1. Introduction
1. En 2015, 856 000 personnes,
soit près de 20 fois plus qu’en 2014, ont traversé la mer Egée depuis
la Turquie pour gagner les îles grecques. Presque autant de personnes
sont arrivées au cours des deux premiers mois de 2016 (122 600)
que pendant les sept premiers mois de 2015 (130 100). Tout porte
à croire qu’en 2016, le nombre de réfugiés sera supérieur à celui
de l’an dernier, qui était déjà au-delà de tout ce qu’on aurait
pu imaginer. Dans leur écrasante majorité, il s’agit de ressortissants
de pays «producteurs» de réfugiés: en 2016, 44 % venaient de Syrie
(un pourcentage en baisse par rapport à l’an dernier), 29 % d’Afghanistan
et 18 % d’Irak (pourcentages en hausse par rapport à l’an dernier).
Ceux qui arrivent de Grèce et qui transitent par les Balkans occidentaux
seraient majoritairement des réfugiés, mais ils ne veulent pas demander
l’asile dans l’un de ces pays. Pour diverses raisons – espoir d’une
protection durable, liens familiaux, présence d’une communauté sur
place, espoir de trouver un emploi pour eux-mêmes ou de scolariser
leurs enfants, peur de la xénophobie ailleurs – leur but est d’obtenir
l’asile en Europe occidentale, en Allemagne ou en Suède bien souvent.
2. D’un point de vue juridique, et notamment de l’existence d’une
protection efficace, le périple des réfugiés et des migrants est
compliqué. Tous les pays qu’ils traversent (dont la Turquie) sont
Parties à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention») et à la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés, mais la Turquie octroie aux ressortissants des pays non-européens
un statut de réfugié distinct. Les réfugiés et les migrants pénètrent
dans l’Union européenne et dans l’espace Schengen lorsqu’ils atteignent
les îles grecques, avant d’en sortir dès qu’ils franchissent la
frontière et sont en transit dans «l’ex-République yougoslave de
Macédoine» et en Serbie. Ils sont à nouveau dans l’Union européenne
lorsqu’ils passent la frontière croate mais, pour se retrouver dans
l’espace Schengen, ils doivent d’abord entrer sur le territoire
slovène; or la Croatie et la Slovénie (et la Grèce) font partie
du système de Dublin.
3. La Cour européenne des droits de l’homme a établi que les
demandeurs d’asile, qu’ils soient ressortissants d’un pays non membre
de l’Union européenne comme «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
ou, dans le cadre du système de Dublin, d’un pays membre de l’Union
européenne comme l’Allemagne, ne peuvent pas être renvoyés en Grèce
en raison des graves défaillances de ses conditions d’accueil et
de son système d’asile. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) a déconseillé et plusieurs organes juridictionnels
nationaux ont interdit le renvoi des demandeurs d’asile en Serbie
en raison des défaillances systémiques de ses procédures d’asile;
le HCR a également demandé l’interdiction du renvoi des demandeurs
d’asile dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine». En résumé, ce
n’est qu’en arrivant en Croatie que les réfugiés et les migrants
peuvent bénéficier d’une protection pleine et effective, conforme
aux normes de la Convention européenne des droits de l’homme et
de la Convention de 1951 sur les réfugiés; les pays plus au sud
ne peuvent pas, ou ne doivent pas, être considérés comme des pays
tiers sûrs vers lesquels les demandeurs d’asile peuvent être renvoyés.
4. La situation de la Hongrie ne doit pas être oubliée. A la
mi-septembre 2015, elle a unilatéralement érigé une clôture de barbelés
le long de sa frontière avec la Serbie et à la mi-octobre, elle
en a érigé une autre le long de sa frontière avec la Croatie. Ce
faisant, la Hongrie a fermé l’accès à son territoire au flux de
réfugiés et de migrants le long de la route des Balkans occidentaux
vers l’Autriche pour les rediriger vers la Croatie et la Slovénie.
Pour justifier la fortification de ses frontières avec des pays
européens, les autorités hongroises ont indiqué qu’il s’agissait
d’une mesure légitime de contrôle aux frontières, mais les conséquences
humaines et politiques lui ont valu de sévères critiques du monde
entier et ont provoqué de graves tensions avec les pays voisins.
L’an dernier, la Hongrie a également adopté une nouvelle législation
sur l’asile, en vertu de laquelle ceux qui veulent entrer sur son
territoire sont maintenus dans des zones de transit aux frontières,
où leurs demandes d’asile sont examinées dans le cadre d’une procédure
extrêmement accélérée, qui n’est assortie d’aucune des garanties
juridiques essentielles. Les demandes d’asile des migrants qui arrivent
de Serbie sont rarement examinées sur le fond, la Hongrie persistant
à considérer la Serbie comme un pays tiers sûr, et certaines demandes
sont rejetées dans les 24 heures. Près d’un demandeur d’asile sur
deux est placé en détention, y compris ceux qui attendent d’être
renvoyés vers la Serbie qui, dans la plupart des cas, refuse de les
accueillir; la détention des migrants peut ainsi s’éterniser pour
l’une ou l’autre raison, dans des conditions parfois insatisfaisantes.
Ces mesures juridiques et administratives ont été accompagnées d’une
campagne anti-migrants concertée au niveau du gouvernement. C’est
pourquoi de plus en plus de pays européens considèrent que le renvoi
des demandeurs d’asile vers la Hongrie n’est plus sûr et une affaire
contre l’Autriche concernant le retour de demandeurs d’asile vers
la Hongrie en application du règlement de Dublin est pendante devant
la Cour européenne des droits de l’homme.
