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Rapport | Doc. 14011 | 01 avril 2016

Evaluation de l’impact des mesures destinées à améliorer la représentation politique des femmes

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteure : Mme Elena CENTEMERO, Italie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13571, Renvoi 4079 du 3 octobre 2014. 2016 - Deuxième partie de session

Résumé

Bien que les chiffres se soient améliorés de manière significative au cours de la dernière décennie, la représentation des femmes dans la vie politique est encore largement disproportionnée dans la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe

La participation des femmes dans la vie publique est déterminée par une variété de facteurs, qu'ils soient politiques (le système électoral, les statuts des partis politiques, les critères de sélection des candidats), sociaux (tels que le système de protection sociale, les régimes de congé parental et les mesures visant à concilier travail et vie familiale), économiques (par exemple, l'écart salarial entre les sexes et l'accès aux professions et carrières) ou culturels (notamment les stéréotypes sur le rôle des femmes et des hommes). L'accès aux médias et au financement est également crucial pour les femmes qui sont actives en politique.

Les quotas électoraux sont les mesures positives les plus efficaces, à condition qu’ils soient ambitieux, conçus d'une manière qui tient compte du type de système électoral en vigueur, et assortis de sanctions efficaces en cas de non-respect. Toutefois, afin d'assurer l'impact des mesures positives à plus long terme, des mesures d'accompagnement sont également nécessaires.

Le choix et la combinaison des mesures positives et d'accompagnement dépendent du cadre social, culturel et politique de chaque pays. En outre, l'expérience de la Suède et d'autres pays montre que la représentation politique reflète le rôle des femmes dans la vie publique en général et est le résultat d'une approche globale qui comprend des mesures qualitatives et quantitatives et qui repose sur une perspective de genre dans tous les domaines de la société.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 11 mars 2016.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire relève que, malgré les engagements politiques et les obligations juridiques correspondant aux normes internationales en matière d’égalité et de non-discrimination, les femmes sont toujours largement sous-représentées en politique dans la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe. En effet, dans près d’un tiers d’entre eux, le pourcentage de femmes parmi les membres du parlement n’atteint pas 20 %. Un tel niveau compromet le caractère représentatif des organes élus. Il est temps d’intensifier les efforts déployés. Chaque fois qu’ils révisent leurs règles électorales, les Etats membres devraient, pour promouvoir la participation des femmes, adopter des mesures susceptibles d’avoir à la fois un impact notable et une réelle pérennité.
2. Les quotas électoraux sont les mesures les plus efficaces pour obtenir des progrès rapides et significatifs à condition d’être correctement conçus et systématiquement appliqués. Ils devraient être adaptés au système électoral en vigueur, fixer des objectifs ambitieux et s’accompagner de sanctions strictes en cas de non-respect des règles.
3. Des mesures d’accompagnement sont également nécessaires pour aider les femmes à surmonter les obstacles qui entravent leur accès à la vie politique et leur progression. Elles incluent des activités de formation et de sensibilisation, le fait de réserver aux femmes politiques des créneaux dans les médias, des mesures destinées à concilier vie privée et activités politiques et, dernier point mais non le moindre, une législation et d’autres mesures en faveur d’un partage plus équitable des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes.
4. Parmi les facteurs politiques déterminants pour la participation des femmes à la vie publique figurent sans aucun doute le système électoral, les partis politiques et leurs statuts, les critères de sélection des candidats, les mesures positives telles que les quotas (imposés par la loi ou volontaires), les réglementations et l’action des organisations non gouvernementales (ONG) et autres associations. Le facteur le plus général est la consécration, dans la constitution, du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, reflété ensuite dans la législation et dans l’action des institutions et des pouvoirs publics.
5. Les facteurs sociaux pertinents sont le système de protection sociale, les possibilités de congé parental, le partage des tâches ménagères et familiales, les mesures de conciliation entre vie professionnelle et privée et les régimes de retraite.
6. Parmi les facteurs économiques, les écarts de salaire entre hommes et femmes et l’accès aux professions et aux carrières sont particulièrement pertinents, ainsi que le financement des petites entreprises.
7. Des facteurs culturels déterminent la possibilité, pour les femmes, de participer effectivement à la vie politique et au développement économique et social de leur pays. L’éducation et la formation sont cruciales, puisqu’elles constituent un préalable à l’acquisition des compétences nécessaires et à l’éradication des stéréotypes qui empêchent toujours d’atteindre une véritable parité. Les stéréotypes en question consistent souvent à ne voir dans les femmes que des mères, chargées de s’occuper du foyer.
8. Pour les femmes actives en politique, l’accès aux médias, la représentation et l’espace médiatique dont elles bénéficient lors des campagnes électorales constituent des sujets cruciaux, avec celui du financement de leur campagne.
9. Ces éléments ne doivent pas être considérés séparément car ils sont, en fait, étroitement liés. La bonne approche à adopter pour parvenir à une pleine égalité des sexes dans la vie politique est donc une approche globale associant des mesures qualitatives et quantitatives à l’intégration d’une perspective de genre dans tous les domaines de la société.
10. Un progrès dans le domaine de la représentation politique des femmes a été réalisé, en particulier au moyen de réformes introduisant des droits constitutionnels égaux tels que le droit de vote et d’éligibilité, le droit d’accès aux charges publiques et d’autres droits et libertés fondamentaux, tels que le droit à la propriété, à la succession, au mariage, à la nationalité, etc. Ces droits constitutionnels visent à supprimer les discriminations fondées sur le sexe, ou toute autre forme de discrimination limitant l’égalité des citoyens devant la loi. Dans les différentes constitutions, les dispositions relatives aux droits civils et politiques des femmes ouvrent la voie à l’égalité des sexes et à l’égalité dans la citoyenneté et offrent une assise à des actions plus spécifiques en faveur de l’égalité.
11. Le système électoral a un impact sur la représentation des femmes en politique. Même en l’absence de quotas, les différents systèmes électoraux en eux-mêmes fonctionnent différemment s’agissant de la représentation des femmes. Des systèmes qui sont entièrement ou partiellement basés sur une représentation proportionnelle semblent plus effectifs pour promouvoir l’élection de candidates que des systèmes pluralité/majorité entièrement basés sur un scrutin uninominal.
12. L’Assemblée réaffirme que les partis politiques ont un rôle essentiel à jouer dans l’amélioration de la représentation politique des femmes. Parce qu’ils sont chargés de soumettre des listes électorales et de soutenir les candidats, les partis politiques sont les gardiens de l’accès aux postes d’élus et leurs choix déterminent, dans une large mesure, le résultat final des élections en matière de représentation équilibrée des sexes.
13. Les médias sont également des acteurs clés s’agissant d’assurer la visibilité des candidats et de promouvoir l’image de la femme en général. Ils doivent éviter de perpétuer les stéréotypes de genre qui sont un obstacle à l’accès des femmes à la vie politique. Ils doivent, en outre, garantir un temps d’antenne équitable et proportionné à l’ensemble des candidats politiques, quel que soit leur sexe.
14. L’Assemblée souligne l’importance de la dimension de genre dans les missions d’observation d’élections. Elle s’attache à promouvoir cette dimension avec les organisations internationales partenaires dans le cadre des missions d’observation d’élections tant concernant la composition des missions, qui devraient être équilibrée du point de vue du genre, que des rapports d’observation qui devraient systématiquement s’intéresser à la participation des femmes à tous les stades du processus électoral.
15. Au vu de ces considérations, l’Assemblée appelle les Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe, ainsi que ses partenaires pour la démocratie, à ne ménager aucun effort pour accroître la représentation politique des femmes. Ils devraient notamment:
15.1. envisager l’introduction du principe de la parité dans leur constitution ou dans leur législation électorale;
15.2. s’agissant des quotas et d’autres mesures positives:
15.2.1. inclure, si possible, dans la législation sur le fonctionnement des partis politiques des règles relatives à la désignation des candidats visant à garantir une représentation égale des genres; ces règles devraient respecter le principe de proportionnalité et peser le moins possible sur l’autonomie des partis politiques;
15.2.2. instaurer des sanctions applicables en cas de non-respect des mesures positives telles que le rejet des listes de candidats non conformes; veiller à ce que des organes indépendants comme les tribunaux à compétence électorale ou les commissions électorales supervisent l’application des quotas et autres mesures positives et infligent des sanctions; prévoir des ressources humaines et financières suffisantes pour garantir le bon fonctionnement des organes en question;
15.2.3. s’efforcer d’adopter une législation électorale prévoyant des obligations strictes de placement des candidats ou des binômes de candidats de sexe opposé;
15.2.4. suivre régulièrement l’impact de la mise en œuvre des quotas et autres mesures positives visant à accroître la représentation politique des femmes et proposer des recommandations pertinentes;
15.2.5. encourager les partis politiques à assurer la transparence de leurs procédures de sélection des candidats et à accroître la représentation des femmes, en veillant à établir un équilibre entre les sexes au sein de leurs bureaux de désignation des candidats et dans leurs organes décisionnels à tous les niveaux;
15.2.6. encourager les partis politiques à développer la participation des femmes, grâce notamment à des associations de femmes, des initiatives de renforcement des capacités et des mécanismes destinés à aider les femmes à financer leur campagne;
15.3. s’agissant des mesures d’accompagnement:
15.3.1. encourager les parlements et les autres organes élus à adopter des mesures permettant à leurs membres de concilier leurs activités avec leur vie privée, tels que des horaires de séance et de vote adaptés et des services de garde d’enfants;
15.3.2. promouvoir des activités de formation et de sensibilisation à l’égalité de genre destinées aux responsables politiques, indépendamment de leur sexe; inciter les partis politiques et d’autres organisations à offrir des formations aux femmes politiques;
15.3.3. envisager la mise en place de mesures incitatives pour mieux sensibiliser les médias à la question des femmes en politique, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, pour faire en sorte que leur couverture des femmes politiques soit équitable;
15.3.4. veiller à ce que, le cas échéant, une partie des fonds publics octroyés aux partis politiques soit réservée à des activités destinées à promouvoir la participation et la représentation politique des femmes et garantir une utilisation transparente de ces fonds;
15.4. s’agissant de la gestion et de l’observation des élections:
15.4.1. associer les commissions électorales à l’application des dispositions sur l’égalité de genre dans le processus électoral et les impliquer dans le processus législatif lors des réformes de la législation électorale;
15.4.2. renforcer la coopération avec les missions internationales d’observation d’élections s’agissant de la participation des femmes au processus électoral et leur fournir des informations complètes ainsi que des données ventilées par sexe;
15.5. s’agissant de la recherche et de la collecte de données:
15.5.1. promouvoir la recherche et la collecte de données sur la participation des femmes à la vie politique aux niveaux national, régional et local;
15.5.2. encourager les instances électorales et les administrations concernées à collecter des données statistiques ventilées par sexe;
15.5.3. évaluer régulièrement l’incidence de la législation et des politiques nationales destinées à accroître la participation politique des femmes et, le cas échéant, proposer les amendements pertinents;
15.5.4. recueillir, par le biais de sondages et de recherches, des données sur la manière de voter des hommes et des femmes afin de déterminer, d’analyser et d’évaluer de quelle façon les hommes et les femmes soutiennent les candidats de leur sexe;
15.6. s’agissant de la société civile:
15.6.1. reconnaître le rôle de la société civile et associer les ONG à la conception, la promotion et le suivi des mesures visant à améliorer la représentation politique des femmes telles que l’organisation de campagnes de sensibilisation, la mise en place d’activités de formation et le suivi de l’application des mesures;
15.6.2. encourager et soutenir les ONG actives dans le domaine des élections à suivre l’évolution de la participation des femmes aux processus électoraux et à établir des rapports à ce sujet.
16. L’Assemblée soutient le principe de la parité des sexes qui représente un pas en avant supplémentaire par rapport aux mesures positives et le but ultime en matière de représentation politique. L’application systématique de ce principe exige de l’Etat qu’il aille au-delà de l’adoption de mesures positives et garantisse la représentation égale des femmes et des hommes au sein des organes élus et d’autres institutions à tous les niveaux.

