1. Introduction
1. Depuis le début des combats
entre les différentes parties en Syrie et, plus récemment, en Irak
et en Libye, la communauté internationale est de plus en plus préoccupée
par le nombre croissant d’étrangers, principalement de jeunes hommes
de nombreux pays européens, qui partent dans ces zones pour combattre.
2. Le phénomène des combattants étrangers est devenu une priorité
pour la police, les procureurs, les experts de la déradicalisation,
les chercheurs, les décideurs, les municipalités, les gouvernements,
les organisations internationales et les groupes de réflexion.
3. L’émergence de ce phénomène, devenu une menace mondiale pour
la sécurité internationale, a incité les Nations Unies à tenir une
réunion ouverte du Conseil de sécurité en septembre 2014, à laquelle
ont participé une cinquantaine de dirigeants du monde entier. Le
Conseil a adopté à l’unanimité la Résolution 2178 (2014) dans laquelle
il condamne l’extrémisme violent et décide que les Etats membres
doivent, dans le respect du droit international, prévenir et éliminer
«les activités de recrutement, d’organisation, de transport ou d’équipement
bénéficiant à des personnes qui se rendent dans un Etat autre que
leur Etat de résidence ou de nationalité dans le dessein de commettre,
d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer.»
4. En juin 2014, j’ai déposé une proposition de résolution sur
“Les combattants étrangers en Syrie” (
Doc.13559) qui a été signée par 40 membres de l’Assemblée parlementaire.
La proposition demandait à l’Assemblée de mieux faire connaître
le phénomène des «combattants étrangers» en Europe, d’acquérir une compréhension
plus approfondie de ce phénomène, en menant des recherches sur les
principales motivations des «combattants étrangers», à la fois celles
qui les poussent à quitter nos pays et celles qui les attirent,
et de formuler des recommandations, à l’intention des responsables
politiques, de la société civile et des autres acteurs concernés,
pour dissuader les jeunes citoyens européens de participer à des
conflits à l’étranger et pour traiter les menaces terroristes à
leur retour.
5. En janvier 2015, la commission m’a désigné rapporteur. Le
16 mars 2015, la commission a tenu une audition à Paris sur cette
question avec la participation de plusieurs experts reconnus traitant
des différents aspects du problème des combattants étrangers. Après
l’audition, j’ai demandé à l’un d’entre eux, M. Christophe Paulussen
, de préparer
une étude approfondie sur les combattants étrangers. Le présent rapport
repose en grande partie sur cette excellente étude. Je tiens à exprimer
mes sincères remerciements à M. Paulussen pour sa précieuse contribution.
6. Le problème des combattants étrangers est un phénomène complexe,
multidimensionnel et en rapide évolution. Le rapport, qui ne prétend
pas être exhaustif, vise à présenter quelques défis majeurs et contient diverses
références à d’autres sources pertinentes et instructives, notamment
aux excellentes études de Mme Sandra Krähenmann et de M. Rik Coolsaet,
qui ont tous deux participé à l’audition qui s’est tenue à Paris.
Je suis convaincu que ces références permettront aux collègues de
trouver rapidement les informations complémentaires nécessaires
sur cette question d’une actualité brûlante.
7. Le phénomène des combattants étrangers s’est déjà étendu à
plusieurs pays d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et d’Asie.
Ces combattants serviraient l’ensemble des protagonistes en présence
en Syrie et en Irak et seraient pour la plupart originaires de la
région, les Européens ne représentant selon les estimations «que»
20 % de leur nombre total. C’est pourquoi j’ai l’intention de limiter
la portée de ce rapport et de m’intéresser principalement aux combattants
étrangers qui quittent leur pays en Europe pour rejoindre le groupe
terroriste connu sous le sigle «EI» («Daesh» an arabe)
et d’autres
groupes armés non étatiques en Syrie et en Irak.
2. Comprendre le phénomène
des «combattants étrangers»
2.1. Informations générales sur
le phénomène et sa définition
8. Pratiquement chaque article
ou chaque contribution sur les combattants étrangers commence par
la phrase «ce phénomène n’est pas nouveau». Et cela est tout à fait
exact: le plus fameux des anciens combattants étrangers est probablement
Oussama ben Laden
, mais
qui sait que le célèbre écrivain anglais George Orwell, auteur d’ouvrages
classiques comme
La Ferme des animaux et
1984, a combattu dans la guerre
civile espagnole contre les troupes de Franco
? Certains chercheurs remontent même
plus loin dans l’histoire et font référence aux zouaves pontificaux:
des milliers de jeunes catholiques qui, dans les années 1860, ont
rejoint l’armée des Etats pontificaux dans la lutte contre le
Risorgimento à l’appel du Pape Pie
IX.
9. Ce qui est nouveau dans la situation actuelle, cependant,
c’est l’ampleur du phénomène et de sa menace potentielle. Le 26
janvier 2015, Peter Neumann, directeur du Centre international d’études
sur la radicalisation et la violence politique (ICSR), a écrit que,
selon la dernière estimation en date de l’ICSR, le nombre d’étrangers
ayant rejoint les organisations militantes sunnites dans le conflit
en Syrie et en Irak dépasse aujourd’hui les 20 000 combattants,
soit un nombre plus élevé que pendant le conflit en Afghanistan dans
les années 1980
. Près d’un
cinquième de ce contingent, à savoir 4 000 combattants, se compose
de résidents ou de ressortissants des pays d’Europe occidentale
.
Neumann note que c’est pratiquement le double de l’estimation que
son organisation a effectuée en décembre 2013. Selon les estimations
plus récentes des analystes des renseignements américains
, près de 30 000 combattants étrangers
de plus d’une centaine de pays se sont rendus en Irak et en Syrie
depuis 2011.
10. Bien que le problème soit particulièrement grave pour les
pays voisins de la Syrie – le Moyen-Orient avec un chiffre qui pourrait
atteindre 11 000, reste la principale source de combattants étrangers
dans le conflit
– ce rapport s’intéressera principalement
au contexte européen. Neumann note que les effectifs les plus importants
de combattants étrangers viennent des plus grands pays d’Europe
occidentale – la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, avec respectivement
1 200, 500-600 et 500-600 combattants – mais que, par rapport à
la taille de la population, les pays les plus touchés sont la Belgique
(440, jusqu’à 40 combattants par million d’habitants)
, le Danemark
(100-150, jusqu’à 27 combattants par million d’habitants) et la
Suède (150-180, jusqu’à 19 combattants par million d’habitants)
. Cependant, les méthodes de comptage
pouvant être très variables, et ce même d’un Etat membre de l’Union
européenne à l’autre, les comparaisons internationales sont à pratiquer
avec prudence.
11. Le 29 mai 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies a
publié les derniers chiffres disponibles à l'époque, mais ces chiffres
ne portaient pas sur les combattants étrangers en tant que tels,
mais sur les combattants
terroristes étrangers
– cette différence sera expliquée ci-après au paragraphe 16. De
plus, les chiffres ne se limitent pas à la Syrie et à l’Irak. Le
Conseil de sécurité s’est dit «profondément préoccupé par le fait
qu’il y a maintenant plus de 25 000 combattants terroristes étrangers,
de plus de 100 pays, qui ont voyagé pour rejoindre des entités terroristes
associées à Al-Qaida, dont l’“Etat islamique d’Irak et du Levant” et
le Front el-Nosra, et combattre pour elles» et a noté «que ces combattants
se rendent principalement mais non exclusivement en République arabe
syrienne et en Irak»
.
12. Les chiffres ne cessent d’augmenter. En septembre 2015, le
Premier ministre français Manuel Valls a informé le parlement français
que l’on soupçonnait jusqu’à 1 800 citoyens et résidents français
d’être impliqués dans des réseaux djihadistes à l’échelle mondiale.
Environ 500 d’entre eux auraient participé à l’action militaire en
Syrie et en Irak, et 133 seraient morts au combat dans ces pays
. Selon les estimations de 2015,
plus de 750 citoyens britanniques se seraient infiltrés en Syrie
et en Irak pour prendre part à des activités liées au terrorisme,
ce qui représente une augmentation de 50 % par rapport à 2014.
