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Rapport | Doc. 14077 | 06 juin 2016

La nature du mandat des membres de l'Assemblée parlementaire

Commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles

Rapporteure : Mme Nataša VUČKOVIĆ, Serbie, SOC

Origine - Renvoi en commission : Renvoi 4018 du 27 janvier 2014. 2016 - Troisième partie de session

Résumé

Dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, les parlementaires nationaux exercent un mandat représentatif, qui a pour caractéristiques d’être général, libre et non révocable. Ils sont réputés être libres de leur décision qui s’incarne dans leur vote, et n’être liés par aucun engagement, aucun ordre, aucune consigne ou instruction, qu’ils émanent de leurs électeurs, ou de leur parti ou groupe politique au sein du parlement.

Le présent rapport fait le point sur les conditions d’exercice du mandat parlementaire, en mettant en avant la problématique de l’indépendance et de la liberté d’expression des parlementaires, et de leurs limites, plus spécifiquement sous l’angle de la nature de leurs relations avec les partis politiques. La discipline partisane est une réalité incontournable du mode de fonctionnement actuel de l’institution parlementaire, qui peut conduire à l’instauration d’une certaine forme de «mandat impératif», à travers les pressions s’exerçant sur les élus et les menaces de sanctions.

Ces dernières années, des dérives se sont produites au sein de délégations à l’Assemblée mettant en évidence les lacunes et les manquements des réglementations internes, ou les pratiques existantes, des parlements nationaux concernés, en ce qui concerne la désignation des délégations nationales, la composition des commissions, et la participation de leurs membres aux sessions de l’Assemblée et aux réunions des commissions. Dans l’exercice de leur mandat à l’Assemblée, les membres doivent bénéficier d’un statut protecteur comportant la reconnaissance d’un certain nombre de principes généraux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 17 mai 2016.

(open)
1. Le Statut du Conseil de l’Europe (STE no 1) et le Règlement de l’Assemblée parlementaire, qui a pour objet d’établir et de régir les compétences des organes de l’Assemblée et les procédures parlementaires, sont silencieux quant au statut des membres de l’Assemblée et la nature de leur mandat, se limitant à spécifier que les membres de l’Assemblée sont élus au sein du parlement national ou fédéral ou désignés parmi leurs membres (article 25 du Statut du Conseil de l'Europe et article 6 du Règlement de l’Assemblée).
2. Les organisations internationales étant des instruments de la coopération entre les Etats, il est constant que leur statut régit les relations entre l’organisation et les Etats qui en sont membres. Dès lors, il est clair que, en raison de la nature juridique même de l’instrument qui fonde le Conseil de l'Europe, les membres de l’Assemblée sont considérés non comme des «sujets de droit» individuels mais à travers leur appartenance à l’un des deux organes statutaires de l’Organisation: en tant que «Représentants à l’Assemblée», ils bénéficient de la protection d’un régime d’immunités statutaire et conventionnel européen spécifique.
3. De même, le Règlement, complété par des textes pararéglementaires, comporte plusieurs dispositions relatives aux garanties, droits mais aussi obligations qui conditionnement l’exercice de leur mandat européen.
4. Les membres de l’Assemblée y siègent en tant que membres d’une délégation nationale mais également, pour la grande majorité d’entre eux, au titre d’un groupe politique auquel ils ont déclaré leur affiliation. En tant qu’élu national, le parlementaire reçoit mandat de ses électeurs d’agir au nom de l’intérêt général, mais dans le respect des valeurs politiques prônées par son parti politique. En tant que membre de l’Assemblée, il s’engage à adhérer aux objectifs et aux principes fondamentaux du Conseil de l'Europe (article 6.2 du Règlement) et, pour autant qu’il soit affilié à l’un des cinq groupes politiques de l’Assemblée, à promouvoir les objectifs, valeurs et principes du groupe.
5. Conformément au principe de la démocratie représentative, en Europe, les parlementaires nationaux exercent un mandat représentatif, qui a pour caractéristiques d’être général, libre et non révocable, et pour corollaire la liberté d’action, d’opinion et d’expression et un droit de vote personnel. Les dispositions constitutionnelles ou législatives régissant le fonctionnement du système parlementaire dans les Etats membres du Conseil de l'Europe mettent d’abord en évidence le caractère non impératif ou conditionnel du mandat, c'est-à-dire que l'élu jouit juridiquement d'une indépendance absolue à l'égard de ses électeurs comme de son parti. Les parlementaires sont réputés pouvoir se déterminer librement dans l'exercice de leur mandat: ils ne sont pas liés par des engagements qu'ils auraient pu prendre avant leur élection, ni par des consignes qu'ils pourraient recevoir en cours de mandat; ils ne sont liés par aucun ordre ou aucune injonction de leurs électeurs, et ne sont pas tenus de suivre des instructions de leur parti.
6. En théorie, les parlementaires sont libres de leurs décisions qui s’incarnent dans leurs votes, et ne sont pas obligés de soutenir la position de leur parti ou groupe politique au sein du parlement, honorer leurs engagements à son égard, ou de se plier à la discipline de vote de leur groupe parlementaire. Dans la pratique parlementaire, le principe de l’indépendance du mandat et de son irrévocabilité s’efface clairement devant la discipline partisane et le respect des consignes de vote, réalité incontournable du mode de fonctionnement actuel de l’institution parlementaire. Le poids du système des partis repose, d’une part, en amont, sur le processus de nomination des candidats à l’élection, et d’autre part, en aval, sur la liberté d’un parti ou d’un groupe d’exclure un membre dont le comportement n’est pas loyal ou lui a causé préjudice.
7. C’est donc une certaine forme de «mandat impératif» qui prospère actuellement dans les institutions parlementaires, à travers la menace de suspension ou d’expulsion de son groupe ou parti politique – les pressions s’exerçant sur les élus aboutissant à leur démission ou à des sanctions.
8. L’Assemblée rappelle que, nonobstant les dispositions de l’article 6 de son Règlement garantissant le respect des principes de représentation politique équitable et d’égalité des sexes, la composition des délégations nationales et la nomination ou le remplacement de leurs membres relèvent des parlements nationaux, suivant leurs procédures internes. Il en est de même de la participation des membres aux sessions de l’Assemblée ou aux réunions de ses commissions.
9. L’Assemblée constate que, ces dernières années, des dérives se sont produites au sein de délégations à l’Assemblée mettant souvent en évidence les lacunes et les manquements des réglementations internes des parlements nationaux concernés. En particulier:
9.1. la réglementation interne des parlements nationaux a parfois été mise en cause, en ce qu’elle pourrait servir de paravent légal à des mesures de sanction déguisée, fondées sur une motivation politique, s’agissant tout particulièrement du remplacement de membres dans les délégations, sous couvert de démission individuelle ou de recomposition générale à l’issue d’élections;
9.2. la réglementation interne des parlements nationaux aurait également été détournée afin de restreindre le déplacement ou d’empêcher la participation d’un membre d’une délégation à une partie de session ou une réunion de commission de l’Assemblée.
10. Elle exprime en outre sa vive préoccupation face aux atteintes graves portée à l’indépendance et à la liberté d’expression de certains de ses membres, ou désormais anciens membres, qui ont fait l’objet de sanctions déguisées soit de la part du parlement, soit de la part de leur parti politique national.
11. A cet égard, l’Assemblée rappelle fermement que la Cour européenne des droits de l'homme accorde la plus haute importance à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique, qui fait l’objet d’une protection renforcée, en consacrant, par sa jurisprudence, le principe de la libre expression des parlementaires comme condition sine qua non de leur indépendance dans l’exercice de leur mandat. Pour la Cour, il est fondamental, dans une société démocratique, «de défendre le libre jeu du débat politique, qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique».
12. Par ailleurs, l’Assemblée considère que, si, au niveau national, la discipline des partis conditionne la stabilité des partis et des coalitions partisanes et l’efficacité de leur politique, de telles considérations sont moins pertinentes s’agissant de promouvoir, au sein de l’Assemblée parlementaire, les objectifs et principes fondamentaux du Conseil de l'Europe et de «collaborer sincèrement et activement» à la promotion «des idéaux et principes qui sont le patrimoine commun» des Européens.
13. L’Assemblée considère que ses membres doivent bénéficier d’un statut comportant la reconnaissance de garanties minimales dans l’exercice de leur mandat européen, et qu’il y a lieu de promouvoir un certain nombre de principes fondés sur un juste équilibre entre la liberté d’opinion et de vote des parlementaires, et le respect des engagements politiques dont découle leur affiliation à un parti ou un groupe politique. Elle invite les parlements nationaux, ainsi que leurs délégations auprès de l’Assemblée, à reconnaître et à prendre dûment en considération les principes généraux suivants, qui doivent réguler les conditions d’exercice du mandat à l’Assemblée:
13.1. s’agissant des garanties et droits des membres de l’Assemblée:
13.1.1. les membres de l’Assemblée exercent leur mandat de façon libre et indépendante ; ils ne peuvent être liés par aucune instruction de leur délégation, de leur parti politique national ou de leur groupe politique à l’Assemblée;
13.1.2. les membres de l’Assemblée expriment librement leur opinion, que ce soit par leurs déclarations, leurs discours ou leur vote, dans toutes leurs activités à l’Assemblée et dans ses organes, dans le respect de l’article 22 du Règlement et des règles de conduite à l’Assemblée;
13.2. s’agissant des devoirs des membres de l’Assemblée:
13.2.1. les membres de l’Assemblée agissent dans le respect du Règlement de l’Assemblée et des règles de déontologie; ils participent aux activités de l’Assemblée de manière responsable et constructive;
13.2.2. les membres de l’Assemblée ont un devoir de responsabilité envers leur délégation, leur parti politique national et leur groupe politique à l’Assemblée; ils agissent dans le respect des principes de transparence, d’honnêteté, d’intégrité et de confiance.
14. Rappelant sa Résolution 1640 (2008) sur l’utilisation par les membres de l’Assemblée de leur double rôle parlementaire national et européen, l’Assemblée demande instamment aux parlements nationaux d’évaluer leur réglementation interne et leur pratique relatives à la participation des délégations aux sessions de l’Assemblée et aux réunions des commissions et des autres organes de l’Assemblée, et les invite à procéder à la révision des dispositions qui feraient obstacle à la participation effective des membres aux travaux de l’Assemblée, notamment à celle des suppléants lorsque ceux-ci sont chargés de fonctions spécifiques au sein de l’Assemblée et de ses commissions.
15. A cet égard, l’Assemblée rappelle que, aux termes des dispositions tant statutaires (article 25 du Statut du Conseil de l’Europe) que réglementaires (article 11 de son propre Règlement), à la suite d’élections législatives, les membres de l’Assemblée en restent membres de plein exercice tant que le parlement n’a pas procédé à de nouvelles désignations. En conséquence, les parlements sont tenus d’autoriser leur participation aux activités de l’Assemblée jusqu’à ce qu’ils aient pourvu à leur remplacement effectif. L’Assemblée invite les parlements nationaux concernés à modifier toute réglementation prohibant la participation des membres d’une délégation lorsque le parlement est dissous ou, à l’issue des élections et dans l’attente de la désignation d’une nouvelle délégation, la participation des membres qui ne se représentaient pas ou n’ont pas été réélus.
16. Enfin, l’Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe à examiner le statut des élus régionaux et locaux en Europe, en particulier la question de la révocation de leur mandat.