5. Le présent rapport fait suite à un précédent, intitulé «Pays
de transit: relever les nouveaux défis de la migration et de l’asile»
(
Doc. 13867), qui traitait de ce problème parmi d’autres et était
déjà bien avancé lorsque la situation dans les Balkans occidentaux
a fait les gros titres l’été dernier. Du 10 au 13 novembre 2015,
peu après l’adoption par l’Assemblée parlementaire de la
Résolution 2073 (2015) sur les pays de transit, j’ai effectué une visite de
suivi dans les Balkans occidentaux, où j’ai rencontré des ministres
et des hauts fonctionnaires, ainsi que des représentants d’organisations
internationales et d’organisations non gouvernementales (ONG); j’ai
également visité les principaux centres de transit dans «l’ex-République yougoslave
de Macédoine», en Serbie et en Slovénie, où j’ai pu discuter avec
des responsables, des bénévoles, ainsi qu’avec des réfugiés et des
migrants. J’ai présenté une note d’information sur ma visite à la réunion
de la commission de décembre 2015 et un avant-projet de rapport
plus complet lors de la partie de session de janvier 2016
.
6. Dans le présent rapport, j’examine les principaux développements
survenus au cours des huit mois écoulés – beaucoup de choses ont
changé, rarement pour le meilleur. Depuis août 2015, les pays des
Balkans occidentaux ont déployé un nouvel éventail de réponses politiques.
Malheureusement, ces changements ont eu des répercussions qui ont
progressivement aggravé la situation des réfugiés et des migrants,
surtout depuis novembre 2015, et l’incapacité collective de l’Europe
à gérer la situation a généré de graves tensions entre les pays
voisins des Balkans occidentaux, entre les Etats européens en général
et entre les Etats européens et les institutions européennes.
2. Contexte politique
7. Afin de comprendre la fragilité
de la situation politique dans les Balkans occidentaux et pourquoi
la crise des réfugiés peut y avoir des conséquences particulièrement
graves, il est utile de rappeler quelques faits essentiels concernant
la région:
i. «L’ex-République yougoslave
de Macédoine» a traversé plusieurs crises politiques ces dernières années.
Le remaniement ministériel tant attendu qui a eu lieu fin 2015 sera
suivi en 2016 par de nouvelles élections législatives, prévues pour
le 5 juin. Les relations entre «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et la Grèce, son voisin méridional, sont compliquées depuis longtemps
par un litige portant sur le nom officiel du pays et de nombreux
autres problèmes plus ou moins liés.
ii. Les relations entre la Slovénie et la Croatie sont également
compliquées, notamment en raison d’un problème de frontière litigieuse
qui n’a toujours pas été réglé depuis l’éclatement de l’ex-Yougoslavie
en 1991.
iii. On observe aussi un certain ressentiment provoqué par
les différences de statut des pays au sein de l’Union européenne
et du système de Schengen. Dans tous les pays où je me suis rendue
en novembre 2015, j’ai observé un profond mécontentement à l’égard
de ce qui était perçu comme une incapacité de la Grèce à réguler
l’afflux de réfugiés et de migrants, ce qui était interprété comme
un manquement à son obligation de surveiller les frontières de Schengen
et/ou, en tant que pays de première entrée dans l’Union, de traiter
un nombre plus important de demandes d’asile. Les autorités serbes
ont fait valoir que la Croatie, qui rencontre exactement les mêmes
problèmes qu’elles, a pu obtenir beaucoup plus efficacement des
fonds de l’Union européenne du fait que le pays en est membre. Les
autorités slovènes ont estimé qu’en qualité de membre de l’Union
européenne, la Croatie devrait en faire plus pour réguler le flux
et partager les informations, au lieu de se contenter de faire passer
aussi rapidement que possible les réfugiés et les migrants en Slovénie;
et que la Serbie, pays candidat, devrait aussi accepter davantage
de responsabilités.
iv. Plus généralement, bien que plus de 20 ans se soient écoulés
depuis la fin de la plupart des conflits en ex-Yougoslavie, des
souvenirs extrêmement pénibles sont encore vivaces et beaucoup de
problèmes ne sont toujours pas résolus. La communauté internationale,
dont le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, a énormément
investi dans la stabilité, dans le développement économique et dans
les perspectives européennes des Balkans occidentaux. Il est indispensable
que les pays concernés soient pleinement soutenus dans leurs efforts
pour gérer la crise actuelle des réfugiés; considérer la paix et
la sécurité dans la région comme acquises serait une grave erreur.
3. Evolution de la crise migratoire
dans les Balkans occidentaux
3.1. Situation avant août 2015
8. Que des réfugiés et des migrants
entrent dans les zones contiguës de l’Union européenne continentale via
les Balkans occidentaux n’est pas un phénomène nouveau. Selon l’Agence
européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux
frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (Frontex), la
route des Balkans est devenue populaire en 2012, dans la foulée
de la libéralisation du régime de visas Schengen pour les pays des
Balkans occidentaux, dont la Serbie et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine»: si 20 000 personnes sont entrées irrégulièrement
en Hongrie en 2013, elles étaient plus de 43 000 en 2014. En 2015,
ce chiffre a été atteint dès la fin du mois de mai, après quoi le
rythme des arrivées a augmenté de manière exponentielle, pour atteindre
près de 108 000 en août.
9. En juin 2015, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» a
révisé sa loi sur l’asile afin de permettre aux réfugiés et aux
migrants d’entrer légalement dans le pays, à condition toutefois
qu’ils demandent l’asile. En vertu de la loi – dont l’approche est
similaire au droit serbe en la matière – ils ont 72 heures pour
déposer une demande d’asile ou quitter le pays. Dans la pratique,
cela leur laisse suffisamment de temps pour franchir la frontière
septentrionale avec la Serbie. L’intention était de permettre aux
réfugiés et aux migrants de se déplacer légalement en réduisant
le risque qu’ils empruntent des itinéraires dangereux (au moins
25 réfugiés et migrants ont été tués par des trains alors qu’ils
marchaient le long des rails au cours du seul premier semestre 2014)
et aient recours à des passeurs. Parallèlement, les autorités macédoniennes
ont reproché à la Grèce de ne pas contrôler les réfugiés et les
migrants à sa frontière.
