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Rapport d’activité | Doc. 14086 Addendum III | 20 juin 2016
Commission ad hoc du Bureau sur la situation des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Grèce
Rapport de la visite à Athènes et Lesbos (30-31 mai 2016)
Bureau de l'Assemblée
1. Introduction
1. Aux yeux de ceux qui fuient
la guerre en Syrie et en Irak, la violence et les persécutions en
Afghanistan et en Erythrée ou l’extrême pauvreté et le dénuement
dans beaucoup d’autres pays d’Afrique et d’Asie, l’Europe est un
phare: un havre de paix sûr et riche où les droits de l’homme sont
respectés et les gouvernements répondent de leurs actions.
2. Il faut beaucoup de mots pour décrire ce que migration et
asile représentent pour l’Europe. Assurément, ils sont un défi;
un objet de litige et une question qui divise; un phénomène irrépressible
qui demande à être géré mais ne l’est pas toujours; un problème
pour certains, une opportunité pour d’autres. L’Assemblée parlementaire
l’a dit et redit: migration et asile doivent être une responsabilité
à partager équitablement.
3. Pour un pays tel que la Grèce qui, du fait de sa position
géographique, est tout particulièrement exposée aux arrivées, migration
et asile constituent depuis des années un défi permanent. Mais depuis
quelques mois, la situation relève bien davantage de l’urgence humanitaire
et des droits de l’homme: au lendemain de la fermeture de la frontière
par «l’ex-République yougoslave de Macédoine», des milliers de migrants
et de personnes en besoin de protection internationale se sont trouvés
bloqués en Grèce continentale et arrêtés dans leur tentative d’atteindre
d’autres pays européens. Ainsi les autorités grecques se trouvent-elles confrontées
à un défi inédit, la Grèce étant devenue un pays de destination
au lieu de simple transit.
4. Pour tenter de mettre fin à la migration clandestine dans
l’Union européenne, le 18 mars 2016, l’Union européenne a signé
un accord avec la Turquie, bloquant ainsi plusieurs milliers de
gens sur les îles grecques; ceux qui ne demandent pas l’asile seront
renvoyés en Turquie, d’où ils sont venus. Cet accord a réduit le
flux des Syriens et autres migrants et réfugiés transitant via la
Turquie vers l’Union européenne par la mer, mais a aussi suscité
des protestations et même des explosions de violence parmi les migrants
bloqués sur les îles grecques.
5. La visite à Athènes et à Lesbos fut pour les membres de la
commission ad hoc du Bureau une opportunité inestimable de se rendre
compte de la situation en Grèce, apprécier les efforts déployés
par les autorités et de nombreux autres acteurs, et se familiariser
avec la réalité vécue par beaucoup de migrants et de réfugiés.
6. Les 30 et 31 mai, la commission ad hoc a visité quatre camps
à Athènes et ses environs, sans rencontrer aucun obstacle ni aucune
restriction, avec la possibilité de parler aux résidents, aux organisations
non gouvernementales (ONG), aux représentants du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et autres intervenants
présents sur place. Le 31 mai, seule une petite délégation de la
commission ad hoc a eu l’autorisation de visiter des sites à Lesbos.
Bien que cette délégation ait pu se rendre librement aux installations
d’accueil ouvertes sur l’île, pour des raisons de sécurité, elle
s’est vu interdire l’accès à la zone d’hébergement du centre de
crise («hotspot») de Moria. En soi, cette impossibilité en dit long
sur le degré de tension existant.
7. Je tiens à remercier le Parlement grec non seulement pour
l’excellente organisation d’une visite à la logistique complexe,
mais aussi et surtout pour avoir invité la délégation à un moment
où la situation est en rapide évolution: des sites d’accueil non
officiels sont en cours de démantèlement tandis que d’autres, des campements
officiels, sont en construction; migrants et réfugiés y sont en
cours de transfert; une nouvelle loi sur l’asile vient d’être adoptée
et le cadre institutionnel nécessaire à sa mise en œuvre n’est pas
encore complètement finalisé et opérationnel; quant aux conséquences
et à l’incidence de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie,
elles restent encore imprécises.
8. Je félicite les autorités grecques pour l’honnêteté dont elles
ont fait preuve pour nous montrer ce qui a été fait et ce qui reste
encore à faire, sans crainte de se voir critiquées et dans l’espoir
que notre visite pourrait apporter une contribution constructive
à leurs efforts. Je souhaite également remercier le HCR, notamment pour
avoir bien voulu accompagner la délégation durant toutes les visites
sur les sites d’accueil et, ainsi, lui offrir explications et expertise.