B. Exposé des motifs, par Mme Vučković, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. Au cours de ces dernières années, des membres de l’Assemblée parlementaire ont exprimé de plus en plus ouvertement leurs préoccupations à l’égard des pressions qu’ils subissaient au sein de leur délégation nationale, de leur parlement national, de leur parti politique, ou de leur groupe politique à l’Assemblée parlementaire.
2. Plusieurs cas ont ainsi été évoqués devant la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles, relatifs à des pressions politiques qui se sont exercées sur des membres de l’Assemblée, révélant notamment deux types d’abus:
  • le détournement des règles de fonctionnement interne des parlements nationaux, afin de restreindre le déplacement ou d’empêcher la participation d’un membre d’une délégation à une partie de session ou une réunion de commission de l’Assemblée;
  • la motivation politique du remplacement de membres dans les délégations qui, sous couvert de démission individuelle ou de recomposition générale, pouvait révéler une sanction déguisée.
3. Lors de sa réunion du 1er octobre 2013, la commission du Règlement a examiné la question des limites à l’indépendance du mandat et à la liberté d’expression des membres de l’Assemblée 
			(2) 
			Une
note d’information préparée par le secrétariat (document AS/Pro
(2013) 18) comporte notamment une analyse détaillée sur la protection
de la liberté d’expression des parlementaires. et elle a considéré que cette question devait faire l’objet d’une réflexion approfondie. A sa demande, la commission a donc été chargée par l’Assemblée, le 27 janvier 2014, de préparer un rapport sur «La nature du mandat des membres de l’Assemblée parlementaire».
4. Les exemples suivants illustrent plus précisément les préoccupations soulevées:
  • Au cours de la partie de session d’avril 2013, l’Assemblée a tenu un débat sur la contestation des pouvoirs non encore ratifiés d’un membre de la délégation ukrainienne, désigné pour y remplacer M. Sergiy Vlasenko, déchu de son mandat parlementaire national par une décision de justice qui pouvait avoir une motivation politique 
			(3) 
			Sergiy
Vlasenko, avocat connu pour avoir assuré la défense de l’ancienne
Premier ministre de l’Ukraine Ioulia Timochenko dans le cadre de
ses différentes procédures judiciaires, avait été déchu de son mandat
parlementaire national par la Haute Cour administrative de l’Ukraine,
au terme d’une procédure initiée par le président de la Verkhovna Rada.
Pour le détail de l’affaire, voir le rapport de la commission du
Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles sur la
contestation pour des raisons formelles des pouvoirs non encore
ratifiés de M. Andriy Shevchenko (Ukraine, PPE/DC), Doc. 13193 et la Résolution
1931 (2013). M. Vlasenko est à nouveau membre de l’Assemblée parlementaire
depuis janvier 2015..
  • Au cours de la même partie de session, la commission de suivi a examiné une proposition visant à ouvrir une procédure de suivi à l’égard de la Hongrie, sur la base d’un projet d’avis préparé par deux corapporteures, mais en l’absence de l’une d’elles, démissionnaire la veille de la réunion.
  • La présidente de la délégation parlementaire slovène s’est plainte auprès du Président de l’Assemblée d’avoir subi des «pressions politiques considérables» dans son pays, ayant été mise en cause du fait des propos tenus dans son discours pendant le débat sur «La corruption: une menace à la prééminence du droit» lors de la partie de session de juin 2013 
			(4) 
			En l’espèce, le parti
au pouvoir a réclamé sa démission de ses fonctions de présidente
de la délégation et demandé que le bureau du parlement tienne une
discussion sur son intervention en séance, que le parti considère
comme «un abus de pouvoir»..
  • En novembre 2013, le groupe PPE/DC a alerté la commission du Règlement sur des événements se déroulant au sein du Parlement arménien qui étaient de nature à remettre en cause la représentation équitable des partis politiques au sein de la délégation parlementaire arménienne, ainsi que la participation de l’une de ses membres aux activités de l’Assemblée. De fait, cette parlementaire n’a pas été redésignée dans la délégation arménienne pour la session 2014.
  • En janvier 2014, le départ et le remplacement de plusieurs membres clés de la délégation parlementaire turque, y compris sa présidente, dans le contexte des manifestations de masse anti-gouvernementales de 2013, ont alimenté les spéculations.
  • Lors de la réunion de la Commission permanente de novembre 2015, les pouvoirs non encore ratifiés de la délégation parlementaire du Royaume-Uni ont été contestés au motif que trois membres conservateurs du Parlement britannique, appartenant à la délégation sortante, avaient été exclus de la nouvelle délégation, après l’intervention directe du Premier ministre, pour s’être affranchis du respect de la ligne gouvernementale au cours d’un vote à la Chambre des Communes 
			(5) 
			Voir le rapport de
la commission du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles
sur la contestation pour des raisons formelles des pouvoirs non
encore ratifiés de la délégation parlementaire du Royaume-Uni (document AS/Pro
(2015) 22 def du 11 décembre 2015)..
  • En mars 2016, une rapporteure de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, membre de la délégation parlementaire macédonienne, s’est vu refuser l’autorisation de son parlement pour se rendre à Paris, deux jours avant la réunion.
5. Du point de vue interne à l’Assemblée parlementaire, ce qui est donc ici clairement en cause à travers ces divers cas, c’est la participation effective des membres aux travaux de l’Assemblée et de ses commissions. D’un point de vue plus global, c’est la liberté d’expression des membres de l’Assemblée qui est mise en péril. En démocratie, la liberté d’expression des parlementaires est une condition sine qua non de leur indépendance dans l’exercice de leur mandat.
6. En fin de compte, il convient de s’interroger sur la problématique de l’indépendance des parlementaires et de leur responsabilité, et plus spécifiquement de la nature de leurs relations avec les partis politiques, d’une part, et avec les citoyens ou électeurs, d’autre part. C’est la raison pour laquelle, la perspective du présent rapport mérite d’être élargie au fonctionnement des parlements nationaux. Une analyse plus approfondie des conditions d’exercice du mandat parlementaire nécessite donc que l’on examine préalablement la question fondamentale de la nature de celui-ci.