B. Exposé des motifs, par Mme Elena Centemero, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Bien que les femmes représentent plus de la moitié de la population européenne 
			(2) 
			Sur une population
totale de 826 millions d’Européens dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe, environ 400 millions sont des hommes et 426 millions
des femmes, soit un ratio de 93,9 hommes pour 100 femmes. Chiffres extraits
de l’Annuaire démographique 2013 du Département des affaires économiques
et sociales, Nations Unies, New York, 2014, tableaux 2 et 6. et malgré les obligations juridiques et engagements politiques des Etats membres du Conseil de l’Europe et de leurs dirigeants, les institutions qui forment nos systèmes politiques se composent de longue date d’une très grande majorité d’hommes. Comme l’indique la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dans ses Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques, «le faible nombre de femmes dans la sphère politique demeure un problème crucial affectant le bon fonctionnement des processus démocratiques 
			(3) 
			Document
CDL-AD(2010)024, paragraphe 99.». Je ne peux que souscrire à cela. En effet, le niveau actuel de représentation politique des femmes est incompatible avec le principe de l’égalité entre les sexes qui devrait constituer l’un des piliers de nos démocraties. La démocratie représentative, en dépit de ses lacunes, est le système de gouvernement des sociétés complexes le plus juste et le plus efficace. Or, si la partie la plus importante de la population n’est pas correctement représentée, on peut se demander s’il est possible de considérer ce système comme représentatif et même démocratique.
2. Pour que la situation évolue, ce sont les hommes qui sont au pouvoir, et qui l’occupent parfois depuis longtemps, qui doivent le céder. Or il ne suffit pas de demander pour parvenir à un tel résultat. Il faut parfois prendre des mesures volontaristes, telles que l’introduction d’obligations juridiques, voire modifier radicalement l’approche de la société sur ces questions 
			(4) 
			Réjane Sénac, présidente
de la commission «Parité en matière politique, administrative et
dans la vie économique et sociale», Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes (France), exposé à la réunion de la commission
sur l'égalité et la non-discrimination tenue à Paris le 20 mars
2015., ou les deux.
3. Un rapport récent relève que, au rythme actuel des progrès, une enfant née aujourd’hui touchera sa retraite avant d’avoir une chance quelconque d’être représentée de manière équitable au parlement de son pays 
			(5) 
			Centre
for Women and Democracy, Sex and Power 2013: Who runs Britain?,
2013.. Pourtant les femmes ont le droit d’être impliquées, et les Etats ont le devoir de les impliquer, dans la prise de décisions politiques. Il n’y a en effet aucune raison crédible pour que la politique soit traitée différemment des autres domaines de la vie en ce qui concerne l’objectif d’égalité entre les sexes. Au contraire, le manque de représentation des femmes en politique affaiblit la légitimité démocratique des organes concernés.
4. L’Assemblée parlementaire a régulièrement pris position en faveur de mesures destinées à remédier à la sous-représentation des femmes dans les institutions démocratiques 
			(6) 
			Voir par exemple: <a href='http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-EN.asp?FileID=19134&lang=EN'>Résolution
1898 (2012)</a> «Partis politiques et représentation politique des femmes»; Résolution 1780 (2010) et Recommandation
1949 (2010) «Promouvoir les lois les plus avancées en faveur de
l’égalité entre les femmes et les hommes en Europe»; Résolution 1615 (2008) et Recommandation
1838 (2008) «Renforcer l’autonomie des femmes dans une société moderne
et multiculturelle»; Résolution
1489 (2006) et Recommandation
1738 (2006) sur les mécanismes visant à garantir la participation
des femmes à la prise de décision; Recommandation 1676 (2004) sur la participation des femmes aux élections.. Au cours des dernières décennies, toute une série de mesures ont en outre été prises en Europe et au-delà pour accroître la représentation des femmes en politique. Des travaux de recherches ont été menés sur l’état actuel de la représentation politique des femmes, et diverses sources fournissent des renseignements à ce sujet. Ces travaux sont essentiels pour comprendre la situation actuelle et les mécanismes qui l’ont créée.
5. Il semble, cependant, que peu d’attention ait été accordée jusqu’à présent à l’évaluation de l’impact des mesures déjà adoptées pour améliorer la représentation politique des femmes. Il conviendrait également d’examiner si les mesures déjà prises, et qui ont eu une incidence positive à court terme, ont des effets durables. C’est pourquoi je pense qu’il est nécessaire, avant de recommander l’adoption de nouveaux textes législatifs et politiques, d’analyser les mesures mises en place jusqu’à présent et d’en évaluer les effets. Il est également important de comprendre les contextes spécifiques dans lesquels différentes mesures peuvent être les plus efficaces. La finalité du présent rapport est de recenser les politiques couronnées de succès, d’en décrire le fonctionnement et d’en recommander l’adoption dans les contextes dans lesquels elles sont susceptibles de donner des résultats positifs.

2. Méthodologie

6. J’ai examiné dans ce rapport à la fois le niveau actuel de la représentation politique des femmes en Europe et l’incidence des mesures adoptées jusqu’à présent pour promouvoir leur participation. Je me suis principalement concentrée sur la représentation des femmes dans les organes élus, et surtout dans les parlements nationaux.
7. J’ai tenu à mettre en avant les progrès obtenus dans les différents Etats membres du Conseil de l’Europe, mais aussi à recenser les obstacles qui entravent la participation des femmes à la vie politique. Il est tenu compte, autant que possible, des études comparatives qui peuvent éclairer les raisons pour lesquelles différentes pratiques peuvent être plus ou moins efficaces dans différents contextes politiques. Au sein du Conseil de l’Europe, par exemple, la Commission de Venise a adopté un rapport sur «La méthode de désignation des candidats au sein des partis politiques» portant sur les critères, y compris le genre, qui sont appliqués par les partis politiques dans la sélection des candidats. Mme Maria del Carmen Alanis Figueroa, qui figure parmi les rapporteurs, a participé à une audition organisée par notre commission le 10 septembre 2015, ce qui a constitué une excellente occasion de débattre des différents aspects de cette question.
8. J’ai estimé important de compléter ces recherches grâce à des contributions d’experts et d’orateurs invités aux auditions de la commission. Par exemple, j’ai trouvé pertinent que la commission soit informée de l’expérience du réseau informel entre membres de différents partis politiques établi en Serbie en 2013, le Réseau parlementaire des femmes, que Mme Obradović a présenté lors de la réunion du 25 juin 2014 de la sous-commission sur l’égalité de genre, à Strasbourg. Il était tout aussi intéressant d’en apprendre plus sur la représentation politique des femmes en France en s’appuyant sur l’exposé présenté par Mme Réjane Sénac, présidente de la commission «Parité en matière politique, administrative et dans la vie économique et sociale», Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (France), lors de la réunion de la Commission le 20 mars 2015 à Paris. Lors de la réunion du 10 septembre 2015, outre l’intervention de Mme Alanis Figueroa, de la Commission de Venise, Mme Zeina Hilal, de l’Union interparlementaire, a fourni à notre commission des informations intéressantes sur les tendances en matière de représentation politique des femmes. Les exposés de ces deux spécialistes présentaient également l’intérêt de ne pas se limiter géographiquement à l’Europe. Alors que les textes de l’Assemblée sont essentiellement axés sur les Etats membres du Conseil de l’Europe, il est souvent utile de prendre en compte les expériences acquises dans d’autres parties du monde, comme en Amérique latine et en Afrique. J’ai également reçu de précieux renseignements de Mme Marilisa D’Amico, professeure de droit constitutionnel à l’Université de Milan, spécialiste de l’égalité des sexes en démocratie et coordinatrice du cursus «Femmes, politique et institutions» au sein de cette université, et j’ai bénéficié d’échanges intéressants avec Mme Maria Elena Boschi, ministre italienne des Réformes constitutionnelles et des Relations avec le parlement.
9. J’ai également fait appel à l’aide du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), auquel j’ai adressé un questionnaire destiné à rassembler des informations sur la représentation politique des femmes dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe et au-delà. Trente-quatre services de recherche de parlements membres du CERDP, situés dans 32 Etats membres du Conseil de l’Europe et deux Etats observateurs, le Canada et Israël, ont répondu à ce questionnaire. Les informations ainsi recueillies ont alimenté, en particulier, mes conclusions concernant les «mesures d’accompagnement» (celles adoptées en plus des mesures positives pour renforcer leur impact et veiller à ce qu’il s’inscrive dans la durée).
10. De plus, j’ai participé à la mission d’observation de l’Assemblée des élections législatives en Turquie, le 1er novembre 2015. Je présente dans ce rapport mes réflexions sur ces élections sous l’angle spécifique de la représentation politique des femmes. En outre, les 10 et 11 novembre 2015, je me suis rendue en mission d’information en Suède, pays que j’ai choisi pour ses réalisations remarquables en matière d’égalité des sexes. La Suède affiche le meilleur indice d’égalité hommes-femmes selon les derniers calculs réalisés par l’EIGE (Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, Union européenne), avec un score de 74,3 sur 100 (contre 54 pour la moyenne de l’Union européenne), et la représentation politique contribue à ce score. J’ai aussi tenu compte des précieuses informations partagées avec les participants à la 3e Conférence internationale du Processus Nord-Sud pour le renforcement du rôle des femmes, qui s’est tenue à Rabat (Maroc) les 17 et 18 juin 2014 sur le thème «La participation des femmes à la vie politique dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée: défis et opportunités». Cette conférence, co-organisée par le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l’Europe et le ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération, en partenariat avec l’Assemblée parlementaire et la Division pour l’Egalité entre les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe, a porté en particulier sur l’égalité des sexes en démocratie en Algérie, en Egypte, au Liban, en Libye et au Maroc.
11. Je considère comme entrant dans la préparation de ce rapport ma participation à la Conférence régionale sur l’égalité de genre dans les processus électoraux, organisée par la Commission de Venise en coopération avec la Commission électorale centrale de Géorgie à Tbilissi les 25 et 26 novembre 2015. En plus de partager avec d’autres participants certaines des informations et recommandations présentées dans mon rapport, j’ai pu avoir des échanges fructueux, notamment avec Mme Khatuna Totladze, vice-ministre des Affaires étrangères de Géorgie, et avec plusieurs experts d’organisations intergouvernementales, échanges qui sont reflétés dans ces pages.
12. Enfin, je souhaite remercier les autres membres de la commission sur l’égalité et la non-discrimination pour avoir enrichi la préparation de ce rapport de leurs idées. Au sein de notre commission, le soutien à une meilleure représentation politique des femmes dépasse les clivages politiques. J’espère qu’il en ira de plus en plus de même au sein des parlements nationaux.

3. Faits et chiffres

13. Les résultats des dernières élections au Parlement européen illustrent aussi bien l’ensemble des progrès accomplis que le fait que ces progrès ne devraient jamais être tenus pour acquis. En 1979, le pourcentage des femmes élues était de 16 %. Depuis, le pourcentage global de femmes occupant des sièges au Parlement européen a augmenté à chaque élection 
			(7) 
			Chiffres officiels
publiés par le Parlement européen<a href='http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/gender-balance.html'>:
www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/gender-balance.html</a>. . Des élections précédentes en 2009 aux dernières élections en 2014, le pourcentage de femmes élues est ainsi passé de 35,05 % à 36,88 %. Cette augmentation globale masque cependant des écarts importants d’un pays à l’autre: par exemple, le pourcentage de femmes parmi les députés d’Irlande et de Lituanie, qui était dans les deux cas de 25 % (trois députés sur douze) en 2009, est passé à 55 % (six députés sur onze) en 2014 pour l’Irlande tout en tombant à 9 % (une femme sur onze députés) pour la Lituanie 
			(8) 
			Ibid. .
14. Au niveau national, seuls quatre parlements nationaux dans les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe comptent actuellement plus de 40 % de femmes 
			(9) 
			Union
interparlementaire, Les femmes dans les parlements nationaux: Classement
mondial, Etat de la situation au 1er août
2015. Les quatre Etats membres, par ordre décroissant du pourcentage
de femmes siégeant à la chambre basse ou unique du parlement, sont
la Suède, la Finlande, l’Islande et l’Espagne.. Lors des élections de décembre 2015 à la chambre basse du Parlement espagnol, une proportion record de femmes a été élue: 39 %, contre 35 % auparavant. Au total, seuls 13 parlements (y compris les quatre parlements susmentionnés) sont composés d’un tiers ou plus de femmes 
			(10) 
			Ibid.
Les neuf Etats membres qui viennent ensuite sont Andorre, la Norvège,
la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, la Slovénie, l’Allemagne,
la Serbie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine».,et seuls sept autres parlements nationaux comprennent une proportion se situant entre un quart et un tiers de femmes 
			(11) 
			Ibid.
Ces sept Etats membres sont le Portugal, l’Italie, l’Autriche, la
Suisse, le Luxembourg, la France et la Croatie.. En d’autres termes, dans les 27 autres des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, le nombre de femmes représentées dans les chambres basses des parlements ou dans les parlements à chambre unique se situe à moins de 25 % 
			(12) 
			Ibid. Les Etats où moins de 25 %
des membres du parlement national (chambre basse ou unique) sont
des femmes sont la Pologne, la Lituanie, la Grèce, le Royaume-Uni,
la Bosnie-Herzégovine, Monaco, la République de Moldova, l’Albanie,
la Bulgarie, le Liechtenstein, l’Estonie, la République tchèque,
la République slovaque, la Lettonie, le Monténégro, Saint-Marin,
l’Irlande, l’Azerbaïdjan, la Turquie, la Roumanie, la Fédération
de Russie, Malte, Chypre, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie et la
Hongrie.. Dans mon pays, l’Italie, les femmes représentent 31 % des membres de la Chambre des députés (chambre basse du parlement) depuis les élections de 2013, et 28 % au Sénat, l’augmentation s’expliquant principalement par le choix des candidats par les partis politiques. Des progrès encourageants ont été accomplis à l’extrémité inférieure du spectre: à l’heure actuelle, aucun Etat membre ne compte moins de 10 % de femmes dans son parlement national 
			(13) 
			Ibid.
La Hongrie présente actuellement le plus bas niveau de représentation
des femmes de tous les parlements nationaux des Etats membres du
Conseil de l’Europe. Seuls 10,1 % des membres de son parlement,
à chambre unique, sont des femmes.. Ils étaient cinq Etats membres en 2005 et trois en 2008 
			(14) 
			L’Arménie, la Hongrie,
l’Italie, la Turquie et l’Ukraine en 2005 et l’Arménie, la Turquie
et l’Ukraine en 2008. Voir Démocratie paritaire: une réalisation
encore lointaine. Etude comparative sur les résultats des premier
et deuxième cycles de suivi de la Recommandation Rec (2003) 3 du
Conseil de l’Europe sur la participation équilibrée des femmes et
des hommes à la prise de décision politique et publique, Conseil
de l’Europe, Strasbourg, 2010.. Dans l’ensemble, cependant, il est évident qu’il reste une marge de progrès considérable en matière de représentation politique des femmes dans les parlements nationaux.
15. Ces données montrent que l’égalité des sexes et la participation politique des femmes dépendent de divers facteurs ainsi que des contextes politiques, économiques, sociaux et culturels propres à chaque pays. Par exemple, c’est seulement au siècle dernier que les femmes ont obtenu le droit le plus fondamental à cet égard, à savoir le droit de vote: la date va de 1906 en Finlande à beaucoup plus tard, dans les années 70, dans d’autres pays.
16. Parmi les facteurs politiques déterminants pour la participation des femmes à la vie publique figurent sans aucun doute le système électoral, les partis politiques et leurs statuts, les critères de sélection des candidats, les mesures positives telles que les quotas (imposés par la loi ou volontaires), les dispositions juridiques et l’action des organisations non gouvernementales (ONG) et autres associations. Le facteur le plus général est l’inscription dans la constitution du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, reflété ensuite dans la législation et dans l’action des institutions et des pouvoirs publics.
17. Les facteurs sociaux pertinents sont le système de protection sociale, les possibilités de congé parental, le partage des tâches ménagères et familiales, les mesures de conciliation entre vie professionnelle et privée et les régimes d’assurance-vieillesse.
18. Parmi les facteurs économiques, les écarts de salaire entre hommes et femmes et l’accès aux professions et aux carrières sont particulièrement importants, ainsi que le financement des petites entreprises.
19. Des facteurs culturels jouent sur les possibilités, pour les femmes, de participer effectivement à la vie politique et au développement économique et social d’un pays. L’éducation et la formation sont cruciales, puisqu’elles constituent un préalable à l’acquisition des compétences nécessaires et à l’éradication des stéréotypes qui empêchent toujours d’atteindre une véritable parité. Les stéréotypes en question consistent souvent à ne voir dans les femmes que des mères, chargées de s’occuper du foyer.
20. Pour les femmes actives en politique, l’accès aux médias, la représentation et l’espace médiatique dont elles bénéficient lors des campagnes électorales constituent des sujets cruciaux, avec celui du financement de leur campagne.
21. Les nombreuses recherches que j’ai conduites dans le cadre de la préparation de ce rapport m’amènent à conclure que les éléments ci-dessus ne doivent pas être considérés séparément, car ils sont en fait étroitement liés et interagissent différemment selon le contexte social et culturel de chaque pays. La bonne approche à adopter pour parvenir à l’égalité des sexes dans la vie politique est donc une approche globale, incluant des mesures quantitatives et qualitatives.