13. Ce phénomène ne se limite pas à l’Europe occidentale. Le président
russe Vladimir Poutine a indiqué le 16 octobre 2015 que 5 000 à
7 000 terroristes étrangers venus de Russie et de plusieurs autres
pays de l’ex-Union soviétique se sont rendus en Syrie pour rejoindre
«EI»
.
14. L’engagement de plus en plus marqué de jeunes femmes et filles
en faveur d’«EI» est une autre tendance nouvelle préoccupante, bien
que l’on ne dispose pas d’éléments fiables prouvant que des femmes s’engagent
directement dans le combat – de fait, il serait inexact de les qualifier
de «combattantes étrangères». Au Royaume-Uni, la disparition de
trois adolescentes ayant fui de chez elles pour rejoindre «EI» en
février 2015, et qui auraient par la suite suivi des formations
pour des missions dites «spéciales», a suscité un vaste débat public
et politique. Si ce cas peut sembler isolé, il révèle en fait une
tendance: d’après le ministère français de l’Intérieur, environ
40 % des personnes susceptibles d’être recrutées par «EI» sont des femmes
et des filles. Par ailleurs, selon des experts, le nombre de départs
de familles entières vers la Syrie et l’Irak ne cesse de croître.
15. Il existe une variété de définitions de l’expression «combattants
étrangers». Pour David Malet
, expert bien connu dans ce domaine,
les combattants étrangers sont des «non-citoyens de pays en conflit
qui rejoignent des insurrections durant des conflits civils». Sandra
Krähenmann, auteure de l’étude récente «Foreign Fighters under International
Law» (Combattants étrangers sous l’angle du droit international), propose
la définition suivante: «Un combattant étranger est un individu
qui quitte son pays d’origine ou de résidence habituel pour rejoindre
un groupe armé non étatique dans un conflit armé à l’étranger et
qui est principalement motivé par l’idéologie, la religion et/ou
la parenté
.» Dans la dernière étude en date,
qui est encore en préparation, Andrea de Guttry, Francesca Capone
et Christophe Paulussen définissent les combattants étrangers comme
des «individus principalement motivés par l’idéologie, la religion
et/ou la parenté, qui quittent leur pays de résidence habituel pour
rejoindre une partie engagée dans un conflit armé»
.
16. Même si l’on peut trouver l’expression «combattant étranger»
dans les textes des Nations Unies, cette organisation se réfère
principalement aux combattants
terroristes étrangers,
ce qui signifie que le phénomène est davantage considéré dans une
perspective de lutte contre le terrorisme. L’expression «combattants terroristes
étrangers» a été définie dans la résolution clé sur cette question,
la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 24
septembre 2014, à savoir «des individus qui se rendent dans un Etat
autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le dessein
de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme,
ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement
au terrorisme, notamment à l’occasion d’un conflit armé»
.
17. Toutefois, de l’avis de nombreux juristes, cette définition
n’est pas sans poser problème. Tout d’abord, elle ne limite pas
son champ d’application au terrorisme international
, et le
terrorisme lui-même n’est pas défini
. Etant donné
que la Résolution 2178, tout comme la Résolution 1373 du Conseil
de sécurité des Nations Unies du 28 septembre 2011, exige des Etats
qu’ils érigent en infraction pénale certains comportements qui peuvent
être liés à des actes terroristes ou à un entraînement au terrorisme
,
les Etats devront utiliser leurs définitions nationales
du
terrorisme, ce qui peut conduire à un risque de fragmentation puisque
chaque Etat s’appuiera sur sa propre définition. En effet, le dispositif
de la Résolution 2178 prévoit que:
«tous
les Etats doivent veiller à ce que la qualification des infractions
pénales dans leur législation et leur réglementation internes permette,
proportionnellement à la gravité de l’infraction, d’engager des poursuites
et de réprimer:
a) Leurs nationaux qui se rendent ou tentent de se rendre
dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité,
et d’autres personnes qui quittent ou tentent de quitter leur territoire
pour se rendre dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou
de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou de
préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de dispenser
ou recevoir un entraînement au terrorisme;
b) La fourniture ou la collecte délibérées, par quelque
moyen que ce soit, directement ou indirectement, par leurs nationaux
ou sur leur territoire, de fonds que l’on prévoit d’utiliser ou
dont on sait qu’ils seront utilisés pour financer les voyages de
personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence
ou de nationalité, dans le dessein de commettre, d’organiser ou
de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou de
dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme;
c) L’organisation délibérée, par leur nationaux ou sur
leur territoire, des voyages de personnes qui se rendent dans un
Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité, dans le
dessein de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme,
ou afin d’y participer ou de dispenser ou recevoir un entraînement
au terrorisme, ou la participation à d’autres activités qui facilitent
ces actes, y compris le recrutement.»
18. En outre, il existe un risque que les Etats emploient une
définition trop large du terrorisme, susceptible de conduire à des
abus, par exemple faire taire les opposants politiques sous prétexte
de lutte contre le terrorisme
.
19. Un autre problème a été mis en évidence par Sandra Krähenmann,
qui a noté que la mention «notamment à l’occasion d’un conflit armé»
qualifiait clairement des actes régis par le droit international humanitaire
(DIH) d’«actes terroristes», sans limiter ce terme aux actes interdits
par le DIH, comme les attaques contre des civils ou l’exécution
de personnes hors de combat. De plus, Mme Krähenmann affirme que l’adhésion
à une entité qui est à la fois une partie à un conflit armé et un
groupe terroriste désigné peut équivaloir à «recevoir un entraînement
terroriste», nonobstant le fait que les règles du DIH peuvent s’appliquer
.
20. L’expression «notamment à l’occasion d’un conflit armé» peut
certainement être interprétée comme telle, mais elle peut aussi
être lue différemment, à savoir signifier que cette résolution s’applique
à certains actes terroristes, qu’ils se produisent en temps de paix
ou en temps de conflit armé. Quelle que soit la situation, la portée
de cette résolution est peu claire, et pose problème puisque, comme
mentionné, la résolution devra être mise en œuvre au niveau national.
21. En dépit de certains signes positifs, force est de conclure
qu’il y a effectivement un risque de fragmentation, un risque que
les Etats utilisent une définition trop large et un risque que ne
se concrétise la crainte de Mme Krähenmann, à savoir que des personnes
soient poursuivies pour infractions terroristes en raison de leur
(simple) participation à un conflit armé
.
22. Enfin, et de manière plus générale, il convient de noter que,
même si la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies
porte sur les combattants terroristes étrangers, les combattants
étrangers ne sont pas tous des terroristes (et tous ne combattent
pas). Il y a lieu de veiller à ne pas considérer le problème des combattants
étrangers dans la seule perspective de lutte contre le terrorisme.
2.2. Causes profondes et motivations
23. Des paradigmes différents pouvant
facilement mener à des conclusions différentes, il est très difficile d’analyser
la dynamique à l’origine du problème des combattants étrangers.
Il y a souvent confusion entre deux dimensions. Selon les études
relatives au terrorisme traditionnel, les causes du phénomène sont
à trouver dans un environnement «déclencheur» ou propice à motiver
des groupes ou des individus et à les orienter vers le recours à
la violence
.
Les études les plus récentes en matière de radicalisation insistent
quant à elles sur l’individu et, dans une certaine mesure, sur l’idéologie
et le groupe, et minimisent en revanche l’importance des facteurs
d’ordre général et le contexte entourant la radicalisation
. La seconde dimension
est celle des motivations à l’origine du cheminement vers la violence.
Il ne faut pas automatiquement prendre au pied de la lettre les
motivations autoproclamées de ces individus comme explication de
leur comportement. Elles peuvent en effet n’être rien d’autre qu’une
explication soigneusement répétée par les aspirants au combat et développée
pour justifier leur comportement, plutôt qu’une tentative sincère
de comprendre les motivations souvent complexes qui les poussent
à se rendre dans une zone de combat lointaine
.
