1. Introduction
«Il faut examiner l’évolution
du rôle des hommes dans la société, en tant que garçons, adolescents
et pères, ainsi que les problèmes auxquels se heurtent les garçons
qui grandissent dans le monde d’aujourd’hui. Nous continuerons de
prôner le principe de la responsabilité partagée des parents pour ce
qui est d’éduquer et d’élever les enfants, et mettrons tout en œuvre
pour veiller à ce que les pères aient la possibilité de participer
à la vie de leurs enfants.»
(Résolution S-27/2 de l’Assemblée Générale des Nations
Unies, Un monde digne des enfants, 2002).
1. Le partage des responsabilités
entre les femmes et les hommes au sein des familles a connu des évolutions
remarquables ces dernières décennies dans le sens d’un plus grand
équilibre. L’égalité au sein du couple a été au cœur de l’émancipation
des femmes du modèle patriarcal qui les cantonnait au foyer. Toutefois,
il apparaît aujourd’hui que la place des pères vis-à-vis de leurs
enfants ne fait pas toujours l’objet d’une attention suffisante
de la part des autorités nationales, notamment en raison de la persistance
de stéréotypes sur les rôles de la femme et de l’homme dans les
relations avec les enfants.
2. Alors que l’implication plus grande des hommes dans le foyer
et la famille est généralement perçue favorablement, j’ai observé
qu’au moment des séparations des couples, le rôle des pères vis-à-vis
des enfants est souvent considéré comme secondaire par rapport à
celui de la mère. Tout se passerait comme si l’implication du père,
tant souhaitée et valorisée lorsque la famille est unie, ne le serait
plus lorsque le couple se sépare. Il en résulte, dans la pratique,
que l’exercice de la responsabilité parentale est le plus souvent dévolu
à la mère, parfois au détriment du père, dans les cas de divorce
et de séparation.
3. Lors de la préparation de ce rapport, j’ai entendu le témoignage
de nombreux pères pour lesquels la séparation de leurs enfants est
une grande souffrance. A travers leurs histoires, j’ai aussi entendu
l’histoire d’enfants pris dans les conflits entre leurs parents,
parfois instrumentalisés et coupés de la relation avec l’un de leurs
parents. Dans ces histoires, l’intérêt de l’enfant qui est si souvent
mis en avant semblait bien théorique.
4. Les réactions suscitées par ce rapport, dont le titre initial
faisait référence «aux droits des pères», ont été très instructives.
Il m’a été souvent dit que la résidence alternée des enfants ne
doit pas être accordée dans les cas avérés de violence conjugale,
que le paiement des pensions alimentaires par les pères doit être
exigé, que les pères n’ont pas de «droits» sur leurs enfants et
que l’intérêt de l’enfant doit être dûment pris en compte dans les
affaires familiales. Je suis totalement d’accord avec ces affirmations.
La violence conjugale est certainement le signe d’une situation
hautement conflictuelle qui ne convient pas à la résidence alternée, laquelle
suppose une entente des parents sur les conditions de vie de leurs
enfants. Il va de soi que l’obligation d’entretien des parents vis-à-vis
de leurs enfants doit être exécutée. Il convient toutefois de garder
à l’esprit que le rôle du père ne doit être uniquement celui de
pourvoir à leurs besoins matériels et que les relations personnelles
des enfants avec leur père doivent également être préservées. Je
voudrais également appeler les pères à assumer pleinement leur rôle
et leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants, y compris lorsque leur
situation familiale ou personnelle change.
5. L’intérêt de l’enfant a guidé toute la préparation de ce rapport.
Je suis convaincue que, à l’exception de circonstances particulièrement
graves, il est de l’intérêt des enfants de maintenir des liens avec
leurs deux parents. Progresser vers une meilleure prise en compte
des pères dans ce domaine est un moyen de réaliser la pleine égalité
des hommes et des femmes et de dépasser les stéréotypes de genre.
Mon objectif principal à travers ce rapport est ainsi d’identifier
des bonnes pratiques et de proposer des mesures équilibrées pour promouvoir
l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’exercice de la coresponsabilité
parentale, tout en veillant à ce que l’intérêt de l’enfant soit
respecté.
2. Tendances récentes en matière de coresponsabilité
parentale
6. En Europe, la répartition des
rôles entre les hommes et les femmes a indéniablement évolué vers
plus d’égalité. Dans sa Recommandation CM/Rec(2007)17 sur les normes
et mécanismes d’égalité entre les femmes et les hommes, le Comité
des Ministres du Conseil de l’Europe soulignait que «l’importance
sociale de la maternité et de la paternité ainsi que le rôle des
deux parents dans l’éducation des enfants doivent être pris en compte
pour garantir que les droits de la personne, tant des femmes que
des hommes, sont pleinement et également respectés». Dans le domaine
familial, les femmes et les hommes doivent ainsi «avoir les mêmes droits
et responsabilités en tant que parents, indépendamment de leur statut
matrimonial, y compris s’agissant des dispositions sur l’entretien
économique des enfants, les responsabilités parentales et les relations personnelles
avec les enfants en cas de séparation»
.
Le développement de la notion de coresponsabilité parentale témoigne
précisément de cette évolution.
2.1. Définitions
7. La notion de «coresponsabilité
parentale» a été développée au sein du Conseil de l’Europe et d’autres organisations
internationales pour marquer l’évolution observée ces dernières
décennies vers un partage plus grand des responsabilités entre les
femmes et les hommes au sein du foyer. Le développement de cette
notion s’inscrit dans le cadre plus général de travaux relatifs
aux droits des enfants et à la parentalité.
8. L’article 18 de la Convention des Nations Unies relative aux
droits de l’enfant rappelle le principe selon lequel les deux parents
ont une responsabilité commune pour élever l’enfant et assurer son
développement. L’égalité juridique des parents est une condition
préalable essentielle à l’exercice conjoint des responsabilités parentales.
Une évolution nette en faveur de l’égalité des parents a été observée
dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe à partir
des années 70. Il est intéressant de relever à cet égard qu’en 1975, la
Convention sur le statut juridique des enfants nés hors mariage
(STE no 85) prévoyait à l’article 7 que «[l]orsque
la filiation d'un enfant né hors mariage est établie à l'égard des
deux parents, l'autorité parentale ne peut être attribuée de plein
droit au père seul.» L’objectif poursuivi en 1975 était ainsi de
protéger les droits de la mère. A cette époque, les notions de «chef
de famille» ou de «puissance paternelle» figuraient, par exemple, dans
le code civil français ou celle du père en tant que «gardien naturel
de son enfant légitime»
dans la législation britannique. Or, nous
constatons aujourd’hui que dans la plupart des pays européens l’autorité parentale
tend à être dévolue aux deux parents. L’Islande offre une parfaite
illustration de cette évolution: alors qu’en 1994 l’autorité parentale
était exercée conjointement dans seulement 10 % des cas après une séparation,
cela concernait 90 % des cas en 2011
.
9. Dès 1984, le Comité des Ministres adoptait Recommandation
N° R (84) 4 sur les responsabilités parentales dans laquelle il
soulignait la nécessité d’améliorer les régimes légaux existants
en vue de protéger l’enfant et promouvoir son développement tout
en garantissant l’égalité juridique entre les parents. Dans cette recommandation,
les responsabilités parentales étaient définies comme «l’ensemble
des pouvoirs et devoirs destinés à assurer le bien-être moral et
matériel de l’enfant, notamment en prenant soin de la personne de l’enfant,
en maintenant des relations personnelles avec lui, en assurant son
éducation, son entretien, sa représentation légale et l’administration
de ses biens». Cette définition s’est affinée au fil des années
de travaux et de recherche mais les principes fondamentaux restent
identiques.
10. Les responsabilités parentales désignent ainsi un ensemble
d’obligations et de droits qui visent à promouvoir et à protéger
les droits et le bien-être de l’enfant. Il convient toutefois de
préciser que certains Etats membres préfèrent utiliser la notion
d’«autorité parentale», comme par exemple l’Allemagne (elterliche Sorge), l’Italie (potestà genitoriale) ou la France,
voire de «garde» comme cela est le cas au Canada et aux Etats-Unis. En
revanche, d’autres pays, comme par exemple le Royaume-Uni, utilisent
les termes de «responsabilité parentale» (parental
responsibility). Le système juridique suisse connaît
quant à lui les deux notions: la «responsabilité parentale» est
ainsi utilisée comme terme générique se référant à l’ensemble des
obligations des parents à l’égard des enfants et englobe, d’une
part, l’autorité parentale et, d’autre part, l’obligation d’entretien.