10. Dans un rapport sur la situation dans les Balkans occidentaux
publié en juillet 2015
, Amnesty International indique
que les réfugiés et les migrants ne bénéficient d’aucune protection
juridique ni d’aucun statut, alors qu’ils sont exposés à des risques
multiples dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et en Serbie:
exploitation, détention arbitraire et mauvais traitements par les
autorités et les passeurs, refoulement aux frontières macédonienne
et serbe, et problèmes physiques et psychologiques liés.
3.2. Août-septembre 2015: le
chaos et la panique
11. Submergée par à l’afflux exponentiel
de migrants – parfois plus de 3 000 arrivées par jour –, «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» a soudain changé de politique en août 2015.
Le gouvernement a décrété l’état d’urgence dans les régions du sud,
où des unités antiémeutes de la police et l’armée ont été déployées
et la frontière fermée, à l’exception d’un nombre limité de migrants
particulièrement vulnérables autorisés à passer. Malgré son intention
de laisser entrer chaque jour quelques centaines de réfugiés et
de migrants pour qu’ils montent à bord des trains en direction du
nord, la peur et la colère ont gagné les réfugiés et les migrants,
de plus en plus nombreux, qui se sont soudain retrouvés bloqués
à la frontière. Face aux protestations de plus en plus vives, la
police a parfois été amenée à utiliser des matraques, des boucliers antiémeutes,
du gaz lacrymogène et des grenades assourdissantes pour repousser
de l’autre côté de la frontière ceux qui tentaient de forcer le
passage. Des milliers de réfugiés et de migrants ont finalement
réussi à entrer sur le territoire, faisant échec à une politique
restrictive qui, entretemps, avait été largement critiquée par la
communauté internationale.
12. Le mois suivant, la Hongrie – elle aussi avait été dépassée
par le nombre de personnes qui transitaient par le pays, souvent
via la gare centrale de Budapest – a achevé la clôture de barbelés
qui était en construction depuis plusieurs semaines le long de sa
frontière avec la Serbie. L’effet a été immédiat: le flux des réfugiés
a presque totalement été redirigé vers la Croatie. Après que la
police hongroise a tiré sur les réfugiés et les migrants massés
côté serbe avec du gaz lacrymogène et des canons à eau le long de
la frontière nouvellement fermée, la Serbie a officiellement «protesté
avec la plus grande vigueur». Une grande partie de la communauté internationale,
dont des gouvernements européens et des hauts responsables du Conseil
de l’Europe, de l’Union européenne et des Nations unies, a vivement
critiqué la clôture de barbelés érigée par la Hongrie, ainsi que
d’autres aspects de ses politiques hostiles envers les migrants
(voir introduction ci-dessus).
13. Le détournement soudain des réfugiés et des migrants vers
la Croatie, facilité par les autorités serbes qui ont mis à disposition
des moyens de transport à partir de sa frontière avec la Hongrie,
a donné lieu à des scènes de chaos et à des heurts à la frontière
serbo-croate aussi; là encore, la police, qui tentait de bloquer
le passage en force, a été dépassée par le nombre. En deux jours,
13 000 personnes sont entrées en Croatie, qui a réagi en annonçant
qu’elle n’enregistrerait plus et n’accueillerait plus les nouveaux
arrivants, mais se contenterait de leur apporter de la nourriture,
de l’eau et des soins médicaux. Elle a également commencé à convoyer
de nombreux réfugiés et migrants directement jusqu’à la frontière
avec la Hongrie, qui l’a accusée de «trafic d’êtres humains» (des
agents de l’Etat hongrois ont affirmé que la police croate avait
escorté sans autorisation préalable ni avertissement un train transportant
dans leur pays un millier de réfugiés et de migrants: les policiers
croates ont été désarmés, leur entrée a été enregistrée et le personnel
du train a été temporairement mis en garde à vue en Hongrie). La
Hongrie a alors entrepris d’ériger une autre clôture de barbelés
le long de sa frontière; les travaux ont pris fin mi-octobre.
3.3. Octobre-novembre 2015: la
stabilité et l’ordre
14. Bien que l’afflux de réfugiés
et de migrants ne se soit pas relâché, la fermeture effective par
la Hongrie de ses frontières avec les pays limitrophes qui ne font
pas partie du système de Schengen a d’une certaine façon permis
de stabiliser la situation. Du fait des politiques mises en œuvre
par les pays situés le long de la route des Balkans occidentaux,
le transit a gagné en régularité et en ordre. De manière générale,
le périple entre la Grèce et l’Autriche pouvait se faire en plusieurs
étapes d’une frontière à l’autre. Les personnes étaient enregistrées
à chaque frontière, où elles avaient accès à de l’eau, à de la nourriture
et à des soins médicaux de base; elles avaient aussi la possibilité
de se reposer quelques jours et de bénéficier d’un soutien psychosocial,
y compris les enfants, dans les centres de transit et dans d’autres
endroits prévus à cet effet le long de la route. La plupart se déplaçait
d’un centre de transit à la frontière suivante en transports en
commun ou en taxi pour ceux, peu nombreux, qui le voulaient et pouvaient
se le permettre. Le périple restait certes long et physiquement
éprouvant, notamment lors des déplacements à pied dans les zones
rurales ou à bord des trains horriblement bondés où les conditions
d’hygiène étaient déplorables, sans compter les longues heures d’attente
devant les centres d’enregistrement, mais au moins, les déplacements
se faisaient dans une relative sécurité. (Bien sûr, une politique
plus rationnelle et plus humaine aurait impliqué des programmes
de réinstallation à partir des pays de premier asile, de relocalisation
des réfugiés de Grèce et d’autres interventions humanitaires pour
les accueillir).
15. A l’époque de ma visite sur place, certains signes laissaient
cependant à penser que les politiques devenaient plus restrictives.