2. Le mandat des membres à l’Assemblée parlementaire

2.1. Généralités

7. A l’inverse des membres du Parlement européen, élus au suffrage universel direct, les parlementaires siégeant à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe – ou dans les autres institutions interparlementaires – sont élus au sein du parlement national ou fédéral ou désignés parmi leurs membres (article 25 du Statut du Conseil de l'Europe (STE no 1) et article 6 du Règlement de l’Assemblée). La composition des délégations nationales et la nomination ou le remplacement de leurs membres relèvent des parlements nationaux, suivant leurs procédures internes.
8. Compte tenu des fondements de sa représentation, il est logique que le Règlement du Parlement européen précise d’emblée, à son article 2 relatif à l’indépendance du mandat, que «les députés au Parlement européen exercent leur mandat de façon indépendante. Ils ne peuvent être liés par des instructions ni recevoir de mandat impératif», alors que le Règlement de l’Assemblée parlementaire, tout comme le Statut du Conseil de l'Europe – et pas davantage les règlements des autres institutions de coopération interparlementaire – ne déterminent la nature du mandat des membres de l’Assemblée.
9. En conséquence, analyser la nature du mandat des membres de l’Assemblée parlementaire suppose de se référer aux régimes dont ils relèvent en tant que parlementaires nationaux (mandat libre à caractère représentatif ou mandat impératif; mandat professionnel ou non professionnel; mandat général ou non), ainsi que cela est spécifié dans la constitution de leur pays, ou dans une disposition législative ou réglementaire (voir chapitre 3 ci-dessous).
10. Les membres de l’Assemblée parlementaire y siègent en tant que membres d’une délégation nationale mais également, pour la grande majorité d’entre eux, au titre d’un groupe politique auquel ils ont déclaré leur affiliation. En tant qu’élu national, le parlementaire reçoit mandat de ses électeurs d’agir au nom de l’intérêt général, mais dans le respect des valeurs politiques prônées par son parti politique. En tant que membre de l’Assemblée, il s’engage à adhérer aux objectifs et aux principes fondamentaux du Conseil de l'Europe (article 6.2 du Règlement) et, pour autant qu’il soit affilié à l’un des cinq groupes politiques de l’Assemblée – et que le règlement ou le statut du groupe en dispose ainsi – à promouvoir les objectifs, valeurs et principes du groupe 
			(6) 
			Voir par exemple l’article
4 du règlement du groupe PPE/DC à l’Assemblée parlementaire. (voir chapitre 2.4 ci-dessous).
11. Ainsi que l’a résumé un parlementaire national au cours d’un séminaire organisé par l’Union interparlementaire en 2005, «pour pouvoir accomplir nos fonctions, nous devons pouvoir nous exprimer librement sans crainte de représailles, d’où qu’elles viennent. C’est une condition sine qua non pour garantir l’indépendance du parlement même et la séparation des pouvoirs. (…) Cependant, la liberté d’expression dont doit jouir chaque parlementaire peut être sérieusement limitée par la discipline des partis politiques, dont le non-respect peut même conduire à la perte du mandat parlementaire. La discipline de parti peut avoir pour effet de nous empêcher de parler au nom de notre électorat» 
			(7) 
			Séminaire
sur la liberté d'expression, le parlement et la promotion de la
tolérance à l'intention des présidents et membres des instances
parlementaires des droits de l'homme, organisé conjointement par
l'Union interparlementaire et article 19 (Genève, 25-27 mai 2005),
synthèse des travaux et recommandations présentées par le rapporteur..