Dans ce contexte, «l’autorité parentale» comprend l’ensemble des
droits et devoirs des parents envers les enfants. Cette différence
d’approche terminologique complique la comparaison des législations
et pratiques en vigueur, mais également la définition de règles
communes aux Etats membres du Conseil de l’Europe.
11. Aux fins du présent rapport, je voudrais retenir une acception
générale de la notion de responsabilité parentale, contenue dans
une recommandation récente du Comité des Ministres, et qui désigne
«un ensemble d’obligations, de droits et de prérogatives qui visent
à promouvoir et à protéger les droits et le bien-être de l’enfant,
en fonction du développement de ses capacités»
. Ces obligations, droits et prérogatives
incluent notamment la santé et le développement de l’enfant, ses
relations personnelles, son éducation, la représentation légale,
la détermination de sa résidence habituelle ou encore l’administration
de ses biens. Par conséquent, je m’attacherai dans ce rapport à
employer le terme de «responsabilité parentale». Toutefois, lorsque
j’examinerai les pratiques de certains Etats membres, j’emploierai
la terminologie en usage dans ces pays, comme par exemple «autorité
parentale» s’agissant de l’Allemagne et de la France.
12. Le présent rapport consacre de longs développements à la résidence
alternée des enfants à la suite d’une séparation ou d’un divorce.
Aux fins de ce rapport, cette notion de «résidence alternée» désigne
une modalité de résidence de l’enfant selon laquelle celui-ci réside
de manière alternée avec chacun de ses parents pour des périodes
plus ou moins égales, qui peuvent être fixées en jours ou en semaines,
voire en mois. D’autres termes sont employés pour désigner cette
modalité de vie de l’enfant: garde partagée, garde alternée, voire
résidence égalitaire ou paritaire. Par opposition, la résidence
dite «exclusive» consiste à fixer la résidence de l’enfant au domicile
d’un seul de ses parents, l’autre parent ayant un droit de visite
plus ou moins étendu.
13. Une confusion terminologique est entretenue par le fait que
certains systèmes juridiques utilisent les termes de «garde» (custody) pour désigner la responsabilité
ou autorité parentale, laquelle peut être «conjointe» (joint custody) ou «exclusive» (sole custody), et ceux de «garde
partagée» (shared custody au Canada
ou joint physical custody aux
Etats-Unis) pour désigner les modalités de résidence de l’enfant.
Or, le concept de garde (au sens de «résidence») doit être distingué
de celui de responsabilité ou autorité parentale. En effet, la résidence
d’un enfant chez un seul de ses parents n’implique pas l’autorité
parentale exclusive. Le fait qu’un enfant vive avec l’un de ses
parents ne doit pas priver l’autre parent de son droit d’être associé
aux décisions importantes pour la vie de l’enfant, telles que sa
santé ou sa scolarité. Ainsi, afin d’éviter toute confusion, je
m’attacherai à utiliser, dans toute la mesure du possible, le terme
de «résidence alternée» plutôt que celui de «garde».
2.2. Les
relations personnelles des enfants après une séparation
14. En Europe, plus de 10 millions
d’enfants sont issus de couples divorcés. La question des relations personnelles
de ces enfants avec leurs deux parents est essentielle pour eux.
La Convention de 2003 du Conseil de l’Europe sur les relations personnelles
des enfants (STE no 192) souligne ainsi
le droit des enfants et de leurs parents d'entretenir des relations
personnelles et des contacts directs de façon régulière. La Cour européenne
des droits de l’homme a également maintes fois rappelé que pour
un parent et son enfant, être ensemble constitue un élément essentiel
de la vie familiale qui est protégée par l’article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 5)
.
15. La résidence alternée se définit comme un arrangement en vertu
duquel les enfants de parents séparés ou divorcés passent quasiment
autant de temps chez chaque parent après la séparation, c’est-à-dire
au moins 35 % (voire 50%) chez un parent. Je me suis posée la question
de savoir s’il existe ou non un vrai bénéfice pour les enfants qui
passent au moins 35 % avec chaque parent, en comparaison avec ceux
qui vivent principalement chez leur mère et passent moins de 35 %
avec leur père. Je me suis ainsi demandé quel type d’arrangement
est le plus favorable pour les enfants.
16. Afin de trouver des réponses, j’ai étudié la synthèse faite
par le Dr Linda Nielsen de 40 études relatives à ce sujet
, ainsi
que différentes analyses faites en Allemagne, en Belgique, en France
et en Suisse. Il convient de préciser que le Dr Nielsen souligne
que ces 40 études ont des limites à prendre en considération et notamment
le fait que les enfants dont les parents disposent de revenus confortables
et qui ont le moins de conflits entre eux auront probablement le
moins de problèmes après la séparation de leurs parents. Or, seulement
16 des 40 études prennent ces données en compte. Il serait faux
malgré tout d’en conclure que ces deux facteurs importent davantage
que le facteur de la résidence alternée.
17. Les effets positifs de la résidence alternée ont été soulignés
dans de nombreuses études. Aux Etats-Unis, l’étude la plus importante
en la matière, réalisée dans les années 1980 (Stanford
Custody Project), a analysé pendant quatre années la
situation de 1 386 enfants âgés de 4 à 16 ans, issus de 1 100 familles divorcées.
L’étude conclut qu’en comparaison avec les jeunes vivant principalement
avec leur mère, les enfants vivant en résidence alternée étaient
moins dépressifs, présentaient un comportement bien adapté, étaient
moins stressés car ils ne se sentaient pas obligés de prendre soin
de leur mère, étaient moins agités, savaient mieux gérer des conflits,
étaient plus équilibrés et plus heureux, montraient moins de problèmes
de santé et avaient une meilleure relation avec leurs deux parents.
Leur père était beaucoup plus présent à des évènements à l’école
et les enfants avaient l’impression que leurs parents avaient tous
les deux le même poids en termes d’autorité.
18. Des résultats similaires ressortent d’études menées en Belgique,
en France, aux Pays-Bas, en Norvège et en Suède. En Australie, une
étude de 2009 soulignait que 70 % à 80 % des parents ayant opté
pour la résidence alternée se disaient satisfaits de leur choix,
mais surtout que la résidence alternée profite aux parents et aux
enfants et que les enfants en tirent un vrai bénéfice
.
19. En Allemagne, le Professeur Hildegund Sünderhauf-Kravets souligne
que 40 % des enfants perdent le contact avec le parent avec lequel
ils ne vivent pas quelques années après la séparation ou le divorce
et que 93 % des jeunes adultes ayant expérimenté la résidence alternée
affirment qu’il s’agissait de la meilleure solution pour eux
.
20. Lors de l’audition organisée le 20 mars 2015 par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, le Professeur Sünderhauf-Kravets
a indiqué que la résidence alternée permet, d’une part, qu’il n’y
ait plus de parent isolé et, d’autre part, un partage des responsabilités
juridiques, éducationnelles et pratiques. Elle a en effet observé
que la résidence au domicile d’un seul parent (soit la mère dans
la majorité des cas) perpétue des rôles parentaux dépassés en surchargeant
la femme de responsabilités. Les effets de la résidence alternée
seraient ainsi majoritairement positifs, tant pour l’enfant que
pour les parents. Les études sociologiques démontrent que le bien-être
de l’enfant en cas de résidence alternée est souvent similaire à
son bien-être dans une famille unie, de même que son attachement
à chacun de ses parents. Il ressort également de ces études que
les parents ont tous les deux la possibilité d’être actifs, ce qui
leur permet de générer plus de revenus. Il apparaît ainsi que la
résidence alternée est la plupart du temps la meilleure alternative
pour préserver le lien avec le père et les droits des deux parents.
21. S’agissant des relations enfant–père, une étude de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), qui a analysé la situation d’enfants
de différents pays âgés de 11, 13 et 15 ans, a conclu que le niveau
de satisfaction des enfants est étroitement lié à leur possibilité
de bien pouvoir communiquer avec leur père et ceci indépendamment
de la situation familiale (intacte, résidence alternée, situation
financière, etc.)