2. Portée du présent rapport
9. Le présent rapport reflète
les résultats de la visite de la commission ad hoc en Grèce et les
discussions tenues à cette occasion. L’intention n’est pas de présenter
une analyse approfondie de la situation des migrants, des réfugiés
et des demandeurs d’asile en Grèce – ce qui est l’objet du rapport
«Les réfugiés en danger en Grèce» (Doc. 14082), à présenter lors de la troisième partie de session
de 2016 par Mme Tineke Strik (Pays-Bas,
SOC), rapporteure de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées, qui elle aussi a participé à la visite.
Malgré la portée limitée du présent rapport, j’ai tiré quelques conclusions
et formulé des recommandations que j’aimerais porter à l’attention
des membres de l’Assemblée.
3. Résultats des visites en Attique
3.1. Sites non officiels
3.1.1. Elliniko
10. Le 30 mai 2016, la commission
ad hoc s’est rendue sur les sites d’accueil d’urgence d’Elliniko.
Dans la banlieue sud d’Athènes, près d’une zone côtière urbaine,
se trouvent trois installations qui servaient auparavant de terminal
d’arrivée de l’aéroport désaffecté (Elliniko I), de stade de hockey
(Elliniko II) et de stade de baseball (Eliniko III). Le site Elliniko II
est le premier à avoir accueilli des migrants et des réfugiés, en septembre
2015. Au lendemain de la fermeture de la frontière avec «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», les gens ont commencé à être hébergés
dans les deux autres installations.
11. Les sites sont gérés par le ministère des Politiques migratoires.
Des ONG opèrent sur les sites et le personnel du HCR s’y rend régulièrement.
Les trois sites accueillent respectivement 1 318, 1 397 et 967 personnes
(pour un total de 3 682 personnes), mais les nombres varient constamment.
La majorité des résidents (90 %) vient d’Afghanistan, très peu sont
originaires de Syrie, d’Irak et d’Iran. 40 % sont des hommes, 35 %
des femmes et 25 % des enfants. La décision de séparer les nationalités
vient des autorités, qui espèrent ainsi empêcher des tensions entre
les différentes communautés.
12. Les conditions de vie dont nous avons été témoins sont inacceptables.
L’espace est insuffisant pour assurer l’intimité des familles et
des femmes. Le site pullule de tentes bondées, installées les unes
à côté des autres, certaines à l’intérieur des bâtiments – y compris
du sous-sol, sombre et sans ventilation –, d’autres à l’extérieur,
exposées aux intempéries et à la chaleur. Pas de soins médicaux;
quant à l’accès à l’eau et à des sanitaires, il est restreint et
insuffisant. Il n’y a pas non plus d’espace réservé aux enfants
ni de jouets; aucune activité éducative ou récréative n’est organisée
sur place et rien n’est prévu en particulier pour accueillir les mineurs
non accompagnés/enfants séparés.
3.1.2. Pirée
13. La situation est semblable
– sinon pire – dans l’autre site non officiel visité, le port du
Pirée, où s’entassent quelque 2 100 personnes, la majorité venant
de Syrie (60 %), d’Afghanistan (25 %) et d’Irak (15 %). 35 % sont
des hommes, 35 % des femmes et 30% des enfants.
14. Là aussi, les tentes sont très proches les unes des autres,
presque toujours en extérieur. La délégation a été reçue par les
représentants de la garde côtière, qui assure la gestion du site,
bien que ne participant pas directement aux activités d’aide aux
réfugiés.
15. Comme à Elliniko, la nourriture est distribuée trois fois
par jour. Elle est pré-cuisinée et, généralement, froide. La question
de l’alimentation est revenue à plusieurs reprises au cours de la
visite: alors que de nombreux réfugiés se sont plaints à nous de
la qualité de la nourriture, les autorités ont souligné leur fierté
de pouvoir répondre à ce besoin essentiel pour tous ceux qui vivent
dans les campements officiels et non officiels. En y réfléchissant,
je me suis dit que, étant dans l’incapacité de cuisiner leur propre
nourriture, les familles se trouvent privées d’un aspect important
de la normalité. Le manque d’eau chaude et d’équipements sanitaires pose
un grave problème. Il y a 50 toilettes et 33 douches pour toute
la population du site, sans espace séparé pour les femmes.