2.2. Dispositions réglementaires en vigueur au sein de l’Assemblée parlementaire

12. Le Statut du Conseil de l’Europe dispose que l’Assemblée «est composée de représentants de chaque [Etat] Membre, élus par son parlement en son sein ou désignés parmi les membres du parlement selon une procédure fixée par celui-ci (…)» (article 25). Le Règlement de l’Assemblée vient compléter cette disposition, en précisant que «les représentants et suppléants désignés par les parlements nationaux de chaque Etat membre se constituent en délégations nationales» (article 18), elles-mêmes «composées de façon à assurer une représentation équitable des partis ou groupes politiques existant dans leurs parlements» (article 6), et que les représentants et suppléants «peuvent former des groupes politiques», lesquels «doivent s’engager à respecter la promotion des valeurs du Conseil de l'Europe, notamment le pluralisme politique, les droits de l’homme et la prééminence du droit» (article 19). Le Règlement reconnaît donc le triple lien qui unit tout membre de l’Assemblée à son Etat, à travers l’institution parlementaire nationale, son groupe politique à l’Assemblée et son parti politique national.
13. S’agissant des nominations en commission, celles-ci relèvent de la seule responsabilité des délégations nationales (articles 44.2 et 44.5) – du moins pour six des neuf commissions – et en cas de contestation, les propositions de nominations sont renvoyées à la délégation nationale concernée.

2.3. Dispositions réglementaires au sein des parlements nationaux

14. Les dérives qui ont pu être signalées au sein de délégations à l’Assemblée mettent souvent en évidence les lacunes et les manquements des réglementations internes des parlements nationaux concernés. Il conviendrait donc d’examiner un peu plus attentivement celles-ci, s’agissant en particulier de la désignation des délégations nationales, de la composition des commissions et de la participation aux travaux. En effet, à l’occasion de la contestation des pouvoirs de délégations, la réglementation interne des parlements nationaux a parfois été mise en cause, en ce qu’elle peut servir de paravent légal à des mesures de sanction déguisée, fondées sur une motivation politique, s’agissant tout particulièrement du remplacement d’un membre 
			(8) 
			De telles allégations
ont pesé sur le remplacement de M. Sergiy Vlasenko, membre de la
délégation parlementaire ukrainienne entre janvier 2013 et janvier
2014, déjà mentionné, ainsi que de Mme Zaruhi
Postanjyan, membre de la délégation arménienne appartenant au parti
d’opposition Heritage, en janvier 2014 (sans toutefois qu’il y ait
eu de contestation des pouvoirs de la délégation à cette date)..
15. Outre les règles de désignation des délégations, il importe également de faire le point sur les règles relatives à la participation de leurs membres aux sessions de l’Assemblée et aux réunions de ses commissions. En effet, le règlement – ou plus simplement la pratique – de nombre de parlements dispose que seuls les représentants à l’Assemblée (et les membres titulaires des commissions) sont habilités à participer aux sessions et aux réunions des commissions, et pris en charge financièrement. Or, nombre de suppléants à l’Assemblée appartiennent aux partis d’opposition, et n’ont, du fait de l’application de ces règles, guère l’opportunité de se rendre à Strasbourg. Il conviendrait donc d’examiner plus avant dans quelle mesure, au sein des parlements nationaux, les réglementations ou les pratiques relatives aux droits des remplaçants de participer aux sessions de l’Assemblée et aux réunions des commissions sont ou non conformes au Statut du Conseil de l'Europe et au Règlement de l’Assemblée 
			(9) 
			Article 18 du Règlement
de l’Assemblée («Les représentants et suppléants désignés par les
parlements nationaux de chaque Etat membre se constituent en délégations
nationales (…)») ; article 25.c du
Statut du Conseil de l'Europe («Chaque représentant peut avoir un
suppléant qui, en son absence, aura qualité pour siéger, prendre
la parole et voter à sa place») ; article 38 du Statut du Conseil
de l'Europe («Chaque Etat membre assume les frais de sa propre représentation
à l’Assemblée parlementaire»)..
16. Concernant les commissions, l’existence de telles réglementations régissant la participation et le défraiement des parlementaires soulève la question de leur utilisation éventuelle à des fins politiques, dès lors que les nominations dans les commissions peuvent se faire au détriment des partis d’opposition, dont les membres seraient principalement affectés à des postes de suppléants. La nomination dans la délégation, tout comme dans les commissions, peuvent ainsi être un moyen pour la majorité politique au pouvoir de contrôler l’opposition.
17. Ces questions, au vu de leur importance pour le bon fonctionnement de l’Assemblée, font l’objet d’un rapport séparé de la commission du Règlement sur la représentation et participation effective à l’Assemblée parlementaire des parlementaires de l’opposition dans les Etats membres 
			(10) 
			Voir
la note introductive préparée par le rapporteur (M. Jordi Xuclà,
Espagne, ADLE), document AS/Pro (2016) 14..
18. Dans le cadre de ce rapport en préparation, un questionnaire avait été adressé aux délégations nationales, en juillet 2015, relatif à la réglementation existante et à la pratique suivie dans les parlements nationaux s’agissant de la formation et du fonctionnement des délégations. Les réponses adressées par 25 des délégations nationales à l’Assemblée permettent d’avoir un éclairage plus précis sur l’existence de réglementations ou de pratiques susceptibles d’engendrer des situations d’abus.
19. S’agissant de la participation effective aux activités de l’Assemblée parlementaire, elle est encadrée dans les parlements plus par la pratique que par le Règlement intérieur (la Belgique, le Danemark et la Lettonie faisant exception).
20. La décision peut être prise de manière collégiale par la délégation: tel est le cas à Saint-Marin, à Malte (mais avec l’accord du Président du parlement), en Lituanie (la délégation établit un programme annuel de déplacements, mais l’accord du président de la délégation est décisif). La participation des membres peut relever de la décision d’un organe du parlement (Steering Committee pour la République tchèque, le Presidium pour la Lettonie sur proposition du président de la délégation, le Board of the Seimas pour la Lituanie, la Présidence de l’Assemblée pour «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le Collegium of the President au Monténégro); au Liechtenstein, la délégation décide pour les parties de session mais le Bureau pour les commissions; en Pologne, le président de la délégation décide de la participation des membres aux activités de l’Assemblée et de ses commissions.
21. Dans plusieurs parlements, la décision relève du président du parlement: en Autriche (en application du Règlement et de la pratique); en Allemagne (en application des lignes directrices sur les voyages, et sous la réserve de l’aval du groupe parlementaire du membre; s’agissant des réunions qui se tiennent alors que le Bundestag est en session, la participation des membres est conditionnée par leur engagement à revenir à Berlin en cas de vote important); en Grèce et en Ukraine (en application du Règlement). Parfois, c’est le président de la délégation qui est compétent (Serbie). Enfin, dans d’autres parlements, les membres eux-mêmes sont libres de leurs activités (Belgique, France (sans autorisation préalable), Italie, Pays-Bas, Slovénie, Suisse).
22. Concrètement, au Danemark, en France et aux Pays-Bas, tous les membres de la délégation, quel que soit leur statut de représentant ou de suppléant, sont autorisés à participer aux parties de session comme aux réunions des commissions dont ils sont membres. En revanche, la participation aux parties de session n’est possible que pour les représentants et les suppléants qui les remplacent (Italie, Serbie). La participation aux commissions est possible pour les titulaires et les remplaçants en l’absence des titulaires (Autriche) ou seulement lorsque les commissions se réunissent à Strasbourg (Finlande), sauf si les membres occupent des fonctions de président de commission ou de rapporteur (Serbie).
23. La commission du Règlement est consciente des problèmes budgétaires auxquels plusieurs parlements continuent de faire face, et qui impactent directement les déplacements des membres de leurs délégations. Plusieurs délégations reconnaissent que, depuis plusieurs années, elles limitent le nombre de leurs représentants lors des parties de session au nombre de sièges détenus 
			(11) 
			Le
cas de M. Grigore Petrenco (République de Moldova, GUE) a été mentionné
à plusieurs reprises ces dernières années, dans ce contexte. Le
parlement moldave délègue lors des parties de session cinq représentants
et laisse le soin à chaque parti politique concerné de désigner
le cas échéant un suppléant plutôt que le représentant titulaire. M. Petrenco,
appartenant à l’opposition, et suppléant dans la délégation moldave
entre juin 2010 et janvier 2015, ne pouvait participer aux travaux
de l’Assemblée que pour autant qu’il remplaçait le titulaire de
son parti., et certaines déclarent ne plus envoyer de suppléants siéger à l’Assemblée ou dans ses commissions.