. Il est ainsi très
important de reconnaître le rôle des pères dans le développement
harmonieux de leurs enfants.
22. Une étude précédente du Dr Nielsen montre également que la
relation fille–père se trouve plus endommagée que la relation fils–père
après le divorce. Il apparaît en effet que la résidence alternée
a des effets plus importants pour les filles que pour les garçons.
Bien que les filles se trouvent plus vite mêlées aux conflits de
leurs parents, le fait de vivre régulièrement avec leur père les
amène à se sentir moins responsables du bien-être de leur mère.
Les garçons ont plus de facilité à ne pas se sentir impliqués dans
les conflits des parents. Une étude menée aux Pays-Bas a également
montré que dans des familles à haut potentiel de conflit, la résidence
alternée est mieux adaptée aux garçons qu’aux filles.
23. D’une manière générale, il peut être affirmé que la résidence
alternée a plus d’effets bénéfiques que la résidence chez un seul
parent, ceci en termes de bien-être psychologique, émotionnel et
social, de santé physique et de maladies liées au stress. De plus,
et ceci semble le plus important, les enfants ont des relations plus
intenses avec leur père, une plus grande facilité de communiquer
avec lui.
24. S’agissant des enfants en bas âge, la question se pose souvent
de savoir s’il existe un effet bénéfique ou néfaste pour les tout
petits (de 0 à 4 ans) de passer la nuit alternativement chez l’un
et l’autre parent. Une étude faite en Australie indique clairement
que le «overnighting» n’a
pas d’effet négatif sur les plus jeunes et qu’il y a un effet bénéfique
pour les enfants de 4 à 6 ans, surtout pour les filles. Une résidence
alternée bien organisée et rigoureusement respectée, ainsi qu’une
bonne relation avec chaque parent, a plus d’impact que le fait que
les enfants passent la nuit chez les deux parents.
25. Lors la préparation de ce rapport, j’ai tenu également à entendre
des points de vue critiques sur la résidence alternée. S’agissant
des enfants de moins de 4 ans, il est parfois avancé que le bon
développement affectif de l’enfant nécessite de favoriser la stabilité
du lien à la mère et d’éviter au maximum des séparations mère‑bébé
répétées et prolongées, mais que des rencontres fréquentes avec
le père peuvent être organisées
.
Je note avec beaucoup d’intérêt que ces critiques n’excluent cependant
pas totalement la possibilité d’une résidence alternée voire proposent
de recourir à un plan d’hébergement parental progressif à revoir
en fonction du développement de l’enfant
et qui doit être respecté rigoureusement
par les deux parents.
26. Les critiques de la résidence alternée sont souvent vigoureuses
et mettent en avant, d’une part, l’intérêt de l’enfant et, d’autre
part, l’effet déstabilisant de ce mode de résidence. Il a toutefois
été observé que «les études les plus récentes démontrent (…) que
ce n’est pas tant le type de garde qui compte mais les conditions dans
lesquelles celle-ci s’exerce (…). Le contexte et les dynamiques
familiales doivent être évaluées cas par cas puisque aucun modèle
de garde unique convient à tous»
.
27. La phase de transition d’un parent à l’autre est particulièrement
délicate et le climat dans lequel ce passage de bras se fait a beaucoup
d’importance pour les enfants
. J’ai été très choquée d’entendre que
des parents déshabillent leur enfant sur le palier de leur ex-conjoint
afin que les vêtements de leur enfant ne soient pas partagés. J’ai
conscience que la séparation d’un couple est un moment douloureux
et que la résidence alternée oblige les parents à se voir régulièrement
et peut raviver des souffrances personnelles. Toutefois, je pense
que les parents doivent faire preuve de responsabilité et agir avec
respect à l’égard de leur enfant et en prenant en compte ses besoins.
28. Pour conclure ce point, je dois mentionner le fait que, sous
certaines circonstances, le bénéfice de la résidence alternée est
réduit, sans pour autant disparaître complètement. Ceci est le cas:
- si les parents sont en conflit
permanent. Dans ce cas, ce sont surtout les filles qui se sentent
prises entre les deux parents, mais qui se sentent quand même proches
de leur père, ne se sentant pas obligées de devoir prendre soin
de leur mère;
- si la relation avec le père ou la mère est mauvaise;
- pour les adolescents qui se plaignent des inconvénients
de devoir vivre dans deux foyers. Pourtant, ils disent également
que ces inconvénients valent la peine, parce que la situation leur
permet de garder le contact avec les deux parents;
- si la distance géographique entre les deux foyers est
trop grande.
29. Ainsi, si des facteurs tels que le revenu de la famille, le
niveau d’éducation des parents, la qualité de la relation parent–enfant
ou le niveau de conflit entre les parents ont une influence, je
suis convaincue que la résidence alternée influence de manière déterminante
le bien-être de l’enfant. Je voudrais également souligner que les
enfants vivant en résidence alternée tissent des relations plus
intenses et durables avec leur père. En effet, si nous pouvons tous
être d’accord sur le fait que ce n’est pas le temps passé qui est
décisif dans le processus d’attachement mais la qualité de la relation,
il faut bien admettre avec le psychologue clinicien Gérard Poussin
que «pour avoir une qualité de relation… il faut une relation !
Donc un minimum de temps passé en deçà duquel il n’est plus possible
d’engager un processus d’attachement. On ne peut pas prétendre respecter
la place du père tout en rendant impossible la création du lien
entre l’enfant et lui»
.
Ainsi que le souligne Francine Cyr dans le Livre blanc de la résidence
alternée, «une certaine fréquence et régularité de contacts [est]
nécessaire pour que s’établisse un lien familier et sécurisant entre
le parent et son enfant»
.
3. Etat
des législations et des pratiques dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe en matière familiale
30. Le droit des enfants d’entretenir
des relations avec leurs parents est inscrit dans plusieurs instruments juridiques
internationaux. L’article 9 de la Convention de 1989 des Nations
Unies sur les droits de l’enfant rappelle le droit des enfants de
ne pas être séparés de leurs parents, à moins que l’intérêt supérieur
de l’enfant ne l’exige, et à entretenir des relations personnelles
avec le ou les parent(s) dont il est séparé.
31. Toutefois, malgré les textes internationaux et nationaux favorables
au maintien de liens de l’enfant avec ses parents, il faut constater
que les droits en matière de résidence et de visite peuvent être
mis à mal dans le cas de séparations hautement conflictuelles. Des
femmes peuvent voir leurs droits violés, comme la Cour européenne
des droits de l’homme a pu le constater dans une affaire récente
contre la République de Moldova
. Les pères sont
cependant particulièrement touchés par le non-respect de leurs droits
à entretenir des contacts avec leurs enfants. Le fait qu’un couple
ne soit pas marié aggrave parfois encore la situation en matière
de responsabilité parentale.
3.1. La
résidence des enfants de parents séparés
32. Dans sa
Résolution 1921 (2013) «Egalité des sexes, conciliation vie privée‑vie professionnelle
et coresponsabilité», l’Assemblée parlementaire appelait les autorités
publiques des Etats membres du Conseil de l’Europe à respecter le
droit des pères à la coresponsabilité en assurant que le droit de
la famille prévoit, en cas de séparation ou de divorce, la possibilité
d’une garde conjointe des enfants, dans le meilleur intérêt de ceux-ci,
sur la base d’un accord commun entre les parents, tout en précisant
que cette garde ne doit jamais être imposée.
33. La plupart des législations des Etats membres du Conseil de
l’Europe prévoient la possibilité d’une résidence alternée des enfants
à la suite d’une séparation ou d’un divorce. Dans les faits, la
résidence exclusive est toutefois dans la grande majorité des cas
confiée à la mère. Il faut préciser que cela reflète souvent le
fait que relativement peu de pères demandent la résidence exclusive
des enfants, en particulier quand ils sont en bas âge.
34. Au Luxembourg, la résidence alternée n’est pas prévue par
la loi. Ainsi, la garde sera confiée à l’un des parents et l’autre
parent aura un droit de visite plus ou moins étendu. De plus, après
un divorce, l’exercice conjoint de l’autorité parentale n’est pas
garanti par les textes applicables. Il doit être décidé par un juge.
