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Résolution 2089 (2016)
Le crime organisé et les migrants
1. Les migrations irrégulières vers
l’Europe sont facilitées, voire encouragées, par les activités de
réseaux de passeurs de migrants. Le nombre de migrants arrivant
en Europe du fait de ces activités a considérablement augmenté au
cours des dernières années. Selon les estimations, les groupes criminels organisés
tireraient aujourd’hui davantage de profits du trafic illicite de
migrants que des activités plus traditionnelles de contrebande d’armes
ou de stupéfiants, et plusieurs dizaines de milliers de passeurs
seraient impliqués dans le transfert de migrants vers l’Europe,
formant des réseaux plus ou moins structurés avec des connexions
sur tout le continent et au-delà, dans les pays d’origine et de
transit.
2. De plus, le trafic illicite de migrants fait appel à un vaste
éventail d’activités illégales, parmi lesquelles la falsification
de documents, la corruption de fonctionnaires en vue de l’obtention
de documents, la non-déclaration par les chauffeurs des poids lourds
des passagers clandestins lors du franchissement des frontières
et la corruption de gardes-côtes ou de gardes-frontières. Les groupes
de passeurs de migrants peuvent aussi, corollairement, prendre part
à la traite des êtres humains, au trafic de drogue et au blanchiment de
capitaux. Ces groupes, ainsi que d’autres groupes criminels organisés,
sont également impliqués dans, par exemple, l’exploitation de migrants
clandestins par le travail et la corruption associée aux systèmes
d’asile nationaux.
3. Malgré les divers instruments et mécanismes internationaux,
et les efforts déployés par les autorités nationales, et au vu de
l’ampleur du trafic illicite de migrants en Europe ces dernières
années, il est frappant de constater combien il est difficile de
poursuivre et de condamner les passeurs. Une coopération entre les forces
de police européennes est déjà en place et les efforts coordonnés
visant à démanteler les réseaux internationaux de trafiquants ont
porté leurs fruits, s’agissant tout au moins des cellules européennes.
Cela signifie toutefois qu’une seule «extrémité» des filières de
trafic a été déstabilisée et, compte tenu de la nature de celles-ci,
d’une manière qui a peu de chances de les réduire définitivement
à néant, ou même de leur causer des dommages sérieux et durables.
4. L’Assemblée conclut que la coopération internationale et le
partage de renseignements, en tirant profit de la plus vaste gamme
possible de compétences et de ressources, en vue d’élaborer des
réponses novatrices et globales, sont essentiels pour combattre
efficacement les activités des groupes criminels organisés liées aux
migrations. Ces réponses devraient cibler tous les aspects potentiellement
vulnérables des modèles économiques de ces groupes, y compris le
blanchiment de capitaux, la corruption d’agents publics et l’utilisation
néfaste d’internet. L’objectif doit être d’utiliser tous les moyens
possibles pour transformer le trafic illicite de migrants et les
infractions diverses qui y sont souvent associées, actuellement
activités à faible risque et à rentabilité élevée, en activités
à haut risque et à faible rentabilité.
5. Par conséquent, l’Assemblée salue et encourage les efforts
et les initiatives déployés à cette fin par des organes tels que
le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL)
du Conseil de l’Europe et le Groupe d’action financière (GAFI), le
Groupe d’Etats du Conseil de l’Europe contre la corruption (GRECO),
l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC),
Europol et Interpol.
6. L’Assemblée salue et encourage particulièrement l’initiative
du Comité européen pour les problèmes criminels visant à analyser
les lacunes juridiques qui bloquent actuellement les poursuites
contre les passeurs de migrants, en vue de l’élaboration éventuelle
d’un nouvel instrument régional renforçant ceux des Nations Unies,
destiné à renforcer la coopération pratique entre les Etats membres
du Conseil de l’Europe et les Etats des régions voisines. L’Assemblée
reste dans l’attente d’une conclusion rapide et constructive de
ces travaux.