16. Au Pirée, bénévoles et ONG s’efforcent de répondre aux besoins
les plus essentiels des résidents, et tout manque. Pas d’espace
commun pour mener des activités sociales; il n’y a pas non plus
d’endroit réservé aux enfants ni de jouets; aucune activité éducative
ou récréative n’est organisée sur place et rien n’est prévu en particulier
pour accueillir les mineurs non accompagnés/enfants séparés. L’accès
à l’information, y compris aux conseils juridiques, est un problème
insurmontable. Le HCR n’a pas de présence permanente.
3.2. Camps officiels
3.2.1. Eleonas
17. C’est à travers le centre d’accueil
d’Eleonas que, en avril dernier, Ibrahim Al-Hussein a porté la flamme olympique
à l’occasion du relais de la flamme des jeux 2016 de Rio de Janeiro.
Ce fut un geste hautement symbolique car ce réfugié et athlète syrien
avait subi une amputation d’une jambe à la suite d’un bombardement.
18. La commission ad hoc s’est rendue à Eleonas le 31 mai. Le
site contraste fortement avec les camps non officiels: il est bien
organisé et offre de bonnes conditions d’accueil. Mis en place par
l’armée grecque en août 2015, il est géré par les Services chargés
du premier accueil (First Reception Service).
Il accueille 1 802 personnes, la plupart originaires d’Afghanistan
(50 %) et de Syrie (40 %). La population des camps se compose à
40 % de femmes, 33 % d’enfants et 27 % d’hommes.
19. Le site se situe dans une zone non résidentielle – une installation
portuaire près d’Athènes. L’hébergement est assuré dans 184 conteneurs,
chacun avec climatisation, douche, toilettes, eau chaude et une
cuisine rudimentaire sans réfrigérateur ni four.
20. La distribution alimentaire est assurée à 100 % de la population
du camp. Un centre de soins et un système d’orientation sanitaire
en cas d’hospitalisation sont prévus sur place. La commission ad
hoc s’est rendue dans un bâtiment en préfabriqué où des enfants
suivaient des cours de français. Par ailleurs, sont fournies des
informations sur les procédures d’asile et de relocalisation, ainsi
que sur l’accès à d’autres services. Outre le HCR, de nombreuses
ONG grecques et internationales sont présentes.
3.2.2. Skaramangas
21. En avril 2016, Skaramangas
a été installé en hâte par l’armée grecque comme site d’urgence
afin de décongestionner le port du Pirée qui, à ce moment-là, hébergeait
quelque 6 000 personnes. Il comprend trois camps, dont l’un encore
en construction.
22. L’hébergement se fait dans 218 conteneurs, chacun équipé de
la climatisation, d’une salle de bains et d’une petite cuisine.
Pendant notre visite des camps, nous avons vu des gens faire la
queue pour recevoir du linge de couchage et autres articles; devant
un autre conteneur des boissons étaient distribués aux enfants; d’autres
personnes attendaient devant un centre de santé, où officiaient
du personnel et des volontaires de la Croix-Rouge internationale,
de la Croix-Rouge grecque et de Médecins Sans Frontières.
23. Il y a un point de distribution pour la nourriture. Il n’y
a pas de problèmes en ce qui concerne l’eau chaude et l’électricité.
La vie du camp semble bien organisée, bénéficiant de la présence
permanente du HCR et d’ONG pour fournir aide et informations. Malgré
l’absence d’école, des cours sont dispensés aux enfants par le Fonds
des Nations Unies pour l'enfance (Unicef) et une variété d’ONG,
notamment Save the Children et SOS Children’s Villages.
24. Pour l’heure, le site de Skaramangas héberge 2 889 personnes,
nombre sans doute appelé à augmenter à mesure que va s’accroître
la capacité d’accueil. La population se compose de 689 femmes, 755 hommes
et 1455 enfants. Les Syriens représentent 75 % de cette population,
les Irakiens et les Yazidis respectivement 10 % et les Afghans 5 %.
L’on nous a dit que, en général, les familles syriennes se composent d’au
moins trois enfants et de membres de la famille étendue; il y a
aussi beaucoup de foyers monoparentaux avec cinq ou six enfants.
Par ailleurs, l’on nous a aussi dit que le nombre des demandeurs
d’asile enregistrés dans les camps est en augmentation régulière.
