Imprimer
Autres documents liés

Résolution 2094 (2016)

La situation au Kosovo* et le rôle du Conseil de l’Europe

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 28 janvier 2016 (8e séance) (voir Doc. 13939, rapport de la commission des questions politiques et de la démocratie, rapporteur: M. Agustín Conde). Texte adopté par l’Assemblée le 28 janvier 2016 (8e séance).* Toute référence au Kosovo, que ce soit le territoire, les institutions ou la population, doit se comprendre en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo.

1. Près de huit ans se sont écoulés depuis la déclaration d’indépendance de l’Assemblée du Kosovo. Le Kosovo est depuis reconnu en tant qu’Etat souverain et indépendant par 34 des Etats membres du Conseil de l’Europe. Cependant, 13 Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas reconnu le Kosovo comme un Etat souverain et indépendant. En conséquence, le Conseil de l’Europe suit une politique de neutralité de statut à l’égard du Kosovo, tout en soutenant l’alignement progressif de celui-ci avec les normes du Conseil de l’Europe dans les domaines de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit.
2. L’Assemblée parlementaire reconnaît les progrès réalisés au Kosovo dans le domaine de la démocratie, avec l’organisation calme et transparente, en 2014, des élections législatives qui, pour la première fois, ont eu lieu dans tout le Kosovo, et avec la participation des Serbes du Kosovo au scrutin. Elle regrette toutefois que les activités législatives de l’Assemblée du Kosovo aient été retardées par de nombreuses impasses politiques qui révèlent l’incapacité des forces politiques du Kosovo à mettre en place un dialogue constructif sur des questions qui revêtent une importance cruciale. Elle condamne aussi toutes les manifestations de violence, considérant celles qui se produisent dans une chambre législative comme étant d’une gravité particulière et en mesure de porter atteinte à la confiance de la population dans les institutions démocratiques.
3. L’Assemblée se félicite de l’adoption, par l’Assemblée du Kosovo, des réformes constitutionnelles qui ont ouvert la voie à la création de chambres spécialisées, dont la tâche serait d’exercer des poursuites dans les affaires sur lesquelles aura enquêté l’équipe spéciale d’enquête (Special Investigative Task Force), à titre de suivi de la Résolution 1782 (2011) de l’Assemblée sur l’enquête sur les allégations de traitement inhumain de personnes et de trafic illicite d’organes humains au Kosovo. L’Assemblée considère cette décision comme un pas vers la réconciliation et un signe de la volonté des autorités de lutter contre l’impunité.
4. En ce qui concerne la protection des droits de l’homme et les relations intercommunautaires, l’Assemblée déplore que des incidents relatifs à l’ethnicité continuent de se produire, tout en reconnaissant que le climat général en matière de sécurité s’est amélioré. Elle appelle les autorités du Kosovo à ne pas relâcher leur vigilance dans ce domaine, à condamner toutes les formes d’agressions motivées par l’ethnicité, y compris celles qui visent le patrimoine culturel, quelles que soient leur gravité et leur fréquence, et à faire preuve de responsabilité dans leur discours public afin de continuer à apaiser les tensions. L’Assemblée considère que la bonne administration de la justice est le meilleur moyen de rassurer les communautés non majoritaires sur le fait qu’elles sont en sécurité au Kosovo et protégées par la loi.
5. De l’avis de l’Assemblée, la toute première priorité des autorités du Kosovo devrait être d’assurer le respect de la prééminence du droit et sa mise en œuvre effective. La corruption endémique et largement répandue à tous les niveaux du gouvernement, de la justice et de l’économie a des répercussions négatives sur la vie de la population du Kosovo, quelle que soit la communauté à laquelle elle appartient; elle constitue un obstacle au renforcement général des normes et elle freine le développement économique du Kosovo.
6. L’Assemblée attache une grande importance au dialogue sous l’égide de l’Union européenne en vue de la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina, et se félicite de l’ouverture de négociations d’adhésion entre la Serbie et l’Union européenne en 2014, ainsi que de la signature de l’Accord de stabilisation et d’association entre l’Union européenne et le Kosovo en octobre 2015. Elle estime que la poursuite du dialogue entre Belgrade et Pristina, l’existence d’une perspective européenne pour toutes deux et le renforcement accru des normes de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du droit au Kosovo revêtent une importance cruciale pour la sécurité démocratique du Kosovo ainsi que pour la stabilité de l’ensemble de la région des Balkans occidentaux. L’Assemblée attache aussi une grande importance au plan d'action national sur la mise en œuvre au Kosovo de la Résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.
