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Résolution 2110 (2016)
Les droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique
1. L’Assemblée parlementaire salue
le fait que, grâce à internet, les auteurs d’œuvres créatives et
les titulaires de droits de propriété intellectuelle sont à même
de proposer au niveau mondial des œuvres de création auxquelles
les utilisateurs peuvent accéder instantanément – par l’intermédiaire
de dispositifs d’accès fixes ou mobiles peu onéreux – depuis n’importe
quel point du globe. L’Assemblée note cependant avec préoccupation
une diminution de la production et de la diversité des œuvres en
raison d’un déséquilibre géographique et de changements au niveau
de leur production, donnant lieu à l’émergence de quelques acteurs
du marché trop dominants et à la concentration des industries créatives
dans quelques parties du monde.
2. L’Assemblée est également préoccupée par l’érosion de fait
des droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique, un phénomène
facilité par des réformes législatives qui les ont fragilisés. La
propriété intellectuelle constitue une valeur culturelle et un atout
économique importants en Europe, de sorte que l’érosion des droits de
propriété intellectuelle aurait des effets extrêmement néfastes
sur l’ensemble de la population européenne.
3. L’Assemblée rappelle que la propriété intellectuelle est protégée
par l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 9); l’exercice
concret de ce droit de l’homme peut exiger que les Etats membres
adoptent des mesures de protection positives contre les ingérences
par des tiers.
4. L’Assemblée réaffirme que les services numériques ne sont
pas fournis dans un nuage imaginaire dépourvu de frontières, mais
constituent de réelles prestations mêlant de véritables producteurs,
distributeurs et clients qui résident tous dans un pays doté d’un
système juridique spécifique. Il est donc nécessaire et légitime
que les Etats appliquent à ces services les dispositions de leur
droit interne, y compris celles relatives à la propriété intellectuelle,
à la protection du consommateur et à la fiscalité. La localisation
géographique des services numériques et de leur contenu, ainsi que
leur éventuel blocage géographique constituent par conséquent un
moyen approprié de prévenir le contournement et la violation du
droit interne, étant donné que l’application territoriale des droits
de propriété intellectuelle vaut également dans le cyberespace.
5. L’Assemblée apprécie la multiplication des communications
entre êtres humains inhérente au recours à des plates-formes et
des réseaux sociaux basés sur internet et proposant un contenu généré
par l’utilisateur; elle rappelle que les utilisateurs sont les détenteurs
des droits sur leurs œuvres qu’ils ont postées sur ces réseaux et
plates-formes, ainsi que sur leurs données personnelles, à moins
qu’ils n’aient expressément renoncé à ces droits. Les utilisateurs
sont de même les principaux responsables du respect des droits de propriété
intellectuelle des tiers, notamment lorsqu’ils jouent un rôle actif
dans la diffusion de leur contenu. Rappelant la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée souligne que
les fournisseurs de services sur internet sont également tenus responsables
de la violation des droits de propriété intellectuelle dès lors
qu’ils en retirent sciemment un avantage commercial ou autre.
6. L’Assemblée reconnaît que la licence libre d’œuvres créatives
peut constituer une option pour le détenteur des droits d’auteur
correspondants, dès lors que l’intéressé désire expressément partager
son œuvre avec d’autres. Dans la mesure où cette option est plus
facile à mettre en place pour les individus, institutions ou entreprises
disposant de moyens financiers importants, son impact potentiellement
limitant le pluralisme des œuvres devrait donc être pris en considération.
L’Assemblée considère également que, en proposant des solutions
technologiques à l’érosion de fait des droits de propriété intellectuelle,
le secteur privé peut jouer un rôle important pour éviter une législation
plus contraignante et une jurisprudence plus stricte des tribunaux
compétents.