7. L’Assemblée considère que les efforts déployés pour combattre
le trafic illicite de migrants devraient aussi s’attaquer aux causes
profondes des migrations forcées qui poussent les migrants à s’en
remettre à des passeurs de migrants. Des programmes de réinstallation
des réfugiés adaptés et efficaces et des voies de migration sûres
et légales devraient aussi être mis en place pour réduire le recours
à des passeurs de migrants.
8. L’Assemblée recommande aux Etats membres:
8.1. de ratifier et de mettre pleinement
en œuvre, si cela n’a pas déjà été fait, la Convention des Nations
Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole
contre le trafic illicite de migrants par terre, mer et air;
8.2. de ratifier et de mettre pleinement en œuvre, si cela
n’a pas déjà été fait, la Convention du Conseil de l’Europe relative
au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des
produits du crime et au financement du terrorisme (STCE no 198);
8.3. de mettre pleinement en œuvre les recommandations spécifiques de
MONEYVAL et du GAFI en matière de blanchiment de capitaux associé
au trafic de migrants et à la traite d’êtres humains;
8.4. de ratifier et de mettre pleinement en œuvre, si cela
n’a pas déjà été fait, la Convention pénale du Conseil de l’Europe
sur la corruption (STE no 173);
8.5. d’adopter, le cas échéant, une approche proactive de la
coopération avec les autorités nationales compétentes d’autres Etats
et avec les organes internationaux chargés de coordonner et de soutenir
la coopération internationale, notamment l’ONUDC, Europol et Interpol;
8.6. de développer et d’appliquer efficacement toute une série
de techniques d’enquête et de poursuite contre les passeurs de migrants,
comprenant notamment les mesures suivantes:
8.6.1. une participation
plus efficace aux réseaux de partage de renseignements et d’information
impliquant d’autres Etats membres et des agences internationales;
8.6.2. mieux exploiter les plateformes d’information existantes
(par exemple l’Agence européenne pour la gestion de la coopération
opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union
européenne (Frontex) et le Système européen de surveillance des
frontières extérieures (EUROSUR)) afin de rassembler des indications
portant sur les tendances du trafic et la manière d’opérer des trafiquants,
leurs itinéraires et leurs modèles commerciaux;
8.6.3. coopérer davantage avec les pays tiers dans la collecte
de preuves et la facilitation de l’extradition;
8.6.4. veiller à ce que les autorités compétentes soient habilitées
à saisir, confisquer et examiner légalement les instruments utilisés
pour les délits de trafic;
8.6.5. prévoir une protection et une aide aux migrants qui coopèrent
avec les autorités lors des procédures judiciaires, y compris en
leur accordant un permis de résidence temporaire;
8.6.6. utiliser davantage l’interception de communications, y
compris internationales, conformément aux garanties prévues par
la Convention européenne sur les droits de l’homme (STE no 5)
telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme
dans sa jurisprudence;
8.6.7. établir une juridiction pour les délits commis au cours
du trafic de migrants sur le territoire national, même si ces délits
ont été apparemment commis en dehors dudit territoire.
9. En vue d’harmoniser les normes juridiques et de faciliter
la coopération internationale, l’Assemblée encourage aussi les Etats
non membres, en particulier les principaux pays d’origine et de
transit des migrants faisant l’objet d’un trafic illicite, à ratifier
et à mettre en œuvre les instruments internationaux pertinents mentionnés
au paragraphe 8, y compris ceux du Conseil de l’Europe qui leur
sont ouverts.
10. Enfin, l’Assemblée encourage l’Union européenne et ses Etats
membres à mettre pleinement en œuvre le Plan d’action contre le
trafic de migrants (2015-2020), et à poursuivre l’opération Sophia
de l’EUNAVFOR MED dans le strict respect des dispositions de la
Résolution 2240 (2015) du Conseil de sécurité des Nations Unies,
en veillant notamment à ce que tous les migrants directement affectés
soient traités avec humanité et dignité, et à ce que leurs droits
soient pleinement respectés, conformément aux obligations découlant
du droit international, notamment du droit international des droits
de l’homme et du droit international des réfugiés.