3.3. Défis rencontrés par les collectivités territoriales
25. Le 31 mai, la Commission ad
hoc s’est entretenue avec Mme Rena Dourou,
Gouverneure de la région de l’Attique, et avec M. Giorgios Kaminis,
maire d’Athènes, qui était accompagné de M. Lefteris Papayannikis, maire
adjoint chargé des questions liées à l’immigration et aux réfugiés,
et de Mme Maria Stratigaki, maire adjointe
chargée des questions de solidarité sociale, de protection sociale
et d’égalité.
26. Ces rencontres ont mis en évidence la dimension locale et
régionale de la migration, ainsi que le rôle irremplaçable – mais
souvent sous-estimé – des collectivités territoriales pour élaborer
des solutions adéquates face à la crise actuelle et pour concevoir
une stratégie à moyen et à long terme.
27. La gouverneure de la région de l’Attique a rappelé que, le
12 mai 2016, de concert avec le président de la région de Sicile
et le président de la région du Lazio, elle a écrit aux institutions
compétentes de l’Union européenne pour leur demander de renforcer
le rôle des régions et de les impliquer plus étroitement à l’élaboration
des décisions de l’Union européenne en matière de migration.
28. De son côté, le maire d’Athènes a insisté sur la valeur ajoutée
que représente l’échange d’expériences et de bonnes pratiques entre
villes, comme ce fut le cas, par exemple, lors du Forum international
sur l’accueil et l’intégration des réfugiés dans l’Union européenne,
accueilli par la ville de Barcelone le 3 mai 2016.
29. Au moment de notre visite, la région de l’Attique hébergeait
14 527 migrants et réfugiés. Voici quelques-uns des défis les plus
urgents à relever par les autorités:
- trouver les moyens logistiques pour coordonner la solidarité: premier de son genre en Grèce, un centre de logistique pour la gestion, le stockage et la fourniture de biens de secours a été mis en place par la région d’Attique, afin d’aider les migrants et les réfugiés tout en les protégeant contre les fraudes;
- fournir en urgence des logements et des hébergements adéquats dans différents quartiers afin d’éviter de créer des ghettos;
- lutter contre la pauvreté: pour contribuer à réaliser cet objectif, la municipalité d’Athènes a créé un Centre d’accueil et de solidarité (KYADA), qui fournit aide et équipements sociaux afin de lutter contre la pauvreté, en général et pour les réfugiés;
- garantir l’accès à l’éducation aux enfants de migrants, y compris aux mineurs non accompagnés/enfants séparés: lors de la réunion, le maire d’Athènes nous a fait part de son engagement à ce que tous les enfants de migrants et de réfugiés soient scolarisés dès le début de la prochaine année scolaire;
- donner aux migrants et aux réfugiés les moyens de s’intégrer à la société, notamment par la formation et l’accès à l’emploi;
- prévenir l’extrémisme et les manifestations d’hostilité à l’égard des migrants et des réfugiés.
30. S’agissant de ce dernier point, le maire d’Athènes a rappelé
l’absence de violence qui avait caractérisé le transfert des migrants
et des réfugiés depuis Idomeni, soulignant que cette attitude avait
aussi été favorisée par le climat de confiance que la population
et les autorités grecques avaient su instaurer avec eux.
31. Les Grecs sont sensibles à la triste situation des réfugiés
et des migrants. Les épisodes d’intolérance sont rares, tandis qu’abondent
les manifestations de générosité et de solidarité. Malgré tout,
il importe de rester vigilant: par exemple, dans le cadre des politiques
de logement, mieux vaut éviter de créer des zones à forte concentration
de migrants et de réfugiés car cela risquerait d’exacerber les tensions
sociales et de favoriser l’action de groupes extrémistes.
32. Mme Dourou et M. Kaminis ont tous
deux souligné que migration et asile sont un défi européen collectif qui
exige une réponse collective. L’Union européenne doit être à même
d’appliquer en matière de migration et d’asile une politique durable
fondée sur une approche commune et sur un partage juste et efficace
des responsabilités; il en va de sa crédibilité.