4. Constitutions et droits constitutionnels

22. La représentation politique des femmes a progressé lorsque les législateurs ont adopté des règles visant à remédier à la sous-représentation des femmes dans les organes élus, en particulier via des réformes instaurant des droits constitutionnels égaux tels que le droit de vote et d’éligibilité, le droit d’accès aux charges publiques et d’autres droits et libertés fondamentaux, tels que le droit à la propriété, à la succession, au mariage, à la citoyenneté, etc., des droits constitutionnels visent à supprimer les discriminations, fondées sur le sexe ou sur d’autres considérations, qui restreignent l’égalité des citoyens devant la loi.
23. Dans les différentes constitutions, les dispositions relatives aux droits civils et politiques des femmes ouvrent la voie à l’égalité des sexes et à l’égalité dans la citoyenneté et offrent une assise à des actions plus spécifiques en faveur de l’égalité.
24. La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1948, mentionne «l’égalité des droits des hommes et des femmes». La notion d’égalité entre les hommes et les femmes a été renforcée par la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), à laquelle 189 Etats membres des Nations Unies sont Parties. Toutes les constitutions ou lois fondamentales des Etats membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) affirment la pleine citoyenneté et l’égalité des femmes, ainsi que la pleine jouissance des droits électoraux. Cependant, il convient de noter que beaucoup de réformes ayant abouti à l’égalité formelle sont récentes: les droits électoraux n’ont été accordés aux femmes qu’en 1971 en Suisse, en 1976 (abolition de toutes les restrictions restantes) au Portugal et en 1978 en République de Moldova.

5. Systèmes électoraux

25. Le système électoral retenu dans un pays a un impact direct sur la participation des femmes en politique, puisqu’il détermine la manière dont les voix se traduisent en sièges. On peut distinguer trois grandes familles de systèmes électoraux, selon la formule de répartition des sièges: majoritaire, proportionnel et mixte, plus une quatrième famille regroupant les systèmes qui n’entrent dans aucune des trois catégories précédentes. Même en l’absence de quotas, les systèmes électoraux ont en eux-mêmes des conséquences différentes sur la représentation des femmes 
			(15) 
			Designing for Equality
– Best-fit, medium-fit and non-favourable combinations of electoral
systems and gender quotas, International IDEA, Stockholm, 2007..
26. Je ne compte pas examiner en détail l’incidence des systèmes électoraux sur la parité dans la représentation politique; il est bien établi cependant que dans l’ensemble, les systèmes électoraux entièrement fondés sur la représentation proportionnelle, ou qui comprennent un élément de représentation proportionnelle, semblent contribuer plus efficacement à l’élection de candidates que les systèmes de scrutin majoritaire entièrement basés sur des circonscriptions uninominales 
			(16) 
			Commission
de Venise, Rapport sur l’impact des systèmes électoraux sur la représentation
des femmes en politique, adopté par le Conseil des élections démocratiques
lors de sa 28e réunion (Venise, mars
2009) et par la Commission de Venise lors de sa 79e session
plénière (Venise, 12-13 juin 2009), CDL-AD(2009)029; voir en particulier
les paragraphes 42-60..
27. Toutefois, pour comprendre les mécanismes en jeu, il est important d’en examiner les composantes, et notamment leurs trois éléments principaux: l’étendue des circonscriptions et des partis, la formule de calcul (majoritaire ou proportionnelle) et la structure du scrutin.
28. Concernant la représentation des femmes au parlement, il est crucial de distinguer entre les systèmes prévoyant des circonscriptions uninominales, dans lesquels chaque circonscription élit un seul parlementaire, et les systèmes prévoyant des circonscriptions plurinominales, dans lesquels chaque circonscription élit plusieurs parlementaires. Dans les circonscriptions uninominales, chaque parti ne peut désigner qu’une personne par circonscription et seul est élu le candidat ayant obtenu la majorité relative ou absolue des suffrages (en fonction du système). Le défi pour les candidates potentielles tient d’abord à se faire désigner par leur parti (voir plus loin, chapitre 8.1), puis à recueillir les suffrages des électeurs. Cela peut s’avérer difficile. La désignation d’une candidate se heurte souvent aux aspirations d’hommes influents au sein du même parti et à leurs «réseaux de copinage masculins». Les circonscriptions uninominales sont généralement considérées comme moins favorables à la désignation et à l’élection de candidates que les circonscriptions plurinominales.
29. Comme l’explique le Dr Michael Krennerich, chercheur à l’Université d’Erlangen-Nuremberg, des études empiriques récentes tendent à montrer que l’importance électorale des partis compte encore plus que l’étendue des circonscriptions. L’équilibrage des candidatures entre les sexes ne produit d’effets dans une circonscription que si le parti concerné prévoit d’y gagner plusieurs sièges. Il existe clairement un lien entre l’importance électorale des partis et la taille des circonscriptions. Dans les circonscriptions moyennes ou grandes, les grands partis peuvent s’attendre à remporter plusieurs sièges, ce qui rend leur stratégie d’équilibrage des candidatures plus efficace. De grandes circonscriptions et des partis importants ne suffisent pas à eux seuls à garantir une forte représentation des femmes, mais ont, au moins, l’avantage de permettre l’application effective d’une stratégie d’équilibrage des candidatures lorsqu’il existe une volonté politique en ce sens 
			(17) 
			Ces
réflexions et les trois paragraphes qui suivent s’inspirent de l’exposé
sur «L’impact des systèmes électoraux, dont les quotas de genre,
sur la représentation des femmes au parlement» présenté par Michael
Krennerich lors de la Conférence régionale sur l’égalité de genre
dans les processus électoraux, Tbilissi (Géorgie), 25 novembre 2015..
30. Le type de scrutin définit la manière dont les électeurs peuvent exprimer leurs choix. Un système électoral peut être centré sur les candidats ou sur les partis. L’application de quotas est plus facile dans ceux qui sont centrés sur les partis.
31. Ce n’est que dans les pays disposant de quotas par sexe bien conçus et assortis d’obligations de placement strictes (c’est-à-dire de règles portant sur la place des candidates sur les listes) que les différences entre l’ampleur des partis et des circonscriptions ne sont pas nécessairement significatives, du moment que le parti remporte plusieurs sièges.
32. En raison de l’effet de l’importance électorale des partis, tout système combinant un nombre moyen de sièges important par circonscription et un seuil légal élevé est théoriquement favorable aux femmes. En raison de la dynamique inhérente à l’équilibrage des candidatures entre les sexes, la combinaison entre une représentation proportionnelle dans des circonscriptions de grande ampleur ou même d’ampleur nationale d’une part et d’un seuil légal d’autre part semble favoriser la désignation et l’élection de candidates.
33. Cependant, les systèmes électoraux en vigueur dans chaque pays sont conçus en tenant compte d’un certain nombre d’objectifs concurrents. Il s’agit généralement d’assurer la représentation équitable des partis politiques, d’éviter la fragmentation de ceux-ci dans la mesure où elle peut déboucher sur des niveaux contre-productifs d’instabilité politique, de donner aux électeurs une possibilité de voter pour des candidats spécifiques et de veiller à ce que le système électoral soit suffisamment clair pour les électeurs sans générer des coûts excessifs pour les autorités de l’Etat. Aucun système n’est en mesure de concilier parfaitement tous ces objectifs, et c’est pourquoi les Etats font des choix différents en fonction des objectifs qu’ils considèrent comme les plus importants dans leur contexte socioculturel et politique 
			(18) 
			Commission de Venise,
Rapport sur l’impact des systèmes électoraux sur la représentation
des femmes en politique, op. cit.;
voir en particulier les paragraphes 42-60..
34. Parmi les facteurs institutionnels à l’œuvre en politique, la représentation des femmes au parlement peut être fortement influencée non seulement par le système électoral, tel que décrit ci-dessus, mais aussi par les quotas, et les partis politiques jouent aussi un rôle crucial pour déterminer quelles personnes – et, ce qui nous intéresse, combien de femmes – entreront finalement au parlement. Nous allons donc examiner de plus près ces éléments.