De plus, ces propos divergent intrinsèquement des facteurs de motivation
tirés d’études comparatives et pluridisciplinaires.
24. De multiples facteurs peuvent conduire à la radicalisation
d’une personne, mais ils interviennent à chaque fois à des degrés
divers. En effet, chaque processus de radicalisation est dans une
certaine mesure singulier, et les individus se rendent en Syrie,
en Irak et sur d’autres théâtres de guerre pour des raisons différentes
.
C’est pourquoi il est également si difficile de concevoir une solution
universelle au problème.
25. Ces différents facteurs peuvent, notamment, être personnels,
idéologiques ou religieux. Il y a lieu de noter cependant qu’ils
n’expliquent pas nécessairement pourquoi les individus recourent
à des actes de violence. Dans le texte de Pauwels
et al.: «Les motifs ne sont pas
et ne peuvent pas être des causes de violence politique. Les motifs
expliquent pourquoi il est important d’atteindre un certain but,
mais n’expliquent pas pourquoi une action spécifique est choisie
parmi plusieurs possibilités pour atteindre cet objectif. Ces conditions
sont nécessaires mais non suffisantes pour expliquer l’action (...).
Ce qui est nécessaire pour que des motifs extrémistes deviennent
des causes, c’est le rôle contributif de l’interaction entre l’exposition situationnelle
et la propension à l’extrémisme
.»
26. Les raisons personnelles sont probablement celles qui prédominent.
Le professeur Coolsaet fait valoir que «l’aliénation personnelle
devient le principal moteur de leur voyage»
.
Les jeunes – ce sont surtout des jeunes hommes qui sont ici concernés
– peuvent avoir l’impression de n’avoir aucun avenir au sein de
la société moderne, où les conditions peuvent être très dures
,
et espèrent prendre un «nouveau départ» en partant dans des endroits
tels que la Syrie. Pour citer le professeur Coolsaet, «[l]a société
actuelle met beaucoup plus de pression sur les jeunes qu’il y a
40 ans. Du fait de l’individualisation et de la disparition des clivages
politiques, religieux et idéologiques traditionnels, les jeunes
sont livrés à eux-mêmes et exposés à la société beaucoup plus tôt
que par le passé. Chez les adolescents et les jeunes adultes, le
besoin d’appartenance et le désir de se sentir accepté ont toujours
été un aspect essentiel de la maturation. Mais aujourd’hui, c’est
beaucoup plus tôt que les jeunes doivent prendre leurs propres décisions
dans une société qui offre incomparablement plus de choix dans toutes
les dimensions de la vie. Autrement dit, il est plus astreignant
d’être jeune aujourd’hui qu’autrefois. La société est devenue plus
dure (...). Les représentants des jeunes en Belgique ont récemment
attiré l’attention sur le fait que beaucoup de jeunes gens sont
déprimés et se sentent désespérés. La stagnation durable de l’économie
et du marché du travail explique assurément en partie le fait que
les jeunes d’aujourd’hui ont l’impression qu’ils ne font que tourner
en rond sans perspectives d’emploi décent».
27. Les personnes dont le réseau social est pauvre pensent pouvoir
ainsi se transformer assez rapidement d’un simple individu
en un guerrier puissant
,
respecté et craint par les autres. Elles peuvent échapper à leurs
problèmes à la maison, faire partie d’une «bande de frères/sœurs»,
appartenir à un groupe (fraternité) et enfin faire quelque chose
d’intéressant et d’exaltant de leur vie
. La quête d’identité et d’appartenance
semble bien être d’une importance primordiale. Selon le Professeur
Coolsaet, «dans les récits susmentionnés, on ne peut manquer de
remarquer la fréquence avec laquelle ils se réfèrent à l’absence
d’avenir, à des difficultés personnelles auxquelles il faut faire
face dans la vie quotidienne. Souvent, ces récits font état d’une
volonté de tout quitter, d’être «quelqu’un», d’être accepté. En
bref, de trouver refuge dans un environnement plus accueillant,
où ils ont l’impression de ne pas être exclus et où ils seront en
mesure de prendre leur vie en mains. La quête de certitudes absolues,
encore une fois, est probablement une aspiration que les adolescents
et les jeunes adultes ont de tout temps partagée, mais elle est
sans doute plus forte pour ce sous-groupe, elle est un moyen de
sortir de la complexité de leur environnement. Et cela, l’“Etat
islamique” peut l’offrir. D’autres motifs peuvent également être
identifiés. Ils veulent avoir des héros – ou en devenir un eux-mêmes»
.
28. Certains experts estiment que la déception à l’égard des conditions
sociales et la quête d’identité et de sens sont les principaux facteurs
qui rendent vulnérables à l’attrait de l’«Etat islamique». D’après
Pauwels, «Au lieu de se concentrer sur les motivations et l’idéologie,
l’attention devrait se porter sur les questions structurelles, les
processus de groupe et les tensions individuelles ressenties, qui
constituent le terreau de la radicalisation violente. Les vraies
raisons (impérieuses) (...) pour rejoindre des groupes extrémistes
sont souvent de nature sociale et reposent sur des sentiments d’indignation
et de perte de repères (...). Les personnes en quête d’inclusion
sociale, d’identité/de sens et qui connaissent l’injustice sont
particulièrement sensibles à l’extrémisme violent. Les groupes extrémistes
renforcent souvent, cultivent voire installent ces griefs en utilisant
un discours de polarisation et en fournissant des réponses simples,
logiques et commodes. Plus précisément, les groupes extrémistes
répondent aux besoins des individus en leur offrant 1) un fort sentiment
d’identité, 2) une réponse politique militante face à l’injustice
et 3) un foyer chaleureux et un sentiment d’appartenance (...).
Si ces choses ne peuvent être trouvées dans le reste de la société
(ou si la société ne parvient pas à les leur offrir), les groupes
extrémistes peuvent devenir très attrayants pour l’individu»
.
De plus, les problèmes de santé mentale peuvent aussi jouer un rôle
dans ce contexte, bien que les points de vue divergent sur la question
.
29. Sur le plan idéologique, nombre de combattants étrangers peuvent
tout simplement être en colère ou extrêmement désabusés, et dans
de nombreux cas pour des motifs valables. Ils sont en colère à cause
de ce qui se passe au Moyen-Orient (la brutalité avec laquelle le
régime Assad en Syrie a écrasé les manifestations initiales) et
déçus par le monde occidental qui ne fait pas grand-chose, voire
aggrave la situation
(par exemple, l’intervention
américaine en Irak en 2003, qualifiée d’illégale par l’ancien Secrétaire
général des Nations Unies Kofi Annan)
.
30. D’après une étude récente de Ross Frenett et de Tanya Silverman
basée sur des entretiens avec des personnes qui ont été touchées
par le phénomène des combattants étrangers, les facteurs qui influent
le plus sur le choix de se rendre dans une zone de conflit pour
prendre part au combat sont: «1) l’indignation face à ce qui se
passe supposément dans le pays où les conflits ont lieu et l’empathie
pour les personnes concernées; 2) l’adhésion à l’idéologie du groupe
que la personne souhaite rejoindre; et 3) la quête d’identité et d’appartenance.
(…) Au nombre des autres facteurs supposés courants (…) figurent:
les désaccords avec les politiques étrangères, les politiques nationales,
le conflit intergénérationnel et la pression des pairs».
31. Quant à la dimension religieuse, les jeunes musulmans peuvent
être aux prises avec les grandes questions de la vie – qui suis-je?
où vais-je? – mais décider de n’aller ni à la mosquée ni voir l’imam
pour trouver des réponses. Ils peuvent «bricoler» leur propre islam
dans des sous-sols, avec l’aide de recruteurs et via internet –
un internet qui peut être fort peu nuancé et donc très attrayant
pour des personnes qui recherchent une direction claire. Plus spécifiquement,
d’après une étude récente de l’Institut pour le dialogue stratégique,
les trois grands motifs qui poussent à rejoindre l’«Etat islamique»
en lien avec l’Islam sont: 1) la protection de la communauté musulmane
[Oumma] contre les attaques; 2) l’instauration du califat; et 3)
le respect du devoir et de l’identité individuels
.