7. C’est avec ces considérations à l’esprit que l’Assemblée exhorte les autorités du Kosovo:
7.1. à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éradiquer la corruption dans tous les secteurs du gouvernement, de la justice et de l’économie, notamment:
7.1.1. en mettant en œuvre la Stratégie anticorruption 2012-2016 et son plan d’action, et en surveillant leur mise en œuvre;
7.1.2. en améliorant la coordination entre les différents organes chargés de lutter contre la corruption et la criminalité économique;
7.1.3. en encourageant l’Agence anticorruption du Kosovo à adopter une attitude plus volontariste pendant la phase des enquêtes;
7.1.4. en veillant à ce que le ministère public assure le suivi des affaires transmises par l’agence anticorruption du Kosovo;
7.2. à agir avec une plus grande détermination pour renforcer la prééminence du droit et son application, notamment:
7.2.1. en protégeant les juges et les procureurs contre toute influence ou ingérence politique;
7.2.2. en assurant le professionnalisme, l’impartialité et l’indépendance des juges et des procureurs;
7.2.3. en mettant en œuvre le Plan d’action judiciaire (2014-2019) pour le Kosovo;
7.2.4. en renforçant les règles qui concernent les sanctions disciplinaires à l’encontre des agents chargés de l’application des lois, et en veillant à ce qu’elles soient appliquées et à ce que la population en soit dûment informée;
7.2.5. en améliorant la formation continue des juges et des procureurs, y compris en droit international des droits de l’homme;
7.2.6. en continuant à enquêter et à exercer des poursuites en ce qui concerne les crimes de guerre;
7.2.7. en mettant en œuvre le système de protection des témoins;
7.3. à lutter contre le chômage, surtout chez les jeunes et les femmes;
7.4. à mettre en œuvre tous les accords découlant du dialogue entre Belgrade et Pristina, en particulier l’Accord sur la mise en place de l’association/la communauté des municipalités à majorité serbe;
7.5. à continuer à établir une confiance mutuelle entre les communautés; à protéger les droits et la sécurité des minorités tout en favorisant leur intégration économique, notamment:
7.5.1. en investissant dans des activités créatrices d’emplois, surtout dans les régions où habitent des communautés non majoritaires;
7.5.2. en continuant à intégrer des Serbes du Kosovo dans le système judiciaire, notamment dans le nord du Kosovo et, de manière générale, à promouvoir le recrutement de personnel issu de communautés non majoritaires dans l’administration publique et les entreprises publiques, afin de refléter la diversité ethnique du Kosovo;
7.5.3. en assurant une mise en œuvre complète et efficace des procédures afin que soient reconnus les diplômes délivrés par l’université de Mitrovicë/Mitrovica;
7.5.4. en assurant la protection de tout le patrimoine culturel, en veillant particulièrement au patrimoine culturel des communautés non majoritaires, indépendamment du rejet de la demande d’adhésion du Kosovo à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO);
7.5.5. en mettant en place les conditions requises pour le retour des personnes déplacées, en assurant la restitution effective de leur droit de propriété et en facilitant leur emploi ou le développement d’autres activités génératrices de revenus;
7.5.6. en s’efforçant de résoudre les problèmes spécifiques qui empêchent l’intégration des Roms, des Ashkalis et des Egyptiens, notamment le décrochage scolaire précoce, le travail des enfants et les mariages précoces;
7.5.7. en soutenant le dialogue intercommunautaire, également au niveau de la société civile, et en s’abstenant de tout discours public pouvant aviver les tensions entre communautés;
7.5.8. en soutenant les échanges transfrontaliers et le dialogue concernant les questions de réconciliation et de vivre ensemble;
7.6. à mettre en œuvre la nouvelle loi anti-discrimination et à en évaluer l’impact;
7.7. à mettre en œuvre la nouvelle loi relative à l’égalité des sexes et à en évaluer l’impact; à organiser ou à soutenir des campagnes publiques de sensibilisation à la violence sexiste, et à approuver et mettre en œuvre les principes de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210);
7.8. à continuer à s’attaquer au phénomène des combattants étrangers, en s’intéressant principalement à la prévention de la radicalisation et à la mise en œuvre de la nouvelle législation spécifique à ce sujet; à mettre en œuvre la Stratégie sur le terrorisme (2012-2017) et la Stratégie pour la prévention de l’extrémisme violent et de la radicalisation (2015-2020);
7.9. à s’attaquer aux causes profondes des migrations clandestines et à organiser des campagnes publiques pour dissuader les gens de se lancer dans une telle voie;
7.10. à prendre des mesures fermes contre le blanchiment de capitaux, le trafic de drogue, le trafic de migrants, la traite des êtres humains, le trafic d’armes et la détention illégale d’armes;
7.11. à poursuivre les négociations avec les Pays-Bas afin d’établir à La Haye des chambres spécialisées, et à assurer la coopération avec elles une fois qu’elles auront été créées.