4. Lesbos
33. Le 31 mai, la commission ad
hoc s’est scindée en deux groupes afin qu’une petite délégation
conduite par le Président de l’Assemblée, M. Pedro Agramunt, puisse
se rendre sur les installations d’accueil de Lesbos, et s’entretenir
avec les autorités locales ainsi qu’avec les représentants du HCR,
de l’Union européenne, de l’Agence européenne pour la gestion de
la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats
membres de l’Union européenne (Frontex) et d’ONG. Les résultats
de cette visite, à laquelle je n’ai pas participé, sont décrits
en détail dans l’addendum au rapport de Mme Strik
sur «Les réfugiés en danger en Grèce».
34. Dans le présent rapport, je m’en tiendrai à deux considérations,
l’une et l’autre tenant à des faits signalés par la délégation:
- la délégation n’a pas pu avoir accès à la zone d’hébergement dans le site d’accueil fermé de Moria. La raison invoquée par les autorités était que la sécurité ne pouvait être assurée. La tension était palpable; une manifestation a eu lieu pendant la visite, les résidents brandissant des bannières où on pouvait lire «liberté de circulation». Le «hotspot» de Moria ressemble à une prison de haute sécurité, entourée de clôtures surmontées de fils barbelés. Il y avait là de jeunes enfants.
- la délégation s’est rendue dans deux autres sites d’accueil, Kara Tepe et le Silver Bay Hotel, qui offraient un hébergement de bonne qualité. Il y régnait une atmosphère calme et détendue, avec une forte présence d’ONG.
5. Face à la crise
35. Au cours de sa visite à Athènes,
la délégation ad hoc a rencontré plusieurs ministres et autres acteurs clés
en matière de migration et d’asile.
36. Le 30 mai 2016, elle a été accueillie par M. Voutsis, président
du Parlement hellénique, et a eu des échanges de vues avec M. Mouzalas,
ministre délégué à la Politique migratoire, M. Toksas, ministre
délégué à la Protection des citoyens, M. Vitsas, ministre délégué
à la Défense nationale, Mme Fotiou, ministre
déléguée à la Solidarité sociale, M. Vidalis, amiral de la garde
côtière grecque et, enfin, M. Leclerc, Représentant du HCR en Grèce.
37. Le 31 mai, elle a rencontré Mme Stavropoulou,
directrice du Service d’asile, M. Voudouris, Secrétaire Général
à l’Accueil, M. Karydis, ombudsman grec par intérim, M. Moschos,
ombudsman adjoint pour les droits des enfants, M. Christopoulos,
vice-président de la Fédération internationale des droits de l’homme
(Grèce), Mme Argyropoulou-Chryssochidou,
première vice-présidente de la Commission nationale des droits de l’homme,
et Mme Gavouneli, présidente de la sous-commission
de la communication internationale et de la coopération de la Commission
nationale pour les droits de l’homme.
38. Nos interlocuteurs ont fourni des informations à profusion,
ce qui a permis à la rapporteure de la commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées d’enrichir son rapport.
Toutefois, dans les paragraphes à suivre, je me limiterai à mentionner
quelques-unes des questions essentielles qui ont émaillé les échanges,
sans vouloir être exhaustive.
5.1. Ampleur du défi
39. J’aimerais faire part du point
du vue exprimé par les représentants gouvernementaux: ils sont ouverts
à la critique et n’hésitent pas à dire qu’il faudrait faire davantage
pour améliorer les interventions dans certains domaines. Cependant,
ils estiment aussi que la critique portée à l’encontre de la Grèce
ne tient pas compte comme il se doit de plusieurs facteurs:
- l’ampleur du défi auquel les autorités ont dû subitement faire face – elles ont réussi à répondre aux besoins essentiels de 60 000 personnes;
- le fait que cette intervention se soit déroulée en situation d’austérité économique, sans protestation notable de la part de la population grecque, sans manifestations violentes du côté de la population des migrants et sans aucune perte humaine ni situation d’urgence sanitaire;
- ce qui a été fait pour gérer l’urgence n’est encore qu’un chantier en cours; les autorités ne vont pas relâcher leurs efforts; au contraire, l’étape 2 de la solution – construction de sites d’accueil de qualité adéquate – est déjà amorcée, et aboutira à l’étape 3 – mesures d’intégration – pour ceux qui restent en Grèce;
- les autres pays européens, en revanche, ont adopté une politique beaucoup plus restrictive face aux arrivées – fermeture des frontières, érection de murs ou refus d’accepter des quotas.