32. Au vu du nombre croissant de jeunes femmes et filles quittant
l’Europe pour rejoindre «EI», il est important de comprendre leurs
profils et leurs motivations. Des études récemment réalisées par
l’Institut pour le dialogue stratégique
sur la question
montrent que les recrues féminines d’Europe sont de plus en plus jeunes
et parfois issues de milieux sociaux plutôt aisés. Bien que les
motivations et raisons de rejoindre l’«Etat islamique» diffèrent
dans chaque cas particulier, elles sont pour la plupart semblables
à celles des combattants masculins: le sentiment que la communauté
musulmane est attaquée, le devoir religieux et idéologique d’agir, une
quête de camaraderie et le désir de donner un sens à leur vie. Cependant,
l’attrait de la mission de l’«EI» consistant à bâtir un Etat semble
plus fort chez les femmes. En outre, les jeunes filles peuvent être
séduites, via des recruteurs sur internet, par des promesses d’idylle
ou de mariage avec des combattants de l’«EI» et leur apparente «virilité
authentique», ainsi que par la perspective de fonder une authentique
famille islamique au sein d’un «califat» régi par la charia et de
devenir les mères de la prochaine génération de djihadistes. Très souvent,
c’est pour une «histoire d’amour» virtuelle en ligne avec un prétendu
«amant» qui se révèle être un recruteur habile que les jeunes femmes
se lancent dans l’aventure.
33. Quant au rôle des nouveaux médias sociaux, il peut être intéressant
de se référer à l’étude majeure de Pauwels
et
al., qui «évalue l’incidence de l’exposition à des contenus
extrémistes par le biais des nouveaux médias sociaux sur les processus
de radicalisation et de recrutement chez les adolescents belges.
La question centrale de cette étude porte sur le rôle des nouveaux
médias sociaux dans le processus de radicalisation violente»
.
L’étude a conclu ce qui suit:
«1.
Il faut garder à l’esprit que, parallèlement à l’exposition à des
contenus extrémistes par le biais des nouveaux médias sociaux, l’exposition
au monde réel/hors ligne (par exemple, les pairs) est tout aussi importante.
2. C’est surtout l’exposition active aux nouveaux médias
sociaux qui est importante. L’effet des informations et de la propagande
extrémistes qui sont délibérément recherchées est beaucoup plus
fort que l’effet des mêmes informations et de la même propagande
lues par hasard.
3. L’effet de l’exposition aux nouveaux médias sociaux
augmente de manière exponentielle lorsque le taux d’exposition est
très élevé. Cela signifie que le plus grand danger réside dans une
exposition répétée et constante, par rapport à des taux d’exposition
faibles ou moyens.
4. Il existe une interaction entre la propension individuelle
à l’extrémisme violent et l’exposition à l’extrémisme violent par
le biais des nouveaux médias sociaux. Ces derniers auront un effet
beaucoup plus fort sur les individus qui présentent des attitudes
extrémistes déjà fortes que sur les personnes ayant une tendance
faiblement ou moyennement extrémiste.
5. Jusqu’à un certain niveau, l’effet de l’exposition
aux nouveaux médias sociaux ne pose pas problème, quelles que soient
la propension et le niveau d’exposition. Toutefois, après un certain
point de rupture, cet effet augmente de manière exponentielle. Ainsi,
bien que l’exposition ait toujours une influence sur les individus,
il est inutile de paniquer au sujet des faibles niveaux d’exposition
(même s’il s’agit d’une exposition active), parce qu’ils ne provoquent
qu’une très faible augmentation de la violence politique. Bien sûr,
la difficulté consiste à déterminer où se situe le point de rupture
dans la réalité .»
34. De plus, le climat politique qui prévaut dans les pays d’origine
potentiels des combattants étrangers peut être perçu comme agressif
et propice à l’aliénation. Les déclarations de responsables politiques
de droite comme le député néerlandais Wilders peuvent sans doute
inciter certains jeunes à s’éloigner de la société néerlandaise.
La discrimination sur le marché du travail est tout aussi problématique
et peut exacerber le sentiment d’exclusion que nourrissent certaines
personnes, à tort ou à raison, et qui les pousse à chercher un «ailleurs»
pour poursuivre leur vie
.
35. Il importe aussi de souligner que les motivations peuvent
changer, suivant l’évolution du conflit dont la nature peut elle-même
changer. Il se peut que les personnes soient initialement parties
en Syrie pour des raisons idéologiques, à savoir défendre des citoyens
sans défense contre un dictateur brutal, puis leur motivation se
transforme en désir d’aider «le califat» de l’«Etat islamique en
Irak et en Syrie» (ISIS). D’autres peuvent se retrouver dans des
organisations criminelles, impliqués dans le trafic d’armes, de
drogues et d’êtres humains.
36. Il est clair que le mot «peut» revient souvent dans cette
section. Il est donc nécessaire de mieux comprendre les facteurs
d’attraction et de répulsion qui déterminent le phénomène des combattants
étrangers.
2.3. Incidences pour les pays/sociétés
d’origine
37. L’impact du conflit en Syrie
et en Irak est très grave pour les pays eux-mêmes, en termes de
peur, de destruction, de perte de vies innocentes, etc. Les Etats
voisins, qui doivent accueillir des centaines de milliers de réfugiés
et qui peuvent être confrontés à un débordement du conflit, souffrent
eux aussi énormément de la guerre.
38. Toutefois, pour l’Europe, la plus grande crainte en relation
avec le phénomène des combattants étrangers est sans doute le risque
que nous ayons à faire face à un attentat terroriste comme ceux
de Madrid ou de Londres, perpétré par des Européens de retour dans
leur pays d’origine après être partis dans une zone de conflit.
Lors de l’audition à Paris, Mats Benestad, coordinateur du sous-groupe
sur la radicalisation et la réception d’un entraînement pour le
terrorisme, y compris via internet, du Comité d’experts sur le terrorisme
du Conseil de l’Europe (CODEXTER) a prévenu que «l’enseignement
que nous pouvons tirer de conflits historiques comme l’Afghanistan,
c’est que le risque d’une radicalisation encore plus forte des combattants étrangers
du fait de leur participation au conflit est très réel. L’entraînement
au maniement des armes et des explosifs peut être mis à profit pour
commettre des attentats terroristes à leur retour en Europe»
.
39. La question est de savoir dans quelle mesure le risque qu’un
tel attentat se produise est élevé. «Sur l’ensemble des terroristes
djihadistes qui ont été condamnés pour des activités liées au terrorisme
en Europe entre 2001 et 2009, environ 12 % avaient été à l’étranger
avant l’attentat, soit pour des motifs idéologiques, soit pour un
entraînement militaire, soit pour participer à des conflits étrangers.
»
40. Même si ce pourcentage peut sembler relativement faible, les
chiffres absolus sont en hausse et, de ce fait, le risque d’attentat
également, si on applique le même pourcentage à des nombres plus
importants. En outre, il faut garder à l’esprit que, malgré tous
les calculs basés sur des pourcentages, en fin de compte il suffit d’une
seule personne de retour pour «réussir» un attentat, comme en témoignent
ceux de Toulouse (Merah) et Bruxelles (Nemmouche). Les récents attentats
de Paris offrent de nouvelles preuves de la réalité de cette menace.
41. On ne doit pas non plus sous-estimer le risque que posent
les personnes qui ne se rendent même pas en Syrie ou en Irak, mais
sympathisent néanmoins avec le djihad violent. Ces extrémistes pourraient
se livrer, dans leur pays, à des crimes inspirés par de précédents
faits d’armes et causer de graves dommages sans avoir traversé de
frontières, comme ce fut le cas dans les incidents et attentats
récemment perpétrés en Australie, au Canada et au Danemark.