2.4. Affiliation des membres à un groupe politique

24. Ainsi que cela a été mentionné, les représentants et suppléants à l’Assemblée «peuvent former des groupes politiques». Les règlements intérieurs et statuts des groupes politiques déterminent les conditions d’affiliation, et le cas échéant de suspension et d’exclusion du groupe:
  • Ainsi, le Groupe socialiste à l’Assemblée «se compose de membres [ceux-ci appartiennent à un parti officiellement affilié à l’Internationale socialiste] et de membres associés [qui n’appartiennent pas un parti affilié, ou qui n’appartiennent à aucun parti]». Tout membre du groupe pourra être provisoirement suspendu s’il «va plusieurs fois à l'encontre du comportement décidé par le Groupe», et il pourra en être exclu s’il «continue à aller à l'encontre du comportement décidé par le Groupe» (article II du Statut).
  • Les membres du Groupe du Parti populaire européen (PPE/DC) doivent appartenir à un parti membre, membre associé ou observateur du PPE ou s’engager à accomplir leur mandat en respectant les valeurs et les objectifs promus par le groupe (article 4).
  • L’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) est ouverte aux membres de l'Assemblée parlementaire «appartenant à un parti affilié au Parti des Européens libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR) ou à l'Internationale libérale (IL). D'autres représentants dont l’action politique s'inspire de ces mêmes valeurs peuvent devenir membres du Groupe (…)».
  • Le règlement du Groupe des conservateurs européens (CE) est en cours de révision. Dans la version antérieure, l’adhésion d’un membre de l’Assemblée parlementaire au groupe était conditionnée par son acceptation des buts, objectifs, constitution et règles du groupe.
  • Le statut du Groupe pour la gauche unitaire européenne (GUE) dispose que les membres de l’Assemblée qui souhaitent rejoindre le groupe s’engagent à en respecter le statut (article 6); ils peuvent être suspendus ou exclus (article 10) s’ils n’agissent pas dans le respect des objectifs fondamentaux, des valeurs et des principes du groupe stipulés à l’article 2 (la promotion et la protection des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie) ou ne respectent pas les obligations qui s’imposent aux membres.