Cela signifie que des juges refusent parfois d’accorder l’autorité
parentale conjointe, y compris dans les cas de divorce par consentement
mutuel
. Or, dans un arrêt du
12 décembre 2008, la Cour constitutionnelle du Luxembourg a déclaré
non conformes au principe d’égalité contenu à l'article 10 bis (1)
de la Constitution certains articles du Code civil dans la mesure
où ils n'autorisent pas l'exercice conjoint par les parents divorcés de
l'autorité parentale sur les enfants communs. Malgré cet arrêt,
ces articles du Code civil n’ont pas été mis en conformité avec
la Constitution. En pratique, les tribunaux continuent ainsi de
décider au cas par cas auquel des deux parents l’autorité parentale
sera attribuée, surtout lorsque le divorce est conflictuel. Dans
un tel cas, l’autorité parentale sera attribuée au parent gardien,
qui le plus souvent est la mère.
35. Lors des réunions que j’ai eues à Luxembourg le 27 février
2015, il m’a été signalé que l'introduction de la résidence alternée
et la suppression du statut de «parent non gardien» du Code civil
seraient de nature à remettre les deux parents sur un pied d'égalité.
La réalité vécue par les parents «non gardiens» au Luxembourg a
été jugée très discriminatoire. En effet, même si le parent non
gardien a l'autorité parentale, il est dans les faits exclu des
décisions les plus importantes concernant son enfant: les informations
envoyées par l'école ne lui sont pas souvent adressées et il n'a
pas un accès automatique au carnet de santé de son enfant.
36. La société luxembourgeoise est sans aucun doute prête à une
évolution des lois sur le divorce et la filiation. Le mariage et
l'adoption par des personnes de même sexe sont autorisés depuis
le 1er janvier 2015, ce qui démontre,
si besoin était, cette ouverture d'esprit sur les questions sociétales
et familiales. Pourtant, des notions telles que «enfant légitime/enfant
naturel», «parent gardien/non gardien» et des principes telles que l'autorité
parentale dévolue systématiquement à la mère en cas de séparation
d'un couple non marié ou la résidence exclusive pour l'un des parents
et le droit de visite uniquement pour l'autre ne devraient plus
figurer dans la législation. Je me félicite que le ministre de la
Justice ait annoncé qu'un nouveau projet de loi sur le divorce sera
déposé. Cette réforme est d'autant plus importante qu'elle concerne
un grand nombre de personnes. En effet, il est estimé qu'au Luxembourg,
54 % des couples mariés divorcent. Il conviendrait toutefois de
prendre également en compte la situation des couples non mariés
qui ont des enfants et qui se séparent.
37. En France, la résidence alternée a été introduite par la loi
en 2002. L’article 373-2-9 du Code civil prévoit que la résidence
de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun
des parents ou au domicile de l’un d’eux. D’après une enquête du
ministère de la Justice
,
la résidence alternée est prononcée dans 17 % des cas de séparation
ou divorce, ce qui est l’un des taux les plus élevés en Europe.
De plus, elle résulte dans 80 % des cas d’un accord entre les parents.
38. Lors d’une audition organisée le 20 mars 2015 par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, Mme Anne Solaz de l’Institut
national des études démographiques, une des auteurs d’une étude
récente de l’INSEE sur les conditions de vie des enfants après un
divorce
,
a indiqué que deux tiers des divorces en France impliquent des enfants
mineurs et que la résidence chez la mère est la norme dans trois-quarts
des cas. Cette étude a mis en lumière que la résidence alternée
est plus pratiquée dans les milieux aisés, notamment en raison de
certaines contraintes financières, telle que la nécessité pour chacun
des parents d’avoir un logement suffisamment grand pour accueillir
les enfants. Pourtant, la résidence alternée progresse en France.
Elle a doublé depuis son introduction en 2002. Mme Solaz a souligné
devant la commission l’enjeu symbolique de la résidence alternée
pour l’égalité des droits des deux parents et son enjeu concret
pour le maintien des liens entre le père et son enfant.
39. Interrogés par la chaîne de télévision Arte en 2013 sur la
pratique de la résidence alternée, des magistrats français ont exprimé
l’avis que, bien que de plus en plus appliquée en France, elle ne
deviendrait probablement jamais la règle parce qu’elle n’est pas
envisageable dans de nombreuses situations, soit pour des raisons
pratiques, lorsque les domiciles des parents sont trop éloignées
ou si leurs horaires de travail sont très contraignants, soit en
raison des relations extrêmement conflictuelles des parents
. En effet, la résidence alternée
est généralement envisagée lorsque les deux parents y consentent.
Afin d’éviter tout veto de la part d’un parent, le juge français
peut imposer la résidence alternée dans l’intérêt de l’enfant. Toutefois,
dans la grande majorité des cas, le juge ne prononce pas la résidence
alternée lorsque l’un des parents s’y oppose. Il faut ainsi constater
que lorsque le père demande une garde partagée et la mère une résidence
exclusive, le père ne l’obtient que dans 25 % des cas, contre 40 %
des cas lorsque la situation est inversée. Cette tendance a pu être
dénoncée comme étant particulièrement défavorable au père, voire
discriminatoire
. Elle crée en effet un déséquilibre
entre les deux parents et est de nature à décourager les pères de
demander la résidence alternée, perpétuant ainsi la perception d’un
système judiciaire globalement défavorable aux pères.
40. Le 24 juin 2015, j’ai eu un entretien avec Mme Josiane Bigot,
Présidente de Chambre à la Cour d’Appel de Colmar sur sa pratique,
en tant que magistrate, de la résidence alternée. Mme Bigot m’a
indiqué que la résidence alternée a été introduite en France en
se fondant sur la Convention des Nations Unies sur les droits de
l’enfant qui prévoit qu’un enfant a le droit de ne pas être séparé
de ses parents. Pourtant, de plus en plus souvent, la résidence
alternée devient un arrangement des parents, voire un droit des
parents, et l’intérêt de l’enfant apparaît renvoyé au second plan.
Pour Mme Bigot, un enfant devrait non seulement être consulté au moment
où la décision relative à sa résidence est prise, mais également
avoir la possibilité de saisir le juge aux affaires familiales pour
que cette décision soit réexaminée si elle ne lui convient pas,
ou plus. Je pense en effet qu’il est très important de pouvoir adapter
le mode de résidence d’un enfant au cas par cas et dans le temps
. De même, le partage du
temps passé avec chacun des parents doit être modulé en fonction
des capacités de l’enfant. Enfin, je suis convaincue que la résidence
alternée doit être un droit des enfants à avoir des relations avec
ses deux parents, et non pas un droit des parents.
41. Il est fondamental pour moi que le droit de l’enfant d’être
entendu soit respecté dans toutes les procédures le concernant dès
lors qu’il est censé être capable de discernement pour ce qui est
des procédures en question. Cette obligation est contenue dans de
nombreux instruments juridiques internationaux et notamment dans
la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants (STE
no 160) qui prévoit que dans les procédures
judiciaires, un enfant devrait recevoir toute information pertinente,
être consulté et exprimer son opinion, et être informé des conséquences
éventuelles de la mise en pratique de son opinion et des conséquences
éventuelles de toute décision (article 3). Les Lignes directrices
du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées
en 2010, ont par ailleurs utilement rappelé que «un enfant ne devrait pas
être empêché d’être entendu du seul fait de son âge. Si un enfant
prend l’initiative de se faire entendre dans une affaire le concernant
directement, le juge ne devrait pas, sauf dans l’intérêt supérieur
de l’enfant, refuser de l’écouter et devrait entendre ses points
de vue et avis sur les questions le concernant dans l’affaire»
. Ces principes devraient guider l’ensemble
des professionnels intervenant dans les procédures familiales.
42. Je voudrais conclure ce point en indiquant que, outre le Luxembourg,
d’autres Etats membres ne prévoient pas de résidence alternée dans
leur législation, comme par exemple l’Albanie, la Grèce ou la Pologne.
Dans d’autres pays, bien que la résidence alternée soit prévue par
la loi, elle reste marginale, par exemple en Italie ou au Portugal
. J’espère par ce
rapport encourager ces Etats à engager la réflexion sur l’introduction
de la résidence alternée dans leur système juridique ou à encourager
son application par les autorités judiciaires.