42. Outre les attentats commis par un seul terroriste isolé, il
y a aussi le risque de formation de nouveaux réseaux terroristes
ou de renforcement des réseaux existants. Al-Qaïda a été établi
par un réseau d’anciens combattants étrangers à la fin de l’intervention
soviétique en Afghanistan dans les années 1980; or il y a d’ores et
déjà plus de combattants étrangers qu’après dix ans de guerre en
Afghanistan
. Des réseaux se constituent aujourd’hui
entre des individus (soit en Irak et en Syrie, soit avec des individus
résidant dans d’autres pays, y compris leur pays d’origine) et même
entre des organisations (voir par exemple la promesse d’allégeance
de Boko Haram à l’«Etat islamique»)
.
43. A plus long terme, ce qui est encore beaucoup plus inquiétant
pour la société, c’est que «la route que ces jeunes gens choisissent
non seulement les conduit à l’extrémisme et à la violence terroriste,
mais en outre engendre une réaction en retour dans leur pays d’origine
en renforçant l’animosité contre l’islam et contre les musulmans
– ce qui était justement l’un des aspects de l’environnement qu’ils
avaient fui ou en réaction auquel ils étaient partis»
.
3. Réponses au niveau national
et local
44. Pour endiguer le flux de combattants
étrangers en Syrie et en Irak et pour contrer le risque que les combattants
de retour peuvent poser, diverses réponses sont envisageables, à
différents niveaux. Citons les politiques de prévention, les programmes
de déradicalisation, les campagnes de contre-discours, les poursuites
pénales, le suivi et les sanctions administratives, y compris le
retrait du passeport et même celui de la nationalité.
45. Malgré une prise de conscience croissante de la nécessité
d’une stratégie équilibrée combinant des mesures axées sur la sécurité
et la prévention, c’est la sécurité qui est jusqu’à présent considérée
comme une priorité. Edwin Bakker et Mark Singleton soulignent qu’en
Occident, la réponse politique à la radicalisation, à l’extrémisme
violent et au terrorisme se concentre davantage sur la protection
et la répression que sur la dissuasion ou la réintégration. Aux
Etats-Unis, en Australie et au Canada, la radicalisation, l’extrémisme
violent et le terrorisme sont généralement vus à travers le prisme
de la «sécurité intérieure», souvent sans distinction nette entre
les causes et objectifs de leurs manifestations diverses. En Europe,
au cours du sommet des chefs d’Etat européens du 12 février 2015,
de nouvelles mesures visant à contrer la menace perçue ont été adoptées et
légitimées au nom de la protection des valeurs et de la société
occidentale. Les mesures concrètes consistent essentiellement en
des actions «dures» et répressives à court terme, et s’intéressent
aux symptômes plutôt qu’aux causes profondes. Ayant pour objectifs
de dissuader, désorganiser, détecter et détenir, de séparer et d’augmenter
le «coût» de la radicalisation, ces mesures consistent notamment
à ériger en infractions la préméditation ou les actes, à octroyer
des compétences et ressources plus larges aux forces de sécurité,
à renforcer les contrôles frontaliers et – plus particulièrement,
eu égard à l’opposition passée entre le Parlement européen et les
législateurs nationaux – à adopter le transfert des dossiers passagers
(données PNR), jusqu’ici controversé
.
46. En parallèle, «à l’autre extrémité de la chaîne, des voix
de la société civile et des gouvernements occidentaux se sont également
élevées pour souligner l’importance de mesures préventives «plus
modérées», comme des obstacles normatifs mis en place par la diffusion
de messages positifs, un engagement communautaire, l’arrêt des recrutements
grâce à la transmission de contre-discours, et la nécessité de l’intégration
dans la société par le jeu de programmes en faveur du désengagement,
de l’éducation et de l’emploi»
.
47. Par ailleurs, dans les pays non européens, «nous observons
une tendance à l’adoption de mesures fortes et dynamiques qui risquent
de porter atteinte aux principes des droits de l’homme et de l’Etat
de droit. La montée en puissance de l’“Etat islamique” en Irak et
en Syrie, ainsi que la multiplication d’acteurs non étatiques affiliés
violents, par exemple au Pakistan, en Libye et en Egypte, ainsi
que le nombre croissant de combattants étrangers originaires de
la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), ont fourni
à ces régimes un prétexte commode pour consolider leur assise politique
nationale et sévir non seulement contre des groupes d’opposition
islamistes tels que les salafistes, les Frères musulmans, le Hamas
et les talibans pakistanais, mais aussi contre les partis d’opposition
laïcs d’organisations de la société civile. Il est de plus très probable
que l’adoption d’une nouvelle législation de lutte contre le terrorisme
susceptible de réduire l’espace laissé à une opposition légitime
renforcera l’extrémisme plutôt qu’elle ne l’affaiblira»
.
48. Même si, sur le papier, l’accent porte aujourd’hui davantage
sur l’aspect préventif que par le passé (voir aussi la Résolution
2178 du Conseil de sécurité), dans la pratique, il semble que les
Etats veuillent toujours surtout «montrer les muscles»
. Pas dans
les proportions qui ont suivi directement les attentats terroristes
du 11 septembre à New York et à Washington, mais il faut toujours
prendre garde de ne pas tomber dans le piège de l’après-11 septembre
.
Les remarques du Président américain Barack Obama sur Guantánamo
montrent bien les difficultés auxquelles
les Etats peuvent être confrontés par suite de politiques répressives.
49. Le discours public, dans l’élaboration des diverses réponses,
revêt également une grande importance. Il n’est sans doute pas judicieux
de dire qu’ici, en Europe, nous sommes en guerre contre les terroristes,
selon les propos du Premier ministre français Manuel Valls
. Ce serait, après tout, faire beaucoup
d’honneur aux terroristes, car ils
veulent précisément
être vus comme des combattants
–
ce qu’ils ne sont pas, car ils tuent des civils non armés. Il est
plutôt recommandé qu’en dehors des situations de conflit armé, ils
soient considérés comme de simples
criminels,
relevant tout simplement du système de droit pénal commun, compte tenu
de chaque cas d’espèce, et en particulier du fait que certains peuvent
être très jeunes. Il ne faut pas suivre les terroristes dans leur
rhétorique de guerre, car c’est exactement ce qu’ils attendent.
50. Concernant les poursuites pénales, il est bien sûr extrêmement
difficile d’établir et de prouver exactement ce que ces personnes
font en Syrie ou en Irak, en raison de la situation chaotique qui
y règne, à moins qu’ils ne filment leurs crimes et mettent les vidéos
en ligne.
51. Les déclarations de compagnons de voyage peuvent aussi être
très utiles. C’est le cas par exemple de Jejoen Bontinck, un ancien
membre de Sharia4Belgium. Le 11 février 2015, le tribunal de première
instance d’Anvers a rendu son jugement dans une affaire contre 46
membres présumés de ce groupe, «le plus grand procès en Europe contre
des personnes accusées d’avoir favorisé la violence islamiste en
Syrie»
. Les déclarations de Jejoen, qui
a été détenu par certains de ses co-inculpés en Syrie, se sont avérées
très utiles pour le ministère public et les juges, qui ont trouvé
son témoignage «complet et crédible»
.
52. L’approche pénale n’est évidemment qu’une des nombreuses réponses
possibles, et il est clair qu’une approche répressive ne sera pas
efficace à elle seule. De fait, elle peut même être contreproductive
. D’après Singleton, «Les données empiriques
indiquent que la légitimité perçue des politiques antiterroristes
est le principal facteur qui conditionne la volonté de soutien et
d’aide des communautés musulmanes aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Des politiques agressives de lutte contre le terrorisme, à l’inverse,
ont partout eu pour effet d’aliéner les communautés musulmanes.
Nous ne devrions jamais permettre que les atteintes aux droits civils et
aux libertés commises à Paris ouvrent une boîte de Pandore de mesures
draconiennes qui, en définitive, ne serviront qu’à restreindre les
fondements de nos sociétés et à nous rendre plus vulnérables»
. Il faut un équilibre entre les
différentes mesures, et les Etats devraient sans doute se concentrer
davantage sur les politiques de prévention, au lieu de combattre
les symptômes sans résoudre vraiment les problèmes sous-jacents.