6. Systèmes de quotas

35. Les quotas électoraux sont le principal type de mesures positives utilisé pour accroître la représentation politique des femmes. Ils constituent une forme d’action volontariste pour aider les femmes à surmonter les obstacles qui les empêchent d’entrer en politique de la même manière que leurs collègues masculins. Le Quota Project, base de données mondiale en ligne sur les systèmes de quotas issue des efforts conjoints d’International IDEA, de l’Union interparlementaire et de l’université de Stockholm, montre que le recours aux quotas électoraux de femmes est bien plus répandu qu’on ne le croit généralement et que de plus en plus de pays mettent actuellement en place de tels quotas, sous différentes formes. Environ la moitié des pays du monde appliquent aujourd’hui un système de type quotas électoraux lors de leurs élections législatives.
36. Il existe différents types de quotas, avec pour principale distinction les quotas volontairement appliqués par les partis, d’une part, et ceux inscrits dans la législation ou la constitution, d’autre part. Les quotas légaux sont inscrits dans la législation relative aux élections, aux partis politiques, ou dans d’autres textes de loi comparables du pays, et s’imposent donc à toutes les entités politiques. Le non-respect des quotas légaux ou constitutionnels peut entraîner des sanctions allant de la disqualification de candidats à l’imposition d’amendes et jusqu’à la disqualification de tout le parti. Les quotas volontaires sont adoptés par les partis eux-mêmes afin de garantir la désignation d’un certain nombre ou d’une certaine proportion de candidates. Ils ne sont pas juridiquement contraignants et aucune sanction n’est donc prévue pour les faire appliquer.
37. Les quotas peuvent s’appliquer pendant le processus de désignation ou être tournés vers les résultats. Dans le premier cas, ils visent à aider les femmes à se trouver inscrites sur la liste de candidats d’un parti ou à se présenter dans une circonscription. Les modalités varient, allant de règles souples à très strictes prescrivant une alternance spécifique hommes-femmes. Cependant, lorsqu’on demande simplement la désignation d’un certain pourcentage de femmes comme candidates sans préciser leur place sur la liste, elles peuvent se retrouver en fin de liste, avec très peu de chances d’être élues 
			(19) 
			Designing for equality
– What are quotas?, International IDEA, Stockholm, 2007. .
38. Les quotas axés sur les résultats consistent à réserver aux femmes un pourcentage ou un certain nombre de sièges au parlement. On peut, par exemple, prévoir une liste exclusivement féminine dans une circonscription, ou un niveau électoral exclusivement féminin, avec l’élection de femmes à un nombre prédéterminé de sièges. Autre forme de quotas axés sur les résultats: le système du «meilleur perdant». Parmi les candidates, celles qui ont remporté le plus de voix, jusqu’au nombre fixé par le quota, sont élues même si des candidats masculins en ont remporté davantage.
39. Quelle que soit leur forme, les quotas doivent être inscrits dans la constitution, dans la loi électorale ou dans la législation sur les partis politiques pour que leur application soit garantie.
40. Les quotas sont loin de faire l’unanimité et soulèvent des critiques, pour plusieurs raisons. Le principal argument contre les systèmes de quotas est l’idée qu’ils iraient à l’encontre du principe d’égalité, puisqu’ils favoriseraient certains candidats en raison de leur sexe. Ils sont aussi souvent considérés comme réduisant la liberté de choix des électeurs. Beaucoup de femmes politiques s’opposent même aux quotas car elles ne veulent pas être élues «juste parce qu’elles sont des femmes». Cependant, le soutien aux systèmes de quotas augmente, à mesure qu’une nouvelle idée de l’égalité des sexes gagne du terrain: l’égalité des résultats est en train de remplacer la notion, plus ancienne et plus abstraite, d’égalité des chances.
41. J’ai moi-même changé d’avis et je suis à présent en faveur des quotas, après avoir eu l’occasion de suivre un cursus universitaire sur les femmes en politique, qui m’a permis de beaucoup mieux comprendre la diversité des obstacles que les femmes rencontrent à la fois pour entrer en politique et lors de toutes les étapes ultérieures (se présenter à des élections et faire campagne est bien sûr important, mais ne constitue qu’un aspect de la vie politique parmi beaucoup d’autres). J’en suis arrivée à la conclusion que la compétition était si inégale, et la nécessité de renverser la situation si urgente, que le recours à des mesures apparemment radicales – comme les quotas – était en fait nécessaire.
42. Un examen attentif de la situation en Europe montre que, ces dernières années, des quotas juridiquement contraignants (imposés par la loi) ont été instaurés pour les élections législatives dans plusieurs pays, dont l’Albanie, l’Arménie, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, l’Espagne, l’«ex-République yougoslave de Macédoine», la France, l’Irlande, la Pologne, le Portugal, la Serbie et la Slovénie. Dans ces pays, la représentation des femmes se situe actuellement dans une fourchette allant de 41,1 % à la chambre basse espagnole à 10,7 % au Parlement arménien.
43. Dans d’autres pays, tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Norvège, la République tchèque, le Royaume-Uni ou la Suède, certains partis politiques ont décidé d’appliquer des quotas volontaires lorsqu’ils établissent leurs listes ou désignent des candidats pour des circonscriptions uninominales. Dans ces pays, la représentation des femmes varie de 39,6 % en Norvège à 19 % en République tchèque.
44. D’autres pays encore, comme la Bulgarie, le Danemark, l’Estonie, la Finlande, la Lettonie et le Liechtenstein, n’appliquent aucun quota, et la proportion de femmes représentées dans leurs parlements nationaux varie de 42,5 % en Finlande à 20 % au Liechtenstein 
			(20) 
			Sur l’existence des
systèmes de quotas, voir: Commission de Venise, Rapport sur l’impact
des systèmes électoraux sur la représentation des femmes en politique,
CDL-AD(2009)029, et Direction générale des politiques internes du Parlement
européen, Département politique C: Droits des citoyens et des affaires
constitutionnelles: Egalité des genres, systèmes de quotas électoraux
hommes-femmes et leur application en Europe: mise à jour 2013: Note
(Union européenne: Bruxelles, 2013), document PE 493.011. En ce
qui concerne les statistiques sur la représentation des femmes,
voir Union interparlementaire, Les femmes dans les parlements nationaux:
Classement mondial, Etat de la situation au 1er février
2015..
45. Prenons l’exemple de deux pays spécifiques, la Pologne et le Danemark. En Pologne, des quotas obligatoires sont imposés aux partis politiques: au moins 35 % des candidats inscrits sur les listes électorales doivent être des femmes. Or la proportion de femmes élues lors des dernières élections législatives en 2011 n’a été que de 24 %. Au Danemark, où il n’existe ni quotas juridiquement contraignants ni quotas volontaires, les femmes représentent 39 % des députés.
46. Les faits et chiffres présentés ci-dessus montrent clairement qu’il n’y a pas de corrélation directe entre l’existence d’un système de quotas (qu’ils soient prescrits par la loi ou volontairement appliqués par les partis) et la représentation des femmes dans les parlements nationaux. Quelques pays ont même atteint une représentation plus équilibrée des deux sexes sans aucun quota. Les pays qui ont adopté des quotas obligatoires n’enregistrent pas nécessairement de meilleurs résultats que ceux qui ont privilégié des quotas volontaires ou qui n’en appliquent pas. J’aimerais examiner les facteurs qui pourraient expliquer des résultats aussi divergents.
47. Le niveau de représentation imposé par les règles sur les quotas constitue un facteur important. Même dans les systèmes de quotas juridiquement contraignants, le pourcentage minimum de candidats de chaque sexe peut varier. Il peut aller d’une proportion égale de femmes et d’hommes sur les listes des partis en Belgique et sur l’ensemble des candidats des partis en France à une part minimale de femmes située entre 30 % et 40 % dans la plupart des cas, pour tomber à 15 % seulement dans le système de représentation proportionnelle de l’Arménie. Sur la base des expériences dans plusieurs pays, en particulier en Amérique latine, on constate qu’afin d’être efficaces les quotas doivent être ambitieux. Alors qu’une proportion minimale, fixée sur le papier, ne se concrétise pas nécessairement dans la réalité, il apparaît qu’un objectif plus élevé conduit à des résultats plus élevés. J’estime donc que les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient envisager l’introduction du principe de la parité dans leur législation. Ceci nécessite une forte volonté politique et un large consensus, dans la mesure où cela peut avoir des conséquences importantes (en particulier, un système prévoyant une parité à 50-50 peut être considéré comme permanent, tandis qu’on voit généralement dans les quotas une mesure temporaire). On assiérait ainsi sur des bases solides une véritable égalité des sexes en démocratie.
48. En outre, les systèmes de quotas, imposés par la loi ou volontaires, ne devraient pas spécifier uniquement que les partis doivent présenter une certaine proportion de candidates. Dans le cas de la Pologne, l’introduction de quotas juridiquement contraignants n’a pas produit les résultats attendus, car les partis politiques ont souvent relégué les candidates en bas des listes. Ainsi, sauf si les systèmes de quotas prévoient une disposition indiquant qu’un nombre défini de candidates doivent être placées sur les listes en position éligible, ou des règles concernant l’ordre de classement des candidats sur une liste, l’augmentation de la proportion de femmes candidates ne se traduira pas nécessairement par une plus forte proportion de femmes élues au parlement.
49. Même une réglementation sur les quotas bien conçue peut ne pas avoir l’incidence escomptée, en raison de divers facteurs externes liés à la situation politique dans son ensemble. Le cas des élections de 2011 en Tunisie l’illustre bien. L’«égalité des chances entre la femme et l’homme pour assurer les différentes responsabilités et dans tous les domaines» est inscrite dans la Constitution tunisienne et la loi électorale s’en inspire. Cette loi impose la parité entre les sexes sur les listes avec un système d’alternance (un homme, une femme). Mais, à la suite du soulèvement du «Printemps arabe» et après la mise en place d’institutions démocratiques, il y a eu un tel éclatement du paysage politique que plus de 80 partis et mouvements ont participé aux élections d’octobre 2011 en constituant des listes séparées. La plupart des mouvements n’ont réussi qu’à faire élire leur tête de liste, qui était un homme dans la grande majorité des cas. Ceci incite à penser qu’en fonction du système électoral, il pourrait être nécessaire de compléter les quotas «verticaux» par des quotas «horizontaux» (portant sur les têtes de liste dans l’ensemble des circonscriptions) pour garantir l’efficacité du système 
			(21) 
			Zeina Hilal, chargée
de programme, Programme du partenariat entre hommes et femmes, Union
interparlementaire, exposé à la réunion de la commission à Paris
le 10 septembre 2015..
50. Les études montrent aussi que même lorsqu’il existe des systèmes de quotas imposés par la loi, leur impact dépend dans une large mesure de la question de savoir si – et avec quelle efficacité – ils sont appliqués. Par exemple, malgré l’imposition de sanctions financières aux partis politiques ne respectant pas les quotas juridiquement contraignants pour les élections législatives en France (50 % de candidats de chaque sexe), tous les partis ne respectent pas cette obligation. Dans certains cas, les partis choisissent délibérément d’essuyer des sanctions plutôt que de respecter leurs obligations légales, jugeant qu’une forte proportion de candidates risquerait de nuire à leur score électoral 
			(22) 
			Réjane
Sénac, présidente de la commission «Parité en matière politique,
administrative et dans la vie économique et sociale», Haut Conseil
à l’égalité entre les femmes et les hommes (France), exposé à la
réunion de la commission à Paris le 20 mars 2015. Voir également
Commission de Venise, rapport sur «L’impact des systèmes électoraux
sur la représentation des femmes en politique», CDL-AD (2009) 029.. Il semble que la sanction la plus efficace pour non-respect des dispositions sur les quotas soit le rejet des listes. Cette sanction, qui pour des questions de proportionnalité pourrait être limitée aux cas de non-respect les plus graves, ne peut être ignorée par les partis politiques. Elle s’est par exemple révélée très efficace au Sénégal, où plus de 42 % des membres de l’actuel parlement sont des femmes.
51. L’expérience des élections européennes de 2009 et 2014 confirme que si les quotas constituent un outil efficace pour accroître la présence des femmes dans les organes politiques, ils n’entraînent pas automatiquement une représentation égale des hommes et des femmes. D’après une étude de 2013 du Parlement européen, les quotas doivent s’accompagner de règles sur le placement des candidates sur les listes et, dans les systèmes majoritaires, il est nécessaire de prévoir des règles concernant la répartition entre les sexes des sièges «sûrs» ou «gagnables» 
			(23) 
			Mme Alanis
Figueroa, présentation du rapport de la Commission de Venise sur
«La méthode de désignation des candidats au sein des partis politiques»,
Paris, 10 septembre 2015..
52. Les quotas doivent comprendre des règles relatives à l’ordre des candidats et des sanctions en cas de non-respect. Leur efficacité dépend aussi de l’existence d’organes institutionnels qui supervisent l’application des quotas et imposent des sanctions en cas de manquement.

7. Participation des femmes à la vie politique aux niveaux local et régional

53. Il est ressorti des débats au sein de la commission qu’une meilleure représentation politique des femmes devrait commencer aux niveaux local et régional. Cela garantirait une meilleure représentation de la diversité de la population tout en donnant aux femmes et aux hommes des chances égales de progrès dans une carrière politique. Alors que la proportion des femmes dans les parlements nationaux et dans les cabinets ministériels est souvent utilisée comme indicateur de la représentation politique des femmes, il ne faudrait pas oublier que, pour beaucoup de femmes et d’hommes politiques, l’expérience aux niveaux local et régional constitue une étape nécessaire sur la voie des responsabilités politiques au niveau national. Tous les grands aspects de l’action politique, dont la participation aux élections, les discussions avec les acteurs sociaux et économiques et la prise de décisions affectant la vie d’une communauté, peuvent être vécus aux niveaux local et régional.
54. Dès 1999, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 85 (1999) et la Recommandation 68 (1999) sur la participation des femmes à la vie politique dans les régions européennes. Le Congrès appelait alors les Etats membres, parmi d’autres mesures, à modifier leur législation nationale dans le but de surmonter les obstacles à la mise en œuvre d’une véritable égalité des chances dans la vie politique pour les hommes et les femmes et à introduire des mesures positives visant à faciliter l’accès des femmes aux charges publiques et aux postes politiques.
55. Plus de dix ans après, en 2010, la situation n’avait pas radicalement changé, puisque le Congrès devait rappeler dans sa Résolution 303 (2010) «Pour une égalité durable des genres dans la vie politique locale et régionale» que «dans la vie politique locale et régionale européenne, les élus ne sont pas toujours représentatifs de la diversité de toute la population». Dans cette résolution, le Congrès invite les collectivités locales et régionales, parmi d’autres mesures, à encourager les femmes à être candidates aux élections, à assurer le renouvellement des personnes ayant un mandat politique, à amener les élus à encourager et solliciter les femmes pour qu’elles se portent candidates et à concevoir et adopter des plans d’action en faveur de l’égalité en y associant les organisations de femmes.
56. En Italie, une loi adoptée en 2012 vise à rééquilibrer la représentation des sexes dans les organes élus aux niveaux local et régional via la double voix paritaire et l’obligation de présenter au moins un tiers de candidatures féminines aux élections locales. Au niveau régional, ces dispositions sont rarement appliquées, puisque chaque région décide comment «promouvoir l’égalité d’accès des hommes et des femmes aux mandats électifs au moyen de mesures favorisant les candidatures de personnes du sexe sous-représenté». Le nombre croissant de femmes élues dans les conseils municipaux montre que des mesures positives inscrites dans la loi sont efficaces, et devraient être également appliquées au niveau régional.
57. J’estime important de toujours tenir compte de la dimension locale et régionale. C’est un défi permanent que de réaliser l’égalité entre les sexes dans la représentation politique. Cela nécessite l’unité d’action de toutes les parties prenantes. Il faut donc non seulement que les femmes et les hommes, et les femmes et hommes politiques sur tout l’éventail politique, coopèrent afin d’atteindre cet objectif, mais aussi que tous les niveaux de représentation politique soient sensibilisés à cette problématique.