3.2. L’exécution
des décisions relatives à la résidence de l’enfant et aux droits
de visite
43. La plupart des Etats membres
prévoient des sanctions en cas de non-représentation d’enfants.
Dans mon pays, le Luxembourg, alors que la non-représentation d’enfants
est passible de sanctions pénales sévères, il s’avère que les poursuites
ne sont pas engagées de manière systématique, ce qui tend à créer
un sentiment d’impunité chez le parent qui ne respecte pas le droit
de visite de l’autre parent. Il est vrai qu’il s’agit d’un domaine
sensible et la réponse judiciaire adéquate n’est pas toujours facile
à trouver. Ainsi, alors même que le cadre juridique semble en place
dans la grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe,
de nombreuses affaires nous obligent à constater que les décisions
de justice sur les droits de garde ou de visite ne sont pas suffisamment
respectées.
44. La Cour européenne des droits de l’homme a eu à connaître
d’un grand nombre d’affaires familiales relatives à l’exécution
des décisions relatives à la résidence de l’enfant et au droit de
visite. Dans une affaire de 2006, la Cour a ainsi condamné la République
tchèque pour n’avoir pas pris toutes les mesures pour faire respecter
le droit de visite du requérant
. La même
année, la Cour a condamné à nouveau la République tchèque pour n’avoir
pas permis au requérant de contester une décision lui retirant l’accès
à ses enfants après que les autorités nationales n’aient pris aucune
mesure pour exécuter la décision lui accordant cet accès
. Dans
une affaire de 2013 contre l’Italie, la Cour a rappelé que «si des
mesures coercitives à l’égard des enfants ne sont pas souhaitables
dans ce domaine délicat, le recours à des sanctions ne doit pas
être écarté en cas de comportement manifestement illégal du parent
avec lequel vit l’enfant»
. La conséquence de l’inaction
des autorités nationales peut en effet aboutir à l’impossibilité
de construire une relation stable entre un parent et son enfant.
45. Les questions de résidence et de visite peuvent être particulièrement
compliquées dans les cas de couples bi-nationaux où les législations
et autorités judiciaires de plusieurs pays trouvent à s’appliquer.
Cette difficulté est illustrée par l’affaire Shaw
c. Hongrie portée en 2009 devant la Cour européenne des
droits de l’homme qui concernait un enfant né d’un père irlandais
et d’une mère hongroise, tous deux résidant à Paris. Le jugement
de divorce rendu en 2005 accordait l’autorité parentale conjointe
aux deux parents et prévoyait que l’enfant resterait en France pour
que le père puisse exercer ses responsabilités parentales. Toutefois,
en 2007, la mère décida de partir en Hongrie avec l’enfant et de
ne plus revenir en France. Le père engagea une procédure devant
les juridictions hongroises qui reconnurent que la résidence de
l’enfant était en France. La mère refusa de se conformer à cette
décision et disparut avec l’enfant. Le père engagea en vain une
procédure en Hongrie puis en France où, en 2008, le retour de l’enfant
en France fut ordonné. Les tribunaux hongrois refusèrent d’exécuter
cette décision. Le père fut ainsi privé de tout contact avec sa
fille pendant trois années et demi. Dans un arrêt de 2011, la Cour
européenne des droits de l’homme conclut à la violation de l’article
8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit
au respect de la vie familiale et condamna la Hongrie pour n’avoir
pas pris les mesures adéquates et effectives nécessaires à l’exécution
de l’ordre de retour de l’enfant auprès de son père. Quinze jours
après cet arrêt, la police hongroise retrouva la fillette chez ses
grands-parents maternels. Elle vit depuis avec son père en France.
46. Lors de son audition le 28 janvier 2015 par la commission
sur l’égalité et la non-discrimination, M. Shaw a fait état de la
multitude d’obstacles auxquels il a dû faire face pour obtenir le
retour de sa fille. Il a indiqué avoir engagé environ 70 procédures
dont certaines sont toujours en cours. Il a fait preuve d’une persévérance remarquable
et il serait tout à fait compréhensible que dans des circonstances
similaires d’autres pères soient découragés par l’énergie, les procédures
et les sommes d’argent à consacrer. M. Shaw a insisté sur la nécessité
d’une réaction rapide des autorités lorsqu’un enlèvement d’enfant
est signalé. Le temps est en effet un élément crucial tant pour
assurer le retour de l’enfant que pour préserver la relation entre
le parent et son enfant. La Cour européenne des droits de l’homme
a souligné à cet égard à plusieurs reprises que le passage du temps
peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre
l’enfant et le parent qui ne vivent pas ensemble
.
47. Lors de cette audition organisée le 28 janvier 2015, Maître
Thuan dit Dieudonné, avocat de M. Shaw, a appelé à une mise en œuvre
effective par les Etats de la Convention de La Haye du 25 octobre
1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants.
Cette convention, très largement ratifiée
, met en place un
système de coopération entre les autorités centrales et une procédure
accélérée visant au retour rapide de l'enfant dans son Etat de résidence
habituelle à la suite de son enlèvement par son père ou sa mère.
Le principe du retour immédiat qui est au cœur de cette convention
revêt une fonction dissuasive considérée par la convention comme
étant dans l'intérêt général de l'enfant. La décision de retour
a ainsi vocation à restaurer le
statu
quo existant avant le déplacement ou le non-retour illicites,
et à soustraire au parent ravisseur tout avantage que l'enlèvement
aurait pu lui procurer. Les exceptions au retour sont précisément
énumérées par la convention. Elles concernent par exemple l’existence
d’un risque grave pour l’enfant d’être exposé à un danger physique
ou psychique, le refus de l’enfant s’il a atteint un âge et une
maturité suffisante, ou encore si plus d’une année s’est écoulée
et si l’enfant s’est intégré à son nouvel environnement. Ce dernier
cas de figure montre à quel point une réaction rapide des autorités
nationales est essentielle. Or la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme abonde de cas où les délais pour assurer le
retour d’un enfant ont été anormalement longs, au point d’aboutir
à une violation des droits familiaux des requérants, qu’il s’agisse
du père ou de la mère
.
3.3. La
médiation familiale
48. Les recherches et entretiens
que j’ai menés pendant l’élaboration de ce rapport ainsi que les témoignages
de parents que j’ai pu recueillir m’ont convaincue de l’importance
de développer la médiation dans les affaires familiales relatives
à la résidence des enfants après une séparation. Plusieurs instruments
du Conseil de l’Europe ont souligné l’importance de la recherche
d’un accord entre les parents. Il s’agit notamment de la Convention
de 1996 sur l’exercice des droits des enfants (STE no 160)
et dont l’article 13 encourage la mise en œuvre de la médiation
ou de toute autre méthode de résolution des conflits
.
Tous les Etats membres devraient ratifier cette convention et mettre
en œuvre cette disposition essentielle relative à la médiation.
49. La médiation est un moyen qui permet de responsabiliser les
parents en les amenant à définir eux-mêmes les conditions de vie
de leur enfant après la séparation. Lors des entretiens que j’ai
eus au Luxembourg le 27 février 2015, Mme Lydie Err, Médiatrice
du Luxembourg, a ainsi évoqué le «sur-mesure de la médiation» par
opposition au «prêt-à-porter judiciaire» qui appliquera, à défaut
d'accord entre les parents, la formule du «un week-end sur deux
et la moitié des vacances»
.
Une séance gratuite d’information sur la médiation est prévue par
la loi au Luxembourg et il conviendrait de faire plus largement
usage de cette possibilité donnée aux juges d’imposer dans tous
les cas litigieux une telle séance d’information.
50. Au Royaume-Uni, de fortes mesures d’incitation à recourir
à la médiation ont été développées. Une séance d’information (mediation information and assessment meeting)
est ainsi devenue obligatoire, en avril 2014, pour tous les couples
avec enfants qui se séparent, à l’exception toutefois des cas de
violence domestique. La question du recours à la médiation dans
les cas de violence domestique fait débat dans les Etats européens.
Comme au Royaume-Uni, il est interdit en Espagne par la loi organique
1/2004 du 28 décembre 2004 relative aux mesures de protection exhaustives
contre la violence fondée sur le genre. Il faut toutefois relever
que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(STCE no 210 «Convention d’Istanbul»)
n’interdit pas le recours à la médiation mais exclut son caractère
obligatoire (article 48). Ainsi, en Autriche, le recours à la médiation
est possible mais il est accompagné de mesures de protection de
la victime, tels que son consentement exprès à la médiation, l’absence
d’obligation de rencontrer l’auteur de violence domestique, ou encore
le droit d’être accompagné par un avocat d’un centre de soutien
aux femmes (Intervention Centre).