53. Les mesures préventives, en revanche, contribueront à des
politiques efficaces sur le long terme, mais le succès de ces mesures
«douces» n’est pas immédiat et est difficile à mesurer. Il est plus
facile de montrer que la police a arrêté un certain nombre de suspects
et que les tribunaux ont condamné un certain nombre de personnes,
que de prouver l’efficacité de mesures préventives. Comment prouver
que quelqu’un
ne s’est pas radicalisé ?
En effet, il est presque impossible de démontrer l’efficacité de
la prévention. Cela ne signifie pas, toutefois, que les sociétés
ne doivent pas investir dans la prévention, car celle-ci a sans
aucun doute un effet indirect sur les causes profondes, qui contribue
à une approche durablement viable pour résoudre – ou tout au moins
pour maîtriser dans une certaine mesure – ce problème sur le long
terme
.
54. Pour illustrer les effets préventifs potentiels de certaines
mesures, on peut distinguer des solutions applicables au niveau
individuel (par exemple, une ligne téléphonique d’urgence pour les
parents dont les enfants sont radicalisés), au niveau du groupe
(par exemple, un contre-discours crédible, de préférence de la part
d’un ancien combattant étranger déçu de son expérience)
, mais
aussi au niveau de la société/de l’Etat
.
55. Les Etats doivent faire de sérieux efforts pour éradiquer,
par exemple, la discrimination sur le marché du travail. En effet,
l’analyse réalisée par Pauwels
et al. montre
également que «1) des signes d’une mauvaise intégration sociale,
2) la perception d’une discrimination envers le groupe et d’une
discrimination personnelle et 3) le sentiment que les autorités
sont injustes et par conséquent illégitimes contribuent grandement
à la violence politique»
.
Plus concrètement, on peut penser à la discrimination sur le marché
du logement ou du travail, au sentiment d’être particulièrement
ciblé lors des contrôles de police, etc.
.
56. Une plus grande attention devrait donc être portée à ces éléments
lors de l’élaboration des politiques de prévention. Par exemple,
«la politique devrait (...) viser à améliorer la confiance dans
les autorités et le sentiment général de leur légitimité, et plus
particulièrement lutter contre les actions injustes et partiales
de la police (ou contre la vision de ces actions comme étant injustes
et partiales)»
.
Par ailleurs, «il est possible de rendre les jeunes plus résilients
à l’égard de l’extrémisme violent en leur dispensant une formation
pour leur apprendre à faire face aux problèmes et aux situations
difficiles»
.
57. Il est impératif que les politiques de prévention se fondent
sur une compréhension claire des groupes de la société les plus
vulnérables au discours extrémiste et qui risquent d’être radicalisés
et recrutés pour se rendre en Syrie et en Irak. Par exemple, les
établissements scolaires, les universités et les prisons comptent parmi
les lieux où la radicalisation se produit le plus fréquemment.
58. A cet égard, les structures éducatives peuvent jouer un rôle
essentiel en formant des citoyens actifs dotés d’un sens des responsabilités
et d’un esprit critique, et prêts à vivre dans la diversité et à
défendre les valeurs de la démocratie. Pour ce faire, il conviendrait
de faire une plus grande place à l’enseignement des droits de l’homme,
à la délibération et à la prise de décision démocratiques, à la
justice sociale, à la société multiculturelle, à la tolérance et
au respect mutuel. Il importe aussi que les théories apprises soit
effectivement mises en pratique en classe. L’attitude des enseignants
vis-à-vis de leurs élèves pourra ainsi contribuer à développer la
tolérance, le respect envers autrui, ainsi qu’une approche collective
de la résolution des problèmes.
59. Eu égard à la tendance inquiétante de l’augmentation des départs
de jeunes femmes et de jeunes filles, il convient de s’efforcer
tout particulièrement de toucher ce public et de concevoir des contre-discours
pour faire front à la propagande djihadiste qui dépeint une vie
heureuse et héroïque sous la charia et le destin glorieux d’une
femme de combattant de l’«EI». Les récits de personnes de retour
décrivant la réalité de la vie au sein de l’«EI» qui sont probablement
la meilleure arme à employer pour dissuader les gens de partir pour les
zones de conflit peuvent avoir un effet particulièrement fort sur
les filles et les femmes.
60. L’identification des sympathisants et des défenseurs potentiels
de l’«Etat islamique» à un stade précoce pourrait être l’outil le
plus efficace en matière de prévention. A cet égard, certaines expériences
nationales méritent d’être partagées. Par exemple, le ministère
français de l’Intérieur a lancé en avril 2014 une ligne d’assistance
téléphonique gratuite pour les personnes qui s’inquiètent du comportement
de leurs proches et craignent qu’ils ne soient victimes d’un endoctrinement
extrémiste. En octobre 2015, plus de 3 000 personnes à risque avaient
été identifiées et prises en charge. De plus, des vidéos d’entretiens
de parents dont les enfants sont partis en Syrie sont diffusées
sur les chaînes de télévision nationales.
61. Il est essentiel que les jeunes se sentent chez eux et intégrés.
Trop souvent, les propos des responsables politiques mettent à mal
cette idée. Le maire de Rotterdam a déclaré que si des ressortissants néerlandais
voulaient partir pour la Syrie et l’Irak, ils n’avaient qu’à y aller,
mais qu’alors «il n’y aurait pas de possibilité de retour. Rendez
votre passeport et prenez le risque de vous faire bombarder»
. Et le Premier ministre néerlandais,
au cours d’un débat électoral, s’est récemment dit d’accord avec
l’affirmation selon laquelle il serait préférable que les djihadistes
néerlandais qui se rendent en Syrie y meurent plutôt que de rentrer
aux Pays-Bas
. De telles déclarations ne peuvent
sans doute qu’accroître le problème.
62. Dans le même temps, force est de convenir avec Coolsaet que
«l’action gouvernementale ne peut être qu’une partie de la solution,
peut-être même une toute petite partie. Dans le domaine de la sécurité,
les autorités jouent un rôle irremplaçable. En matière de prévention,
en revanche, la responsabilité est beaucoup plus largement partagée
et la participation du plus grand nombre est nécessaire»
.
63. Cependant, lorsqu’on examine les mesures plus répressives
prises par les Etats, il semble que nombre de ces mesures soient
aujourd’hui proposées et adoptées, sans que l’on ait vraiment évalué
si elles étaient efficaces ou nécessaires. Ainsi, les appels en
faveur d’une nouvelle législation antiterroriste, alors qu’on peut douter
de sa nécessité et que l’insuffisance de la législation en vigueur
n’a pas été démontrée. Par exemple, Omar H., soupçonné de préparer
des crimes dans le contexte de son voyage «au jihad» en Syrie, a
été condamné en première instance aux Pays-Bas sur la base du droit
pénal commun, et non en vertu de dispositions antiterroristes
.
64. Par ailleurs, une autre mesure consiste dans le retrait du
passeport, voire de la nationalité. Dans certaines circonstances,
cette mesure peut même entraîner l’apatridie: la ministre de l’Intérieur
du Royaume-Uni peut déchoir de la nationalité britannique une personne
naturalisée, quitte à la rendre apatride, s’il existe des «motifs
raisonnables permettant de penser» que cette personne peut acquérir
une autre nationalité.
65. Cependant, Van Waas a souligné que cette possibilité théorique
n’était pas la même chose que d’acquérir effectivement la nationalité
en question et qu’il était permis de se demander quel pays serait
prêt dans la pratique à accorder sa nationalité à quelqu’un qui
s’est comporté d’une manière «gravement préjudiciable aux intérêts
vitaux» du Royaume-Uni
.
Ces mesures sont-elles vraiment nécessaires et efficaces ou sont-elles
purement symboliques, destinées à stigmatiser le combattant étranger
comme un paria de la société (ce dont on peut douter que ce soit
le bon message) ?
