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Résolution 2110 (2016)

Les droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique

Auteur(s) : Assemblée parlementaire

Origine - Discussion par l’Assemblée le 20 avril 2016 (15e séance) (voir Doc. 14009, rapport de la commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias, rapporteur: M. Axel E. Fischer). Texte adopté par l’Assemblée le 20 avril 2016 (15e séance).Voir également la Recommandation 2089 (2016).

1. L’Assemblée parlementaire salue le fait que, grâce à internet, les auteurs d’œuvres créatives et les titulaires de droits de propriété intellectuelle sont à même de proposer au niveau mondial des œuvres de création auxquelles les utilisateurs peuvent accéder instantanément – par l’intermédiaire de dispositifs d’accès fixes ou mobiles peu onéreux – depuis n’importe quel point du globe. L’Assemblée note cependant avec préoccupation une diminution de la production et de la diversité des œuvres en raison d’un déséquilibre géographique et de changements au niveau de leur production, donnant lieu à l’émergence de quelques acteurs du marché trop dominants et à la concentration des industries créatives dans quelques parties du monde.
2. L’Assemblée est également préoccupée par l’érosion de fait des droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique, un phénomène facilité par des réformes législatives qui les ont fragilisés. La propriété intellectuelle constitue une valeur culturelle et un atout économique importants en Europe, de sorte que l’érosion des droits de propriété intellectuelle aurait des effets extrêmement néfastes sur l’ensemble de la population européenne.
3. L’Assemblée rappelle que la propriété intellectuelle est protégée par l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 9); l’exercice concret de ce droit de l’homme peut exiger que les Etats membres adoptent des mesures de protection positives contre les ingérences par des tiers.
4. L’Assemblée réaffirme que les services numériques ne sont pas fournis dans un nuage imaginaire dépourvu de frontières, mais constituent de réelles prestations mêlant de véritables producteurs, distributeurs et clients qui résident tous dans un pays doté d’un système juridique spécifique. Il est donc nécessaire et légitime que les Etats appliquent à ces services les dispositions de leur droit interne, y compris celles relatives à la propriété intellectuelle, à la protection du consommateur et à la fiscalité. La localisation géographique des services numériques et de leur contenu, ainsi que leur éventuel blocage géographique constituent par conséquent un moyen approprié de prévenir le contournement et la violation du droit interne, étant donné que l’application territoriale des droits de propriété intellectuelle vaut également dans le cyberespace.
5. L’Assemblée apprécie la multiplication des communications entre êtres humains inhérente au recours à des plates-formes et des réseaux sociaux basés sur internet et proposant un contenu généré par l’utilisateur; elle rappelle que les utilisateurs sont les détenteurs des droits sur leurs œuvres qu’ils ont postées sur ces réseaux et plates-formes, ainsi que sur leurs données personnelles, à moins qu’ils n’aient expressément renoncé à ces droits. Les utilisateurs sont de même les principaux responsables du respect des droits de propriété intellectuelle des tiers, notamment lorsqu’ils jouent un rôle actif dans la diffusion de leur contenu. Rappelant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’Assemblée souligne que les fournisseurs de services sur internet sont également tenus responsables de la violation des droits de propriété intellectuelle dès lors qu’ils en retirent sciemment un avantage commercial ou autre.
6. L’Assemblée reconnaît que la licence libre d’œuvres créatives peut constituer une option pour le détenteur des droits d’auteur correspondants, dès lors que l’intéressé désire expressément partager son œuvre avec d’autres. Dans la mesure où cette option est plus facile à mettre en place pour les individus, institutions ou entreprises disposant de moyens financiers importants, son impact potentiellement limitant le pluralisme des œuvres devrait donc être pris en considération. L’Assemblée considère également que, en proposant des solutions technologiques à l’érosion de fait des droits de propriété intellectuelle, le secteur privé peut jouer un rôle important pour éviter une législation plus contraignante et une jurisprudence plus stricte des tribunaux compétents.
7. Tenant compte des initiatives législatives en cours au sein de l’Union européenne par le biais de sa Commission et de son Parlement, et se référant à la protection des droits de propriété intellectuelle garantie par l’article 17.2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui lie tous les organes de l’Union européenne, l’Assemblée souligne:
7.1. que la transposition et l’application en droit interne du droit de l’Union européenne doivent être conformes à la Convention européenne des droits de l’homme et, en particulier, à l’article 1 de son Protocole additionnel;