3. Le mandat national des membres de l’Assemblée parlementaire

3.1. Généralités

25. La question de la nature du mandat parlementaire a fait l’objet d’une importante étude comparative mondiale sur le mandat parlementaire publiée par l’Union interparlementaire en 2000 
			(12) 
			<a href='http://www.ipu.org/PDF/publications/mandate_f.pdf'>www.ipu.org/PDF/publications/mandate_f.pdf. </a>Cette étude comporte un rappel des théories politiques
et des idéologies ayant fondé la nature du mandat parlementaire
et leur évolution. . Son auteur, Marc Van der Hulst, relève que le mandat impératif – considéré par ses partisans comme plus progressiste et plus démocratique parce qu'il découle directement de la théorie de la souveraineté populaire – est devenu l’exception et le mandat de représentation libre – l’élu jouissant d’une indépendance absolue et se déterminant librement dans l’exercice de son mandat – la règle. La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) rappelle, dans un rapport sur le mandat impératif et les pratiques similaires 
			(13) 
			Etude
no 488/2008, document CDL-AD(2009)027
du 16 juin 2009. , que la doctrine démocratique libérale a posé le principe de la démocratie représentative et de son antagonisme avec le mandat impératif, considéré comme incompatible avec la démocratie.
26. Toutefois, dans un rapport sur la démocratie, la limitation des mandats et l’incompatibilité de fonctions politiques 
			(14) 
			Etude no 646/2011,
document CDL-AD(2012)027rev du 31 janvier 2013., la Commission de Venise souligne que la démocratie, reposant sur le principe politique de la représentation, établit entre les représentants et les personnes représentées un lien qui garantit la défense des intérêts du peuple et l’expression de son point de vue. «Dans une démocratie, les responsables politiques doivent rendre des comptes avant tout aux citoyens qui les élisent, bien que leurs rapports avec les électeurs soient ténus (…) Dans les systèmes où l’on vote pour des listes de partis plutôt que pour des représentants individuels, les responsables politiques élus tendent à rendre des comptes aux chefs de partis et dans un second temps seulement aux électeurs; enfin, les personnalités désignées à des fonctions de responsabilité par les autorités au pouvoir peuvent estimer qu’elles doivent allégeance aux décideurs politiques, d’où un sentiment distant et diffus de responsabilité à l’égard de la population.» La Commission de Venise constate que «dans un certain nombre de pays démocratiques, bien qu’il existe un véritable pluralisme, l’influence des appareils des partis et le contrôle assuré par leurs dirigeants s’accroisse et se demande en fin de compte «ce que les élus représentent et si l’on peut vraiment dire que ceux qui ont été élus représentent réellement les électeurs.»
27. En 2014, à l’occasion d’un rapport sur «le changement postélectoral d’affiliation politique des membres et ses répercussions sur la composition des délégations nationales», la commission du Règlement s’était interrogée sur la nature des relations entre les parlementaires et les partis politiques, à travers le phénomène du changement d’affiliation politique et de ses conséquences au niveau des parlements nationaux 
			(15) 
			Voir le rapport de
la commission (rapporteur: M. Jordi Xuclà, Espagne, ADLE), Doc. 13666, et la Résolution
2037 (2015)., au regard notamment des exigences de transparence, d’intégrité, de responsabilité et de confiance qui fonde le contrat qui lie l’élu aux citoyens. Les réponses données par les parlements nationaux à un questionnaire adressé dans le cadre de la préparation de ce rapport par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), apportent des informations utiles sur les dispositions en vigueur concernant la nature du mandat des élus dans les parlements nationaux 
			(16) 
			Requête no 2417
du 8 novembre 2013..
28. Quarante réponses à la requête émanant de 36 parlements nationaux ont ainsi été reçues 
			(17) 
			Allemagne
(Bundestag et Bundesrat), Andorre, Autriche, Belgique (Chambre des
Représentants et Sénat), Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Canada, Croatie,
Chypre, Danemark, Espagne (Congrès des Députés), Estonie, Finlande,
France (Assemblée nationale), Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande,
Israël, Italie (Sénat), Lituanie, Luxembourg, Monténégro, Norvège,
Pays-Bas (Seconde Chambre), Pologne (Sejm et Sénat), Portugal, Roumanie
(Chambre des députés), Royaume-Uni (Chambre des Communes et Chambre
des Lords), Serbie, République slovaque, Slovénie (Assemblée nationale),
Suède, Suisse, République tchèque (Chambre des députés) et Ukraine., fournissant des informations sur les dispositions constitutionnelles et législatives – ainsi que toute autre disposition (réglementation interne des partis politiques) ou toute pratique ou tradition politique ou parlementaire – relatives à la nature du mandat des représentants élus (mandat représentatif, mandat impératif), et à qui ils représentent au parlement (le peuple, la nation, leur parti politique, leur circonscription).

3.2. Caractéristiques générales du mandat parlementaire

29. En Europe, les parlementaires nationaux exercent un mandat représentatif, qui a pour caractéristiques d’être général, libre et non révocable, et pour corollaire la liberté d’action, d’opinion et d’expression et un droit de vote personnel. Ils ne sont liés par aucun ordre ou aucune injonction de leurs électeurs, ni engagements contractés lors de la campagne électorale, et ne sont pas tenus de suivre des instructions de leur parti; ils n’ont pas de comptes à rendre à ceux qui les ont désignés. Toutefois, ainsi que l’indique Mark Van der Hulst dans son étude précitée, «le mandat de représentation libre n'est pas, en soi, une condition suffisante pour le fonctionnement démocratique d'un système parlementaire». En effet, si, en théorie, les règles juridiques qui régissent le fonctionnement des institutions disposent que les parlementaires exercent leur mandat de manière libre et indépendante, dans la pratique, l’exercice du mandat est strictement encadré par les partis politiques et conditionnés par les mécanismes et procédures parlementaires. Les mécanismes électoraux, quels qu’ils soient, font que seuls les candidats présentés sous une étiquette partisane, et bénéficiant du soutien logistique et financier d’un parti, ont une chance d’être élus. Cela a pour conséquence que les parlementaires se trouvent liés par la ligne de leur parti, même si celle-ci va parfois à l'encontre de leurs convictions personnelles, et sont tenus d’observer la discipline parlementaire dictée par leur parti 
			(18) 
			Voir l’étude sur l’emprise
des partis politiques sur le mandat parlementaire, réalisée par
M. Zdzisław Kędzia et Mme Agata Hause,
publiée par l’Union interparlementaire en 2011, <a href='http://www.ipu.org/conf-f/129/control-study.pdf'>www.ipu.org/conf-f/129/control-study.pdf.</a>.