51. Parmi les bénéfices constatés, il apparaît que la médiation
permettra souvent aux parents de restaurer le dialogue et de trouver
ensemble la meilleure solution possible à leur conflit et dans l’intérêt
de l’enfant. Cette solution s’inscrira presque toujours dans la
durée puisqu’elle aura été conçue par les deux parents eux-mêmes et
non pas imposée par un juge. Il a également été observé que le respect
de l’obligation alimentaire est plus important lorsque les parents
ont conclu un accord. Il apparaît en effet que le versement des
pensions alimentaires dépend plus de la qualité des relations entre
les parents que du niveau de revenu du parent auquel incombe l’obligation
alimentaire
.
52. Divers modèles de médiation existent. Je voudrais mentionner
ici le modèle dit de Cochem, du nom d’une ville allemande où un
juge de la famille, M. Jürgen Rudolph, a institué un système de
collaboration entre les autorités judiciaires, l’ordre des avocats,
l’office de protection de la jeunesse et les services de consultation qui
permet d’amener les parents en conflit à trouver des solutions amiables
pour répondre aux besoins de leurs enfants.
53. Lors de l’entretien que j’ai eu avec le Professeur Rudolph,
le 18 mai 2015, ce dernier m’a expliqué que le modèle de Cochem
vise en premier lieu à convaincre des parents en situation de séparation
ou de divorce qu’ils ont une responsabilité commune par rapport
à leurs enfants. Ainsi, les diverses personnes, spécialistes, institutions
qui interviennent dans la procédure collaborent de façon interdisciplinaire
pour amener les parents à se parler et à accepter le lien de l’enfant
avec ses deux parents. Le Professeur Rudolph m’a fait part de ses critiques
vis-à-vis de la trop grande focalisation sur les parents, laquelle
nuit aux enfants. Partant du postulat qu’un enfant aime ses deux
parents, le plus important est, d’après lui, de maintenir le lien
de l’enfant avec ses deux parents et de permettre à l’enfant de
continuer à vivre ces relations après la séparation des parents.
54. D’après le modèle de Cochem, les parents doivent se parler
et se concerter sur tout ce qui concerne leur enfant, même s’il
s’agit de problème mineur. La perspective de l’enfant doit déterminer
la manière dont une décision sera prise et les différentes compétences
des différents intervenants sont interconnectées. Enfin, le cadre
qui est défini doit être rigoureusement respecté. Le professeur
s’est prononcé en faveur d’une consultation obligatoire d’un médiateur
en cas de divorce, qui peut être organisée par un juge et que les parents
s’engagent à suivre.
55. Plusieurs éléments du modèle de Cochem apparaissent dans la
nouvelle loi allemande relative aux procédures en matière familiale
et aux juridictions gracieuses du 17 décembre 2008
, et en particulier l’article 155
sur la procédure accélérée (la date d’audience est fixée au plus
tard un mois après l’introduction de la procédure), l’article 156
relatif à l’information sur la possibilité de se faire conseiller
ou de recourir à un médiateur et l’article 163 sur le rapport d’expertise
qui doit être orienté vers une solution.
56. Une procédure familiale accélérée (Das
beschleunigte Familienverfahren) a ainsi été développée
à Berlin par le barreau des avocats et les tribunaux aux affaires
familiales à partir du modèle de Cochem. Lancée dès avril 2007,
cette initiative a connu un grand succès et s’est vue décerner,
en 2014, le prix «Balance de cristal» par la Commission européenne
pour l’efficacité de la justice (CEPEJ). Cette procédure familiale accélérée
est partie du constat que les enfants ont besoin de relations stables
et harmonieuses avec leurs deux parents et que la qualité des relations
ne peut pas être imposée par un juge. L’objectif a ainsi été de parvenir
à une solution que les deux parents ont définie en commun et qu’ils
peuvent tous deux soutenir dans la durée. Les trois axes principaux
de cette procédure consistent en la mise en place d’une procédure spécifique,
soutenue par des équipes pluridisciplinaires (juges, avocats, offices
de jeunesse) qui ont la même attitude et transmettent le même message
aux parents.
57. Grâce à cette procédure, 70 % des plans parentaux se font
par consentement mutuel, sans qu’une décision judiciaire ne soit
nécessaire. De plus, il a été observé qu’elle permet d’éviter l’aggravation
des conflits parentaux et a accru la compréhension mutuelle entre
les professionnels. Les résultats de cette procédure sont très impressionnants.
Dans la seule ville de Berlin, elle implique 100 juges aux affaires
familiales ainsi que près de 14 000 avocats, 12 services d’aide
sociale à l’enfance et 600 travailleurs sociaux. Je voudrais préciser
que pour atteindre de tels résultats les implications financières
et humaines ont été très limitées puisqu’il s’est agi dans la pratique
de réallouer efficacement les ressources disponibles. Ce modèle
devrait être une source d’inspiration pour les autres Etats membres
du Conseil de l’Europe.
58. D’autres pays ont développé des pratiques innovantes, tel
que le Canada où la médiation permet aux parents de convenir d'un
plan parental qui définit les aspects les plus importants de la
vie de l’enfant, tels que le lieu de résidence, l'école fréquentée,
les activités parascolaires, etc. Ce plan peut être révisé par entente directe
entre les deux parents, par la médiation voire par le juge en cas
de désaccord
. De même, en Croatie, le Code civil
prévoit l’élaboration d’un plan de coparentalité dans lequel seront
détaillés les différents aspects relatifs à la vie de l’enfant tels
que sa résidence, le temps passé avec chaque parent, le montant
de la pension versé par le parent avec lequel l’enfant ne réside
pas. Il est très intéressant de noter que le Code civil exige des
parents qu’ils informent l’enfant du contenu de ce plan de coparentalité
et recueillent son avis selon son âge et sa maturité. Cela souligne
l’importance d’associer l’enfant aux décisions qui le concernent
directement.
59. Ces exemples très positifs de médiation devraient être davantage
développés dans nos Etats membres en tant qu'instrument de pacification
des relations parentales et de responsabilisation vis-à-vis des
enfants. Il me semble crucial de soutenir les mécanismes de médiation
et d’encourager la pratique des plans parentaux qui permettent aux
parents de définir eux-mêmes les principaux aspects de la vie de
leur enfant. Il en va de l'intérêt des enfants qui deviennent trop
souvent un enjeu des relations de leurs parents. Je crois enfin
que la médiation permet de faire émerger le couple parental quand
le couple conjugal a cessé d'exister.
4. La
persistance de discriminations et stéréotypes fondés sur le sexe
ou le statut matrimonial
60. Les médias se font parfois
l’écho de pratiques discriminatoires à l’encontre des pères, qu’il
s’agisse du refus d’une entreprise d’accorder un temps partiel à
ses employés masculins
ou d’une décision de justice refusant
d’annuler la procédure d’adoption d’un enfant né sous X et de le
confier à son père biologique
. Je vois dans ces cas le signe d’une persistance
des rôles stéréotypés attribués aux hommes et aux femmes dans leur
relation à la famille et aux enfants. Le droit au congé parental
est particulièrement parlant à cet égard, de même que la situation
dans certains Etats membres des pères non-mariés.
61. Au cours de mes recherches, j’ai également constaté un certain
nombre de pratiques adoptées par des autorités administratives de
nos pays qui contribuent à perpétuer les stéréotypes et à marginaliser
le rôle des pères. Par exemple, il est fréquent que les informations
transmises par l’école soient adressées à la mère uniquement. Cela
est particulièrement vrai lorsque les parents sont séparés. Dans
ce cas, le parent avec lequel l’enfant ne vit pas est traité différemment.
Une étude récente au Danemark a également montré que, dans la plupart
des cas, les informations relatives aux garderies, aux visites médicales,
à la fréquentation scolaire sont envoyées par les municipalités
aux mères uniquement, alors même que 85 % des parents sont d’accord
sur le fait que ces informations devraient être envoyées aux deux
parents
.
