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Résolution 2094 (2016)
La situation au Kosovo* et le rôle du Conseil de l’Europe
1. Près de huit
ans se sont écoulés depuis la déclaration d’indépendance de l’Assemblée
du Kosovo. Le Kosovo est depuis reconnu en tant qu’Etat souverain
et indépendant par 34 des Etats membres du Conseil de l’Europe.
Cependant, 13 Etats membres du Conseil de l’Europe n’ont pas reconnu
le Kosovo comme un Etat souverain et indépendant. En conséquence,
le Conseil de l’Europe suit une politique de neutralité de statut
à l’égard du Kosovo, tout en soutenant l’alignement progressif de
celui-ci avec les normes du Conseil de l’Europe dans les domaines
de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence du
droit.
2. L’Assemblée parlementaire reconnaît les progrès réalisés au
Kosovo dans le domaine de la démocratie, avec l’organisation calme
et transparente, en 2014, des élections législatives qui, pour la
première fois, ont eu lieu dans tout le Kosovo, et avec la participation
des Serbes du Kosovo au scrutin. Elle regrette toutefois que les
activités législatives de l’Assemblée du Kosovo aient été retardées
par de nombreuses impasses politiques qui révèlent l’incapacité
des forces politiques du Kosovo à mettre en place un dialogue constructif
sur des questions qui revêtent une importance cruciale. Elle condamne
aussi toutes les manifestations de violence, considérant celles
qui se produisent dans une chambre législative comme étant d’une
gravité particulière et en mesure de porter atteinte à la confiance
de la population dans les institutions démocratiques.
3. L’Assemblée se félicite de l’adoption, par l’Assemblée du
Kosovo, des réformes constitutionnelles qui ont ouvert la voie à
la création de chambres spécialisées, dont la tâche serait d’exercer
des poursuites dans les affaires sur lesquelles aura enquêté l’équipe
spéciale d’enquête (Special Investigative Task Force), à titre de
suivi de la Résolution
1782 (2011) de l’Assemblée sur l’enquête sur les allégations de
traitement inhumain de personnes et de trafic illicite d’organes
humains au Kosovo. L’Assemblée considère cette décision comme un
pas vers la réconciliation et un signe de la volonté des autorités
de lutter contre l’impunité.
4. En ce qui concerne la protection des droits de l’homme et
les relations intercommunautaires, l’Assemblée déplore que des incidents
relatifs à l’ethnicité continuent de se produire, tout en reconnaissant que
le climat général en matière de sécurité s’est amélioré. Elle appelle
les autorités du Kosovo à ne pas relâcher leur vigilance dans ce
domaine, à condamner toutes les formes d’agressions motivées par
l’ethnicité, y compris celles qui visent le patrimoine culturel,
quelles que soient leur gravité et leur fréquence, et à faire preuve
de responsabilité dans leur discours public afin de continuer à
apaiser les tensions. L’Assemblée considère que la bonne administration
de la justice est le meilleur moyen de rassurer les communautés
non majoritaires sur le fait qu’elles sont en sécurité au Kosovo
et protégées par la loi.
5. De l’avis de l’Assemblée, la toute première priorité des autorités
du Kosovo devrait être d’assurer le respect de la prééminence du
droit et sa mise en œuvre effective. La corruption endémique et
largement répandue à tous les niveaux du gouvernement, de la justice
et de l’économie a des répercussions négatives sur la vie de la
population du Kosovo, quelle que soit la communauté à laquelle elle
appartient; elle constitue un obstacle au renforcement général des
normes et elle freine le développement économique du Kosovo.
6. L’Assemblée attache une grande importance au dialogue sous
l’égide de l’Union européenne en vue de la normalisation des relations
entre Belgrade et Pristina, et se félicite de l’ouverture de négociations
d’adhésion entre la Serbie et l’Union européenne en 2014, ainsi
que de la signature de l’Accord de stabilisation et d’association
entre l’Union européenne et le Kosovo en octobre 2015. Elle estime
que la poursuite du dialogue entre Belgrade et Pristina, l’existence
d’une perspective européenne pour toutes deux et le renforcement
accru des normes de la démocratie, des droits de l’homme et de la
prééminence du droit au Kosovo revêtent une importance cruciale
pour la sécurité démocratique du Kosovo ainsi que pour la stabilité
de l’ensemble de la région des Balkans occidentaux. L’Assemblée
attache aussi une grande importance au plan d'action national sur
la mise en œuvre au Kosovo de la Résolution 1325 (2000) du Conseil
de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité.