8. Mesures prises et parties prenantes

8.1. Partis politiques

58. «Contrairement à l’opinion communément répandue, d’une manière générale, ce ne sont pas les électeurs mais les partis politiques qui décident qui va être élu», comme l’indique Drude Dahlerup, spécialiste de la disparité entre les sexes 
			(24) 
			Political
parties as Gatekeepers to Equal Political Representation, D. Dahlerup,
université de Stockholm, 2006.. Trois stades principaux peuvent être identifiés dans le processus de recrutement des candidats: l’auto-sélection pratiquée par des individus qui expriment le souhait de se présenter aux élections, la sélection par les partis politiques et enfin, l’élection par scrutin. Des travaux de recherche ont montré qu’au troisième stade du processus, le choix des électeurs est influencé principalement par les partis – leurs antécédents, leurs prises de position politique – plutôt que par la question de savoir si les candidats sont des femmes ou des hommes 
			(25) 
			Voir
par exemple Richard E. Matland, «The Norwegian Experience of Gender
Quotas», document présenté à la conférence IDEA/CEE Network for
Gender Issues sur les expériences européennes de mise en œuvre des
quotas, Budapest (Hongrie), 22-23 octobre 2004. . Ainsi, les partis politiques déterminent largement la composition des parlements (et celle des organes élus aux niveaux local et régional). Ils peuvent donc jouer un rôle crucial dans l’amélioration de la représentation politique des femmes. Les mesures prises pour accroître le nombre de femmes dans nos parlements devraient donc consister, d’une part, à encourager davantage de femmes à poser leur candidature et, d’autre part, à inciter les partis politiques à choisir un plus grand nombre de femmes candidates et à les placer sur les listes de telle sorte qu’elles puissent raisonnablement espérer être élues.
59. Les partis politiques appliquent des règles internes et des procédures prédéfinies au recrutement et à la sélection de leurs candidats. Parmi les stratégies efficaces mises en œuvre par des partis pour recruter davantage de femmes figurent l’adoption et l’application de quotas spécifiques au parti, des objectifs informels et d’autres mécanismes positifs à tous les niveaux, y compris pour les fonctions internes au parti 
			(26) 
			Mona Lena Krook et
Pippa Norris, «Gender Equality in Elected Office: A Six-Step Action
Plan». Commandé par le Bureau des institutions démocratiques et
des droits de l’homme, Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe, Varsovie (Pologne), septembre-décembre 2010..
60. Les quotas volontaires supposent un certain engagement des partis politiques, visant à ce qu’une proportion spécifique de femmes figure parmi leurs candidats à des fonctions électives. Le plus souvent, ils sont inscrits dans les constitutions, statuts ou règlements intérieurs des partis. En Europe, la première adoption de telles mesures remonte au début des années 1970, dans quelques partis socialistes et sociaux-démocrates. Dans le courant des années 1980, elles ont commencé à apparaître dans un éventail diversifié de partis dans de nombreuses régions du monde. Aujourd’hui, presque tous les Etats participants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) comptent au moins quelques partis appliquant des quotas de genre à leur processus de sélection des candidats 
			(27) 
			Ibid..
61. Concernant les résultats électoraux, comme nous l’avons vu plus haut, les partis politiques n’ont pas grand-chose à perdre en choisissant de présenter une part plus importante de candidates, et les possibilités d’adopter des mesures proactives dans ce domaine sont considérables. L’Assemblée parlementaire a mis l’accent sur le rôle important que les partis sont susceptibles de jouer dans sa Résolution 1898 (2012) sur les partis politiques et la représentation politique des femmes. Cette résolution indique un large éventail de mesures que pourraient adopter les partis politiques, basées sur des bonnes pratiques identifiées dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Ces recommandations prévoient notamment l’engagement officiel, figurant dans les statuts, de respecter l’égalité entre hommes et femmes ainsi que l’égalité des chances, l’organisation de campagnes et d’activités destinées à encourager l’adhésion des femmes, la création de structures exclusivement féminines dotées de financements adéquats, ou l’assurance que les structures des partis choisissant les candidats aux élections soient pleinement représentatives de la société et incluent un pourcentage proportionnel de femmes. Cette résolution recommande en outre de garantir la plus grande transparence dans la procédure de sélection des candidats aux élections et d’instaurer un quota minimal de 40 % pour le sexe sous-représenté dans les organes exécutifs des partis à tous les niveaux. Une autre série de mesures recommandées concernent des programmes de mentorat et de formation pour le renforcement de la capacité à occuper des positions de responsabilité en matière politique, ainsi que des programmes de formation aux techniques des médias et à la communication médiatique durant les campagnes.
62. Les quotas des partis fixent habituellement un objectif situé entre 25 % et 50 % de candidates. Ils s’appliquent à la composition des listes des partis dans les pays au système électoral proportionnel, et à des groupes de circonscriptions uninominales dans les pays à scrutins majoritaires. Les quotas des partis ont un impact sur le nombre de femmes élues lorsque:
  • cette politique est adoptée par de nombreux partis, et notamment par plusieurs grands partis;
  • les quotas retenus appellent à la désignation d’une proportion relativement élevée de candidates et comprennent des dispositions sur le placement des candidates sur les listes du parti, dans les systèmes de représentation proportionnelle;
  • la forme de quota retenue est compatible avec des traditions et pratiques culturelles bien comprises et largement acceptées;
  • les partis disposent de structures d’organisation et de procédures de désignation formelles, permettant aux organes internes du parti de faire appliquer les règles. Lorsque les procédures de désignation sont plus informelles, par exemple dans les partis clientélistes, dont les dirigeants choisissent personnellement comme candidats un petit groupe de partisans loyaux, les mécanismes de mise en œuvre ont beaucoup de mal à garantir la présence de femmes 
			(28) 
			Ibid..
63. Les quotas des partis ont été particulièrement efficaces en Suède, où les femmes se sont mobilisées au sein des partis politiques et en dehors, depuis les années 1920, pour promouvoir la sélection de candidates et où les réformes socio-économiques ont nettement modifié des facteurs structurels et culturels tels que l’éducation, la participation à l’activité économique, la prise en charge des enfants et les congés parentaux.
64. Là où les quotas en eux-mêmes sont particulièrement controversés, comme dans certains partis conservateurs, mais aussi dans plusieurs contextes nationaux, les partis politiques peuvent rejeter les quotas formels mais établir néanmoins des buts ou objectifs informels en matière de sélection de femmes. On parle alors de «quotas informels». Il y en a deux grands types: d’une part les objectifs informels, d’autre part les recommandations et quotas destinés aux organes internes, censés influencer indirectement le nombre de femmes qui, à terme, se présenteront à des élections.
65. Comme évoqué plus haut, la Commission de Venise a adopté en juin 2015 un rapport sur «La méthode de désignation des candidats au sein des partis politiques». L’étude repose sur les réponses fournies par 27 pays et par plusieurs partis politiques à un questionnaire qui comprenait deux séries de questions, ainsi que sur des recherches sur les règles en vigueur dans 23 autres pays. Les informations recueillies portent sur la représentation des femmes, des jeunes, des minorités et des populations vulnérables. Je me concentrerai sur les aspects en lien avec le sujet traité ici. J’ai pris en compte ses recommandations dans la préparation du projet de résolution
66. Le rapport analyse la relation entre la liberté des partis politiques de réglementer leur fonctionnement de façon autonome, y compris pour le choix de leurs candidats, et l’ambition que peut avoir l’Etat de promouvoir des valeurs démocratiques, notamment en réglementant les activités des partis politiques.
67. La Commission de Venise précise clairement que l’adoption de mesures légales visant à favoriser le respect des principes démocratiques dans le choix des candidats est cohérente avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme et avec les recommandations de la Commission de Venise elle-même. Toutefois, l’ingérence de l’Etat pourrait mettre le pluralisme en danger, en particulier dans les pays dont le passage à la démocratie est récent. C’est donc à chaque pays de choisir entre une démarche libérale, favorisant la liberté des partis politiques et l’absence de réglementation de leur fonctionnement interne, et une démarche allant à l’opposé, visant au renforcement par la loi de la démocratie interne dans le choix des candidats. Le rapport recommande également que les exigences imposées aux partis politiques en matière de sélection des candidats soient:
  • en cohérence avec le système électoral;
  • soumises à une supervision effective de la part d’organes indépendants, tels que des tribunaux avec compétence électorale ou des commissions électorales;
  • proportionnées, c’est-à-dire pesant le moins possible sur la liberté des partis politiques.
68. Lors de l’audition du 10 septembre 2015 et au cours d’échanges après la réunion, Mme Alanis Figueroa a fourni d’intéressantes informations sur le rôle crucial joué par des organes indépendants dans le suivi de la mise en œuvre de ces réglementations. Au Mexique, la Cour fédérale électorale dispose de larges compétences qui couvrent les litiges relatifs à la protection des droits politiques des citoyens, en particulier le droit de vote, le droit d’éligibilité, le droit de réunion ou le droit d’adhérer à un parti. Mme Alanis a expliqué que les partis politiques commençaient à respecter la réglementation sur la désignation des candidats grâce aux décisions de la Cour électorale.

8.2. Organisations internationales, ONG, défenseurs de l’égalité des chances, collectifs de femmes, réseaux de la société civile, syndicats et autres acteurs

69. Parallèlement aux partis politiques, diverses entités et organisations peuvent aussi adopter des politiques pertinentes. Ainsi, les pouvoirs publics peuvent procéder à un réexamen de la législation pour assurer que l’égalité des droits entre les femmes et les hommes est garantie, notamment en ce qui concerne les droits politiques. Comme indiqué précédemment, les parlements eux-mêmes peuvent modifier la législation électorale, par exemple pour introduire des quotas de femmes sur les listes générales, des listes entièrement composées de femmes, des listes alternant les candidats masculins et féminins, ou pour instaurer un système électoral proportionnel avec de grandes circonscriptions, reconnu comme plus propice à l’égalité des chances entre candidats hommes et femmes 
			(29) 
			Commission
de Venise, rapport sur «L’impact des systèmes électoraux sur la
représentation des femmes en politique», op.
cit.. Ils peuvent aussi réexaminer leurs règlements et procédures internes, y compris les services et conditions de travail, les règles de recrutement des dirigeants, les horaires des séances et la mise à disposition de structures de garde d’enfants.
70. D’autres acteurs jouent également un rôle dans la promotion de la représentation des femmes en politique, dont les organisations internationales, les ONG, les commissions gouvernementales pour l’égalité des sexes, les défenseurs de l’égalité des chances, les collectifs de femmes, les réseaux de la société civile et les syndicats. A travers leurs propres programmes de formation et politiques d’égalité, ils peuvent jouer un rôle important, y compris en menant des campagnes de sensibilisation et d’information pour encourager les femmes à se présenter aux élections et en organisant des programmes de renforcement des capacités pour les aider dans ce processus.
71. Ces acteurs peuvent contribuer à développer les compétences, l’expérience, les connaissances et les ressources des femmes en lice pour une élection et une fois qu’elles sont élues. Des initiatives nombreuses et variées visent à renforcer les savoir-faire et les aptitudes des femmes actives en politique et à promouvoir la représentation des femmes et leur participation à la vie politique. Il en existe trois grandes sortes, qui se recoupent: promotion de l’égalité des chances (formation des candidats, campagnes de recrutement et mise en commun des savoirs), lutte contre les stéréotypes, et mesures de sensibilisation (campagnes médiatiques et éducation à la citoyenneté 
			(30) 
			Krook et Norris, op. cit.).
72. Les organisations internationales, comme les Nations Unies, l’OSCE, l’Union interparlementaire et naturellement le Conseil de l’Europe, n’adoptent pas directement de politiques pertinentes autres que celles concernant leur fonctionnement interne. Elles peuvent néanmoins adresser à leurs membres des textes à prendre en considération (résolutions, recommandations, documents de politique). A titre d’exemple, on peut citer la Décision 7/2009 du Conseil ministériel de l’OSCE sur la participation des femmes à la vie politique et publique, la Résolution 66/130 de 2011 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la participation des femmes à la vie politique et un certain nombre de textes adoptés par l’Assemblée parlementaire dont le plus récent est la Résolution 1898 (2012), déjà mentionnée.
73. Pour parvenir à une meilleure représentation des femmes en politique et préserver cet acquis, il faut que les femmes intéressées possèdent déjà ou puissent acquérir rapidement les compétences requises. Des réseaux d’échange de connaissances, des programmes de mentorat et des formations dûment financés peuvent contribuer à renforcer les compétences et les ressources des candidates. Il est important que les partis politiques, les médias et les organisations non gouvernementales participent activement à ce genre d’initiatives.