40. Les autorités ont dit que, en seulement 20 jours, suite à
la décision des pays de Visegrad de fermer leurs frontières aux
Syriens, aux Irakiens et aux Afghans, la Grèce a réussi à abriter
60 000 personnes qui avaient l’intention de se rendre dans d’autres
pays de l’Union européenne mais se trouvaient «piégées» en Grèce. Elles
n’allaient pas être renvoyées dans leurs pays d’origine car la Grèce
respecte le principe de non refoulement. Elles pouvaient rester
en toute sécurité en Grèce, où leur tout premier droit, le droit
à la vie, serait protégé.
5.2. Conditions d’accueil
41. Au cours des échanges de vue,
les autorités grecques ont admis que tous les équipements d’hébergement
n’offraient pas une qualité suffisante. Toutefois, elles ont aussi
souligné que la majorité des 50 sites d’accueil mis en place offraient
des conditions d’hébergement adéquates et elles regrettaient que l’attention
soit braquée sur les quelques sites de qualité insuffisante, tels
que Idomeni, Elliniko et le port du Pirée.
42. Selon les autorités, des sites tels qu’Eleonas et Skaramangas
servaient actuellement de modèles pour la construction/extension
d’autres installations par les forces armées, et tous les migrants
et réfugiés devraient être transférés vers un hébergement de qualité
adéquate d’ici à septembre 2016.
43. D’autre part, le HCR nous a informés qu’un nombre restreint
de migrants et de réfugiés vivaient dans des appartements, et qu’un
lot supplémentaire serait mis à disposition dans les prochains mois.
Cette solution est assurément préférable à un hébergement dans de
grands sites d’accueil, surtout pour les migrants et réfugiés qui
resteront en Grèce.
5.3. Accès à une protection internationale
44. Plusieurs membres de la commission
ad hoc ont réaffirmé combien il était important de faciliter l’accès à
la procédure d’asile pour tous ceux qui ont besoin d’une protection
internationale, tant sur le continent que sur les îles, et ont insisté
sur des aspects essentiels – par exemple, enregistrement de la demande, admissibilité
de la demande, possibilité de recours, disponibilité d’une aide
et de conseils juridiques, ainsi que disponibilité d’informations
générales sur la marche à suivre pour demander l’asile et sur les
perspectives de relocalisation ou de réinstallation. La question
si la Turquie est un pays tiers sûr (pour toutes les nationalités composant
le flux actuel de réfugiés et migrants) a aussi été posée. De plus,
on s’est interrogé sur les conséquences d’une récente décision d’un
tribunal grec qui avait jugé que cela n’était pas le cas. Des questions
ont été posées sur la nouvelle procédure de pré-enregistrement lancée
par le Service d’asile.
45. Au cours des échanges, la commission ad hoc a appris que,
avant la fermeture de la route des Balkans occidentaux et l’accord
UE-Turquie, les demandes d’asile en Grèce ne dépassaient pas 3 %
à 5 % des arrivées, alors qu’au moment de notre visite, ce chiffre
s’élevait à 99 %. Auparavant, pour un nombre de demandes considérablement
plus modeste, la durée moyenne d’enregistrement d’une demande d’asile
était de deux mois. Par conséquent, pour pouvoir faire face à la
charge de travail générée par la nouvelle situation, un énorme apport
de ressources administratives s’imposait; ce qui n’était pas facile
à réaliser étant donné la situation économique de la Grèce.
46. Pour reprendre les propos de Mme Maria
Stavropoulou, le Service d’asile a quatre monts Everest à escalader:
répondre à environ 50 à 55 000 demandeurs d’asile «piégés» en Grèce;
mettre en œuvre la procédure d’asile sur les îles étant donné l’accord
UE-Turquie; déployer le système de relocalisation; et, enfin, assurer
le bon fonctionnement de la procédure d’asile ordinaire, sans oublier
non plus que beaucoup de cas peuvent bénéficier d’un regroupement
familial dans d’autres Etats membres de l’Union européenne, et qu’un certain
nombre de demandeurs d’asile n’auront pas droit à une relocalisation.
5.4. Mineurs non accompagnés/enfants séparés
47. Tout au long de la visite,
la commission ad hoc a fortement insisté sur l’importance d’un filtrage
rapide et efficace des cas vulnérables, afin de pouvoir répondre
à leurs besoins spécifiques – en particulier ceux des enfants séparés/mineurs
non accompagnés.