8. L’Assemblée encourage la Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) à augmenter ses capacités de coopération avec INTERPOL et EUROPOL, et encourage les autorités à Pristina à utiliser les mécanismes disponibles déjà en place.
9. L’Assemblée invite l’Assemblée du Kosovo:
9.1. à mettre en œuvre sans tarder son programme législatif;
9.2. à renforcer sa surveillance du gouvernement;
9.3. à renforcer les mécanismes de consultation de la société civile, en particulier les organisations représentant les femmes;
9.4. à adopter un nouveau règlement intérieur pour ses activités, en conformité avec les normes européennes;
9.5. à promouvoir l’égalité des sexes, et l’égalité pour les personnes LGBTQ, au sein de ses structures, et l’inclusion d’une dimension de genre dans son fonctionnement, en renforçant la nomination des femmes aux postes à responsabilité et l’examen du budget du Kosovo dans une perspective de genre;
9.6. à adopter la réforme de l’administration publique, en s’assurant que le recrutement et l’avancement sont fondés sur le mérite, et en promouvant son impartialité;
9.7. à permettre le bon fonctionnement de l’institution du médiateur, à s’engager dans un dialogue constructif avec celui-ci, à suivre ses recommandations et à garantir qu’il dispose des ressources nécessaires pour s’acquitter de son mandat.
10. L’Assemblée exhorte les forces politiques qui sont représentées à l’Assemblée du Kosovo à mettre en place un dialogue politique constructif entre la majorité et l’opposition.
11. L’Assemblée exhorte les autorités de Belgrade et de Pristina:
11.1. à poursuivre le dialogue sous l’égide de l’Union européenne en ce qui concerne la normalisation des relations dans un esprit ouvert et constructif, et à inclure les femmes dans le dialogue, conformément à la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité;
11.2. à intensifier la coopération afin de démanteler les réseaux criminels transnationaux qui opèrent dans la région; de progresser en ce qui concerne la question des personnes disparues; et de faciliter les enquêtes et les poursuites concernant les crimes de guerre.
12. L’Assemblée recommande aux autorités du Kosovo d’approfondir le dialogue et la coopération avec le Conseil de l’Europe et ses différents organes et institutions, notamment:
12.1. en demandant l’assistance de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) pour mettre sa législation électorale en parfaite conformité avec les normes internationales en la matière;
12.2. en donnant suite aux recommandations formulées par les organes de suivi du Conseil de l’Europe, dont celles du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), du Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA), du Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et à celles formulées dans le cadre du Projet conjoint du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne contre la criminalité économique au Kosovo (PECK);
12.3. en coopérant pleinement et efficacement au sein du large éventail de mécanismes du Conseil de l'Europe et de projets disponibles pour le Kosovo.
13. L’Assemblée décide d’intensifier le dialogue avec l’Assemblée du Kosovo et recommande à son Bureau de modifier les modalités actuelles de coopération avec les forces politiques élues à l’Assemblée du Kosovo, en vue d’inviter l’Assemblée du Kosovo à désigner une délégation assurant aussi la représentation des communautés minoritaires, en plus de la majorité et de l’opposition.