscales mettant en
question la cohésion sociale et menaçant la stabilité politique
dans plusieurs pays. Les mesures d’austérité mises en œuvre dans
bon nombre de pays européens après la crise financière de 2008 sont
venues aggraver certains problèmes préexistants.
5. Dans ce contexte, l’Assemblée parlementaire déplore notamment
la dégradation continue des conditions d’emploi et de travail, les
difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder au marché du
travail, l’affaiblissement des procédures de négociation et des
conventions collectives, et la réduction de l’étendue et de la qualité
des services publics, notamment ceux destinés aux personnes les
plus vulnérables (enfants, minorités ethniques, migrants ou personnes
handicapées).
6. A cet égard, l’Assemblée parlementaire rappelle certaines
de ses résolutions sur ces questions, telles que la Résolution 1885 (2012) sur
la jeune génération sacrifiée: répercussions sociales, économiques
et politiques de la crise financière, la Résolution 1993 (2014) sur un travail
décent pour tous, la Résolution
2032 (2015) sur l’égalité et la crise, et la Résolution 2033 (2015) sur
la protection du droit de négociation collective, y compris le droit
de grève. L’Assemblée estime qu’il convient de conserver des normes
élevées, en particulier en ce qui concerne le maintien d’emplois
et de conditions de travail décents pour tous, l’universalité et
la pérennité des systèmes de protection sociale, le caractère inclusif
des marchés du travail, le bon fonctionnement du dialogue social
à divers niveaux et la qualité des services publics. En outre, la
cohésion sociale et la solidarité devraient être promues en tant
que valeurs transversales à la base de toute action politique.
7. Toutefois, pour être efficace à l’avenir, le modèle social
européen ne devrait pas seulement compenser les dysfonctionnements
et les insuffisances du marché, mais aussi promouvoir de nouvelles
approches de l’éducation et de la formation, la participation sociale
et économique, et la durabilité de l’environnement, ainsi que de
nouvelles formes de prestation de services publics faisant appel
aux nouvelles technologies et tenant compte de l’évolution des structures
familiales et des modes de vie. Ce nouveau modèle social européen devrait
non seulement constituer un filet de sécurité, mais aussi contribuer
positivement à la création de richesse par le biais de l’investissement
social.
8. Compte tenu de ces considérations, l’Assemblée appelle les
Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre les mesures suivantes:
8.1. concernant les droits sociaux
en général:
8.1.1. à garantir la compatibilité des nouvelles
mesures politiques avec les droits sociaux individuels et collectifs,
notamment en consultant à l’avance les institutions nationales de
droits humains;
8.1.2. à améliorer la mise en œuvre des droits sociaux en renforçant
les mécanismes de contrôle, en particulier en ratifiant le Protocole
de 1991 portant amendement à la Charte sociale européenne concernant
la réforme de son mécanisme de contrôle (STE no 142,
«Protocole de Turin») et son Protocole additionnel de 1995 prévoyant
un système de réclamations collectives (STE no 158);
8.2. concernant les politiques économiques et sociales nationales,
à promouvoir un accès non discriminatoire au marché du travail et
des conditions d’emploi décentes pour tous, et:
8.2.1. à
concevoir et à mettre en œuvre des stratégies globales contre la
pauvreté des enfants;
8.2.2. à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies en faveur
de l’emploi des jeunes, en remédiant en particulier aux difficultés
que rencontrent actuellement ces derniers pour accéder au marché
du travail;
8.2.3. à continuer à renforcer la participation des femmes et
à les intégrer dans le marché du travail en proposant des services
de garde d’enfants qui soient abordables, fiables et de qualité;
8.2.4. à mettre en œuvre des solutions novatrices pour continuer
à employer les personnes âgées dans une société vieillissante (par
exemple par le biais de travail à temps partiel, du mentorat, etc.);
8.2.5. à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies spécifiques
en matière d’emploi pour favoriser l’inclusion de groupes qui sont
régulièrement victimes de discrimination (minorités ethniques, migrants,
personnes handicapées);
8.2.6. à proposer des mesures d’incitation ou à investir directement
dans de nouvelles activités pour stimuler la création d’emplois
(dans des secteurs comme les énergies renouvelables, les infrastructures
de technologies numériques et les services sociosanitaires novateurs);
8.3. concernant les politiques nationales relatives à l’éducation
et à la formation:
8.3.1. à concevoir des politiques et
des systèmes d’éducation visant à assurer l’égalité des chances
dès le plus jeune âge (pour briser le «cercle vicieux de l’inégalité»
en intervenant à un stade précoce) et englobant des stratégies d’apprentissage
tout au long de la vie;
8.3.2. à assurer des formations professionnelles initiales et
continues qui tiennent compte des dernières avancées technologiques
(technologies numériques, biotechnologies, etc.);
8.3.3. à renforcer les systèmes éducatifs qui ont fait leurs
preuves dans certains contextes nationaux (par exemple les systèmes
de formation en alternance combinant la formation en entreprise
et l’enseignement théorique);
8.3.4. à orienter les jeunes dans leur passage du système éducatif
au marché du travail pour éviter le risque d’inadéquation entre
les profils existants et les emplois disponibles, et à favoriser l’entrepreneuriat;
8.4. concernant la législation et les politiques fiscales:
8.4.1. à renforcer les effets redistributifs des régimes de taxation
au moyen de réformes pertinentes (notamment en réévaluant les impôts
fonciers et sur la fortune, et les taxes sur les transactions financières);
8.4.2. à améliorer le respect des obligations fiscales en luttant
contre la fraude fiscale et le recours aux paradis fiscaux, et à
affecter les recettes à des investissements économiques et sociaux,
de façon à créer des possibilités d’emploi de qualité;
8.5. concernant les systèmes de protection sociale et les prestations
sociales:
8.5.1. à améliorer la pérennité des systèmes de
protection sociale, y compris en veillant à ce que les prestations
sociales soient accordées de façon ciblée;
8.5.2. à garantir la bonne gouvernance des systèmes de prestations
sociales et à lutter contre toutes les formes de corruption pour
maximiser les effets redistributifs de ces systèmes;
8.6. concernant les services et l’investissement publics:
8.6.1. à mettre un terme aux politiques actuelles d’austérité
et à élaborer des mesures plus durables pour sortir de la crise
persistante, y compris par la réaffectation des économies réalisées
grâce à d’autres mesures en faveur de politiques «d’investissement
social», en mettant l’accent sur de nouveaux types d’infrastructures
et de services (y compris dans les secteurs des énergies renouvelables,
des technologies numériques et des soins et méthodes de prévention innovants
en matière de santé);
8.6.2. à moderniser la prestation de services publics en ayant
recours aux nouvelles technologies numériques, en développant les
compétences des citoyens à cet égard et en décentralisant l’élaboration
des politiques, tout en garantissant un accès universel à ces services;
8.6.3. à aider les autorités locales et régionales à s’acquitter
de leurs responsabilités respectives en matière de prestation de
services publics à leurs citoyens.