Autre exemple, au Luxembourg, la carte de sécurité sociale n’est
pas attribuée aux deux parents. De même, en France, malgré le développement de
la résidence alternée, les prestations sociales sont souvent inadaptées
à ce mode de résidence, notamment en matière de prestations de garde
d’enfants ou d’allocations de logement, qui ne peuvent bénéficier
qu’à l’un des deux parents.
4.1. Le
congé parental
62. Plusieurs Etats membres du
Conseil de l’Europe réservent le congé parental payé aux mères,
malgré les nombreux textes internationaux qui font obligation aux
Etats d’assurer l’égalité entre les femmes et les hommes en matière
de droits et responsabilités familiales. D’après une étude récente
de l'Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), Chypre, la République slovaque, la Suisse, la République
tchèque et la Turquie ne prévoient pas de congé parental payé pour
les pères
.
63. Une affaire récente devant la Cour européenne des droits de
l’homme a montré que le droit au congé parental peut parfois être
réservé aux femmes malgré les recommandations répétées du Conseil
de l’Europe. Dans l’affaire
Markin c.
Russie, un militaire, père de trois enfants et divorcé,
avait convenu avec son ex-femme que les enfants résideraient chez
lui. L’un des enfants étant en bas âge, le requérant a demandé à
bénéficier d’un congé parental de trois ans, ce qui lui a été refusé
au motif qu’un tel congé ne bénéficie qu’au personnel militaire
de sexe féminin. En revanche, un congé de trois mois lui fut accordé.
La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention
relatif au droit au respect de la vie familiale combiné avec l’article
14 de la Convention qui interdit toute discrimination. La Cour a
considéré que «la répartition traditionnelle des rôles entre les
sexes dans la société ne peut servir à justifier l’exclusion des
hommes, y compris ceux travaillant dans l’armée, du droit au congé
parental. (…) les stéréotypes liés au sexe – telle l’idée que ce
sont plutôt les femmes qui s’occupent des enfants et plutôt les
hommes qui travaillent pour gagner de l’argent – ne peuvent en soi passer
pour constituer une justification suffisante de la différence de
traitement en cause, pas plus que ne le peuvent des stéréotypes
du même ordre fondés sur la race, l’origine, la couleur ou l’orientation
sexuelle
».
64. J’ai appris que depuis l’arrêt Markin,
les autorités russes examinent un amendement à la loi autorisant les
pères militaires de bénéficier d’un congé parental allant jusqu’à
une durée de trois ans. Je me félicite de ce développement.
65. Par ailleurs, il est intéressant de relever qu’avec cet arrêt
la Cour a renversé sa jurisprudence précédente, en particulier l’arrêt
Petrovic c. Autriche de 1998, en
s’appuyant sur l’évolution constatée dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe s’agissant du partage des responsabilités entre les
hommes et les femmes en matière d’éducation des enfants, et notamment
du rôle du père auprès des jeunes enfants. La Cour a également rappelé
que «des références aux traditions, présupposées d’ordre général
ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné
ne suffisent pas à justifier une différence de traitement fondée sur
le sexe
».
La doctrine a pu souligner qu’avec cet arrêt, la Cour européenne
des droits de l’homme fait preuve d’audace en s’attaquant aux stéréotypes
tenaces au sein de nombreuses sociétés sur le rôle alloué aux hommes
et, par ricochet, aux femmes
.
66. Ce faisant, la Cour s’est appuyée sur une évolution amorcée
par la Cour de justice de l’Union européenne dans une affaire qui
concernait le congé dit «d’allaitement» en Espagne. Les mères ayant
le statut de travailleur salarié pouvaient bénéficier de ce congé,
de même que les pères ayant le statut de travailleur salarié mais
à condition que la mère de leur enfant possède aussi ce statut.
Dans le cas porté devant la Cour de justice, un père salarié contestait
le fait de ne pas avoir pu bénéficier de ce congé au motif que la
mère de son enfant exerçait une profession indépendante. Dans un
arrêt de 2010, la Cour de justice a tout d’abord relevé que le congé
dit «d’allaitement» a pour effet de modifier les horaires de travail
et n’est pas limité à l’allaitement puisque les pères salariés peuvent
en bénéficier. Elle a souligné que «le fait de considérer (…) que
seule la mère ayant le statut de travailleur salarié serait titulaire
du droit de bénéficier du congé en cause au principal alors que
le père ayant le même statut ne pourrait jouir de ce droit sans
en être le titulaire est plutôt de nature à perpétuer une distribution
traditionnelle des rôles entre hommes et femmes en maintenant les hommes
dans un rôle subsidiaire à celui des femmes en ce qui concerne l’exercice
de leur fonction parentale»
.
La Cour de justice a conclu que la mesure en cause n’est pas compatible
avec la directive de 1976 sur l’égalité de traitement entre hommes
et femmes dans l’emploi. Le Code du travail espagnol a été modifié
en février 2012 et, désormais, les parents salariés bénéficient
de manière égale de ce congé en Espagne.
67. En revanche, en Grèce, le congé parental payé ne peut être
accordé aux fonctionnaires de sexe masculin que si leur épouse ne
travaille pas, alors que les fonctionnaires de sexe féminin peuvent
en bénéficier quelle que soit la situation professionnelle de leur
époux. Dans un arrêt de juillet 2015, la Cour de justice de l’Union
européenne a considéré que cette disposition du code grec des fonctionnaires
établit une discrimination directe fondée sur le sexe, en contradiction
avec la réglementation européenne sur l’égalité de traitement entre
hommes et femmes en matière d’emploi
.
68. L’Assemblée a rappelé dans sa
Résolution 1274 (2002) sur le congé parental que celui-ci «est intimement lié
au rôle des hommes dans la vie familiale, car il permet d’instaurer
un véritable partenariat dans le partage des responsabilités entre
les hommes et les femmes dans les sphères privée et publique». En
2013, dans sa
Résolution
1939 (2013) sur le congé parental, moyen d’encourager l’égalité
des sexes, l’Assemblée a invité les Etats membres à instaurer un
congé parental qui permet de «réserver une partie du congé au père, non
transmissible à l’autre parent et perdue si elle n’est pas utilisée,
sauf circonstances exceptionnelles, et prévoir un système de bonus
pour les cas où les deux parents prendraient le congé, afin d’inciter
les pères à prendre un congé parental».
69. De bonnes pratiques peuvent être observées dans certains Etats
membres du Conseil de l’Europe et pourraient être une source d’inspiration
pour les autres pays.
70. En Islande, la loi no 95/2000 relative
au congé de maternité/paternité et au congé parental a été adoptée en
2000 avec comme double objectif, d’une part, de veiller à ce que
l’enfant bénéficie des soins de ses deux parents et, d’autre part,
de permettre aux hommes et aux femmes de concilier leur vie professionnelle
et leur vie familiale. Le congé, initialement de six mois, est aujourd’hui
de neuf mois et il est partagé entre les deux parents: trois mois
pour la mère, trois mois pour le père et trois mois supplémentaires
à partager entre les deux parents. Il est intéressant de noter que
les trois mois de congé attribués à chaque parent ne sont pas transférables.
De plus, le salaire est maintenu à 80 %.
71. D’après une étude publiée en 2013, cette loi a favorisé un
partage plus équitable des responsabilités parentales au sein des
familles et un plus grand engagement des pères vis-à-vis de leurs
enfants
. Environ 90 % des pères
islandais prennent leur congé parental non-transférable de trois
mois et une augmentation régulière du nombre des pères qui utilisent
la part pouvant être partagée entre le père et la mère a été observée.
Il apparaît toutefois que les pères qui ne vivent pas avec la mère
de leur enfant font peu usage de leur congé parental.
72. L’impact sur l’enfant d’une plus grande présence paternelle
est jugé positif à plusieurs titres
. Il a notamment été relevé que lorsque
les parents ne se conforment pas aux stéréotypes des rôles féminin
et masculin, les enfants sont moins susceptibles d’adopter des attitudes
fondées sur des stéréotypes de genre. De plus, la présence de deux
parents stimule le développement cognitif de l’enfant qui est confronté
à deux individus plutôt qu’à un seul. Cela serait également bénéfique
au couple et réduirait les conflits, chaque parent ayant la possibilité
de développer à la fois sa relation à l’enfant et sa vie professionnelle.