Ainsi les autorités slovènes se sont plaintes auprès de moi que
mi-octobre, la police croate ait profité de la nuit pour conduire
les réfugiés et les migrants à une rivière, la Sotla, afin qu’ils
la traversent et entrent subrepticement en Slovénie. Du coup, la
Slovénie a érigé une clôture de barbelés (selon elle, une «mesure
technique» ou un «obstacle temporaire») le long d’une partie de
sa frontière avec la Croatie, soi-disant pour canaliser les migrants
en direction des postes-frontière officiels et éviter les passages incontrôlés
à d’autres endroits. Certaines parties de la clôture de barbelés
se trouvant en territoire contesté, la police slovène et la police
croate se sont affrontées pacifiquement sur un pont qui enjambe
la Sotla; les présidents des deux pays se sont rencontrés et le
problème a été résolu dès le lendemain. Peu de temps après ma visite,
les autorités macédoniennes ont commencé à ériger une clôture de
barbelés le long de la frontière avec la Grèce. L’Autriche a elle
aussi annoncé qu’elle s’apprêtait à ériger une clôture, précisant
qu’il s’agissait «d’assurer une entrée ordonnée, contrôlée et non
pas de fermer la frontière».
16. Avant d’aborder un autre point, je voudrais rappeler certains
messages importants que j’ai entendus des responsables politiques
dans tous les pays que j’ai visités: tous sont opposés par principe
à la fermeture des frontières; tous ont peur des conséquences si
l’Autriche ou l’Allemagne venaient à fermer leurs frontières; et tous
reconnaissent que si les frontières se ferment au nord, ils seront
contraints de faire de même. Je renvoie également à ma note d’information
et à mes observations relatives aux répercussions négatives des fermetures
de frontières sur l’accès des réfugiés à la protection, étant donné
qu’elle est insatisfaisante dans «l’ex-République yougoslave de
Macédoine» et en Serbie, et que le système d’asile slovène, selon
un groupe d’ONG, est incapable de traiter le nombre élevé de demandes.
3.4. Novembre 2015-février 2016:
les restrictions et la confusion
17. Le 18 novembre, peu de temps
après ma visite, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», la Serbie, la
Croatie et la Slovénie ont décidé de refuser aux personnes originaires
de pays autres que la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan le droit d’entrer
ou de rester en transit sur leur territoire. Là aussi, la police
macédonienne a fait usage de matraques, de gaz lacrymogène et de
balles en caoutchouc pour répondre aux protestations des réfugiés
et des migrants bloqués en Grèce, où des Iraniens sont allés jusqu’à
se coudre les lèvres en signe de protestation et où un jeune Marocain
est décédé accidentellement, victime d’électrocution. L’Autriche
et la Slovénie ont commencé à renvoyer respectivement en Slovénie
et en Croatie des personnes originaires de pays autres que la Syrie,
l’Irak et l’Afghanistan, notamment des Iraniens, des Somaliens,
des Pakistanais, des Marocains, des Algériens, des Bangladais et
des Sri lankais. Ces politiques de sélection fondée sur la nationalité
ont été vivement critiquées, au premier chef par les Nations unies,
au motif qu’elles mettaient en danger la santé et la sécurité des
réfugiés et des migrants, qu’elles violaient le droit de chercher
l’asile et l’interdiction de la discrimination, et qu’elles favorisaient
la multiplication des itinéraires et le recours aux passeurs.
18. Vu la proportion très élevée de ressortissants syriens, irakiens
et afghans parmi les réfugiés et les migrants qui suivent la route
des Balkans occidentaux, il était peu probable que ces politiques
aient un impact important, en termes relatifs, sur le nombre de
personnes qui arrivaient en Autriche. L’analyse des chiffres publiés
par le HCR concernant le nombre d’arrivées en Grèce continentale
et aux frontières successives plus au nord, le long de la route,
l’a d’ailleurs confirmé: il n’y a pas de grand écart entre le nombre
d’arrivées en Grèce, qui n’applique aucune mesure de sélection par
nationalité, et le nombre d’arrivées dans les pays qui appliquent
une telle mesure, notamment «l’ex-République yougoslave de Macédoine»,
premier point de passage où les arrivées sont filtrées.
19. Dans le même temps, eu égard à l’afflux massif de personnes
en Grèce, ces politiques ne pouvaient qu’entraîner le blocage, en
chiffres absolus, d’un nombre important de personnes en Grèce ou,
bien qu’en nombre nettement moins élevé, dans les pays plus au nord.
Lorsque j’ai présenté mon avant-projet de rapport en janvier, on
ne disposait que de très peu d’informations sur le nombre de personnes
concernées, l’endroit où elles se trouvaient, leur accès à la protection
ou les conditions dans lesquelles elles vivaient. Les rapports nationaux
présentaient d’étranges incohérences: la Croatie, par exemple, n’a
pas tardé à déclarer que seuls des ressortissants syriens, irakiens
et afghans arrivaient dans le pays, tandis que la Slovénie a continué
de rapporter l’arrivée de ressortissants d’autres pays, du moins
jusqu’en janvier. On ignore ce qu’il est advenu de ceux qui ont
été renvoyés, notamment de l’Autriche en Slovénie, ou qui n’ont
pas pu transiter par tel ou tel pays. Les informations parcellaires
sur la situation en Grèce ne tiennent manifestement pas compte de
tous ceux qui ont été empêchés d’entrer sur le sol macédonien. Mon
avant-projet de rapport contient d’autres précisions sur la situation
en janvier.