3.2.1. Mandat représentatif : général, libre et non révocable

30. Les dispositions constitutionnelles ou législatives régissant le fonctionnement du système parlementaire dans les Etats membres ou observateurs du Conseil de l'Europe mettent d’abord en évidence le caractère non impératif ou conditionnel du mandat 
			(19) 
			Le mandat
impératif était la règle dans les Etats d’Europe centrale et orientale
dans les régimes communistes d’avant 1990. Le Bélarus a conservé
le mandat impératif (le peuple est le dépositaire de la souveraineté
et il exerce son pouvoir à travers les organes représentatifs ;
les députés sont révocables par le peuple).. Le mandat est représentatif, c'est-à-dire que l'élu jouit juridiquement d'une indépendance absolue à l'égard de ses électeurs. Les parlementaires sont réputés pouvoir se déterminer librement dans l'exercice de leur mandat et ne pas être liés par des engagements qu'ils auraient pu prendre avant leur élection, ni par des consignes qu'ils pourraient recevoir de leurs électeurs en cours de mandat. Ils ne peuvent être les défenseurs d'intérêts particuliers.
31. Dans la quasi-totalité des Etats membres et observateurs du Conseil de l'Europe, le mandat impératif est expressément interdit, en règle générale par une disposition constitutionnelle (Allemagne, Andorre, Arménie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Italie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Slovénie, République slovaque, République tchèque, Roumanie, Suisse). La Constitution portugaise se borne à indiquer que «les députés exercent librement leur mandat»; la loi fondamentale allemande dispose que les membres du Bundestag ne sont liés par aucun mandat ni instruction et qu'ils ne sont soumis qu’à leur conscience 
			(20) 
			En revanche, le mandat
des membres du Bundesrat s’apparente à un mandat impératif : d’une
part, ceux-ci ne sont pas élus mais nommés par les gouvernements
des Länder, et révocables par eux, et, d’autre part, ce ne sont
pas les membres individuels qui décident de leur vote, mais le Gouvernement
du Land en tant qu'organe collégial.. Une telle formulation figure également dans les Constitutions de la République slovaque, de la République tchèque, du Danemark, de la Grèce, de la Lituanie et de «l'ex-République yougoslave de Macédoine»; par exemple, la Constitution arménienne indique que «le député s’inspire de sa conscience et de ses convictions»; la Constitution finlandaise stipule, en outre, que «dans l'exercice de son mandat, tout député est tenu d'agir selon la justice et la vérité».
32. Au Canada (niveau fédéral), à Chypre, en Israël, au Monténégro, en Norvège, en Suède, en Ukraine, il n’existe aucune disposition constitutionnelle ou législative régissant spécifiquement la nature du mandat des représentants élus.
33. Le mandat parlementaire présente un caractère général, ce qui signifie que son titulaire, bien qu’élu dans une circonscription, représente, en principe, la collectivité toute entière. Nombre de constitutions disposent explicitement que le parlementaire ne représente pas ses électeurs, sa circonscription ou le département dont il est l'élu, mais la Nation ou la Nation tout entière (Belgique, France, Grèce, Italie, Lituanie, Pologne, Turquie), le peuple ou l’ensemble du peuple (Allemagne, Espagne, Finlande, Pays-Bas) ou le pays (Luxembourg) ou le pays tout entier (Géorgie, Portugal). En Roumanie, les députés «sont au service du peuple». Toutefois, dans quelques rares pays, la constitution précise au contraire que les parlementaires représentent leur circonscription (Irlande); au Royaume-Uni, les membres de la Chambre des Communes sont élus afin de représenter leur circonscription, tout en étant libre de leur vote. La constitution bulgare stipule que les parlementaires représentent non seulement leurs électeurs, mais également le peuple tout entier. La Bosnie-Herzégovine présente une singularité, en l’absence de toute disposition constitutionnelle: la loi électorale dispose que le mandat d’un élu n’appartient pas au parti politique, à la coalition ou à la liste qui l’a nommé. Toutefois, compte tenu des conditions d’élection effectives, les membres de la Chambre des représentants représentent bien leur parti politique et les citoyens, et les élus à la Chambre des peuples représentent leur entité ainsi que les peuples constitutifs.
34. Enfin, le mandat parlementaire est irrévocable et il prend fin à son terme légal. Une telle disposition peut être expressément stipulée dans la constitution (article 52 de la Constitution géorgienne, article 81 de la Constitution ukrainienne, par exemple). L’élu rend compte de la façon dont il s'est acquitté de son mandat et s’expose à la censure de ses électeurs quand il se présente devant eux pour solliciter sa réélection.
35. Il découle du principe de la prohibition du mandat impératif que le parlementaire a la libre disposition de son mandat et que celui-ci n’est pas révocable. Le principe de l’irrévocabilité du mandat parlementaire est expressément consacré dans la constitution de nombreux Etats. Les parlementaires ne peuvent être destitués de leur mandat, ni par le parlement, ni par leur parti politique, ni par les citoyens. La République de Serbie fait exception, puisque, au terme du Statut des députés, un député est libre de mettre irrévocablement son mandat à la disposition du parti politique sur la proposition duquel il a été élu député.
36. Dans un certain nombre d’Etats membres, les cours constitutionnelles ont statué sur la nature du mandat parlementaire, rappelant que les représentants élus n’ont pas de mandat impératif et ne sont pas révocables 
			(21) 
			Décision
de la Cour constitutionnelle de la République de Croatie du 10 mai
2010. Les représentants élus sont les seuls titulaires de leur mandat
dont ils ont la libre disposition, y compris en cas de changement
d’affiliation partisane. , en particulier par les électeurs 
			(22) 
			Toutefois,
au Royaume-Uni, la loi de 2015 sur la révocation des députés a introduit
un processus de destitution. Si une pétition de destitution est
ouverte et qu’au moins 10 % des électeurs éligibles la signent,
le siège du député concerné devient vacant. Le processus de destitution
peut être lancé dans trois circonstances: si un membre du parlement
est condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois ou moins (il
est tenu de libérer son siège s’il est condamné à plus d’un an d’emprisonnement);
si un membre est exclu temporairement de la Chambre des Communes
(à la suite d’un rapport de la commission des normes) durant au
moins 10 jours de séance ou 14 jours; ou si un membre est condamné pour
une infraction au titre de l’article 10 de la loi de 2009 sur les
normes parlementaires (délit de diffusion d’informations fausses
ou mensongères pour obtenir une indemnité). ou par leur parti 
			(23) 
			Décision
de la Cour constitutionnelle de la Lituanie du 1er juillet
2004, affaire 04/04, qui comporte de longs développements sur le
statut de membre du Seimas et la notion de mandat libre. .
37. Au mandat parlementaire sont attachés un certain nombre de droits – mais aussi d’obligations. Les parlementaires bénéficient d’un statut spécifique protecteur, afin que leur soient garanties l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de leur mandat. Cette protection spécifique est consacrée par le principe des immunités parlementaires. La question de l’évolution de la protection du mandat parlementaire dans les parlements nationaux des Etats membres, et de la remise en cause éventuelle du système des immunités dans certains pays, fait l’objet d’un rapport séparé de la commission du Règlement, présentant une analyse complémentaire indispensable à la compréhension de la nature du mandat parlementaire 
			(24) 
			Voir le rapport sur
«L'immunité parlementaire: remise en cause du périmètre des privilèges
et immunités des membres de l’Assemblée parlementaire», Doc. 14076 (rapporteure: Mme Liliana
Palihovici, République de Moldova, PPE/DC)..