Egalité et intérêt de l’enfant peuvent ainsi aller de pair. Enfin,
il a été observé récemment que les pères qui ont pris un congé au moment
de la naissance de leur enfant sont plus impliqués dans l’éducation
de leur enfant que ceux qui, par exemple, auraient uniquement assisté
aux séances prénatales et à la naissance de leur enfant
.
73. Des avancées peuvent être constatées dans de nombreux Etats
membres du Conseil de l’Europe qui ont adopté des règles relatives
au congé parental au bénéfice des deux parents. En Pologne, par
exemple, le Code du travail a été amendé en 2013 pour y introduire
de nouveaux régimes de congés parentaux. Il prévoit notamment que
le congé parental de 26 semaines, qui s’ajoute au congé de maternité
et de paternité, peut être pris indifféremment par la mère ou le
père. Toutefois, il n’est pas prévu qu’une partie du congé soit réservée
au père et non-transmissible. Or, nous avons pu constater en Islande
et dans les autres pays nordiques, l’effet incitatif d’une telle
mesure. En revanche, au Royaume-Uni, le congé parental est de 18 semaines
et ne peut pas être transféré. Il a cependant été observé que le
pourcentage de pères utilisant ce droit au congé parental est très
faible (entre 2 % et 7 % selon les estimations), principalement
en raison du fait que ce congé n’est pas payé
.
4.2. Le
cas particulier des enfants nés de couples non mariés
74. Plusieurs Etats membres prévoient,
ou prévoyaient, dans leur législation qu’en cas de séparation d’un couple
non-marié, l’autorité parentale revenait automatiquement à la mère.
Tel est le cas encore aujourd’hui de la Grèce ou du Luxembourg.
75. Cela était également le cas de l’Allemagne jusqu’en 2013.
Jusqu’à cette date, le Code civil allemand prévoyait, à l’article
1672a§2, que l’autorité parentale conjointe sur un enfant né hors
mariage ne pouvait être obtenue que par mariage, déclaration jointe
ou décision de justice. A défaut, l’autorité parentale exclusive
était attribuée à la mère. Les autorités allemandes expliquaient
cette disposition par le fait que le partage de l’autorité parentale
contre la volonté de la mère serait contraire à l’intérêt supérieur
de l’enfant. Dans l’affaire
Zaunegger
c. Allemagne, un père s’étant vu refusé l’exercice conjoint
de l’autorité parentale sur la base de l’article 1672a§2 du Code
civil en raison de l’opposition de la mère, se plaignait devant
la Cour européenne des droits de l’homme de la nature discriminatoire
de la législation allemande à l’égard des pères non-mariés. La Cour
est allée dans son sens et a conclu à la violation des articles
8 (droit au respect de la vie familiale) et 14 (interdiction de
la discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme
.
76. A la suite de cet arrêt, la Cour constitutionnelle fédérale
décida en juillet 2010 que cette disposition du Code civil allemand
était contraire à la loi fondamentale allemande, d’une part, parce
qu’elle privait par principe le père de son droit de garde si la
mère de l’enfant n’y consentait pas et, d’autre part, parce que
le père ne pouvait pas obtenir d’examen judiciaire de la décision
de garde de l’enfant. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle
allemande a également demandé aux tribunaux aux affaires familiales,
dans l’attente d’un amendement du Code civil, d’accorder, sur demande
d’un parent, la garde de l’enfant aux deux parents, voire au père,
pour autant que cela soit compatible avec l’intérêt de l’enfant.
Le Code civil allemand a finalement été amendé en ce sens en mai
2013. Je salue cette décision et appelle les autres Etats membres
concernés à s’engager sur la même voie, y compris mon pays, le Luxembourg.
77. Au Luxembourg, en effet, l’article 380 du Code civil prévoit
que même si le père et la mère non-mariés ont reconnu l’enfant,
l’autorité parentale est exercée par la mère. Elle peut toutefois
être exercée en commun par les deux parents s’ils en font la déclaration
conjointe devant le juge des tutelles. Dans un arrêt du 26 mars 1999,
la Cour constitutionnelle a déclaré cette disposition contraire
à l’article 11 de la Constitution au motif qu’il attribue l’autorité
parentale privativement à la mère même dans le cas où l’enfant a
été reconnu par ses deux parents. Dans un arrêt rendu le 7 juin
2013, la Cour constitutionnelle a confirmé sa position et constaté
que l’article 380 du Code civil n’avait pas été mis en conformité
avec la Constitution.
78. Un projet de loi relatif à la responsabilité parentale a été
préparé par le Gouvernement luxembourgeois et soumis à la Chambre
des députés en avril 2008. Il prend acte des évolutions observées
dans les pays européens et des standards développés au niveau international
pour introduire un système de coparentalité qui consacre l’exercice
en commun de la responsabilité parentale par les père et mère, mariés
ou non, et, le cas échéant par-delà la séparation du couple. La
procédure législative est toujours en cours.
5. Conclusions
79. Malgré les évolutions positives
constatées en matière de coresponsabilité parentale, les questions relatives
à la résidence des enfants et aux droits de visite peuvent s’avérer
particulièrement sensibles lorsque les parents se séparent. Dans
ce domaine, le maintien des relations entre les enfants et leur
père peut s’avérer problématique, la primauté étant fréquemment
donnée à la mère. Je tiens pourtant à rappeler que le respect de
la vie familiale est un droit garanti par la Convention européenne
des droits de l’homme et que le fait pour un parent et son enfant
d’être ensemble constitue un élément essentiel de la vie familiale.
80. Je suis convaincue que les pères sont des figures d’attachement
importantes pour les enfants. Ils sont, de la même façon que les
mères, «un agent de la construction de l’identité sexuée des garçons
et des filles»
. La
résidence alternée devrait devenir le principe pour les arrangements
parentaux pour les enfants de tout âge, y compris les très jeunes
enfants. Elle doit néanmoins avoir comme pierre angulaire le droit
de l’enfant à voir ses deux parents et doit pouvoir être adaptée
au cas par cas. Il faut en effet se garder de transformer la résidence
alternée en droit des parents.
81. Ainsi que je l’ai souligné, la résidence alternée a des effets
bénéfiques pour les enfants de tout âge, indépendamment de la situation
financière des parents. La résidence alternée a moins d’effets positifs
si les disputes et les conflits entre parents sont fréquents ou
si la relation enfants–père ou enfants–mère n’est pas bonne. La
résidence alternée ne se prête certainement pas aux situations familiales
où l’on constate des abus sexuels, de la violence, de la toxicomanie,
de l’alcoolisme ou des troubles mentaux. Il faut toutefois garder
à l’esprit que seulement un petit pourcentage des couples divorcés
ou séparés entre dans cette catégorie. La résidence alternée est
ainsi un modèle à promouvoir largement dans nos Etats membres, mais
elle doit être mise en œuvre avec discernement et en ayant toujours
à l’esprit l’intérêt de l’enfant.
82. Les séparations des couples et les questions relatives aux
conditions de vie des enfants après une séparation sont très souvent
douloureuses, pour les parents et pour les enfants. Les parents
ont la responsabilité de leurs enfants et je pense que le couple
parental doit pouvoir se substituer au couple conjugal, dans l’intérêt
des enfants. La médiation est un moyen de rétablir le dialogue et
de dépassionner les relations. Le recours à la médiation produit
des effets très positifs là où il est appliqué et tous les Etats
membres devraient prévoir la possibilité d’une médiation dans leur
système juridique.
83. Enfin, je voudrais conclure en rappelant que les parents ont
certes des droits, mais qu’ils ont surtout des obligations et des
responsabilités vis-à-vis de leurs enfants. Les pères doivent prendre
toute leur place auprès de leurs enfants, dès la naissance, en veillant
à leur éducation et en contribuant à leur entretien. Les Etats doivent
eux prendre toutes les mesures nécessaires pour rompre avec la perpétuation
des rôles stéréotypés des femmes et des hommes dans la sphère privée
et familiale et reconnaître plus largement la place des pères à
l’égard de leurs enfants, que ce soit par l’octroi du congé parental
payé ou par l’application ou, le cas échéant, l’introduction de
la résidence alternée. Je suis convaincue que l’évolution des mentalités
doit aussi passer par une modification des législations applicables
et des pratiques administratives.