3.5. Depuis février 2016: les
quotas et les tensions
20. A la mi-février, les pays situés
le long de la route des Balkans occidentaux ont à nouveau changé
de politique, peut-être en raison des effets négligeables de la
sélection par nationalité sur l’afflux global de réfugiés et de
migrants. Le 19 février, l’Autriche a annoncé qu’elle ne laisserait
entrer que 3 200 personnes et n’accepterait que 80 demandes d’asile
par jour. (En janvier, elle avait indiqué qu’elle n’accepterait
pas plus de 37 500 demandes d’asile au total en 2016, ce que la
Commission européenne avait déclaré être «clairement incompatible»
avec les obligations de l’Autriche en vertu du droit européen et
international; le président de «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
avait indiqué qu’il fermerait la route des Balkans occidentaux dès que
ce chiffre serait atteint.) Le 21 février, «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» a annoncé qu’elle allait durcir sa politique de sélection
par nationalité et ne laisserait plus passer les Afghans; quant
aux Syriens et aux Irakiens, ils devraient désormais produire des
documents d'identité avec photographie, ce que beaucoup n’ont pas.
Le 26 février, la Slovénie, la Croatie, la Serbie et «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» ont réduit le nombre des admissions à 580
par jour. Pour mémoire, la Croatie autorisait 6 000 admissions par
jour en novembre, un chiffre qu’elle a ramené à 3 600 en décembre,
soit une baisse de 40 %; la nouvelle limite représente une nouvelle
baisse de 84 %, alors que tout indique que les arrivées en Grèce
seront bien plus nombreuses cette année qu’en 2015. Dans la pratique,
la situation est encore plus dramatique, des rapports indiquant
régulièrement que «l’ex-République yougoslave de Macédoine» laisse
entrer beaucoup moins de personnes, et seulement certains jours.
Les autorités croates semblent aussi appliquer, même aux réfugiés syriens,
des conditions d’admission qui changent constamment et sont souvent
fallacieuses: par exemple, la possession de types de documents impossibles
à obtenir, une durée limitée de séjour en Turquie ou le fait de venir
de régions de Syrie qui ne sont pas concernées. Une lettre envoyée
récemment par les autorités de «l'ex-République yougoslave de Macédoine»
à plusieurs Etats membres de l’Union européenne (non précisés) donne
des indications sur les intentions de ce pays. Dans cette lettre,
les autorités macédoniennes expliquent en effet avoir besoin d’aide
pour installer une clôture fortifiée destinée à sécuriser les 300 km
de frontière avec la Grèce; elles demandent aussi des équipements
de «contrôle des foules», tels que des pistolets électriques (Taser),
des armes tirant des balles en caoutchouc, des bombes et des grenades
projetant des balles en caoutchouc, ainsi que des armes acoustiques
non létales
.
21. Ces développements ont eu de graves répercussions sur les
réfugiés et les migrants à la frontière gréco-macédonienne, où la
police macédonienne a de nouveau fait usage de gaz lacrymogène et
de grenades assourdissantes contre la foule en colère qui tentait
de franchir la clôture. En janvier et février 2016, le nombre des
renvois vers les pays voisins a augmenté le long de la route des
Balkans occidentaux: la Slovénie a procédé à 600 renvois vers la
Croatie, la Serbie à 600 vers «l’ex-République yougoslave de Macédoine»
et cette dernière à 600 vers la Grèce; il y a eu plus de 800 renvois
de la Croatie vers la Serbie et plus de 1 800 de l’Autriche vers
la Slovénie. Bien que les personnes renvoyées ou dans l’impossibilité
de rester en transit soient informées de la possibilité de demander
l’asile dans le pays où elles se retrouvent prises au piège, on ignore
encore combien l’ont fait et dans quelles conditions elles sont
accueillies et hébergées.
22. Les pays des Balkans occidentaux ne parvenant toujours pas
à respecter les engagements pris lors du sommet sur la route des
Balkans occidentaux en octobre 2015, la situation des réfugiés et
des migrants reste particulièrement préoccupante. Dans une Communication
sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des actions prioritaires
prévues par l’agenda européen en matière de migration publiée en
février, la Commission européenne note une «absence de volonté politique
de créer une capacité d’accueil permanente» et une incapacité à
augmenter les capacités d’accueil de 50 000 places le long de la
route des Balkans occidentaux, due à l’«absence de projet immédiat/de
volonté politique de combler cet écart pour atteindre cet objectif global
». (Ces mesures
étaient destinées à limiter les effets de l’objectif principal,
qui était de ralentir l’afflux – à noter, c’est important, que le
sommet n’est pas parvenu à stopper l’afflux, même partiellement.)
Fin février, le HCR a indiqué qu’il continuait de recevoir «des
rapports crédibles faisant état de refoulements, d’expulsions et
de refus d’accès au territoire ou à des procédures équitables et
efficaces d’asile pour des motifs arbitraires, de brutalités policières,
de séparations des familles et de désinformation des réfugiés pris
au piège, dont de plus en plus de femmes et d’enfants réfugiés de
Syrie et d’Irak. Ces développements ont conduit à une détérioration
tangible de la situation humanitaire des réfugiés et accru le risque
d’exploitation et d’abus par les passeurs, les trafiquants et d’autres
criminels, mais également de tensions sérieuses et d’incidents liés
à la sécurité le long de la route des Balkans».
23. Il est en outre de plus en plus manifeste que l’engorgement
des réfugiés et des migrants non syriens et non irakiens en Grèce
atteint des proportions critiques. Le 1er mars,
le HCR a averti que l’Europe était au bord d’une «crise humanitaire
qu’elle a largement provoquée elle-même» et noté que 24 000 réfugiés
et migrants étaient en attente d’une solution d’hébergement en Grèce.
Environ 8 500 d’entre eux se trouvent à Idomeni, près de la frontière
avec «l’ex-République yougoslave de Macédoine», dont au moins 1 500
n’ont pas d’abris et manquent aussi de nourriture, d’eau et de sanitaires.
Les autorités grecques ont réagi avec la mise en place, près d’Idomeni,
de deux camps prévus pour accueillir 12 500 personnes; un troisième
site est déjà en construction. Le 23 février, elles avaient conduit
un millier d’Afghans à Athènes – alors que les capacités d’accueil
y sont saturées et que beaucoup vivent aujourd’hui dans la rue.