7. C’est avec ces considérations à l’esprit que l’Assemblée exhorte
les autorités du Kosovo:
7.1. à
faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éradiquer la corruption
dans tous les secteurs du gouvernement, de la justice et de l’économie,
notamment:
7.1.1. en mettant en œuvre
la Stratégie anticorruption 2012-2016 et son plan d’action, et en surveillant
leur mise en œuvre;
7.1.2. en améliorant la coordination entre les différents organes
chargés de lutter contre la corruption et la criminalité économique;
7.1.3. en encourageant l’Agence anticorruption du Kosovo à adopter
une attitude plus volontariste pendant la phase des enquêtes;
7.1.4. en veillant à ce que le ministère public assure le suivi
des affaires transmises par l’agence anticorruption du Kosovo;
7.2. à agir avec une plus grande détermination pour renforcer
la prééminence du droit et son application, notamment:
7.2.1. en protégeant les juges et les
procureurs contre toute influence ou ingérence politique;
7.2.2. en assurant le professionnalisme, l’impartialité et l’indépendance
des juges et des procureurs;
7.2.3. en mettant en œuvre le Plan d’action judiciaire (2014-2019)
pour le Kosovo;
7.2.4. en renforçant les règles qui concernent les sanctions
disciplinaires à l’encontre des agents chargés de l’application
des lois, et en veillant à ce qu’elles soient appliquées et à ce
que la population en soit dûment informée;
7.2.5. en améliorant la formation continue des juges et des procureurs,
y compris en droit international des droits de l’homme;
7.2.6. en continuant à enquêter et à exercer des poursuites en
ce qui concerne les crimes de guerre;
7.2.7. en mettant en œuvre le système de protection des témoins;
7.3. à lutter contre le chômage, surtout chez les jeunes et
les femmes;
7.4. à mettre en œuvre tous les accords découlant du dialogue
entre Belgrade et Pristina, en particulier l’Accord sur la mise
en place de l’association/la communauté des municipalités à majorité serbe;
7.5. à continuer à établir une confiance mutuelle entre les
communautés; à protéger les droits et la sécurité des minorités
tout en favorisant leur intégration économique, notamment:
7.5.1. en investissant dans des activités
créatrices d’emplois, surtout dans les régions où habitent des communautés
non majoritaires;
7.5.2. en continuant à intégrer des Serbes du Kosovo dans le
système judiciaire, notamment dans le nord du Kosovo et, de manière
générale, à promouvoir le recrutement de personnel issu de communautés
non majoritaires dans l’administration publique et les entreprises
publiques, afin de refléter la diversité ethnique du Kosovo;
7.5.3. en assurant une mise en œuvre complète et efficace des
procédures afin que soient reconnus les diplômes délivrés par l’université
de Mitrovicë/Mitrovica;
7.5.4. en assurant la protection de tout le patrimoine culturel,
en veillant particulièrement au patrimoine culturel des communautés
non majoritaires, indépendamment du rejet de la demande d’adhésion
du Kosovo à l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la
science et la culture (UNESCO);
7.5.5. en mettant en place les conditions requises pour le retour
des personnes déplacées, en assurant la restitution effective de
leur droit de propriété et en facilitant leur emploi ou le développement
d’autres activités génératrices de revenus;
7.5.6. en s’efforçant de résoudre les problèmes spécifiques qui
empêchent l’intégration des Roms, des Ashkalis et des Egyptiens,
notamment le décrochage scolaire précoce, le travail des enfants
et les mariages précoces;
7.5.7. en soutenant le dialogue intercommunautaire, également
au niveau de la société civile, et en s’abstenant de tout discours
public pouvant aviver les tensions entre communautés;
7.5.8. en soutenant les échanges transfrontaliers et le dialogue
concernant les questions de réconciliation et de vivre ensemble;
7.6. à mettre en œuvre la nouvelle loi anti-discrimination
et à en évaluer l’impact;
7.7. à mettre en œuvre la nouvelle loi relative à l’égalité
des sexes et à en évaluer l’impact; à organiser ou à soutenir des
campagnes publiques de sensibilisation à la violence sexiste, et
à approuver et mettre en œuvre les principes de la Convention du
Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique (STCE no 210);
7.8. à continuer à s’attaquer au phénomène des combattants
étrangers, en s’intéressant principalement à la prévention de la
radicalisation et à la mise en œuvre de la nouvelle législation spécifique
à ce sujet; à mettre en œuvre la Stratégie sur le terrorisme (2012-2017)
et la Stratégie pour la prévention de l’extrémisme violent et de
la radicalisation (2015-2020);
7.9. à s’attaquer aux causes profondes des migrations clandestines
et à organiser des campagnes publiques pour dissuader les gens de
se lancer dans une telle voie;
7.10. à prendre des mesures fermes contre le blanchiment de
capitaux, le trafic de drogue, le trafic de migrants, la traite
des êtres humains, le trafic d’armes et la détention illégale d’armes;
7.11. à poursuivre les négociations avec les Pays-Bas afin d’établir
à La Haye des chambres spécialisées, et à assurer la coopération
avec elles une fois qu’elles auront été créées.