8.3. Médias

74. En 1995, la Plate-forme de Beijing a défini comme but stratégique la promotion dans les médias d’une image équilibrée et non stéréotypée des femmes. Depuis lors, les organisations internationales ont adressé de nombreuses résolutions et recommandations à leurs Etats membres – sans grands résultats.
75. Les femmes sont moins présentes que les hommes dans les médias et ne disposent que d’un espace limité dans les émissions d’actualité et d’information politique. Les commentaires concernant les femmes politiques continuent de porter sur leur tenue vestimentaire, sur des ragots ou sur leur vie privée plutôt que sur leurs actions et résultats politiques. Dans les médias, les femmes sont encore présentées sous les angles traditionnels de l’éducation, des affaires sociales et des violences ou du harcèlement dont elles sont victimes. A la télévision italienne, les femmes politiques ne sont présentes que sur 20 % du temps d’antenne consacré à la politique. Cela vaut en particulier lors des campagnes électorales.
76. Les médias montrent souvent les femmes politiques sous un jour négatif et stéréotypé, avec une tendance à les rabaisser et à ne pas se concentrer sur leurs résultats politiques. Dans le questionnaire adressé au CERDP, à la question de savoir si les femmes politiques se voyaient réserver un espace médiatique, 100 % des 34 entités ayant rempli le questionnaire ont tout simplement répondu «non». Les journaux décrivent souvent les désaccords entre femmes parlementaires comme des «crêpages de chignon», et les femmes qui discutent de questions politiques en ligne reçoivent des torrents d’insultes sexistes en réponse 
			(31) 
			Laura
Bates, Online misogyny prevents women from fully participating in
democracy, Democratic Audit UK, 30 octobre 2013, <a href='http://www.democraticaudit.com/?p=1714'>www.democraticaudit.com/?p=1714</a>..

9. Obstacles à la participation des femmes en politique et «mesures d’accompagnement»

77. Les mesures évoquées ci-dessus montrent que la promotion de la représentation des femmes tient à de multiples facteurs, et que des stratégies diversifiées sont nécessaires pour sensibiliser à la nécessité de l’équilibre entre les sexes. Au-delà de la possible réticence à mettre en place des mesures telles que des quotas légaux ou volontaires, il est important de tenir compte des autres obstacles qui entravent ou ralentissent les efforts déployés pour augmenter la représentation politique des femmes.
78. Il n’est, par exemple, pas suffisant de tenir compte des questions d’égalité des sexes lors des campagnes si les femmes, une fois élues, ne parviennent pas à se faire entendre. Les instances législatives s’organisent autour d’une série de règles, de procédures de fonctionnement et de structures institutionnelles qui peuvent gêner la participation égale des femmes à toutes les activités parlementaires, prises de décisions et fonctions de direction. Au cours de la discussion au sein de notre commission, un grand nombre de membres ont indiqué que les horaires inadaptés des travaux parlementaires, les obligations de mobilité (nécessité d’être présentes dans la capitale du pays pendant les sessions parlementaires) et l’accès à la garde d’enfants étaient des problèmes importants à résoudre dans ce domaine.
79. L’étude commandée par l’OSCE «Gender Equality in Elected Office: a Six-Step Action Plan» («Egalité des sexes dans les mandats électifs: un plan d’action en six étapes»), que j’ai déjà mentionnée, montre que la sensibilisation à cette problématique dans un parlement passe par deux grands axes. Le premier consiste, pour un parlement, à se montrer capable d’intégrer l’égalité des sexes à ses travaux de définition des politiques, à ses priorités législatives et à ses débats en mettant cet aspect en valeur dans toutes les politiques publiques. Le second concerne la culture et les conditions de travail du parlement en question (par exemple, des séances se prolongeant tard le soir ou l’absence de structures de garde d’enfants peuvent poser problème).
80. Pour faciliter la participation des femmes, il conviendrait que les organes parlementaires revoient leurs procédures internes pour que leurs structures et conditions de travail soient adaptées aux hommes comme aux femmes 
			(32) 
			Enhancing
women’s representation in parliamentary institutions – The institutional
and legal framework, Agora Issue Brief, Agora, juin 2014., à ce que les fonctions de direction soient réparties de manière équilibrée entre les hommes et les femmes et à ce qu’il existe une égalité d’accès aux programmes d’intégration, aux formations et aux activités de développement des aptitudes.
81. La représentation des femmes dans les médias et en ligne constitue, comme je l’ai déjà souligné, un autre obstacle à surmonter. Les recherches sur la présence et l’image des femmes politiques dans les médias montrent l’importance des activités de formation pour améliorer les compétences médiatiques des femmes et les faire davantage remarquer. Dans le même temps, elles soulignent que les journalistes doivent transmettre une image positive des femmes et accroître leur visibilité, en particulier s’agissant des femmes qui sont spécialistes de leur domaine.
82. Pour les candidates, l’un des principaux défis à relever consiste à financer leur désignation et leur campagne électorale, aussi bien dans les démocraties émergentes que dans celles déjà établies. Décider de se présenter, réussir à se faire désigner par un parti et mener une campagne électorale, tout cela coûte cher, et le manque de moyens est l’un des plus grands obstacles pour les femmes, plus encore que pour les hommes. Les femmes ont de fait moins accès aux ressources financières et aux grands réseaux de financement, ou les maîtrisent moins. L’expérience montre que plusieurs de ces difficultés pourraient être surmontées par la mise en œuvre de stratégies complètes conçues pour renforcer la position des femmes candidates 
			(33) 
			Parlements sensibles
au genre, Etude mondiale des bonnes pratiques, Union interparlementaire,
Genève, 2011..
83. S’agissant du financement public des partis politiques, comme le montrent les réponses au questionnaire du CERDP, dans quelques cas, une «clause de genre» s’applique à l’octroi des fonds: en Bosnie-Herzégovine par exemple, 10 % du montant total des financements publics sont attribués en fonction du nombre de sièges remportés par le sexe le moins représenté; en Croatie, le montant attribué pour chaque député élu est augmenté d’un bonus de 10 % pour chaque député du sexe sous-représenté; en Géorgie, un parti dont la liste comporte au moins 30 % de femmes reçoit 30 % de financement en plus. En Italie, la loi de 2014 abolissant le financement public des partis politiques prévoit des amendes pour les partis qui n’affectent pas au moins 10 % des contributions volontaires qu’ils reçoivent des électeurs à des activités visant à renforcer la participation active des femmes en politique. En revanche, les partis politiques qui désignent des candidats des deux sexes sont récompensés. Cependant, les réponses ne signalent aucun cas dans lequel les partis politiques perçoivent des fonds pour financer des activités en faveur de la représentation politique des femmes. Cela serait pourtant souhaitable, en particulier pour promouvoir des activités de formation, qui bénéficieraient autant aux femmes politiques qu’à leurs homologues masculins.
84. Les participants à la première Conférence régionale sur l’égalité de genre dans les processus électoraux, tenue à Tbilissi en novembre 2015, ont souligné l’importance d’encourager les partis politiques à améliorer leurs mécanismes de soutien au financement des campagnes des candidates, via des financements publics et la promotion d’incitations financières à une meilleure représentation des femmes dans les partis politiques, assortis de la promotion des candidates et de la transparence quant à l’usage des fonds publics destinés à améliorer l’égalité des sexes.
85. Les actions visant à surmonter ces obstacles sont souvent nommées «mesures d’accompagnement», puisqu’elles accompagnent les principales mesures (en particulier les quotas) et en renforcent l’impact. Il peut s’agir d’activités de formation et autre renforcement des capacités pour les candidates ou candidates potentielles, du fait de réserver un espace médiatique aux femmes politiques ou de mesures de conciliation entre activité politique et vie privée, telles que des dispositions de congé parental applicables aux deux sexes, mais aussi des services concrets comme des structures de garde d’enfants. Les mesures visant à réduire les inégalités structurelles sur le marché du travail et à modifier l’équilibre actuel entre travail rémunéré et non rémunéré (travaux ménagers, soins aux enfants au sein de la famille par exemple) jouent également un rôle important. Comme le confirment les réponses au questionnaire transmis au CERDP, les mesures d’accompagnement que je viens d’énumérer sont hélas rarement appliquées.
86. Pendant la quatrième partie de session 2015 de l’Assemblée, j’ai eu le plaisir de rencontrer Mme Marija Obradović, membre de la délégation serbe, pour parler plus en détail du Réseau parlementaire des femmes qu’elle avait déjà présenté à la sous-commission sur l’égalité de genre en juin 2014. J’ai été une fois de plus impressionnée par l’enthousiasme et par l’engagement de notre collègue et par la pertinence des activités de ce Réseau pluripartite. J’y vois un bon exemple des possibilités de mise en place de mesures d’accompagnement par divers acteurs: pouvoirs publics, mais aussi partis politiques, organisations non gouvernementales, organisations internationales et même agences de coopération internationales.
87. Certaines des membres fondatrices du Réseau ont bénéficié de formations à la prise de parole en public et à d’autres savoir-faire nécessaires en politique, menées par une organisation non gouvernementale et financées par USAID, l’agence de coopération des Etats-Unis. Le Réseau lui-même organise régulièrement des activités de formation destinées aux femmes politiques, mais aussi aux entrepreneures. Les activités de formation sont d’une grande importance: je ne peux que saluer cette initiative et recommander de la reproduire dans d’autres contextes.
88. Par ailleurs, le Réseau réagit en publiant un communiqué chaque fois qu’une femme politique est la cible de propos haineux ou misogynes. De fait, il ne faut surtout pas sous-estimer de telles attaques personnelles, car, outre qu’elles ternissent l’image de la femme politique visée, elles perpétuent des stéréotypes négatifs et peuvent nuire à toutes les femmes. L’usage d’un «contre-discours», qu’il s’agisse de fournir des informations exactes face à de fausses rumeurs ou simplement de souligner que les propos tenus sont inacceptables, représente une pratique à recommander.
89. Les mesures d’accompagnement sont cruciales. Pour accroître la représentation politique des femmes, le seul recours aux mesures positives, sans s’attaquer aux racines du déséquilibre actuel entre les sexes, risque de devenir une pratique artificielle aux résultats incertains. Notre but à terme ne devrait pas être d’obliger les organes élus à accueillir davantage de femmes, mais d’atteindre une représentation équilibrée des sexes au sein des partis et institutions politiques à tous les niveaux. Cela suppose, entre autres, que les femmes et les hommes aient un niveau équivalent d’expérience et d’engagement politique et de relations personnelles. Les mesures d’accompagnement devraient viser à créer ces conditions préalables.
90. Le choix des mesures visant à accroître la participation politique des femmes et l’ordre de priorité de ces mesures devraient dépendre de la situation réelle et des obstacles auxquels les femmes sont confrontées dans tel ou tel contexte et non être dictés par des préférences abstraites, presque idéologiques. Selon le paysage économique, social et culturel de chaque pays, le principal obstacle peut tenir à une absence de mesures de conciliation entre travail et vie privée, rendant l’activité politique incompatible avec une vie de famille, à une forte résistance culturelle, ou encore à une réglementation sur les partis politiques particulièrement vague, sans incidence sur les pratiques traditionnelles qui ne se soucient pas de l’inégalité entre les sexes et rendant plus difficile pour les femmes d’obtenir une représentation à tous les niveaux des partis. Il est d’une importance cruciale d’analyser en profondeur la situation des femmes dans la vie publique et politique avant d’adopter de nouvelles législations et politiques. Seule une telle analyse peut garantir que les mesures adoptées soient à même de changer la situation.
91. De toute évidence, il existe aussi toute une série de facteurs socio-économiques, culturels et politiques qui peuvent gêner ou faciliter l’accès des femmes au parlement et à un mandat électif. La participation des femmes en politique dépend de facteurs tels que le statut socio-économique des femmes, leur niveau d’instruction ou leur part dans la population active. Les approches culturelles mentionnent des différences entre les sexes dans la socialisation politique et le rôle assigné à chacun des sexes dans la vie adulte, ainsi que l’importance dévolue à la religion ou aux traditions culturelles 
			(34) 
			Michael Krennerich, op. cit..
92. Il faut aussi compter avec les facteurs véritablement politiques, tels que les caractéristiques institutionnelles des démocraties et des systèmes de partis, le soutien prodigué par les partis ou la vigueur du mouvement féministe. Pour les femmes, deux des principaux obstacles sur la voie d’un mandat électif sont, comme nous l’avons vu au chapitre 8.1, la procédure de sélection des candidats par les partis et la nécessité de remporter les suffrages des électeurs, déterminés entre autres par la place des femmes dans la société et en politique.
93. La question cruciale est celle de savoir si et comment les quotas légaux, les quotas volontaires établis par les partis politiques, le système électoral et les autres mesures peuvent influencer et améliorer la représentation politique des femmes et leur participation à la vie politique.