66. Selon Van Ginkel, «nombre de mesures récemment adoptées ont
été présentées comme ayant un effet dissuasif, alors que cela est
– au mieux – discutable (…). C’est, par exemple, le cas des poursuites
engagées contre ceux qui tentent de se rendre en Syrie et en Irak,
ou de ceux qui agissent comme recruteurs. La menace de poursuites
ou d’une peine plus sévère ne semble pas être dissuasive. Il en
va de même des mesures visant à retirer la nationalité ou à poursuivre
ceux qui incitent à commettre des actes de terrorisme. De toute
évidence, il pourrait y avoir d’autres raisons politiques pour adopter
ces mesures, par exemple le fait qu’il est de la prérogative de
l’Etat de punir et d’appliquer des sanctions qui reflètent les sentiments
d’horreur de la population pour les atrocités commises. Cependant,
les décideurs et les politiciens doivent être conscients du fait
que les mesures qu’ils adoptent n’ont pas toutes un effet dissuasif
et que, parfois, elles peuvent même avoir un effet contraire. Ce
n’est qu’en prenant compte tous ces effets potentiels qu’il sera
possible d’élaborer une politique globale efficace de lutte contre
le terrorisme»
.
67. En bref, un cadre de suivi et d’évaluation effectif s’impose
manifestement si l’on veut analyser l’impact et l’efficacité des
politiques et des pratiques existantes et futures.
68. Il faut aussi considérer, lorsqu’on décide des mesures à prendre,
que de nombreux Etats sont aux prises avec ce problème et peuvent
apprendre les uns des autres. Par conséquent, il est important d’échanger
des expériences et de partager les bonnes pratiques. C’est, heureusement,
ce qui se pratique de plus en plus
.
69. En outre, il y a lieu de noter que des organisations toujours
plus nombreuses interviennent dans la question des combattants étrangers.
Cela est bien sûr positif au regard de la gravité de la menace,
mais il est également très important de coordonner les différentes
initiatives pour limiter autant que possible les doublons
.
70. Enfin, il faut être conscient que, s’il est important de contrer
cette menace au niveau international, national et régional, l’accent
devrait sans doute porter principalement sur l’échelon local, où
les familles, les amis, les enseignants, les éducateurs et les travailleurs
sociaux peuvent faire changer les choses
.
4. Réponse internationale
4.1. Organisation des Nations
Unies
71. Comme mentionné plus haut,
la montée du phénomène des combattants étrangers, devenu une menace
pour la sécurité internationale, a incité les Nations Unies à tenir
en septembre 2014 une réunion ouverte du Conseil de sécurité, à
laquelle ont participé une cinquantaine de dirigeants du monde entier.
Les membres de la réunion ont adopté à l’unanimité la Résolution
2178 (2014) du Conseil de sécurité des Nations Unies par laquelle
il condamne l’extrémisme violent et appelle les Etats membres des
Nations Unies à prendre une série de mesures visant à prévenir et
à limiter le flux de combattants terroristes étrangers vers des
zones de conflit.
72. Conformément à la Résolution 2178 (2014), les Etats membres
doivent, dans le respect du droit international, prévenir «les activités
de recrutement, d’organisation, de transport ou d’équipement bénéficiant à
des personnes qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de
résidence ou de nationalité dans le dessein de commettre [ou] d’organiser
des actes de terrorisme (…), ou afin d’y participer».
73. Tous les Etats doivent en particulier veiller à ce que la
qualification des infractions pénales dans leur législation et leur
réglementation internes permette, proportionnellement à la gravité
de l’infraction, d’engager des poursuites et de réprimer le fait
de se rendre à l’étranger dans le dessein de commettre, d’organiser
ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer ou
de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme, ainsi que
la fourniture ou la collecte délibérée de fonds, et l’organisation
délibérée ou la participation à d’autres activités qui facilitent
de tels voyages.
74. Compte tenu de l’extension constante du problème des combattants
terroristes au-delà des frontières nationales, régionales et même
continentales, les Nations Unies doivent continuer de jouer un rôle
moteur dans l’élaboration d’une stratégie mondiale de lutte contre
cette tendance dangereuse.
4.2. Union européenne
75. L’Union européenne coordonne
activement la réponse de ses Etats membres au problème de la radicalisation
et des combattants étrangers. En novembre 2005, elle a notamment
élaboré une stratégie de lutte contre le terrorisme comportant entre
autres un pilier «Prévention» qui vise à lutter contre la radicalisation et
le recrutement des terroristes en identifiant leurs méthodes, leur
propagande et les outils qu’ils utilisent. Cette stratégie est révisée
en permanence et les questions liées à la radicalisation et aux
combattants étrangers figurent parmi ses priorités absolues.
76. La Commission européenne a pour sa part inauguré en septembre
2011 le réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RAN),
qui rassemble des experts et des praticiens d’Etats membres de l’Union
européenne et de Norvège engagés dans la prévention de la radicalisation
et de l’extrémisme violent: ce sont par exemple des travailleurs
sociaux, des chefs religieux, des animateurs de jeunesse, des policiers, des
chercheurs, etc. œuvrant sur le terrain au sein de communautés vulnérables,
afin d’échanger idées, connaissances et expériences. Le RAN comprend
huit groupes de travail composés de professionnels et de chercheurs
participant concrètement à la prévention de la radicalisation. Le
réseau formule à l’intention des décideurs politiques des recommandations
fondées sur l’expérience pratique et recense les meilleures pratiques
(comme par exemple la Déclaration de bonnes pratiques concernant
la prévention, la sensibilisation, la réhabilitation et la réinsertion
des combattants étrangers)
.
4.3. Conseil de l’Europe
77. A la suite de l’adoption de
la Résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unies, le
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a pris l’initiative
de rédiger un Protocole additionnel à la Convention du Conseil de
l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 217).
Ce protocole, qui entend s’attaquer au phénomène des combattants
terroristes étrangers, a été adopté à la session ministérielle du
Comité des Ministres qui s’est tenue à Bruxelles le 19 mai 2015.
78. Le 22 octobre, le Protocole additionnel a été ouvert à la
signature lors d’une conférence tenue à Riga (Lettonie). Les dix-neuf
Etats membres suivants l’ont signé: Allemagne, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie,
Espagne, Estonie, France, Islande, Italie, Lettonie, Luxembourg,
Norvège, Pologne, Royaume-Uni, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie
et Ukraine. L’Union européenne a signé le Protocole et la Convention
sur la prévention du terrorisme (STCE no 196).
79. Le Conseil de l’Europe est ainsi devenu la première organisation
internationale à se doter d’un instrument juridique régional pour
la mise en œuvre des dispositions de la Résolution 2178 (2014) du
Conseil de sécurité sur les combattants terroristes étrangers.
80. De plus, le Comité des Ministres a adopté en mai 2015 un plan
d’action sur la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation
conduisant au terrorisme, à mettre en œuvre en 2015-2017. Il a pour
but de mettre en place, dans le cadre du mandat du Conseil de l’Europe
et en tirant parti des forces et avantages comparatifs de l’Organisation,
des activités ciblées à même de soutenir et de renforcer les efforts
des Etats membres et de contribuer aux objectifs définis au niveau
des Nations Unies.
81. Le Plan d’action a un double objectif: renforcer le cadre
juridique contre le terrorisme et l’extrémisme violent, et prévenir
et combattre la radicalisation violente par des mesures concrètes
dans le secteur public, en particulier dans les établissements scolaires
et les prisons, et sur internet.
82. Concernant le renforcement du cadre juridique commun, il faut
en priorité aider tous les Etats membres et les pays voisins à signer
et ratifier les instruments pertinents du Conseil de l'Europe, soit:
- la Convention pour la prévention
du terrorisme (2005) (STCE no 196) –
34 pays l’ont déjà signée et ratifiée;
- le Protocole additionnel à la Convention du Conseil de
l’Europe pour la prévention du terrorisme (2015) (STCE no 217)
– comme indiqué plus haut, 21 pays l’ont déjà signé mais aucun ne
l’a encore ratifié;
- la Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment,
au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime
et au financement du terrorisme (2005) (STCE no 198)
– 27 pays l’ont déjà signée et ratifiée;
- le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité,
relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe
commis par le biais de systèmes informatiques (2003) (STCE no 189)
– 24 pays l’ont déjà signé et ratifié.