Après la décision de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» de
ne plus laisser entrer les Afghans, le HCR estime que plus de 40 %
de ceux qui arrivent en Grèce, dont les trois quarts sont des Afghans,
ne pourront pas transiter par les Balkans occidentaux. Selon les
autorités grecques, les réfugiés et migrants pourraient être 70 000 sur
son sol à la fin du mois de mars; si rien ne bouge ailleurs, ce
chiffre continuera d’augmenter de façon exponentielle au fil des mois.
Elles estiment que la situation pourrait durer trois ans et que
100 000 réfugiés et migrants auront alors besoin d’une solution
d’hébergement.
24. Ces développements ont provoqué de graves tensions entre la
Grèce, d’une part, et les pays le long de la route des Balkans occidentaux
et l’Autriche, de l’autre. Le 24 février, l’Autriche a convié les
pays des Balkans occidentaux, à l’exception de la Grèce, à un mini-sommet
sur les migrations, affirmant pour se justifier qu’elle voulait
«agir de manière coordonnée avec les pays qui vont dans la même
direction». Le Gouvernement grec a réagi en adressant une note de protestation
diplomatique à l’Autriche dans laquelle elle déplore une «initiative
unilatérale et inamicale» et en rappelant son ambassadrice. La Grèce
a également menacé de bloquer toutes les décisions lors du prochain
sommet de l’Union européenne sur la migration si les autres pays de
l’Union européenne ne participent proportionnellement à la réinstallation
et à la relocalisation des réfugiés. Rappelons que début mars, presque
six mois après la décision des pays de l’Union européenne de relocaliser et
de réinstaller 66 400 réfugiés de Grèce, seulement 322 réfugiés
avaient effectivement été relocalisés. L’Union européenne a fait
quelque progrès concernant la mise en place de hotspots chargés
de gérer les migrants sur les îles grecques, l’augmentation des
capacités d’accueil, l’accélération du rythme des renvois et l’extension
des opérations de Frontex, ce qui montre bien quelles sont les véritables
priorités politiques. Les résultats annoncés sont cependant clairement
insuffisants pour résoudre les nombreux problèmes dus à l’écart énorme
entre le rythme des arrivées sur les îles grecques et celui des
départs vers «l’ex-République yougoslave de Macédoine».
25. Les 18 et 19 février, le Conseil européen a appelé à «rompre
avec la politique du «laisser passer» et [à] pallier l’absence de
coordination en ce qui concerne les mesures prises le long de cette
route», indiquant que «[n]ous devons revenir à une situation où
tous les membres de l’espace Schengen appliquent pleinement le code
frontières Schengen et refusent l’entrée aux frontières extérieures
aux ressortissants de pays tiers qui ne répondent pas aux conditions
d’entrée ou qui n’ont pas présenté de demande d’asile alors qu’ils
en ont eu l’occasion». Si l’intention est d’empêcher les mouvements
de réfugiés secondaires à l’intérieur de l’espace Schengen, alors
il est fort probable que la Croatie refusera d’accueillir tous les
demandeurs d’asile en provenance de Serbie qui auront transité par
la Grèce; il est clair aussi que la Serbie, puis «l’ex-République yougoslave
de Macédoine», prendront des mesures similaires. (Si l’intention
était de demander à la Grèce de refuser l’entrée aux demandeurs
d’asile qui arrivent de Turquie par la mer, c’est totalement irréaliste:
les garde-côtes et les bâtiments grecs ne peuvent pas entrer dans
les eaux territoriales turques, de sorte que tout réfugié et migrant
intercepté doit être accepté sur le sol grec).
26. Il est compréhensible que la Grèce ait le sentiment que l’Union
européenne l’abandonne effectivement à son sort si elle ne lui propose
que de l’argent (la Grèce a demandé une aide d’urgence de € 480 millions
et l’Union européenne a proposé de débloquer € 700 millions sur
trois ans, principalement pour aider ses Etats membres dits «de première
ligne»), mais pas grand-chose qui se rapproche de la solidarité
ou d’un véritable partage des responsabilités. Le chancelier autrichien
a récemment déclaré que «l’Autriche n’est pas la salle d’attente
de l’Allemagne [et] ne peut pas et ne doit pas devenir une plateforme de
distribution [des réfugiés]», mais la Grèce se trouve déjà dans
une situation bien pire – elle est devenue une impasse.
3.6. Le sommet Union européenne-Turquie
du 7 mars
27. Un nouveau sommet de l’Union
européenne avec la Turquie, consacré à la crise des migrants et
des réfugiés, s’est tenu le 7 mars 2016. Le but affiché était de
garantir une mise en œuvre pleine et rapide du plan d’action commun
EU-Turquie, «afin d’endiguer les flux migratoires et de lutter contre
les réseaux de trafiquants et de passeurs». Afin de préparer le
sommet, le président du Conseil européen Donald Tusk s’est rendu
en Autriche, dans les pays des Balkans occidentaux, en Grèce et
en Turquie. Lors de ces visites, le Président Tusk a noté qu’«il
y a un pays que nous devons aider en particulier, c’est la Grèce»,
rappelé l’importance d’impliquer tous les Etats membres de l’Union
européenne dans la recherche de solutions «si nous ne voulons éviter
une nouvelle érosion de la confiance», et déclaré que «des décisions
unilatérales sans une coordination préalable (…) portent atteinte
à l’esprit européen de solidarité». A aucun moment dans ses déclarations récentes,
le Président Tusk n’a évoqué l’accord de relocalisation.
28. Lors du sommet, la Turquie a présenté un nouvel ensemble de
propositions, qui reposaient notamment sur les éléments suivants:
«durant une période temporaire», la Turquie reprendrait tous les
réfugiés et migrants qui auront atteint les îles grecques, à condition
que l’Union européenne s’engage à reprendre le même nombre de réfugiés
syriens directement depuis le sol turc; en outre, l’Union européenne
verserait 3 milliards d’euros supplémentaires à la Turquie pour
l’aider à prendre en charge les réfugiés syriens ces trois prochaines
années, permettrait aux citoyens turcs de se rendre sans visa dans
les pays de l’espace Schengen et accélérerait le rythme des négociations
d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Lors du sommet, il
n’a pas été possible de parvenir à un accord final sur ces propositions.