10. Evaluation des mesures

94. L’analyse des politiques existantes est nécessaire, car ces politiques se révèlent parfois moins efficaces que prévu. Il convient de noter que l’évaluation des mesures doit être non seulement quantitative, c’est-à-dire axée sur la proportion de femmes dans les divers organes politiques décisionnels et représentatifs, mais aussi qualitative, pour savoir dans quelle mesure les femmes occupent des positions clés au sein de ces organes. Il faut donc tenir compte non seulement du pourcentage de femmes parlementaires mais aussi de la part de femmes parmi les présidents et vice-présidents de parlements, les chefs de groupes politiques, les présidents de commissions et autres personnes occupant des postes de pouvoir aux yeux du public.
95. L’évaluation de l’impact des mesures prises pour accroître la représentation politique des femmes passe donc par la définition d’indicateurs, qui peuvent être:
  • le nombre de femmes inscrites sur les listes électorales;
  • le nombre de femmes réellement élues au sein d’organes décisionnels;
  • les textes législatifs adoptés pour accroître la participation politique des femmes;
  • le nombre de femmes inscrites à des programmes de formation visant à encourager la participation à la politique (tels que les programmes de mentorat ou les programmes de formation aux médias);
  • le nombre de femmes occupant des postes clés.
96. La «représentation descriptive» des femmes, qui peut être quantifiée grâce aux indicateurs susmentionnés, n’indique pas automatiquement une volonté de faire progresser les droits des femmes 
			(35) 
			Commission
de Venise, Rapport sur «L’impact des systèmes électoraux sur la
représentation des femmes en politique», op.
cit.; voir en particulier le paragraphe 10 concernant
les termes «représentation descriptive» et «représentation substantielle».. La «représentation substantielle» des femmes reflète mieux la réalité de l’égalité des sexes en politique.

11. Les femmes dans les parlements nationaux d’Europe: comparaison 2005-2015

97. L’idée de comparer la représentation des femmes dans les parlements des Etats membres du Conseil de l’Europe aujourd’hui et à une date antérieure, issue des discussions au sein de la commission, m’a paru constituer une bonne base pour repérer les législations et politiques efficaces. Nous avons choisi de comparer la part de femmes dans les parlements des Etats membres du Conseil de l’Europe en 2005 et en 2015.
98. Le niveau global de représentation politique des femmes est en progression. Dans la très grande majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe, la proportion des femmes au parlement a augmenté sur les dix dernières années. Quatre pays seulement enregistrent un recul et on ne constate que deux cas, ceux de Chypre et de la Lettonie, où ce recul est très marqué. Dans le cas du Danemark et de la Suède, il ne s’agit que d’une légère variation de chiffres qui restent élevés. Cependant, la moyenne européenne n’a augmenté que d’un peu plus de 7 points au cours de la dernière décennie, passant de 18,4 % à 25,5 %.
99. Dans quelques pays, la progression est considérable. Andorre, par exemple, a vu sa part de femmes députées bondir de 14,3 % à 39,3 %; la Slovénie est passée de 12,2 % à 36,7 % et la Serbie de 7,9 % à 34 %. Ces pays méritent qu’on les examine de plus près pour comprendre ce qui a rendu une telle évolution possible.
100. En Serbie, la législation électorale a été modifiée en 2011 et des mesures positives ont été adoptées afin d’accroître la représentation des femmes. Il doit y avoir au moins un candidat du sexe sous-représenté pour chaque tranche de trois candidats sur une liste. Ce principe, qui concerne à la fois les élections nationales et locales, s’applique par tranches de trois noms consécutifs, pour que les candidats du sexe sous-représenté figurent sur toute la liste et non uniquement vers la fin. Si une liste ne remplit pas cette condition, la personne qui l’a présentée est invitée à y remédier et si elle ne le fait pas, la commission électorale nationale ne valide pas la liste.
101. En Slovénie, un système de quotas pour les élections législatives a été mis en place en 2006. En vertu des règles actuelles, il ne doit pas y avoir moins de 35 % de candidats d’un des deux sexes sur le nombre total de candidats d’une liste. Les sanctions sont sévères: si la liste ne respecte pas la loi, la commission électorale la rejette.
102. Les systèmes de quotas et l’application de sanctions effectives en cas de non-respect expliquent la forte montée de la représentation politique des femmes en Serbie et en Slovénie, fait intéressant puisqu’il pointe la manière d’obtenir des progrès substantiels et rapides. En revanche, l’augmentation encore plus importante observée en Andorre ne résulte pas de modifications radicales de la législation électorale. Elle s’explique plutôt, comme me l’ont appris le questionnaire du CERDP et des contacts avec des collègues et experts andorrans, par une évolution progressive de la culture et des mentalités, soutenue par des lois et des politiques appropriées. La loi de 2014 sur les partis politiques et le financement électoral, par exemple, énonce à l’article 13 («Fonctionnement démocratique») que les partis doivent prévoir dans leurs statuts la promotion de la parité des sexes. L’équilibre hommes-femmes dans la représentation politique fait partie des priorités des législateurs andorrans, mais ils semblent privilégier une approche «en douceur», via des dispositions générales et sans sanctions, qui porte manifestement ses fruits. Je ne peux que saluer l’évolution culturelle de ce pays et féliciter mes collègues pour la forte proportion de femmes parmi les membres du Conseil général d’Andorre.
103. Je reste néanmoins favorable à l’instauration de quotas, non seulement pour atteindre une représentation équilibrée des deux sexes mais aussi pour la maintenir à plus long terme. Les droits fondamentaux, comme nous le savons tous, ne sont jamais acquis une fois pour toutes, et le niveau de représentation politique des femmes peut facilement fluctuer. Le cas de la Turquie, que je vais maintenant présenter, illustre clairement ce risque.

12. Les élections législatives turques de novembre 2015: une leçon à retenir

104. Le 1er novembre 2015, j’ai participé à la mission d’observation des élections législatives turques par l’Assemblée parlementaire. J’y voyais une occasion d’en savoir plus sur la place des femmes en politique en Turquie, puisque les élections constituent un moment particulièrement fort de la vie d’une démocratie et peuvent aider à en comprendre le fonctionnement, y compris sous cet angle spécifique. Lors de la réunion préparatoire avec les représentants de tous les partis politiques, j’ai pu m’enquérir de leurs pratiques de sélection des candidats et du rôle des femmes dans leurs structures.
105. Des élections législatives anticipées ont été annoncées par le Conseil électoral supérieur le 25 août 2015. La campagne s’est déroulée dans un climat tendu, à la suite d’une forte recrudescence du conflit entre les forces de sécurité et les groupes d’insurgés kurdes après un processus de paix de deux ans et demi, et a été marquée par l’explosion de bombes lors d’une manifestation pour la paix à Ankara, le 10 octobre. Plus de cent personnes ont été tuées dans cet attentat terroriste, le plus meurtrier de l’histoire de la Turquie moderne.
106. Bien que la Constitution turque garantisse l’égalité des sexes, la nomination de candidates et la présence de femmes dans le fonctionnement des partis ne font l’objet d’aucune obligation légale spécifique. Certains partis politiques ont décidé d’eux-mêmes d’appliquer des quotas de femmes et autres mesures positives pour accroître la participation des femmes. L’exemple du HDP (Parti démocratique des peuples) est particulièrement intéressant. Il applique un quota de 50 % de femmes (plus un quota de 10 % de personnes LGBT) et un système de coprésidence: il est dirigé par deux personnes, une femme et un homme.
107. Une baisse de la proportion de candidates a pu être observée dans la plupart des partis politiques. Au total, 24 % des candidats figurant sur les listes de partis étaient des femmes, dont peu étaient bien placées sur la liste. Ces élections ont abouti à une forte baisse du nombre de femmes députées au Parlement turc. Les élections précédentes, en juin 2015, avaient vu 97 femmes entrer au parlement, soit 17 % des députés. Le nombre est passé à 82, soit 14,9 % des députés.
108. Comment expliquer des résultats aussi décevants? Comme l’écrit une observatrice politique dans le quotidien Hurriyet Daily News, «Dans les moments extrêmement tendus qui ont suivi les élections de juin, les partis politiques ont oublié les femmes dans leurs campagnes électorales. (…) Aucun des partis n’a fait figurer l’égalité des sexes dans ses documents de campagne, et ils n’ont vu aucun problème à diminuer le nombre de candidates sur leurs listes 
			(36) 
			Gila
Benmayor, «Nov 1 elections: A sad picture for women», Hurriyet Daily News, 3 novembre
2015, 
			(36) 
			<a href='http://www.hurriyetdailynews.com/nov-1-elections-a-sad-picture-for-women-.aspx?pageID=449&nID=90645&NewsCatID=402'>www.hurriyetdailynews.com/nov-1-elections-a-sad-picture-for-women-.aspx?pageID=449&nID=90645&NewsCatID=402</a>.». Même KaDer, groupe qui milite en faveur des femmes en politique quel que soit leur parti, a décidé de ne pas lancer de campagne pour les élections du 1er novembre comme il l’avait fait pour d’autres scrutins, «en raison des attentats sanglants de Suruç et d’Ankara et parce qu’il ne semblait pas judicieux de se centrer sur les femmes candidates dans la spirale de violence que le pays traversait», selon sa présidente Gönül Karahanoğlu.
109. L’importance de ces élections a aussi eu un impact sur le choix des candidats. Les enjeux étaient si élevés pour les différents partis politiques, non seulement l’AKP, qui avait perdu sa majorité absolue lors des élections de juin et cherchait à la retrouver, mais aussi ses principaux concurrents, que la plupart n’ont pas voulu «prendre le risque» de perdre des voix en désignant des femmes.
110. L’observation des élections en Turquie, que je voyais comme un moyen d’en savoir plus sur la représentation politique des femmes dans ce pays, m’a finalement appris une leçon plus générale, qui s’applique selon moi à la majorité des pays. Pour diverses raisons que je me suis déjà efforcée de présenter, comme le manque de relations personnelles et de financement, des obstacles au sein des partis politiques et des facteurs culturels à l’œuvre dans l’ensemble de la société, dont les stéréotypes sur chaque sexe, les femmes sont toujours le maillon faible du système politique. Leur place dans le scénario politique ressemble souvent à une faveur, concédée par les hommes qui contrôlent les structures, et reste précaire. A tout moment, une situation particulièrement critique peut remettre en question la représentation des femmes. En période difficile, les hommes politiques sont tentés de reprendre l’espace que les femmes avaient réussi à conquérir et d’élargir leur propre influence. Les quotas sont probablement la meilleure réponse à ce défi. Non seulement ils garantissent aux femmes une place adéquate dans les organes élus, mais ils les mettent à l’abri des changements de contexte qui menacent de remettre en question l’équilibre des pouvoirs.