7.2. que l’Office européen des brevets ainsi que les dispositions de la Directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle devraient être renforcés dans le cadre de l’article 118 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui appelle à l’établissement de mesures relatives à la création de droits de propriété intellectuelle à l’échelle de l'Union européenne, et à la mise en place de régimes d'autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l'Union européenne;
7.3. que la Convention européenne sur la protection juridique des services à accès conditionnel et des services d’accès conditionnel (STE no 178), entrée en vigueur dans l’Union européenne le 1er janvier 2016, devrait être mise à profit pour renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle;
7.4. que les efforts déployés en vue de créer un marché numérique unique dans l’Union européenne ne devraient pas privilégier les services en ligne par rapport aux médias écrits hors ligne, au film et au cinéma ou aux services audiovisuels terrestres, mais éviter de fausser la concurrence, en tenant dûment compte de la domination possible de «gardiens» (gatekeepers) sur les services en ligne et de l’impact de ces derniers sur le pluralisme des œuvres de création et des expressions culturelles;
7.5. que les accords de licence au niveau européen devraient être soutenus afin de faciliter la portabilité transfrontalière du contenu et des services en ligne.
8. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux Etats membres:
8.1. de promouvoir la sensibilisation du public, notamment des utilisateurs d’internet, au droit fondamental que constitue la protection de la propriété intellectuelle et à l’importance de ce droit pour la diversité culturelle et le bien-être économique de nos sociétés;
8.2. de promouvoir l’identification électronique des droits de propriété intellectuelle sur internet en soutenant des systèmes techniques facilement accessibles conçus à cette fin et en renforçant la sensibilisation des auteurs d’œuvres à cette fonctionnalité;
8.3. d’adopter les mesures législatives et autres pouvant s’avérer nécessaires pour établir en droit interne l’infraction pénale de violation des droits de propriété intellectuelle;
8.4. d’adopter des mesures dissuasives ciblant les exploitants de plates-formes et de réseaux sociaux basés sur internet et diffusant un contenu généré par l’utilisateur dès lors que ces exploitants bénéficient financièrement d’un contenu illégal posté sur leurs sites;
8.5. de promouvoir des procédures permettant de porter plainte en ligne auprès des services répressifs ainsi que l’ouverture par les fournisseurs de services internet de numéros d’appel dédiés permettant de signaler toute violation de droits de propriété intellectuelle commise au moyen de leurs services;
8.6. d’élaborer des procédures de règlement en ligne des différends en cas de violation en ligne des droits de propriété intellectuelle, conformément à la Résolution 2081 (2015) de l’Assemblée «L’accès à la justice et internet: potentiels et défis»;
8.7. de renforcer de manière ouverte et transparente leur participation multilatérale aux efforts de coopération internationale en matière de protection des droits de propriété intellectuelle;
8.8. de veiller à ce que l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme soit respecté en droit et en pratique en cas de négociation et de mise en œuvre de traités internationaux affectant les droits de propriété intellectuelle, y compris des accords de libre-échange tels que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP);
8.9. de veiller à ce que la protection des secrets commerciaux, tels qu’ils sont par exemple mentionnés dans l’article 39 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Accord ADPIC), ne limite pas indûment les droits du public d’avoir accès à des informations en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
9. L’Assemblée appelle les auteurs d’œuvres de création, les détenteurs de droits, les organismes gérant des droits collectifs et les agences de concession de licences, ainsi que les fournisseurs de services internet (y compris les plates-formes et les réseaux sociaux diffusant du contenu généré par l’utilisateur), à recourir à des solutions techniques d’identification en ligne des droits de propriété intellectuelle. On peut notamment citer, à titre d’exemple, les technologies dites «de gestion des droits numériques» qui permettent de communiquer l’information requise aux utilisateurs et d’empêcher ces derniers de commettre des actes non autorisés. Les plates-formes et les réseaux sociaux fondés sur un contenu généré par l’utilisateur devraient responsabiliser les internautes en leur communiquant automatiquement par défaut ces données d’identification. L’Assemblée appelle également ces organes à adhérer à la charte de régulation «Principles for User-Generated Content Services» (principes pour les services qui mettent en ligne le contenu généré par les utilisateurs) signée en 2007, contre les contenus générés par l’utilisateur qui sont illégaux.