En effet, le Premier ministre hongrois, M. Orban, aurait mis son
veto au programme de réinstallation, tandis que les autorités chypriotes
se sont opposées à une accélération de l’adhésion de la Turquie
qui ne s’accompagnerait pas de progrès concernant la réunification de
l’île. Des questions juridiques importantes sont restées en suspens,
notamment celle de la compatibilité, avec le droit international
des réfugiés, de pratiques comme le refoulement et la discrimination
fondée sur le pays d’origine. Le Président de la Commission européenne,
M. Juncker, a néanmoins déclaré que l’accord allait «briser le “business
model” des passeurs qui exploitent la misère humaine»; quant au
Président du Conseil européen, M. Tusk, il a assuré que le temps
de l’immigration irrégulière en Europe était révolu. Tout en saluant
les propositions, la Chancelière allemande, Mme Merkel,
a reconnu qu’il restait des incertitudes. Elle a estimé que l’accord
serait une percée s’il devenait réalité. Par ailleurs, elle s’est
opposée à toute déclaration officielle selon laquelle la route des
Balkans occidentaux serait désormais fermée.
29. A plus long terme, si le plan est finalement adopté et bien
mis en œuvre, il pourrait présenter l’avantage d’établir une base
officielle sur laquelle pourrait se fonder un programme ordonné
et de grande envergure qui permettrait la réinstallation de réfugiés
syriens arrivés en Turquie, éventuellement sélectionnés en fonction
des besoins; le plan éviterait aussi à la Grèce d’être soumise à
des pressions supplémentaires, sans régler toutefois la question
des dizaines de milliers de migrants déjà présents dans le pays.
L’ampleur exacte du programme de réinstallation dépendrait du nombre
de réfugiés syriens qui continueront à rejoindre les îles grecques.
Cet aspect resterait vraisemblablement, du moins dans une certaine
mesure, sous le contrôle de la Turquie: il convient de noter qu’un
rapport confidentiel d’Eurojust mettrait sérieusement en doute la
capacité de la Turquie à contrôler ses frontières et à réduire les
migrations irrégulières, tout en attirant l’attention sur le fait
que la Turquie n’a réadmis que très peu de personnes en application
de l’accord qu’elle a conclu avec la Grèce. Par ailleurs, dans le
cadre de la mise en œuvre de l’accord de mars, il pourrait incomber
en premier lieu à la Turquie de conclure des accords de réadmission
avec les pays d’origine, ce qui prendrait un certain temps. Dans
l’intervalle, réfugiés et migrants continueront probablement à arriver
en Grèce, où leurs conditions de vie continueront à se dégrader,
ce qui fera monter la pression et augmentera les tensions avec les
pays des Balkans occidentaux et l’Autriche.
30. Le 8 mars, le lendemain du sommet entre l’Union européenne
et la Turquie, la Slovénie, puis la Croatie, la Serbie et «l'ex-République
yougoslave de Macédoine» ont annoncé de nouvelles mesures destinées
à bloquer toute migration de transit. Selon des informations, la
Slovénie n’admettra que les migrants prêts à demander l’asile à
la frontière et ceux qui ont des besoins humanitaires évidents;
la Croatie ne laissera entrer que les titulaires de visas Schengen;
seules les personnes venant de «l'ex-République yougoslave de Macédoine»
pourront entrer en Serbie et l’accès à la Bulgarie sera réservé
aux titulaires de visas Schengen; quant à la police de «l'ex-République
yougoslave de Macédoine», elle a déclaré avoir complètement fermé
la frontière. Le ministère de l’Intérieur slovène a annoncé qu’à
partir de minuit cesseraient les migrations qui empruntaient jusqu’ici
la route des Balkans occidentaux; la Croatie a affirmé que la limite
de l’Europe se situerait à la frontière gréco-macédonienne; le ministère
de l’Intérieur serbe a expliqué que le pays ne pouvait pas se permettre
de devenir un centre collectif pour réfugiés et qu’il harmoniserait
donc toutes ses mesures avec celles des Etats membres de l’Union
européenne; enfin, le ministère de l’Intérieur de «l'ex-République yougoslave
de Macédoine» a adopté une position similaire en déclarant que le
pays s’alignerait sur les décisions prises par les autres pays situés
sur la route des Balkans. Je suis consternée de voir que ces pays se
désintéressent manifestement de la situation des réfugiés et des
migrants bloqués en Grèce ou en train de traverser les Balkans occidentaux,
qu’ils ne se montrent absolument pas solidaires de la Grèce et qu’ils
ne tiennent aucun compte des appels du Président Tusk à éviter les
actions unilatérales.
31. Si réfugiés et migrants continuent à affluer en Grèce continentale
et trouvent la frontière avec «l'ex-République yougoslave de Macédoine»
fermée, ils chercheront peut-être à passer par le nord. Le Premier ministre
albanais a déclaré que son pays ne serait pas une nouvelle voie
de passage pour les réfugiés souhaitant se rendre en Europe (à partir
de l’Albanie, les réfugiés pourraient traverser l’Adriatique pour rejoindre
l’Italie), car il n’a «ni les moyens, ni la force, ni l’enthousiasme
nécessaires pour sauver le monde alors que tous les autres ferment
leurs frontières». Les autorités albanaises ont posté 450 policiers
supplémentaires à la frontière sud et de petits groupes de réfugiés
et de migrants auraient déjà été repoussés vers la Grèce. Néanmoins,
le ministère de l’Intérieur aurait commencé à transformer d’anciens
bâtiments militaires en centres d’accueil. Le Premier ministre du
Monténégro a annoncé que son pays serait contraint de fermer ses
frontières si «l'ex-République yougoslave de Macédoine» fermait
la frontière avec la Grèce; pourtant, les autorités monténégrines
auraient commencé à prendre des dispositions pour faire face au
transit d’un nombre de réfugiés et de migrants pouvant aller jusqu’à
10 000 et pour accueillir 2 000 personnes. Par ailleurs, de nombreux
migrants venant de Grèce transitent déjà par la Bulgarie. En février,
le Parlement bulgare a autorisé l’armée à participer à des patrouilles
aux frontières et début mars, le Premier ministre a annoncé le déploiement
de 400 agents supplémentaires le long de la frontière avec la Grèce.