83. Le Comité d’experts sur le terrorisme (CODEXTER) continuera
à examiner les instruments juridiques du Conseil de l’Europe consacrés
à la lutte contre le terrorisme, décèlera les lacunes éventuelles
du cadre juridique mis en place par le Conseil de l’Europe dans
le domaine de la prévention et de la suppression du terrorisme et
évaluera l’assistance dont disposent les Etats membres qui ont besoin
de surmonter des obstacles à la signature et à la ratification.
84. En outre, le plan d’action propose d’élaborer une nouvelle
recommandation relative aux terroristes agissant de manière isolée,
qui donne aux Etats membres des orientations concernant la manière
de prévenir et de réprimer efficacement cette forme particulière
de terrorisme.
85. S’agissant de la prévention et de la répression de la radicalisation,
le plan d’action met l’accent sur l’éducation. Des actions concrètes
sont prévues pour définir les compétences requises pour l’enseignement de
la culture démocratique et du dialogue interculturel dans les programmes
scolaires européens. L’objectif sera de veiller à ce que les jeunes
acquièrent des valeurs, des connaissances, une compréhension ainsi
que la capacité d’agir en citoyens responsables.
86. Un autre projet, intitulé «Construire des sociétés inclusives»
vise à soutenir, par des initiatives concrètes, le travail d’acteurs
tels que les collectivités locales, les médias, la société civile
(y compris le secteur privé), les travailleurs sociaux et les éducateurs,
qui sont essentiels à la construction et à la consolidation de sociétés
plus inclusives. Il comportera des initiatives destinées à lutter
contre les clichés et la discrimination, à soutenir les stratégies
d’inclusion à l’échelon local, à renforcer la confiance des citoyens
par-delà les différences sociales et culturelles et à favoriser
la communication et les aptitudes interculturelles.
87. La troisième priorité éducative, intitulée «Opposer des contre-arguments
au dévoiement de la religion», vise à contrebalancer les messages
destructeurs des extrémistes par des contre-discours. Elle veut
offrir une tribune aux chefs religieux et aux universitaires faisant
autorité pour que ceux-ci expliquent pourquoi les activités des
organisations terroristes sont inconciliables avec la religion.
88. Le plan d’action a également pour objectif – grâce à des mesures
concrètes prises au niveau du Conseil de l’Europe – de régler le
problème de la radicalisation dans les prisons, ainsi que l’utilisation
d’internet et des médias sociaux pour véhiculer les discours de
haine, favoriser la radicalisation et procéder au recrutement des combattants
terroristes.
89. Selon moi, le plan d’action touche à certains des domaines
qui revêtent une importance capitale pour contrer la radicalisation,
et contribue ainsi à traiter le problème des combattants étrangers.
Le Conseil de l’Europe devrait accorder une plus grande priorité
à ce type d’activités. De manière plus générale, il faut intensifier
l’action du Conseil de l’Europe visant à s’attaquer aux causes profondes
du terrorisme et allouer pour ce faire des fonds supplémentaires.
90. Comme mentionné précédemment, il est de plus en plus important
d’agir au niveau local pour s’attaquer aux causes premières de la
radicalisation, empêcher le départ des candidats pour les zones
de conflit et s’assurer que les combattants étrangers rentrant dans
leur pays sont pris en charge pour être déradicalisés et réintégrés.
Dans ce contexte, il me faut mentionner les travaux du Congrès des
pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe qui visent à
rassembler les représentants des autorités territoriales de toute
l’Europe en vue de partager leurs expériences et leurs bonnes pratiques
sur la prévention de la radicalisation et de promouvoir des approches
intégrées au niveau local afin de s’assurer de la participation
de tous les acteurs: société civile, organisations confessionnelles,
services sociaux et éducatifs et institutions policières et judiciaires.
5. Conclusions
91. La question des combattants
étrangers nous occupera encore de nombreuses années. Il est donc
de la plus haute importance que nous sensibilisions l’opinion et
approfondissions nos connaissances sur les causes profondes de ce
phénomène et que nous adoptions des réponses adéquates qui apporteront
des résultats sur le long terme. Nous devrions nous concentrer d’abord
sur les causes profondes, et réfléchir ensuite aux réponses – et
pas l’inverse.
92. Les réponses actuelles semblent parfois dénoter un manque
de stratégie et de compréhension, et leur nécessité et leur efficacité
ne sont pas toujours claires. Bien qu’il soit tout à fait compréhensible
que les responsables politiques soient tentés de prendre le plus
grand nombre de mesures possibles, dans l’espoir de ne pas se voir
ensuite reprocher par leurs électeurs de ne pas avoir fait assez
pour contrecarrer un attentat – dont l’Europe pourrait encore une
fois être le théâtre –, nous devrions continuer à nous efforcer
d’adopter uniquement des réponses nécessaires, proportionnées, viables
sur la durée et respectueuses du droit international et du droit
des droits de l’homme, en ciblant un phénomène que nous comprenons
(plus ou moins bien).
93. Dans le même temps, les Européens devraient également comprendre
que la sécurité à 100 % est impossible et que, même avec toutes
les mesures les plus répressives du monde, un attentat sera toujours possible.
La réponse politique à la menace terroriste doit donc être jugée
sur la qualité, et non sur la quantité, des propositions d’actions
contre le terrorisme.
94. Enfin, la société ne doit pas se cacher derrière les responsables
politiques, elle doit les aider à trouver des solutions au phénomène
des combattants étrangers, phénomène complexe et en constante évolution. Ainsi
que le souligne Coolsaet, un grand nombre d’acteurs doivent conjuguer
leurs efforts: les gouvernements, la société civile, les médias,
les citoyens. Ce n’est que si on offre aux jeunes un espoir dans
l’avenir, que le terreau s’asséchera et qu’ils cesseront d’être
attirés «vers un pays qu’ils ne connaissent pas, une culture qui ne
leur est pas familière et une langue qu’ils ne comprennent pas»
.
95. Eu égard à son expérience et ses connaissances dans les domaines
relatifs à la démocratie, à la protection des droits de l’homme
et à l’Etat de droit, ainsi qu’à ses instruments juridiques, le
Conseil de l’Europe se doit de contribuer plus activement à la recherche
de moyens pour s’attaquer aux causes profondes de la radicalisation
qui mène à la violence, et au renforcement du cadre juridique afin
de prévenir toute forme de terrorisme.
96. Dans cette optique, je propose que les Etats membres du Conseil
de l’Europe adoptent une série de mesures destinées à contrer, prévenir
et traiter les conséquences du phénomène des combattants étrangers. Ces
mesures figurant dans le projet de résolution visent:
- à définir une réponse englobant
tous les aspects, à tous les stades;
- à établir un partenariat entre tous les acteurs sociaux;
- à renforcer le rôle des pouvoirs locaux;
- à promouvoir une éducation inclusive pour former des citoyens
actifs;
- à parer à la propagande extrémiste violente et développer
des contre-discours positifs;
- à renforcer le dialogue avec les dirigeants des diverses
communautés;
- à accorder une attention accrue à la formation des chefs
religieux;
- à prévenir la radicalisation dans les prisons;
- à concevoir une approche par genre;
- à donner la priorité à la déradicalisation des personnes
de retour;
- à renforcer la coopération internationale et le partage
d’informations et d’expériences;
- à encourager les Etats à adhérer aux instruments juridiques
pertinents du Conseil de l’Europe.
97. Je propose en outre un projet de recommandation pour demander
au Comité des Ministres d’accroître la contribution du Conseil de
l’Europe à la lutte contre le terrorisme en renforçant ses capacités
et, notamment, de rendre opérationnelle la proposition d’élaborer
une recommandation du Comité des Ministres sur les terroristes agissant
de manière isolée, et de donner davantage la priorité à l’éducation
à la citoyenneté démocratique – ces deux éléments figurant dans
le plan d’action 2015-2017 sur la lutte contre l’extrémisme violent
et la radicalisation conduisant au terrorisme.