3.2.2. Les limites de l’indépendance des parlementaires: l’allégeance au parti ou groupe politique

38. Si, en théorie, les parlementaires sont libres de leur décision qui s’incarne dans leur vote, et ne sont pas obligés de soutenir la position de leur parti ou groupe politique au sein du parlement, il n’en demeure pas moins que la discipline de vote est une réalité incontournable du mode de fonctionnement actuel de l’institution parlementaire. Aucune disposition de nature constitutionnelle, législative ou réglementaire n’oblige les parlementaires à soutenir leur parti et à honorer leurs engagements à son égard, ou à se plier à la discipline de vote de leur groupe parlementaire. Le poids du système des partis dans la pratique parlementaire repose, d’une part, en amont, sur le processus de nomination des candidats à l’élection, et d’autre part, en aval, sur la liberté d’un parti ou un groupe d’exclure un membre dont le comportement n’est pas loyal ou lui a causé préjudice. Le principe du libre mandat a ainsi de fait évolué vers un principe de limitation du mandat par les partis 
			(25) 
			Le Comité des droits
de l’homme des parlementaires de l’UIP a estimé que «Même si la
loyauté au parti et la discipline sont nécessaires au bon fonctionnement
d’une démocratie, elles ne doivent pas empêcher les membres d’un parti
d’exercer pleinement leur liberté d’expression et d’association
qui sont des droits fondamentaux»..
39. Les partis politiques peuvent toutefois prévoir, dans leurs règlements internes, des dispositions visant à instaurer un lien d’allégeance ou une discipline de parti et d’en sanctionner la méconnaissance par l’exclusion (Andorre, Chypre, Danemark, Estonie, Géorgie).
40. Dans la plupart des Etats membres, la constitution – ou d’autres dispositions législatives – dispose que le vote des parlementaires est personnel (par exemple, article 27 de la Constitution française) et qu’il ne peut être délégué (par exemple, l’article 79 de la Constitution espagnole). Pourtant, dans la pratique parlementaire actuelle, le principe de l’indépendance du mandat et de son irrévocabilité s’efface clairement devant la discipline partisane et le respect des consignes de vote. Qu’importent les dispositions constitutionnelles protectrices du statut parlementaire: ceux qui ne respectent pas les décisions du groupe parlementaire et les principes prônés par le groupe, et se montrent hermétiques à la discipline de vote, s’exposent à des sanctions. Le comportement d’un parlementaire peut donc entraîner son expulsion du parti politique ou du groupe parlementaire; cependant, l’exclusion ne peut en aucun cas entraîner la perte du mandat parlementaire. C’est donc une certaine forme de «mandat impératif» qui prospère dans les institutions parlementaires, à travers la menace de suspension ou d’expulsion de son groupe ou parti politique – les pressions s’exerçant sur les élus aboutissant à leur démission et à leur changement d’affiliation politique 
			(26) 
			Voir
le rapport précité de la commission du Règlement sur «le changement
postélectoral d’affiliation politique des membres et ses répercussions
sur la composition des délégations nationales»..
41. On relèvera à cet égard que, si la révocation du mandat n’est pas possible dans les parlements nationaux des Etats membres – les élus qui changent d’affiliation politique ou deviennent non-inscrits ou indépendants en cours de mandat conservent celui-ci jusqu’à son terme –, il n’en est pas de même au niveau régional ou local (par exemple dans certains cantons suisses ou régions espagnoles). Cette question pourrait faire l’objet d’une réflexion du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe.
42. Appréhender la réalité de la discipline partisane dans le mode de fonctionnement des parlements nationaux consiste à se demander si et dans quelle mesure les parlementaires peuvent encore de nos jours véritablement et effectivement se déterminer librement et «en toute conscience». Un autre questionnaire adressé par l’intermédiaire du CERDP relatif au vote libre des parlementaires et à la discipline des partis apporte des éclairages complémentaires quant à la nature du mandat des élus dans les parlements nationaux et leurs liens avec les partis politiques 
			(27) 
			Requête
no 2323 du 4 juin 2013. 35 parlements
nationaux ont fourni des réponses. Le «vote libre» ou «en conscience»
se rapporte à l’absence de consignes de vote données par les partis,
notamment lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des projets de loi
portant sur des questions d’ordre éthique, par exemple l’interdiction
de fumer dans les lieux publics, les corridas de taureaux (Espagne),
l’avortement (Belgique, Espagne, Norvège), le mariage gay (Danemark, Espagne,
Finlande, France, Norvège), la liberté de religion (Espagne, Finlande),
l’euthanasie (Allemagne, Luxembourg), les centrales nucléaires (Finlande),
la révision de la constitution (Grèce).. Il ressort de cette enquête que, nonobstant les garanties constitutionnelles qui permettent aux parlementaires de se déterminer librement et les prémunissent contre toutes pressions, dans la pratique, le vote libre est rarement autorisé par les partis politiques et, lorsqu’il l’est, c’est de manière tout à fait exceptionnelle sur des questions controversées ou d’ordre éthique. Les réglementations ou statuts des partis politiques comportent rarement la reconnaissance du principe de la liberté de vote. En règle générale, chaque parti ou groupe politique détermine une position collective et les membres sont tenus de la respecter. Aussi se pose très clairement la question des sanctions auxquelles s’exposent les parlementaires qui soutiennent, par leur vote, une position divergente 
			(28) 
			On citera, à titre
d’exemple récent, le cas de Mme Hanna Hopko, la présidente de la
commission parlementaire des affaires étrangères de la Verkhovna
Rada de l’Ukraine, contrainte – avec d’autres membres clés du parti
Samopomitch – de quitter son parti, après avoir voté en faveur des
amendements constitutionnels relatifs à la décentralisation..

3.3. Sanctions politiques à l’encontre des parlementaires

43. Récemment, un nouveau débat est apparu en rapport avec les tentatives législatives d’instaurer des mécanismes de sanctions déguisées des parlementaires nationaux. On citera ainsi à titre d’exemple la loi adoptée le 16 février 2016 par la Verkhovna Rada amendant la loi sur l’élection des membres du Parlement de l’Ukraine (loi 3700), qui permet aux partis politiques de modifier l’ordre des candidats figurant sur leur liste électorale, dans les circonscriptions plurinominales, après l’annonce des résultats des élections, et donc d’écarter un candidat de la liste électorale. La commission de suivi de l’Assemblée a décidé de demander l’avis de la Commission de Venise sur cette loi.
44. Lors de sa réunion du 17 mai 2016 à Rome, la commission a tenu un séminaire sur la responsabilité parlementaire, dont les débats et conclusions invitent à compléter la réflexion sur la question de la nature du mandat parlementaire, en particulier sur la notion de sanction. Cette problématique pourrait donner lieu à un rapport subséquent de la commission.

4. Conclusions

45. Le présent rapport ne vise pas à analyser l’état de la démocratie représentative en Europe mais plus sobrement à s’interroger sur la réalité de la fonction parlementaire, à travers les conditions d’exercice du mandat des représentants élus, sur un plan global – le fonctionnement des parlements nationaux – comme sur un plan plus particulier – le fonctionnement de notre Assemblée parlementaire.
46. En particulier, la rapporteure juge nécessaire, à la lumière des réglementations internes des parlements nationaux (ou de leur absence) en ce qui concerne la désignation des délégations nationales, la composition des commissions, et la participation de leurs membres aux sessions de l’Assemblée et aux réunions des commissions, d’appliquer un certain nombre de principes afin de promouvoir des bonnes pratiques fondées sur un juste équilibre entre la liberté d’opinion et de vote des parlementaires, et le respect des engagements politiques dont découle l’affiliation à un parti ou un groupe politique.
47. Enfin, il serait des plus pertinent d’examiner la situation du mandat parlementaire, non pas uniquement au niveau national, mais également au niveau régional et local. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe pourrait être sollicité par l’Assemblée en ce sens.