Il est fait état de nombreux cas graves de violences et d’abus commis
par la police bulgare à l’encontre de réfugiés et de migrants, ainsi que
de plusieurs cas de refoulement. Il est loin d’être sûr qu’une politique
mise en œuvre à la suite de la fermeture par «l'ex-République yougoslave
de Macédoine» de sa frontière avec la Grèce permette de stopper le
flux de réfugiés et de migrants. Ce qui est sûr, en revanche, c’est
que toute politique de ce genre conduira ces personnes à se tourner
vers des passeurs et rendra leur périple encore plus dangereux.
4. Conclusions et recommandations
32. L’Europe n’a toujours pas trouvé
de réponse durable à la crise migratoire dans les Balkans occidentaux qui
respecte les obligations incombant aux Etats membres en vertu du droit
européen et international, dont la Convention européenne des droits
de l’homme et la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés,
et qui soit fondée sur une véritable solidarité et un véritable
partage des responsabilités. A certains égards, nous sommes revenus
à la situation d’août 2015: la frontière gréco-macédonienne est
de nouveau fermée, bien que partiellement, et les forces de police
font usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes envers les
réfugiés et les migrants. A d’autres égards, la situation a empiré
dans les Balkans occidentaux: il y a une discrimination délibérée
(sélection par nationalité), un déni délibéré du droit d’accès à
la protection pour des raisons administratives arbitraires (système
de quotas journaliers d’admissions et d’acceptation des demandes d’asile)
et un non-respect délibéré des décisions juridictionnelles internationales
contraignantes ou des avis faisant autorité de ne pas renvoyer les
demandeurs d’asile vers les pays dont on sait qu’ils n’ont pas de mécanismes
de protection efficaces (retours en Serbie, dans «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» et en Grèce). A cela s’ajoutent des manquements
graves: la non mise en œuvre des accords politiques essentiels conclus
à l’automne 2015, notamment sur la capacité d’accueil et à offrir
un abri à plus long terme dans les Balkans occidentaux, ainsi que
sur la relocalisation des réfugiés en provenance de Grèce. Dans
le même temps, les motivations derrière ces accords – garantir une
protection minimum aux réfugiés et aux migrants dans les Balkans
occidentaux et réduire la pression exercée sur la Grèce – ont autant
de raison d’être aujourd’hui qu’avant, sinon plus.
33. La réponse de l’Europe à la crise migratoire dans les Balkans
occidentaux doit être fondée sur une vraie reconnaissance de certains
principes fondamentaux. Quelles que soient les causes profondes
de l’afflux de réfugiés et de migrants, la distance qui sépare les
différents pays du point d’entrée, l’histoire et la culture de ces
pays. Dans une Europe où la notion profonde d’intégration repose
à maints égards sur le respect des droits de l’homme et de la prééminence
du droit et dépend de l’équilibre coûts-profits dans tous les domaines équitablement
partagés, aucune réponse ne pourra résoudre durablement la crise
actuelle si elle n’est pas fondée sur une véritable solidarité,
sur la reconnaissance de la nécessité d’agir ensemble et de partager équitablement
les responsabilités, dans le plein respect des droits des réfugiés
et des migrants et des principes fondamentaux du droit international
et européen.
34. Je propose par conséquent que l’Assemblée adresse des recommandations
aux pays concernés et à l’Union européenne, le cas échéant, en relation
avec les domaines suivants:
- veiller
à ce que les droits de l’homme des réfugiés et des migrants soient
considérés comme prioritaires dans les politiques visant à améliorer
la situation dans les Balkans occidentaux;
- garantir aux demandeurs d’asile un accès effectif à la
protection sans discrimination ni restrictions arbitraires;
- prévenir l’usage excessif de la force par les forces de
police et de sécurité envers les réfugiés et les migrants, et veiller
au respect de leur dignité;
- veiller à ce que la capacité d’accueil de courte durée
et à offrir un abri à long terme soit suffisante pour accueillir
les demandeurs d’asile le long de la route des Balkans occidentaux;
- veiller à ce que les systèmes d’asiles nationaux respectent
les normes applicables de la Convention de 1951 relative au statut
des réfugiés, de la Convention européenne des droits de l’homme
et du droit européen;
- prévenir le renvoi des demandeurs d’asile vers des pays
qui ne sont pas en mesure de garantir leur protection conformément
aux normes internationales et européennes applicables;
- s’abstenir de mettre en œuvre des politiques de contrôle
aux frontières qui imposeraient abusivement une responsabilité disproportionnée
en matière de protection des réfugiés et des migrants à d’autres pays
d’accueil plus exposés à leur arrivée;
- mettre pleinement en œuvre les dispositions relatives
à la relocalisation des réfugiés en provenance de Grèce et l’accord
conclu lors du sommet sur la route des Balkans occidentaux;
- réformer le système de Dublin en vue d’un partage des
responsabilités plus équitable, de façon à éviter de surcharger
davantage les Etats membres avec un niveau de protection et des
capacités d’accueil insuffisants;
- faire en sorte que les actions menées pour résoudre la
crise migratoire ne soient prises qu’après concertation avec tous
les autres pays concernés;
- apporter toute l’aide financière et technique nécessaire
aux pays concernés.