7. Tenant compte des initiatives législatives en cours au sein
de l’Union européenne par le biais de sa Commission et de son Parlement,
et se référant à la protection des droits de propriété intellectuelle
garantie par l’article 17.2 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne, qui lie tous les organes de l’Union européenne,
l’Assemblée souligne:
7.1. que la
transposition et l’application en droit interne du droit de l’Union
européenne doivent être conformes à la Convention européenne des
droits de l’homme et, en particulier, à l’article 1 de son Protocole
additionnel;
7.2. que l’Office européen des brevets ainsi que les dispositions
de la Directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété
intellectuelle devraient être renforcés dans le cadre de l’article
118 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui appelle
à l’établissement de mesures relatives à la création de droits de
propriété intellectuelle à l’échelle de l'Union européenne, et à
la mise en place de régimes d'autorisation, de coordination et de
contrôle centralisés au niveau de l'Union européenne;
7.3. que la Convention européenne sur la protection juridique
des services à accès conditionnel et des services d’accès conditionnel
(STE no 178), entrée en vigueur dans
l’Union européenne le 1er janvier 2016,
devrait être mise à profit pour renforcer la protection des droits
de propriété intellectuelle;
7.4. que les efforts déployés en vue de créer un marché numérique
unique dans l’Union européenne ne devraient pas privilégier les
services en ligne par rapport aux médias écrits hors ligne, au film
et au cinéma ou aux services audiovisuels terrestres, mais éviter
de fausser la concurrence, en tenant dûment compte de la domination
possible de «gardiens» (gatekeepers) sur
les services en ligne et de l’impact de ces derniers sur le pluralisme
des œuvres de création et des expressions culturelles;
7.5. que les accords de licence au niveau européen devraient
être soutenus afin de faciliter la portabilité transfrontalière
du contenu et des services en ligne.
8. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
8.1. de promouvoir la sensibilisation
du public, notamment des utilisateurs d’internet, au droit fondamental
que constitue la protection de la propriété intellectuelle et à
l’importance de ce droit pour la diversité culturelle et le bien-être
économique de nos sociétés;
8.2. de promouvoir l’identification électronique des droits
de propriété intellectuelle sur internet en soutenant des systèmes
techniques facilement accessibles conçus à cette fin et en renforçant
la sensibilisation des auteurs d’œuvres à cette fonctionnalité;
8.3. d’adopter les mesures législatives et autres pouvant s’avérer
nécessaires pour établir en droit interne l’infraction pénale de
violation des droits de propriété intellectuelle;
8.4. d’adopter des mesures dissuasives ciblant les exploitants
de plates-formes et de réseaux sociaux basés sur internet et diffusant
un contenu généré par l’utilisateur dès lors que ces exploitants bénéficient
financièrement d’un contenu illégal posté sur leurs sites;
8.5. de promouvoir des procédures permettant de porter plainte
en ligne auprès des services répressifs ainsi que l’ouverture par
les fournisseurs de services internet de numéros d’appel dédiés permettant
de signaler toute violation de droits de propriété intellectuelle
commise au moyen de leurs services;
8.6. d’élaborer des procédures de règlement en ligne des différends
en cas de violation en ligne des droits de propriété intellectuelle,
conformément à la Résolution
2081 (2015) de l’Assemblée «L’accès à la justice et internet:
potentiels et défis»;
8.7. de renforcer de manière ouverte et transparente leur participation
multilatérale aux efforts de coopération internationale en matière
de protection des droits de propriété intellectuelle;
8.8. de veiller à ce que l’article 1 du Protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme soit respecté en
droit et en pratique en cas de négociation et de mise en œuvre de
traités internationaux affectant les droits de propriété intellectuelle,
y compris des accords de libre-échange tels que le Partenariat transatlantique
de commerce et d’investissement (TTIP);
8.9. de veiller à ce que la protection des secrets commerciaux,
tels qu’ils sont par exemple mentionnés dans l’article 39 de l’Accord
sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au
commerce (Accord ADPIC), ne limite pas indûment les droits du public
d’avoir accès à des informations en vertu de l’article 10 de la
Convention européenne des droits de l’homme.
9. L’Assemblée appelle les auteurs d’œuvres de création, les
détenteurs de droits, les organismes gérant des droits collectifs
et les agences de concession de licences, ainsi que les fournisseurs
de services internet (y compris les plates-formes et les réseaux
sociaux diffusant du contenu généré par l’utilisateur), à recourir
à des solutions techniques d’identification en ligne des droits
de propriété intellectuelle. On peut notamment citer, à titre d’exemple,
les technologies dites «de gestion des droits numériques» qui permettent
de communiquer l’information requise aux utilisateurs et d’empêcher
ces derniers de commettre des actes non autorisés. Les plates-formes
et les réseaux sociaux fondés sur un contenu généré par l’utilisateur
devraient responsabiliser les internautes en leur communiquant automatiquement
par défaut ces données d’identification. L’Assemblée appelle également
ces organes à adhérer à la charte de régulation «Principles for User-Generated Content Services» (principes
pour les services qui mettent en ligne le contenu généré par les
utilisateurs) signée en 2007, contre les contenus générés par l’utilisateur
qui sont illégaux.