48. A cet égard, nous avons appris que, en 2016, 1 600 mineurs
non accompagnés/enfants séparés avaient été enregistrés. Le chiffre
exact est peut-être supérieur. Sur l’ensemble de ces jeunes migrants,
95 % sont des garçons âgés entre 13 et 17 ans. L’estimation de l’âge
s’effectue généralement par des examens médicaux ainsi que par des
entretiens approfondis, méthode la plus efficace mais aussi très
longue. Le Centre national pour la solidarité sociale dispose de
630 places dans des structures appropriées, ce qui est insuffisant
pour couvrir les besoins. Toutefois, 250 places supplémentaires
sont prévues dans les prochaines semaines.
49. Le gouvernement a instauré un étroit partenariat avec le HCR,
l’UNICEF et bon nombre d’ONG internationales et nationales spécialisées
dans ce domaine. Les bureaux de l’Ombudsman et de l’Ombudsman pour
les droits des enfants jouent un rôle important pour suivre la situation
des enfants migrants non accompagnés/séparés et pour attirer l’attention
des autorités sur les situations préoccupantes, en particulier concernant
les questions de détention et de regroupement familial.
50. Reste que soutien et ressources sont nécessaires, notamment
pour construire des équipements de qualité et pour mettre en place
une plateforme informatique qui permettrait de localiser les parents
et la famille de ces enfants. Le ministère de la Solidarité sociale
travaille en étroite coopération avec le ministère de l’Education
pour assurer la scolarisation des enfants de migrants et de réfugiés,
qu’ils soient ou non accompagnés.
6. Conclusions et recommandations
51. La situation constatée par
la commission ad hoc en Grèce est un cas d’urgence survenant au
milieu d’une crise qui existait déjà et va en s’aggravant: depuis
des années, leur situation géographique expose certains pays européens
à des arrivées massives de migrants et de personnes en quête d’une
protection internationale; depuis des années, l’Union européenne
ne parvient pas à mettre en place un dispositif qui permettrait
– conformément à la Convention des Nations Unies de 1951 relative
au statut des réfugiés et à d’autres obligations liées au droits
de l’homme – de partager équitablement entre ses Etats membres la responsabilité
de faire face à cet afflux; depuis des années, il est clair que
le Règlement de Dublin nécessite une révision complète.
52. L’heure est venue d’agir. Trouver une solution à cet état
de crise est une responsabilité européenne collective qui exige
une réponse européenne collective.
53. Je compte sur les membres de la commission ad hoc ayant participé
à cette visite pour sensibiliser leur parlement sur la situation
en Grèce et mobiliser des ressources dans leurs pays respectifs
afin d’apporter l’aide matérielle qui, nous l’avons constaté, est
indispensable. En outre, j’invite instamment mes collègues à faire pression
sur leurs gouvernements respectifs pour veiller au respect des promesses
de relocalisation et à la mise à disposition de personnel spécialisé
permettant de renforcer la capacité administrative du Bureau européen
d’appui en matière d’asile (BEAA) et du Service d’asile grec. De
même, je les invite à s’assurer que leurs pays respectifs accélèrent
le processus des demandes de relocalisation et de regroupement familial,
tout particulièrement celles concernant les enfants séparés/mineurs
non accompagnés.
54. Il me semble que le Conseil de l’Europe fait un pas dans la
bonne direction en accordant davantage d’attention à la question
migratoire, comme l’illustrent parfaitement la création du Bureau
du Représentant spécial du Secrétaire Général pour les migrations
et les réfugiés, et la récente intervention du Secrétaire Général
lors du Forum humanitaire mondial à Istanbul.
55. Je suis également convaincue que, grâce au travail de la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, l’Assemblée
continuera de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine; il
me tarde par ailleurs de participer à la discussion sur la crise
des migrants et des réfugiés qui aura lieu à l’occasion de la prochaine
Conférence européenne des présidents de parlement, organisée sous
la direction du Président de l’Assemblée, M. Pedro Agramunt (Strasbourg,
15-16 septembre 2016).
56. Pour conclure, j’aimerais renouveler l’appel lancé en juin
2015, lorsqu’une commission ad hoc du Bureau s’était rendue dans
des centres d’accueil pour réfugiés syriens en Turquie, tout près
de la frontière syrienne. Recentrons nos discussions et nos décisions
sur ce qui importe vraiment: les vies, les droits et l’avenir de
gens qui ont besoin d’une protection internationale; nous devons
faire tout ce qui est possible pour éviter de perdre une génération
de réfugiés.