8. L’Assemblée encourage la Mission d’administration intérimaire
des Nations Unies au Kosovo (MINUK) à augmenter ses capacités de
coopération avec INTERPOL et EUROPOL, et encourage les autorités
à Pristina à utiliser les mécanismes disponibles déjà en place.
9. L’Assemblée invite l’Assemblée du Kosovo:
9.1. à mettre en œuvre sans tarder
son programme législatif;
9.2. à renforcer sa surveillance du gouvernement;
9.3. à renforcer les mécanismes de consultation de la société
civile, en particulier les organisations représentant les femmes;
9.4. à adopter un nouveau règlement intérieur pour ses activités,
en conformité avec les normes européennes;
9.5. à promouvoir l’égalité des sexes, et l’égalité pour les
personnes LGBTQ, au sein de ses structures, et l’inclusion d’une
dimension de genre dans son fonctionnement, en renforçant la nomination
des femmes aux postes à responsabilité et l’examen du budget du
Kosovo dans une perspective de genre;
9.6. à adopter la réforme de l’administration publique, en
s’assurant que le recrutement et l’avancement sont fondés sur le
mérite, et en promouvant son impartialité;
9.7. à permettre le bon fonctionnement de l’institution du
médiateur, à s’engager dans un dialogue constructif avec celui-ci,
à suivre ses recommandations et à garantir qu’il dispose des ressources nécessaires
pour s’acquitter de son mandat.
10. L’Assemblée exhorte les forces politiques qui sont représentées
à l’Assemblée du Kosovo à mettre en place un dialogue politique
constructif entre la majorité et l’opposition.
11. L’Assemblée exhorte les autorités de Belgrade et de Pristina:
11.1. à poursuivre le dialogue sous
l’égide de l’Union européenne en ce qui concerne la normalisation des
relations dans un esprit ouvert et constructif, et à inclure les
femmes dans le dialogue, conformément à la Résolution 1325 du Conseil
de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité;
11.2. à intensifier la coopération afin de démanteler les réseaux
criminels transnationaux qui opèrent dans la région; de progresser
en ce qui concerne la question des personnes disparues; et de faciliter
les enquêtes et les poursuites concernant les crimes de guerre.
12. L’Assemblée recommande aux autorités du Kosovo d’approfondir
le dialogue et la coopération avec le Conseil de l’Europe et ses
différents organes et institutions, notamment:
12.1. en demandant l’assistance de
la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) pour mettre sa législation électorale en parfaite conformité
avec les normes internationales en la matière;
12.2. en donnant suite aux recommandations formulées par les
organes de suivi du Conseil de l’Europe, dont celles du Comité européen
pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT), du Groupe d'experts sur la lutte contre la
traite des êtres humains (GRETA), du Comité consultatif de la Convention-cadre
pour la protection des minorités nationales, et à celles formulées
dans le cadre du Projet conjoint du Conseil de l’Europe et de l’Union
européenne contre la criminalité économique au Kosovo (PECK);
12.3. en coopérant pleinement et efficacement au sein du large
éventail de mécanismes du Conseil de l'Europe et de projets disponibles
pour le Kosovo.
13. L’Assemblée décide d’intensifier le dialogue avec l’Assemblée
du Kosovo et recommande à son Bureau de modifier les modalités actuelles
de coopération avec les forces politiques élues à l’Assemblée du
Kosovo, en vue d’inviter l’Assemblée du Kosovo à désigner une délégation
assurant aussi la représentation des communautés minoritaires, en
plus de la majorité et de l’opposition.