13. Suède: l’ambition de s’améliorer sans cesse

111. J’ai mené les 10 et 11 novembre 2015 une mission d’information en Suède. J’ai choisi ce pays pour son engagement de longue date à promouvoir l’égalité des sexes, y compris dans la représentation politique. Comme déjà mentionné, la Suède affiche le meilleur indice d’égalité hommes-femmes selon les derniers calculs réalisés par l’EIGE (Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes, Union européenne), avec un score de 74,3 sur 100 (contre 54 pour la moyenne de l’Union européenne). La représentation politique des femmes relève du «pouvoir», l’un des six domaines clés entrant dans le calcul de l’indice (avec le travail, l’argent, le savoir, le temps et la santé).
112. Ces résultats ne sont pas arrivés du jour au lendemain, et ne tiennent pas non plus à une formule magique. Les responsables politiques et autres interlocuteurs que j’ai rencontrés à Stockholm soulignent les liens étroits qui existent entre la représentation politique des femmes et leur situation dans la société suédoise. Selon eux, l’augmentation constante de la représentation des femmes au parlement depuis les années 1920 (sauf lors d’un scrutin au début des années 1990) s’explique aussi par leur importance croissante sur le marché du travail et dans la sphère publique en général. Comme me l’a expliqué la politologue Lenita Freidenvall, de l’université de Stockholm, le niveau relativement élevé de représentation des femmes dans les pays nordiques résulte de la combinaison de multiples facteurs: institutionnels (système électoral, système des partis, règlements internes et procédures de sélection des candidats des partis politiques), socio-économiques (niveaux d’instruction élevés, fort taux d’activité professionnelle, Etat providence) et culturels (culture de l’égalité entre les sexes, égalitarisme, laïcité), ainsi que de l’engagement des acteurs concernés, tels que les partis politiques et leurs sections féminines et les organisations de la société civile.
113. Une succession de réformes visant à améliorer l’égalité des sexes, aussi bien dans le cadre familial qu’en dehors, a contribué à faire une place aux femmes dans la sphère publique. Parmi ces réformes, il faut citer notamment l’instauration de l’imposition individuelle (par opposition à l’imposition commune, pour les couples mariés), en 1971; le congé parental, en 1974 (suivi de mesures pour encourager les pères à prendre un tel congé); la loi sur l’égalité des sexes, en 1979; la loi contre la discrimination fondée sur le sexe en milieu professionnel, en 1980; la loi sur la violence envers les femmes, en 1998; la mise en place d’un Médiateur pour l’égalité des sexes, en 1980 (depuis remplacé par le Médiateur anti-discrimination) et l’interdiction de l’achat de services sexuels, en 1999. En 2011, la Suède a signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (STE no 210), qu’elle a ratifiée en 2014. En 2014, le gouvernement a aussi proposé un système amélioré de suivi des objectifs d’égalité entre les sexes.
114. Les partis politiques ont activement contribué à ce processus en prenant l’initiative d’appliquer des quotas ou des «recommandations» (qui invitent les instances chargées du choix des candidats à respecter certaines proportions de candidats hommes et femmes).
115. Pour parvenir à l’égalité entre les sexes en politique, la Suède a intégré la prise en compte de l’égalité des sexes à tous les domaines de la société: hommes et femmes ont la même capacité à influer sur la société et sur leur propre vie 
			(37) 
			Femmes et hommes en
Suède, faits et chiffres 2014, Bureau central de la Statistique
de Suède, 2014..
116. Un groupe de travail sur les questions d’égalité des sexes, la Commission du président du parlement pour les questions d’égalité des sexes, a été créé au Parlement suédois en 2003. Le Bureau du Riksdag, principal organe décisionnel du parlement, a adopté un Plan pour l’égalité des sexes. Parmi ses résultats les plus importants, on peut citer la mise à disposition de services de garde d’enfants au parlement, des horaires de vote fixes, une semaine sans séance plénière par mois, le droit au congé parental et des séminaires et réunions sur les questions d’égalité des sexes. Un nouveau Plan pour l’égalité des sexes couvre actuellement la période 2014-2018 
			(38) 
			Sveriges Riksdag –
Gender Equality in Sweden and the Swedish Parliament..
117. Tous mes interlocuteurs au cours de la visite considèrent que, malgré les remarquables progrès accomplis à ce jour, il reste encore des points à améliorer. Il y a toujours des distorsions sur le marché du travail, où règnent des inégalités horizontales et verticales, et hommes et femmes n’ont toujours pas le même salaire à travail égal. Parvenir à l’égalité des sexes reste une grande priorité, devenue un pilier de l’action de l’administration actuelle: le gouvernement dirigé par le Premier ministre Stefan Löfven se définit comme un «gouvernement féministe». Les mesures en faveur de l’égalité des sexes sont généralement soutenues par tout l’éventail des partis, à la seule exception du parti d’extrême-droite Démocrates de Suède.
118. Chaque membre du Gouvernement suédois est responsable de l’égalité des sexes dans son principal domaine, et les politiques en la matière sont coordonnées par le ministère de l’Egalité des sexes. La division de l’Egalité des sexes est chargée de coordonner les travaux du gouvernement en ce sens, les initiatives spécifiques en faveur de l’égalité des sexes et l’élaboration de méthodes de mise en œuvre des politiques gouvernementales dans ce domaine. Des experts des questions d’égalité des sexes sont présents dans chaque organe administratif du pays. Le Bureau du Médiateur anti-discrimination veille au respect de la législation anti-discrimination et de la loi sur le congé parental. Il existe un Conseil contre la discrimination, qui peut imposer des amendes aux employeurs et éducateurs qui ne prennent pas de mesures actives pour empêcher les discriminations 
			(39) 
			Femmes et hommes en
Suède, faits et chiffres 2014, Bureau central de la Statistique
de Suède, 2014. .
119. Un parti nommé Initiative féministe a été créé en 2005. Il n’est actuellement pas représenté au Parlement suédois mais siège dans plusieurs conseils municipaux et a même remporté un siège au Parlement européen. Mme Gita Nabavi, membre Initiative féministe du conseil municipal de Stockholm, m’a expliqué que son parti voyait dans le féminisme une doctrine politique à part entière, comme le libéralisme ou le socialisme. Pour elle, ce mouvement a été lancé pour combler un vide dans le paysage politique suédois, qui n’avait pas de parti «d’essence féministe». Les responsables politiques que j’ai rencontrés ne semblaient ni effrayés ni gênés par la présence d’Initiative féministe. J’ai le sentiment que ce parti relativement nouveau, avec ses membres peu nombreux mais très motivés et ses méthodes peu conventionnelles (présence constante sur les réseaux sociaux, réunion de style «Tupperware» chez des particuliers où les militantes sont prêtes à présenter leur programme à un public réduit), a contribué à attirer encore davantage l’attention sur l’égalité des sexes.
120. Les réflexions culturelles et politiques sur la façon d’améliorer la représentation politique des femmes se poursuivent. Certains soulèvent même parfois la question de savoir pourquoi les femmes et les hommes devraient être représentés de manière égale dans les organes élus, avec des réponses diverses. Experts et parlementaires notent que les motivations traditionnelles, comme l’idée qu’une représentation plus diverse aurait un impact positif sur la qualité de la législation ou que la présence de davantage de femmes politiques réduirait la corruption, ne sont pas nécessairement les mieux fondées. Des attentes trop grandes peuvent même s’avérer contre-productives. Mes interlocuteurs ont souligné qu’en fait, la meilleure raison d’appeler à une plus forte présence des femmes en politique était l’équité de la représentation démocratique: hommes et femmes devraient tout simplement être représentés de façon proportionnelle en politique.
121. J’ai été également très intéressée par l’analyse d’une autre politologue, Elin Bjarnegård, de l’université d’Uppsala. D’après elle, les politiques adoptées ne devraient pas seulement tenir compte des aspects formels, comme la législation ou les règles inscrites dans les statuts des partis. Des facteurs informels, comme les réseaux personnels et les pratiques traditionnelles, ont aussi un impact crucial sur la réalité de la représentation politique. La promotion de l’égalité des sexes est même devenue partie intégrante de la politique étrangère suédoise, puisqu’elle figure dans le mandat de l’Ambassadeur pour l’égalité et Coordinateur de la politique étrangère féministe au sein du ministère des Affaires étrangères. Même avant de mettre officiellement en place sa diplomatie de l’égalité des sexes, la Suède avait intégré cet aspect à ses activités internationales dans le cadre de sa coopération au développement.
122. Je suis repartie de Suède avec des idées nouvelles et la confirmation de ce en quoi je croyais déjà. L’engagement de tous les acteurs, au niveau du gouvernement, du parlement et de la société civile, m’a clairement paru la meilleure façon de garantir des progrès pérennes. La généralisation de l’égalité des sexes semble constituer l’un des piliers de l’action du gouvernement, qui repose depuis des décennies sur une approche réellement globale. Les politiques et la législation tiennent compte des liens étroits qui existent entre vie privé, professionnelle et publique. Mon expérience suédoise m’a appris que même lorsque des progrès substantiels ont été réalisés, il est possible d’aller plus loin, et les réalisations doivent être consolidées.

14. Après les quotas: place à la parité?

123. L’Assemblée parlementaire a constamment soutenu l’adoption de mesures positives, en particulier les quotas, pour accroître la représentation politique des femmes. La Résolution 1825 (2011) «Davantage de femmes dans les instances de décision économiques et sociales» résume cette position comme suit: «L’Assemblée est d’avis que les quotas constituent une exception transitoire mais nécessaire pour permettre une discrimination positive, en vue de favoriser un changement de mentalité et de réaliser l’égalité de droit et de fait entre les femmes et les hommes.» Trois mots sont essentiels ici: «nécessaire», «exception» et «transitoire». J’ai donné suffisamment d’éléments dans ce rapport pour justifier la nécessité des mesures positives.
124. Je partage l’opinion selon laquelle les quotas devraient être provisoires, car tous les seuils fixés pour un sexe (20 %, 30 %, 40 %…) sont arbitraires et vont à l’encontre de l’égalité des sexes sur le long terme. Puisqu’il y a à peu près autant d’hommes que de femmes dans la population, la représentation politique de chaque sexe n’est proportionnelle que si les instances élues se composent pour moitié de chaque sexe. Je me demande par conséquent si, après une phase transitoire de quotas, nous ne devrions pas envisager le passage à la parité des sexes et demander à ce que les gouvernements et les organes élus, en particulier les parlements, se composent autant que possible d’une moitié de femmes et d’une moitié d’hommes. Personnellement, j’observe avec grand intérêt les évolutions récentes du droit constitutionnel en Amérique latine.
125. Le 10 février 2014, le Mexique a adopté un amendement à l’article 41 de la Constitution fédérale prévoyant que les partis politiques mettent en place «des règles pour assurer la parité des sexes dans la nomination des candidats aux élections législatives fédérales et locales». Deux éléments attirent notre attention ici: premièrement la référence à la «parité», et deuxièmement le fait que l’obligation d’assurer la parité des sexes revienne aux partis politiques. Ils sont reconnus comme des acteurs clés dans ce domaine. Outre le Mexique, six pays d’Amérique latine – la Bolivie, le Costa Rica, l’Equateur, le Honduras, le Nicaragua et Panama – sont récemment passés de quotas légaux à des régimes de parité, en inscrivant le principe de la parité de genre dans leur Constitution ou dans leur législation électorale.
126. En France, la loi de 2013 sur l’élection des membres des assemblées départementales a créé les «binômes»: les candidats se présentent par deux, un homme et une femme. Cette réforme innovante et ambitieuse constitue un exemple intéressant d’application du principe de parité en Europe. La vive opposition qu’elle a suscitée dans certains secteurs de l’arène politique française semble montrer que les nouvelles règles pourraient avoir un impact réel sur l’équilibre des pouvoirs installés de longue date entre hommes et femmes politiques, au moins au niveau local. J’espère que le «binôme», testé pour la première fois lors des élections départementales de 2015, s’avérera un succès et sera utilisé pour l’élection d’autres instances françaises. Je juge également souhaitable que les Etats membres du Conseil de l’Europe s’inspirent de cet exemple.

15. Conclusions

127. Parvenir à l’égalité des sexes, y compris dans le domaine de la représentation politique, est un objectif qui recueille un consensus de plus en plus large. L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) oblige les Etats membres du Conseil de l’Europe à assurer la jouissance des droits fondamentaux sans discrimination, fondée notamment sur le sexe. Cet engagement à promouvoir l’égalité des sexes et à améliorer la représentation politique des femmes est souvent réitéré par des dirigeants politiques, des parlementaires et des membres de gouvernements. Aujourd’hui, la question est de savoir comment accélérer les progrès concrets, qui sont à présent d’une lenteur intolérable. Le 30 août 2015, la Dixième réunion des présidentes de parlement a appelé à la réalisation complète de l’égalité des sexes en une génération et à l’«unité de pensée et d’action», en tant que puissant agent de changement.
128. Je voudrais lancer cet appel moi-même: l’unité d’action signifie l’unité de tous les acteurs, en particulier les législateurs et les décideurs, sans distinction de sexe et d’affiliation politique. Je crois que l’égalité des sexes est de plus en plus soutenue dans la plupart des pays à travers tout l’éventail politique. Toutefois, il est nécessaire de trouver les meilleurs moyens de parvenir à cet objectif. Cela requiert une bonne évaluation des mesures déjà mises en place. Il convient également de procéder à une analyse en profondeur de la situation afin d’identifier les causes d’inégalité.
129. L’unité d’action implique également que la question de la représentation politique des femmes, souvent considérée sous l’angle de la proportion de femmes dans les parlements et les gouvernements nationaux, se pose dans tous les contextes, y compris aux niveaux local et régional et dans toute la société.
130. Les études que j’ai effectuées, les discussions au sein de la commission et plusieurs auditions fructueuses ont indiqué clairement que, lorsque diverses mesures positives sont mises en place afin d’accroître la représentation politique des femmes, il est nécessaire d’assurer un suivi constant de l’application de ces mesures et d’infliger des sanctions réelles en cas de non-respect. Il est en outre nécessaire d’éviter les échappatoires qui pourraient exister dans les lois concernées. Comme les progrès dans la représentation des femmes déclenchent souvent des résistances, les partis politiques et autres parties prenantes se servent des failles existant dans les mesures de discrimination positive pour contourner les obligations prévues et perpétuer les pratiques traditionnelles de discrimination.
131. Par ailleurs, des mesures d’accompagnement sont nécessaires, d’une part pour que les mesures positives fonctionnent et, d’autre part, pour qu’elles aient un effet à long terme. Il s’agit d’activités de formation et de sensibilisation pour développer les compétences et les aptitudes des femmes, de l’affectation de ressources et de financements à la promotion des travaux et des activités de campagne des femmes politiques et de mesures favorisant la conciliation de l’action politique avec la vie de famille, en particulier dans les organes décisionnels majeurs.
132. Je voudrais insister sur le fait que les obstacles auxquels se heurtent les femmes politiques pour accéder et pour mener des activités politiques varient selon les pays. Ils sont étroitement liés aux différents contextes culturels, économiques et politiques ainsi qu’aux systèmes électoraux. Si les défis auxquels les femmes sont confrontées sont divers, la réponse devrait varier en conséquence. En d’autres termes, il n’existe pas une seule approche à la promotion de la représentation politique des femmes. Une combinaison de mesures positives, en particulier des quotas, et de mesures d’accompagnement, est nécessaire. En même temps, afin de parvenir à l’égalité de genre en politique, il faut adopter une approche globale et une perspective d’égalité de genre dans tous les autres domaines de la société.